WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'impact de la numérisation sur la filière audiovisuelle et sur les pratiques des spectateurs. Le cas de Netflix et des séries tv en France

( Télécharger le fichier original )
par Sarra GADIRI
CELSA - Master 2 Professionnel Médias et Numérique 2016
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Master professionnel

Mention : information et communication

Spécialité : Communication et médias

Option : Médias Informatisés et Stratégies de Communication

L'impact de la numérisation sur la filière audiovisuelle et sur les pratiques des spectateurs

Le cas de Netflix et des séries TV en France

Responsable de la mention information et communication
Professeure Karine Berthelot-Guiet

Tuteur universitaire : Gkouskou-Giannakou Pergia
Rapporteur professionnel : Maroun Natalie

Nom, prénom : Gadiri, Sarra Promotion : 2014 - 2015 Soutenu le : juin 2016 Note du mémoire : 14/20

École des hautes études en sciences de l'information et de la communication - Université Paris-Sorbonne 77, rue de Villiers 92200 Neuilly tél. : +33 (0)1 46 43 76 76 fax : +33 (0)1 47 45 66 04 www.celsa.fr

2

Remerciements

Avant tout, je voudrais remercier Mme Gkouskou-Giannakou Pergia et Mme Natalie Maroun, qui m'ont accompagné tout au long dans ce travail de recherche et qui m'ont été d'une aide précieuse. Je les remercie pour leur disponibilité, leurs remarques constructives ainsi que pour leur compréhension.

Je tiens à remercier toutes les personnes, amis et camarades, qui ont pris le temps d'échanger avec moi sur mon sujet. Je les remercie pour leurs suggestions et leurs encouragements.

Je remercie également ma famille pour son soutien et j'aimerais dédier ce travail à mon défunt grand père qui me demandait souvent où j'en étais et qui ne manquait pas une occasion de me rappeler mes objectifs.

Enfin, merci au CELSA qui m'a donné la chance de réaliser ce travail.

3

SOMMAIRE

INTRODUCTION 5

Première partie 10

Histoire des séries télévisées et développement de la sériephilie

2.0 10

Chapitre I 11

Les rouages de la filière audiovisuelle américaine et les secrets de fabrication

des séries TV à succès 11

1. Les enjeux socio-économiques 11

2. Approcher la diversité du genre et son hybridation 22

3. L'art des séries télévisées 28

Chapitre II 37

La diversification des pratiques audiovisuelles : pour une sériephilie 2.0 37

1. L'hybridation des pratiques des spectateurs 37

2. Internet, l'allié incontournable des sériephiles 38

3. Les séries américaines sur les chaînes de télévision françaises 42

4. La démocratisation du binge-viewing et du spoiling 45

Conclusion de la première partie 50

Deuxième partie 52

Mutation de la filière audiovisuelle et ancrage des pratiques de

visionnage sur le web 52

Chapitre I 53

Dématérialisation des contenus et intérêt pour la VOD 53

1. La télévision, un écran connecté 53

2. Hybridation des modèles classiques : vers de nouvelles solutions de valorisation

des contenus culturels ? 56

3. « Hyperchoix » et nouvelles formes d'intermédiation 58

Chapitre II 60

Netflix, une stratégie portée par la disruption 60

1. Historique du créateur-diffuseur 60

2. Dynamisation du marché de la VOD 62

3. Netflix, une conquête par la disruption ? 68

Chapitre III 71

Pour un dispositif personnalisé et adapté aux modes de consommations actuels

71

1. Exploiter l'intelligence collective 71

2. Compréhension des publics et adaptation aux pratiques de visionnage 72

3. Analyse sémiotique de la plateforme Netlfix.com 73

4. Le dispositif de personnalisation 82

5. Vers un encadrement et une démocratisation des pratiques de visionnage sur

Internet 88

Conclusion de la deuxième partie 90

Troisième partie 91

4

Vers de nouveaux modèles de production et de diffusion des

contenus audiovisuels ? 91

Chapitre I 92

Le nouveau business des séries télévisés 92

1. La data au coeur du savoir-faire 92

2. Et si les créations originales de Netflix redéfinissaient le genre sériel ? 96

3. Vers des contenus inédits ? 104

Chapitre II 108

Vers un réseau de télévision mondial ? 108

1. Légitimité et avantages du modèle de Netflix 109

2. Les limites du modèle 111

CONCLUSION GENERALE 116

Bibliographie 119

Ouvrages : 119

Articles et revues : 120

Sources électroniques : 120

Sites web : 121

Annexes 127

5

INTRODUCTION

Elles sont nombreuses aujourd'hui les conversations qui tournent autour des séries télévisées. Et force est de constater que ce sont les fictions américaines de « qualité » telles que Breaking Bad ou Game of Thrones qui suscitent le plus d'engouement autour d'elles. Bien que populaires en France, ce type de séries trouve davantage ses publics sur le web que sur la télévision. Considérées comme des séries de niches et exposées à la censure du CSA à cause d'un contenu souvent indécent et « politiquement incorrect », elles ne sont pas adaptées à la programmation des chaînes du paysage audiovisuel français, exception faite de la chaîne à péage Canal+ qui a privilégié dès le milieu des années 1980 la diffusion de fictions de « qualité » et la production originale.

Cependant, pour le sériephile assidu, même une chaîne comme Canal+ qui multiplie les initiatives et les partenariats avec des chaînes américaines comme HBO pour proposer des fictions de qualité ne satisfait pas pleinement ses attentes. Car, si la série Game of Thrones par exemple, est diffusée sur Canal + depuis 20131, c'est avec un an de décalage par rapport à sa diffusion originale.

Pour ces raisons, Internet apparaît comme une voie d'accès et de consommation incontournable pour les sériephiles. Blogs et réseaux sociaux sont le théâtre d'échanges animés entre les fans mais aussi, depuis les années 2000, le web est devenu un véritable réseau de distribution alternatif qui permet aux sériephiles de trouver des solutions plus adaptées à leurs pratiques que l'offre proposée par les chaînes françaises et notamment la disponibilité des épisodes au plus tard 48h après leur diffusion originale. Le cas des sériephiles français n'est pas isolé. En 2015, le célèbre logiciel de téléchargement peer-to-peer BitTorrent consomme plus de bande passante que tout autre source de trafic sur Internet2 drainant ainsi un importante population mondiale qui se trouve forcer de pirater ces contenus faute d'offres légales adaptées.

1 Source : « Communiqué de presse », Canal Plus Groupe, [disponible en ligne : http://www.canalplusgroupe.com/communiquesdepresse.html?typeView=modeIcon&annee=&theme= &page=7],consulté le 15 mai 2016.

2 Source : « BitTorrent domine toujours le trafic en amont sur Internet », Contourner Hadopi, [disponible en ligne : https://www.contournerhadopi.com/7102/bittorrent-domine-toaujours-le-trafic-en-amont-dinternet/], publié le 24 décembre 2015, consulté le 5 mai 2016.

6

Avec la généralisation de l'Internet haut-débit, la réalité des pratiques de consommation audiovisuelle s'est transformée. Ce qui était avant le propre d'une communauté de sériephiles se généralise. Visionner sur le web devient de plus en plus naturel et la multiplication des écrans favorise la consommation mobile et en différé. Ainsi, l'hybridation des pratiques a transformé le rapport au genre et sa réception, et cette évolution n'est que l'un des témoins d'une hybridation qui touche plus largement les contenus audiovisuels ainsi que l'ensemble des industries culturelles.

Avant d'aller plus loin dans notre réflexion, tentons de définir ces séries de « qualité » afin de mieux saisir les particularités de cet objet qui nous sert de prisme pour appréhender l'impact de la numérisation sur les contenus audiovisuels.

Cette notion de qualité, qui revient souvent dans les discours des chercheurs et de la presse pour qualifier certaines séries américaines, a vu le jour à partir des années 1980 aux Etats-Unis et illustre les caractéristiques qui ont contribué à donner au genre sa légitimité actuelle. Les séries de qualité sont indissociables de la télévision de qualité, Quality TV. Cette expression qui voudrait rendre compte de tout ce qui n'est pas de la télévision ordinaire3 revêt un jugement de valeur qui la rend difficile à définir. Le sociologue Robert Thompson, l'un de ses instigateurs propose douze critères4 afin de mieux l'appréhender. En voici quelques-uns : les séries de qualité sont le fruit d'artistes ayant bâtis leur réputation dans des domaines plus légitime, comme le cinéma. Elles s'adressent à des publics de niches, urbains et d'un niveau socio-culturel élevé. Elles traitent de personnages et d'intrigues multiples à travers une construction complexe du récit. Enfin, elles combinent différents genres fictionnels, proposant un traitement assez distinctif. D'ailleurs le contexte socio-économique américain y est pour beaucoup dans l'élévation de ces fictions et leur développement comme nous le verrons dans ce travail.

Pour revenir à la consommation audiovisuelle, si l'accès généralisé à Internet a eu un impact sur les pratiques de visionnage, il a également favorisé l'installation sur le marché de la télévision de nouveaux acteurs. Opérateurs de télécommunications, fournisseurs d'accès Internet et autres acteurs issus du web ont poussé les chaînes de télévision à diversifier leurs activités pour contrer cet élargissement de la

3 THOMPSON, Robert J, Television's Second Golden Age: From Hill Streets Blues to ER, Syracuse University Press, 1996, p 13-16.

4 Ibid.

7

concurrence et accompagner les nouveaux modes de consommation en essayant de proposer une alternative au piratage. Ainsi des services de Catch-up TV ou télévision de rattrapage et de nombreuses offres de vidéo à la demande (VOD) sont venus structurer le marché de la vidéo dématérialisée.

L'un des acteurs notables ce marché en plein développement et qui a suscité notre intérêt en mettant à profit les évolutions technologiques et s'adaptant à l'hybridation des pratiques, est le créateur-diffuseur de contenus audiovisuels, Netflix. Cet acteur a su tirer partie de la dématérialisation des contenus, de l'accès généralisé à l'Internet haut débit, du streaming vidéo et des big data. Il a su comprendre les pratiques de visionnage actuelles en mettant un place un dispositif adapté aux multi-écrans, à la consommation non-linéaire et à la pratique binge-watching. Aujourd'hui et en l'espace de quelques années, Netflix s'est imposé comme un acteur majeur du divertissement, en produisant ses propres contenus, en se développant à l'international5 et en mettant en place un mode de production et de diffusion inédit, en commençant par les séries télévisées. En effet, Netflix produit une à deux saisons en une seule fois, sans passer par la case de validation de l'épisode « pilote », il privilégie également la mise en ligne en un coup, mettant à disponibilité mondialement tous les épisodes d'une saison en même temps.

Visiblement, ce modèle économique ne peut être sans impact sur les contenus audiovisuels qu'il produit et diffuse sur sa plateforme ainsi que sur leur consommation. Dans ce sens, nous nous sommes attaché à répondre à la question de recherche suivante : Dans quelle mesure le modèle de Netflix s'inscrit dans une révolution des contenus audiovisuels ?

Pour comprendre l'impact du modèle de Netflix sur les contenus audiovisuels et leur consommation, il était nécessaire de revenir sur le contexte de l'apparition de cet acteur, à savoir le paysage audiovisuel américain. Nous avons choisi d'étudier ce contexte à travers le prisme des séries télévisées car l'évolution de cette filière est indissociable de celle des séries télévisées : ces dernières sont nées en même

5 Au moment de la rédaction de ce travail, Netlfix est présent dans 190 pays. Source : « Dans quel pays Netflix est-il disponible ? », Netflix, [Disponible en ligne : https://help.netflix.com/fr/node/14164], consulté le 20 février 2016.

8

temps que le média télévision et ont, très tôt, envahi la grille de programmation des chaînes américaines pour la régularité réceptive qu'elles instaurent et donc l'audience qu'elles garantissent.

Ce retour historique nous a permis de formuler une première hypothèse que nous avons consacrée à la déconstruction de ce que nous avons appelé le « mythe de l'hybridation ». D'après nos différentes lectures, nous avons tendance à penser que Netflix s'inscrit dans une accélération des mouvements d'hybridation inhérents à toute structure industrielle. En effet, les améliorations technologiques massives ont toujours transformé les façons de produire ainsi que les structures industrielles. Ce que nous pouvons remarquer dès la fin des années 1970 avec l'apparition de la technologie câblo-satellite et les innovations mises en place par HBO. S'appuyant sur une politique audacieuse et novatrice, HBO avait déjà ouvert dans les années 1990 la voie à de nouveaux modèles de production qui ont contribué à installer un second âge d'or de la télévision américaine. Dès lors, nous pensons que les mouvements d'hybridation sont omniprésents et que toute amélioration technologique provoque une accélération de ces mouvements et des mutations plus ou moins importantes, selon l'intensité de l'amélioration. Des mutations qui impactent les acteurs et leur modèle économique, les contenus qu'ils produisent et les pratiques des spectateurs. Ainsi, une différenciation des pratiques de certains publics, par exemple, pousse les chaînes à proposer des contenus qui leur sont adaptés et se faisant, ces contenus s'hybrident à leur tour.

Dans ce sens, Netflix s'inscrit, certes, dans une révolution des contenus audiovisuels mais cette révolution n'est pas inédite. Cependant, elle est massive, rapide et explicite de part la nature du média Internet qui la porte.

Notre deuxième hypothèse est la suivante : à l'heure de l'accès généralisé à l'Internet haut débit et de la multiplication des écrans, les sériephiles, autrefois moteurs de nouveaux usages, sont aujourd'hui une sorte de référentiel de l'ancrage des pratiques de visionnage sur Internet. Car, c'est dans les pratiques de visionnage des sériephiles que Netflix est allé puiser ses stratégies et s'inspirer pour mettre en place une offre et un dispositif qui correspondent aux modes consommation actuels, à savoir le multi-écrans, le non-linéaire, le binge-watching.

Enfin, notre troisième hypothèse est que cette révolution des contenus audiovisuels ne concerne pas seulement leur réception mais également leur production. En prenant le statut de créateur-diffuseur, Netflix bouscule la chaîne de production

9

classique et donne naissance à une forme de diffusion inédite. Cette disruption de la chaîne de valeur remet en question l'appellation même de « série télévisée » et fait émerger des formats inédits.

Pour infirmer ou confirmer ces hypothèses et répondre à notre problématique, nous avons organisé notre travail en trois parties. Notre première partie comportera deux chapitres. Le premier s'intéressera à l'histoire et à l'évolution des séries télévisées et nous permettra de faire apparaître les enjeux concurrentiels qui ont entouré ces programmes au fil des années et qui ont eu pour conséquence de faire évoluer le genre quantitativement (augmentation de la production) et qualitativement (complexification des intrigues et de l'univers fictionnel, perfectionnement du traitement de l'image, réalisation cinématographique, etc.). Ce chapitre nous permettra également de comprendre le succès des productions américaines et l'engouement dont elles sont l'objet. Au cours du second chapitre, nous nous pencherons sur cette passion, qu'est la sériephilie pour comprendre les raisons de l'émergence et de l'organisation de tactiques de visionnages sur le web.

La seconde partie de notre travail comportera trois chapitres. Le premier aura pour objectif de mettre en évidence les conséquences de la délinéarisation et de la dématérialisation des contenus sur la filière audiovisuelle. Le deuxième chapitre traitera de l'historique de Netflix, de sa stratégie d'entreprise et de son environnement concurrentiel. Et le troisième chapitre nous permettra d'analyser l'un de ses facteurs clés de succès : la disponibilité du service quelque soit le support. En effet, le dispositif de Netflix est une réponse adaptée aux pratiques de visionnage des sériephiles. Des pratiques, qui aujourd'hui, entrent de plus en plus dans les habitudes des publics.

Enfin, dans la troisième partie de ce travail, nous nous intéresserons aux modèles de production et de diffusion de cet acteur et à leur impact sur ses créations originales. Il sera également question d'analyser les avantages et les limites du modèle de Netflix dans le contexte actuel.

10

Première partie

Histoire des séries télévisées et développement de la sériephilie 2.0

11

Chapitre I

Les rouages de la filière audiovisuelle américaine et les secrets de fabrication des séries TV à succès

1. Les enjeux socio-économiques

C'est d'abord aux Etats-Unis, dans les années 1950, que la télévision devient un média de masse6. En 1954, 60% des foyers américains possèdent une télévision et voient rapidement apparaître les premières fictions sérielles sur leur petit écran. Quelle a été l'origine de ces premières séries télévisées ? Pour quelles raisons se sont-elles développées à l'écran ? Et quelles sont les particularités du contexte américain qui les a vu naître ?

Aux Etats-Unis, la télévision est, depuis son origine, privée et a pour mode de financement unique : la publicité. Les premières chaînes de télévision sont, donc, des entreprises privées. Elles sont également, pour la plupart, des réseaux radiophoniques qui ont choisi de diversifier leur service en proposant de l'image en plus du son. Ce n'est donc pas surprenant que la télévision naissante reprenne les dispositifs qui avaient été popularisés sans l'image et que les premiers programmes télévisuels soient inspirés d'émissions radiophoniques. Ces premières « compagnies » de télévision, que l'on appelle plus communément les networks sont au nombre de trois : ABC, CBS et NBC7 et proposent, dans un premier temps la retransmission télévisée de rencontres sportives, de pièces de théâtre ou encore d'émissions de variétés, comme la très regardée The Texaco Star Theater, animée par Milton Bearle et qui alternait sketches, chansons et invités. Au cours des années 1950, ce type d'émission et autres programmes « unitaires » vont progressivement disparaitre de la grille de prime-time au profit des fictions dites plurielles8. En effet, les networks prennent rapidement conscience de l'intérêt économique de ces fictions

6 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.12.

7 Les networks étaient à l'origine au nombre de quatre. Entre 1946 et 1956, on retrouve également la chaîne de télévision DuMont (non issue d'une station de radio) mais qui ne survit à la concurrence acharnée des trois chaînes citées.

8 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.14.

12

pour les annonceurs : en créant un rendez-vous à une heure précise (de jour en jour ou de semaine en semaine), les « séries » fidélisent le téléspectateur et permettent aux chaînes de garantir aux annonceurs une audience quasi-certaine, ce qui est essentiel pour fixer le tarif de la publicité à l'avance9.

Les historiens parlent de premier âge d'or de la télévision américaine pour qualifier cette décennie qui marque l'apparition de contenus spécifiques pour la télévision, où les programmes télévisés se sont réellement détachés des programmes radiophoniques. C'est également au cours de cette période où sont mis en place les codes et les canons de la fiction télévisée. Nous pouvons, à titre d'exemple, citer L'extravagante Lucy, premier sitcom de l'histoire, qui a été tourné à Hollywood et filmé sur pellicule. Cette technique nouvelle pour l'époque permet la conservation des épisodes pour leur revente ou leur rediffusion10.

1.1. De l'importance des annonceurs dans la définition du format sériel

Pour Jean-Pierre Esquenazi, ce premier âge d'or se recoupe également avec ce qu'il appelle « l'ère de domination des annonceurs ». Ces derniers sont en première ligne des négociations avec les networks pour pouvoir situer leurs programmes au sein de la grille de programmation et ne tardent pas à monopoliser la production télévisuelle au point de la rendre « commerciale ». Possédant leurs propres studios, les annonceurs ne se contentent pas de sponsoriser des programmes mais les produisent entièrement. A titre d'exemple, nous pouvons citer des programmes comme General Electric Theater, Goodyear TV Playhouse ou encore Colgate Comedy Hour et auxquels s'ajoutaient des programmes sponsorisés qui débutaient avec une annonce du type : « The Quaker Oats Company presents...». Ce n'est qu'après la découverte de jeux télévisés truqués que la Federal Communications Commission (FCC), 11 se rend compte du type de dégâts que peut causer le

9 Les mécanismes derrière l'achat d'espaces publicitaires seront détaillés par la suite.

10 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.16.

11 La Commission fédérale des communications est une agence indépendante du gouvernement des États-Unis créée par le Congrès américain en 1934. Elle est chargée de réguler les télécommunications ainsi que les contenus des émissions de radio, télévision et Internet. C'est L'équivalent américain du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA). Source : « Federal Communications Commission », Wikipédia, [disponible en ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Federal_Communications_Commission],consulté le 15 septembre 2015

13

monopole des annonceurs sur la production télévisuelle. Elle décide, alors, de remettre la maîtrise de la production des programmes aux mains des networks.

Bien que les annonceurs se soient retirés de la production télévisuelle, il sont restés très présents lors des négociations, passant du placement de programmes sponsorisés dans la grille de programmation au placement de coupures publicitaires au sein même des programmes. Comme nous l'avons précédemment mentionné, le prix de la majorité des espaces publicitaires est déterminé à l'avance lors de ce que l'on appelle les upfronts. C'est au cours de cette période que débutent les négociations entre les networks et les annonceurs pour fixer le prix des espaces publicitaires en fonction des programmes et des résultats d'audience de la saison passée12.

S'il nous paraît important de mettre en évidence le rôle des annonceurs dans ce travail, c'est qu'en plus d'être le financement principal de la télévision américaine, la publicité est intrinsèquement liée à l'écriture scénaristique et à la durée de vie des séries télévisées. Une série qui a du mal à décoller se verra supprimer de la programmation pour éviter aux chaînes de perdre de l'argent et de devoir dédommager les annonceurs en leur offrant des espaces publicitaires dans d'autres émissions. Une série qui ne remplit pas ce critère d'audience a peu de chance de perdurer sauf si elle rencontre une critique favorable. Dans ce cas, la chaîne peut songer à la maintenir pour d'autres raisons : si elle attire un public spécifique qui intéresse les annonceurs ou si elle contribue à donner une certaine « image » à la chaîne qui la diffuse. Ce fut le cas de séries comme St Elsewhere et Twin Peaks13.

Le format sériel a été conçu de façon à permettre un placement optimal du contenu publicitaire, d'une manière telle que, malgré la coupure, le téléspectateur ait encore envie de voir la suite de la série télévisée : « pour qu'il reste sur la même chaîne et regarde les messages des annonceurs14 ». C'est également de la nécessité pour les chaînes de garantir une audience régulière aux annonceurs qu'est né le cliffhanger. Ce procédé d'écriture scénaristique permet de clore un épisode sur une fin ouverte afin de créer une forte attente chez les téléspectateurs et leur donner envie de revenir la semaine prochaine pour voir la suite de la série.

13SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.60.

14 BOUTET Marjolaine, Soixante ans d'histoire des séries télévisées américaines, Revue de recherche en civilisation américaine, [Disponible en ligne : http:// rrca.revues.org/248], 2010, publié le 29 juin 2010, p.4

14

Ainsi, le format de découpage de l'épisode en « en 5 actes » a été installé dès les années 1960. Rythmé par des coupures publicitaires, ce format permet de distiller le suspens par des mini-cliffhangers. Ce type de découpage, détaillé dans la figure suivante15, est encore d'actualité dans des séries comme 24 heures Chrono par exemple, dont la production s'est arrêtée en 2014. Notons que ce type de structuration en actes est propre aux séries diffusées par les networks car les chaînes du câble premium16 (qui n'apparaitront que plus tard dans le paysage audiovisuel américain) n'intercalent pas de réclame au sein de leurs programmes : l'écriture scénaristique des séries produites pour ces chaînes est donc sensiblement

différente.

Si la logique publicitaire a joué un rôle primordial dans la définition et le découpage des formats, les avancées techniques et l'évolution du contexte socio-économique ont également contribué à faire évoluer les séries télévisées, accroissant leur distinction et leur sophistication.

15 Source : « Comment fonctionne la TV américaine », Mes séries TV, [disponible en ligne : http://www.messeriestv.fr/2012/04/23/comment-fonctionne-la-tv-americaine-2/], publié le 23 avril 2012, consulté le 15 septembre 2015.

16 En plus des networks, les chaînes câblées américaines sont créées à partir des années 1970 et se divisent en catégories : les chaînes du basic cable financées par leur nombre d'abonnés et les recettes publicitaires et les chaînes du premium cable qui dépendent uniquement de leurs parcs d'abonnés respectifs. Source : « La logique de spécialisation des chaînes américaines », Industrie culturelle, [disponible en ligne : http://industrie-culturelle.fr/industrie-culturelle/la-logique-de-specialisation-des-chaines-americaines-jerome-david/], publié le 26 février 2013, consulté le 06 octobre 2015.

15

1.2. L'apparition de la Fox et des chaînes du câble

L'entrée dans les 1980 modifie le rapport entretenu avec la télévision et ses programmes. L'apparition des chaînes du câble permet aux téléspectateurs de ne plus rester captifs des trois traditionnels networks et d'avoir accès à d'autres chaînes. En 1985, un foyer américain sur deux est abonné au câble17. D'un autre côté, l'invention du magnétoscope et de la télécommande modifie l'expérience spectarorielle. En donnant aux téléspectateurs la possibilité de zapper, l'usage de la télécommande accroit leurs exigences et leur donne la liberté de changer de chaînes dès qu'un programme n'est pas jugé à la hauteur. Quant au magnétoscope, nous percevons son utilisation comme un signe avant-coureur de la diversification des pratiques de visionnage. En plus de favoriser un visionnage plus individuel que le direct, le magnétoscope permet au téléspectateur d'enregistrer les épisodes de ses séries préférées. Il lui donne ainsi la possibilité de revoir et d'analyser les différentes scènes : le fan devient alors critique, connaisseur du genre et ses attentes s'en trouvent augmentées.

Ces évolutions techniques, qui amorcent le passage à un deuxième âge d'or de la télévision américaine, ont pour conséquence directe d'accroitre la compétition entre les diverses chaînes. Networks et chaînes du câble prennent, en effet, rapidement conscience de la nécessité de proposer une offre originale, dissociable de la concurrence pour séduire des publics plus exigeants et volatiles.

1.2.1. La FOX, un network pas comme les autres

En 1986, la création d'un quatrième network, la Fox, vient ébranler le monopole de ABC, CBS et NBC qui ne souffrent, à cette époque, aucune concurrence. Pour se faire une place au sein du paysage audiovisuel en tant que grand réseau, la Fox bénéficie des fonds colossaux de son propriétaire, Rupert Murdoch qui rachète les studios de cinéma 20th Century Fox et Metromedia, un réseau de six stations de télévision indépendantes, préparant ainsi le terrain au lancement de ce quatrième réseau. A cette époque la FCC oblige les trois chaînes historiques, qui émettent plus de quinze heures par semaine, à consacrer la tranche 19h-20h à des programmes familiaux. En limitant son taux horaire à moins de quinze heures, non seulement la

17 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.31.

16

Fox s'évite de nombreux frais qui incombent au statut légal de network mais se trouve dans la possibilité de contourner les lois de programmation et les réglementations concernant l'indécence. C'est ainsi que la soirée du dimanche soir sur la Fox attire peu à peu davantage de téléspectateurs, plutôt jeunes, notamment grâce à la série 21 Jump Street, diffusée en 198718.

Pour subsister et récupérer une partie de leur audience, la Fox sait qu'elle doit jouer sur le même terrain que les Big Three. Elle consacre une grande partie de sa programmation à des programmes familiaux, dynamiques et drôles : American Idol, The X Factor ou encore The Simpsons et American Guy, séries animées subversives, devenues la spécialité de la chaîne et qui attirent une audience considérable.

Sur le terrain des séries télévisées, la chaîne défraie la chronique avec le sitcom Married... With Children. Ce sitcom, un brin irrévérencieux, suscite la colère d'une mère de famille qui se plaint de quelques allusions obscènes d'un épisode de la troisième saison aux 42 annonceurs qui apparaissent dans le programme, appelant au boycott. La campagne de cette mère de famille contre la Fox attire des téléspectateurs curieux de voir cette série controversée mais elle a également pour conséquence de valoir à la chaîne le courroux de certains annonceurs qui menacent de se retirer. S'ils n'en font rien, la chaîne se rend néanmoins compte des limites à ne pas dépasser et demande aux scénaristes de Married.. With Children d'éviter les scènes de nudité et les allusions choquantes à l'avenir19.

De manière générale, la Fox mise sur des séries codifiées, au format rigide, déjà éprouvées sur d'autres chaînes, elle évite au possible les formes trop expérimentales et les récits perturbants, à l'exception peut être de la série culte X-Files. Elle est davantage en recherche d'efficacité, ce qui s'avère très payant : avec des fictions comme 24 heures chrono et Prison Break, elle amorce une vague de séries d'action feuilletonesques où le suspens est poussé à son paroxysme grâce à des cliffhangers insoutenables à la fin de chaque épisode20.

1.2.2. Apparition du câble premium et de HBO

18 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.52.

19 Source : « Has Married...With Children been muzzled? », Entertainment Weekly, [disponible en ligne : http://www.ew.com/article/1990/02/16/has-marriedwith-children-been-muzzled], publié le 16 février 1990, consulté le 10 mars 2016.

20 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.44.

17

D'après Brett Martin et Jaques Mousseau, la télévision par câble est née en 1948 dans la petite ville de Manahoy City en Pennsylvanie pour améliorer la qualité de l'image audiovisuelle et de la transmission dans cette région montagneuse 21 . Jacques Mousseau distingue trois périodes successives dans l'histoire du câble. La première correspond à l'installation d'une antenne communautaire dans cette petite ville de Pennsylvanie pour acheminer les images des réseaux hertziens par câble dans les foyers, moyennant un abonnement. Un service nouveau mais qui restera pendant près d'une décennie une affaire technique et locale. La deuxième phase débute lorsque, devant l'exigence des abonnés pour un service qu'ils paient « des entrepreneurs imaginent une segmentation locale des audiences en fonction des programmes 22 ». Ils proposent alors 10 à 15 programmes différents contre un abonnement de 10 dollars environ. Le système du basic cable est né. Enfin, la troisième phase, qui nous intéresse particulièrement et qui a fait du câble une industrie à forte croissance commence en 1975 lorsque le câble est associé au satellite23. C'est également à cette période que la chaîne HBO fait ses débuts.

Au début des années 1970, Charles Dolan24 est le premier à envisager l'idée du câble premium25. Il loue alors un canal sur le satellite lancé par la société de télécommunication RCA et propose des programmes aux différents « cable distributors » du pays. Sous forme d'un service d'abonnement axé, initialement, sur le sport et les films, « The Green Channel » voit le jour et change rapidement de nom pour devenir la Home Box Office. Pendant cette première décennie, la programmation de HBO repose essentiellement sur la diffusion de rencontres sportives. Regarder les événements sportifs nationaux en direct est un luxe pour l'époque car la diffusion, qui est le monopole des réseaux, reste souvent affectée par des pannes de transmission dans certaines régions du pays. Les programmes de HBO ont également la particularité de contenir quasiment tous une scène de nudité

21 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction française, 2013, p. 79.

22 MOUSSEAU Jacques, La télévision aux USA, Communication et Langages n°63, 1er trimestre 1985, [Disponible en ligne : http://www.persee.fr/doc/colan 0336-1500 1985 num 63 1 1667], p.11.

23 Ibid, p. 12.

24 Charles Dolan est un billionnaire Américain, fondateur de Cablevision et de HBO. Source :

« Charles Dolan Net Worth », The Richest, [disponible en ligne :

http://www.therichest.com/celebnetworth/celebrity-business/men/charles-dolan-net-worth/], consulté le 10 mars 2016.

25 Source : « Charles Dolan », Wikipédia, [disponible en ligne : https://en.wikipedia.org/wiki/Charles Dolan ], consulté le 10 mars 2016

18

gratuite ou du langage obscène : son statut premium lui faisant profiter de l'absence de contrôle de la FCC26.

Pour justifier un abonnement plus élevé que le basic cable, les programmes de HBO ne sont pas interrompus par des coupures publicitaires. La réclame est placée au début et à la fin des programmes, celui séduit les téléspectateurs américains qui utilisent déjà le zapping comme un moyen d'échapper à la publicité. L'offre de HBO fonctionne. En 1981, elle couvre déjà le pays entier grâce à un millier de systèmes de câblodistribution locaux et ses abonnés s'élèvent à près de quatre millions27. Mais ce développement prospère est vu d'un mauvais oeil par les studios hollywoodiens et les autres chaînes. En se spécialisant dans le cinéma, HBO s'attire l'hostilité de certains studios qui tentent de se liguer contre elle : en 1980, 20th Century Fox, Universal, Paramount et Columbia créent ensemble leur propre chaîne payante, la Premiere Channel. Cependant, celle-ci est déclarée illicite par la justice lorsque HBO dépose un dossier fédéral d'antitrust28. La raison est que ce projet d'arrangement vise directement à restreindre la concurrence pour bénéficier d'un monopole, ce qui est contraire à la législation américaine.

Du côté des chaînes, elles répondent à la menace que représente HBO en créant de nouvelles chaînes comme ShowTime et The Movie Channel29 qui aspirent à la concurrencer sur son propre terrain.

Ayant acquis une manne financière impressionnante de la vente d'abonnements, la chaîne commence à produire des programmes dès la fin des années 1980 à travers sa filiale HBOIP. Ces programmes (documentaires, fictions et comédies) sont conçus pour être diffusé sur HBO mais certains alimentent même la programmation de la Fox30. C'est en 1990 que l'identité de la chaîne commence à changer avec l'arrivée à la tête du service de programmation de Chris Albercht31. La chaîne passe alors de la diffusion de rencontres sportives, de films et d'émissions érotiques à la production de

26 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction française, 2013, p. 81.

27 Ibid. p. 82.

28 Ibid.

29 Ibid

30 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.58.

31 Chris Albercht arrive à la tête de la programmation originale chez HBO en 1985 et est aujourd'hui CEO de la chaîne du câble Starz. Source : « Chris Albercht », Wikipédia, [disponible en ligne : https://en.wikipedia.org/wiki/Chris Albrecht], consulté le 10 mars 2016.

19

séries télévisées haut de gamme, à direction de ses abonnés, un public aisé et éduqué32. En effet, ces fictions originales visent « les valeurs culturelles que la [chaîne] croit que ses souscripteurs valorisent33 ». En se positionnant sur des critères culturels la chaîne crée sa propre audience au lieu d'effectuer une segmentation classique par genre et tranches d'âge. Ce changement de politique et de positionnement apparaît comme un moyen pour les décideurs de la chaîne d'ériger des barrières de coûts et qualité contre une concurrence acharnée.

Nombre d'auteurs qui ont traité de la télévision américaine et des séries télévisées s'accordent pour dire que les années 1990 marquent un tournant dans l'histoire des séries télévisées34 et nous avons tendance à penser que les changements dont il est question se sont fait sous l'influence de HBO qui, en imposant un standard de qualité meilleure aux fictions télévisuelles, a contribué à transformer le genre et à le faire évoluer.

N'étant pas dépendante des annonceurs, HBO n'a pas à s'inquiéter de les faire fuir, ce qui donne une grande liberté créative aux scénaristes que la chaîne engage. « Les séries que la chaîne produit dès les années 1990 peuvent donc briser les tabous (le sexe, les insultes, la mort) et imposent le `politiquement incorrect' 35». De plus, le fait que les programmes ne soient pas soumis aux coupures publicitaires permet de penser à des formats d'une durée plus longue : 30 minutes pour les comédies et près de 55 minutes pour les fictions de type drama36. HBO s'offre également des créateurs plus libéraux et davantage sensibles à littérature européenne, à l'image de Tom Fontana, créateur de la première série dramatique originale diffusée sur HBO, la série carcérale Oz37.

L'une des principales innovations de cette série parue en 1997 passe par la narration. En effet, son déroulement est rythmé par la présence d'un personnage en fauteuil roulant, une sorte de narrateur, qui introduit les différentes scènes, ouvre et

32 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.40.

33 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.58.

34 BOUTET Marjolaine, ESQUENAZI Jean-Pierre, BRETT Martin.

35 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.40.

36 « Un drama désigne une série dramatique, en opposition aux séries de comédie. Cette distinction est très présente dans les pays anglo-saxons où les dramas ont une durée d'épisode égale ou supérieure à 40 minutes et où les épisodes de comédies ne dépassent pas généralement les 30 minutes ». Source : « Glossaire des séries TV », Arte, [disponible en ligne : http://www.arte.tv/sites/dimension-series/glossaire-des-series-tv/ ], consulté le 05 janvier 2016.

37 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.42.

20

clôture chaque épisode par un monologue. Ce traitement ne va pas sans rappeler la tragédie grecque où le coryphée, en chef d'orchestre de la pièce, scande son déroulement et accompagne le spectateur. Les moyens déployés pour la création de cette série sont également surprenants pour l'époque : un bâtiment entier a été acheté pour abriter les décors de la série et son administration. Sur le fond, la série reflète totalement l'état d'esprit de HBO : « Farouchement `artsy', chargée de violence irrévérencieuse et d'une homosexualité latente, menée par un personnage qui se trouvait être un psychopathe néonazi et gay38 »

Une autre innovation apportée par les séries HBO est le nombre d'épisodes par saison. Au lieu des vingt-quatre épisodes traditionnels, les séries HBO sont courtes (douze à quinze épisodes)39. Dans le cas de la série Oz, les saisons se limitent à 8 épisodes. Ce nouveau type de structure n'est pas sans impact sur l'écriture scénaristique et la conception des intrigues. Pour le journaliste Martin Brett, auteur de l'ouvrage « Des Hommes Tourmentés » où il brosse le portrait croisé d'auteurs de séries à succès et de showrunners célèbres dont Tom Fontana, ce raccourcissement a eu pour résultat « une architecture narrative qui s'apparente à un ensemble de colonnes. Chaque épisode est un pilier puissant, solide et substantiel à lui seul, appartenant de surcroît à l'arc que constitue une saison, qui à son tour reliée aux autres saisons, forme une oeuvre d'art aussi cohérente qu'autonome40 ». Nous nous pencherons davantage sur l'architecture narrative des néo-séries ainsi que les innovations qu'elles apportent au genre dans le prochain chapitre.

Le succès critique et populaire de la série Oz, suivi par celui de The Sopranos (récompensée aux Golden Globes dans la catégorie meilleure série télévisée en 1999) fait de HBO une référence télévisuelle dont le modèle de production et les procédés sont convoités et imités. Ainsi, des chaînes premium comme Showtime et la FX commencent à produire des séries sur le « modèle HBO » et même les networks se mettent à privilégier les séries ambitieuses au contenu audacieux. Commence alors une course vers la qualité qui donnera naissance à bon nombre de chefs-d`oeuvres du petit écran : des séries d'auteurs au réalisme poignant qui

38 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction française, 2013, p. 96.

39 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.58.

40 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction française, 2013, p. 19.

21

brossent, chacune à leur manière, le portrait de la société américaine et son évolution, jusque dans ces côtés les plus ténébreux.

1.2.3. Des séries TV, entre innovation et convention

Pour Marjolaine Boutet, les années 2000 sont les héritières directes de la décennie précédente : « sous l'influence des séries HBO, les années 2000 sont incontestablement celles du `politiquement incorrect' et de l'explosion des séries sur le câble 41». La multiplication des chaînes du câble et leur audace créatrice, talonnée par celle des networks donnent lieu à un véritable bouillonnement d'innovation. Les séries de cette décennie sont remarquables par leur forme et par les sujets qu'elles traitent (corruption, drogue, mort, homosexualité, violence extrême, etc.). Nous pouvons citer à titre d'exemple les séries de HBO The Wire, Sex and The City, Six Feet Under, Deadwood, les séries AMC Breaking Bad et Mad Men, The Shield de la chaîne FX ou encore Dexter de Showtime. Ce bouillonnement créatif fait aussi perdre à HBO le statut unique et privilégié qu'elle détenait jusqu'à la fin des années 1990. La chaîne prend, à cette époque, de mauvaises décisions : comme son refus de produire la série culte Mad Men, vite récupérée par AMC, jeune chaîne du câble, ou encore le fait de s'engager dans des productions trop coûteuses comme la série Rome qui a été ramenée à deux saisons au lieu des cinq prévues initialement en raison du coût unitaire élevé des épisodes et de la perte d'une bonne partie des décors colossaux de la série dans un incendie accidentel.

Les années 2010 ont continué à challenger les formats traditionnels, mais à la différence de leurs devancières, elles ont donné naissance à des oeuvres si inédites de par le format et le mode de diffusion que cela vient questionner l'appellation même de « série-télévisée », chose que nous allons essayer d'expliciter dans la troisième partie de ce mémoire. Mais pour mieux détailler cette réflexion, nous avons jugé essentiel de revenir, à travers un historique « intrinsèque » au genre, sur l'origine et l'évolution des formes sérielles. Car nous pensons que, au delà du cadre économique, les formes sérielles sont aussi intimement liées au matériel symbolique commun entre les créateurs et les publics. Cette partie nous permettra de mieux saisir l'ampleur de la diversité sérielle et les hybridations qui n'ont cessé de

41 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.43.

22

caractériser l'évolution du genre aux fils des années, conférant à certaines oeuvres une forme d'unicité qui leur fait côtoyer les plus belles productions cinématographiques.

2. Approcher la diversité du genre et son hybridation

2.1. Des séries traditionnelles aux « néo-séries » : le métissage des formes

Les séries télévisées sont attachées à la fiction populaire, elles sont héritières de genres narratifs qui ont été modelés au fur et à mesure depuis le début 19ème siècle. Pour Jean-Pierre Esquenazi, « les fabricants de séries sont les descendants des romanciers et des dramaturges inventeurs d'aventures et de romances »42. C'est principalement pour cette raison que les grands genres de la fiction télévisée n'ont pas tardé à se mettre en place dès les débuts de la télévision. Nous pouvons répertorier ces genres fondamentaux en deux grands types. Le type « aventure » qui s'appuie sur les genres cinématographiques policier, fantastique, science-fiction et où un héros cherche à élucider un mystère tout en éliminant un « méchant » en parallèle. Le deuxième type exploite, quant à lui, les caractéristiques du roman sentimental et du « film de femmes ». Ce type est caractérisé par des affaires romanesques et essentiellement constitué par les commentaires interminables engendrés par des sentiments éprouvés ou observés43.

Selon Jean-Pierre Esquenazi, aux débuts de la télévision, la conception de ces fictions diffère selon leur moment de diffusion programmé. Par exemple, les sitcoms sont émises dans l'après-midi (day-time) et à destination d'un public féminin alors que les fictions policières occupent traditionnellement le début de soirée (prime-time) et sont destinées à un public masculin44. Ce n'est qu'à partir des années 1970 que les responsables des grands networks commencent à remettre en cause cette division, réalisant que les cop-shows n'ont plus autant de succès et n'intéressent pas les publics féminins 45 . Cette phase de remise en question est perçue par la

42 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.84.

43 ESQUENAZI Jean-Pierre, l'inventivité à la chaîne, formules des séries télévisées, Université de Lyon II, MEI « Médiation et information », n° 16, [PDF], 2002, p.3.

44 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.71.

45 Ibid.

23

chercheuse Américaine Amanda Lotz d'« ère de transition ». Une ère durant laquelle la télévision passe d'une période de domination des réseaux où une distinction pragmatique est faite entre les méthodes de production des programmes de journée et celles des programmes de soirées (plus coûteux) à une ère de « télévision post-réseaux » où cette distinction devient floue en raison de l'apparition d'un schéma qui privilégie les attentes de micro-publics, recherchant des contenus plus ciblé46.

A partir de cette période : fin des années 1970 et début des années 1980, les chaînes commencent à rechercher de nouvelles solutions narratives pour s'adapter aux attentes de ces publics mixtes et volatiles, dont les pratiques de visionnage se trouvent impactées par l'adoption de nouveaux appareils.

L'apparition des nouvelles technologies et des nouveaux modes de distributions de l'époque (télécommande, VHS) a, en effet, contribué à faire émerger de nouveaux modèles narratifs. Si nous prenons l'exemple de séries dites traditionnelles, comme Columbo, Mac Gyver ou encore Starsky & Hutch qui mettent en scène des héros à la mémoire courte, ne se rappelant de rien d'un épisode à un autre. Cette « défaillance » avait pour objectif de ne « perdre personne en cours de route ». Les séries de ce type prenaient donc en, considération la dépendance du téléspectateur à la grille de programmation, sans possibilité de zapper ou de revoir les épisodes et lui donnaient la possibilité de « suivre » la série, indépendamment de la chronologie des épisodes. Plus tard, la possibilité de zapper, enregistrer et revoir les épisodes a poussé les créateurs de séries à recourir à des formes narratives plus complexes, notamment, grâce à des techniques scénaristiques comme l'utilisation des arcs narratifs, du cliffhanger ou encore du procédé « des blessures du passé ». Ces procédés, sur lesquels nous reviendrons plus tard, ont permis de d'approfondir les intrigues et les personnages.

L'apparition de nouvelles formes sérielles donnent beaucoup de fil à retordre aux personnes désirant les classer. Nous avons, néanmoins, essayé de répertorier certaines de ces typologies afin de mieux appréhender les hybridations dont il est question.

46 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.181.

24

2.1.1. Tentatives de classification des séries télévisées

Les premières réflexions sur les formes sérielles sont très arrêtées : pour Stéphane Benassi : « il n'existe à la télévision deux types de fictions distincts, les unes singulières, qui sont aujourd'hui désignées par le terme générique téléfilm, les autres plurielles, divisées en fonction de leur forme syntaxique et qui se répartissent dans les deux autres genres fictionnels que sont le feuilleton et la série. 47». Cette constatation bien que réductrice, comme l'affirmera Benassi par la suite, a l'avantage de faire émerger deux types distincts de développement syntaxiques : la mise en série et la mise en feuilleton. Ces deux principes sont deux manières de gérer la narration, qui ont été challengé par les créateurs et introduits dans des genres où ils étaient, jusque là, absents.

Il était de convenance, par exemple, que la mise en feuilleton et le mélodrame soient indissociables. Cette vision est vite dépassée avec l'apparition de feuilletons qui n'appartiennent plus seulement au « genre » : soap opera : comme dans 24 heures chrono où la série d'action devient feuilletonnesque. Une « tendance à la recombination 48 » qui s'affirmera dans les années 1990 et 2000 et donnera naissance à des fictions télévisuelles issues d'un mélange entre genres fictionnels et de manières de « travailler » la narration que nombre d'auteurs ont tenté de définir49.

Pour saisir davantage ces hybridations qui affectent les deux formes principales de la fiction plurielle, à savoir le feuilleton et la série, il nous ait apparu intéressant de revenir sur la distinction opérée par Jean-Pierre Esquenazi dans sa tentative de classer les séries. Esquenazi opère une première distinction entre : les « séries immobiles » et les « séries évolutives », bien que les territoires entre ces deux types se chevauchent souvent et sont rarement purs50. Le propre des séries immobiles est la répétition d'une même structure narrative ainsi que l'art de retenir le temps narratif. Elles sont également la promesse d'un univers fictionnel aux règles inchangées. Les séries immobiles comprennent la « série nodale », le « soap opera » et le « sitcom » : « la narrativité nodale de Columbo ou de Law & Order, la logorrhée

47 BENASSI Stéphane, séries et feuilletons TV : pour une typologie des fictions télévisuelles, Edition du Céfal, 2000, p. 35

48 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.44.

49 Noël NEL Stéphane BENASSI Jean-Pierre ESQUENAZI, etc.

50 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.107-108.

25

persistance du soap, les plaisanteries dupliquées du sitcom sont autant de façons différentes de retenir le temps narratif et de construire ces chaînes narratives qui n'ont de clôture que fictive 51 ». Concernant les séries évolutives, elles ont la particularité de multiplier les possibilités d'organisation du temps en en faisant une donnée narrative. Les deux grands types de séries évolutives sont la « série chorale » (qui met en scène une communauté : Urgences, NYPD Blues, Ally McBeal) et la « série feuilletonesque » (ce type lui-même composé du feuilleton « pur » (24 heures chrono), de la « série à énigme » (Lost) et de la série-feuilleton qui allie trois niveaux distincts de temporalité).

Au vu de nos interrogations qui concernent les pratiques de visionnage des publics, nous retiendrons également la distinction opérée par le sociologue Clément Combes qui s'est intéressé à la relation entre les individus et séries télévisées et à l'activité spectatorielle. Clément Combes distingue entre les « séries itératives » et les « séries feuilletonnantes ». Les premières proposent des épisodes indépendants « stand-alone » et permettent un visionnage dans le désordre, car tout épisode est indépendant et propose de courts récits qui contiennent un début et une fin. Les « séries feuilletonnantes », quant à elles, « proposent des intrigues au long court, sous forme d'arcs narratifs ; elles nécessitent, pour en prendre la pleine mesure voire pour que cela ait un sens, de regarder leurs épisodes dans leur ordre d'apparition 52 ». La distinction opérée par Clément Combes n'annule pas les propositions conceptuelles proposées Jean-Pierre Esquenazi car nous revenons toujours à ce principe d'immobilité et d'évolution. Chaque fiction plurielle possède un « noyau immobile » et un « noyau évolutif ». Dans certaines, le noyau évolutif est très réduit et donne des séries « qui demeurent identiques à elles-mêmes » (Columbo). Cependant, même, dans les séries les plus évolutives, il subsiste toujours « un fort pivot reproductible53 ». La raison est que le concept, lui-même, de série télévisée « suppose une identification aisée de tout épisode, et donc la présence répétée de structures narratives, de rythmes, de personnages »54. Ce pivot

51 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.115-116.

52 COMBES Clément. La pratique des séries télévisées : une sociologie de l'activité spectatorielle. [Disponible en ligne : https://halshs.archives-ouvertes.fr/pastel-00873713/document] Thèse de doctorat. Economies and finances. Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris, 2013, p. 54.

53 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.138

54 Ibid.

26

est ce que les créateurs de séries télévisées essayent de préserver pour ne pas fourvoyer le genre et les publics.

2.2. Densification de la narration et complexification des intrigues

2.2.1. L'apparition des dramas

« Dès mes premiers pas dans la télévision, il m'est apparu clairement que les bonnes séries ne pouvaient qu'être le fait de bons scénaristes ». Grant Tinker55

Dans un ouvrage publié en 1983, rassemblant une sélection d'entretiens avec des producteurs de la télévision américaine, Horace Newcomb et Robert Alley assurent que la force créative d'une série télévisée émane du producteur allié au scénariste et non pas au réalisateur56. Dix ans plus tôt, Grant Tinker, fondateur de la société de production MTM Entreprises est connu dans le milieu de la production télévisuelle américaine pour croire en l'importance des scénaristes. Et c'est sous son aile que Steven Bochco créa Hill Street Blues.

Quatrième drama produit par MTM57, cette série vient révolutionner les formules narratives utilisées dans les années 1970. A cette époque, la chaîne NBC est intéressée par une histoire qui se déroulerait dans le commissariat d'un quartier difficile, mais Steven Bochco ne se voit pas créer un énième cop-show et, soutenu par Grant Tinker, demande à NBC une autonomie créative pour le projet. Pour la création de Hill Street Blues, Steven Bohco veut donner une importance fondamentale à la communauté professionnelle du commissariat de Hill Street et ne pas se concentrer uniquement sur les enquêtes policières. Cela requiert une formule hybride qui viendrait doser entre le traitement d'un soap-opera et le format d'une série policière, tout en y ajoutant de nouveaux ingrédients diégétiques pour fluidifier le déroulement des intrigues. Jean-Pierre Esquenazi décrit la formule narrative de Hill Street Blues de la manière suivante : « les scénarios de Hill Street Blues seront

55 Extrait des mémoires de Grant Tinker. Source : BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction française, 2013, p. 48.

56 Horace Newcombe et Robert S. Alley, The Producer's Medium : Conversations with Creators of American TV , Oxford University Press, New York, Reprint, 1985.

57 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction française, 2013, p. 48.

27

tissés d'histoires multiples dont chaque épisode propose un fragment. La mise au point de cette technique rend obligatoire le travail collectif : un même épisode peut contenir plusieurs histoires, dont chacune a un auteur et qu'il faut articuler entre elles. En outre, chacun de ces arcs narratifs pourra être commenté par le personnel du commissariat et leurs familiers, à la manière du soap-opera. Chacun doit aussi apparaître sinon comme une comme une enquête policière, du moins comme une activité policière, à la manière du cop-show58 ». Au delà de l'apparition de l'écriture collective qui a permis de densifier les intrigues et d'approfondir l'univers des séries télévisées (développement d'un nombre important de personnages et d'intrigues traitant thèmes et de sujets divers), Hill Street Blues est un exemple précurseur dans l'apparition de ce que l'on appelle les « romans de prime-time59 » ou encore les « récits multitramés60 » et auxquels nous préférerons, l'appellation de dramas. Les dramas mettent généralement en scène des récits vastes à travers des intrigues au long cours et un nombre important de personnages qui sont davantage enclins à parcourir de larges territoires. Ce traitement du récit qui s'est démocratisé à partir des années 1990, notamment avec les productions de la chaîne HBO, a également pour particularité de privilégier les intrigues autour du pouvoir, déclinant le drame dans tous les mondes sociaux possibles : Oz, The Sopranos, The Wire... pour ne citer que les aînés.

2.2.2. Quelques procédés scénaristiques

Les séries télévisées de l' « ère post-réseaux » ont recourt à des techniques de complexification du récit comme le cliffhanger (que nous avons traité précédemment) mais aussi les arcs narratifs, le récit cumulatif et les « blessures du passé 61», tous des procédés fermement en place aujourd'hui. Les arcs narratifs permettent d'étaler l'histoire sur plusieurs épisodes, voire plusieurs saisons, laissant ainsi certaines intrigues en suspens, le cliffhanger vient, lui, entretenir l'intérêt pour une série d'une

58 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.74-75

59 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.183.

60 Ibid.

61 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.186.

28

manière stratégique. En ce qui concerne le récit cumulatif et le procédé « des blessures du passé », nous voyons leur utilisation comme une « récompense » pour les spectateurs assidus.

Si les chaînes se sont rendues rapidement compte de l'appétence des publics pour un contenu plus ciblé, correspondant à leurs valeurs culturelles, du côté des créateurs de séries, cela a permis d'imaginer différents moyens d'élargir et d'approfondir les intrigues en jouant sur le passé des personnages ou sur une « certaine mémoire du temps62 ». Dans ce sens, la « blessure du passé » est un procédé scénaristique qui tient compte de la vie des personnages avant leur apparition dans la série, de sorte à pouvoir activer ce passé dans le développement des intrigues. Meredith Grey, l'héroïne de la série Grey's Anatomy, par exemple, semble avoir une relation conflictuelle inexplicable avec sa mère que le spectateur ressent tout le long de la série. Il n'en découvre l'une des raisons qu'à partir de la saison cinq où une scène montre que Meredith avait sauvé sa mère d'une tentative de suicide en la découvrant, juste à temps, dans un bain de sang, dans sa cuisine.

Ces procédés, en plus d'être des moyens de fidélisation, viennent nourrir la passion des publics pour leurs séries préférées. Des publics qui sont aujourd'hui, grâce aux avancées technologiques, capables de « suivre » et de se souvenir d'évènements qui se sont passés dans des épisodes ou des saisons antérieurs. Ces publics sont également devenus capables d'interpréter les médias qui les entourent et de développer une certaine expertise des TIC pour satisfaire leurs attentes. Nous verrons pourquoi et de quelles manières ils s'y prennent dans le chapitre suivant.

3. L'art des séries télévisées

Pour clore ce chapitre sur la diversité sérielle, nous avons voulu nous intéresser aux ambitions artistiques des séries télévisées. Des séries traditionnelles aux séries d'auteurs des années 1990 et 2000, cette forme télévisuelle a évolué pour gagner en qualité. Jusque là, nous avons vu que la « sophistication » des séries actuelles passe par la complexification de la narration et le traitement de sujets tabous et « politiquement incorrect ». Une transgression morale délibérée qui est devenue la marque de fabrique des chaînes américaines du câble premium.

62 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.186.

29

Cependant, la mise en scène de sujets subversifs et un traitement narratif complexe ne suffisent pas à faire accéder une série dite de qualité au rang de chef-d'oeuvre du petit écran. Si ces deux aspects y sont pour beaucoup, la notion d'art qui se cache dans le terme « chef-d'oeuvre » trouve sa place quand la « formule » d'une série arrive à orchestrer parfaitement différents paramètres. De sorte à donner vie à un univers reconnaissable, unique et captivant. Certaines séries télévisées sont gravées dans les mémoires car elles fabriquent un monde qui donne envie aux fans de s'y immerger, jusqu'à, pour certains, prendre part à son expansion. D'autres, marquent le spectateur et le surprennent par un traitement esthétique élaboré qui devient un moyen inhabituel de dérouler le récit visuellement.

Afin de traiter de l'art des séries télévisées, nous avons choisi l'exemple de deux séries plébiscitées par le public et par la critique : Twin Peaks (1990 - 1991) pour son univers captivant et Breaking Bad (2008 - 2013) pour son traitement visuel du récit.

3.1. Le monde fertile de Twin Peaks

En tentant d'appréhender la diversité sérielle, nous avons vu que, dans leur évolution, les fictions plurielles se sont éloignées des formats classiques, série et feuilleton, pour revêtir des modèles narratifs hybrides, plus souples. Aussi, dans son développement constant, chaque fiction plurielle s'appuie sur une « formule » qui lui est propre, une sorte de modèle que Jean-Pierre Esquenazi compare à un « thème » (au sens musical)63. Le thème d'une série permet à son public de reconnaître son essence et d'avoir l'assurance de retrouver un même univers au fil des épisodes.

Il y a, certes, des formules plus pertinentes que d'autres et qui poussent les producteurs à les reprendre et à les décliner sur des projets différents, dans le but d'en garantir le succès64. Cela s'avère efficace dans le cas de franchises facilement ré-ajustables comme CSI (Les Experts) et Law & Order (New York, police judiciaire) par exemple. Cependant, la déclinaison d'une formule qui a fait ses preuves n'est nullement un gage de succès : les exemples de séries télévisées calquées sur des séries à succès, mais qui ne rencontrent pas la réussite escomptée ne manquent pas. Cela nous amène à penser qu'une formule est bien plus qu'un thème qui

63 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.94.

64 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.80.

30

caractérise une série et qui permet de l'identifier. Elle est surtout ce qui distingue une série quelconque d'un chef d'oeuvre du petit écran.

Selon Stéphane Benassi, une formule reposerait sur cinq paramètres (sémantique, spatial, temporel, narratif et discursif). Ces paramètres sont affectés par la dialectique variation/invariance lors des processus de mise en série et/ou de mise en feuilleton des récits65. Ce que nous appelons « art de la formule » est le savant dosage de ces différents paramètres qui relève de l'art et du savoir-faire des créateurs des séries télévisées.

Evidemment, nous ne remettons pas en question l'originalité d'oeuvres qui viendraient jaillir à partir d'une oeuvre première ou en parallèle à celle-ci et donc d'une formule plus ou moins existante, à l'image des adaptations cinématographiques ou des transfictions66 sérielles (à travers des procédés comme le spin-off67 ou le crossover)68, mais nous insistons sur cette part d'unicité, cette subtile orchestration qui donne à une fiction donnée un univers qui lui est propre, reconnaissable et captivant. Et c'est cet univers qui participe à créer l'adhésion et l'engouement autour d'une oeuvre, en tissant des liens avec les spectateurs et en leur donnant l'envie de s'y immerger, de le partager et de le raconter.

A travers le cas de la série Twin Peaks, nous voudrions rendre compte de la force de certaines séries télévisées à créer de l'engouement autour d'elles. Nous voudrions comprendre comment elles s'y prennent et montrer également les conséquences de cet engouement sur les publics.

Enseignant en cinéma-audiovisuel et corédacteur en chef de la revue de cinéma Simulacres de 1999 à 2003, Guy Astic a consacré deux de ses essais à l'oeuvre de David Lynch. Dans l'un de ces deux essais, Twin Peaks : Les laboratoires de David Lynch, Aspic s'intéresse au passage de du réalisateur au petit écran à travers la

65 Ibid.

66 Richard Saint-Gelais propose de définir la « transfictionnalité » de la manière suivante : « Par transfictionnalité, j'entends le phénomène par lequel au moins deux textes, du même auteur ou non, se rapportent conjointement à une même fiction, que ce soit par reprise de personnages, prolongement d'une intrigue préalable ou partage d'univers fictionnel ». Source : SAINT-GELAIS Richard, Fictions transfuges : la transfictionnalité et ses enjeux, Edition du Seuil, 2011, p. 07.

67 Un spin-off est un processus transfictionnel qui désigne une série dérivée d'une autre série. C'est le cas par exemple de la série New York police judiciaire qui a donné naissance aux spin-off New York section criminelle et New York unité spéciale.

68 Un crossover est également un processus transfictionnel qui croise les univers de deux séries différentes.

31

création de ce qu'il appelle « un rejeton illégitime de la télévision69 » ou une série qui « s'apparenterait à un laboratoire dans lequel Lynch se plaît à s'enfermer70 » : Twin Peaks.

David Lynch voit le format sériel comme l'opportunité de donner naissance à un monde vaste où il aurait la possibilité de développer graduellement les personnages et les intrigues sans obligation de clôture. Il dit à ce propos : « L'idée de continuité à la télévision est formidable. Ne jamais dire au revoir...71 ». D'ailleurs, Lynch est un réalisateur qui a du mal à respecter les canons, même au cinéma. Ses films Dune, Elephant Man, Sailor et Lula et Fire Walk With, par exemple, durent plus de deux heures et débordent du format classique de long métrage commercial.

L'univers « lynchéen » est devenu facilement reconnaissable pour de nombreux spectateurs et critiques. L'esthétique et le récit lynchéens sont caractérisés par une composition fragmentée, flottante : l'accent est souvent mis sur l'expressivité des scènes ou celles moments narratifs et la clôture des oeuvres peut sembler souvent confuse ou décousue. Avec Twin Peaks, David Lynch fait venir son univers à la télévision et se fait guider dans son passage au format cathodique par le scénariste Mark Frost que Guy Aspic décrit comme étant « suffisamment novateur pour ne pas brider les inventions esthétiques72 » de Lynch. Car l'imagerie est centrale dans les oeuvres de Lynch et Twin Peaks n'y échappe pas. La série a, elle aussi, cette capacité à captiver le regard. On en dira des années plus tard qu'il est « impossible de ne plus y penser le téléviseur éteint. Les images impriment la rétine, s'ancrent dans le coeur et la mémoire73 ».David Lynch a pu conserver une grande liberté derrière la caméra dans la création de Twin Peaks. Guy Astic dit du cinéaste qu'il « contrarie le développement des intrigues, entrebâille le circuit des images pour feuilleter les représentations - pour ce faire, il recourt à un usage magistralement

69 Astic Guy, Twin Peaks : les laboratoires de David Lynch, Edition Rouge Profond, Pertuis, 2005, p. 23.

70 Ibid. p.12

71 CHION Michel, David Lynch, Edition de l'Etoile/Cahier du cinéma, 2007, p.122.

72 Astic Guy, Twin Peaks : les laboratoires de David Lynch, Edition Rouge Profond, Pertuis, 2005, p.09.

73 Source : « Twin Peaks toujours culte », Le Monde, [disponible en ligne : http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/10/07/twin-peaks-toujours-

culte 4502162 3246.html#2VJJHkjuOs6wgb4C.99], publié le 07 octobre 2014, consulté le 12 mars 2016.

32

précis de la profondeur de champ et de l'orchestration premier plan/arrière plan74 ». Une réalisation puissante qui, bien avant, des séries comme Breaking Bad, démontre que l'on peut aussi captiver le téléspectateur par l'image, comme au cinéma, et non seulement à travers une médiation verbale comme le veut le traitement des soaps opera de l'époque.

Malgré un court passage à la télévision : trente épisodes sur un peu plus de 2 ans75, Twin Peaks s'est s'impose comme une série culte en devenant un véritable phénomène médiatique et culturel qui continue de faire parler de lui aujourd'hui. Twin Peaks est oeuvre hybride. Reposant principalement sur le genre soap-opera, elle a la singularité d'y inclure une dose de fiction policière, de comédie satirique, de fantastique... un métissage des genres, novateur pour l'époque. La série met également en scène des personnages excentriques qui évoluent dans un univers onirique sur le rythme de mélodies entêtantes qui ouvrent d'une manière quasi-systématique la plupart des scènes. Et c'est cet univers troublant, nourri par les multiples intrigues tissées sans cesse pour semer vrais et faux indices sur le meurtre de Laura Palmer76, qui a contribué fortement à l'engouement autour de la série et à la naissance du « forum de discussion le plus actif des débuts de l'ère d'Internet77 ». Ce forum de discussion apparaît dès la diffusion du premier épisode de la série et rassemble une communauté de fans estimée à 25000 lecteurs78.

Cette communauté, qui suit assidument les multiples intrigues de Twin Peaks, remplit plusieurs fonctions :

« Les fans travaillaient ensemble pour dresser la liste des événements de la série ou des extraits de dialogue jugés particulièrement importants ; ils partageaient entre eux tout ce qu'ils réussissaient à trouver sur la série dans la presse locale ; ils utilisaient le web pour stocker des vidéos à l'intention des fans qui avaient manqué un épisode, ils passaient au crible la grille complexe des références à des films, des feuilletons télévisées, des chansons, des romans et d'autres textes célèbres que contenait la série, et comparaient leurs informations avec les leurres que plaçait, d'après eux, l'auteur pour les entraîner sur une fausse piste79 ».

74 Astic Guy, Twin Peaks : les laboratoires de David Lynch, Edition Rouge Profond, Pertuis, 2005, p. 57.

75 Twin Peaks est programmée pour la première fois entre le dimanche 8 avril 1990 et le mercredi 10 juin 1991.

76 Twin Peaks raconte l'enquête menée par l'agent spécial du FBI Dale Cooper pour découvrir l'assassin de Laura Palmer, retrouvée morte emballée dans du plastique.

77 JENKINS Henry, La culture de la convergence : des médias au transmédia, Paris Editiion Armand Colin, 2013, p. 74.

78 Ibid.

79 Ibid.

33

La profondeur de l'univers de Twin Peak et sa complexité narrative donnent énormément de matière à cette communauté engagée qui trouve plaisir à mettre en commun les différentes ressources et à jouer au jeu de l'interprétation. D'ailleurs, l'expertise naissante de ces fans, rassemblés sur la toile, et qui « découvraient avec fascination l'intérêt du travail collectif pour donner du sens à ce qu'ils regardaient80 » peut être vu comme un premier présage de l'appétence des publics et leur enthousiasme pour des séries élaborées et des intrigues complexes.

Malheureusement, la révélation tant attendue du meurtrier de Laura Palmer n'est pas assez bien orchestrée. Les producteurs de ABC, inquiétés par un David Lynch qui n'a nullement l'intention de « clôturer » car passionné par ce format sériel qui permet de dérouler indéfiniment l'histoire, en déterrant continuellement « des choses sous des choses », font pression pour dévoiler l'assassin à l'issue du 15ème épisode81. Ce dénouement précipité « qui marque le début de la fin aux yeux du cinéaste82 », n'est pas du goût des fans qui se sentent trahis et frustrés par une révélation qui ne pouvait en aucun cas rivaliser avec toutes leurs analyses et les théories qu'ils avaient élaborées et partagées sur le forum83.

Henry Jenkins voit dans cet intérêt intense pour l'exploitation des informations d'un univers donné, « le signe avant-coureur que des tensions étaient à venir entre les producteurs et les consommateurs des médias 84 », replaçant l'expérience du spectateur au centre des préoccupations. En effet, en 1990, un cinéaste à la télévision était encore perçu comme un intrus et bien que Twin Peaks ait été une initiative de ABC de redorer le blason artistique du réseau, elle était surtout un moyen de résister à l'offensive des séries du câble et de répondre aux exigences commerciales. La tension cinéma/télévision dans laquelle se développait la série ainsi que la rigidité de la filière audiovisuelle pour les libertés créatives ont fait de l'explosion en plein vol de Twin Peaks une chose inévitable.

80 Ibid. p. 75.

81 Astic Guy, Twin Peaks : les laboratoires de David Lynch, Edition Rouge Profond, Pertuis, 2005, p. 24.

82 Ibid.

83 JENKINS Henry, La culture de la convergence : des médias au transmédia, Paris Editiion Armand Colin, 2013, p. 75.

84 Ibid.

34

3.2. Le traitement de l'image dans Breaking Bad

Dans Introduction à l'analyse de la télévision, François Jost discrimine la fiction télévisuelle en raison de son traitement esthétique. Il cite à titre d'exemple un analyste de la série Dallas qui affirme que l'on peut suivre un épisode entier de la série sans regarder en permanence l'écran85. Il est certain que les conditions de réception d'une série télévisée, insérée dans une grille de programmation, et ayant pour intention de convenir à la ritualité d'un foyer, ne sont pas les mêmes que celles d'un film que l'on va voir au cinéma, cependant, nous pensons que si cela a affecté la conception de séries traditionnelles comme Dallas, en reléguant au second plan le travail de l'image, cela est moins le cas des néo-séries qui ont vu le jour à partir des années 1990.

Un entretien donné à Arnaud Viviant pour Libération en juin 1992, lors de la sortie française de Fire Walk With Me, a été l'occasion pour lui de situer sa position sur la supposée différence cinéma/télévision.

A la question : « Quelle différence faites-vous au juste ? », il répond : « Jusqu'à la diffusion, aucune, Après quoi, à la télévision, contrairement au cinéma, on a une mauvaise petite image et un mauvais petit son. Mais les processus de fabrication restent les mêmes. On a pareillement filmé, monté, mixé le film et la série »86

Dans une interview donnée à Arnaud Viviant pour le journal Libération, le réalisateur David Lynch affirme avoir filmé la série Twin Peaks et son adaptation cinématographique Fire Walk With Me de la même manière. La seule réserve qu'il émet concerne le mode diffusion des deux contenus, reprochant au média télévision une image et un son de mauvaise qualité. Il est vrai qu'une diffusion en salle obscure et silencieuse et qui répartit harmonieusement le son dans la salle de façon à immerger le spectateur dans une contemplation absolue de l'écran n'est absolument pas comparable à un visionnage chez soi. Cependant, il est aujourd'hui possible, grâce à des équipements Home Cinema (son Dolby Digitale et image HD) d'obtenir de bonnes conditions de visionnage, sans tomber dans une expérience visuelle mauvaise et plate. Le journaliste Martin Brett est encore plus optimiste quant à cette nouvelle génération de technologie cathodique qui a libéré, selon lui, les réalisateurs de la télévision comme les directeurs de la photographie des contraintes imposées par l'obsolète et le granuleux écran en boîte : « Désormais, ils pouvaient travailler

85 JOST François, Introduction à l'analyse de la télévision, Edition Ellipses, Paris, Collection INFOCOM, 2004, p. 107

86 CHION Michel, David Lynch, Edition de l'Etoile/Cahier du cinéma, 2007, p.121.

35

avec le clair-obscur, une profondeur de champs hypnotique, de splendides plans larges s'étendant à l'infini, des plans à l'épaule de haut vol - toute la caisse à outils qui était autrefois l'apanage du seul grand écran.87 ».

Pour ces raisons, nous nous sommes donné la liberté d'appréhender de manière cinématographique le traitement de l'image dans Breaking Bad, une série remarquable dans sa manière de dérouler le récit, qui passe autant par la médiation verbale que par la médiation visuelle.

Dans son ouvrage « l'art des séries télé 2 », Vincent Colonna traite de la notion « d'écriture visuelle » dans les séries télévisées et se rapporte au travail de Michael Slovis, directeur de la photographie sur la série Breaking Bad, pour expliquer comment celui-ci a utilisé une « esthétique cinématographique » pour raconter visuellement l'histoire. En effet, certaines scènes sont si incompatibles avec une écoute radio qu'il est difficile, presque impossible, de retirer l'intégralité du bénéfice symbolique en ne prêtant pas une attention soutenue à l'image. Pour soutenir cet argument, nous reprenons cette séquence de Breaking Bad, extraite de l'ouvrage « L'art des séries télé 2 : l'adieu à la morale » de Vincent Colonna88. En effet, en se fiant au texte ci-dessous, il est évident qu'une écoute aveugle est insuffisante pour comprendre ce qu'il se passe dans cette scène et encore moins pour percevoir le comique de celle-ci :

Le beau-frère et la belle-soeur de Walt, Hank et Marie Schrader, dialoguent sur le perron de leur maison. Hank insiste pour que Marie n'oublie pas sa séance avec un thérapeute qui l'aide à soigner sa kleptomanie. (Oui, la femme du policier est kleptomane ! tout comme son beau-frère deviendra le plus grand fabricant de stupéfiant du Nouveau Mexique ; la série regorge d'ironies de cette espèce.)

Devant son véhicule, Marie est prête à partir ; autour d'eux un enfant du quartier joue avec une voiture télécommandée, source insupportable de bruit, pour cette délicate conversation. Marie monte dans sa voiture et s'en va, non sans au passage écrabouiller le jouet de l'enfant. Très gêné, Hank va alors vers lui, et sans qu'une parole soit échangée, sort un billet, puis deux, dont le jeune garçon s'empare. En écoute aveugle, impossible de saisir cette partie de la scène ; on entend bien un son strident qui dérange la conversation du couple, puis un choc assourdi quand la voiture écrase le jouet, mais c'est tout. Le comique de la scène échappe à l'audition, n'est perceptible qu'à la vision ; aucun concept lexical ne permet de l'appréhender ; pour en saisir le sel, il faut en passer par les percepts de la scène, par son caractère figuratif.

87 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction française, 2013, p. 3435.

88 COLONNA Vincent, L'art des séries télé 2 : l'adieu à la morale, Editions Payot & Rivage, Paris, 2010, p.81-82.

36

C'est avec un traitement proche de celui-ci, que certaines néo-séries, en empruntant les techniques et les outils du cinéma ont contribué à hisser le genre à son rang actuel. Et bien que le traitement de l'image soit différent d'une série à une autre : narration visuelle ou simple esthétisme (l'esthétisme des plans séquences de séries comme True Detective ou de American Horror Story par exemple), cette place donnée aujourd'hui à la réalisation est le signe d'un rapprochement entre les séries télévisés et le cinéma.

Tout au long de ce premier chapitre, nous nous sommes intéressé à l'histoire de la télévision américaine et donc à celle des séries télévisées pour comprendre le contexte de leur apparition, de leur évolution et de leur élévation. En raison d'un paysage audiovisuel privé depuis sa création, la concurrence incessante est caractéristique de la filière audiovisuelle américaine. Cet environnement compétitif est la raison derrière des chaînes et des studios de production tout aussi compétitifs. Leurs préoccupations économiques ont contribué fortement à faire évoluer le genre sériel et à faire apparaître une télévision de qualité. Dans ce sens la politique de MTM et celle encore plus audacieuse et novatrice de la chaîne HBO ont fait apparaître de nouveaux modèles de production que le reste de la filière s'est empressé d'imiter.

Ce retour historique nous a également permis d'appréhender la diversité sérielle et les hybridations qui n'ont cessé de caractériser le genre, conséquences directes de la politique des acteurs et de leur besoin impératif de trouver de nouvelles solutions narratives pour coller aux attentes de publics plus exigeants et volatiles. Car ces derniers ont également vu leurs pratiques de visionnage et donc leur rapport aux séries télévisées évoluer grâce à l'apparition de technologies comme la télécommande et le magnétoscope.

Dans le chapitre suivant, nous nous intéresserons aux conséquences de la généralisation de l'Internet au débit sur les pratiques des spectateurs et comment cette voie d'accès alternative aux contenus audiovisuels a eu pour effet de transformer radicalement la sériephilie.

37

Chapitre II

La diversification des pratiques audiovisuelles : pour une sériephilie 2.0

1. L'hybridation des pratiques des spectateurs

Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, au fil des années, l'apparition de nouveaux facteurs techniques a entrainé des changements non négligeable sur l'attitude des téléspectateurs face à la télévision en les mettant aux commandes de la programmation et en leur permettant de regarder les séries télévisées sur d'autres supports. Ainsi, la télécommande leur a donné la liberté de zapper, les cassettes VHS suivies par les DVD les ont encouragé à consommer davantage puis à stocker davantage tout en leur permettant de voir et de revoir leurs séries préférées et de se rattraper quand ils le souhaitent.

A partir de la moitié des années 2000, l'accès généralisé à l'Internet haut débit dans les foyers, conjugué à la multiplication des supports (ordinateur, smartphone, lecteurs numériques, etc.) et à la progression considérable des équipements des ménages (écran plat, home cinéma, haute définition, etc.) changent radicalement les conditions d'accès à la culture89. Aujourd'hui, la vitesse de diffusion que permet Internet couplée à cette évolution des supports a pour conséquence que les contenus vidéo se consomment n'importe quand, n'importe où et sur n'importe quel support. En témoigne, le succès quasi-immédiat de plateformes comme Youtube ou Dailymotion ou dans, le cas qui nous intéresse, la multiplication des plateformes de téléchargement peer-to-peer 90et de diffusion en streaming 91 qui permettent de télécharger et d'échanger rapidement des vidéos ou de visionner directement en ligne.

Le sériephile de la de deuxième moitié des années 2000 tire de cette voie d'accès alternative que constitue Internet plusieurs bénéfices. Le mode de consommation induit par Internet via ces plateformes de téléchargement et diffusion ont un rôle

89 DONNAT, Olivier, Enquête sur les pratiques culturelles des Français, 2008 : http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/doc/08synthese.pdf

90 Le peer-to-peer ou pair à pair est une technologie permettant l'échange direct de données entre ordinateurs reliés à Internet, sans passer par un serveur central.

91 Le streaming est une technique qui permet de diffuser des flux vidéo ou audio en temps réel et de manière continue.

38

essentiel dans l'organisation des communautés de fans et dans le développement de l'engouement autour du genre.

2. Internet, l'allié incontournable des sériephiles

« L'Internet n'a pas inventé les groupes de fans ; ils ont prospéré bien avant l'apparition des ordinateurs. D'un autre côté, l'Internet les a modifié, et pour ceux disposant d'un accès internet, il a changé ce que signifie être fan »92

Le succès des séries télévisées américaines et l'enthousiasme dont elles font l'objet ne datent pas d'hier. Un phénomène que nous avons expliqué, par une élévation de la qualité de la production, attribuables à divers facteurs que nous avons détaillé plus haut. Cet engouement autour du genre, que l'on appelle plus communément sériephilie est caractérisé par une consommation intensive que la démocratisation de l'usage d'Internet a amplifié et structuré. Les études de fans ont démontré le besoin de l'aficionado de partager sa passion93. Dans ce sens, les sites de téléchargement pee-to-peer et autres sites de streaming permettent aux sériephiles de partager leur avis sur ce qu'ils ont regardé et de prolonger ainsi leur passion à travers de multiples échanges. Ces discussions trouvent également leur place sur les réseaux sociaux ainsi que sur des blogs et des forums créés exclusivement pour satisfaire ce plaisir. Et c'est en centralisant les pratiques des fans que Internet s'est naturellement imposé en allié du genre et de ses fans, favorisant l'apparition de spectateurs experts qui se chargent eux-mêmes de nourrir ces réseaux.

2.1. Un réseau de distribution alternatif

Des communautés expertes de fans se sont rapidement structurées sur le web pour répondre à leurs propres attentes et à celle d'autres fans désireux d'accéder à leurs séries télévisées de manière optimale : à savoir l'accès à l'épisode dès sa première diffusion et dans le cas des fans Français en version originale sous-titrée. Ainsi, des bénévoles se sont donnés pour mission de mettre les contenus à disposition aussi

92 BAYM, Nancy K. Tune in, Log on :Soaps, Fandom, and Online Community, SAGE publications, 1999, p. 215.

93 Christian Le Bart, Dominique Pasquier, Henry Jenkins, etc.

39

rapidement que possible. Ces bénévoles sont relayés par des équipes de fansubbeurs94 qui mettent également à disposition leur expertise en matière de traduction pour produire les sous-titres français et les mettre en téléchargement sur les plateformes peer-to-peer ou les intégrer directement à l'épisode dans le cas des plateformes de streaming. De cette manière le contenu est disponible au plus tard 48h après la première diffusion sur les chaînes américaines.

Notons que la majorité de ces sites sont peu enclins à respecter les droits de propriété et de diffusion et que malgré la déclaration « d'une guerre numérique anti-piratage » en 2012, qui a conduit à la fermeture de plusieurs sites de partage comme MegaUpload95, d'autres plateformes et lecteurs de visionnage ne cessent de voir le jour depuis. Ces plateformes redoublent d'inventivité pour permettre aux internautes de visionner le plus facilement possible et de calquer leurs moments de visionnage sur la diffusion originale. De leur côté, les fans les plus inconditionnels n'ont pas énormément de difficultés à se familiariser avec ces plateformes et avec les tactiques de braconnage toujours plus innovantes qu'elles requièrent. Prenons l'exemple du site de streaming FullStream, nous remarquons que depuis quelques années maintenant ce dernier n'a cessé de changer d'adresse URL, passant de full-stream.net, à full-stream.me puis à full-stream.org. Nous pouvons supposer que ces manoeuvres ont pour objectif de tromper la surveillance des organismes anti-piratage.

Il est aussi intéressant de voir comment ce site requiert une certaine expertise des internautes pour visionner les différents contenus comme le montrent les figures ci-dessous :

94 Le fansubbeur est individu qui pratique un sous-titrage amateur des séries télévisées ou des animés japonais par exemple. Les fansubbeurs s'organise en « team » et travaillent bénévolement. La pratique s'est connaître du grand public avec la généralisation de l'Internet haut débit et le téléchargement illégal des séries US.

95 Source : « La fermeture de Megaupload en trois questions », France TV Info, [disponible en ligne : http://www.francetvinfo.fr/culture/la-fermeture-de-megaupload-en-trois-questions 52829.html], publié le 19 janvier 2012, consulté le 10 février 2016

40

Figure 1 : Accès à l'ensemble des épisodes de la série

Figure 2 : Accès à un épisode

En effet, il est nécessaire de passer par plusieurs étapes avant d'accéder au contenu. Sur la figure 2, nous pourrions penser que le visionnage se déclenche en une seule action : appuyer sur le bouton « Regardez ». Cependant, il revient à l'internaute d'accomplir d'autres manipulations, souvent pas très apparentes, pour accéder au véritable lecteur : choisir l'un des 3 lecteurs et désactiver la publicité en

.

cliquant sur la croix rouge 96

En ce qui concerne les fans les moins aguerris, les sites de streaming tels que Full

96 Le bouton « Regardez » est un lien hypertexte qui renvoie à une page de publicité. Dans certains cas, il peut s'agir de logiciels malveillants. Les internautes qui consultent ce site sont généralement conscients des tactiques de visionnage à adopter.

41

Stream, qui nécessitent une connaissance approfondie des plateformes de streaming et des tactiques de visionnage qu'elles requièrent, et les logiciels classiques de téléchargement tel que uTorrent97, qui présentent des interfaces souvent barbares malgré les efforts fournis pour les rendre plus pratiques, restent perçus comme étant trop compliqué à l'utilisation. Dans ce sens et pour séduire les utilisateurs néophytes, des logiciels à mi-chemin entre les plateformes de streaming et les sites de streaming98 comme Popcorn Time ont vu le jour.

Proposant de télécharger et de visionner des fichiers torrent en un temps record99, cette application, parue au printemps 2014, permet à l'utilisateur d'accéder à un catalogue extrêmement riche de séries télévisées et de films, et ce, sur une interface claire et ludique qui ressemble étrangement à celle de Netflix. D'ailleurs baptisé le « Netflix du piratage » ou encore le « Netflix du pauvre », les utilisateurs de cette application seraient estimé à plusieurs millions avant sa mise hors ligne le 23 octobre 2015 en raison d'une possible attaque en justice de la part des studios hollywoodiens, détenteurs des droits des nombreuses oeuvres accessibles sur Popcorn Time100. Dans cette guerre contre les ayants droit, Popcorn Time est devenu, aujourd'hui, une application open-source, permettant aux internautes de se lancer dans la création de nombreux clones pour remplacer la perte du site. D'ailleurs une solution encore plus optimale a vu le jour en 2016 pour offrir un visionnage toujours plus facile aux utilisateurs du réseau BitTorren, réduisant encore plus les manipulations compliquées. Popcorn Time Online 101 est une version navigateur, sous forme de plug-in qui permet d'intégrer un client torrent et un lecteur vidéo dans le navigateur Internet. Le célèbre Popcorn Time a été, de cette manière,

97 uTorrent est un programme qui permet de télécharger des fichiers torrent sur la plupart des sites torrent. Contrairement à d'autres logiciels comme BitSpirit, uTorrent offre une interface plutôt simple d'utilisation.

98 Ces logiciels ressemblent à des plateformes de streaming mais sont en fait des applications à télécharger sur ordinateur qui permettent d'obtenir par une simple recherche dans le catalogue des fichiers torrent qui se téléchargent instantanément.

99 Popcorn Time permet de faire des recherches parmi les vidéos disponibles sur le réseau BitTorrent et de les visualiser instantanément. L'innovation réside dans le fait que le temps d'attente de téléchargement est estimé à 30 secondes au maximum. Source : Popcorn Time », Wikipédia, [disponible en ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Popcorn_Time], consulté le 06 septembre 2015

100 Source : « Popcorn Time, les déboires du Netflix du piratage », Le Monde, [disponible en ligne : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/10/27/popcorn-time-les-deboires-du-netflix-du-

piratage 4797615 4408996.html#8LlT7eDxy5APpoJ8.99], publié le 27 octobre 2015, consulté le 11 février 2016.

101 Source : « Popcorn Time online, une version directement dans le navigateur », L'informaticien, [disponible en ligne : www.linformaticien.com/actualites/id/39442/popcorn-time-online-une-version-directement-dans-le-navigateur.aspx], publié le 04 février 2016, consulté le 11 février 2016.

42

ressuscité sous une nouvelle forme, démontrant que ce réseau de distribution alternatif, fort de ces communautés soudées, arrive à trouver des solutions toujours plus performantes (en s'appuyant sur les avancées techniques constantes) pour répondre à la demande considérable.

3. Les séries américaines sur les chaînes de télévision françaises

3.1. Le questionnaire

Pour comprendre les raisons de la migration des publics sériephiles vers le web, nous avons administré un questionnaire en ligne en direction de publics très éclatés : sur Facebook, à travers le groupe Wanted Bon Plans102, et sur Twitter où il a été retweeté par plusieurs comptes notamment celui du publicitaire Mathieu Flaig qui compte 46 200 abonnés à la date de notre étude103. Sur les 402 réponses collectées, nous avons pu faire ressortir un nombre de tendances que nous mobiliserons à plusieurs endroits, quand cela nous semblera pertinent. Il est également important de signaler que nous n'avons ici aucune prétention à la représentativité de notre échantillon et que nous aspirons seulement à mieux appréhender les publics sériephiles, cible et utilisateurs potentiels de Netlfix104 , par rapport auxquels nous avons formulé certaines présuppositions. Afin de corroborer notre discours, nous nous appuierons sur l'enquête réalisée par Olivier Donnat en 2008 sur les pratiques culturelles des français105.

3.2. La place des séries américaines dans la grille de programmation des chaînes généralistes

« Dès les années 1975 et donc bien avant l'introduction de chaînes commerciales, la production nationale de fiction a traversé un long désert. Il faut attendre les années

102 Wanted Bons Plans est un groupe Facebook d'entraide dont l'objectif est de mutualiser les offres et les demandes de chacun. Le groupe compte 178 000 membres. Les villes les plus représentées sont Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille, Londres et New-York et la moyenne d'âge se situe entre 25 et 30 ans.

103 Ce compte a été consulté le 21 janvier 2016.

104 Source : « Interview de Xavier Albert, Netflix France », E-marketing, [disponible en ligne : www.e-marketing.fr - "[Interview] Xavier Albert, Netflix France : "Notre mot d'ordre : sortir des sentiers battus""], publié le 30 juin 2015, consulté le 02 mars 2016.

105 DONNAT, Olivier, Enquête sur les pratiques culturelles des Français, 2008 : http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/doc/08synthese.pdf

43

1988-1989 pour assister à une relance de la fiction d'abord sous l'impulsion de TF1, très vite suivie par Antenne 2 »106.

La production de séries télévisées françaises a toujours été faible en comparaison à la production américaine et la France n'a jamais hésité à faire appel aux achats à l'étranger pour combler ce déficit. Très diversifiée et disponible à faible coût, la production américaine devient très vite l'achat privilégié des chaînes généralistes françaises qui trouvent en ces fictions un moyen de résister à des chaînes financées comme Canal + par exemple107. Même aujourd'hui, il est facile de remarquer la nette préférence des chaînes généralistes françaises (TF1, M6, France 2, etc.) pour les « séries itératives » qui proposent des épisodes indépendants et permettent un visionnage dans le désordre à travers de courts récits ayant un début et une fin. La raison est que ce type de série s'insère facilement dans leur grille de programmation et leur permet quelques libertés qui sont loin d'être au goût des sériephiles.

Que ce soit directement sur le site des chaînes ou sur les forums de discussions, les téléspectateurs se plaignent souvent de la diffusion des épisodes d'une série dans le désordre. C'est le cas par exemple de ce commentaire publié sur le site de la chaîne TF1, mytf1.fr :

« Pourquoi diffusez-vous les épisodes des séries comme "The Mentalist" ou "Esprits criminels" dans le désordre ? Nous, téléspectateurs, sommes confus ! »108

Pour justifier ce traitement, TF1 invoque l'indépendance narrative des épisodes de séries telles que The Mentalist ou Esprits Criminels et se retranche derrière son obligation vis à vis du CSA. En effet, la loi oblige à limiter les épisodes interdits aux moins de 12 ans avant 22h. C'est ainsi que lors des soirées de diffusion en bloc, initiée par la fameuse « Trilogie du samedi soir » en 1997 qui a fait ses preuves

106 CHANIAC, Régine, Europe : vers la convergence ?, dans Médiamorphoses, INA, Bry-sur-Marne, 2007, [Disponible en ligne : http://documents.irevues.inist.fr/handle/2042/23573, publié le 23 mars 2009, p. 3.

107 Ibid. p 4.

108 Source : « Réponses à vos questions : Pourquoi diffusez-vous les épisodes des séries comme "The Mentalist" ou "Esprits criminels" dans le désordre ? Nous, téléspectateurs, sommes confus », TF1 et vous, [disponible en ligne : http://www.tf1.fr/tf1-et-vous/reponse-a-vos-questions/diffusion-des-series-pourquoi-diffusez-vous-les-episodes-des-5710275.html], publié le 14 octobre 2010, consulté le 30 mars 2016.

44

d'audience, deux épisodes de Les Experts par exemple, pourront se succéder dans la diffusion, même s'ils ne se suivent pas.

En plus du non respect de la chronologie des épisodes, les chaînes généralistes françaises109 sont adeptes de la censure des scènes violentes ou dérangeantes et de la diffusion en bloc qui accapare le téléspectateur, désirant suivre sa série, jusqu'à des heures tardives.

Nous pensons également que le doublage des épisodes en langue française, tant bien même il drainerait une audience plus importante que la diffusion en version sous-titrée110, présente de nombreux mauvais côtés pour les sériephiles : notamment sa qualité souvent médiocre et des dialogues qui ne correspondent pas exactement à la version originale. Par ailleurs, les fans véritables, qui vont chercher leurs séries préférées sur le web, se sont vite habitués à visionner en version originale sous-titrée. Car le visionner en version française implique une attente de six mois, voire un an, d'où la prolifération des communautés de fansubbing qui raccourcissent, à leur manière, cette attente.

3.3. Les raisons potentielles d'une migration des publics sériephiles vers le web

Notre questionnaire fait apparaître en effet que les interrogés ont eu nette préférence pour les séries américaines qu'ils privilégient en raison de leur qualité (au niveau de la narration et de la production111) et de leur abondance en comparaison aux autres productions.

D'autres part, l'enquête menée par Olivier Donnat fait apparaître que les Français ayant le plus rapidement adopté l'utilisation d'Internet à des fins personnelles ont moins de 45 ans avec une propension plus importante de jeunes issus de milieux

109 Nous nous mettons pas la chaîne Canal + dans cette catégorie en raison de sa nature de chaîne à péage. En effet pour justifier de l'abonnement de ses téléspectateurs, la chaîne s'évertue à proposer un catalogue attractif en diffusant des séries de qualité et en se mettant à la création originale dès les années 2000, avec des séries à gros budgets comme Braquo et Engrenages.

110 «Le doublage est une évidence si on veut que les programmes soient vus par le plus grand nombre. Une étude a démontré en 2007 que la diffusion d'un programme en version sous-titrées pouvait entrainer une chute d'audience d'environ 30%*. Ça veut dire que près d'un tiers des téléspectateurs ne peuvent pas comprendre un programme en VO.» Christel Salgues, responsable du doublage aux acquisitions de TF1. Source « Pourquoi la France double-t-elle tout le monde ? » Slate, [disponible en ligne : http://www.slate.fr/story/18195/pourquoi-la-france-double-t-elle-tout-le-monde], publié le 04 mars 2010, consulté le 20 mars 2016.

111 « Si vous préférez les séries américaines, quelles en sont les raisons ? » - Questionnaire et réponses en annexes.

,5%)113.

45

favorisés112. En effet, les jeunes de moins de 30 surtout, les digital natives, sont davantage imprégnés par la culture numérique et ont développé ce que l'on appelle une culture de l'écran. Cette génération a naturellement développé des capacités à comprendre et à interagir avec les outils TIC, mais aussi une capacité à gérer les flux d'informations, d'images et de vidéos auxquels elle est exposée. Sa capacité d'adaptation supérieure aux générations précédentes pourrait expliquer l'expertise des sériephiles sur Internet et leurs aptitudes à facilement appréhender les tactiques de visionnage sur le web, en se réappropriant les tactiques de braconnage sans cesse renouvelées. D'ailleurs 87,5 % de nos répondant ont moins de 30 ans et affirment regarder le plus souvent en streaming (71,4%) ou après avoir téléchargé illégalement les contenus souhaités (52

En analysant le traitement que les chaînes généralistes réservent aux séries télévisées et à travers l'étude de certaines réponses des interrogés, nous pensons que les sériephiles ont davantage tendance à se tourner vers les sites de streaming ou de téléchargement illégal parce qu'ils présentent une solution plus performante qui respecte leur passion. C'est à dire :

- La politique éditoriale des chaînes révèle un certain irrespect des oeuvres sérielles, notamment concernant la chronologie des épisodes

- Le désir de se détacher de l'agenda télévisuel, parfois contraignant et d'aménager ses propres rendez-vous et de visionner selon ses envies

- Le temps relativement long entre la diffusion US et celle sur la télévision française, dû aux contraintes d'achats des droits de diffusion

- La nécessité d'attendre longtemps un doublage des épisodes, souvent médiocre

4. La démocratisation du binge-viewing et du spoiling

Si l'émergence des tactiques de visionnage sur le web a permis aux sériephiles d'optimiser leur consommation des séries télévisées de bien des manières, visionner sur Internet a également démocratiser certains pratiques et en a amené d'autres sur le terrain des séries télévisées. Nous nous sommes intéressés à deux pratiques en

112 DONNAT, Olivier, Enquête sur les pratiques culturelles des Français, 2008 : http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/doc/08synthese.pdf

113 « Où regardez-vous vos séries télévisées préférées ? » A la télévision ; Je suis abonné Canal Play ; Je suis abonné Netflix ; Je regarde en streaming ; Je télécharge illégalement ; autre -- Questionnaire et réponses en annexes.

46

particulier en supposant que ces dernières ont eu pour vecteur principal Internet. Elles nous semblent intéressantes à étudier en raison de la popularité dont elles font l'objet de nos jours, particulièrement depuis l'utilisation généralisée des réseaux sociaux et l'arrivée de Netflix dans le paysage médiatique.

4.1. Le binge-viewing ou binge-watching

« On peut constater que l'éditorialisation croissante des séries en DVD et Blu-ray ainsi que l'essor du téléchargement et du streaming (légaux et surtout illicites) permettent en effet de visionner rapidement des téléfictions sur quelques semaines sinon quelques jours, transformant l'horizon temporel de réception étendu de la programmation télévisée »114.

Dans son travail sur les séries télévisées (le même que nous avons mobilisé dans le premier chapitre de ce travail), Clément Combes soutient que le visionnage se distingue entre deux modes spectatoriels ; le premier est caractérisé par le principe du rendez-vous, fixé par le diffuseur, le second, quant à lui, s'appuie sur des dispositifs de délinéarisation, donnant lieu à des consommations « plus ramassées » dans le temps. Cette délinéarisation a commencé à être observable dès l'apparition du magnétoscope, puis des DVD et s'est amplifiée avec l'apparition de formes immatérielles de visionnage de contenus (téléchargement, streaming, VOD, S-VOD). Cette consommation plus ramassée peut être également favorisée par la nature insoutenable de certains cliffhangers et l'addiction que peuvent développer les sériephiles pour leurs fictions préférées. Dans ce sens, 53,5 % des interviewés affirment qu'ils peuvent enchainer plusieurs épisodes si la série capte leur attention et 99% d'entre disent avoir déjà regardé plus de 3 épisodes à la suite115.

Ce mode diffusion en « ramassé » que l'on appelle plus communément binge-watching116 a surtout était popularisé en raison de la mise en disposition de saisons entières sur les plateformes de téléchargement illégal et de streaming.

Il est également important de noter que 78% de nos répondants affirment regarder le plus souvent seul117. En effet, cette consommation démesurée ne peut qu'être

114 COMBES Clément. La pratique des séries télévisées : une sociologie de l'activité spectatorielle. [Disponible en ligne : https://halshs.archives-ouvertes.fr/pastel-00873713/document] Thèse de doctorat. Economies and finances. Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris, 2013, p.169.

115 Questionnaire et réponses en annexes.

116 L'expression binge-watching ou binge-viewing qui a été déjà utilisée vers la fin des années 1990 pour décrire les réunions de fans pour regarder plusieurs épisodes à la suite d'une même série sur DVD.

117 Questionnaire et réponses en annexes.

47

solitaire, sachant qu'il serait difficile pour un fan d'accorder son agenda avec celui de son entourage, quand bien même ces personnes soient aussi fans que lui.

Cette pratique, qui avait encore il y a quelques années des connotations négatives est aujourd'hui de moins en perçue comme le propre d'une niche d'individus paresseux ou dépressifs et est même au coeur de la stratégie de Netflix (comme nous le détaillerons par la suite) dont la politique est de mettre en ligne une saison entière d'un coup.

4.2. Le spoiling

« Le mot « spoiling » remonte loin - aussi loin, du moins, qu'on puisse remonter - dans l'histoire de l'Internet. Il est né des écarts de temporalité et de spatialité entre les anciens et les nouveaux médias. Au début, on a commencé à diffuser des émissions sur la côte est des États-Unis trois heures avant qu'elles ne le soient sur la côte ouest. Puis des émissions sous licence ont été diffusées différents soirs de la semaine sur différents marchés. Enfin, on a diffusé les feuilletons aux États-Unis six mois avant de le faire à l'étranger. Tant que les spectateurs de ces différents espaces géographiques ne communiquaient pas, chacun vivait une expérience inédite. Mais, à partir du moment où les fans se sont réunis en ligne, ces écarts de temporalité ont commencé à peser lourd. Une personne vivant sur la côte est pouvait mettre en ligne tout ce qu'elle savait de tel ou tel épisode d'un feuilleton, tandis qu'on s'irritait, en Californie, de voir ainsi « gâchée » sa série favorite. Alors les spoilers ont mis le mot « spoiler » dans l'objet même de leur message, permettant à chacun de décider ou non de le lire.118 »

Comme l'explicite parfaitement Henry Jenkins, l'avènement de la sériephilie en ligne a rendu visible les écarts de temporalité entre les différents spectateurs. Et la possibilité de visionner en ligne sur le réseau alternatif a exacerbé ces écarts, même dans le cas d'individus du même pays ou sur un même fuseau horaire. Plusieurs profils apparaissent : ceux qui téléchargement dès le lendemain de la diffusion américaine, ceux qui sont abonnés à un service S-VOD qui permet un visionnage US+24, ceux qui attendent patiemment la fin d'une saison pour binge-watcher, et

ceux qui se calquent sur la diffusion française.
La liberté d'aménager ses propres rendez-vous est confrontée à l'anxiété de se voir « gâcher » le plaisir du visionner sa série préférée par d'autres fans qui tiennent un rythme plus soutenu.

118 JENKINS Henry, La culture de la convergence : des médias au transmédia, Paris Editiion Armand Colin, 2013, p. 50.

48

Plus personne ne visionne au même rythme et le spoil est devenu une partie intégrante de la vie des fans qui ont développé des tactiques sur le web éviter la frustration, voire la colère qu'il engendre : plusieurs applications ont, dans ce sens, vu le jour (Spoiler Shield, Silencer, l'Exil, etc.). Et de plus en plus de médias en ligne et même les chaînes (via les comptes et les pages de leurs séries télévisées sur les réseaux sociaux) adoptent la mention « spoiler alert » en début de titre des articles qui peuvent contenir des spoilers. En ce qui concerne Netflix, nous avons relevé une position intéressante par rapport au spoil. A travers ses campagnes de communication et de publicité, Netflix montre qu'il a intégré le caractère inévitable de ce dernier dans la vie des fans surtout que sa politique de diffusion, « le tout d'un coup » le nourrit encore davantage. Au lieu de s'en inquiéter, le diffuseur prend le spoil de contre-pied faisant le choix de le dédramatiser et de rendre la pratique ludique.

Le site « spoilers.netflix.com » :

En septembre 2014, Netflix lance Spoil Yourself, un site qui réunit des scènes de fin de saisons, de fin de séries et même des scènes cultes de films. En entrant sur ce site, le fan entre dans une zone dangereuse. D'ailleurs, le design du site parle de lui-même et si l'internaute ne trouve pas cela suffisant, la tonalité dramatique du texte en ajoute une couche : « What you are about to see cannot be unseen119 ». Le site propose, entre autre, de se faire spoiler en visionnant des séquences

« dangereuses » ou de faire le test « quel spoiler es-tu ? ».
Tout fan devrait trouver la démarche détestable mais ce coup de publicité pour le moins surprenant génère de la conversation sur le web, entre fans mais aussi dans

119 « Ce que vous êtes le point de voir, ne peut être oublié. »

49

la presse : The Guardian, Le New York Time, Le Telegraph, The Verge120... pour ne citer que les médias anglophones.

La campagne de communication « The Rat »:

Le credo de tout sériephile qui se respecte peut être formulé de la manière suivante : « tu ne spoileras point ». Et si la peur de la majorité des fans est de se faire spoiler (43,5% de nos répondants sont énervés par cette pratique), subsiste un nombre non négligeable de fans qui trouvent l'exercice de cette activité amusant ou du moins qui avouent que le spoil éveille leur curiosité (20%)121. A travers une vidéo interactive122, Netflix surfe encore une fois sur le phénomène en le détournant avec humour. Le message de la vidéo est adressé aux spoilers, individus de la pire espèce ; des rats. La séquence met en scène le personnage de Bobby. Ce dernier est ligoté et couvert de miel et est sur le point d'être donné en pâture aux rats par son bourreau. Le crime de Bobby : avoir spoilé la mauvaise personne. A la fin de la séquence, l'internaute se voit donner le choix d'épargner Bobby ou de le jeter aux rats.

A travers ces deux exemples, nous nous avons voulu montrer la compréhension de Netflix des publics sériephiles et de certaines de leurs pratiques. Nous reviendrons sur cette connaissance de la cible, de façon à montrer comment cet acteur mobilise ce savoir et s'inspire des modes de consommation pour mettre en place des stratégies pertinentes.

120 Mentions parues dans les médias cités :

http://www.nytimes.com/2014/09/22/business/media/those-dreaded-spoilers-that-can-torpedo-dramatic-plot-take-on-a-new-meaning.html?_r=2 http://www.theverge.com/2014/9/22/6826631/netflix-has-a-spoiler-widget-dare-yourself http://www.theguardian.com/film/filmblog/2014/sep/23/netflix-effect-spoilers-show-film-timeshifted-viewing http://www.telegraph.co.uk/culture/tvandradio/11115366/Netflix-launches-new-site-specifically-for-spoiling-shows.html

121 Le pourcentage restant est indifférent à la pratique ou ne sait pas en quoi elle consiste - Questionnaire et réponses en annexes.

122 Pour visionner la vidéo de la campagne : « Campagne de communication The Rat », Compte Youtube Netflix US & Canada, [disponible en ligne :

https://www.youtube.com/watch?v=N8t6L lje E&feature= youtu.be], publié le 10 novembre 2015, consulté le 20 novembre 2015.

50

Conclusion de la première partie

Nous avons consacré cette première partie à étudier, en premier lieu, le contexte d'apparition des séries télévisées et donc les rouages de la filière audiovisuelle américaine pour comprendre la légitimité que ce genre a acquis à travers les années et les mutations qui l'ont caractérisé tout au long son évolution.

En second lieu, nous nous sommes intéressé aux pratiques de visionnage des publics sériephiles afin de comprendre les raisons de leur migration vers un réseau de distribution alternatif sur le web. Nous sommes arrivé à la conclusion que l'un des objectifs principaux de ces communautés, outre le prolongement de leur passion pour le genre, était d'accéder et d'offrir une solution plus performante que celle des chaînes généralistes françaises, à savoir :

- Une consommation personnalisée : leur permettant d'aménager leurs rendezvous et de choisir leur rythme de visionnage

- Mettre à disposition les épisodes au plus tard 48 heures après la diffusion originale, en version originale sous-titrée

- Mettre à disposition des interfaces conviviales et pratiques pour les internautes les moins aguerris

Aussi, visionner sur le web a fait sortir la série télévisée de son statut de « programme télévisé » que l'on regarde à des horaires imposés par la programmation, à celui de « contenu » que l'on consomme n'importe où, n'importe quand et sur plusieurs supports.

A ce stade du travail, nous sommes quasiment parvenu à déconstruire le « mythe de l'hybridation » en démontrant que les améliorations technologiques ont toujours transformé les modes de production, les contenus et les pratiques des spectateurs. Dans ce sens, une concentration de la concurrence associée à une évolution des techniques et des modes de consommation a pour conséquences d'accélérer les mouvements d'hybridation les rendant plus explicites et observables. Ce fut le cas dans les années 1980-1990, quand le développement de technologie du câble-satellite a permis à HBO de se démarquer grâce à une politique novatrice qui a contribué à installer une télévision qualité dont les « ingrédients » continuent à faire le succès des productions actuelles. Ceci confirme en partie notre première hypothèse. Afin, de l'examiner complètement et de voir si Netflix s'inscrit dans cette

51

même accélération, il nous faut, d'abord, d'étudier sa stratégie d'entreprise, ses innovations disruptives et le contexte qui leur a donné vie.

52

Deuxième partie

Mutation de la filière audiovisuelle et ancrage des pratiques de visionnage sur le web

53

Chapitre I

Dématérialisation des contenus et intérêt pour la VOD

1. La télévision, un écran connecté

« [...] L'apparition d'un Internet à très haut débit ne tuera la télévision, ni ne tuera le cinéma. Leur coexistence entraîne simplement l'apparition de pratiques hybrides.123»

On a souvent prédit que l'apparition d'un nouveau média présagerait la disparition de l'ancien. Que l'accroissement de la concurrence entre différents acteurs, entraînerait la disparition d'acteurs plus anciens. Ce type d'annonces, qu'Emmanuel Durand qualifie de « mythe de la disparition124 » ne s'est jamais avéré puisque la réalité est plus à la cohabitation qu'à la substitution.

Aujourd'hui, l'utilisation d'Internet menacerait la filière audiovisuelle, cependant, force est de constater que ces deux médias s'enrichissent et peuvent se compléter dès lors que les acteurs de la filière ont compris la nécessité de sortir de leur zone de confort pour explorer de nouvelles sources de développement et accompagner les changements en cours.

La consommation multi-écrans se généralise125 et influence les pratiques des publics qui partagent aujourd'hui leur attention entre différents écrans. Ainsi, des stratégies de contenus « second écran », comme la social TV qui enrichit l'expérience télévisuelle grâce à une dimension interactive (donner son avis sur la performance d'un candidat de The Voice sur les réseaux sociaux par exemple) ou la catch-up TV (qui permet à l'internaute de revoir un programme télé sur Internet peu de temps après sa diffusion), apparaissent pour favoriser les synergies entre les différents supports.

123 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po, Paris, 2014, p.25.

124 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po, Paris, 2014, p.20.

125 « Aujourd'hui, la plupart des Français se connectent via 2 (20,3 millions) ou 3 écrans (17,3 millions) ». Source : « L'année 2015 : le multi-écrans se généralise et influence les pratiques des internautes », Médiamétrie, [disponible en ligne : http://www.mediametrie.fr/internet/communiques/l-annee-internet-2015-le-multi-ecrans-se-generalise-et-influence-les-pratiques-des-internautes.php?id=1418], publié le 25 février 2016, consulté le 07 avril 2016.

54

Cet accès généralisé à l'information et à la culture par le biais de supports multiples et porté par Internet, détourne certains publics de la télévision de certains de ses programmes, comme nous l'avons vu à travers le cas des sériephiles par exemple. A partir de là, force est de constater que « les contenus vidéo deviennent amplement majoritaires dans le trafic Internet global : au États-Unis, à la mi 2014, les deux seules plateformes Netflix et Youtube représentaient plus de la moitié du trafic Internet. Plus révélatrice encore de l'ampleur et de la rapidité de cette explosion des écrans et des usages, la part de consommation de Youtube sur mobile qui est passée de 6% en 2011 à 40% dans le monde à peine deux ans plus tard 126».

En résumé, nous pouvons dire qu'un spectateur lambda n'est plus lié à la programmation des chaînes de télévision et que le développement de l'Internet haut-débit couplé à l'adoption croissante d' « écrans connectés » lui a permis d'accéder aux contenus vidéo de manière « délinéarisée », ôtant ainsi au média télévision son monopole de diffusion et faisant apparaître de nouvelles formes d'intermédiation.

Avant de nous intéresser plus en profondeur à ce que la délinéarisation des contenus entraîne comme mutations au sein de la filière audiovisuelle et au sein des industries de la culture de manière plus large, il nous paraît essentiel de revenir sur les notions d' « industries de la culture », d' « industries créatives » et de définir les modèles économiques qui ont caractérisé ces industries jusque là.

1.1. Notions et définitions

Depuis la fin des années 1990 et en partie en raison de l'évolution du contexte (avec le développement de la mondialisation, de la numérisation, des TIC et de la libéralisation) les notions et les appellations relatives aux industries de la culture, de l'information, de la communication et du spectacle se retrouvent régulièrement challengées. Nous avons remarqué que différentes appellations étaient mobilisées dans les textes et les ouvrages consultés, pour désigner l'ensemble des industries produisant des contenus culturels (livres et presse, musique enregistrée, audiovisuel et cinéma, etc.), parfois de manière indifférenciée. En effet, la frontière entre les

126 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po, Paris, 2014, p.23-24.

55

concepts d'industries de la culture (également appelées industries culturelles, industries informationnelles ou industries du contenu) et d'industries créatives demeure aujourd'hui incertaine. Selon l'UNESCO, il est aujourd'hui admis que la notion d'industries créatives peut remplacer celle d'industries de la culture étant donné que cette notion l'englobe et la dépasse en y ajoutant « toutes les activités de production culturelle ou artistique, qu'elles aient lieu en direct ou qu'elles soient produites à titre d'entité individuelle127 ».

En ce qui concerne la modélisation socio-économique de ces industries de la culture, Bernard Miège et Pierre Moeglin ont identifié cinq grands modèles qui structurent, de manière générique, les différentes filières : le modèle éditorial, de flot, du club privé, du compteur et du courtage informationnel. Le modèle de flot fait référence à des produits « caractérisés par la continuité et l'amplitude de leur diffusion ; ceci [impliquant] que chaque jour de nouveaux produits rendent obsolètes ceux de la veille » (Flichy, 1991, p. 38). Le modèle éditorial prend en compte les marchandises culturelles c'est-à-dire celles qui sont vendues sur un marché, comme les produits édités (livres) ou ceux du cinéma (films), etc. (Flichy, 1991, p. 37-38). Ces deux premiers modèles sont dominants dans les industries de la culture et sont considérés à ce titre comme étant génériques alors que persiste la question de conceptualiser les autres128. Néanmoins, la numérisation des contenus et l'évolution des pratiques a fait émerger les logiques de club privé, du compteur et du courtage informationnel plus de faire émerger des solutions inédites de valorisation des contenus culturels, que nous allons essayer de faire apparaître. Dans ce sens, il nous semble pertinent d'approfondir la question pour mieux appréhender les mutations en cours.

A noter que ce qui nous intéresse dans la mobilisation de ces modèles socio-économiques, c'est de montrer comment les mutations que connaissent ces industries affectent les pratiques des consommateurs et inversement : comment les pratiques des consommateurs participent à l'évolution de ces modèles socio-économiques. Dans ce sens, nous n'entreront pas dans le détail des logiques de

127 Source : « Les industries créatives », Wikipédia, [disponible en ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Industries_cr%C3%A9atives], consulté le 02 novembre 2015

128 PERTICOS, Lucien, Les industries culturelles en mutation : des modèles en question, Revue française des sciences de l'information et de la communication [Disponible en ligne : http://rfsic.revues.org/112], publié 05 septembre 2012, le p.29.

56

financement et de la valorisation marchande des contenus culturels et nous nous concentrerons davantage sur les pratiques des consommateurs.

2. Hybridation des modèles classiques : vers de nouvelles solutions de valorisation des contenus culturels ?

Internet se généralise en France à partir des années 2000. L'année 2002 connaît une explosion des nombres d'abonnés à l'ADSL et la progression continue129. C'est pendant cette période par exemple que l'on voit l'intérêt de conceptualiser la logique du compteur puisque certains opérateurs de télécommunication choisissent de facturer au temps passé ou aux données échangées sur Internet. Toutefois, la vraie révolution de l'année 2002 concerne le mariage d'Internet et de la télévision avec le lancement de l'offre tri-play de Free130.

Pour se démarquer de la forte concurrence qui régit le marché des fournisseurs d'accès Internet, Free (rapidement suivi par le reste des fournisseurs) choisit de diversifier ses services pour les rendre plus attrayants et lucratifs en proposant des offres comprenant l'accès à la télévision (TVIP131) en plus de l'accès à Internet et de la téléphonie fixe. Aujourd'hui, les acteurs de la télécommunication proposent des offrent quadri-play132 qui intègrent la téléphonie mobile également. Ce type d'offres est caractérisé par l'accès à un nombre impressionnant de chaînes internationales et thématiques, en plus des chaînes TNT classiques, et permet de regarder des programmes en replay, ainsi que la possibilité d'acquérir des contenus audiovisuels, en vidéo à la demande (VOD).

Pour le téléspectateur, cela change tout. Il ne voit plus son téléviseur s'allumer sur

129 Source : « Le dégroupage au coeur de la bataille de l'ADSL », Zdnet, [disponible en ligne : http://www.zdnet.fr/actualites/le-degroupage-au-coeur-de-la-bataille-de-l-adsl-en-2003-39134549.htm], publié le 24 décembre 2003, consulté le 09 avril 2016.

130 Source : « 1999-2009, dix ans du web français à la loupe », Journal du net, [disponible en ligne : http://www.journaldunet.com/ebusiness/le-net/dossier/1999-2009-dix-ans-de-web-francais-a-la-loupe/2002-free-prefigure-l-offre-triple-play-avec-sa-box.shtml], publié 23 décembre 2009, consulté le 09 avril 2016.

131 En bref, la télévision IP regroupe la télévision en direct, la vidéo à la demande (VOD), le jeu à la demande, les séances de rattrapage (catch-up TV). Source : « La télévision IP », Wikipédia, [disponible en ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/T%C3%A9l%C3%A9vision IP], consulté le 09 avril 2016.

132 L'offre quadri-play propose un quatrième service qui est la téléphonie mobile. En plus de la téléphonie fixe, de l'accès à Internet et de la TVIP.

57

un flux continu de programmes mais sur une interface. Une interface qui peut varier selon le fournisseur d'accès, en plus « d'être composée d'un ensemble d'éléments très hétérogènes, d'une prolifération d'application, de vidéos linéarisées ou non, de jeux, d'interactions... 133 ». Ainsi, l'écran de télévision devient espace pour consulter de multiples contenus et services qui sont proposées de manière sensiblement égale par la concurrence. D'où l'intérêt pour les différents acteurs de proposer la meilleure ergonomie.

Si la télévision connectée modifie la perception des spectateurs, elle modifie également l'expérience spectatorielle, ce qui témoigne d'une hybridation des modèles de flot et éditorial. En effet, nous avons, d'un côté un téléspectateur qui allume sa télévision sur des contenus diffusés en continu, selon une grille de programmation, sans qu'il ne puisse choisir son moment de visionnage, ni conserver une copie du contenu visionné. De l'autre côté, le téléspectateur se voit donner la possibilité d'acheter des contenus audiovisuels, en vidéo à la demande, tout en en conservant une copie (immatérielle dans ce cas-là).

En janvier 2014, 87 éditeurs de services de VOD sont recensés en France134. Bien que le marché soit aujourd'hui en légère stagnation, le nombre de plateformes continue à se développer et l'offre de contenus à s'enrichir135. Ces éditeurs ont, très vite, opté pour une autre forme de VOD, la S-VOD (subscription Video On Demand) qui s'insère, de part son mode de rémunération, dans la logique du club privé136. Cette transition de la VOD à la S-VOD s'est effectuée naturellement chez la plupart des éditeurs puisque le paiement d'un abonnement fixe semble davantage intéresser le consommateur, car il permet de mieux contrôler les dépenses.

En réponse à la multiplication des éditeurs de services de VOD, les chaînes se sont

133 Les études du CNC, « Les nouveaux usages de la télévision connectée, » décembre 2012.

134 CNC, « Le marché de la vidéo », dossier #329, Mars 2014.

135 Aujourd'hui, en plus des télécoms, un nombre croissant d'acteurs d'origine diverse s'intéresse au marché de la vidéo à la demande (en abonnement ou à l'achat). Nous pouvons citer l'exemple de : Apple, Google, Youtube, Amazon, Carrefour... et la liste est longue.

136 Ce modèle est caractéristique de la télévision à péage où le téléspectateur se voit donner l'accès à toute une gamme de programmes, et ce, moyennant un paiement forfaitaire et régulier. Dans le cas de la S-VOD, le téléspectateur accède de manière illimitée à un catalogue de contenus régulièrement renouvelés, et ce, moyennant un abonnement, souvent mensuel.

58

réorganisées. Que ce soit aux Etats-Unis ou en France, les chaînes de télévision ont réagi en adoptant des stratégies davantage tournées vers Internet. C'est le cas aux Etats-Unis avec le lancement du site Hulu.com, produit de la collaboration de la Network NBC, Disney Cie (propriétaire d'ABC) et News Corporation (propriétaire de la FOX). Ce site, financé par la publicité, permet de visionner des contenus issus des grilles de programmation de ces chaînes (séries télévisés, documentaires, émissions, etc.). En France, TF1, M6, Canal+ et France télévision se sont toutes lancées dans la construction de services de VOD/SVOD et de catch-up TV.

Les chaînes de télévision françaises ont également intégré la nécessité de s'adapter aux exigences des amateurs de séries télévisées dans une tentative de contrer le « piratage », en mettant à leur disposition les conditions de visionnage qu'ils recherchent. Parmi les mesures prises : la limitation des délais entre la diffusion originale et la diffusion françaises (certaines chaînes ont mis en place des services qui permettent un visionnage après 24 heure, souvent en version originale.

Le résultat de cette multiplication démesurée d'acteurs et d'offres donne aux spectateurs une grande liberté de choix. Une abondance qui peut paralyser un consommateur qui n'a pas une idée bien définie de ce qu'il aime ou de ce qu'il souhaite visionner.

3. « Hyperchoix » et nouvelles formes d'intermédiation

« L'hyperchoix apparaît comme un choix tel que le consommateur ne peut plus arriver à choisir le produit qui lui convient. On pourrait définir l'hyperchoix comme une situation dans laquelle l'avantage d'un choix plus large ne compense pas la difficulté voire l'impossibilité à choisir - et à trouver les moyens de choisir137. »

A l'heure de l'accès généralisé à l'information et à la culture, les produits culturels sont un excellent exemple d'hyperchoix. Le développement de sites marchands, des blogs et des réseaux sociaux ainsi que l'échange continuel d'information qu'ils permettent, mettent le consommateur, non seulement, devant une profusion de produits culturels, mais devant une profusion d'informations qui peut aussi le rediriger vers un nombre infini d'autres informations et d'autres offres.

137 LARCENEUX Fabrice, Tests statistiques sur l'hyperchoix et les stratégies du consommateur, Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie, Cahier de recherche n°226, 2006, p.6.

59

Cette inflation de la production culturelle couplée à la multiplication des médiations incitant à l'achat rend difficile pour un individu, n'ayant une idée précise de ce qu'il souhaite (quel morceau de musique écouter ? quel contenu vidéo visionner/acheter ? quel prochain livre acheter ? etc.) de « choisir » dans une telle abondance culturelle. Dans ce sens, certains acteurs ont vu en la position d'intermédiaire - mettre en relation les publics avec les objets culturels qui les intéressent - une nouvelle manière de valoriser les produits culturels et de capter une partie de la valeur économique liée à ces objets.

Si ces acteurs s'appuient en grande partie sur le cinquième modèle définit par Pierre Moeglin, qui est celui du courtage informationnel138, ils apportent néanmoins des solutions inédites, en mettant le consommateur au centre de la création de valeur, notamment avec l'exploitation des big data.

« L'utopie d'une culture non plus imposée par les principaux canaux de sa diffusion mais personnalisée, au plus près des goûts, des besoins et de désirs.139 »

Centrale à l'ère du web 2.0, cette manière de créer de valeur s'appuie sur le fait que la foule « n'est ni purement consommatrice, ni purement productrice, mais bel et bien hybride140 » comme le démontre, par exemple, l'explosion des sites et des médias collaboratifs. Dans le cas des industries de la culture, la notion de recommandation a pris une place centrale chez ces nouveaux acteurs qui ne se contentent plus de trier et de classer les objets culturels sur leurs plateformes respectives, mais qui, à l'aide d'algorithmes puissants, constamment améliorés, ont trouvé le moyen d'exploiter les innombrables traces laissées par chaque individu sur la toile pour générer des sélections « pertinentes » et accompagner ainsi le consommateur pas à pas, au plus près de ses goûts et des attentes. Ces nouveaux champions des industries de la culture sont connus sous l'abréviation ASNS (Amazon, Spotify, Netlfix et Steam) et

138 Le modèle de courtage informationnel peut se résumer comme suit : « Le service rendu au consommateur correspond dès lors à un tri opéré au sein d'une profusion de contenus culturels numérisés, le but étant qu'il soit mis en relation avec ceux qui seront au plus proches de ces attentes et de ses goûts ». Source : PERTICOS, Lucien, Les industries culturelles en mutation : des modèles en question, Revue française des sciences de l'information et de la communication [en ligne], p.29, URL : http://rfsic.revues.org/112

139 GAYRAUD Agnès et HEUGUET Guillaume, De l'industrie musicale à la rhétorique du « service ». Youtube : une description critique, Communication & langages, 184, 2015, p. 101-119.

140 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po, Paris, 2014, p.42.

60

ont su imposer leur suprématie dans leur filière respective : La librairie en ligne pour Amazon, la musique pour Spotify, la vidéo pour Netflix et les jeux vidéo pour Steam.

Ce bref chapitre nous a permis de mettre en évidence les mutations qui affectent les industries de la culture. Nous avons vu comment la télévision s'insère progressivement dans un modèle éditorial, comment la S-VOD emprunte la logique du club privé et enfin comment les entreprises technologiques issues du web ont trouvé dans la logique du courtage informationnel, un moyen de capter une partie de la valeur des objets culturels en exploitant les données des consommateurs, laissées volontairement ou involontairement sur la toile. A l'heure où l'hyperchoix devient la norme, la mise en place d'un modèle qui s'apparente à celui du courtage informationnel, associée à une analyse poussée des données des publics au moyen d'algorithmes puissants a permis aux ASNS de se démarquer en proposant aux publics des contenus au plus près de leurs goûts et attentes. Ces quatre entreprises sont les symboles des mutations que vivent actuellement les industries de la culture.

Chapitre II

Netflix, une stratégie portée par la disruption

1. Historique du créateur-diffuseur

« Tout a commencé avec une cassette vidéo du film Apollo 13 que j'avais oubliée de rendre. Je devais payer une pénalité de retard de 40 dollars. C'est à ce moment là que j'ai commencé à réfléchir à un service de location par courrier ». Reed Hashtings, co-fondateur de Netflix

La légende voudrait que Reed Hashtings, co-fondateur de Netflix ait décidé de se lancer dans l'aventure Netflix suite à cette petite anecdote. Nous sommes en 1997 et Netflix n'a encore rien du créateur-diffuseur que nous connaissons aujourd'hui. Cette nouvelle entreprise californienne tente de se positionner sur le marché de la location vidéo. Un marché dominé par le géant Blockbuster qui possède plus de 6000 magasins sur le territoire Nord Américain et une part de marché de plus de 65% des locations.

61

Pour se créer une place sur ce marché concentré, l'entreprise profite du développement des DVD pour mettre en place un service de location où les contenus sont envoyés par la poste. De cette manière, Netflix évite à ses clients le déplacement physique, en leur permettant de passer leur commande en ligne.

Figure 3 : L'enveloppe dans laquelle Netflix envoyait les DVD loués

Malgré des déficits importants et un succès qui ne vient pas instantanément, la détermination de Reed Hashtings fait entrer Netflix en bourse en 2001. En 2007, la démocratisation du streaming pousse l'entreprise à développer une plateforme de S-VOD et à investir dans l'acquisition de contenus audiovisuels pour assurer un flux ininterrompu sur sa plateforme. Netlfix réussira d'abord à convaincre Starz (une chaîne du câble) de lui confier son catalogue, puis, prenant conscience de la valeur ajoutée du service Netflix qui leur permet de recycler leurs anciennes productions, d'autres chaînes viennent s'ajouter rapidement à la liste des partenaires.

Mais Reed Hashtings pense déjà à produire ses propres contenus pour ne plus dépendre des chaînes et des studios de cinéma. En 2011, Netflix produit sa première série House of Cards. En effet, pour une entreprise dont le modèle économique est basé sur l'abonnement de ses clients, le format série télévisée est pertinent pour la régularité et la stabilité qu'il apporte à la plateforme et pour sa capacité à fidéliser les abonnés.

Encouragé par le succès de House of Cards (la série remporte trois Emmy Awards en 2013), Netflix réitère l'expérience et fait de la production de contenus une activité principale. En septembre 2014, Netflix arrive en France avec 50 millions d'abonnés. Aujourd'hui, Le service est disponible aujourd'hui dans190 pays141.

141 Source : « Netflix si now available around the world », Netflix, [disponible en ligne : https://media.netflix.com/fr/press-releases/netflix-is-now-available-around-the-world], publié le 06 janvier 2016, consulté le 08 janvier 2016.

62

2. Dynamisation du marché de la VOD

La réussite de la stratégie d'entreprise de Netflix et de son modèle économique et l'attractivité croissante du secteur de la VOD, a poussé les acteurs de la filière en France et à l'international à mettre en place des solutions plus ou moins similaires pour contrer la rapide progression de cet acteur.

Nous allons consacré la partie qui suit à recenser les principaux concurrents afin de mettre en évidence le dynamisme croissant du secteur qui attire aujourd'hui de nouvelles entreprises et des acteurs plus anciens, mais étrangers jusqu'ici à l'activité. Cette partie nous permettra également de montrer la démocratisation du statut diffuseur-créateur. L'intégration des compétences de la part d'acteurs du web fait émerger de nouvelles manières de faire et de produire les contenus audiovisuels. Ce qui n'est pas sans affecter la filière audiovisuelle et cinématographique, au point de nécessiter une requalification des enjeux. Ces questions seront aborder dans la troisième partie de ce travail.

2.1. Les acteurs de la filière audiovisuelle en France :

- Canal+ : Pressentant l'arrivée de Netlfix, Canal + renforce son service de S-VOD CanalPlay en personnalisant l'interface de sa plateforme et en ajoutant de multiples fonctionnalités, notamment la possibilité de télécharger le contenu sur un terminal pour visionner hors connexion (fonctionnalité absente chez Netlfix). Canal + a également augmenté sa production de contenus originaux.

63

- Carrefour : Après un lancement raté en 2008, Carrefour réitère l'opération en 2015, espérant compenser le manque à gagner sur le marché en déclin du DVD par le lancement d'une offre VOD. Sa plateforme NoLim Films propose 3000 films et séries et se limite à de l'achat à l'acte.

2.2. Les acteurs à l'international

- Rakuten : Géant du commerce en ligne nippon, Rakuten s'est également lancé dans la vidéo dématérialisée en rachetant en 2012 le site espagnol Wuaki.tv. Depuis, le service est passé à 2 millions d'utilisateurs à l'international (Espagne, Royaume-Uni, Allemagne, Italie et France depuis 2014). A part en Espagne, où il propose un service de S-VOD, le nippon mise uniquement sur de l'achat à l'acte dans les autres pays.

64

- Amazon : Autre grand titan technologique, Amazon s'est très tôt intéressé à la vidéo dématérialisée. Pressentant le potentiel du secteur dès les débuts balbutiants de Netflix, il lance en 2006 Amazon Video qui propose à la location ou à l'achat plus 900.000 films et programmes TV. En 2011 et pour contrer l'ascension de Netflix, Amazon propose gratuitement à ses 10 millions d'abonnés Amazon Prime142 l'accès à la plateforme S-VOD Instant Prime Videos (catalogue initial : 5000 contenus). Amazon se positionne également en tant que producteur de contenus (Amazon Sutdio) avec le lancement de sa première série télévisée originale Alpha House en 2013. Une autre série télévisée diffusée sur Amazon Vidéo Mozart in the jungle remporte un Golden Globe en 2014, dans la catégorie meilleure série dans la catégorie comédie/comédie musicale.

- Hulu : Comme nous l'avons évoqué plus haut, Hulu.com est né de la collaboration des chaînes américaines NBC, ABC (Disney Cie) et la FOX

142 Service de livraison gratuite d'Amazon.

65

(News Corporation) pour contrer l'éclatement de leur audience suite à la multiplication des supports et des moyens d'accès aux contenus audiovisuels. En plus de son service de visionnage gratuit financé par la publicité, Hulu lance en 2015 un service de S-VOD payant permettant d'accéder à de nombreux contenus (films et séries TV) sans publicité.

- Google : En 2015, Google mettait en ligne Youtube Red aux Etats-Unis. Ce service permet de visionner les contenus de Youtube sans publicité et en mode hors-ligne, moyennant un abonnement. En 2016, Google emboîte le pas à Netflix et à Amazon en se lançant également dans la production de contenus exclusifs pour le service Youtube Red. Les contenus attendus ont pour objectif de capitaliser sur les youtubeurs de la plateforme143. Ce qui laisse présager des contenus atypiques144.

143 Source : « Google mise sur les youtubeurs stars pour relancer Youtube red », radio-monaco,
[disponible en ligne : http://www.radio-monaco.com/news/culture/item/9571-google-mise-sur-des-
youtubeurs-stars-pour-relancer-youtube-red], publié le 08 février 2016, consulté le 30 mars 2016.

144 Parmi les contenus attendus : le documentaire A trip to Unicorn Island, le film Dance Camp et la série Scare Pew Die Pie qui mettent tous en scène des Youtubeurs célèbres.

66

- Apple : Proposant de la VOD depuis 2008 sur l'iTunes Store, la firme à la pomme a annoncé en février 2016 se lancer, elle aussi, dans la production originale avec une première série télévisée autour du rappeur Dr.Dre145

Le Netflix du monde arabe : ICFLIX

Surfant sur la nécessité de prendre en considération les spécificités culturelles et linguistiques propres à chaque territoire, la plateforme ICFLIX naît de la volonté de dominer le marché de la S-VOD en région MENA146. Avec une identité visuelle entre celles de Netflix et de Youtube et un modèle calqué comme deux gouttes d'eau sur celui de Netflix, l'ambition d'ICFLIX est de couper l'herbe sous le pied du géant américain en lançant une offre adaptée aux particularités des pays orientaux, friands de productions égyptiennes et de films bollywoodiens.

Implanté à Dubaï Media City, celui que l'on appelle le « Netflix du monde arabe » est présent depuis 2015 dans des pays comme le Maroc et la Tunisie, asseyant sa position à coups de partenariats avec les principaux opérateurs locaux de télécommunication. L'Emirati s'est également lancé dans la production de contenus avec le lancement de deux films égyptiens en 2014 : HIV et Al Makida147.

145 Source : « La première série originale est en production avec Dr Dre », Numerama [disponible en ligne : http://www.numerama.com/pop-culture/145797-la-premiere-serie-originale-est-en-production-avec-dr-dre.html], publié le 16 février 2016, consulté le 30 mars 2016.

146 Région MENA : Pays du Moyen Orient et de l'Afrique Nord.

147 Source : « ICFLIX », Wikipédia, [disponible en ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Icflix], consulté le 30 mars 2016.

67

HBO, le concurrent direct

Dans la première partie de ce mémoire, nous avions évoqué le rôle important joué par la chaîne du câble HBO, dès la fin des années 1980, dans l'émergence des séries télévisées haut de gamme. Si la chaîne a connu une période de déclin, elle demeure aujourd'hui un acteur majeur du divertissement, forte de ses stratégies avant-gardistes et de sa capacité d'ouverture aux variables du monde numérique.

En 2012 et face au nombre impressionnant de téléchargements que connait la série Game of Thrones (série télévisée la plus piratée du printemps 2012148), la chaîne plébiscite cet engouement au lieu d'incriminer les pirates. Pour ses dirigeants, le piratage de la série est comparable, en terme d'impact, au gain d'un Emmy Award car il contribue pleinement au succès et à la notoriété de la série, permettant le bouche-à-oreilles entre spectateurs et augmentant, ainsi, leur nombre. Cette posture surprenante montre que HBO intègre la réalité des technologies et des modes de consommations actuels bien que le piratage ne soit dans son intérêt 149 . Car criminaliser les désirs des spectateurs ou faire abstraction du piratage ne résout pas ces répercussions. Si ces méthodes existent c'est que les spectateurs se voient contraints d'y recourir faute d'offres légales adaptées. Un vide qu'il serait peut être temps de combler.

En Avril 2015, HBO dévoile clairement sa stratégie de ressembler davantage à Netflix en lançant son service de streaming HBO Now en partenariat avec Apple. Le service, disponible uniquement sur le marché américain et sur le système

148 Selon le site TorrentFreak qui recense régulièrement les séries les plus téléchargées via les clients BitTorrent, la saison 2 de Game of Thrones était la série la plus téléchargée du printemps 2012.

149 Source : « Time Warner's Bewkes: Piracy of HBO Game of Thrones Is Better Than an Emmy », Variety, [disponible en ligne : variety.com/2013/digital/news/time-warners-bewkes-piracy-of-hbo-game-of-thrones-is-better-than-an-emmy-1200575271], publié le 07 août 2013, consulté le 02 janvier 2016.

68

d'exploitation d'Apple iOs, permet aux utilisateurs d'accéder aux contenus cultes de la chaîne sans devoir passer par un abonnement au câble (plus de 100 dollars par mois). Avec ce nouveau service, la chaîne met un pied sur le territoire de Netflix et a pour objectifs à long terme : d'augmenter sa production originale de 50%, d'être accessible quelque soit le support et de s'étendre au delà des Etats-Unis. Une stratégie qui fait parfaitement écho à celle de Netflix.

3. Netflix, une conquête par la disruption ?

L `innovation de rupture ou de disruption est un concept introduit par Clayton Christensen dans l'ouvrage The Innovator's Dilemma paru en 1997. Par opposition à l'innovation d'amélioration, ce type d'innovation propose au consommateur un produit ou une technologie moins performants que ce qu'il peut trouver sur le marché. Cela est traduit par une baisse de la qualité de l'offre proposée150.

Lorsque qu'un produit ou une technologie arrive sur le marché, il doit comporter des performances suffisantes pour satisfaire les exigences minimales des consommateurs et ainsi devenir commercialisable, répondre à une demande. Au cours de son développement, ce produit ou cette technologie vont connaître des améliorations qui visent à augmenter cette performance, dans le but de satisfaire les attentes des consommateurs plus exigeants. Ce perfectionnement n'est pas toujours sans effet pervers car, parfois, il se trouve que le produit ou la technologie deviennent « trop » performants par rapport à l'usage du produit, créant ainsi un vide dans les secteurs d'entrée de gamme d'un marché. Les innovations de rupture sont, donc, celles qui parviennent à proposer un produit ou une technologie dans ces niches désertées, de manière à ce qu'ils soient :

Ø Plus simples

Ø Moins performants

Ø A moindre coût

Ø Plus proche des attentes d'un individu normal

Pour illustrer le type d'effets pervers de certaines innovations d'amélioration, nous pouvons mettre en avant l'échec de la technologie Blu-Ray. Les dirigeants des industries cinématographiques et électroniques avaient été unanimes quant à l'étape

150 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po, Paris, 2014, p. 62.

69

suivant le succès du DVD : l'avenir serait aux programmes en haute définition. Si cette vision, justifiait une nouvelle technologie qui allait impliquer un nouveau format de disque, un nouveau type de lecteur, un prix plus élevé, elle restait, néanmoins, inexacte car elle ne répondait pas aux véritables attentes des consommateurs. Pour Emmanuel Durand, « l'échec relatif du Blu-Ray à soutenir la croissance des ventes vidéo est ainsi dû à son incapacité à répondre à une simple demande nouvelle des consommateurs : loin de rechercher une amélioration supplémentaire de la qualité d'image, la majorité rêve simplement de consommer ses contenus sur tous ses écrans, à tout moment. Et c'est dans ces niches sans cesse renouvelées que de nouveaux entrants peuvent tenter leur chance151 ». A l'image de ces nouveaux entrants, Netflix.

3.1. Des contenus de moins bonne qualité

En lançant la première version de Netflix, Reed Hashtings misait sur deux prévisions : que le DVD remplacerait les cassettes VHS et que la distribution physique finirait par disparaître au profit du streaming. Dès 2007, Netflix se positionne sur une proposition différente de ce qui existait sur le marché : une offre légale de contenus vidéo en streaming mais d'une qualité d'image moins bonne que celle proposée par les grands networks et leurs bouquets de plus d'une centaine de chaînes. La rupture a été de miser sur de la S-VOD à moindre coût et sur un système de suggestion de contenus pour contrer des atouts tels que la surabondance de chaînes (et de programmes) et la qualité d'image.

3.2. Se détacher de la logique chronologique

A sa création, le loueur de DVD en ligne Netflix fait face aux même difficultés que connaissent les clubs de location vidéo traditionnels : l'indisponibilité des contenus célèbres, les films que tout le monde veut voir. Ce sont en effet les dernières sorties ou les films cultes qui sont le plus demandés et cela pose quelques problèmes au niveau de la rotation des stocks de DVD. Pour pallier à cette difficulté et pour

151 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po, Paris, 2014, p.63.

70

permettre la circulation des petits films d'auteurs, des vieux films inconnus du public, Netflix développe « Cinematch », son premier système algorithmique. Grâce à la base de données des clients, le système de recommandation propose des contenus en fonction de leur disponibilité et de l'historique des locations. En évaluant leurs goûts, « Cinematch » propose des les orienter vers des contenus, pas toujours récents, pas toujours connus, mais susceptible de leur plaire.

Ce qui n'était au début qu'une solution pour gérer la rotation des stocks est devenu une stratégie en phase avec le monde actuel et l'un des facteurs clés de succès de la firme : « dans le monde de l'hyperchoix, la pertinence de la recommandation a plus de poids que la fraîcheur des contenus proposés152 ».

Ce chapitre nous a permis de mettre en évidence la croissance d'un segment jusque là restreints aux seules plateformes d'éditeurs de VOD et au réseau illégal. En effet, la distribution directe de contenus audiovisuels par Internet a facilité l'installation de Netflix en France poussant ainsi différents acteurs à se réorganiser ou à se lancer dans l'activité. Nous pouvons résumer la stratégie d'entreprise de Netflix de la manière suivante :

- Produire et diffuser ses propres contenus - Se développer à l'international

- Etre accessible quelque soit le support

En étant au centre de la stratégie de cet acteur, l'accessibilité multi-support soulève la question du dispositif et de sa capacité à répondre et à s'adapter aux modes de consommation de la cible. Nous allons examiner comment le dispositif mis en place par Netflix s'adapte aux modes de consommation actuels dans le chapitre suivant.

152 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po, Paris, 2014, p.55.

71

Chapitre III

Pour un dispositif personnalisé et adapté aux modes de consommations actuels

1. Exploiter l'intelligence collective

Google, précurseur dans le domaine des big data, a bâtit une partie de son succès sur l'exploitation du « travail des internautes ». Avant que les créateurs de Google ne mettent en place un modèle d'indexation des pages web, fondé sur les liens emprunté par les internautes, les moteurs de recherche, celui de Yahoo! en particulier, s'appuyait sur une indexation manuelle. Ainsi, Google passa d'un modèle monolithique à un schéma hybride, se nourrissant de l' « enthousiasme » des foules au lieu d'utiliser uniquement les ressources de l'entreprise. « C'était là la garantie d'un résultat plu pertinent, car correspondant aux usages et aux besoins réels des consommateurs, et surtout bien plus facilement accessible, car gratuit et sans cesse enrichi de nouvelles données du seul fait de la navigation spontanée des internautes à travers le monde153 ».

Tout comme Google, Netflix a réussi à transformer l'intelligence collective en un service profitable. Si son algorithme de recommandation est assurément ce qui le démarque des autres plateformes de S-VOD, la firme sait également qu'une constante amélioration de son système de recommandation est primordiale. Entre 2006 et 2009, Netflix mobilise les foules en lançant un concours pour améliorer l'algorithme à travers le Prix Netflix et la somme d'un million de dollars qui ont été décernés à des individus ayant été en mesure d'apporter des améliorations à l'algorithme. Aujourd'hui, c'est une équipe de 800 personnes qui est chargée de son perfectionnement au sein de l'entreprise et, souvent, les améliorations mises en place sont basées sur des tests effectués sur les utilisateurs, eux-mêmes. Chaque jour, sont analysés 30 millions de visionnages, 4 millions de notations et 3 millions de

153 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po, Paris, 2014, p.42.

72

requêtes154). Une activité qui représente à elle seule 8% des investissements de Netflix.

2. Compréhension des publics et adaptation aux pratiques de visionnage

Comme nous l'avons mis en évidence dans la première partie de ce travail, les publics sont aujourd'hui plus que jamais, exigeants et libres. Et si mobiliser les foules et exploiter les données de ses 75 millions d'utilisateurs155 sont devenus des atouts déterminants pour Netflix, ce dernier a également compris l'importance de considérer sa cible, non pas comme une masse indifférenciée mais comme des millions d'individus qui réclament que leur singularité soit reconnue.

Xavier Albert, directeur Marketing de Netflix France désigne individus ciblés par Netflix de « Early US TV content Adopter 156» et de « Connected Enthusiast 157»158. En effet, ces caractéristiques ne sont pas sans rappeler celles des sériephiles qui, en recherchant des solutions de visionnage plus performantes sur le web, ont développé une familiarité avec les NTIC et notamment avec les plateformes de visionnage et les différentes formes qu'elles peuvent revêtir. Ils ont également une appétence pour les séries américaines et se sont habitués à visionner en version originale sous titrée pour se calquer sur la diffusion originale.

Nous avons également montré dans cette partie, à travers le cas de deux campagnes de communication de Netflix, comment ce dernier s'y prend pour dédramatiser la pratique du spoiling (que son mode de diffusion nourrit) et donc sa compréhension de ce type de pratiques, spécifique aux sériephiles.

154 Source : « Comme Netflix exploiter la puissance des algoritthmes », Usine Digitale, [disponible en ligne : http://www.usine-digitale.fr/article/5-comme-netflix-exploiter-la-puissance-des-algorithmes.N270377], publié le 25 juin 2014, consulté le 29 janvier 2016.

155 Source : « Netflix dépasse les 75 millions d'utilisateurs », Challenges, [disponible en ligne : http://www.challenges.fr/internet/20160120.CHA4095/netflix-depasse-les-75-millions-d-utilisateurs.html], publié le 19 novembre 2014, consulté le 29 janvier 2016.

156 Adopteurs précoces de contenus TV américain

157 Technophiles

158 Interview de Xavier Albert, source : www.e-marketing.fr - "[Interview] Xavier Albert, Netflix France : "Notre mot d'ordre : sortir des sentiers battus""

73

A ce stade du travail, nous voudrions mettre en évidence la pertinence de l'offre mise en place par Netflix, que nous pensons inspirée des modes de consommation et des pratiques de visionnage des sériephiles, coeur de cible de la firme.159. Pour ce faire, nous avons effectué une analyse sémiotique de la plateforme et nous nous sommes intéressée à son dispositif de personnalisation. Cinq entretiens d'auto-confrontation auprès d'abonnés Netflix ont également été menés.

3. Analyse sémiotique de la plateforme Netlfix.com

Avant d'aller plus loin, nous aimerions préciser que les cinq entretiens d'auto-confrontation menés s'inscrivent dans le cadre d'une enquête pilote et que nous sommes conscient de la non-pertinence empirique qu'ils constituent. Nous justifions leur exécution par le besoin de consolider notre analyse sémiotique. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons choisi d'interviewer des abonnés de Netflix qui sont également sériephiles, connaisseurs des plateformes de streaming et de téléchargement illégales qu'ils privilégiaient avant de souscrire au service160.

Précisons également que notre analyse s'effectue, en grande partie, sur ordinateur. Nous avons choisi de privilégier ce support au vu des pratiques de visionnage présupposées. Sur les 400 réponses récoltées et à la question « avez-vous déjà regardé vos séries TV sur les supports suivants ? », 287 des interrogés regardent sur ordinateur161. De plus, l'ensemble des abonnés Netflix que nous avons interviewé visionne principalement sur ce support, bien que certains privilégient le support TV, lorsque cela est possible, pour des raisons de qualité de l'image et de confort de visionnage.

159 « Ce sont majoritairement des jeunes urbains et connectés, très consommateurs de séries TV » Interview de Xavier Albert, source : www.e-marketing.fr - "[Interview] Xavier Albert, Netflix France : "Notre mot d'ordre : sortir des sentiers battus""

160 Les entretiens d'auto-confrontation retranscris en annexes ont également fait apparaître que tous les interviewés continuent de télécharger illégalement en raison de la pauvreté du catalogue français et que certains vont jusqu'à développer des tactiques de braconnage : utilisation de VPN, pour accéder aux catalogues américain et canadien plus riches en contenus récents.

161 Questionnaire et réponses en annexes.

74

3.1. Changement de perception chez le spectateur

« Je trouve le site très visuel. C'est minimaliste, tout en restant très visuel. Ils n'ont pas cherché à compliquer l'interface, mais juste de mettre en avant les films ». Hugo, 27 ans - Consultant.

« C'est organisé par thème, très facile à naviguer, tu trouves facilement ce que tu cherches et même si tu ne cherches pas quelque chose en particulier, on te propose des choses intéressantes ». Amine, 28 ans - Contrôleur de gestion.

La première chose qui ressort quand nous demandons aux interviewés d'accéder au service et de nous dire ce qu'ils en pensent spontanément, c'est leur analyse spontanée de la forme de la plateforme. En effet, pour des spectateurs habitués à la diversité des interfaces P2P et sites de streaming qui pullulent sur la toile, l'ergonomie et la praticité d'une plateforme est remise au centre de l'attention. Un changement de perception qu'il est intéressant de noter surtout que, comme nous l'avons démontré dans une partie précédente, certaines plateformes de téléchargement et de streaming requièrent une expertise et un nombre non négligeables d'actions, plus au moins, compliquées pour accéder au contenu souhaité.

En pointant du doigt le niveau symbolique et l'attractivité de la forme, les interviewés montrent leur intérêt pour une interface pratique et ergonomique, chose que le service a su intégré dans son dispositif. Notons que ce changement de perception chez les spectateurs est de plus en plus présent, puisque la généralisation de la télévision connectée active les enjeux de l'ergonomie. Aujourd'hui, la forme, les contenus et autres applications présents sur l'interface d'un téléviseur connecté sont soumis à une bataille concurrentiel entre différents acteurs : constructeurs, fournisseurs d'accès Internet, éditeurs de services, chaînes... qui rivalisent tous pour offrir le chemin d'accès le moins compliqué au spectateur. Ainsi, plusieurs fournisseurs intègrent par défaut des applications populaires comme Youtube, Spotify ou encore Netflix sur le menu de navigation de leur interface.

75

3.2. Ergonomie et praticité de l'interface

Pour mieux appréhender la facilité de navigation et la praticité de la plateforme de diffusion de Netflix, nous avons fait une analyse sémiotique de la plateforme à différents niveau : de la page d'accueil au lancement d'un épisode. Nous mobiliserons le discours des interviewés pour conforter notre analyse à différents endroits, quand cela s'avèrera nécessaire.

Dès l'affichage de la page Netflix.fr, nous réalisons de prime abord la présence d'un riche niveau symbolique162 qui pourrait presque contraster avec l'aspect sobre et minimaliste de la plateforme. Un parti pris « parlons peu parlons bien » qui se fait sentir dès les premières secondes de navigation. Dans le discours des interviewés, le design ressort souvent comme l'un des plus de l'interface. En ce qui concerne la navigation, nous observons que le site netflix.fr est un site en one-page, ou ce que l'on appelle également un site en long scrolling. Hérité des blogs et des dépêches du type Telex, ce type de présentation revient dans la tendance actuelle et a été popularisé par des réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter ou Pinterest. Cette présentation permet une navigation intuitive et multi-supports : accéder à l'ensemble des informations d'une page web en faisant défiler vers le bas, ou d'un simple geste du doigt (pour les utilisateurs de Smartphones ou de tablettes). Cette caractéristique ressortira souvent lors des entretiens d'auto-confrontation pour la facilité qu'elle confère à la navigation car elle rend l'ensemble des contenus accessible en un minimum d'actions.

« Je pense que sur une tablette la navigation serait encore plus facile » Amine, 28 ans - Contrôleur de gestion

Aussi, l'accès au contenu (films, séries TV, documentaires, animations, etc.) ne requiert pas un nombre important d'actions. En effet, un fois sur le profil personnel de l'abonné, il suffit de positionner le curseur sur l'une des nombreuses vignettes pour voir apparaître : l'intitulé du contenu, la catégorie à laquelle il appartient, la date de sortie, un début de synopsis, la durée contenu ainsi qu'un « bouton » play de couleur rouge, représentatif des plateformes de diffusion, qu'il suffit de presser pour démarrer le visionnage.

76

162 Analyse de l'identité visuelle et de la symbolique des couleurs de la page d'accueil avant identification en annexes.

77

Quitter le visionnage d'un contenu est aussi évident. En effet, un mouvement du curseur fait apparaître sur l'interface une flèche orientée vers la gauche qui nous invite à « retourner à la navigation ».

« Il n'y a pas trop d'actions à faire pour revenir à un autre épisode ou pour passer à autre chose ». Hugo, 27 ans - Consultant.

3.3. Le paramétrage du lecteur de diffusion

Basique et classique, le lecteur de la plateforme ne diffère pas de la majorité des lecteurs de streaming ou des célèbres sites de partage vidéo tels que Youtube et

78

Dailymotion. Bien qu'il apporte un nombre d'améliorations qui se répercutent de manière positive sur le confort du visionnage, le lecteur de Netlfix reste simple et intuitif. Nous pouvons supposer que ce choix de simplicité soit justifié par un désir de correspondre aux habitudes de visionnage de la cible, familière des lecteurs de visionnage sur Internet.

Outre les boutons « Mode plein écran » et « Play/Pause » (figure 4 et 5) qui sont placés exactement au même endroit que les types de lecteurs précédemment cités et qui autorisent les mêmes actions « clavier », notamment : quitter le mode plein écran en appuyant sur la touche « Esc » et mettre sur pause en appuyant sur la touche « Espace », le lecteur de Netflix comporte des signes complémentaires :

Figure 4 : Lecteur Youtube

Figure 5 : Lecteur Netflix

En choisissant de placer la barre de volume verticalement163, le lecteur optimise l'espace en intégrant le titre du contenu choisi. Dans le cas d'une série télévisée, la saison ainsi que le titre de l'épisode joué par le lecteur sont affichés. Le lecteur comporte également un nombre de boutons supplémentaires qui apporte amélioration et confort au visionnage (en 1, 2 et 3 sur la figure 5, ci-dessus).

Ce bouton (1) permet d'accéder directement à l'épisode suivant et fournit au spectateur une description de ce dernier s'il positionne sur curseur sur ledit bouton.

Le bouton (2) apporte une visibilité sur l'intégralité des saisons et des épisodes de la série TV jouée par le lecteur.

Le bouton (3) permet au spectateur de choisir la langue et les sous-titres qu'il désire.

79

Nous avons montré l'appétence des publics sériephiles pour les séries américaines et l'habitude qu'ils ont pris de visionner en version originale sous-titrée pour se calquer sur la diffusion originale. Il est intéressant de voir comment l'offre de Netflix prend en considération cette caractéristique en créant un bouton spécifique au choix de la langue et des sous-titres au sein du lecteur (et non un bouton « Réglages » qui intègre cette fonctionnalité comme sur la majorité des lecteurs. De plus, le lecteur a

163 La barre de volume du lecteur apparaît quand le curseur est positionné au dessus du bouton « son ».

80

la capacité de d'enregistrer les choix renseignés par le spectateur pour qu'il n'ait pas à réitérer l'action à chaque visionnage, déduisant qu'un spectateur qui choisit de regarder Making a murderer en VOSTFR, choisira de regarder tout autre série télévisée américaine en VOSTFR !

« Je regarde en anglais sous-titré, j'ai trouvé facilement comment changer de langue...c'est instinctif ! Après je pense que j'ai un profil qui se débrouille bien sur ce genre de plateforme par ce qu'avant je télécharger beaucoup. Alors que ma mère qui n'a jamais compris comment télécharger un film ou naviguer sur Facebook par exemple, elle m'avait demandé comment faire pour changer de langue. » Léa, 24 ans - Chef de projet

Un lecteur intelligent

L'amélioration considérable que présente le lecteur de Netflix est la capacité de mémoriser les choix du spectateur. En plus d'enregistrer les choix de langue et de sous-titres, le lecteur se rappelle également du moment où le spectateur quitte le visionnage d'un épisode pour l'ajouter dans la catégorie de contenus « reprendre avec le profil X » par exemple. Cette catégorie qui est l'une des multiples catégories créées par Netflix pour « ranger » les différents contenus va automatiquement inclure tout contenu que nous avons commencé, puis arrêté de visionner par choix ou à cause d'une perte de connexion. Dès que le spectateur reprend le visionnage ou que la connexion est rétablie, le lecteur va lancer la diffusion à l'exact moment de l'interruption. Une amélioration considérable, qui ajoute praticité au visionnage.

« Je me suis abonné à Netflix pour la facilité. La facilité du truc. Le téléchargement, faut : télécharger l'épisode, télécharger les bons sous-titres, renommer les sous-titres comme le fichier mkv... C'est beaucoup plus facile de regarder sur Netflix ! » Hugo, 27 ans - Consultant

Un lecteur rapide

L'offre Netflix propose de la haute définition (HD) quel que soit le forfait choisi (avec de l'ultra définition 4K pour les offres Premium). Il est également intéressant de noter comment le flux de diffusion adapte sa qualité en fonction de la performance de la connexion disponible, et ce, pour qu'il n'y ait pas de coupure lors de la diffusion.

« Ce que j'aime sur la plateforme ? La présentation d'une fiche série, la fluidité de la diffusion où la mise en cache est très rapide même quand on coche la HD, la

81

conservation des paramètres et la reprise simple et rapide de la suite d'une série par exemple » Lola, 30 ans - Consultante.

Un lecteur pour « binge-watcher »

Le lecteur de Netflix encourage un visionnage boulimique car il lance immédiatement l'épisode suivant dans les 15 secondes qui suivent la fin de l'épisode visionné. Cette fonctionnalité, présente par défaut, peut être modifiée dans les paramètres. Cependant, pour un spectateur qui lance directement le service, elle peut contribuer à augmenter sa consommation d'épisodes, puisque aucune action ne lui est demandée pour passer à l'épisode suivant.

« Oui, je pense que Netflix m'encourage à consommer plus d'épisodes d'affilée, surtout quand c'est une série qui me plait. Peut être que c'est parce que l'épisode est déclenché juste après. »Amine, 28 - Contrôleur de gestion

82

4. Le dispositif de personnalisation

« Il a été prévu quelque chose pour chacun afin que nul ne puisse y échapper ». Theodor W. Adorno, Max Horkheimer, « La production industrielle des biens culturels - Raison et mystification des masses »

Nous avons précédemment traité de la notion de prescription culturelle arrivant à la conclusion que cette notion devient cruciale pour les acteurs des industries de la culture afin d'individualiser leur relation avec les publics et fidéliser leur clientèle dans un monde où la profusion de contenus peut paralyser le consommateur. Nous avons également vu comment la mise en place d'un dispositif de personnalisation efficace a permis aux ANSN de proposer des sélections de contenus pertinentes, adaptées à tout un chacun. Nous allons maintenant nous intéresser t au dispositif de personnalisation de Netflix, ressource indispensable à son activité mais également force de son offre.

Dès la première connexion qui suit l'abonnement au service, Netflix insiste sur l'importance de renseigner son profil personnel, d'évaluer les contenus qu'il nous suggère et de ne parcourir que du contenu suggéré164. En agissant de cette manière le spectateur a la « la promesse » de se voir proposé uniquement du contenu pertinent. C'est en invoquant les effets de l'hyperchoix que le service justifie cette obligation, pour l'utilisateur, de renseigner des informations sur ses goûts et d'évaluer les suggestions : « Nous proposons des milliers de titres à regarder, c'est beaucoup ! Lorsque vous évaluez des films et des séries TV, vous nous aidez à filtrer des milliers de titres pour nous donner une meilleure idée de ce que vous aimeriez regarder ».

164 Il est possible de chercher directement un contenu à l'aide de la barre de recherche ou de choisir la fonctionnalité « parcourir » pour accéder directement aux catégories classiques (séries, action, documentaire, cinéma français, romance, etc.) au lieu de surfer entre les différents contenus suggérés par Netflix.

83

4.1. Collecte de données

Choisir d'accéder à une offre améliorée en échange de données personnelles est le choix que des millions d'individus ont fait aujourd'hui. La recommandation, au vu de ce qu'elle requiert au préalable comme récolte et utilisation de données personnelles, constitue un sujet sensible car elle soulève la problématique de l'éthique et de la confiance.

Dans ce sens et pour rassurer ses utilisateurs, Netflix a choisi d'adopter une démarche transparente. A plusieurs endroits de la plateforme, différents signes sont présents pour mettre en avant la bienveillance du service : informer l'utilisateur du dispositif dont il fait partie et s'assurer de son consentement libre.

C'est ce que nous pouvons remarquer en bas de la page d'accueil, par exemple, où le détail des éléments contractuels, le numéro de téléphone du service client et les informations relatives aux mentions légales et autres politiques de l'entreprise (confidentialité/Cookies, par exemple) sont mis à disposition de l'utilisateur, de manière évidente. Notons également que la couleur blanche, souvent assimilée à la pureté, à la positivité ou encore à la transparence a été choisie pour mettre en scène une bonne partie des éléments textuels.

Par ailleurs, les nombreux discours de la firme sur la force de leur algorithme de recommandation et ceux qui viennent expliciter la manière dont la navigation et les évaluations des utilisateurs permet au dispositif de proposer une sélection pertinente de contenus, viennent renforcer cette démarche bienveillante mais aussi asseoir la force du service ainsi que l'expertise et la légitimité de Netlfix.

84

Par ailleurs, si Netflix affirme de manière assumée observer et scruter le comportements de ses utilisateurs sur la plateforme (à travers des tests sur des groupe d'utilisateurs à leur insu), le service assure que ses utilisateurs ont le choix de faire partie, ou non, des ces panels.

Du côté des abonnés que nous avons interviewé, ils ont bien évidemment conscience de la récolte de leurs données. La génération des digital natives a grandi dans l'habitude de ce type d'activité qui incarne l'économie du web 2.0. Pour eux, l'action même de s'abonner au service est une acceptation de céder une partie de leurs données personnelles. Ils perçoivent cet abonnement comme une sorte de contrat symbolique où, en échange de ces données, le service s'engage à les utiliser de manière raisonnable pour améliorer leur expérience du service.

« Ça ne me dérange pas qu'on récolte mes données, tout le monde le fait. Et si ça aide Netflix à mieux cibler le contenu qu'il me propose, pas de soucis » Amine, 28 ans - Contrôleur de gestion

« Tous les gens participent pour que ce soit plus précis. Ce qu'ils veulent c'est avoir des séries encore plus adaptées au public ». Hugo, 27 ans - Consultant

« Oui je sais qu'on enregistre des informations sur ma navigation. Ça ne me dérange pas par ce que c'est pratique, c'est pour me proposer des trucs ». Léa, 24 ans - Chef de projet

85

4.2. Pour une relation privilégiée avec l'abonné

Au moment de créer un profil personnel sur la plateforme, le service demande à l'internaute de renseigner trois contenus qu'il apprécie parmi une mosaïque de contenus en tout genre (films, séries, documentaires, animations, etc.). Ces trois choix sont censés être une base sur laquelle l'algorithme fonde ses propositions. Sans que nous penchions en détail sur le fonctionnement de l'algorithme (un fonctionnement qui reste assez opaque), nous pouvons dire que les suggestions vont se faire sur la base de notre navigation et de celles des autres utilisateurs : l'algorithme va analyser ce que nous regardons, le comparer avec ce que d'autres utilisateurs similaires ont regardé pour nous proposer des contenus pertinents.

La sélection proposée va s'incarner à travers diverses « catégories de contenus » générées spécialement pour nous : « Notre sélection pour Sarra », « Parce que vous avez regardé Matilda»...

Notons également que les sorties médiatiques de Netflix concernant son algorithme de recommandation sont nombreuses. En effet, sa maîtrise de la data est pour lui un gage de légitimité et d'expertise. Non seulement sur les recommandations que le service propose mais également sur les contenus qu'il produit, comme nous le verrons au cours de la dernière partie de ce mémoire.

« Je trouve ça cool qu'on me demande de renseigner mes goûts, c'est comme si ton pote te disait : t'aimes quoi ? C'est un premier contact, pour faire connaissance » Hugo, 27 ans - Consultant

86

En plus de leur proposer des sélections de contenus plus ou moins pertinentes165, les interviewés assimilent Netflix à un guide ou à un accompagnateur dans leur expérience de visionnage. En mettant en avant fréquemment des contenus « en première ligne », le service encourage le spectateur à les visionner. Même si ces derniers ne correspondent pas, à priori, à leurs goûts exprimés.

« Oui, il me guide indirectement parce qu'il me met en avant des trucs et ça me rappelle de les regarder ». Hugo, 28 ans - Consultant

« Quand un contenu revient sur la plateforme encore et encore, je finis par l'ajouter à ma liste et je me dis que je vais peut être le regarder ». Julien, 27 ans - Responsable stratégie digitale

4.3. « Ce que je veux, où je le veux, quand je le veux »

La plateforme donne la possibilité aux utilisateurs de se créer une liste de contenus. Un signe « + » apparaît sur chacune des vignettes et ajoute le contenu associé à cette dernière à « Ma liste » si l'on clique dessus. Les entretiens d'auto-confrontation nous font remarquer que les interviewés utilisent cette fonctionnalité, principalement, pour mettre des contenus de côté afin les visionner suivant leur disponibilité. Une fonctionnalité qui s'accorde avec la consommation délinéarisée qui caractérise aujourd'hui les publics puisqu'elle leur donne la liberté de se créer leur propre « grille de contenus » et de les visionner quand ils le souhaitent.

« J'ajoute souvent des contenus à Ma Liste. Dans ma liste, j'ai les nouveautés Netflix, je les mets de côté au cas où, ainsi que des trucs que je vois passer. Comme par exemple Twin Peaks, que je n'ai

165 L'ensemble des interviewés déplore la pauvreté du catalogue français par rapport au catalogue américain ou canadien par exemple. Cette pauvreté de contenu est due au fait que Netflix France se doit de respecter la chronologie des médias. Résultat, la majorité des films disponibles sur la plateforme ont minimum plus de 5 ans. D'ailleurs, les interviewés avouent s'être abonné principalement pour l'offre de séries TV.

Pour contourner la pauvreté du catalogue, certains utilisent des techniques de braconnage, notamment l'utilisation de VPN pour accéder aux catalogues internationaux.

87

pas regardé depuis longtemps et je me dis que ce serait bien de la re-regarder, donc je la mets de côté ». Julien, 27 ans - Responsable stratégie digitale

« J'aime bien aussi les listes. Je me suis fait une liste. C'est un peu comme ma watch-list. Ah tiens faut que je regarde ça. Quand je ne sais pas quoi regarder, je vais voir ce que j'ai mis de côté sur ma liste ». Hugo, 28 ans - Consultant

Aussi, nous retrouvons cette stratégie de consommation délinéarisée sur la page d'accueil (avant de s'abonner au service) à travers le texte « Profitez de films et de séries TV où et quand vous le souhaitez ». En ces quelques mots, l'offre de Netlfix est résumée de façon claire, courte et lisible.

Les mots « où et quand » cache également une caractéristique technique centrale : sa compatibilité multi-supports. Cette caractéristique permet aux utilisateurs de visionner des contenus selon l'activité à laquelle ils s'adonnent, peu importe l'endroit où ils se trouvent166. C'est le cas de plusieurs interviewés qui nous ont confié privilégier des contenus courts, de qualité moindre, au petit déjeuner et sur leur tablette par exemple. Alors que d'autres apprécient de pouvoir interrompre et reprendre leur visionnage, au moment de l'interruption tout en changeant de support.

« J'utilise ma tablette pour regarder des séries de 30 min. En général le matin, pendant le petit déjeuner quand je suis dans la cuisine ». Hugo, 28 ans - Consultant

« Le gros avantage, le fait de pouvoir mettre en pause et revenir même si on quitte. La facilité du visionnage. Regarder sur son ordi, s'arrêter au milieu d'un épisode, aller faire des pâtes et du coup reprendre la navigation au moment où on l'a laissé sur Ipad par exemple. » Julien, 27 ans - Responsable stratégie digitale

166 Quelle que soit leur position géographique en France. Sauf pour les utilisateurs « braconniers » qui arrivent à utiliser le service n'importe où dans le monde en passant par des VPN.

Source « Comment regarder Netflix France depuis l'étranger ? », Netflix France, [disponible en ligne : http://www.netflix-france.net/tuto/2014/11/19/comment-regarder-netflix-france-depuis-letranger-351/], publié le 20 janvier 2016, consulté le 29 janvier 2016.

88

Rappelons que le potentiel d'action de cette caractéristique - la compatibilité multi-support du service - est amplifié par le fait que Netflix.fr soit un service de streaming en plus de disposer d'un lecteur qui mémorise les activités de visionnage. Ainsi, la reprise du visionnage est pratique et optimale, quelle que soit la position géographique ou les raisons de l'interruption.

« Netflix est partout ! Je peux commencer mon épisode là et aller chez mon père et le terminer ! » Julien, 27 ans - Responsable stratégie digitale

5. Vers un encadrement et une démocratisation des pratiques de visionnage sur Internet

Nous avons tenté de mettre en évidence l'apparition d'un nouveau genre de spectateur, le sériephile-internaute qui, grâce à la numérisation des contenus audiovisuels, a trouvé sur le web un moyen d'accès plus optimal à ses séries télévisées préférées. Une offre alternative qui continue d'ailleurs à se structurer par les fans et pour les fans. Ainsi des sites de streaming, des applications et des logiciels de téléchargement peer-to-peer en tout genre ne cessent de se multiplier et de s'améliorer dans le but de d'offrir aux utilisateurs, des plateformes de visionnage toujours plus conviviales et pratiques. Bien qu'illégale, cette offre alternative a transformé les modes de consommation des publics sériephiles, faisant apparaître la nécessité de prendre en compte ces nouvelles habitues et attentes.

« Ça correspond à une consommation que j'ai, que j'avais déjà avant. Avant ça prenait du temps, de télécharger, de chercher les sous-titres, de renommer le fichier...C'est pratique quoi ». Julien, 27 ans - Responsable stratégie digitale

Le tableau, ci-dessous, vise à résumer les caractéristiques de l'offre personnalisée Netflix : modèle de prise en compte et de démocratisation des modes de consommation actuels.

89

Pratiques de visionnage
sur le web

 

Réponses du dispositif

Consommation
personnalisée
et délinéarisée

- Service de streaming : accès au catalogue quelle que

soit la position géographique (en France) et le support utilisé

- Catégories personnalisées selon ses goûts

- Possibilité de reprendre le visionnage au moment

même de l'interruption et mise de côté des contenus

interrompus en cours de visionnage (catégorie : reprendre avec le profil Sarra)

- Fonctionnalité « Ma Liste »

Praticité et facilité de la
navigation

- Plateforme intuitive en long scrolling

- Compatibilité multi-supports

- Nombre d'actions limitées et optimisées pour accéder

au contenu souhaité ou changer de contenu

Contenus récents,
disponibles en version
originale

- Disponibilité de certains contenus en US+24

- Créations originales en exclusivité167

- Disponibilité d'un large choix de langues et de sous

titres et mémorisation des réglages pour les prochains visionnages

Binge-watching

- Déclenchement de l'épisode suivant dans les 15

secondes qui suivent la fin de l'épisode visionné

167 A l'exception de l'emblématique House of Cards dont les droits de diffusion ont été cédés à Canal Plus avant l'arrivée de Netflix sur le territoire français.

90

Conclusion de la deuxième partie

L'analyse de la mutation des industries culturelles et des conséquences de délinéarisation des contenus sur ces industries nous a permis de mieux appréhender le contexte qui a donné naissance à un acteur issu d'Internet, comme Netflix. Nous avons vu comment cet acteur a su mettre à profit les évolutions technologiques et s'inspirer de l'évolution des pratiques et des modes de consommation pour construire une offre et un dispositif adapté.

En étudiant son historique, son environnement concurrentiel ainsi que les stratégies qu'il a mis en place, nous sommes à se stade en mesure de confirmer l'intégralité de notre première hypothèse. A savoir que Netflix s'inscrit dans une accélération des mouvements d'hybridation, les mêmes qui ont toujours caractérisé l'évolution de la filière audiovisuelle et que nous avons explicité dans la première partie de ce mémoire. Netflix a su mettre à profit les évolutions technologiques et répondre aux attentes des publics (des publics qui sont aujourd'hui de plus en plus habitués aux interfaces et aux écrans multiples). En s'imposant comme premier service de streaming au monde et l'un des acteurs majeurs du divertissement, Netflix pousse la concurrence à s'aligner sur son modèle.

Par ailleurs, la démocratisation de la télévision connectée et du multi-écrans a mis au centre de l'attention les enjeux d'ergonomie. En effet, la disponibilité multi-supports est au centre de la stratégie de Netflix d'où l'importance d'accorder au dispositif une considération majeure. Dans ce sens, l'analyse sémiotique du dispositif de Netflix et les différents entretiens d'auto-confrontation menés a apparaître l'adaptation du dispositif aux pratiques de visionnage actuelles. Ce qui nous permet de vérifier notre seconde hypothèse.

91

Troisième partie

Vers de nouveaux modèles de production et de diffusion
des contenus audiovisuels ?

Avantages et limites

92

Chapitre I

Le nouveau business des séries télévisés

Au cours du premier chapitre de la partie précédente, nous avons mis en évidence la croissance du marché de la VOD et plus particulièrement celui de la S-VOD, qui permet aux spectateurs d'avoir le contrôle sur leur budget, contrairement à l'achat ou à la location à l'acte. Compte tenu de l'universalité d'Internet, ce mode de distribution directe des contenus audiovisuels a facilité l'installation sur le marché français d'acteurs internationaux, à l'image de Netflix, dont la stratégie porteuse a poussé les acteurs de la filière à s'aligner, tout en attirant d'autres acteurs sur le secteur, notamment les grandes entreprises technologiques.

Privilégiant une stratégie mondiale, Netflix a choisi de se soustraire à une réglementation française rigide en s'installant à l'étranger et s'est lancé, depuis 2011, dans la production de contenus originaux pour « remonter » la chaîne de valeur et installer sa position de créateur-diffuseur au sein du paysage audiovisuel.

Dans la partie suivante, nous allons nous pencher, à travers un premier chapitre, sur les particularités des contenus produits et diffusés par ces acteurs venus d'Internet, à travers le cas de Netflix et de ses créations originales. Dans le second chapitre, nous tenterons de mettre en exergue les avantages et les limites du modèle de production de Netflix et de sa stratégie de déploiement à l'international, en faisant apparaître les nouveaux enjeux que la politique de cet acteur fait émerger dans le contexte actuel.

1. La data au coeur du savoir-faire

« L'histoire de la production d'une série sera toujours l'histoire de producteurs dépositaires d'un projet culturel et cherchant à le faire reconnaître comme un projet également économique par des diffuseurs et des annonceurs168 ».

En sortant de la grille télévisuelle qui les a vu naître, les séries télévisées produites « hors circuit » ne sont plus soumises à la même logique de production télévisuelle que leur consoeurs issues du circuit traditionnel. En effet, une série télévisée diffusée

168 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.51.

93

sur une chaîne de télévision linéaire, ABC, la Fox ou même HBO, implique la rencontre de divers acteurs et de leurs exigences respectives : les studios de production et les chaînes (celles-ci sont soumises à d'autres exigences, celles des annonceurs, qui les financent)169. Et ce n'est qu'après la validation et la production d'un épisode « pilote » que le lancement de la production d'une saison entière peut commencer.

1.1. House of Cards, une série sans « pilote »

En traquant ses millions d'abonnés jusque dans leurs habitudes et préférences de visionnage les plus secrètes, Netflix ne se contente pas seulement de proposer à ses utilisateurs des catégories personnalisées. Ce traitement astronomique de données permet au service de classer les contenus audiovisuels présents sur sa plateforme en catégories finement ciblées : 77 000 genres et sous genres selon une enquête du magazine culturel américain The Atlantic170.

En 2011, Netflix pousse l'expérience plus loin en se lançant dans la production de sa première série originale House of Cards, qui est, selon ses dirigeants une corrélation des données recueillies. Ces corrélations de données auraient fait apparaître que les internautes qui aiment la mini-série britannique House of Cards diffusée sur la BBC en 1990, visionnent des films de Kevin Spacey et sont fans des films de David Fincher. S'appuyant sur ces « résultats mathématiques », Netflix lance la production des premières saisons d'un remake de la mini-série britannique, engageant, sans autre préalable, 100 millions de dollars. Ainsi, les dirigeants de la firme se disent aujourd'hui capables de savoir ce que leurs abonnés veulent regarder171.

En supprimant l'épisode « pilote » et en décidant de produire l'intégralité des deux premières saisons en une fois, Netflix affirme qu'il a trouvé le moyen de faire des

169 La tradition veut que les networks respectent ce que l'on appelle « la saison des pilotes » pour coller aux upfronts avec les annonceurs. Durant l'été, les réseaux reçoivent des centaines de pitchs. Environ 20% sont sélectionnés en automne et seront développés en scripts. En hiver, une vingtaine de pilotes par chaîne sont commandés et sont produits au printemps. Une fois tourné, l'épisode est soumis au visionnage d'un panel-test et la chaîne peut demander des modifications aux studios. A noter que les chaînes du câble ne respectent pas ce « rituel ». N'étant pas dépendantes des annonceurs, elles se permettent de commander à n'importe quelle période de l'année.

170 Source : « How Netflix reverse engenireed hollywood », The Atlantic, [disponible en ligne : http://www.theatlantic.com/technology/archive/2014/01/how-netflix-reverse-engineered-hollywood/282679/], publié le 02 juin 2014, consulté le 15 mars 2015.

171 Source : « Netflix et le culte du big data », France 24, [disponible en ligne : http://www.france24.com/fr/20140521-netflix-france-big-data-house-cards-television-algorithme-recommandation-internet-svod], publié le 21 mai 2014, consulté le 15 mars 2016.

94

prévisions dans un secteur pour le moins imprévisible. En effet, la production culturelle, et les films rejoignent les séries sur ce point, est déterminée par une logique de l'offre. Et si le succès a été au rendez-vous pour House of Cards et Orange is the New Black, il ne peut en aucun cas être garanti pour les créations futures de Netflix, comme Marseille par exemple, sa première production française, qui vise un tout autre marché et une toute autre culture. Cependant, la politique de Netflix s'inscrit dans un modèle de production novateur qui est conduit par des paris sur le résultat des données et où la production d'un épisode « pilote » devient obsolète.

La suppression du « pilote » dans les créations originales de Netflix a également un impact sur la narration. En effet, l'un des objectifs du pilote est de convaincre les spectateurs de suivre la série en exposant le plus de facettes de la série (intrigues, personnages). En général, un épisode pilote (qui a été diffusé172) est plus rythmé que les épisodes qui le suivent. Il s'y passe plus de choses. Cependant, cet épisode ne reflète pas nécessairement l'âme de la série et s'il reste un point d'entrée évident pour « présenter » la série, la nature sérielle d'une série (en plus, de sa disponibilité en une fois, dans le cas de Netflix) permet que d'autres épisodes soient utilisés comme point d'entrée. Il est même possible qu'une série gagne en profondeur à ne pas exposer ainsi tous ses personnages dès le début.

1.2. La place des big data dans le processus créatif

« Les machines et les humains ne s'opposent pas ; au contraire, humains et machines se créent mutuellement173 »

« Les machines et les humains ne s'opposent pas ; au contraire, humains et machines se créent mutuellement174 »

172 Il peut arriver que les chaînes décident de tourner un premier épisode au lieu de diffuser le pilote.

173 DE MEYER Thibault, « CARDON Dominique, A quoi rêvent les algorithmes », [Disponible en ligne : http://lectures.revues.org/20554], Les comptes rendus, 2016, disponible le 05 avril 2016.

174 DE MEYER Thibault, « CARDON Dominique, A quoi rêvent les algorithmes », [Disponible en ligne : http://lectures.revues.org/20554], Les comptes rendus, 2016, disponible le 05 avril 2016.

95

L'intégration des big data et de l'analyse dans le processus de création ne date pas d'hier. Déjà en 2004, Ryan Kavanaugh, l'un des nombreux milliardaires de Silicon Valley et fondateur de la société de production Relativity Media175 prétend pouvoir calculer la rentabilité d'un film en collectant et en analysant les diverses données qui lui sont liées : le scénario, sa structure, les conditions de réalisation, etc. Et c'est en croisant ces données avec celles de milliers d'autres films que Kavanaugh décide de quel film produire ou encore des adaptations à effectuer avant de produire176.De la même manière, le statisticien Vinny Bruzzese propose aux producteurs d'Hollywood une analyse des scripts sur la base de films à succès similaires et d'enquêtes menées auprès d'un panel de spectateurs potentiels177.

Pour les scénaristes et les auteurs de longs-métrages, ces méthodes sont l'ennemi de la créativité et ils y sont réticents par peur d'une remise en question de la légitimité de leur métier. Cependant, les algorithmes et autres logiciels de calculs ne sont pas prêts de remplacer le facteur humain, ni la dimension artistique et il est aujourd'hui certain que hommes et machines sont amenés à évoluer main dans la main. En effet, les algorithmes sont un bon moyen de faire apparaître la pertinence financière de certains projets ou encore de faire émerger des corrélations intéressantes, donnant ainsi naissance à des histoires qu'on n'aurait pas pensé à développer spontanément, comme dans le cas de Netflix.

Pour Emmanuel Durand, le paysage d'innovation permanente qui caractérise notre époque numérique, demande une meilleure prédisposition au changement178. Aussi, un modèle de production hégémonique, même s'il paraît plus sûr, ne peut prétendre à l'éternité, en témoigne le phénomène d' « uberisation » qui touche de plus en plus de secteurs économiques, par exemple, et qui séduit et consommateurs et entreprises puisqu'il permet de rentabiliser des projets sans investissements importants, grâce à l'utilisation des nouvelles technologies.

175 Relativity Media a été créée en 2004 et compte à son actif près de 200 films. Le dernier film que la société coproduit, The Disappointments Room est prévu pour 2016.

176 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po, Paris, 2014, p.86.

177 Ibid. p.87.

178 Ibid. p. 90.

96

2. Et si les créations originales de Netflix redéfinissaient le genre sériel ?

Si la firme a misé sur la production des saisons en une fois, elle a également misé sur la diffusion en une fois. En mettant en ligne les 13 épisodes de la première saison de House of Cards au même moment, Netflix engage une petite révolution au sein de la filière audiovisuelle et donne naissance à une forme de diffusion inédite. En agissant de la sorte, Netflix donne au spectateur la liberté de choisir le rythme avec lequel il souhaite visionner sa série et le libère de la frustration hebdomadaire engendrée par le procédé de cliffhanger.

2.1. Le Binge-watching, une marque de fabrique

Comme nous l'avons démontré dans une partie précédente, le visionnage « en ramassé » est un mode de consommation audiovisuelle qui existe depuis l'ère des DVD mais qui s'est amplifié avec la dématérialisation des contenus et la disponibilité de saisons entières sur les plateformes de streaming et de téléchargement illégal.

Nous avons également vu, à travers notre analyse de la plateforme, que le dispositif mis en place par Netflix encourage cette pratique en déclenchant automatiquement l'épisode d'après dans les 15 secondes suivant le visionnage. En effet, le binge-watching est en phase avec la politique de diffusion de Netflix « en une fois » et de nombreuses études menées par le service le confirment et le confortent. En 2013, le service déclare que le binge-watching est la nouvelle norme en se basant sur une étude menée par l'anthropologiste Grant McCracken sur plus de 3000 personnes dont 1496 TV streamers179. En février 2014, une autre étude du service révèle que 2% des 33,4 millions d'abonnés de Netflix à l'époque ont visionné l'intégralité de la deuxième saison de House of Cards le week-end de sa sortie180.

Si Netlfix encourage et dédramatise cette pratique, il est également intéressant de noter comment elle tend à devenir un véritable phénomène culturel ; la popularisation de l'expression Netflix and Chill181 en témoigne. A son apparition, cette expression

179 Source : « Netflix declarees binge-watching is the new normal », PR newswire, [disponible en ligne : http://www.prnewswire.com/news-releases/netflix-declares-binge-watching-is-the-new-normal-235713431.html], publié le 13 décembre 2013, consulté le 15 mars 2016.

180 Soit 670 000 personnes. Source : « House of Cards watching in high defintion », Procera, [disponible en ligne : https://www.proceranetworks.com/blog/house-of-cards-binge-watching-in-high-definition], publié le 20 février 2014, consulté le 15 mars 2016.

181 Littéralement : regarder Netlfix pour se détendre.

97

utilisée massivement sur les réseaux sociaux par les jeunes Américains, traduisait l'action de s'enfermer chez soi pour binge-watcher. Aujourd'hui, l'expression, devenue virale en 2015182, s'est popularisée en prenant une légère connotation sexuelle. En effet, proposer une séance Netflix and chill revient à faire des avances, de manière dissimulée à une personne. De quoi s'interroger sur l'impact de la technologie et de Netflix sur la culture amoureuse des jeunes publics.

2.2. Hybridation du cliffhanger

La frustration hebdomadaire engendrée par les cliffhangers peut être incarnée à travers la dernière saison (saison six) de The Walking Dead. De nombreux cliffhangers ont rythmé cette saison au grand désespoir des fans qui n'ont pas hésité à manifester leur mécontentement 183 . Si le cliffhanger continue d'assurer les audiences, il suscite aujourd'hui énormément de colère et de frustration de la part des fans, surtout quand son usage devient systématique et facultatif. Les fans n'ont en effet pas hésité à qualifier l'« overdose de cliffhangers » dans The Walking Dead de manoeuvre commerciale, racoleuse, dont le seul but est de créer un désir nourri de frustration pour garantir l'audience de la série semaine après semaine (figure 6). La clairvoyance des publics n'a jamais été aussi évidente et a, d'ailleurs, poussé la chaîne AMC et le showrunner de la série à prendre la parole plusieurs fois pour apaiser les foules184.

182 Source : « Netflix & Chill », Fusion, [disponible en ligne : http://fusion.net/story/190020/netflix-and-chill/], publié le 28 août 2015, consulté le 11 mars 2016.

183 Pour plus de détails sur l'overdose de cliffhangers de cette saison : « Walking Dead : bilan de la saison 6 », Binge by Konbini, [disponible en ligne : http://biiinge.konbini.com/series/walking-dead-bilan-saison-6/], publié le 21 avril 2016, consulté le 30 avril 2016.

184 Source : « Le showrunner de The Walking Dead revient sur le final controversé », Binge by Konbini [disponible en ligne : http://biiinge.konbini.com/series/showrunner-the-walking-dead-final/], publié le 21 avril 2016, consulté le 30 avril 2016.

98

Figure 6 : extrait des commentaires sur une publication de la page Facebook officielle de la série The Walking Dead185

Nous pouvons rapporter cet usage systématique du cliffhanger à une gestion de l'audience et de la satisfaction de publics que Reed Hashtings nomme la managed dissatisfaction186. Emmanuel Durand l'explique de la manière suivante : « ce principe de la managed dissatisfaction est consubstantiel à une certaine conception des

185 Cette publication a généré près de 2000 commentaires dont une bonne partie critique cet usage sytématique et intensif de cliffhangers. Source : « Publication The Walking Dead », Page Facebook The Walking Dead, [disponible en ligne : https://www.facebook.com/TheWalkingDeadAMC/photos/a.169719483054218.51327.1104753889786 28/1471959512830202/?type=3&theater], publié le 04 avril 2016, consulté le 21 avril 2016.

186 Selon Emmanuel Durand, le terme de frustration entretenue a été utilisé par Reed Hashtings pour désigner un système qui se nourrit des attentes du public pour maximiser l'impact commercial.

99

rapports entre le public, l'oeuvre et ses créateurs, une conception qui, jouant sur la rareté de l'offre et sur les contraintes d'accès à l'oeuvre, relègue le public dans un rôle secondaire et docile187 ». Nous nous interrogerons sur la pertinence de ce principe dans le second chapitre de ce travail. Car si son usage aujourd'hui systématique dans les séries télévisées témoigne de l'élargissement de l'univers concurrentiel, sa pertinence peut être questionnée au vu de l'abondance de l'offre et de l'exigence des publics.

En sa qualité d'acteur du web, incarné à travers un site de streaming, Netflix n'est pas soumis au même système de rentabilité que les chaînes : financement publicitaires et préoccupation d'audience. Cette liberté, si elle lui a permis de mettre en place un modèle de production et de diffusion en une fois, elle a également eu un impact sur l'architecture narrative et sur les formats de ses créations originales.

Au sein des créations originales Netflix, le procédé du cliffhanger n'intervient plus de la même manière que pour les chaînes. En effet, et comme nous l'avons vu dans la première partie de ce mémoire, le format sériel a été créé en fonction des coupures publicitaire qui rythment la diffusion de l'épisode. Celles-ci étant inexistantes dans le cas de Netflix, les mini-cliffhangers disparaissent des créations Netflix. D'un autre côté, l'absence du rendez-vous hebdomadaire et la tendance actuelle au binge-watching remettent en question l'utilité du cliffhanger de fin d'épisode. Pour autant, ce procédé scénaristique n'a pas disparu des créations de Netflix.

Une logique de « saison »

En étant libéré complétement des contraintes éditoriales, les scénaristes de Netlfix ont adopté une écriture plus progressive où ils prennent davantage le temps d'installer les situations et de révéler les personnages. La série House of Cards a d'ailleurs interpellé la presse au niveau de sa construction188. En effet, dans cette

187 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po, Paris, 2014, p.111-112.

188 Sources : « A mi-chemin entre la télévision et le cinéma House of Cards est unique en son genre », L'express, [disponible en ligne : http://www.lexpress.fr/culture/tele/a-mi-chemin-entre-television-et-cinema-house-of-cards-est-unique-en-son-genre_1221144.html], publié le 29 août 2013, consulté le 02 septembre 2015. Et « How Netflix's House of Cards breaks TV », Tested, [disponible en ligne : http://www.tested.com/tech/set-top-boxes/453479-how-netflixs-house-cards-breaks-tv/ ], publié le 12 février 2013, consulté le 03 mars 2016.

100

série l'exposition prend du temps et il faut attendre environ la mi- saison pour qu'une véritable action se déclenche. Les personnages sont aussi dévoilés au compte-goutte et les premiers épisodes se contentent de peindre leur environnement, leurs états d'âme et leurs ambitions respectives. De plus, la série emprunte des procédés qui ne sont pas propres au genre, comme la rupture du « quatrième mur », emprunté au théâtre, à travers l'un des personnage principaux, Franck Underwood, qui est, à la fois, narrateur (il s'adresse directement au spectateur en aparté) et objet de narration. Pour Benjamin Fau, écrivain et auteur du dictionnaire des séries télévisées (2011), House of Cards est une oeuvre où les frontières se brouillent : « comme un DVD, comme un film. Comme un livre189 ». L'auteur dénote également la frustration ressentie à la fin de la première saison, une fois le mécanisme dramatique enfin enclenché. De cette frustration, nous pouvons voir émerger une logique de saison à travers un procédé plus ou moins semblable au cliffhanger qui vient s'assurer de l'intérêt du spectateur une fois l'intégralité de la saison consommée et pour entretenir l'attente de la prochaine.

Si nous prenons l'exemple de Narcos, autre série originale à succès de Netflix, nous remarquons que c'est une construction scénaristique fluide, chronologique et axée sur une intrigue principale qui va entretenir l'envie de visionner du spectateur et pas spécialement la présence de cliffhanger à la fin de chaque épisode. Ce biopic qui retrace la vie de Pablo Escobar et qui se veut également réaliste par une narration, en grande partie, en langue espagnole et l'utilisation d'images d'archives, a la particularité de mettre au centre de l'intrigue la vie de Pablo Escobar et ses démêlés avec la justice américaine, qui sont retracés de manière chronologique. Pour le spectateur, cette construction donne un effet long-métrage qui pousse encore une fois à consommer « en ramassé ». Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les créations originales Netflix sont mises en ligne, pour la plupart, le vendredi190.

189 Source : « A mi-chemin entre la télévision et le cinéma House of Cards est unique en son genre », L'express, [disponible en ligne : http://www.lexpress.fr/culture/tele/a-mi-chemin-entre-television-et-cinema-house-of-cards-est-unique-en-son-genre_1221144.html], publié le 29 août 2013, consulté le 02 septembre 2015.

190 Daredevil (vendredi 10 avril), Sense8 (vendredi 5 juin), Orange is the new black (vendredi 12 juin), Narcos (vendredi 28 août).

101

2.3. Hybridation des genres fictionnels

Penny : On n'est pas des gens ennuyeux... on peut faire mieux que ça !

Leonard : C'est vrai ! Jusqu'à quelle heure nous sommes restés éveillé hier ?

Penny : Jusqu'à 1 heure du matin presque !

Leonard : Oui ! Jusqu'à une heure du matin, on est resté... et on n'était même pas en train de

regarder la télé. On regardait Netflix comme les jeunes d'aujourd'hui.

Penny : Ben oui. D'ailleurs qu'est ce qu'on a regardé ? Est ce que c'était une comédie ? Un drama ?

Personne ne sait !

Extrait de l'épisode 17, saison 8 de la sitcom The Big Bang Theory diffusée par CBS.

Comme nous l'avons vu dans la première partie de ce mémoire, l'hybridation des genres fictionnels et des formules a rythmé l'évolution des fictions plurielles. Très tôt, créateurs et producteurs ont intégré l'importance du métissage pour innover et se démarquer. Ainsi, cette hybridation des genres fictionnels n'est pas née avec Netflix, néanmoins la philosophie libérale de cet acteur accélère une nouvelle fois ce métissage, favorisant ainsi la mise en place de modèles narratifs plus souples.

Master of None

« Master of None, c'est un peu entre l'espèce de biographie et la comédie. Sauf que ce n'est pas une comédie « grasse » mais c'est une comédie bien fait au niveau de la réalisation et pour moi, c'est un genre « bâtard » quoi ! » Hugo, 27 ans - Consultant.

Diffusée en novembre 2015 sur la plateforme, la première saison de Master of None comporte 10 épisodes de 26 à 31 minutes et s'apparenterait à une comédie, si nous tentions de la classifier. En effet, le format court, quoique un peu plus long que les comédies traditionnelles et les dialogues « travaillés » pour faire rire, ainsi que plusieurs décors récurrents, la font ressembler à une sitcom, cependant, d'autres caractéristiques témoignent d'une hybridation du genre.

Master of None met en scène un humoriste américain, Aziz Ansari qui joue le personnage de Dev. Dev est l'alter-ego fictionnel de Aziz Ansari dans une série qui raconte son quotidien d'acteur pour publicités qui tente de percer dans le cinéma. Il est intéressant de noter que, dans cette série, certains personnages jouent des versions fictives d'eux-mêmes. En effet, les parents de Aziz Ansari jouent les rôles des parents de Dev et l'acteur britannique Colin Salmon fait des apparitions régulières. Ces caractéristiques donnent une dimension autobiographique forte à la série et qui reste nouvelle dans le traitement de la comédie.

102

Master of None n'est pas la première série à mettre en scène un humoriste et jouer sur la dimension autobiographique. En 2010, Louis C. K. a créé, réalisé et produit pour la FX la série Louie. Louie ressemble à bien des égards à Master Of None. Elle met en scène Louie, l'alter-ego de l'humoriste Louis C. K et certains personnages y jouent également une version d'eux-mêmes. Dans l'épisode 6 de la saison 3 par exemple, Louie croise un vieil ami qui n'est autre que Robin Williams qui joue son propre rôle.

En plus de ces caractéristiques qui amènent leur lot d'hybridation, entre fiction et réalité, ces deux comédies sont innovantes par leur traitement, car elles ne se contentent pas de l'humour léger et « situationnel191 » des sitcoms traditionnelles. Elles vont chercher à aborder des sujets dramatiques et réalistes sous un angle qui reste comique mais plus subtil, enrichissant ainsi les diverses intrigues. Un traitement atypique qui éloigne encore davantage la comédie de son modèle de base.

2.4. Sommes-nous toujours devant des séries télévisées ?

« Une série télévisée peut être définie de façon générique comme une oeuvre de fiction à épisodes, créée pour la télévision, diffusée sur un rythme quotidien ou hebdomadaire sur une période

indéfinie 192».

Bien que ce soit là une définition générique, il est légitime de s'interroger à l'heure actuelle sur l'appellation « série télévisée ». Comme nous l'avons illustré, au cours de la première partie de ce mémoire, le genre sériel n'est pas un genre figé et ses genres fictionnels et ses formats n'ont cessé d'évoluer et de se métisser au gré des innovations et des transformations qu'ils ont subi. Cependant, si nous prenons en considération l'élargissement considérable de l'univers concurrentiel de la télévision avec l'arrivée de producteurs nouveaux, issus d'Internet et diffusant en streaming, certaines caractéristiques qui définissaient jusqu'à aujourd'hui le genre tendent à

191 Le nom sitcom provient du terme américain situation comedy (comédie de situation) et est assez explicite du contenu diégétique de ce type de série : « faire naître le comique à partir d'une ou plusieurs situations ». Source : SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.99.

192 BOUTET Marjolaine, Soixante ans d'histoire des séries télévisées américaines, Revue de recherche en civilisation américaine, [Disponible en ligne : http:// rrca.revues.org/248], 2010, publié le 29 juin 2010, p.2.

103

disparaître. En effet, aujourd'hui, une série n'est plus uniquement télévisée et sa diffusion ne se fait plus par intervalle quotidien ou hebdomadaire. Ce qui demeure de la série télévisée telle que nous la connaissons, c'est son inscription dans l'univers de la fiction, sa construction par épisode, sa durée, qui n'excède pas les 60 minutes et sensiblement la constance des personnages. Car les séries construites en anthologie ne conservent pas les mêmes personnages au fil des saisons.

Au lieu de tenter de classifier vainement ces fictions, qui nous ont prouvé au fil des années et surtout aujourd'hui leur promiscuité avec des domaines et des espaces différents, que ce soit en raison de leur format, de leur structure narrative, de leur réalisation, de leur diffusion ou de leur consommation, nous avons voulu exposer et analyser la vision de Kevin Spacey sur la télévision, lors de son intervention à l'occasion de Edimbourgh International Television Festival en 2013.

« Words like «film» and «television» are signifiers that are useful only to «agents, and managers, and lawyers who use these terms to conduct business deals,» he said. The people, he added, just want stories, and it's their responsibility to give it to them193 ».

En défendant le modèle Netflix au festival d'Edimbourg, Kevin Spacey met en lumière une problématique intéressante, celle de la nécessité pour les acteurs de la filière audiovisuelle de devoir se recentrer sur leur véritable métier au lieu de s'accrocher à une technique, qui détermine leur façon de faire et qui aujourd'hui semble dépassée. L'une des missions des chaînes et des studios de production est de raconter aux publics des histoires au delà des formats, des genres et des espaces qui tendent inexorablement à s'hybrider. L'évolution du genre sériel en témoigne tout comme l'appétence des publics pour les univers fictionnels riches et profonds que permet le storytelling transmedia 194 par exemple. L'évolution des technologies et des modes de consommation fait apparaître la nécessité de se

193 Extrait de l'intervention de Kevin Spacey à Edimbourgh International Television Frestival en 2013 : « Les termes tels que « film » et « télévision » sont des signifiants qui sont uniquement utiles pour les agents, les managers et les avocats qui utilisent ces termes pour signer des contrats. Le publics veulent juste des histoires et notre responsabilité et de leur en raconter ». Source : « Kevin Spacey give an impassioned plea in support of the Netflix model », [disponible en ligne : http://www.ew.com/article/2013/08/28/kevin-spacey-netflix], publié le 28 août 2013, consulté le 05 septembre 2016.

194 Pour Henry Jenkins, le storytelling transmedia est une façon de raconter qui « se déploie sur de multiples plateformes médiatiques, chaque nouveau texte apportant à l'ensemble une contribution différente et précieuse. Dans la conception idéale du storytelling transmedia, chaque média fait ce qu'il sait faire le mieux : un récit peut ainsi être introduit fans un film, puis se développer à travers la télévision, le roman, la bande déssinée ». Source : JENKINS Henry, La culture de la convergence : des médias au transmédia, Paris Editiion Armand Colin, 2013, p. 119.

104

réinventer, de prendre acte et de tirer parti de ses évolutions, au lieu de s'accrocher à un modèle de fonctionnement donné sans remettre en question son bien-fondé, et ce, pour l'unique raison que ce modèle est caractéristique des industries de la culture depuis plusieurs décennies. Nous reviendrons sur cette nécessité de se réinventer dans le dernier chapitre de ce travail qui examinera les avantages et les limites du modèle de Netflix.

3. Vers des contenus inédits ?

Comme nous l'avons vu en examinant la concurrence, la course aux contenus originaux est plus que jamais enclenchée. Face aux grands producteurs de contenus, Netflix dépensera en 2016 près de 2,5 milliards de dollars (contre 1,8 milliard pour HBO)195. Et si Netflix réserve une partie considérable de ce budget pour les séries télévisées, la marque investit de plus en plus dans d'autres types de contenus : des longs métrages mais également des contenus prévus initialement pour la télévision196.

3.1. Etude de cas

« Les programmes n'apparaissent pas, comme on veut nous le faire croire, par des ruptures brusques, mais plutôt par des transformations progressives de formats et de dispositifs197 ».

Parmi les contenus produits ou acquis par le diffuseur, nous avons remarqué que Netflix s'intéresse de plus en plus aux talk-shows, aux stands-up et aux documentaires en tout genre, proposant aux spectateurs d'appréhender ce type de contenus d'une manière assez inédite. La partie ci-dessous a pour but d'illustrer ce type de créations originales Netflix à travers deux cas au succès retentissant.

195 Source : « Netflix détrône HBO pour la qualité de ses programme originaux », Media America, [disponible en ligne : http://mediamerica.org/vod/netflix-detrone-hbo-pour-la-qualite-de-ses-programmes-originaux/], publié le 20 avril 2016, consulté le 25 avril 2016.

196 Notons que les créations originales de Netflix sont soit produites effectivement par Netflix soit diffusées exclusivement sur sa plateforme grâce à une acquisition des droits de diffusion.

197 JOST François, Comprendre la télévision et ses programmes, Armand Colin, Paris, 2009, p. 5.

105

Original Netflix CHEF'S TABLE

Véritable tendance de société, les émissions de cuisine, du simple documentaire aux jeux de télé-réalité se sont multipliées, que ce soit sur les chaînes françaises ou américaines. Surfant sur la tendance, Netflix propose de plus en plus de contenus originaux autour de la gastronomie ou de la cuisine, à l'image de Cooked et Chef's Table. Le succès de ce dernier lui a valu d'être renouvelé pour trois saisons supplémentaires.

Chaque épisode de Chef's Table se concentre sur un chef de renommée internationale en particulier et met en scène son univers. Ce qui caractérise ce documentaire, c'est l'impression de transparence et d'authenticité qui s'en dégage. D'ailleurs, dans l'ouvrage « Télé-réalité » de François Jost, ce dernier démontre et illustre la contagion stylistique des programmes télévisuels par la télé-réalité et ce goût de la réalité et de l'authentique transparait parfaitement dans Chef's Table.

Le premier épisode commence sur des images d'archives qui sont commentées par le Chef italien Massimo Bottura. Plus tard, dans l'épisode nous apercevons le chef en train de déjeuner avec ses collègues discutant et riant aux éclats, puis nous l'apercevons dans des moments d'intimité en compagnie de sa femme, tous deux discutant et assis par terre, sur le tapis du salon. Le documentaire est raconté à travers de petites anecdotes sur la vie du chef dont il est le narrateur, mais parfois, sa femme ou ses collègues prennent la parole pour parler de lui, de son caractère dans la vie de tous les jours, de ses défauts... et nous retrouvons cet aspect de

106

« souveraineté du quotidien des petites gens198 » si caractéristique de la télé-réalité appliqué à une émission de cuisine. Le deuxième épisode conserve le même style et ton ; il s'ouvre sur un deuxième chef en train de faire son jogging matinal en racontant au spectateur son quotidien de chef et l'entrainement que son métier exige.

Figure 7 : Extrait de l'épisode 2 de The Chef's Table

Par ailleurs, il intéressant de relever l'esthétisme et la qualité de ce documentaire à travers des séquences tournées au ralenti, en gros plan, pour une mise en scène artistique des plats et des produits.

Original Netflix MAKING A MURDERER

Making a Murderer est un docu-fiction produit par Netflix et réalisé par Laura Ricciardi et Moira Demos. Les deux réalisatrices ont passé une dizaine d'années à reconstituer l'affaire de Steven Avery, citoyen américaine du comté de Manitowoc dans l'Etat du Winconsin, condamné pour le viol d'une jeune notable de la ville, puis

198 JOST François, Télé-réalité, Collections Myth'O, Editions Cavalier Bleu, 2009, p. 19.

107

innocenté et libéré dix-huit ans après son incarcération. Ce qui bouleverse et interpelle le spectateur dans l'histoire de Steven Avery, c'est l'histoire de cet homme qui a perdu dix-huit ans de sa vie pour un crime qu'il n'a pas commis et qui retourne en prison, 2 ans après sa libération pour un second crime, le meurtre d'un photographe.

Il est intéressant d'examiner la manière dont les deux réalisatrices racontent ce qui semble être un acharnement judiciaire au spectateur. En plus, d'utiliser des images d'archives et des interventions de témoins comme dans un véritable documentaire d'investigation, ce docu-fiction brouille les pistes en empruntant certaines particularités à la fiction : notamment une construction narrative hautement dramatique, l'utilisation du procédé du cliffhanger, ainsi qu'un générique élaboré, esthétique et au temps long, propre aux séries télévisées du câble.

En mettant en oeuvre ces procédés au carrefour du réel et du fictif, Making a Murderer a ému l'Amérique au point de pousser des milliers d'Américains à se mobiliser pour dénoncer les failles du système judiciaire et demander la grâce de Steven Avery. Une pétition sur Change.org a d'ailleurs été adressée au président Barack Obama à laquelle il a répondu, affirmant être dans l'incapacité de libérer l'accusé. La pétition continue de réunir des milliers de signatures199.

Making a Murderer est une création hybride, qui, par sa disponibilité internationale, sa facilité d'accès et sa construction narrative, entre authenticité du réel et dramaturgie de la fiction, « communique » avec la société, passionne et mobilise les foules presque davantage qu'une simple série télévisée fictionnelle.

Tout au long de ce chapitre, nous avons examiné le modèle de production de diffusion de Netflix et son impact sur ses créations originales. Nous avons également tenté d'appréhender d'autres types de contenus créés par le diffuseur afin d'examiner de quelles manières ces derniers s'inscrivent dans une transformation des formats.

L'une des missions de Netflix, comme celle de tout autre producteur de contenu, est de produire et raconter des histoires et ce dernier a mis en place des façons inédites

199 Au 04 avril 2016, la pétition réunit 526 790 signatures. Source : « Pétition au président des Etats-Uins pour libérer Steven Avery », Change.org, [disponible en ligne : https://www.change.org/p/president-of-the-united-states-free-steven-avery], mise à jour de la pétition le 21 janvier 2016, consulté le 04 mars 2016.

108

de le faire. Au lieu de tenter de classifier ces formats ou de remettre en question sa légitimité créative, nous avons fait émerger la manière dont ses contenus originaux racontent tous une histoire : celle des amoureux de la cuisine, d'un homme accusé à tord ou d'un député démocrate qui devient président. Nous avons aussi tenté de montrer comment son dispositif de diffusion en ligne est adapté au type de contenus qu'il produit en plus d'être en phase avec les modes de consommation actuels.

Par ailleurs, il est intéressant de voir que des contenus autres que les séries télévisées tendent à se sérialiser. Il est vrai que bon nombre de documentaires diffusés sur des chaînes classiques fonctionnent sur une logique d'épisodes mais jamais cette logique de sérialisation (par épisode et par saison) n'a été aussi évidente aux yeux du spectateur. C'est le cas du documentaire The Chief's Table, que nous avons examiné plus haut.

Enfin, si Netflix s'intéresse aujourd'hui à des contenus initialement télévisuels (documentaires, talk-shows, stands-up, etc.), c'est que le créateur-diffuseur a pour ambition de devenir « le premier réseau de télévision mondial200 », ce qui implique de mettre à disposition mondialement des contenus diversifiés et donc produire en interne et acheter les droits. Nous allons nous intéresser à cette ambition, à sa légitimité et à ses limites dans le dernier chapitre de ce mémoire.

Chapitre II

Vers un réseau de télévision mondial ?

Nous l'avons vu en examinant la concurrence, produire ses propres contenus semble aujourd'hui une nécessité pour les différents acteurs de la filière audiovisuelle s'ils veulent rester dans la course et perdurer. Car le déploiement à l'international que visent les acteurs issus d'Internet (en plus d'Amazon, Google et Apple envisagent également de produire en interne) et même des chaînes telles que HBO nécessite, non seulement, des contenus qui s'adaptent aux spécificités des pays et des cultures convoités mais également une production et une acquisition massives et régulières, sans cesse renouvelées, de ces contenus. Des ambitions qui présentent des

200 Extrait du discours de Reed Hashtings lors du Consumer Electronic Show de Las Vegas (CES) 2016.

109

avantages pour ces acteurs ainsi que pour les publics, mais qui ne sont pas sans poser quelques difficultés.

1. Légitimité et avantages du modèle de Netflix

Aujourd'hui, Netflix, instigateur de ce modèle d'intégration des compétences (production-diffusion) est le seul acteur qui a une présence aussi déployée à l'international (190 pays). En promettant de consacrer 5 milliards pour la production de contenus en 2016, la marque démontre sa volonté de diversifier sa production (séries télévisées, talk-shows, stands-up, documentaires, animations, longs-métrage) et de s'implanter comme le premier réseau de télévision mondial en produisant elle-même et en continuant à acheter des contenus auprès des ayants-droits (studios de production et chaînes concurrentes).

1.1. Des contenus locaux

En optant pour des contenus locaux, Netflix espère braver les barrières culturelles et linguistiques spécifiques à chaque pays et séduire de nouveaux abonnés ainsi que les dirigeants du paysage audiovisuel de ces pays, en injectant quelques millions dans leur économie. La série Marseille sera donc sa première production européenne pour la France, tournée en français et avec un scénariste et des acteurs locaux. Pour créer la série, la firme confirme avoir effectué une analyse sur les abonnés français qui a fait ressortir, sous formes de « tags », leurs préférences : appétit pour les séries noires, pour les histoires de corruption, pour les scénarios autour de l'autorité et la police, etc. Disponible mondialement sur le catalogue de Netlfix à partir du 5 mai 2016, Marseille sera également diffusée sur TF1. Mais cette série qui a pour ambition d'être un House of Cards à la française recueille déjà de mauvaises critiques. Les cinq premiers épisodes de la série ont été présentés aux journalistes qui n'ont eu aucune pitié pour l'oeuvre, la qualifiant de premier « navet » maison de Netflix ou encore d'accident industriel201. Pour l'heure, il est trop tôt pour se prononcer sur la qualité de la série car elle n'est toujours pas accessible aux

201 Critiques de la série Marseille, sources : « Marseille, et soudain c'est le drame », Séries TV blog, Le Monde, [disponible en ligne : http://seriestv.blog.lemonde.fr/2016/04/28/marseille-et-soudain-cest-le-drame/], publié le 28 avril 2016, consulté le 30 avril 2016. Et « Carton rouge pour Marseille, la première série française de Netflix », Télérama, [disponible en ligne : http://www.telerama.fr/series-tv/carton-rouge-pour-marseille-la-premiere-serie-francaise-de-netflix,141193.php], publié le 05 mai 2016, consulté le 05 mai 2016.

110

publics. Et ce sont ces derniers qui ont toujours fait le succès ou l'échec des séries télévisées.

Par ailleurs, cette initiative de production locale a encouragé d'autres acteurs, comme ICFLIX. Comme nous l'avons vu dans une partie précédente, ce diffuseur Emirati multiplie les accords avec des pays comme le Maroc et la Tunisie pour financer et produire localement. La production locale peut s'avérer très fructueuse, dans le sens où elle contribue à soutenir des artistes inconnus du public et à donner la chance aux projets d'auteurs.

1.2. Une consommation en phase avec les publics

En traitant de l'accès généralisé à la culture et à l'information, nous avons mis en lumière les exigences des publics qui ont aujourd'hui la possibilité, grâce aux NTIC, d'aller chercher les contenus sur divers espaces, selon leurs envies : sur Netflix, sur TF1, en téléchargement illégal, au cinéma, etc. En effet, les contraintes liées à la rareté de l'offre ou à l'accès aux oeuvres étant révolues, les publics sont aujourd'hui libres de consommer à leur guise. Nous avons également montré, à travers l'analyse du dispositif de Netflix et de son modèle de diffusion que la marque a su comprendre et s'adapter aux modes consommation actuels et à intégrer l'appétence des publics pour des contenus de qualité. En mettant en avant un catalogue exclusif et des productions à gros budgets, Netflix espère justifier le prix de son abonnement, conserver ses abonnés et en séduire de nouveaux. Dans ce sens, deux stratégies de Netflix méritent d'être examiné :

- Faire de la Ultra HD 4K202 une priorité : Pour accompagner la progression des équipements des ménages, Netflix propose de nombreux contenus en Ultra HD 4K. Les contenus en 4K étant encore assez rares, Netflix et les fournisseurs de jeux vidéo sont les principaux fournisseurs sur le marché203.

- Des contenus en exclusivité sur la plateforme : Netflix a présenté son premier long-métrage, Beast of No Nation, en exclusivité lors du Netflix Festival à Paris en octobre 2015. Cependant le film n'est pas sorti en salles en

202 Résolution quatre fois supérieure que la Full HD.

203 Source : « Moniteur 4K », Clubic, [disponible en ligne : http://www.clubic.com/materiel-informatique/ecran-lcd/article-755323-1-acheter-moniteur-4k.html], publié le 24 février 2015, consulté le 09 avril 2016.

111

France car Netflix a préféré le rendre disponible sur sa plateforme de S-VOD, contournant ainsi la « chronologie des médias » qui ne permet pas de faire passer un film en salle et sur une plateforme de S-VOD simultanément. Nous nous pencherons sur cette loi en analysant les limites du modèle.

1.3. Vers une démocratisation de la consommation audiovisuelle en différé ?

En produisant des contenus destinés initialement à la télévision, Netflix a compris que sa pérennité pouvait passer par là. En effet, les coûts d'acquisition de films et de séries télévisées pour une diffusion en streaming ont énormément augmenté depuis les débuts de la firme et son premier partenariat avec la chaîne Starz. Et si Netflix ne compte pas s'attaquer pour le moment aux contenus en direct, comme le retransmissions sportives, dont les droits de diffusion atteignent des sommes démesurées, la firme devrait proposer un talk-show, diffusé peu de temps après son enregistrement. En effet, et à l'exception des rencontres sportives et des journaux télévisées, il semblerait que tout contenu audiovisuel puisse se regarder en différé. D'ailleurs, la croissance de la consommation délinéarisée des contenus audiovisuels en témoigne204. Et bien que cette consommation concerne essentiellement les séries et les films, cela pourrait s'étendre à d'autres programmes grâce à des initiatives comme celle de Netflix, par exemple, et en raison de la croissance d'une population initiée, pour qui regarder en différé devient naturel.

2. Les limites du modèle

En arrivant en France, les utilisateurs ont reproché à Netflix un catalogue pauvre et des contenus pas assez récents. En effet, les réglementations locales et notamment la « chronologie des médias » font émerger des difficultés qui freinent le développement de l'acteur à l'international. Par ailleurs, si ses investissements conséquents dans la production et l'achat de contenus peuvent lui permettre de s'affranchir des préoccupations législatives, les créations originales Netflix font planer des menaces sur d'autres acteurs de la filières : les studios de production et les chaînes classiques.

204 Source : « Regarder la TV en différé entre dans les habitudes », Direct Matin, [disponible en ligne : http://www.directmatin.fr/media/2013-01-30/regarder-la-tv-en-differe-entre-dans-les-habitudes-361795], publié le 30 janvier 2013, consulté le 30 mars 2016.

112

2.1. Coopération et compétition

Netflix traite avec les mêmes acteurs qui sont aujourd'hui ses rivaux. Ils ont besoin l'un de l'autre : Netflix pour alimenter son catalogue, les chaînes et les studios pour rentabiliser leurs contenus vieillissants, à l'image de Canal + qui avait acquis les droits de diffusion exclusifs de House of Cards et de TF1 qui compte diffuser Marseille à partir du 12 mai. Cependant, nombre d'acteurs essaient aujourd'hui d'assurer leur propre distribution en ligne (HBO Now par exemple), ou commencent à revoir leurs accords les liant à des services de vidéo par abonnement pour couper la coopération avec Netflix et autres services de S-VOD qui menacent leur existence. Le premier partenaire de Netflix, la chaîne Starz, n'a d'ailleurs pas renouvelé le contrat concernant le streaming de son catalogue après son terme en 2012205. Dans cette course contre la montre, Netflix compte sur ses investissements colossaux en production de contenus pour prendre de vitesse ses concurrents. Néanmoins, la rentabilité pourrait s'avérer plus élevé qu'escompté.

D'un autre côté, cet univers marqué par la coopétition et un élargissement de la concurrence a également contribué à une inflation des coûts des contenus. Cette dernière est nourrie par les dépenses conséquentes de l'acteur dans la production de contenus et d'une demande considérable et qui ne cesse de s'accroître. Dans ce sens, Netflix aurait peut être intérêt à « remonter » encore davantage dans la chaîne de valeur en faisant l'acquisition de son propre studio de production. Cette hypothèse a été émise après une étude menée par les analystes de Barclay Research206 et semble être une solution face à l'inflation des coûts et pour continuer à proposer des contenus originaux.

2.2. Les obstacles technologiques

Dans son développement à l'international, le service de Netflix est amené à « fonctionner » dans des pays qui ne possèdent pas les infrastructures nécessaires

205 Source : « Le groupe de médias STARZ ne renouvelle pas son accord avec Netflix », Stratégies, [disponible en ligne : https://www.strategies.fr/afp/20110901225216/usa-le-groupe-de-medias-starz-ne-renouvelle-pas-son-accord-avec-netflix.html], publié le 01 septembre 2015, consulté le 15 avril 2016.

206 Source : « Netflix could be in the market to buy a studio », Business Insider, [disponible en ligne : http://uk.businessinsider.com/netflix-could-be-in-the-market-to-buy-a-studio-2016-3?r=US&IR=T], publié le 23 mars 2016, consulté le 15 avril 2016.

113

avec une faible pénétration de l'Internet haut-débit, c'est le cas des pays d'Afrique centrale. Aussi, certains pays comme le Maroc par exemple, où l'échange de devises est contrôlé, présentent un usage moins répandu de cartes bancaires internationales. Des obstacles qui pourraient freiner la souscription de nouveaux utilisateurs.

2.3. Les barrières réglementaires

« Considérer systématiquement les oeuvres en fonction de leur format amène [...] à des contresens et à un décalage dangereux avec le public, qui ne vit pas son accès aux médias et à la culture sur un tel mode cloisonné207

Lors de la sortie du film Beast of No Nation aux Etats-Unis, de nombreuses salles de cinéma comme AMC, Carmike, Cinemark et Regal ont annoncé leur intention de boycotter la projection du film. Pour ces exploitants, faire la promotion du film dans leurs salles revenait à encourager les publics à le regarder de chez eux sur Netflix208. Cependant, et comme nous l'avons traité précédemment, la numérisation des contenus, la multiplication des possibilités d'accès et la libération des modes de diffusion des oeuvres ont transformé les habitudes et les attentes des publics. Et l'idée de vouloir contrôler ce qu'ils font et comment ils consomment est de plus en plus illusoire.

En outre, la « chronologie des médias », une loi qui veille à régulariser le paysage audiovisuel français et qui régit l'ordre de l'apparition d'un film sur les différents supports de diffusion, présente plusieurs limites. A sa sortie, une oeuvre cinématographique passe d'abord en salle avant d'être disponible 4 mois plus tard en vidéo (support physique ou VOD). Puis la diffusion passe aux chaînes payantes, 10 mois plus tard, pour ensuite atterrir entre les mains des chaînes gratuites, après 22 ou 27 mois (en fonction de leur investissement dans l'oeuvre209). Ce n'est qu'au

207 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po, Paris, 2014, p.27.

208 Au Etats-Unis, Beast of No Nation était disponible en simultané (en salle et sur la plateforme). Netflix n'a pas respecté la fenêtre des 90 jours dont bénéficient les films qui sortent en salle avant d'être disponible sur d'autres canaux. Source : « Netflix se lance dans le cinéma et ça ne plait pas aux exploitants de salles américains », [disponible en ligne : http://www.clubic.com/mag/culture/actualite-783236-netflix-cinema-plait-exploitants-salles-americains.html], publié le 09 octobre 2015, consulté le 15 avril 2016.

209 Les chaînes sont tenues de contribuer au financement des oeuvres cinématographiques françaises. Source : « La télévision enchaînée au cinéma français », INA Global, [disponible en ligne : http://www.inaglobal.fr/cinema/article/la-television-enchainee-au-cinema-francais-8520], publié le 14 septembre 2015, consulté le 03 mai 2016.

114

bout de 3 ans que le film est disponible en S-VOD (figure 8). D'où le choix opéré par Netflix de diffuser Beat of No Nation uniquement sur sa plateforme. En effet, la S-VOD est reléguée au dernier rang pour des raisons qui sont de moins en moins pertinentes au regard du contexte actuel. Et même si les préconisations du rapport LESCURE du printemps 2013 voudraient que l'on exploite les films plus rapidement, proposant un abaissement de 18 mois pour la S-VOD, les opérateurs de la filière cinématographique restent réfractaires à ce type de propositions et ce délai reste encore trop long.

Pourtant, les acteurs du paysage audiovisuel français auraient un intérêt certain à prendre le pli en rendant les réglementations plus souples. Surtout que les publics ainsi que les nouveaux entrants, comme Netflix, trouvent aujourd'hui les moyens de les contourner210.

Figure 8 : Chronologie des médias en France211

En plus du respect de la chronologie des médias, Netflix est susceptible de se heurter à d'autres types de règlementations, spécifiques à chacun des 190 pays où il est installé. Au Kenya, par exemple, la plateforme pourrait être bloquée en raison du

210 Pour échapper à la rigidité des réglementations françaises (fiscalité et exception culturelle), Netflix a choisi de se lancer en France à partir du Luxembourg. Néanmoins, en s'installant en France, Netflix s'est engagé à respecter la chronologie des médias.

211 Source : « Netflix respectera la chronologie des médias en France », Clubic, [disponible en ligne : http://www.clubic.com/television-tv/video-et-streaming/vod/actualite-721897-netflix-france-tarifs-catalogue-chronologie.html], publié le 20 août 2014, consulté le 03 mai 2016.

115

non respect des « des valeurs morales et de la sécurité nationale »212. Des pays comme le Kenya sont très attachés à la nécessité de préserver leurs valeurs nationales et l'arrivée d'un diffuseur inédit qui diffuse toute sorte de contenu sur Internet soulève des questions politiques auxquelles les dirigeants de la firme devront répondre.

212 Source : « Le Kenya débat sur la régulation des contenus de vidéo à la demande proposée par Netflix », [disponible en ligne : http://www.agenceecofin.com/internet/2101-35272-kenya-debat-sur-la-regulation-des-contenus-de-video-a-la-demande-proposee-par-netflix], publié le 21 janvier 2016, consulté le 03 mai 2016.

116

CONCLUSION GENERALE

Tout au long de ce travail nous avons tenté appréhender l'impact de la numérisation sur la filière audiovisuelle pour cerner les bouleversements qu'elle engendre au niveau structurel, mais également sur les pratiques des spectateurs et sur leur rapport aux contenus audiovisuels. Pour arriver à cerner ces bouleversements, ou en tout cas, pouvoir en cerner une partie, nous nous sommes attaché à analyser le cas de Netflix en prenant comme prisme principal pour examiner l'évolution des contenus audiovisuels : les séries télévisées. Nous avons donc voulu répondre à la question de recherche suivante : dans quelle mesure Netflix s'inscrit dans une révolution des contenus audiovisuels ?

Si force est de constater qu'aujourd'hui qu'il y a bel est bien une révolution des contenus audiovisuels dans les modes production, mais également dans leur réception, il est surtout intéressant de noter que ce phénomène d'hybridation que nous avons tendance à voir comme nouveau et, en particulier, comme le résultat de la généralisation de l'utilisation d'Internet et de la multiplication des supports et des écrans est, en fait, un phénomène caractéristique de l'impact de toute amélioration technologique massive sur les façons de produire mais aussi sur les structures industrielles. Ainsi, notre première hypothèse s'est appliquée à déconstruire ce « mythe de l'hybridation » à travers l'analyse de l'évolution du paysage audiovisuel américain et de la concurrence, de l'évolution des séries télévisées et des raisons qui ont menées au métissage des formules, à la « recombination » des genres narratifs et l'apparition de cette télévision de qualité, caractéristique du deuxième âge d'or de la télévision américaine. Nous avons également perçu cette hybridation, très tôt, dans les pratiques des publics avec l'apparition de la télécommande, du magnétoscope, des DVD ou encore des différents appareils d'enregistrement. Ainsi, nous pensons que si aujourd'hui ces mouvements d'hybridation sont davantage observables, c'est que le numérique contribue à les expliciter et surtout à les accélérer.

En nous intéressant au cas de Netflix, nous avons observé comment ce dernier a su mettre à profit les évolutions technologiques de l'époque actuelle pour mettre en place une offre davantage orientée vers le spectateur, quitte à délaisser un modèle établi depuis des décennies et remettre en question les présupposés sur lesquels

117

fonctionne la filière audiovisuelle. Car la révolution des contenus audiovisuels n'a pas attendu Netflix pour se mettre en marche. L'initiative louable de cet acteur a surtout été dans sa capacité à cerner les attentes des spectateurs et de leur proposer un dispositif et une offre qui y répondent. Avec la numérisation des contenus, de nouveaux moyens d'accès sont apparus et ont modifiés les attentes et les habitudes des publics. Nous avons tenté d'expliciter cette transformation des pratiques à travers le cas des communautés sériephiles et du développement de véritables réseaux de distribution sur le web, qui ont pour objectif d'apporter une solution plus adaptée que celle des chaînes de télévision. En étant en mesure d'accéder presque à tout type de contenu, dès le moment de sa diffusion mondiale, les spectateurs sont alors en mesure de contourner les barrières légales même si cela à pour conséquence de les incriminer. Dans ce sens, l'offre proposée par Netflix permet de bien des manières de faire sortir cette révolution de son statut condamnable et répréhensible.

Enfin, dans la dernière partie de notre travail, nous avons tenté d'expliciter les répercussions des modèles de production et de diffusion de Netflix (produire d'un coup et mettre en ligne en une fois) sur ses productions originales. Nous avons pu mettre en lumière des hybridations notables sur la construction narrative de ses séries dramatiques conçues pour donner un effet long-métrage, toujours dans cette même optique de binge-watching mais aussi l'abandon du cliffhanger systématique de fin d'épisode qui caractérise encore aujourd'hui la diffusion hebdomadaire des chaînes traditionnelles pour un cliffhanger en fin de saison. Nous avons montré l'émergence de genres inédits : la série dramatique documentaire à travers le cas de Making a Murderer et la comédie autobiographique à l'image de Master of None. Nous avons également montré l'intérêt de Netlfix pour la diffusion de contenus davantage « télévisuels » comme les émissions culinaires ou les talk-shows, dans une ambition de développer un réseau de télévision à l'international et d'accompagner une consommation en différé et une autonomie du spectateur que le numérique favorise et installe.

Aujourd'hui, nous sommes face à un acteur qui a intégré la nécessité de se réinventer pour accompagner les évolutions technologiques et en tirer parti. Un acteur qui adopte une vision progressiste et qui permet aux ambitions auteuristes

118

d'émerger, à l'image de ce que a été la chaîne HBO dans les années 1990. Si Netflix s'inscrit sans doute aucun dans une révolution des contenus audiovisuels, cette révolution ne fait que commencer. Car, si les différents monopoles comptent sur les barrières réglementaires pour sécuriser leur existence, les publics trouveront toujours des manières de les contourner, se tournant parfois vers des alternatives plus adaptées, moins régulées ou carrément illégales. Cette émancipation des foules met en évidence l'illusion de ces barrières règlementaires, à l'image de Hadopi, Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet, dont l'efficacité n'a cessé d'être remise en cause depuis sa création, comme en témoigne la volonté des députés aujourd'hui de supprimer l'organisme213. Cependant, des initiatives, davantage tournées vers les attentes des publics, sont à noter aujourd'hui. Le 17 mai 2016, l'Union Européenne adopte une proposition de loi qui permettrait d'uniformiser les catalogues d'offres pour la S-VOD à partir de 2017214, rendant ainsi disponible les mêmes contenus sur le Netflix France et sur le Netflix Allemagne par exemple. Si cette initiative risque d'être difficile à appliquer en France, à cause de la chronologie des médias, elle témoigne de la prise en compte par les instances de régulation de la nécessité d'accompagner les évolutions technologiques pour être en phase avec les attentes des publics et orienter l'activité au sein du marché de l'audiovisuel.

213 « La fin d'Haopi, c'est pour bientôt », Challenges, [disponible en ligne :

http://www.challenges.fr/challenges-soir/20160502.CHA8626/isabelle-attard-la-fin-de-l-hadopi-c-est-pour-bientot.html], publié le 02 mai 2016, consulté le 20 mai 2016.

214 « L'Europe adopte l'uniformisation des catalogues pour la SVOD », HDnumérique, [disponible en ligne : http://www.hdnumerique.com/actualite/articles/15502-leurope-adopte-luniformisation-des-catalogues-pour-la-svod.html],consulté le 15 mai 2016.publié le 17 mai 2016, consulté le 20 mai 2016.

119

Bibliographie

Ouvrages :

ASTIC Guy, Twin Peaks : les laboratoires de David Lynch, Edition Rouge Profond, Pertuis, 2005.

BAYM, Nancy K. Tune in, Log on :Soaps, Fandom, and Online Community, SAGE publications, 1999.

BENASSI Stéphane, séries et feuilletons TV : pour une typologie des fictions télévisuelles, Edition du Céfal, 2000.

BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction française, 2013.

CHION Michel, David Lynch, Edition de l'Etoile/Cahier du cinéma, 2007.

COLONNA Vincent, L'art des séries télé 2 : l'adieu à la morale, Editions Payot & Rivage, Paris, 2010.

DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po, Paris, 2014.

ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010.

JENKINS Henry, La culture de la convergence : des médias au transmédia, Paris Editiion Armand Colin, 2013.

JOST François, Comprendre la télévision et ses programmes, Armand Colin, Paris, 2009.

JOST François, Introduction à l'analyse de la télévision, Edition Ellipses, Paris, Collection INFOCOM, 2004.

JOST François, Télé-réalité, Collections Myth'O, Editions Cavalier Bleu, 2009.

NEWCOMBE Horace et ALLEY Robert, The Producer's Medium : Conversations with Creators of American TV , Oxford University Press, New York, Reprint, 1985.

SAINT-GELAIS Richard, Fictions transfuges : la transfictionnalité et ses enjeux, Edition du Seuil, 2011.

SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011.

THOMPSON, Robert J, Television's Second Golden Age: From Hill Streets Blues to ER, Syracuse University Press, 1996.

120

Articles et revues :

GAYRAUD Agnès et HEUGUET Guillaume, De l'industrie musicale à la rhétorique du « service ». Youtube : une description critique, Communication & langages, 184, 2015, p. 101-119.

Sources électroniques :

- Revues et articles :

BOUTET Marjolaine, Soixante ans d'histoire des séries télévisées américaines, Revue de recherche en civilisation américaine, [Disponible en ligne : http:// rrca.revues.org/248], 2010, publié le 29 juin 2010, p 2-4.

CHANIAC, Régine, Europe : vers la convergence ?, dans Médiamorphoses, INA, Bry-sur-Marne, 2007, [Disponible en ligne :

http://documents.irevues.inist.fr/handle/2042/23573, publié le 23 mars 2009, p. 3.

DE MEYER Thibault, « CARDON Dominique, A quoi rêvent les algorithmes », Lecture [Disponible en ligne : http://lectures.revues.org/20554], Les comptes rendus, 2016, publié le le 05 avril 2016.

ESQUENAZI Jean-Pierre, l'inventivité à la chaîne, formules des séries télévisées, Université de Lyon II, MEI « Médiation et information », n° 16, [PDF], 2002, p.3.

MOUSSEAU Jacques, La télévision aux USA, Communication et Langages n°63, 1er trimestre 1985, [Disponible en ligne : http://www.persee.fr/doc/colan0336-

1500 1985 num 63 1 1667], publié le 15 octobre 2015, p.11.

PERTICOS, Lucien, Les industries culturelles en mutation : des modèles en question, Revue française des sciences de l'information et de la communication [Disponible en ligne : http://rfsic.revues.org/112 ], publié 05 septembre 2012, p.29.

- Thèse :

COMBES Clément. La pratique des séries télévisées : une sociologie de l'activité spectatorielle. [Disponible en ligne : https://halshs.archives-ouvertes.fr/pastel-00873713/document] Thèse de doctorat. Economies and finances. Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris, 2013.

- Etudes et enquêtes :

DONNAT, Olivier, Enquête sur les pratiques culturelles des Français, 2008 : http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/doc/08synthese.pdf

Dossier CNC #329, « Le marché de la vidéo », Mars 2014.

121

LARCENEUX Fabrice, Tests statistiques sur l'hyperchoix et les stratégies du consommateur, Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie, Cahier de recherche n°226, 2006, p.6.

Les études du CNC, « Les nouveaux usages de la télévision connectée, » décembre 2012

Sites web :

« L'Europe adopte l'uniformisation des catalogues pour la SVOD », HDnumérique, [disponible en ligne : http://www.hdnumerique.com/actualite/articles/15502-leurope-adopte-luniformisation-des-catalogues-pour-la-svod.html],consulté le 15 mai 2016.publié le 17 mai 2016, consulté le 20 mai 2016.

« La fin d'Haopi, c'est pour bientôt », Challenges, [disponible en ligne : http://www.challenges.fr/challenges-soir/20160502.CHA8626/isabelle-attard-la-fin-de-l-hadopi-c-est-pour-bientot.html], publié le 02 mai 2016, consulté le 20 mai 2016.

« Communiqué de presse », Canal Plus Groupe, [disponible en ligne : http://www.canalplusgroupe.com/communiquesdepresse.html?typeView=modeIcon& annee=&theme=&page=7],consulté le 15 mai 2016.

« BitTorrent domine toujours le trafic en amont sur Internet », Contourner Hadopi, [disponible en ligne : https://www.contournerhadopi.com/7102/bittorrent-domine-toaujours-le-trafic-en-amont-dinternet/], publié le 24 décembre 2015, consulté le 5 mai 2016.

« Dans quel pays Netflix est-il disponible ? », Netflix, [Disponible en ligne : https://help.netflix.com/fr/node/14164], consulté le 20 février 2016.

« Federal Communications Commission », Wikipédia, [disponible en ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Federal_Communications_Commission],consulté le 15 septembre 2015.

« Comment fonctionne la TV américaine », Mes séries TV, [disponible en ligne : http://www.messeriestv.fr/2012/04/23/comment-fonctionne-la-tv-americaine-2/], publié le 23 avril 2012, consulté le 15 septembre 2015.

« La logique de spécialisation des chaînes américaines », Industrie culturelle, [disponible en ligne : http://industrie-culturelle.fr/industrie-culturelle/la-logique-de-specialisation-des-chaines-americaines-jerome-david/], publié le 26 février 2013, consulté le 06 octobre 2015.

« Has Married...With Children been muzzled? », Entertainment Weekly, [disponible en ligne : http://www.ew.com/article/1990/02/16/has-marriedwith-children-been-muzzled], publié le 16 février 1990, consulté le 10 mars 2016.

122

« Charles Dolan Net Worth », The Richest, [disponible en ligne : http://www.therichest.com/celebnetworth/celebrity-business/men/charles-dolan-net-worth/], consulté le 10 mars 2016.

« Charles Dolan », Wikipédia, [disponible en ligne :

https://en.wikipedia.org/wiki/Charles Dolan ], consulté le 10 mars 2016

« Chris Albercht », Wikipédia, [disponible en ligne :

https://en.wikipedia.org/wiki/ChrisAlbrecht], consulté le 10 mars 2016

« Glossaire des séries TV », Arte, [disponible en ligne :

http://www.arte.tv/sites/dimension-series/glossaire-des-series-tv/ ], consulté le 05 janvier 2016.

« Twin Peaks toujours culte », Le Monde, [disponible en ligne : http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/10/07/twin-peaks-toujours-culte45021623246.html#2VJJHkjuOs6wgb4C.99], publié le 07 octobre 2014, consulté le 12 mars 2016.

« La fermeture de Megaupload en trois questions », France TV Info, [disponible en ligne : http://www.francetvinfo.fr/culture/la-fermeture-de-megaupload-en-trois-questions 52829.html], publié le 19 janvier 2012, consulté le 10 février 2016

« Popcorn Time », Wikipédia, [disponible en ligne :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Popcorn_Time], consulté le 11 février 2016.

« Popcorn Time, les déboires du Netflix du piratage », Le Monde, [disponible en ligne : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/10/27/popcorn-time-les-deboires-du-netflix-du-piratage47976154408996.html#8LlT7eDxy5APpoJ8.99], publié le 27 octobre 2015, consulté le 11 février 2016.

« Popcorn Time online, une version directement dans le navigateur », L'informaticien, [disponible en ligne : www.linformaticien.com/actualites/id/39442/popcorn-time-online-une-version-directement-dans-le-navigateur.aspx], publié le 04 février 2016, consulté le 11 février 2016.

« Interview de Xavier Albert, Netflix France », E-marketing, [disponible en ligne : www.e-marketing.fr - "[Interview] Xavier Albert, Netflix France : "Notre mot d'ordre : sortir des sentiers battus""], publié le 30 juin 2015, consulté le 02 mars 2016.

« Réponses à vos questions : Pourquoi diffusez-vous les épisodes des séries comme "The Mentalist" ou "Esprits criminels" dans le désordre ? Nous, téléspectateurs, sommes confus », TF1 et vous, [disponible en ligne : http://www.tf1.fr/tf1-et-vous/reponse-a-vos-questions/diffusion-des-series-pourquoi-diffusez-vous-les-episodes-des-5710275.html], publié le 14 octobre 2010, consulté le 30 mars 2016.

123

« Pourquoi la France double-t-elle tout le monde ? » Slate, [disponible en ligne : http://www.slate.fr/story/18195/pourquoi-la-france-double-t-elle-tout-le-monde], publié le 04 mars 2010, consulté le 20 mars 2016.

« Campagne de communication The Rat », Compte Youtube Netflix US & Canada, [disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=N8t6LljeE&feature=youtu.be], publié le 10 novembre 2015, consulté le 20 novembre 2015.

« L'année 2015 : le multi-écrans se généralise et influence les pratiques des internautes », Médiamétrie, [disponible en

ligne : http://www.mediametrie.fr/internet/communiques/l-annee-internet-2015-le-multi-ecrans-se-generalise-et-influence-les-pratiques-des-internautes.php?id=1418], publié le 25 février 2016, consulté le 07 avril 2016.

« Les industries créatives », Wikipédia, [disponible en ligne :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Industries_cr%C3%A9atives], consulté le 02 novembre 2015

« Le dégroupage au coeur de la bataille de l'ADSL », Zdnet, [disponible en ligne : http://www.zdnet.fr/actualites/le-degroupage-au-coeur-de-la-bataille-de-l-adsl-en-2003-39134549.htm], publié le 24 décembre 2003, consulté le 09 avril 2016.

« 1999-2009, dix ans du web français à la loupe », Journal du net, [disponible en ligne : http://www.journaldunet.com/ebusiness/le-net/dossier/1999-2009-dix-ans-de-web-francais-a-la-loupe/2002-free-prefigure-l-offre-triple-play-avec-sa-box.shtml], publié 23 décembre 2009, consulté le 09 avril 2016.

« La télévision IP », Wikipédia, [disponible en ligne :

https://fr.wikipedia.org/wiki/T%C3%A9l%C3%A9visionIP], consulté le 09 avril 2016.

« Netflix si now available around the world », Netflix, [disponible en ligne : https://media.netflix.com/fr/press-releases/netflix-is-now-available-around-the-world], publié le 06 janvier 2016, consulté le 08 janvier 2016.

« Google mise sur les youtubeurs stars pour relancer Youtube red », radio-monaco, [disponible en ligne : http://www.radio-monaco.com/news/culture/item/9571-google-mise-sur-des-youtubeurs-stars-pour-relancer-youtube-red], publié le 08 février 2016, consulté le 30 mars 2016.

« La première série originale est en production avec Dr Dre », Numerama [disponible en ligne : http://www.numerama.com/pop-culture/145797-la-premiere-serie-originale-est-en-production-avec-dr-dre.html], publié le 16 février 2016, consulté le 30 mars 2016.

« ICFLIX », Wikipédia, [disponible en ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Icflix], consulté le 30 mars 2016.

« Time Warner's Bewkes: Piracy of HBO Game of Thrones Is Better Than an Emmy », Variety, [disponible en ligne : variety.com/2013/digital/news/time-warners-

124

bewkes-piracy-of-hbo-game-of-thrones-is-better-than-an-emmy-1200575271], publié le 07 août 2013, consulté le 02 janvier 2016.

« Comme Netflix exploiter la puissance des algoritthmes », Usine Digitale,

[disponible en ligne : http://www.usine-digitale.fr/article/5-comme-netflix-exploiter-la-puissance-des-algorithmes.N270377], publié le 25 juin 2014, consulté le 29 janvier 2016.

« Netflix dépasse les 75 millions d'utilisateurs », Challenges, [disponible en ligne : http://www.challenges.fr/internet/20160120.CHA4095/netflix-depasse-les-75-millions-d-utilisateurs.html], publié le 19 novembre 2014, consulté le 29 janvier 2016.

« Comment regarder Netflix France depuis l'étranger ? », Netflix France, [disponible en ligne : http://www.netflix-france.net/tuto/2014/11/19/comment-regarder-netflix-france-depuis-letranger-351/], publié le 20 janvier 2016, consulté le 29 janvier 2016.

« How Netflix reverse engenireed hollywood », The Atlantic, [disponible en ligne : http://www.theatlantic.com/technology/archive/2014/01/how-netflix-reverse-engineered-hollywood/282679/ ], publié le 02 juin 2014, consulté le 15 mars 2015.

« Netflix et le culte du big data », France 24, [disponible en ligne :

http://www.france24.com/fr/20140521-netflix-france-big-data-house-cards-television-algorithme-recommandation-internet-svod], publié le 21 mai 2014, consulté le 15 mars 2016.

« Netflix declarees binge-watching is the new normal », PR newswire, [disponible en ligne : http://www.prnewswire.com/news-releases/netflix-declares-binge-watching-is-the-new-normal-235713431.html], publié le 13 décembre 2013, consulté le 15 mars 2016.

« House of Cards watching in high defintion », Procera, [disponible en ligne : https://www.proceranetworks.com/blog/house-of-cards-binge-watching-in-high-definition], publié le 20 février 2014, consulté le 15 mars 2016.

« Netflix & Chill », Fusion, [disponible en ligne : http://fusion.net/story/190020/netflix-and-chill/], publié le 28 août 2015, consulté le 11 mars 2016.

« Walking Dead : bilan de la saison 6 », Binge by Konbini, [disponible en ligne : http://biiinge.konbini.com/series/walking-dead-bilan-saison-6/], publié le 21 avril 2016, consulté le 30 avril 2016.

« Le showrunner de The Walking Dead revient sur le final controversé », Binge by Konbini [disponible en ligne : http://biiinge.konbini.com/series/showrunner-the-walking-dead-final/], publié le 21 avril 2016, consulté le 30 avril 2016.

« Publication The Walking Dead », Page Facebook The Walking Dead, [disponible en ligne : https://www.facebook.com/TheWalkingDeadAMC/photos/a.169719483054218.51327 .110475388978628/1471959512830202/?type=3&theater], publié le 04 avril 2016, consulté le 21 avril 2016.

125

« A mi-chemin entre la télévision et le cinéma House of Cards est unique en son genre », L'express, [disponible en ligne : http://www.lexpress.fr/culture/tele/a-mi-chemin-entre-television-et-cinema-house-of-cards-est-unique-en-son-

genre 1221144.html], publié le 29 août 2013, consulté le 02 septembre 2015.

« How Netflix's House of Cards breaks TV », Tested, [disponible en ligne : http://www.tested.com/tech/set-top-boxes/453479-how-netflixs-house-cards-breaks-tv/ ], publié le 12 février 2013, consulté le 03 mars 2016.

« Kevin Spacey give an impassioned plea in support of the Netflix model », [disponible en ligne : http://www.ew.com/article/2013/08/28/kevin-spacey-netflix], publié le 28 août 2013, consulté le 05 septembre 2016.

« Netflix détrône HBO pour la qualité de ses programme originaux », Media America, [disponible en ligne : http://mediamerica.org/vod/netflix-detrone-hbo-pour-la-qualite-de-ses-programmes-originaux/], publié le 20 avril 2016, consulté le 25 avril 2016.

« Pétition au président des Etats-Uins pour libérer Steven Avery », Change.org, [disponible en ligne : https://www.change.org/p/president-of-the-united-states-free-steven-avery], mise à jour de la pétition le 21 janvier 2016, consulté le 04 mars 2016.

« Marseille, et soudain c'est le drame », Séries TV blog, Le Monde, [disponible en ligne : http://seriestv.blog.lemonde.fr/2016/04/28/marseille-et-soudain-cest-le-drame/], publié le 28 avril 2016, consulté le 30 avril 2016.

« Carton rouge pour Marseille, la première série française de Netflix », Télérama, [disponible en ligne : http://www.telerama.fr/series-tv/carton-rouge-pour-marseille-la-premiere-serie-francaise-de-netflix,141193.php], publié le 05 mai 2016, consulté le 05 mai 2016.

« Moniteur 4K », Clubic, [disponible en ligne : http://www.clubic.com/materiel-informatique/ecran-lcd/article-755323-1-acheter-moniteur-4k.html], publié le 24 février 2015, consulté le 09 avril 2016.

« Regarder la TV en différé entre dans les habitudes », Direct Matin, [disponible en ligne : http://www.directmatin.fr/media/2013-01-30/regarder-la-tv-en-differe-entre-dans-les-habitudes-361795], publié le 30 janvier 2013, consulté le 30 mars 2016.

« Le groupe de médias STARZ ne renouvelle pas son accord avec Netflix », Stratégies, [disponible en ligne : https://www.strategies.fr/afp/20110901225216/usa-le-groupe-de-medias-starz-ne-renouvelle-pas-son-accord-avec-netflix.html], publié le 01 septembre 2015, consulté le 15 avril 2016.

« Netflix could be in the market to buy a studio », Business Insider, [disponible en ligne : http://uk.businessinsider.com/netflix-could-be-in-the-market-to-buy-a-studio-2016-3?r=US&IR=T], publié le 23 mars 2016, consulté le 15 avril 2016.

126

« Netflix se lance dans le cinéma et ça ne plait pas aux exploitants de salles américains », [disponible en ligne : http://www.clubic.com/mag/culture/actualite-783236-netflix-cinema-plait-exploitants-salles-americains.html], publié le 09 octobre 2015, consulté le 15 avril 2016.

« La télévision enchaînée au cinéma français », INA Global, [disponible en ligne : http://www.inaglobal.fr/cinema/article/la-television-enchainee-au-cinema-francais-8520], publié le 14 septembre 2015, consulté le 03 mai 2016.

« Netflix respectera la chronologie des médias en France », Clubic, [disponible en ligne : http://www.clubic.com/television-tv/video-et-streaming/vod/actualite-721897-netflix-france-tarifs-catalogue-chronologie.html], publié le 20 août 2014, consulté le 03 mai 2016.

« Le Kenya débat sur la régulation des contenus de vidéo à la demande proposée par Netflix », [disponible en ligne : http://www.agenceecofin.com/internet/2101-35272-kenya-debat-sur-la-regulation-des-contenus-de-video-a-la-demande-proposee-par-netflix], publié le 21 janvier 2016, consulté le 03 mai 2016.

127

Annexes

128

Table des annexes

Table des annexes 128

Entretiens d'auto-confrontation 128

27 novembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec Léa Cottais, 24 ans, chef de

projet. 130

25 novembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec Hugo Clery, 27 ans,

Consultant en agence de communication 133

26 novembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec Amine Aihi, 28 ans,

contrôleur de gestion 137

26 novembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec Julien Santucci, 27 ans,

responsable stratégie digitale 140
07 décembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec Lola Aubert, 24 ans,

chargée de communication multimédia à la Cité internationale universitaire de

Paris 142

Questionnaire en ligne 145

Résumé des 402 réponses collectées : 150

Résumé 154

Mots-clés 154

Entretiens d'auto-confrontation

Méthodologie des entretiens d'auto-confrontation sur la plateforme netflix.com en direction des abonnés du service

Choix de la méthode, des interviewés et élaboration du guide d'entretien :

Afin de conforter les résultats de notre analyse sémiotique du dispositif, nous avons menés cinq entretiens d'auto-confrontation auprès d'abonnés du service de S-VOD Netflix. Pour sélectionner ces interviewés, nous nous sommes tourné vers des individus sériephiles, familiers des NTIC et connaisseurs des plateformes de streaming de téléchargements illégales qu'ils utilisaient avant la souscription au service215. Nous avons sélectionné des individus sériephiles et technophiles car ils constituent le coeur de cible de Netflix et également afin de mettre en évidence la pertinence du dispositif mis en place. Un dispositif que nous pensons inspiré des modes de consommation et des pratiques de visionnage des publics sériephiles

215 Notons que certains interviewés, continuent à se rendre sur ce réseau alternatif pour bénéficier d'une offre plus exhaustive.

129

(notre deuxième hypothèse). Nous avons donc réussi à obtenir un entretien en présentiel de cinq personnes de sexe différent et âgées de 24 à 28 ans, pour rester dans la tranche des moins de 30 ans.

Pour la méthode, nous avons retenu l'entretien d'autoconfrontation afin d'observer les comportements des abonnés sur la plateforme. La notion de confrontation est centrale pour saisir la spécificité de cette méthode car elle consiste à présenter aux personnes sélectionnées les plus nombreuses traces possibles de leur comportement et de leur demander de les commenter. Nous avons également encouragé les interviewés à s'exprimer librement sur leurs habitudes d'accès et d'utilisation du service.

Pour ne pas nous disperser, pour accompagner les personnes observées dans leurs habitudes d'accès et de visionnage et afin de récolter des informations pertinentes au possible, nous avons suivi sur un guide d'entretien de 28 questions. Nous avons élaboré ce guide en nous appuyant sur les étapes qui ont été nécessaires à notre analyse sémiotique, tout en y insérant des questions que avons jugé pertinentes pour comprendre d'avantage l'univers de la marque et les habitudes de visionnage de nos interviewés.

Conditions de l'entretien :

L'ensemble des entretiens a été conduit au domicile des interviewés. Après leur avoir présenté l'objet et la nature de notre étude, nous avons demandé à chacune des personnes observées d'accéder au service, de sélectionner une des séries télévisées qu'elle suivait au moment de l'étude et de commenter les différentes actions qu'elle allait effectuer avant, pendant et après le visionnage216. Lors de cette première étape, nous avons également encouragé les interviewés à s'exprimer spontanément sur le niveau symbolique de la plateforme, ce qu'elle leur inspirait et de ne pas hésiter à commenter tout autre objet qui attirait leur attention. La seconde étape a consisté à poser les différentes questions, tout en mettant l'interviewé en situation quand cela s'avérait nécessaire.

Composition du guide d'entretien :

Notre guide d'entretien se compose des questions ci-dessous. Il est, cependant, à

216 Pour des raisons de temps et de disponibilité des personnes observées, les visionnages ont été parfois raccourcis. Aussi, les moments de visionnage n'ont pas été enregistrés sous format audio en raison du temps long et de la quasi-absence de discours oral pendant le visionnage. Nous avons néanmoins essayé de prendre des notes exhaustives des actions et des remarques de nos interviewés pendant ces moments.

130

noter que l'ordre des questions a pu ne pas être respecté lors des différents entretiens et que, souvent, de nouvelles questions sont apparues au fur et à mesure, en fonction des réponses données. Les discours spontanés, en début d'entretien, ont assez influencé les questions posées et leur ordre. L'ensemble des conversations a été enregistré sous format audio, à l'aide de mon téléphone.

1. Sur quel support accédez-vous à la plateforme le plus souvent ?

2. Accéder vous à votre profil ou au profil de quelqu'un de votre foyer ?

3. Comment trouvez-vous la navigation sur la plateforme ? Vous rappelle-t-elle une autre plateforme ?

4. Avez-vous installé une application avant de pouvoir visionner ?

5. Suivant les choix que vous avez renseigné pour la création de votre profil, pensez-vous que la sélection faite par Netflix spécialement pour vous est pertinente ?

6. Que pensez-vous des différentes catégories proposées par Netflix ?

7. Combien de temps passez-vous sur la plateforme avant de choisir un programme ?

8. Pensez-vous qu'il y a suffisamment de programmes ?

9. Avez-vous déjà recherché un programme sur la barre de recherche ? Si oui l'utilisez-vous souvent ?

10. Avant de vous abonnez à Netflix, où regardiez-vous vos séries, films ?

11. Quels sont les plus ou les moins de Netflix versus une autre plateforme de streaming ?

12. Avez-vous déjà ajouté un contenu à « Ma Liste » ?

13. Avez-vous déjà voté pour un contenu (attribuer une étoile) ?

14. Avez-vous déjà rédigé un avis sur un contenu ?

15. Avez-vous déjà lu les avis rédigés par les autres utilisateurs ?

16. Pensez-vous que Netflix vous encourage à consommer plus d'épisodes d'affilée ?

17. Pensez-vous que votre consommation a augmenté ?

18. Diriez-vous que Netlfix est un guide pour vous ? Les sélections Netflix déterminent-elles les séries et les films que vous regardez ?

19. Que pensez-vous des créations originales Netlfix par rapport aux autres séries ? Y a t il quelque chose qui change ?

20. Pourquoi vous êtes vous abonné à Netflix ?

21. Suivez vous Netflix sur Facebook ?

22. Connaissez vous le site Spoilers.Netflix ? Sinon montrer et demander à l'interrogé ce qu'il en pense

23. Connaissez-vous Binge by Konbini ? Sinon montrer et demander à l'interrogé ce qu'il en pense

24. Comment choisissez-vous les séries que vous regardez ?

25. En quelle langue regardez-vous ?

26. Avez-vous facilement trouvé comment changer de langue ?

27. En gros, qu'est ce que vous aimez le plus sur la plateforme ? Citez 5

28. En gros, qu'est ce que vous aimez le moins sur la plateforme ? Citez 5

27 novembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec Léa Cottais, 24 ans, chef de projet

(Sarra) : Sur quel support accèdes-tu à Netflix ?

(Léa) : Sur mon ordinateur, je n'ai pas de TV chez moi.

(S) : Et si tu avais une TV, tu regarderais plus souvent dessus ?

(L) : Oui parce que c'est quand même mieux pour regarder. En plus maintenant il paraît qu'il y a la

petite télécommande Netflix et tout !

(S) : D'accord. Est-ce tu accèdes à ton profil ou à celui de quelqu'un d'autre ?

(L) : Alors c'est mon profil mais c'est le compte de ma maman. Elle m'a créé un profil dessus.

(S) : Ok, ça veut dire que tu n'es pas passée par les premières étapes où tu renseignes tes

préférences ?

(L) : Non. Ça s'est fait comme ça. J'ai eu juste à me connecter dessus. C'était déjà créé

(S) : Comment tu trouves la navigation sur la plateforme ? Est-ce qu'elle te rappelle une autre

plateforme ?

(L) : Un petit peu. Moi j'ai connu PopcornTime avant de connaître Netflix donc je trouve que ça

ressemble un peu à ça.

(S) : Tu regardais sur PopcornTime avant ?

(L) : Oui. Et puis quand ma mère s'est abonnée sur Netflix. Je n'allais plus sur PopcornTime, juste sur

Netflix.

131

(S) : Ok.

(L) : Je peux argumenter si tu veux.

(S) : Oui vas-y.

(L) : Alors je trouve que Netflix c'est quand même mieux même si il n'y a pas autant de choix. Mais

c'est quand même mieux fait en terme d'accompagnement de l'utilisateur et tout. Parfois les

suggestions ne sont pas très pertinentes mais déjà le fait qu'il y ait des suggestions, c'est sympa. Ça

te permet de découvrir des choses que tu n'aurais pas cherchées toi-même.

(S) : D'accord. Est-ce que tu rappelles avoir installé une application avant de pouvoir visionner ?

(L) : Oui. Je me souviens vaguement que j'ai du aller sur un site et installer quelque chose. Je ne me

souviens pas très bien.

(S) : Et par rapport aux recommandations. Tu ne les trouves pas pertinentes tu m'as dit.

(L) : Oui et non. Je trouve qu'elles sont plus pertinentes pour les séries que pour les films.

(S) : Mais toi, tu regardes plus souvent des films ou des séries ?

(L) : On va dire que je préfère regarder des séries que de regarder des films mais il m'arrive... En fait,

si je regardes des films c'est parce que je les cherche alors que les séries c'est parce que je vais avoir

une suggestion.

(S) : D'accord. Donc tu trouves que l'offre des films est moins étoffée que celle des séries ?

(L) : Je ne sais pas trop parce que je suis quelqu'un qui regarde plus de séries que de films donc c'est

peut être pour ça que j'ai l'impression que l'offre des films est moins étoffée.

(S) : Et par rapport aux catégories proposées par Netflix que nous avons regardé tout à l'heure.

(L) : (Elle défile). Tu vois ça par exemple je ne comprends pas.

(S) : La catégorie « Sélection faite pour Léa » tu ne comprends pas trop sur quoi ils se sont basés

pour la faire ?

(L) : Ben non. Ça ne me correspond pas.

(S) : Ben fait. La première fois que tu accèdes à Netflix, on te demande de renseigner des contenus

qui te plaisent pour te proposer une sélection qui se veut pertinente.

(L) : D'accord.

(S) : Combien de temps tu passes sur la plateforme avant de choisir un programme ?

(L) : Dix minutes en moyenne je pense. Non moins ! Franchement cinq. Après parfois j'aime bien

parcourir tous les trucs quand je ne sais pas quoi regarder et là ça peut prendre un quart d'heure.

(S) : Est-ce que tu trouves qu'il y a assez de programmes ?

(L) : Non pas encore. Je pense que ça va s'améliorer mais pour l'instant... Par exemple, hier je

cherchais une comédie et j'ai rien trouvé de très cool quoi ! Je trouve que l'offre des séries est

meilleure que celle des films, après par catégories, je trouve que les thrillers et tout ce qui est un peu

suspens est mieux enrichi que tout si qui est un peu comédie, comédie romantique et tout.

(S) : D'accord. Et est-ce que tu as déjà ajouté un contenu à « Ma Liste ». Tu sais pour mettre de côté

des programmes.

(L) : Non.

(S) : Est-ce que tu as déjà attribué une étoile à un programme ? Tu sais où s'est ?

(L) : Non mais oui c'est là je sais. Par contre je regarde la note attribuée, le nombre d'étoiles que

possède les programmes.

(S) : Et tu as déjà lu les avis rédigés par les autres utilisateurs.

(L) : Non, je ne savais pas que ça existait.

(S) : Du coup, tu sais que toi aussi tu peux le faire.

(L) : Ben j'imagine. (Elle regarde la fonctionnalité). Ah d'accord, je n'avais jamais vu. Je n'avais jamais

cliqué là...sur « info ».

(S) : Pourquoi ?

(L) : Je n'avais jamais eu la curiosité de le faire parce que tout ce que je regarde sur Netflix c'est plutôt

soit des choses dont j'ai déjà entendu parler soit que moi j'avais envie de voir et qui m'intéressaient à

la base. Donc je ne vais pas chercher plus que ça.

(S) : Penses-tu que tu regardes plus d'épisodes depuis que tu as Netflix.

(L) : Absolument. En général, je ne m'arrête pas à un seul épisode mais j'en vois 2 ou 3 d'affilée.

(S) : Tu penses que ta consommation a augmentée ?

(L) : Non, pareil. Je regardais déjà beaucoup de séries.

(S) : Est-ce que tu dirais que Netflix te guide un peu ? Est un guide pour toi ?

(L) : (Hésite à dire oui). Oui parce que les petites suggestions ça peut me donner des idées mais pas

plus que ça. Parce que je suis quelqu'un de relativement cinéphile à la base, du coup je me fais mes

avis moi-même via d'autres trucs, tu vois... en lisant des critiques, sur Allociné tout ça !

(S) : Que penses-tu des créations originales Netflix par rapport aux autres séries ?

(L) : C'est bien mieux ! Enfin ça dépend des quelles mais de ce que j'ai pu voir, elles sont vraiment

bien.

(S) : Dans quel sens ?

132

(L) : Je trouve que les séries, les scénarios sont vraiment bien construits et puis esthétiquement c'est

toujours bien. En fait, ben globalement je trouve ça mieux, après c'est peut être des goûts personnels.

Le seul film que j'ai vu d'eux, c'est Beast of No Nation mais ce qu'ils produisent c'est à chaque fois du

contenu de qualité.

(S) : Et tu remarques les créations originales Netflix sur la plateforme ?

(L) : Oui, il y a écrit Netflix dessus. Après ils ne les poussent pas spécialement t en avant, elles sont

parmi les autres contenus de la plateforme.

(S) : Et pourquoi tu t'es abonné à Netflix ?

(L) : Parce qu'on m'a proposé d'avoir un profil et franchement j'allais pas dire non surtout que c'est de

plus en plus dur d'accéder à des films en téléchargement. C'est beaucoup plus pratique d'avoir

Netflix.

(S) : Et sinon tu sais ce qui a poussé ta mère à prendre l'abonnement ?

(L) : Parce qu'elle n'arrivait pas à regarder des trucs en streaming alors qu'elle aime bien regarder des

séries. Au début elle regardait en VOD avec canal puis elle pris Netflix parce que ce n'était pas très

cher et qu'elle savait qu'il y avait deux ou trois séries qu'elle regardait qui étaient dessus. Du coup elle

s'est dit je vais prendre ça.

(S) : Est-ce que tu suis Netflix sur Facebook.

(L) : Non je ne crois pas.

(S) : Est-ce que tu connais le site Spoilers by Netflix ?

(L) : Je ne crois pas. (Je montre). Oh quelle horreur « spoil yourself » !

(S) : Est-ce que tu irais dessus ?

(L) : Ouais. Parce que c'est rigolo. Je ferai le test pour savoir quel spoiler je suis.

(S) : Est-ce que tu irais dessus pour te faire spoiler ?

(L) : j'irai vite fait pour voir ce que c'est mais je ne sais pas si j'irai au bout de la démarche parce que

je n'aime pas me faire spoiler. C'est horrible. Ça me ferait chier si je suis une série et que je vais

dessus et que je me la fais spoiler.

(S) : Est-ce que tu connais le site Binge by Konbini ?

(L) : Non. (Je montre et j'explique). Ah c'est cool. J'irai dessus car j'aime bien lire des critiques et des

trucs... Ah c'est que sur les séries là !

(S) : En gros, comment tu choisis les séries que tu regardes ?

(L) : Parce qu'on m'en parle, parce que je lis des trucs dessus... sur Facebook ou Télérama. J'aime

bien Télérama et sinon pour voir les films qui sortent je vais sur Allociné.

(S) : Est-ce que tu regardes en français ou en anglais ?

(L) : En anglais sous titré quand même car je n'ai pas envie de faire trop d'efforts quand même !

(S) : Et est-ce que tu as rapidement trouvé comment changer la langue ?

(L) : Oui, c'est assez intuitif. Après j'ai un profil, les gens interrogés seront tous comme ça je pense,

qui se débrouille bien sur ce genre de plateforme. Je n'ai pas trop de problèmes.

(S) : Pourquoi ? Parce que tu regardais avant sur PopcornTime ?

(L) : Oui voilà. Et même avant je téléchargeais beaucoup.

(S) : Bon une question qui n'est pas dans mon questionnaire mais est ce que tu penses que ta mère

par exemple trouve la même facilité ou est-ce qu'elle galère davantage ?

(L) : Ben c'est quand même assez facile mais ça peut paraître obscur. Ma mère qui n'a jamais su

comment téléchargeais et qui ne comprend pas Facebook par exemple... Pour changer la langue, elle

ne savait pas comment tu vois et elle m'a demandé de lui montrer comment il fallait faire.

(S) : D'accord. Si tu devais citer quatre ou cinq choses que tu aimes sur la plateforme.

(L) : J'aime bien l'esthétique : le visuel des vignettes et le petit screenshot des épisodes...voilà, je

trouve ça sympa.

(S) : Tu utilises souvent la barre de recherche ?

(L) : Pas souvent mais ça m'arrive.

(S) : Et si tu devais me dire ce que tu aimes le moins.

(L) : Euh. Le fait que l'offre ne soit pas assez diversifiée en terme de films mais bon ça, ça va venir.

Sinon je crois que c'est tout.

(S) : Et est-ce que tu sais qu'en regardant on récolte tes donnés ?

(L) : Oui que tu es fliqué un peu. Enfin pas fliqué mais qu'ils récoltent certaines informations. Oui je

sais, après moi j'ai un avis c'est que sur Netflix ça ne me dérange pas. C'est une offre de vidéos et

quand on retient tes informations c'est pour la navigation...Mais pour le reste genre Facebook quand

on te met des pubs tout ça, ça me gêne plus.

(S) : Et si un jour tu retrouvais de la publicité sur la plateforme, est-ce que ça te dérangerait ?

(L) : Ah oui, complétement. Je n'ai pas du tout envie.

(S) : Ok. On a fini. Merci Léa.

(L) : Ben je t'en prie !

133

25 novembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec Hugo Clery, 27 ans, Consultant en agence de communication

Discours spontané de Hugo devant l'interface :

Il y a un header, une espèce d'image d'accueil super grosse qui incite au clic et à te dire « ah qu'est ce qu'il y a de nouveau, quelles sont les séries du moment, c'est quoi les nouveaux achats (achats de droits) ». Donc directement avant même de scroller je regarde toujours ce qu'il y a en haut. Ben ensuite, j'ai toujours mes séries à moi, celles que je suis en train de mater. Donc ça, quand je sais ce que je veux mater, je vais direct dessus. Les premières qui apparaissent, ce sont celles que je suis en train de mater en ce moment. Comme j'en regarde pas mal, j'essaie à chaque fois de m'adapter selon mon contexte, voir lesquelles je continue. Et après quand je n'ai pas trop le temps, je regarde juste ce qu'il y a de nouveau. Parce qu'en fait les deux ou trois premières catégories sur la plateforme, c'est : ce qui est populaire en ce moment, les tendances on va dire, et ce qui vient de sortir.

Là, donc, c'est vraiment un ou deux scrolls et tu vois ce qu'il y a de nouveau sur la plateforme et je vais souvent là car je sais qu'ils ont pas mal de trucs toutes les semaines. Après quand j'ai des envies spécifiques, je regarde un peu plus en bas des catégories, par exemple : films indépendants ou films de science-fiction. Ou quand j'ai envie de voir des documentaires, je vais aller dans la catégorie dédiée directement. Mais je fais ça beaucoup moins souvent.

Sarra (S) : Sur quel support accédez-vous à la plateforme le plus souvent ?

Hugo (H) : Le soir dans mon lit, je regarde sur ma Apple TV, tout en navigant sur ma tablette.

(S) : Est-ce que tu utilises toujours ta tablette pour naviguer ? Parce que j'ai remarqué que le service va davantage mettre en avant des formats courts, lors d'une navigation sur tablette.

(H) : C'est vrai que je vois que j'ai souvent des séries et surtout des séries humoristiques (comédies), des épisodes de 20, 30 minutes quoi. D'ailleurs, c'est pour ça que je regarde souvent sur ma tablette des séries au format court. Après je ne me fie pas trop à la recommandation de Netflix pour me proposer des trucs, car je sais déjà ce que je veux regarder. Même si, parfois il me surprend mais souvent je sais ce que je veux regarder.

(S) : Donc, il arrive à te surprendre quand même ?

(H) : Oui, plus par les contenus qu'il a en « nouveauté ». Les trucs qu'il a en « recommandé » un peu moins : « Ah tiens, ce film je voulais le voir au cinéma et ils l'ont, je vais le regarder ». Parce que j'aime beaucoup les films d'auteurs et par exemple les blockbusters tu vas les trouver partout, sur beaucoup de plateformes alors que les petits films indépendants, c'est plus rare. C'est pour ça que le service me surprend. D'ailleurs, j'ai remarqué que ces derniers temps ils mettaient le film « comète » en avant (un film du réalisateur de la série Mr Robot que tout le monde regarde en ce moment) et je me suis dit « Ah ben tiens, ils la mettent dans la catégorie des tendances, sûrement par ce qu'ils se sont dit que tout le monde regardait Mr Robot en ce moment et que ces gens là auraient peut être envie de regarder un autre truc du même réalisateur ».

(S) : Donc, pour récapituler : tu regardes sur ta Apple TV, tout en navigant sur ta tablette mais il t'arrive de regarder directement sur ta tablette. Est-ce que tu peux me dire quand est ce que tu regarde sur ta tablette ?

(H) : Je regarde sur ma tablette le matin surtout. Le matin ou pendant le goûter. Quand je suis dans la cuisine, je mange et je mets ma tablette devant moi et je regarde mes épisodes. Mais c'est plutôt des épisodes courts au final. Des comiques comme The Office ou Parks and Recreation. Là, je regarde Master of None de Netflix qui dure quand même 30 min mais ça reste un juste milieu.

(S) : D'ailleurs en parlant de Master of None, tu assimilerais ça à quel genre de série ?

(H) : Pour moi c'est un peu comme Louie. C'est un humoriste qui a fait une série sur sa vie. C'est un peu entre l'espèce de biographie et la comédie. Sauf que ce n'est pas une comédie « grasse » mais c'est une comédie bien fait au niveau de la réalisation et pour moi, c'est un genre « bâtard » quoi ! Ce n'est pas The Office et ce n'est pas non un truc autobiographique, drama. Une espèce de comédie dramatique très autobiographique et très parodique. Voilà, donc 30 minutes, c'est un peu le temps qu'il me faut pour prendre mon petit-déjeuner. Et aussi je regardais sur ma tablette ou sur mon ordinateur, des fois le soir dans mon lit avant que je ne possède une télévision mais aussi maintenant quand j'ai la flemme de brancher la télévision.

134

Mais au final, sur ma tablette je vais souvent regarder des séries qui ne sont pas trop « visuelles ». C'est pour ça que je regarde des comédies, parce que je sais que sur ma tablette, ce n'est pas grave si je regarde The Office là-dessus. Par contre, si je regarde du Sense8 ou du Jessica Jones qui vient de sortir, je préfère regarder ça sur la TV, car je sais que visuellement c'est un peu plus cool quoi. La tablette est plutôt dédiée à la petite consommation « snack » où j'ai besoin de regarder un épisode rapidement.

(S) : Revenons à des questions un peu plus basique ! Est- ce que ça t'arrive d'utiliser la barre de recherche ?

(H) : Oui ! Par exemple, je voulais regarder Hunger Games la dernière fois et je voulais savoir si les films étaient sur Netflix. Et en fait, ils n'étaient pas sur le catalogue américain, ils étaient disponibles que sur le catalogue canadien. Donc, c'est pour voir si des contenus sont disponibles.

(S) : Et tu arrives à regarder sur le catalogue canadien également ?

(H) : Oui, j'ai juste à changer sur le menu du site que je t'ai montré tout à l'heure217. Après je ne l'utilise pas très souvent, mais comme je sais qu'ils ont beaucoup de films indépendants, ça me permet de voir rapidement si ils sont disponibles et je suis souvent agréablement surpris.

(S) : Est- ce que tu accèdes à ton profil directement ou est ce que ça t'arrive d'aller sur le profil de quelqu'un d'autre ?

(H) : Je ne vais jamais sur le profil d'autres personnes. Et je n'aimerais pas que quelqu'un regarde sur mon profil car ça me « plomberait » mes recommandations.

(S) : Comment tu trouves la navigation sur la plateforme ? Est-ce qu'elle te fait penser à d'autres plateformes ? Est-ce que tu la trouves assez intuitive...

(H) : Moi, au début j'étais beaucoup sur ordinateur. C'était un petit différent même si aujourd'hui je trouve que l'expérience est plus ou moins unifiée sur les différents supports. Je trouve la plateforme très visuel, on voit les choses directement. Comme Beast of No Nation je le vois direct : tous les gros films tu connais les affiches et donc tu les vois directement. Ça reste assez minimaliste tout en étant hyper visuel. Donc au niveau de l'esthétique, je trouve qu'ils ont fait un bon choix : c'est de pas se faire chier avec une interface compliquée et de mettre en avant simplement les films quoi !

Ce que j'aime bien aussi ce sont le « listes ». J'ai aimé pouvoir ajouter des contenus à « Ma Liste ». C'est un peu comme un petit fourre-tout, une « watch list » où je mets les trucs qui me plaisent pour ne pas oublier de les regarder. D'ailleurs quand je n'ai pas d'idée de ce que je veux voir, je vais sur « Ma Liste ».

(S) : En fait, si j'ai bien compris. Quand tu navigues, tu vois des contenus qui te plaisent et tu te dis « ah ben ça je le regarderai bien un jour et tu le mets de côté sur ta liste » ?

(H) : Oui oui ! Même qu'un jour, j'ai pris une bonne heure pour naviguer rien que pour ajouter des trucs à « Ma Liste ». Je n'ai rien regardé mais j'ai juste cherché des trucs à mettre de côté. D'ailleurs, attends je vais te montrer. J'utilise un truc qui s'appelle Morphlix, ça me montre ce qui est disponible et sur quel catalogue. Après c'est super spécifique comme usage mais en gros je vais sur des sites comme ça et puis hop je vais sur Netflix. Je vais même d'abord chercher là-dessus avant de chercher sur Netflix.

(S) : Est-ce que tu te rappelles de la première fois que tu as créé ton profil ?

(H) : Oui !

(S) : On t'avait proposé de choisir des contenus pour te créer un profil personnalisé. Alors, trouves-tu que ce qu'on te propose correspond à ce que tu as renseigné ? Est-ce que les sélections sont pertinentes ?

(H) : Oui ça allait, c'était pas des trucs à mille lieux de mes goûts mais c'était des trucs que j'avais déjà regardé.

(S) : D'ailleurs, comment tu trouves cette démarche ? De demander à quelqu'un de renseigner ses goûts pour pouvoir lui proposer quelque chose qui lui correspond.

(H) : Je trouve ça cool ! C'est comme ton pote qui te demande « t'aimes quoi comme film ? ». C'est comme un premier contact, comme si on faisait connaissance.

(S) : Ok, on parlait donc des catégories. J'aimerais savoir ce que tu penses des catégories made by Netflix, par exemple : « Ce qu'on a sélectionné pour vous », « Les tendances actuelles », etc. ?

217 A la date de notre entretien, Hugo accédait aux différents catalogues grâce à une solution VPN, le site : unblock-us.com. Depuis mars 2016, Netflix a entrepris des mesures pour bloquer les services VPN. Ainsi, Hugo et autres adaptes du braconnage en France ne peuvent plus accéder au catalogue international de Netflix. Source : site engadget.com, « Netflix blocking more proxies » [article disponible ici : http://www.engadget.com/2016/02/29/netflix-blocking-more-proxies/],consulté le 10 mars 2016

135

(H) : Alors moi ce qui m'interpelle dans ces catégories, c'est qu'il y a beaucoup de Netflix dedans (comprendre les créations originales Netflix). Toute façon c'est ponctuel pour moi d'aller dans les catégories. Je regarde un peu pour voir ce qu'il y a. Comme par exemple, It's Always Sunny in Philadelphia, c'est une série qu'il me propose tout le temps et ça fait un milliard d'années que je me dis qu'il faut que je la regarde. Et à force de me la proposer, je pense qu'un jour je vais finir par la regarder ! Il te martèle un peu les trucs quoi. Après il y a des séries comme Grey's Anatomy, One Three Hill... ça je m'en fous. Je ne regarderai jamais.

(S) : Ok. En parlant des catégories, on m'a dit dans un autre entretien qu'on avait l'impression d'un catalogue au kilométrage, qu'on pouvait défiler indéfiniment. Tu en penses quoi toi ?

(H) : Ben, je trouve qu'il y a beaucoup de répétition. Et comme ils ont pleins de tags par film, ben tu as des films qui vont se retrouver dans plusieurs catégories. L'autre fois par exemple, je regardais et j'avais l'impression de tourner en rond car les films se répétaient. Donc souvent, on a l'impression que c'est exhaustif mais ça ne l'est pas tant que ça. Après, je trouve que c'est exacerbé sur le catalogue français sur lequel je ne vais jamais (à cause de la pauvreté du catalogue) mais dans les autres catalogues, il y a quand même moyen de s'amuser.

(S) : Et sinon, avant de t'abonner à Netflix, tu regardais où avant ?

(H) : Je téléchargeais et quand j'étais chez mon père je regardais sur Canal. Je ne regarde pas en streaming en raison de la qualité mai je téléchargeais souvent.

(S) : Et si tu devais me dire en gros quels sont les plus et les moins de Netflix pour toi par rapport à d'autres services.

(H) : Les plus de Netflix, je pense que c'est les contenus originaux. Netflix fait quand même des trucs, très très canons et qui sortent que sur Netflix d'abord. Et aussi l'interface (j'ai testé Canalplay) aussi sur le niveau technique (la rapidité de la diffusion), il n'y a pas de buffering et tout. Et c'est hyper important la rapidité quand tu regardes (que ça ne bug pas). Les moins par rapport à Canal, c'est la lecture hors ligne que n'a pas Netflix, comme si tu téléchargeais un épisode sur ta tablette quoi. Je trouve que c'est un truc cool, quand tu es dans les transports en commun par exemple. Mais sinon, je pense que je ne n'irai jamais sur Canal avec ce qu'ils ont actuellement à part s'ils font des deals de fous et que le contenu s'améliore. Car le contenu disponible, c'est ce qui est le plus important pour moi.

(S) : Est-ce que tu as déjà voté pour un contenu ?

(H) : Oui ça m'arrive. Je regarde mais je ne note pas forcément. Après j'ai remarqué des contenus que j'avais visionné, des fois sans les finir qui continuent à revenir alors je me suis dit que c'est peut être parce que je ne les avais pas noté et du coup je note. Je me dis que ça peut les faire disparaître ! (S) : Est-ce que tu te sens un peu obligé de voter pour les contenus ou pas du tout ?

(H) : Ohh, tu leur rends bien quoi. Mais si tu le fais c'est surtout pour profiter de leur algorithme quoi ! Je le fais peut être pas assez souvent pour avoir des recommandations hyper précises, c'est pour ça. Je regarde les trucs mais au final si je les note pas peut être qu'il ne va pas savoir si j'ai aimé ou pas pour me proposer des contenus plus pertinents. Au final, c'est un peu gagnant-gagnant : moi pour avoir des contenus pertinents et eux pour améliorer l'algorithme et connaître leurs utilisateurs.

(S) : Est-ce que tu as déjà rédigé un avis ?

(H) : Non.

(S) : Est-ce que tu lis les avis rédigés par les autres utilisateurs ?

(H) : Non. J'ai l'impression que les avis Netflix sont un peu « hauts ». C'est à dire, que par rapport à mes goûts à moi, j'ai l'impression que les contenus sont un peu sur-notés. Des fois, je vois des trucs qui ne sont pas géniaux et qui ont 4/5 par exemple. C'est pour cela que je ne me fie pas trop à la notation sur Netlfix ni aux avis.

(S) : Est ce que tu penses que le fait de t'être abonné à Netflix te pousse à consommer plus de contenus qu'avant ?

(H) : Moi, ça va j'arrive à m'arrêter après avoir regardé qu'un épisode, car en général après j'ai envie de faire autre chose. Mais si la série me tient vraiment en haleine, je peux enchaîner. Surtout, quand il s'agit de nouvelles séries : Jessica Jones, par exemple, dont l'intégralité de la saison a été mise en ligne le weekend dernier, il y a comme une pression pour regarder. Car avec Netflix, il n'y a plus de prescription pour le spoil.

(S) : C'est à dire ?

(H) : Genre Game of Thrones, c'est de semaine en semaine et tout le monde est au même niveau mais avec Jessica Jones, personne ne sait à quel épisode en sont les autres et personne n'ose en parler et il n'y a plus d'événementialisation de l'épisode ! Par contre, comme toute la saison est là, ça m'incite à regarder plus rapidement par peur de ne me faire spoiler.

(S) : Ok. Est-ce que tu penses donc que ta consommation a augmenté ?

(H) : Ben au début, c'était plus les nouvelles séries mais maintenant, il y a aussi tous les vieux trucs que j'ai arrêté de regarder il y a longtemps ou que j'ai envie de revoir. D'ailleurs Netflix pour moi, c'est plus pour rattraper ma culture ciné et séries et pas pour arrêter le téléchargement.

136

(S) : Mais est ce que tu télécharges moins ?

(H) : Ben, oui je télécharge quand même moins, car sur Netflix il y a plein de trucs anciens mais que j'ai envie de voir. Comme The Office que je n'ai pas terminé et j'ai maintenant 9 saisons sous la main à voir ! Sinon je continue à télécharger les nouveaux épisodes de séries actuelles que je suis.

(S) : Et est-ce que tu n'as pas cette impression de volatilité du contenu. Comme tu ne l'as pas téléchargé, peut être qu'il risque de disparaître ?

(H) : C'est vrai que le fait que tous les mois il y a des contenus qui partent et d'autres qui arrivent, c'est comme une espèce d'épée de Damoclès. Tu te dis bon, je n'ai plus que quelques jours pour regarder ça. Mais ça par contre, ils ne communiquent pas trop dessus. Il y a la newsletter Netflix qui annonce les contenus nouveaux, par contre pour les contenus qui partent, il faut vraiment se renseigner et aller sur des sites un peu pointus comme Indiewire, les sites de cinéma et d'actualité, qui font de plus en plus de trucs sur les séries. Et ces sites mettent souvent même la date quand le contenu va être supprimé. J'imagine que ce sont des informations que Netflix partage avec les journalistes. Du coup, oui il y a une espèce de pression à regarder surtout les petits films d'auteurs qui ont susceptibles d'attirer peu de monde et donc être supprimés plus rapidement !

(S) : Est- ce que tu dirais que Netflix est un guide dans tes choix ?

(H) : Plus ou moins. Moi je me fais ma petite liste et en général je sais ce que je vais regarder mais il me guide indirectement en mettant en avant les contenus. Ça me rappelle donc de les regarder « Ahh oui faut que je regardes ça ». C'est comme s'il savait un peu ce que j'ai dans le coin de ma tête et qu'il me le rappelle !

(S) : Qu'est ce que tu penses des créations originales Netflix ? Est-ce qu'elles sont différentes des autres séries ? Tu m'as parlé tout à l'heure d'un genre bâtard quand on a évoqué Master of None, par exemple.

(H) : Oui comme Orange is the New Black aussi. Au début on a l'impression que c'est une comédie, puis ça vire vers le drama. Je pense que comme ils n'ont pas cette obligation de coller aux attentes des producteurs, ben ils font un peu ce qu'ils veulent. Ils ne font même pas de pilote quoi ! C'est comme HBO en fait, la créativité en premier. Ils laissent un peu libre cours à l'imagination et à la créativité des gens qu'ils engagent. J'ai aussi remarqué que, comme ils n'ont pas de pilote, ben la saison et plus homogène. On ressent moins, ce premier épisode qui fait un gros boum et puis les autres qui sont un peu mous. J'ai l'impression que c'est plus des longs films de 13 épisodes. Ils prennent leur temps ! J'ai vu Bloodline par exemple et j'ai l'impression que toute la première saison ben c'est un pilote. Comme si pendant ces 13 premiers épisodes, on t'avait juste raconté l'introduction du truc. Ce n'est pas souvent qu'on peut se permettre ça, surtout quand on dépend des publicitaires. (S) : La question qui résume tout : pourquoi t'es-tu abonné à Netflix ?

(H) : J'aime l'aura de la marque. On sent que ce sont des gens qui aiment les séries et les films qui font ça. Et aussi par éthique. J'aime bien me dire que je paie et que je suis dans la légalité. Et surtout la praticité du service. Sur les plateformes illégales, il faut télécharger ton épisode de Fargo par exemple, télécharger les bons sous-titres, mettre le fichier sous-titre au nom du mkv pour en suite le balancer sur ton lecteur VLC. C'est beaucoup plus facile de lancer Netflix et de faire « paf » et regarder ! En gros, c'est avoir des séries quand je veux et ne pas se faire chier !

(S) : Est-ce que tu suis Netflix sur Facebook ou autre réseaux social ?

(H) : Oui. Pas pour voir ce qu'ils ont de disponible mais pour voir comment ils en parlent ! Ils ont souvent de belles créations et un esprit assez « fan » et c'est assez divertissant. Comme par exemple quand ils font allusion à des trucs qui parlent aux cinéphiles et aux sériephiles.

(S) : Est-ce que tu connais le site spoilers by Netlfix ?

(H) : Oui mais vaguement.

(S) : Je demande à mettre le site

(H) : J'avais vu ce truc mais je me suis dit NON, car je ne veux pas me faire spoiler ! Moi, je suis un peu autiste et un nazi du spoil, même au cinéma, je n'aime pas regarder les bandes annonces ! Mais aujourd'hui, il y a une pression sociale du spoil et si tu ne veux pas te faire spoiler et ben il faut être à jour. C'est pour ça que j'essaie de regarder rapidement.

(S) : Est-ce que tu connais le site Binge by Konbini ?

(H) : Oui je connais mais je n'y vais pas souvent. Mais comme ils font appel à des journalistes externes, c'est un peu inconsistant. Même si parfois on peut tomber sur des articles vraiment intéressants. Mais la démarche est bonne Binge, à direction des bingewatchers, c'est d'actualité quoi ! (S) : Je sais qu'on en a déjà parlé mais si je demandais de me citer en gros ce que tu aimes le plus sur la plateforme ?

(H) : Alors ce que j'aime. En priorité le streaming qui est hyper performant, la HD qui arrive en 3 secondes et la rapidité quoi, tu as juste à faire tac tac pour regarder (comprendre qu'il n'y a pas beaucoup d'actions à effectuer pour accéder au contenu souhaité).

(S) : Et les moins ?

137

(H) : En France, c'est le catalogue que je trouve très pauvre, après bon c'est la législation. Et aussi ils n'ont pas beaucoup d'épisodes en ligne le lendemain de la diffusion originale, pas dans toutes les séries en tout cas. Sinon, les trucs qui se répètent comme on a dit. Tu as vraiment qu'il veut te mettre en avant la nouveauté et les trucs que tout le monde regarde. Alors que moi je veux qu'on me propose des trucs inattendus, qui me surprennent... pas forcément que tout le monde regarde.

(S) : On a parlé tout à l'heure du fait que Netflix utilise les données de navigation pour proposer du contenu pertinent. Donc tu es au courant qu'on récolte tes données ?

(H) : Ahh oui !

(S) : Et ça ne te dérange pas ?

(H) : Oh non ! Moi j'utilise Google partout et si ça me dérangeait, je pense que je devrais flipper en ce moment même ! Après c'est un peu une économie du partage. Tout le monde participe à ce qu'on ait du contenu pertinent. Après je pense que leur but, c'est d'abord de faire de bonnes séries et me proposer une offre optimale et pas de revendre mon numéro de sécurité sociale. Donc, ça ne me dérange pas, je veux juste regarder de bonnes séries moi !

(S) : Est-ce que ça te dérangerait qu'il y ait de la publicité sur la plateforme ?

(H) : Oui ça me dérangerait car je paie déjà. Si un truc venait à surgir en plein milieu de mon épisode, ça me dérangerait oui. C'est un peu espace personnel. Comme mon Snapchat.

(S) : Dernière question. Si je te demandais d'associer Netlfix à des mots ou à des phrases spontanément, tu dirais quoi ?

(H) : S'affaler, le canapé, chiller et aussi mobile dans le sens « ton Netflix est partout ». Je peux mater mon épisode chez moi et aller chez mon père pour le continuer.

26 novembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec Amine Aihi, 28 ans, contrôleur de gestion

(Sarra) : Sur quel support accèdes-tu à Netflix ?

(Amine) : Sur une TV connectée. L'application était déjà installée

(S) : Est-ce qu'il t'arrives de regarder sur un autre support que la TV ?

(A) : Sur mon ordinateur, de temps en temps. Quand je ne suis pas chez moi. Souvent quand je suis

chez ma copine.

(S) : Tu vas généralement sur ton profil ?

(A) : Oui je vais sur mon profil mais ça dépend de la série.

(S) : Comment ça ?

(A) : Si c'est une série que je regarde avec ma copine sur mon profil et qu'on veut reprendre un

épisode, on va le faire sur son profil

(S) : Là, tu accèdes à ton profil. Comment tu trouves la navigation ? La plateforme ?

(A) : Je trouve la plateforme ergonomique.

(S) : C'est à dire ?

(A) : C'est à dire qu'on va te proposer des choses qui correspondent à ta navigation habituelle.

(S) : Comment tu le sais ?

(A) : C'est sur la base de mon historique, de ce que j'ai regardé.

(S) : Et la présentation ? Les programmes ?

(A) : C'est organisé, par thèmes : séries, films, documentaires. Tu trouves facilement ce que tu

cherches et même si tu ne cherches pas vraiment un programme en particulier, tu arrives à trouver un

programme qui te correspond parmi la sélection proposée.

(S) : Donc tu trouves que la sélection faite pour toi correspond à ton profil ?

(A) : Globalement oui.

(S) : Ok. Est-ce que la plateforme te rappelle une autre plateforme sur laquelle tu regardais avant que

tu ne t'abonnes à Netflix. Est-ce que pour toi ce service est vraiment nouveau ou est ce qu'il te

rappelle quelque chose ?

(A) : C'est vraiment nouveau pour moi. Et je pense que si j'utilisais une tablette, ça serait encore plus

simple en terme de navigation.

(S) : Pourquoi ?

(A) : Parce que naviguer avec le doigt serait encore plus facile. Je pense que c'est conçu pour le

tactile aussi.

(S) : Est-ce que tu te rappelles avoir installé quelque chose pour pouvoir visionner ? Ou dès que tu

t'es abonné tu es allé directement sur l'application Netflix qui était déjà installé sur ta TV ?

138

(A) : La première que j'ai regardé c'était sur ma TV. Donc l'application était déjà installée et j'ai juste

eu à créer mon profil et renseigner mes coordonnées pour l'abonnement et j'ai commencé à l'utiliser

directement.

(S) : Et sur ton ordinateur aussi ?

(A) : Pareil je crois.

(S) : Ok. Maintenant qu'on a un peu naviguer sur la plateforme. On va parler un peu des différentes

catégories proposées par Netflix. La sélection pour Amine, les tendances actuelles, les ajouts récents,

les émissions TV, les séries US, parce que vous avez regardé, les nouveautés, etc. Que penses-tu de

toutes ces catégories ?

(A) : Je trouve qu'il y a un peu de redondance et qu'il y a moyen de fusionner certaines catégories.

(S) : C'est à dire ?

(A) : Ben je ne vois la différence entre « Notre sélection pour Amine » et « Parce que vous avez

regardé ». Je ne comprends pas la différence entre les deux. Aussi, il faut que je défile jusqu'à 5

catégories vers le bas avant de tomber sur « Reprendre avec le profil de Amine ». Et j'ai l'impression

que c'est pour pousser leur contenu alors que moi ça m'irait plus que cette catégorie soit en premier

et que je n'ai pas à trop défiler.

(S) : Combien de temps passes-tu sur la plateforme avant de choisir un contenu ?

(A) : Je dirai moins de 5 minutes.

(S) : Est- ce qu'en général tu sais déjà ce que tu vas regarder ?

(A) : Souvent oui. Je vais aller reprendre lecture de programmes que j'avais déjà commencé à

regarder.

(S) : Est-ce que tu penses qu'il y a suffisamment de programmes sur la plateforme ?

(A) : Oui et c'est très varié je trouve.

(S) : Est-ce que tu as déjà cherché un programme sur la barre de recherche ?

(A) : Rarement. Je me fie plus à ce qu'il me présente et c'est peut être aussi parce qu'on n'a pas une

vue d'ensemble sur le contenu disponible sur Netflix.

(S) : Avant de t'abonner sur Netflix, où regardais-tu tes séries, tes films ?

(A) : En streaming sur mon ordinateur.

(S) : Et si tu devais comparer Netflix et un site de streaming ? Que dirais-tu ? Est-ce que Netflix te

rapporte des choses en plus ?

(A) : C'est plus pratique, facile à utiliser. Même si on n'a pas le même contenu : en streaming tu peux

trouver les derniers épisodes de n'importe quelle série. Mais le fait que ce soit tellement pratique, ça

compense. Et c'est sur la TV, plus besoin de brancher l'ordi pour regarder aussi. C'est pratique.

(S) : Est-ce que tu as déjà ajouté un contenu à « Ma Liste ». Tu savais qu'on pouvait ajouter des

contenus sur une liste ?

(A) : Ah ça je savais pas. (Montrer la fonctionnalité).

(S) : Maintenant que tu sais que tu peux ajouter des contenus à une liste, est ce que ça

t'intéresserait ?

(A) : Oui ça peut aider. C'est comme une liste de favoris dans laquelle tu vas mettre les contenus qui

te plaisent.

(S) Et pour l'attribution des étoiles. Tu as déjà voté pour un contenu ?

(A) : Je viens de voir qu'on pouvait faire ça avec toi. Mais non je ne savais qu'on avait la possibilité

d'évaluer un programme.

(S) : Alors le nombre d'étoiles que tu vois ici, ce sont les utilisateurs Netflix qui l'ont attribué à ce

programme. Maintenant que tu sais qu'on peut faire ça, tu vas commencer à le faire aussi ou tu ne

vois pas l'intérêt ?

(A) : Absolument !

(S) : Pourquoi ?

(A) : Parce que je donne mon avis sur le programme et ça va aider d'autres utilisateurs à savoir

comment c'est.

(S) : Est-ce que tu dirais que c'est un peu comme un devoir envers les autres ?

(A) : C'est ça, envers la communauté Netflix !

(S) : Ok. Est- ce que tu as déjà rédigé un avis sur un contenu ?

(A) : Non. Parce qu'on peut faire ça aussi ?

(S) : Oui. (J'essaie de montrer la fonctionnalité mais nous nous rendons compte qu'elle n'existe pas

sur TV et qu'elle n'est disponible que sur ordinateur et sur tablette car ces supports disposent d'un

clavier qui permet de rédiger).

(S) : Est-ce que tu penses que Netflix t'encourage à consommer plus d'épisodes ?

(A) : Oui. Surtout quand tu regardes une série qui te plait, tu vas avoir tendance à enchaîner les

épisodes. En plus le lecteur lance l'épisode d'après directement, alors !

(S) : Est-ce que tu penses que Netlfix accompagne un peu tes choix à travers les sélections qu'il

propose ?

139

(A) : Oui ça peut influencer mes choix.

(S) : Qu'est-ce que tu penses des créations originales Netflix ? Tu arrives à les identifier sur la

plateforme ?

(A) : Oui on ne peut pas se tromper. Il y a le logo Netflix dessus pour les distinguer des autres.

(S) : Et au niveau de la série Netlfix en elle-même ? Est-ce que tu trouves qu'il y a des différences,

des particularités ?

(A) : Pas spécialement. Mais je trouve que ces créations ne sont pas mal du tout. J'ai vu Narcos et

Marco Polo jusqu'à présent et elles sont vraiment bien. Surtout qu'au début quand j'ai su que c'était

des créations originales, j'avais un apriori.

(S) : C'est à dire ?

(A) : Sur la qualité. Je m'attendais à ce que ce soit un peu en dessous de la moyenne mais j'étais

agréablement surpris.

(S) : Pourquoi t'être abonné à Netlfix ?

(A) : Pour ne plus avoir à télécharger des séries.

(S) : Question de légalité ?

(A) : Plutôt par praticité.

(S) : Est ce que tu suis Netflix sur Facebook ?

(A) : Oui pour avoir les dernières nouvelles sur les séries mais aussi sur les événements organisés

même si jusqu'à présent je n'ai pas encore pu assister à l'un de leurs événements.

(S) : Et leur avis sur les séries t'intéresse ?

(A) : Oui car je crois que ce qu'ils disent reflètent l'avis des utilisateurs de la plateforme.

(S) : Est-ce que tu connais le site Spoilers by Netflix ?

(A) : Non. (Montrer le site).

(S) : Que penses-tu de ce genre de site ?

(A) : Je ne suis pas contre ce genre mais moi je ne spoile pas.

(S) : Et ça t'embêterait que quelqu'un te spoile la fin de ton épisode ?

(A) : Pas forcément, parfois ça peut être marrant !

(S) : Est-ce que tu continues Binge by Konbini ?

(A) : Non. (Montrer le site).

(S) : Pour avoir un avis sur les dernières séries, tu irais sur ce site ?

(A) : Oui je pense que j'irai.

(S) : Revenons à la plateforme. Lors de tes premières utilisations, tu as trouvé facilement comment

changer de langue.

(A) : Oui, c'est très intuitif.

(S) : Et pour terminer. Si je te dis en gros de me citer 4 ou 5 trucs que tu aimes sur la plateforme.

(A) : Euhh. L'ergonomie, la praticité.

(S) : Les moins ?

(A) : Les petites différences entre les interfaces, télévision et ordinateur. Le fait de ne pas pouvoir

rédiger d'avis. Et moi, j'aimerais aussi avoir un catalogue par ordre alphabétique pour avoir une vue

d'ensemble sur l'ensemble du contenu.

(S) : Et sinon, es-tu au courant qu'on récolte tes données de navigation ?

(A) : Oui ça ne m'étonne pas.

(S) : Et ça ne te dérange pas ?

(A) : Non pas spécialement. Tout le monde le fait de nos jours. Et surtout si ça aide Netflix à mieux

cibler le contenu qu'il me propose tant mieux.

(S) : Et s'il y avait de la publicité sur la plateforme, ça te dérangerait ?

(A) : Oui. Ça me rappellerait les sites de streaming

(S) : Dernière question. Si je te dis d'associer Netflix à des mots, des phrases...spontanément tu

dirais quoi ?

(A) : Originalité, séries TV. Pour moi Netflix au début c'était les séries. D'ailleurs je ne m'attendais à

trouver tout ça sur la plateforme. Et US aussi.

(S) : Ok. Quelque chose à ajouter peut être ?

(A) : Non.

140

26 novembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec Julien Santucci, 27 ans, responsable stratégie digitale

Discours spontané de Julien devant l'interface :

Quand je vais dessus, sur la Home. Je trouve ça un peu trop fouillis en fait. J'ai toujours du mal à m'y retrouver... dans les séries que je suis actuellement, genre les dernières séries que j'ai regardé, je ne les retrouve pas forcement en premier à chaque fois. J'ai l'impression que c'est toujours mélangé. Si je regarde un épisode de Fargo par exemple et que je reviens après. La série ne va pas forcément apparaître en premier. Il sera dans la liste mais pas en premier.

Il y a aussi cette grosse bande ici (le header) de promo qui finalement ne sert à rien quoi. Parce que ce n'est pas vraiment ce que je recherche. Ensuite, je trouve qu'en fait, j'ai vraiment du mal à m'y retrouver au départ. C'est la première impression quand j'arrive sur la plateforme.

(Sarra) : Sur quel support à accèdes-tu à Netflix le plus souvent ?

(Julien) : Le plus souvent c'est sur mon Macbook.

(S) : Tu as déjà regardé sur un autre support ?

(J) : Oui sur mon Ipad.

(S) : Tu trouves qu'il y a une différence dans la sélection proposée quand tu changes de support ?

(J) : Pour le coup sur Ipad, je le trouve plus intuitif. Mais comme l'écran est plus petit je l'utilise moins.

(S) : Comment ça plus intuitif ?

(J) : C'est con mais comme c'est avec le doigt, je trouve ça plus facile et je navigue mieux.

(S) : Tu accèdes au service sur ton propre profil ou sur celui de quelqu'un d'autre ?

(J) : Sur le mien.

(S) : Par rapport à la plateforme, tu m'as dit tout à l'heure que tu l'as trouvé un peu fouillis. Mais est ce

que ça te rappelle une autre plateforme ?

(J) : Ben en fait Popcorn Time s'est inspiré de Netflix mais pour le coup je trouve Popcorn Time plus

simple.

(S) : Pourquoi ?

(J) : Ben parce que déjà de bas c'était trié par les contenus les plus récents. Donc c'était mieux

hiérarchisé. Pas forcément de recommandation. Le tri de base était fait par le plus récent. Et en fait,

c'est tout con mais moi je trouve ça mieux car je vais plus avoir tendance à regarder les nouveautés.

Parce qu'en général ce que Netflix me recommande, c'est des trucs que j'ai déjà vus en fait.

(S) : Et à part PopcornTime ?

(J) : Euh non. Je n'en utilise pas des masses aussi !

(S) : ça marche ! Est-ce que tu te souviens avoir installé une application avant de pouvoir visionner ?

(J) : Genre Flash ou quoi ? Non !

(S) : Est-ce que tu te souviens de la première étape après ton abonnement quand on te demande de

renseigner trois contenus que tu aimes pour créer ton profil ?

(J) : Oui mais je m'en souviens pas très bien.

(S) : Si tu t'en souviens un peu. Est-ce que par rapport aux choix renseignés, tu trouves la sélection

pertinente ?

(J) : Oui je crois. Je me souviens au départ, à la création de mon profil, il y avait que des trucs que

j'aimais. Dans ce sens je trouve leurs recommandations assez pertinentes.

(S) : Qu'est ce tu penses des différentes catégories proposées par Netflix ?

(J) : Ben c'est ça que je trouve fouillis en fait.

(S) : Si j'ai bien compris. En fait ce que tu rapproches à ces catégories c'est qu'elles ne soient pas

assez basiques. Celles qui apparaissent en premier. Toi tu aimerais trouver des catégories claires et

basiques comme action, romance, comédie, séries US... en haut plutôt que tout en bas. C'est ça ?

(J) : Exactement. C'est peut être le côté trop personnalisé qui me dérange.

(S) : Combien de temps mets-tu à choisir un programme ? Ou est-ce que tu sais à l'avance e en

général ce que tu vas regarder ?

(J) : Je sais en général ce que je vais regarder. Donc c'est assez rapide. Et justement si je veux aller

en mode sérendipité pour choisir un truc, je mets beaucoup trop de temps et je finis par rien choisir.

(S) : Donc finalement tu reviens à des trucs que toi tu choisis ?

(J) : Oui oui.

(S) : Est-ce qu'il t'arrive d'utiliser la barre de recherche pour choisir un programme ?

(J) : Oui ça m'est arrivé mais je n'ai pas trouvé ce que je cherchais.

(S) : Donc c'était pour voir si c'était sur le catalogue ?

(J) : Oui.

(S) : Est-ce que tu l'utilises souvent cette barre de recherche ?

141

(J) : Ben du coup non !

(S) : Avant de t'abonner à Netflix, où regardais-tu tes séries et tes films avant ?

(J) : j'étais abonné à OCS et les internets !

(S) : C'est à dire ? Tu télécharges ?

(J) : Exactement ! Pas de streaming, je télécharge.

(S) : Pour résumer rapidement. Si tu devais me dire les plus et les moins de la plateforme. On va commencer par les plus. Par rapport à une autre plateforme de streaming qu'elle soit légale ou illégale.

(J) : Le vrai gros avantage sur Netflix c'est le fait de pouvoir mettre en pause, de reprendre là où tu as mis en pause. De regarder sur un autre écran après. Par exemple, pour Narcos, que j'ai regardé vraiment en fractionné, c'était super utile quoi ! C'est pratique. Tu commences à regarder sur ton ordinateur et puis faut que tu fasses de la cuisine ou je ne sais pas quoi et tu regardes sur Ipad tranquille.

(S) : Et les moins du coup ? On a parlé de cette histoire de catégories...

(J) : Ben les catégories du coup oui. Et aussi moi j'ai envie d'avoir des trucs un peu plus récents, un plus américain, chose que je n'ai pas forcément.

(S) : Est-ce que ça t'arrive d'ajouter des contenus à « Ma Liste » ?

(J) : Oui.

(S) : A quelle occasion du fais ça ?

(J) : Dans « Ma Liste » je mets les nouveautés Netflix pour les mettre de côté au cas où. Sinon c'est des trucs que je vois passer dans les recommandations. Ça peut être des séries que j'ai déjà vu comme Twin Peaks et je me dis « Ah ben tiens ça pourrait être marrant de la re-mater ».

(S) : Est-ce que tu as déjà voté pour un contenu ? Attribué une étoile ?

(J) : Non. Je ne le fais jamais. Parce que moi je suis quelqu'un qui n'aime pas laisser de traces. Même sur Facebook je ne like jamais et sur Spotify j'écoute en privé.

(S) : Est-ce que tu penses que Netflix t'encourage à consommer plus de contenus ?

(J) : Oui quand même. J'en consommais déjà beaucoup mais maintenant je pense un peu plus et je passe aussi plus par Netlfix.

(S) : Et pourquoi tu crois ?

(J) : Ben la facilité. Il y a des séries qui sont là devant toi disponibles sur Netflix et que je vais regarder. Je ne les aurais pas regardé sans ça quoi. Je sais que je vais commencer Jessica Jones ou Daredevil mais c'est des séries que je n'aurais pas regardé si elles n'étaient pas disponibles.

(S) : On peut dire que Netflix met en avant du contenu que tu ne serais pas allé chercher naturellement et que du coup tu consommes des choses que tu n'aurais pas consommé par toi même.

(J) : Et oui le fait que les épisodes se déclenchent l'un après l'autre, c'est aussi une facilité.

(S) : Est-ce que tu pourrais dire que Netflix te guide un peu dans tes choix ou t'accompagne ?

(J) Un guide non. Toute façon moi les séries que je choisis de voir, je les cherche ailleurs : sur Twitter ou je vais voir les avis sur des sites spécialisés. Voilà, donc mes choix se font plus en fonction de ça qu'à travers la plateforme elle-même. Quand je regarde une série c'est plus parce que j'ai lu des critiques ou des avis de journalistes, Télérama des trucs comme ça...

(S) : Donc par exemple la catégorie « tendances actuelles », ça te parle ?

(J) : Ben pour moi ce n'est pas vraiment représentatif des tendances, je ne vais pas trop me fier à ça. (S) : Que penses-tu des créations originales Netflix ?

(J) : En fait je trouve que c'est assez diversifié. House of Cards, ce n'est pas Daredevil. Je ne vois pas vraiment de différence avec d'autres bonnes séries. C'est dans la mouvance des productions du câble on va dire.

(S) : Et si je te disais d'associer la marque Netflix à des mots, phrases. N'importe quoi qui te vient spontanément à l'esprit !

(J) : Pratique. Pour la France quand même innovant. Après aussi, ça correspond à une consommation que j'ai de mon côté, que j'avais déjà bon. Bon je n'ai pas attendu Netflix pour regarder mais c'est vrai que facilite la vie. Je sais que pour House of Cards par exemple quand c'est sorti aux USA, j'avais une vraie frustration car je devais télécharger chaque épisode à part. Télécharger les sous-titres. Renommer les différents fichiers, alors qu'aux USA, ils avaient Netflix !

(S) : Et pourquoi tu as décidé de t'abonner ?

(J) : Ben pour la praticité et aussi j'ai un peu vu les séries disponibles sur le catalogue américain. A part HOC, j'ai vu qu'ils avaient en exclusivité la série Arrested Development qui est pour moi la meilleure série comique de tous les temps.

(S) : Tu la trouvais pas en téléchargement sur Internet ?

(J) : tu la trouvais mais pour le coup en France pour la télécharger c'était galère et trouver les sous titres surtout c'était galère car c'est pas forcément une série qui est très suivie en France. C'était long de trouver les bons sous-titres.

142

(S) : Donc c'est pour trouver des séries comme ça que tu t'es abonné ?

(J) : Oui.

(S) : Et tu as retrouvé Arrested Development sur le catalogue français ?

(J) : Oui.

(S) : Est- ce que tu suis Netflix sur les réseaux sociaux ?

(J) : Oui, pour le travail mais personnellement avant je ne les suivais pas.

(S) : Est ce que tu connais le site Spoilers.Netflix.com ?

(J) : Non. (Montrer le site).

(S) : Que penses-tu de cette démarche là, d'un site dédié au spoiling ?

(J) : Je trouve ça assez drôle !

(S) : ça te dérange qu'on te spoile toi ?

(J) : oui ça me fait chier ouais !

(S) : Est-ce que tu penses que dévoiler toute une saison d'un coup comme le fait Netflix encourage

les spoilers ?

(J) : Ah oui carrément. Non seulement ça encourage les spoilers mais si tu n'as vraiment pas envie de

te faire spoiler, ça te force à bingewatcher à fond ! Avec Netflix, le rapport au spoil à vraiment changer

quoi.

(S) : Est-ce que tu trouves que la plateforme est accessible à différents profils ou que ceux qui sont

moins habitués à regarder sur le web trouveraient des difficultés ?

(J) : Je pense que c'est accessible pour tout le monde après mes je pense que mes parents ne

sauraient pas quoi regarder dessus. Ils vont arriver dessus, ils vont voir plein de recommandations,

plein de séries mais je pense qu'en fait ils vont pas avoir la curiosité de chercher ce qui leur plait. Ils

vont avoir trop de choix à ne pas savoir quoi faire !

(S) : Dernière question. Es-tu conscient que Netflix récolte tes données ? Et est ce que ça te

dérange ?

(J) : Pas forcément. Ça ne me dérange pas du moment que les contenus me plaisent. Après ça

dépend des données qu'on donne. C'est pour ça que moi j'essaie d'en laisser le moins possible.

(S) : Et la pub sur la plateforme ça te dérangerait ?

(J) : Oui si je paie oui ça me dérangerait d'avoir de la pub.

(S) : Quelque chose à ajouter ?

(J) : Pas forcément. J'espère que ça va te servir !

07 décembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec Lola Aubert, 24 ans, chargée de communication multimédia à la Cité internationale universitaire de

Paris

Discours spontané de Lola devant l'interface :

Quand j'accède à Netflix, je vais directement accéder à la série que je suis en train de visionner en ce moment. Je regarde toujours en VOSTFR (elle insiste sur le fait que les paramètres choisis soient préenregistrés pour tous ses visionnages. A la fin de l'épisode, je regarde généralement l'heure, c'est une sorte de rituel pour moi de toujours regarder l'heure quand je finis un épisode. Et je vois si j'ai encore le temps d'en regarder un autre.

Sarra (S) : Sur quel support accédez-vous à la plateforme le plus souvent ?

Lola (L) : J'y accède de deux manières généralement :

- soit par le biais de ma Xbox One (avant c'était une PS3) qui est branché à ma TV

- soit par le biais de mon PC que je branche en HDMI sur ma TV. Cela me permet de regarder sur un écran plus grand.

(S) : Accéder vous à votre profil ou au profil de quelqu'un de votre foyer ?

(L) : Je prends le profil de mon copain (à qui appartient le compte). On se partage indifféremment ce profil. Je me suis connectée quelquefois avec le profil « Kids » pour regarder des contenus pour enfants (dessin-animés Disney ou My Little Pony). Ceci pour éviter trop de recommandations « enfants » sur le profil général (de mon copain).

(S) : Comment trouvez-vous la navigation sur la plateforme ? Vous rappelle est une autre plateforme ? (L) : Elle ne me fait pas penser à une plateforme en particulier, mais plutôt à des catalogues « au kilomètre ». Je ne trouve pas ça très pratique.

143

(S) : Avez-vous installé une application avant de pouvoir visionner ?

(L) : Oui, sur Xbox, je me souviens d'avoir installer une application

(S) : Suivant les choix que vous avez renseigné pour la création de votre profil, pensez-vous que la sélection faite par Netflix spécialement pour vous est pertinente ?

(L) : Je n'ai pas renseigné grand-chose dans mon profil. Toutefois, les recommandations sont assez pertinentes.

(S) : Vous aimez les différentes catégories proposées par Netflix ?

(L) Les catégories sont assez classiques finalement. On retrouve ce type de catégories un peu partout (en virtuel et en physique) : boutiques de location de films, magasins, sites marchands...

(S) : Combien de temps passez-vous sur la plateforme avant de choisir un programme ?

(L) : Cela dépend beaucoup : souvent, je ne me pose pas la question car je regarde une seule série à la fois (j'utilise principalement Netflix pour les séries et non les films). Il est rare que je ne sache pas quoi regarder ensuite (après avoir terminé une série), sauf lorsque je ne trouve pas le programme sur Netflix. Dans ce cas, je peux passer beaucoup de temps à chercher « l'inspiration ».

(S) : Pensez-vous qu'il y a suffisamment de programmes ?

(L) : Non seulement il n'y en a pas assez (qu'il s'agisse de séries ou de longs-métrages), mais un des principaux problèmes est la gestion des exclusivités : par exemple, Netflix ne peut pas diffuser la série « House of Cards » (qui est pourtant produite par Netflix !) car l'exclusivité de diffusion a été achetée par une autre chaîne (Canal + je crois). De plus, la législation française impose un délai de diffusion (pour la VOD) pour les films notamment, ce qui provoque une disponibilité retardée de plusieurs mois (36 mois ? je crois). Cette législation vide complètement une plateforme telle que Netflix de son essence même : c'est dommage car ce type d'acteurs (ces plateformes) sont un bon moyen pour moi de lutter contre le téléchargement illégal (auquel je m'adonne, justement parce que les contenus que je souhaite visionner ne sont pas disponibles sur des plateformes légales en France).

(S) : Avez-vous déjà recherché un programme sur la barre de recherche ? Si oui l'utilisez-vous souvent ?

(L) : J'ai déjà utilisé le moteur de recherche lorsque je souhaite trouver un contenu spécifique. Je ne l'utilise pratiquement jamais car taper un mot-clef est très fastidieux, notamment à travers l'application sur Xbox (les lettres sont à sélectionner une à une du fait de l'absence de clavier (virtuel ou physique). (S) : Avant de vous abonnez à Netflix, où regardiez-vous vos séries, films ?

(L) : Je téléchargeais illégalement ou je regardais (rarement) sur support DVD (je n'achète pas de DVD, mais on m'en offre).

(S) : Quels sont les plus ou les moins de Netflix versus une autre plateforme de streaming ?

(L) : Comme je suis principalement intéressée par les séries (plutôt que les films) Netflix me convient bien pour cela. L'avantage de Netflix est d'être une plateforme indépendante (il n'y a pas besoin de l'acheter à travers un « bouquet » de chaînes. Je n'ai pas beaucoup testé de plateformes autres (du fait que je n'avais pas envie de payer pour tester et que jusqu'ici, Netflix satisfait en partie à mes exigences niveau catalogue).

(S) : Avez-vous déjà ajouté un contenu à « Ma Liste » ?

(L) : Non.

(S) : Avez-vous déjà voté pour un contenu (attribuer une étoile) ?

(L) : Non.

(S) : Avez-vous déjà rédigé un avis sur un contenu ?

(L) : Non.

(S) : Avez-vous déjà lu les avis rédigés par les autres utilisateurs ?

(L) : Non, j'ai seulement consulté les notes.

(S) : Pensez-vous que Netflix vous encourage à consommer plus d'épisodes d'affilée ?

(L) : Je ne pense pas, seule l'heure avancée de la nuit m'arrête. Netflix n'a pas changé ma manière de consommer des contenus (je regarde souvent) de nombreux épisodes de séries d'affilée.

(S) : Pensez-vous que votre consommation a augmenté ?

(L) : Non plus, pour les raisons que je viens d'évoquer: j'étais déjà une grande consommatrice de séries et je regardais déjà plusieurs épisodes à la suite.

(S) : Diriez-vous que Netlfix est un guide pour vous ? Les sélections Netflix déterminent-elles les séries et les films que vous regardez ?

(L) : Pas vraiment. Il est vrai que j'ai parfois cédé aux recommandations Netflix, mais j'ai bien souvent une idée préconçue de ce que je souhaite regarder. Quand je ne sais pas quoi regarder, il m'arrive de faire confiance à Netflix : mais cela reste un usage marginal et j'ai été plusieurs fois déçue.

(S) : Que pensez-vous des créations originales Netlfix par rapport aux autres séries ? Y a t il quelque chose qui change ?

(L) : J'apprécie beaucoup les créations originales Netflix. Ce qui change pour moi, c'est que Netflix, en tant que producteur, devient une référence, un gage de qualité. Alors qu'on a plutôt tendance à prendre le réalisateur - ou certains acteurs - comme référence.

144

(S) : Pourquoi vous êtes vous abonné sur Netflix ?

(L) : Clairement par éthique. Je n'ai rien contre le téléchargement illégal puisque je m'y adonne abondement. Toutefois, je crois en le fait que les maillons créatifs de contenus multimédias / audiovisuels doivent être rémunéré. Néanmoins, pour moi, les modèles classiques (cinéma, DVD...) sont dépassés. Les formats (séries) ne sont pas tous adaptés au cinéma, les DVD posent des contraintes et sont économiquement peu rentables pour les consommateurs. J'ai donc envie d'encourager les solutions émergentes telles que les plateformes VOD ou les plateformes comme Netflix.

(S) : Suivez vous Netflix sur Facebook ?

(L) : Non. Mais je suis très peu d'annonceurs ou de marques sur Facebook, donc ce n'est pas très représentatif.

(S) : Connaissez vous le site Spoilers.Netflix ? Sinon montrer

(L) : Non, le nom me fait peur. J'ai la hantise du spoil.

(S) : Connaissez-vous Binge by Konbini ?

(L) : Oui. C'est pas mal mais pas toujours bien écrit

(S) : Comment choisissez-vous les séries que vous regardez ?

(L) : D'abord par recommandation / bouche à oreille (amis, collègues). Ensuite par réputation (création originale Netflix par exemple, ou qualité des acteurs / du réalisateur).

(S) : Regardez-vous en français ou en anglais ?

(L) : Toujours en VOST : Anglais la plupart du temps, mais aussi dans d'autres langues, comme le danois pour les séries danoises que j'apprécie beaucoup, telles que The Bridge ou The Killing).

(S) : Avez-vous facilement trouvé comment changer de langue ?

(L) : Oui, très facilement. C'est un emplacement assez classique. Comme sur les plateformes vidéos telles que Youtube ou Dailymotion ou comme sur mon interface box internet Numéricâble.

(S) : En gros, qu'est ce que vous aimez sur la plateforme ? Citez 5

(L) : La navigation d'un épisode à l'autre, la présentation d'une fiche contenu (fiche série par exemple), la fluidité de la diffusion (mise en cache très rapide, même pour de la HD), la conservation des paramètres pré-enregistrés (langues...), la reprise simple et rapide de la suite des contenus (visualisation en cours, suite d'une série...)

(S) : En gros, qu'est ce que vous aimez le moins sur la plateforme ? Citez 5

(L) : Je n'apprécie pas qu'il n'y ait qu'une suite au kilomètre de petites vignettes. J'aurais aimé la mise en avant des contenus avec de grands visuels (seul le header utilise cela, et il n'est pas très varié finalement). La navigation dans le catalogue : je n'ai rien contre le scroll, mais j'ai l'impression de me perdre ou de me recouper (paradoxalement) dans le catalogue. Je ne sais pas trop quoi faire (tableau à double entrée avec navigation verticale ET horizontale). Le problème de la disponibilité des contenus. Le manque de contenus « bonus » : c'est dommage qu'on ne retrouve pas de contenus « autour du film ». Le manque de contenus en ce qui concerne les films ou documentaires.

(S) : Est-ce que cela t'embêterait de retrouver de la publicité sur la plateforme ?

(L) : Oui !!! Non seulement Netflix est accessible uniquement en version payante, sauf un mois d'essai gratuit, mais si on devait payer pour voir des publicités, je pense que je ne payerais pas pour ça et que je retournerais télécharger mes contenus illégaux. Ce serait insupportable pour moi, déjà que la publicité m'horripile partout ailleurs sur le web.

(S) : Cela te dérange-t-il que Netfllix récolte des données de navigation et de visionnage ?

(L) : A priori, je n'ai jamais été contre qu'un acteur récolte des données sur moi à la seule condition que cela serve uniquement à améliorer ses services.

Le problème est que ces données ne sont pas utilisées qu'à cela. Elles servent à dresser un profil consommateur qui va bien au delà du marketing et qui sont intrusives pour ma vie privée (par exemple, Netflix peut savoir si je sors le weekend ou que je regarde des séries, peut donc déduire mon emploi du temps etc). C'est le problème général des plateformes récoltants de la data : où est la limite entre des données collectées pour me satisfaire mieux en tant que consommateur et des données collectées dans le but de dresser des profils utilisateurs, ce qui est nuisible à la vie privée. Je m'arrête là car la question des données personnelles des consommateurs est vaste.

145

Questionnaire en ligne

Méthodologie du questionnaire administré en ligne :

Dans le cadre de mon étude et pour comprendre les raisons de la migration des publics sériephiles vers le web ainsi que la popularisation de certaines pratiques comme le binge-watching et le spoiling, nous avons administré un questionnaire en ligne en direction de publics très éclatés : sur Facebook, à travers le groupe Wanted Bon Plans218, et sur Twitter où il a été retweeté par plusieurs comptes notamment celui du publicitaire Mathieu Flaig qui compte 46 200 abonnés à la date de notre étude219. Nous avons pu récolter 402 réponses au questionnaire. Ces réponses nous ont permis de confirmer nos présuppositions concernant ces publics. Il est impoortant de noter que nous sommes conscient de la non-représentativité de cet échantillon, pour cette raison nous avons appuyé notre discours par une enquête de Olivier Donnat, réalisée en 2008 sur les pratiques culturelles des français220.

Construction du questionnaire :

Pour construire notre questionnaire, nous avons utilisé Google Forms pour la simplicité de la méthode et la possibilité de récolter les donner et de les analyser directement sur les feuilles de calcul Google.

218 Wanted Bons Plans est un groupe Facebook d'entraide dont l'objectif est de mutualiser les offres et les demandes de chacun. Le groupe compte 178 000 membres. Les villes les plus représentées sont Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille, Londres et New-York et la moyenne d'âge se situe entre 25 et 30 ans.

219 Ce compte a été consulté le 21 janvier 2016.

220 DONNAT, Olivier, Enquête sur les pratiques culturelles des Français, 2008 : http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/doc/08synthese.pdf

146

147

148

149

150

Résumé des 402 réponses collectées :

151

152

153

154

Résumé

La généralisation de l'Internet haut-débit et la dématérialisation des contenus culturels témoignent de bouleversements importants au sein des industries de la culture et notamment au sein la filière audiovisuelle. Ce travail de recherche s'intéresse en particulier à l'impact de la numérisation sur la filière audiovisuelle et sur les pratiques des spectateurs en proposant d'analyser le cas du service de streaming Netflix et de son produit d'appel, les séries télévisées. En se positionnant comme créateur et diffuseur de contenus audiovisuels sur le web, Netflix intègre diverses compétences et remonte la chaîne de valeur montrant que de nouveaux modèles économiques sont possibles. Ainsi, il s'inscrit dans une révolution des contenus audiovisuels (dont la consommation devient davantage délinéarisée et différée) à travers la mise en place d'un dispositif, inspiré des pratiques de visionnage des sériephiles et adapté aux modes de consommation actuelles. Cette révolution des contenus audiovisuels est également portée par l'installation de modes production et de diffusion inédits. N'étant pas soumis à des contraintes comme celles que représentent les annonceurs et fort d'un algorithme de recommandation qui lui permet de récolter les données de navigation de ses utilisateurs et d'étudier leurs goûts et leurs préférences, Netflix développe un modèle de production en une fois, lançant la production de saisons entières sans devoir passer par une validation préalable d'un épisode pilote. Il met également en ligne instantanément des entières, contribuant ainsi à ancrer encore plus des pratiques plébiscitées par les sériephiles, comme le binge-watching. La politique de ce créateur-diffuseur n'est pas sans impact sur les contenus qu'il produit et notamment ses séries télévisées originales qui revêtent des formats, des structures narratives et des procédés scénaristiques hybrides. Un impact qui remet en question plus que jamais l'appellation « série télévisée ».

Mots-clés

Netflix, VOD, SVOD, Bing-watching, Spoil, streaming, peer-to-peer drama, fiction, fan, sériephile, audiovisuel, délinéaire, série, télévision, diffusion, multi-écrans, hybridation, visionnage, cliffhanger, différé






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery