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Accès à  la terre et conflit au tchad: cas du <> (XXe au XXIe siècle).


par Dieudonné Kingué Kampété
Université de Maroua - Master II en Histoire Politique et des Relations Internationales  2016
  

Disponible en mode multipage

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    Université de Maroua

    The University of Maroua

    Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines Département d'Histoire

    Faculty of Arts, Letters and
    Social Sciences
    Department of History

    B.P. 644 Maroua
    Tel : (237) 22 29 30 70

    ACCÈS À LA TERRE ET CONFLITS AU TCHAD : CAS DU « PAYS MASSA » (XXe-XXIe SIÈCLES).

    Mémoire présenté en vue de l'obtention du diplôme de Master recherche en Histoire
    Option : Histoire Politique et des Relations Internationales
    Par
    KAMPÉTÉ Dieudonné KINGUÉ
    (15D0956FL)
    Titulaire d'une Licence en Histoire

    Sous la direction de :

    M. GIGLA GARAKCHEME

    Chargé de Cours

    Année académique 2016-2017

    À la famille DJALDI KINGUÉ

    DÉDICACE

    II

    REMERCIEMENTS

    Nous tenons à exprimer notre reconnaissance et gratitude à toutes les personnes qui ont été d'un apport multiforme dans la réalisation de ce travail.

    Nous exprimons notre reconnaissance à notre directeur de mémoire, Dr Gigla Garakcheme, qui n'a ménagé aucun effort, malgré ses multiples occupations, pour diriger ce travail. Sa sociabilité, son attention constante plus son appui et ses conseils nous ont été bénéfiques dans la réalisation de ce mémoire.

    Nous témoignons aussi notre gratitude à nos enseignants du département d'histoire de l'Université de Maroua, pour leur apport scientifique dans le cadre de notre formation. Nous pensons principalement au chef du département, Dr Bouba Hamman, Dr Wassouni François, Dr Woudammike Joseph, Dr Ousmanou Adama.

    À Andjaffa Djaldi Simon, Dr Armi Jonas nous adressons notre reconnaissance pour les encouragements et les orientations données pour notre travail. Notre aveu va à l'endroit des chefs de canton, sous-préfets, autorités administratives, familles et autres qui nous ont réservé un accueil chaleureux lors de notre descente sur le terrain.

    Nos remerciements aux personnes dont les noms suivent pour leur soutien financier, matériel et moral : notre père Djaldi Kingué, notre maman Tchenda Martine Soua, nos oncles Guibolo Fanga Matthieu et Godjo Olina.

    Notre reconnaissance va également à l'endroit de nos camarades de promotion pour l'esprit de collaboration et d'encouragement et de partage manifesté tout au long de notre parcours. Il s'agit de : Massana Doum Ésaïe, Singdansou Raphael, Fanbaibo Jérôme, Gana Ésaïe, Fidessou Guibourou Bertrand, Kataya Madeleine Hamman, Kari Yaya, Saïbou Abdramane Basga, Ldakna Vilday Christophe, Ondoua Ekonglo Franck, .Alioum Hamadou, Fanta Noé Clarisse, Zaki Ngouvaka Emilienne.

    Nous ne pouvons tourner cette page sans témoigner notre gratitude aux amis qui ont chacun à sa manière contribué à la réalisation de ce travail. Il s'agit de : Moussa Djonret, Mbaïnaïssem Laokara Louis, Théophile Olina, Jonas Doumna, Moussa Mboktolet, Abdoul Madjérembé. Que tous ceux qui ne sont pas cités, se sentent concernés par ces mots de remerciement.

    RÉSUMÉ

    L'accès aux ressources foncières est souvent source de conflits. En pays massa, territoire situé dans le sud-ouest du Tchad, la terre a toujours joué un rôle important dans l'organisation sociale. Elle sous-tend toutes les activités humaines car l'économie est basée essentiellement sur l'agriculture. Cependant, la gestion de la terre demeure un enjeu pour toutes les populations. C'est ce qui explique les nombreux conflits impliquant divers protagonistes. Cette étude montre en quoi l'accès et la gestion de la ressource foncière structurent les rapports sociaux chez les Massa du Tchad. Pour ce faire, une approche pluridisciplinaire nous a permis de mieux appréhender la question. Aujourd'hui les conflits fonciers sont récurrents en raison de l'amenuisement des ressources liés à la terre et de la compétition entre divers acteurs (grands éleveurs citadins et agriculteurs ruraux).

    Mots clés : Pays massa, gestion, terre, dynamiques rurales, conflits.

    ABSTRACT

    The access to the fundamental resources is at times a source of conflict. In the massa area, a land situated in the south-west of Chad, has always played an important role in social organisation. It implies all human activities for the economy is essentially based on agriculture. Yet, land management, in a context of scarcity marked by climate changes and demographic pressure remains what is at stake to all the population. That is what implies the numerous conflicts with the coming in of diverse protagonists. This study aims at showing in what the management of land determines the social link in a given territory. For this reason a multidisciplinary approach permitted us to better apprehend the question. Today, land conflicts are periodique due to the shrink of resources link to land and the competition amongst the various actors (big urban raisers and rural agriculturist).

    III

    Key words: Massa land, management, land, rural dynamics and conflict.

    iv

    SOMMAIRE

    DÉDICACE i

    REMERCIEMENTS ii

    RÉSUMÉ iii

    SOMMAIRE iiiv

    LISTES DES SIGLES ET ACRONYMES v

    GLOSSAIRE vi

    TABLE DES ILLUSTRATIONS vii

    INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

    CHAPITRE I : PRÉSENTATION ET CARACTÉRISTIQUES PHYSIQUES DU PAYS MASSA 21

    I-CARACTÉRISTIQUE PHYSIQUE DU PAYS MASSA 23

    II-LA MISE EN PLACE ET L'ORGANISATION SOCIALE DES MASSA 26

    III-LES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES 31

    CHAPITRE II: ACCÈS À LA TERRE DANS LA SOCIÉTÉ MASSA 39

    I-LES PRATIQUES FONCIÈRES AVANT LA COLONISATION 40

    II-LA POLITIQUE COLONIALE EN MATIÈRE FONCIÈRE ET SON IMPACT SUR LA SOCIÉTÉ

    MASSA 45

    III-AMENUISEMENT DES RESSOURCES FONCIÈRES ET COMPÉTITION POUR L'ACCÈS À LA

    TERRE 51

    CHAPITRE III : MANIFESTATIONS ET CONSÉQUENCES DES CONFLITS 62

    I-TYPOLOGIE ET MANIFESTATION DES CONFLITS 63

    II-LES ENJEUX LIÉS AUX CONFLITS 73

    III-LES CONSÉQUENCES DE CONFLITS FONCIERS 78

    CHAPITRE IV : MÉCANISMES TRADITIONNELS ET MODERNES DE RÉSOLUTION DE

    CONFLIT. 83

    I-LES MÉCANISMES TRADITIONNELS DE RÉSOLUTION DES CONFLITS 84

    II-LES DISPOSITIFS MODERNES DE RÉGULATION DES CONFLITS 94

    CONCLUSION GÉNÉRALE 102

    SOURCES ET RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 104

    ANNEXES 110

    TABLE DES MATIÈRES 115

    V

    LISTES DES SIGLES ET ACRONYMES

    ANADER : Agence Nationale de Développement Rural

    CA : Centre Al-mouna

    CB : Commandant de Brigade

    CBLT : Commission du Bassin du Lac-Tchad

    CEFOD : Centre d'Étude et de Formation pour le Développement

    CILSS : Communauté Inter-État de Lutte contre la Sécheresse au Sahel

    CIRAD : Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique

    CIT : Convergence Intertropicale

    FIT : Front Intertropical

    NTIC : Nouvelle Technologie de l'Information et de la Communication

    ONDER : Office National du Développement rural

    OPJ : Officier de la Police Judiciaire

    PNGT : Programme National de Gestion de Terroirs

    PPT/RDA : Parti Progressiste Tchadien/Rassemblement Démocratique Africain

    SEMAB : Secteur de Mobilisation et d'Aménagement de Biliam-oursi

    vi

    GLOSSAIRE

    Blamana : Chef de village

    Boum golonga : Prêtre du fleuve

    Boum nagata : Prêtre de la terre ou encore père de la terre

    Boum zina : Père de la famille

    Farana : Désigne le clan, la richesse

    Foulayna : Les génies

    Foullah : Brousse

    Golla : Pratique qui consiste pour un individu de confier ses boeufs à une autre personne

    Guruna : Forme de pratique culturelle chez les massa qui consiste pour les jeunes de sortir faire paitre les boeufs

    Hoyok zina : Derrière les cases

    Labana : Désigne la pratique initiatique

    Lawna : Dieu

    Moullah : Roi ou chef de canton

    Ouana : Mil rouge

    Pahna : Le tabac

    Poutna : Taureau

    Sinena : Un champ

    Tchaïna : Le penicilaire

    Tchokona : Le sorgho

    VII

    TABLE DES ILLUSTRATIONS

    1- Liste des cartes

     

    Carte 1 : localisation du pays massa

    22

     

    2- Liste des photos

     
     

    Photo 1 : Un champ à proximité des cases à Biliam-oursi .

    33

    Photo 2 : Vaste terrain pour la culture du riz à 15km de l'entrée nord de Bongo

    34

    Photo 3 : Ruine de la société SEMAB à Biliam-oursi

    35

    Photo 4 : Vestige d'une machine de labour de SEMAB

    36

    Photo 5 : Campement des éleveurs peuls à Djarabou

    ..56

    Photo 6 : Espace autrefois utilisé pour la culture du mil transformé en verger de

    manguiers .58

    Photo 7 : Une forêt de manguiers à l'entrée nord de Bongor .59

    Photo 8 : Un troupeau de boeufs pâturant près d'un champ 70

    Photo 9 : Jugement d'une querelle domaniale entre le blama et une famille .91

    Photo 10 : Bâtiment de la brigade de recherche de Bongor 95

    Photo 11 : Bâtiment de l'ANADER, ex ONDER (office national de développement

    rural) de Bongor .97

    Photo 12 : Monument indiquant la sous-préfecture de Guelendeng ..99

    1

    INTRODUCTION GÉNÉRALE I- OBJET DE L'ÉTUDE

    L'interaction entre l'Homme et son environnement est souvent source de conflits dont les causes sont liées aux dynamiques rurales dans un contexte où tout le monde cherche à subvenir à ses besoins vitaux grâce aux ressources de la terre. Les terres deviennent, pour ainsi dire, des véritables motifs sociaux tant elles constituent des sources d'acquisition des biens, des capitaux. Leur raréfaction et la configuration de leur disponibilité sont conflictogènes. Si certains conflits sont observés au niveau des États, d'autres naissent dans les villages, les cantons rendant quelquefois difficiles leur gestion. La gestion des conflits fonciers, de façon équitable et durable, constitue un problème majeur auquel font face, quotidiennement, les États africains. La configuration spatiale occupe ainsi une place importante dans l'évolution des sociétés humaines et figure parmi les grandes questions de l'Histoire.

    Toutefois l'on sait que la forme et l'intensité des discordes, en ce qui concerne l'accès aux ressources, varient considérablement d'une communauté donnée à une autre, en fonction du lieu et du temps. Les conflits naissent souvent du fait que les Hommes désirent exploiter la terre comme ils l'entendent et se l'approprier pour toujours. Certains différends sont liés aux intérêts égoïstes et aux besoins inassouvis des uns et des autres. En effet, l'acquisition des ressources de la terre ne se fait pas sans gêne. Toutes les fois que les produits de l'agriculture sont abondants, par exemple, on s'attire la jalousie ou l'envie de l'Autre. Chacun voudrait gagner, tirer les faveurs de la nature. Dès lors, certains groupes se sentent lésés et/ou leurs priorités négligées ou confisquées par les autres.

    C'est pourquoi dans une communauté qui vit de l'agriculture, le droit à la terre est à la fois une nécessité et une évidence : exclure un paysan de la terre, c'est le condamner à mort (Coquery-Vidrvitch, 1983:7), parce que la culture est la principale activité économique en Afrique et plus particulièrement au Tchad. C'est dans ce contexte que le géographe canadien Frédéric Lassere, lors de ses enquêtes en Afrique, a recensé des dizaines de conflits liés à la gestion des ressources (l'eau, terres), (Bouquet, 2014). Au Burkina Faso par exemple, l'administration des ressources

    2

    naturelles avait occupé une place importante dans l'émergence des contestations en milieu rural. Elle fut à la base de nombreux heurts (Alkassoum Maiga, 2006:168). C'est aussi le cas du Zimbabwe où, en 1989, l'appétence de la terre fut à l'origine de la naissance d'un grand mouvement rebelle (Nancy, Sadomba, 2006:125).

    Le peuple Massa, dans le Mayo-Kebbi (sud-ouest du Tchad) donne à voir un exemple où les conflits liés aux ressources (terre) émaillent les relations entre les tribus. Bases de toutes les activités économiques, les terres cultivables, dans cette partie du Tchad, revêtent des enjeux multiples d'ordre économique, socioculturel, voire politique. L'agriculture et la pêche sont un moyen d'affirmation de l'identité ethnique et culturelle en pays Massa et constituent la base de toutes les activités économiques. La vie de l'homme massa est attachée au sol et à l'eau et, rien n'est plus fatal et désastreux que de l'en déposséder. Ces ressources revêtent une importance capitale et ont une dimension économique incontestable dans la société massa, car quasiment toute la population vit essentiellement des produits de la terre et de l'eau. C'est pourquoi leur acquisition demeure un problème majeur, comme pour nous rappeler le vieil adage français « qui terre a guerre a ».

    Comme n'importe quelle société, les conflits fonciers en pays Massa n'éludent pas la question d'autochtonie et d'allochtonie où la croissance démographique cause une difficile répartition spatiale en termes de ressources. Nombre de conflits ont lieu entre les agriculteurs, d'une part, et les agriculteurs-éleveurs, d'autre part.

    De ce qui précède, les conflits en pays Massa révèlent l'importance de la terre dans un contexte fortement marqué par une pression démographique accroissant les besoins en termes d'alimentation. Cela signifie que la terre est intrinsèquement liée à l'évolution de cette société. C'est sur les conflits liés à l'accès aux ressources de la terre que nous avons jeté notre dévolu. L'intitulé de notre sujet est donc : « Accès à la terre et conflits au Tchad : cas du « pays massa » (XXe-XXIe siècles) ». Notre sujet s'inscrit dans le champ de l'histoire politique, du fait que tous les systèmes humains dynamiques sont par nature conflictuels et impliquent des logiques d'intérêt, et environnemental, car il s'agit de l'interaction entre l'homme et son environnement.

    II- 3

    RAISONS DU CHOIX DU SUJET

    Pour traiter ce sujet, un certain nombre de raisons ont meublé notre choix. Elles découlent de notre intérêt pour les activités rurales de manière générale et de l'interaction des hommes qui y vivent avec leur environnement.

    Aussi, le choix de notre zone d'étude n'est pas fortuit. Il se justifie par notre connaissance du milieu et la maîtrise du cadre d'étude. Notre statut de chercheur en situation de proximité serait bénéfique pour nous. De plus, le pays massa apparait comme une zone où les conflits fonciers sont fréquents. Cependant, on constate une rareté notoire des ouvrages scientifiques sur le sujet.

    L'autre raison, qui nous pousse à aborder ce thème, est l'attitude des acteurs de ces conflits qui peinent à respecter les décisions de justice. Dès lors qu'une décision est prise, elle est automatiquement contestée par l'autre camp. Les textes réglementaires, traditionnels ou modernes, sont peu clairs et cèdent place aux interprétations des us et coutumes de chaque camp.

    III- INTÉRÊTS DE L'ÉTUDE

    La question foncière compte parmi les défis auxquels les pays en développement sont confrontés. Elle est caractérisée ainsi par une multiplicité de droits sur un même espace et dont l'accès est source de tension. En ce sens, notre étude présente des intérêts particuliers.

    D'abord, elle est une contribution scientifique à l'historiographie africaine et plus précisément à l'histoire du Tchad. Cette étude nous permet de comprendre les difficultés liées à la gestion, à l'exploitation des ressources(les terres), considérées comme support de toutes les activités productrices pour l'homme. Il s'agit aussi de donner la place que ces ressources occupent dans l'organisation des activités humaines dans la société Massa. Elle peut aussi aider à comprendre les fondements historiques des conflits en pays massa et proposer des stratégies quant à leur résolution.

    4

    IV- CADRE SPATIO-TEMPOREL

    Le présent travail a pour cadre spatial le pays massa(Tchad). Le pays massa ici renvoie à l'espace géographique occupé par les Massa du Tchad. Il est un territoire de la région du Mayo-kebbi Est dont le chef-lieu est Bongor. Situé géographiquement au sud-ouest du Tchad, dans les départements Mayo-Boney et Mayo-Lémié, il compte sept sous-préfectures (Nguelendeng, Katoa, Bongor, Rigaza, Gam, Moulkou et Samga)1. Le pays massa est composé au total de dix cantons repartis sur l'ensemble de ces Sous-préfectures (Koumi, Magao, Touhra, Télémé, Bongor, Tougouday, Ham, Lolon, Mogrom, Mita). Il se trouve dans la zone comprise entre le 8ème et le 12ème degré de latitude nord et entre le 14ème et le 17ème degré de longitude Est2. Le pays massa est limité au Nord par le pays Baguirmi, à l'Est par le pays Kim, Moussey, au Sud par le pays Toupouri et au Sud-est par leur frère Massa du Cameroun. Le pays massa ne connait qu'une répartition territoriale en terre appelée Nagata3( Dumas-Champion, 1983:20).

    De façon générale, toute la partie méridionale du Tchad est sous l'influence d'un climat tropical humide à deux saisons, une sèche et une pluvieuse. Les pluviométries annuelles sont comprises entre 1200 et 1400 mm/an (Souapibé Pabamé Sougnabé, 2003:3). La saison de pluie dure 4 à 5 mois, de Mai à Septembre (ibid). Le pays massa est situé dans la zone soudanienne plus ou moins boisée à combrétacées. Il est sous l'influence d'une zone climatique qui conditionne trois types principaux de sols : ferralitiques, ferrugineux tropicaux et hydro morphes. Ces nombreux types de sol favorable à l'agriculture, permettent une gamme très variée de culture en pays Massa.

    En ce qui concerne le milieu humain, le pays Massa est connu au début comme abritant les Massa. Cependant, avec les quatre dernières décennies, les guerres qu'a connues le pays ont provoqué le déplacement des hommes sur le territoire, occasionnant ainsi l'installation d'autres peuples venant des régions voisines. Le

    1 https// fr.m.wikipdia.org

    2 Cette situation géographique est celle de la région du Mayo-Kebbi Est et le pays massa en fait partie. Confer https// fr.m.wikipdia.org

    3Nagata désigne en massa terre (espace habitable) ou terres (espace arable).

    5

    peuplement de cette région est ancien, consécutif aux mouvements migratoire qui se sont déclenché autour du Lac-Tchad avec le mythe Sao.

    Nos bornes chronologiques ne sont pas le fait d'un hasard. Le XXe siècle choisi comme borne supérieur est en effet celui de la mise en place mais aussi de la maturation des sociétés massa4, avec une organisation sociale dont la cellule de base était la famille. Étant une société segmentaire, l'espace était géré selon les besoins de la population qui pratiquait une agriculture de subsistance.

    En plus, le XXe siècle est un siècle important dans l'histoire du Tchad car il est caractérisé par la colonisation. La présence étrangère dans le territoire tchadien impose sa politique en matière d'administration. Alors que les terres, chose sacrée de la nature considérée comme un patrimoine donc l'accès et l'utilisation dépendait d'un prêtre et était de ce fait inaliénable, la politique coloniale en matière foncière en fit un objet dont l'appropriation est possible, causant ainsi un sérieux problème quant à leurs gestions. Elle favorisa l'appropriation privée et publique de la terre sans tenir compte des droits coutumiers. Ceci a permis ainsi à certains exploitants de se soustraire au contrôle des chefs traditionnels en vertu du principe législatif selon lequel la terre appartient à l'État et sa jouissance est accordée à celui qui l'exploite. Après les indépendances, le Tchad connait sur son territoire, différents régimes, lesquels régimes ont impactés négativement le pays. Ce contexte d'insécurités fut bénéfique pour certains Chefs traditionnels qui ont conquis de vastes espaces. Ces périodes marquées par les troubles ont occasionné le déplacement d'une grande population du sud vers la région du Mayo-Kebbi. Toutefois, l'on identifie une population faible originaire du Nord-Est, majoritairement commerçante.

    En fin le XXIe siècle choisi comme borne inférieur est celui marqué par une insécurité dominée par les conflits armés, occasionnant une vague de migration d'une forte population musulmane dans la région. De ces constantes migrations, celles des éleveurs ne sont pas ignorées. À la recherche des pâturages pour leurs

    4 Nous parlons de la maturation parce que la société massa était à cette époque bien organisée avec une structuration basée sur la famille et le chef était le père. Cette organisation propre aux Massa connait un changement avec l'arrivé des colonisateurs.

    6

    troupeaux, nombre d'éleveurs venant de la partie nord du pays ont intégré la région du Mayo-Kebbi. Cette activité dans la région suscite l'envie de certains hauts fonctionnaires de la région qui, du coup s'adonnent à cette pratique. Il nait une nouvelle forme d'élevage, cette fois-ci l'élevage des généraux et des grands commerçants. Le pays massa connait ainsi une croissance démographique accélérée, provoquant une extension territoriale, entrainant la raréfaction des espaces vitaux, ce qui provoque des conflits. Ainsi, le XXIème siècle apparait comme celui marqué par les conflits les plus récurrents entre les différents acteurs.

    V- CADRE CONCEPTUEL ET THÉORIQUE V.1- Cadre conceptuel

    Cette étude s'inscrit dans un cadre conceptuel et théorique dont la présentation participe à la définition de certains concepts. Il s'agit d'entrer de jeu d'expliciter ces notions en levant un pan de voile sur ce qu'on entend par : ressource naturelle, foncier, conflit.

    On dénomme ressource naturelle5 les diverses ressources minérales ou biologiques nécessaires à la vie de l'homme et à ses activités économiques. Celles-ci peuvent être subdivisées en deux groupes distincts :

    Les ressources naturelles non renouvelables constituées par les matières premières minérales et les combustibles fossiles, qui proviennent de gisements formés au cours de l'histoire géologique de la terre et correspondant à un stock, par essence même, épuisable6.Les ressources naturelles renouvelables qui peuvent, en principe, être exploitées sans épuisement, étant capables de se régénérer en permanence. Elles regroupent l'eau, les sols (terre cultivable) ainsi que les ressources biologiques, qui sont constituées par les communautés vivantes exploitées par l'homme (forêts, pâturages, pêcheries maritimes, biodiversité) et par des ressources génétiques (variétés de plantes cultivées et races d'animaux domestiques)7. Cette définition rejoint celle

    5 Dictionnaire Encyclopédique en ligne. www.universalis.fr consulté le 27-02-2017 à 23h23. 6Ibid

    7Ibid

    7

    donnée par le FAO en 2006, qui pense que les ressources naturelles sont souvent classées en ressources renouvelables et en ressources non renouvelables.

    Les ressources naturelles renouvelables sont définies comme des ressources dont la source ne peut se tarir (exemple : biomasse des arbres, eau douce, poisson...), généralement parce qu'elle fait l'objet d'un processus de production continu. Les ressources non renouvelables sont des ressources naturelles qui ne sont pas naturellement reconstituées une fois qu'elles ont été récoltées. Elles peuvent être utilisées jusqu'à l'épuisement ou jusqu'à un point il devient économiquement impraticable d'en tirer quoi que ce soit8.

    Dans le cadre de la présente étude, les ressources naturelles renouvelables sont celles qui intéressent notre travail. Nous définissons les ressources naturelles comme étant l'ensemble de la surface terrestre, important pour la survie humaine et donc l'accès est source de conflit.

    Le concept « foncier » a plusieurs définitions. H. Frechou cité par (Le Bris, 1983:11) définit le foncier comme un « ensemble des rapports entre les hommes impliqués par l'organisation de l'espace ». Le foncier se définit comme « l'ensemble des règles définissant les droits d'accès, d'exploitation, de contrôle de la terre. » Cette large acception met l'accent sur la dimension sociale du foncier, le rapport entre les hommes et les groupes sociaux, partie intégrante du fonctionnement de la société. Elle en souligne le caractère global et pluridisciplinaire. Le foncier met en effet en jeu, différentes échelles (Le Bris E et al ; 1998 : 13).

    Pour J.P Sawadogo, (1994) citant un rapport du PNGT/CILSS 1993, le foncier est un rapport déterminé par l'appropriation de l'espace. Le foncier est constitué par la terre et les autres ressources naturelles (l'eau, la faune,...) comme capital physique et facteur de production et par l'ensemble des relations sociales entre les individus et groupes sociaux pour l'appropriation de la terre.

    Le concept a été défini lors des journées du CIRAD tenues en Septembre 1990 à Montpellier comme « l'ensemble particulier des rapports sociaux ayant pour le support la terre ou l'espace territoriale ». Ces rapports sociaux sont principalement déterminés

    8 http://www.fao.org/forestry/, consulté le 20/06/2017.

    8

    par les facteurs économiques (accumulation privative du capital et extraction de rente), juridique (norme d'appropriation et modalités de règlement de conflits) puis par les techniques d'aménagement pouvant matérialiser et caractériser ces rapports en autant de région distincte.

    Pour (A. M. Bonfiglioli, 1987:3) « la notion du foncier désigne, d'une manière générale, l'ensemble des relations que des individus ou des groupes d'individus entretiennent avec l'espace physique et, plus particulièrement, avec la terre, considérée en tant qu'objet du travail ». Sans pour autant juger la crédibilité de ces deux définitions, celle donnée par la conférence de Praia sur la problématique foncière et la décentralisation au sahel nous semble claire et complète :

    « Ce qu'on appelle « foncier » dans ce document, est constitué à la fois par la terre et les ressources naturelles qui y sont directement attachées, et l'ensemble des relations entre individus et groupes pour l'appropriation et l'utilisation des ressources ». Cette définition cadre bien avec notre travail qui s'intéresse essentiellement au foncier rural.

    Comme on peut l'analyser, le concept du foncier est multidimensionnel. Il met en jeu des facteurs économiques (la valeur de la terre, l'enjeu économique de son contrôle), juridiques (les normes coutumières ; le statut légal de la terre et les ressources, les dispositifs législatifs), institutionnels (les instances d'arbitrages, de décision, l'administration foncière), techniques (les techniques d'aménagement de l'espace qui transforment la valeur et parfois le statut de la terre).

    Dans le cadre de la présente étude, nous définissons le foncier comme un capital physique constitué des terres et de toutes les ressources qui les constituent en rapport aux actions des hommes.

    Le concept « conflit » revêt aussi un caractère central dans cette étude. D'une manière générale, tout conflit implique toujours, quels que soient ses origines, ses objectifs et son déroulement, une opposition ou un antagonisme entre des catégories d'acteurs aux intérêts momentanément ou fondamentalement divergents. C'est une notion très large qui s'impose à chaque sphère et niveau de la vie. Il peut engendrer des conséquences positives et négatives si on ne les contrôle pas très bien. Le mot

    9

    conflit est tiré du mot latin conflictus9. Il est apparu entre les années 1375 et 1425. Ce mot en latin veut dire combattre. Le conflit est une rencontre d'élément, de sentiments contraires, qui s'opposent ; un antagonisme, une discorde, une lutte, une opposition ou un tiraillement (Dictionnaire le Nouveau Petit Robert, nouvelle édition, 2000:510).

    Alain Touraine, définit le conflit comme une relation antagonique entre deux ou plusieurs unités dont l'une au moins tend à dominer le champ social de leurs rapports (Touraine, 1988:501). Le terme conflit généralement s'étend comme « une opposition ou un affrontement plus ou moins aigu ou violent entre deux tendances » Grawitz, M cité par (Sambo, 2010:85).

    Pour J. Freud, le conflit est un affrontement ou un heurt intentionnel entre deux êtres ou deux groupes de même espèce qui manifestent l'un à l'égard de l'autre une intention hostile en général, à propos d'un droit et qui pour maintenir, affirmer ou rétablir ses droits essaie de briser la résistance de l'autre, éventuellement par le recours à la violence qui peut, le cas échéant, tendre à l'anéantissement physique de l'autre (J. Freud, 1933:65).

    Shomba quant à lui, pense que le conflit est une situation dans laquelle deux ou plusieurs êtres ou groupe humains cherchent activement à se contrecarrer les objectifs et à s'empêcher la satisfaction des intérêts jusqu'au point de se faire mal ou de détruire l'autre (Shomba Kingyamba, 2006). Dans une thématique environnementale comme c'est le cas ici, il faut donc entendre par conflits, les affrontements inter-tribus et agriculteurs-éleveurs résultant de l'accès à la terre.

    V.2- Cadre théorique

    Le 21 siècle est marqué par les débats autour de l'environnement, mettant l'accent sur les dynamiques conflictuelles liées à la terre. Axé sur le monde rural, la question foncière est en passe de cesser d'être uniquement la préoccupation d'une catégorie de spécialistes pour devenir la préoccupation de tous les chercheurs. C'est ainsi que nous assistons à l'émergence de plusieurs théories qui essayent chacune, de donner des explications aux nombreux conflits qui jalonnent le monde. La théorie réaliste, stipule que le conflit est un défi dans la nature de l'Homme, qui est égoïste et

    9 https://dictionnaire.com, consulté le 20/06/2017.

    10

    qui, selon elle fait que la société fonctionne de manière antagoniste, du fait que chaque participant et ces groupes d'individus luttent pour maximiser leurs avantages. Ceci pour dire que l'homme a un besoin naturel de poursuivre son intérêt qui est le Pouvoir. Celui-ci est la compétence ou la capacité de faire quelque chose ou encore de contrôler et influencer ce que les autres font.

    Pour certains auteurs, les conflits multiformes observés dans le monde, sont les conséquences de la raréfaction des ressources naturelles qui ne répondent pas aux besoins des populations. Pour d'autres, ce n'est pas tant le problème de la disponibilité des ressources qui se pose mais plutôt celui de leur répartition équitable entre population. Il est question dans les deux thèses sus-évoquées du problème de la disponibilité des ressources d'une part et celui de leur gestion d'autre part.

    C'est ainsi que Homer Dixon pense que les guerres futures et les violences civiles proviendront de la diminution des ressources. Pour lui, autant le changement climatique contribue à la réduction des ressources, autant il contribue à causer les guerres dans le monde (Dixon, 1999).

    Des exemples tels que le conflit sierra léonais, où les ressources sont accaparées par la classe dirigeante au détriment du bas peuple fut à l'origine d'une lutte armée. Appartenir à la même aire n'est pas synonyme de cohésion ni d'absence de conflits entre les partenaires en présence (Domo, 2014:15). Au contraire, c'est à ce niveau que les rivalités se font parfois plus denses, plus acerbes, empêchant du coup une meilleure compréhension entre les individus qui ne demande qu'à conjuguer tous les efforts en vue de taire les rivalités factices qui continuent à meubler les journées et les soirées de certains, surtout dans les commérages dévastateurs (ibid). Toutefois, le cas le plus patent est la guerre du Darfour qui est selon Tubian(2006), un conflit lié à la terre. L'enjeu foncier n'a jusqu'à présent pas été suffisamment pris en compte dans l'analyse de la crise du Darfour. Il éclaire pourtant bien des aspects du conflit. Les janjawid recrutent ainsi principalement au sein de groupes d'Arabes nomades privés de droits fonciers « traditionnels », qui espèrent en tirer profit pour s'assurer la possession de terres dont ils ressentent de plus en plus le besoin.

    Pour Kaplan Robert(1994), tous les conflits qu'on observe en Afrique résultent de la compétition d'accès aux ressources naturelles. Dès lors, la concurrence pour

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    l'accès aux ressources oriente les relations internationales. Cette situation conflictuelle due à l'accès aux ressources naturelles dans un contexte global peut être observée au Tchad. Comme dans beaucoup de sociétés, le pays massa est confronté à ces difficultés foncières. Car le foncier engendre des conflits entre les différents groupes. La compétition pour l'accès au sol est déterminante, créant chaque année des conflits entre les différents usagers. La croissance démographique animale et humaine sur le territoire massa à des conséquences sur l'espace. Les hommes sont dans un contexte de compétition où tous les moyens d'acquisition de l'espace sont bons. Ainsi des conflits éclatent quasiment chaque année et l'on enregistre des conséquences plus ou moins dramatiques.

    C'est dans ce sens que Frédéric Lassere, lors de ses enquêtes en Afrique, a recensé des dizaines de conflits liés à la gestion des ressources (l'eau, terres), (Bouquet, 2014). Pour le cas du pays Massa, c'est d'ailleurs l'exemple pertinent qui s'observe à la lumière de la pression démographique dans cette région située au sud-ouest du Tchad. L'accroissement de la population crée donc une demande considérable en termes de ressources. Or il se trouve que les terres, choses sacrées de la nature, semblent posées un sérieux problème quant à leur gestion. Les estimations livrées par les historiens font état d'une population mondiale estimée entre 600 et 700 millions d'individus en 1750. Un siècle plus tard la planète comptait 1,2 milliards d'individus. En 1950, la population mondiale était estimée à 2,5 milliards d'habitants. Fin 2011, le cap des 7 milliards a été dépassé et la plupart des projections prévoient une population de l'ordre de 9 milliards d'habitants en 2050 (Cambrézy, Sangli, 2011:75-93). Cette situation est elle-même la conséquence de la rupture de l'équilibre entre population et ressources disponibles. Il s'agit là de la position des tenants de la thèse malthusienne de la proportionnalité entre dynamique démographique et ressources disponibles.

    En termes globaux, l'accroissement de la population mondiale a eu pour fin une augmentation considérable des superficies anthropisées. Que les terres soient affectées à l'habitat ou à l'agriculture, ce processus d'expansion territoriale s'est essentiellement fait par la « mise en valeur » d'espaces auparavant inoccupés. Selon le rapport de l'OXFAM (2011), « la part de la superficie mondiale consacrée à l'agriculture a

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    augmenté régulièrement depuis les années 1960, avant de culminer à 38 % au début du 21ème siècle »10. Au total, la croissance rapide de la population au cours du siècle passé a eu pour effet une augmentation générale des espaces ruraux. Cette consommation continue d'espace est au coeur de très nombreux débats contemporains. Elle relance le spectre du surpeuplement et de l'épuisement des ressources.

    Longtemps l'abondance des terres dans le pays Massa a donné l'impression aux populations quelles sont des ressources sacrées et donc l'appropriation ou l'utilisation fut l'héritage, avec la bénédiction du boum nagada11. Si la réalité de la pression démographique observée durant les dernières décennies cause une difficile répartition en termes de ressources, dès lors la concurrence pour l'accès aux ressources oriente les relations internationales (Sambo, 2012:9). Le problème qui se pose ici, est la mauvaise distribution des terres mais surtout la pauvreté, l'égoïsme et le besoin inassouvi des uns considérés comme caractéristiques conflictogènes. Au vu d'un tel contraste, la question de la disponibilité foncière au regard de la démographie actuelle est d'autant plus cruciale que, dans la perception collective comme dans la parole de nombreux experts, l'avenir de la planète et en particulier celui des pays du sud se jouerait en grande partie dans la relation établie entre développement et régulation de la croissance de la population (Houdeingar, 2008 :10).

    La mesure d'une éventuelle pression sur le sol dépend en effet de ce qu'un agriculteur est en capacité de cultiver eu égard au contexte écologique, aux conditions techniques qui sont les siennes et à la durabilité du système de production. Dans des économies encore tournées vers l'agriculture, comme c'est le cas en zone Massa, la relation entre pression démographique et disponibilité des terres conduit à de nécessaires adaptations. En effet, au niveau collectif de l'ethnie, du lignage, du village, comme de la famille, l'accroissement de la population aboutit à une réduction des superficies cultivables. Dans cette configuration, et si rien ne change, la réduction des superficies moyennes des exploitations a priori devient inévitable. Génération après

    10OXFAM, Terres et pouvoirs. Le scandale grandissant qui entoure la nouvelle vague d'investissements fonciers, 2011, 42 p. http://www.oxfamfrance.org/IMG/pdf/Oxfam_Terres_et_Pouvoirs_22092011.pdf - consulté le 20/06/2017.

    11Boum nagada, nom du dieu de la terre ou maître de la terre.

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    génération, se pose alors de manière toujours plus aigüe la question de la transmission de l'exploitation aux descendants.

    Les théories néo-institutionnelles pensent que les conflits fonciers comme c'est le cas ici, sont vus comme les mécanismes de médiation à travers lesquels s'exprime une « demande sociale » de changement institutionnel (Oumar Goumaïna, 2015:1011). Dans cette approche, le changement économique c'est-à-dire l'augmentation progressive de la rareté et de la valeur des terres, conduit à des conflits causés par la propriété foncière. Ces conflits sont alors considérés comme le reflet de « l'inadaptation des systèmes préexistants d'identification et d'administration des droits sur la terre » (Chamini et al., 2000 :82).

    Plus récemment, une nouvelle formulation en a été faite, d'inspiration institutionnaliste, pour mieux rendre compte des réalités empiriques, en s'appuyant sur les théories récentes « l'innovation institutionnelle induite »12 Dans cette optique, la compétition croissante entraîne des revendications contradictoires sur un même espace et des incertitudes sur les droits fonciers (qui sont en phase de transition : ils ne sont ni l'application des principes coutumiers, ni l'expression du droit moderne) (Adholla cité par Delville, 1998 : 153).

    Cette situation aboutit à une multiplication des conflits et une surexploitation des ressources, ce qui provoque une demande d'innovation institutionnelle. Les producteurs demandent (explicitement ou non) à l'État d'intervenir, et de mettre en place un régime de propriété privée, par des procédures d'enregistrement ou de délivrance de titre. Une telle intervention permet de rétablir la paix sociale, en clarifiant des exploitants dynamiques. Elle permet également l'accès au crédit, le tout encourageant l'investissement dans la terre et les gains de productivité.

    Selon le Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest, l'insécurité foncière et l'accès aux ressources naturelles, en particulier l'eau, dans les terres de culture et de pâturage, sont des facteurs pouvant entraver les dynamiques de transformation de

    12file:///C:/Users/user/Desktop/13/impact%20poli.html, consulté le 20-07-2017.

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    l'agriculture et l'amélioration des moyens d'existences des populations. Des droits inéquitables, incertains ou ambigus traitant la question d'accès à la terre et une politique foncière non transparente peuvent contribuer à l'exacerbation des conflits (Tasbé Djimadoumadji, 2012:5). Cela a été le cas notamment dans les pays du fleuve Mano (Liberia, Sierra Leone), en Côte d'Ivoire et dans les pays de grands lacs (République du Congo). L'auteur pense que les tensions entre différents groupes socioéconomiques ou groupes des producteurs (agriculteurs et éleveurs...) peuvent causer des épisodes de conflits violents susceptibles de dégénérer au niveau national et transfrontalier comme c'est le cas au Liberia et en Sierra Leone (Ibid). En pays Massa l'on constate également les conflits opposant les différents villages de la région. C'est le cas des conflits qui opposent la communauté biliam 1 à celle de biliam 2. Elles disputent la propriété d'un terrain de plus de 50 hectares.

    VI- REVUE DE LA LITTÉRATURE

    La question d'accès à la terre et conflit en milieu massa est un sujet peu documenté scientifiquement. En l'abordant, nous avons le sentiment de n'être pas capable eu égard à sa densité, sa complexité et son originalité. La difficulté est réelle d'autant plus que les ouvrages y afférents sont quasi-inexistants. Même si nous n'avons pas l'ambition de frayer du chemin seul, nous estimons que l'entreprise est nouvelle et nécessiterait de grands efforts tant documentaires qu'empiriques. Quoique le sujet qui nous intéresse soit peu documenté, nous ne trouvons pas de raison solide de ne pas l'aborder. Malgré cette absence, nous nous sommes focalisé sur un certain nombre d'ouvrages qui ont rendu possible ce travail. C'est le cas des travaux de thèse, de master, d'articles ou d'ouvrages:

    Françoise Dumas-Champion (1983), ethnologue française, fait une étude ethnographique des Massa du Tchad. Il s'agit d'une étude portant sur les bétails et les sociétés sous un angle essentiellement anthropologique. C'est ainsi que la question des origines, des répartitions des tribus ou clans massa est soulevée. À l'occasion, elle indique que ce peuple dépend, pour sa survie, de l'agriculture, de l'élevage et de la pêche. Au final, l'accent est mis sur l'intérêt que portent les Massa sur leurs bovins. En

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    d'autres termes, c'est un peuple qui allie les deux activités à savoir l'agriculture et l'élevage.

    Ensuite, si Françoise Dumas Champion a focalisé son travail sur les Massa du Tchad, Jean Cabot, (1965), quant à lui, axe ses travaux sur le Tchad en général. Il décrit les activités physiques, humaines et économiques du bassin du Moyen Logone partagé entre le sud-ouest de la république du Tchad et le nord-est du Cameroun. L'auteur présente le milieu naturel ainsi que le peuplement et le genre de vie dans la zone. Il fait passer en revue les différents groupes occupant cet espace géographique du Tchad et leur interaction. Une étude sur les Massa du Tchad faite par l'auteur explicite les activités que mène ce peuple répartie entre les deux fleuves que sont le Logone et le Chari. L'auteur met l'accent sur l'importance que le Massa accorde à l'agriculture et à la pêche, comme souligné par Champion.

    Tout aussi remarquable est, la contribution de Catherine Coquery-Vidrovith, (1983), qui aborde dans son ouvrage les rapports entre l'homme et la terre en Afrique. L'auteur démontre qu'en Afrique, les terres sont une richesse inouïe pour le continent africain et donc la gestion reste un problème majeur. C'est ainsi qu'elle affirme que : « dans une communauté qui vit de l'agriculture, le droit à la terre est à la fois une nécessité et une évidence : exclure un paysan de la terre, c'est le condamner à mort» (Coquery-Vidrovith, 1983:7).

    Armi Jonas, (2006), traite de la question foncière dans la région du Mayo-Kebbi en général. L'auteur aborde le processus d'acquisition du sol, notamment le titre foncier et les problèmes auxquels sont confrontées les différentes communautés de la région du Mayo-Kebbi. Selon lui, les problèmes fonciers dans cette partie du Tchad sont dus au phénomène d'autochtonie et d'allochtonie. Cette étude s'apparente à la nôtre eu égard à l'accent qu'elle met sur les concepts d'autochtonie et allochtonie.

    L'ouvrage de J. Blache et F. Milton est une contribution à la connaissance de la pêche dans le bassin hydrographique du Logone, du Chari et du Lac Tchad. Il permet de saisir le déroulement et les différentes techniques utilisées pour la pêche chez les peuples du bassin du lac Tchad. Cette étude aborde la distribution des activités de pêche dans un cadre géographique et ethnique. Elle fait tour à tour état de cette activité chez les Massa, les Kotoko et les Mousgoum.

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    Sambo Armel, (2010), montre l'importance de l'eau et de ses ressources dans un contexte marqué par la rareté des produits alimentaires, où l'offre est faible par rapport à la demande. L'eau est une nécessité et sa gestion prête toujours à confusion dans le bassin du Lac-Tchad. Il fait partie des théoriciens qui pensent que les conflits d'avenir seront ceux de l'eau. Il en résulte que son travail laisse de côté, les terres qui constituent la force du monde en termes de production agricole et qui est le noyau de notre sujet.

    De même les travaux de Saibou Issa, (2001), sont d'un réel intérêt dans le domaine des conflits axés sur les ressources naturelles. L'auteur met en exergue les relations qui existent entre la dégradation de l'environnement, l'amenuisement des ressources et conflits intercommunautaires et interétatiques aux abords sud du Lac Tchad. Son travail permet de saisir l'évolution écologique de la région ainsi que les compétitions violentes pour l'accès aux ressources naturelles. Il analyse aussi les mécanismes bilatéraux et le rôle de la CBLT en matière de prévention et de résolution des conflits territoriaux sur le Lac Tchad. Elle est d'un apport considérable pour comprendre les différents conflits liés à la gestion de ressources.

    Au-delà de nos frontières, Frédéric Sadron (2008), traite des enjeux fonciers à Madagascar. Selon l'auteur l'intensification de l'agriculture confrontée à une forte croissance démographique rend la question foncière d'autant plus prégnante que les principales régions agricoles connaissent une saturation de leurs ressources en terre et donc souvent crée des conflits. Face à la rareté de la demande de sécurisation foncière de la part des populations rurales devient donc de plus en plus impérieuse. Il conclut que la plus part des conflits entre lignage ou entre individu ont pour substrat le foncier. Cette étude nous montre l'importance des terres en milieu rural et ce que sa gestion peut générer.

    B. Crousse, E. Le Bris, E. Le Roy (1986), quant à eux, traitent de la pratique foncière en Afrique noire. Selon eux, l'espace demeure un enjeu considérable quant à sa gestion dans l'Afrique contemporaine. La double face de l'État dans la gestion du foncier pèse sur les populations des zones rurales. La lutte des classe en Afrique à comme fondement les pratiques foncières du fait du mode d'investissement de l'espace.

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    Souapibé Pabamé Sougnabé (2003), dans son article, traite des conflits agriculteurs et éleveurs dans la zone soudanienne au Tchad. L'auteur montre le degré de tensions entre les deux groupes avec des conséquences énormes. Ces conflits qui, dans la plupart des cas, trouvent leurs origines dans la gestion des ressources naturelles et de l'espace, ne laissent personne indifférent tant les dégâts sont impressionnants.

    Une thèse particulièrement édifiante dans la compréhension des migrations aux abords sud du Lac-Tchad est celui d'Ahidjo Paul (2012). Dans ses travaux, axés sur écologie et histoire du peuplement aux abords sud du Lac-Tchad, l'auteur traite de la migration comme conséquence du changement climatique. Selon lui, la persistance de la sècheresse et la famine qu'a connue la région sont les causes du déplacement des populations vers les autres zones. Ainsi, beaucoup de villages observés aux abords sud du Lac-Tchad sont des créations récentes et donc l'accès aux ressources est sujet de tension entre les États frontaliers du Lac-Tchad.

    En somme, les auteurs qui nous ont précédés ont d'une manière ou d'une autre abordé un aspect de notre sujet. Cependant, la production historiographique jusque-là s'est beaucoup plus orientée sur la localisation du peuple massa, passant en revue certaines de leurs activités mais aussi signalant l'importance que ces dernières accordent au sol de manière générale. D'autres sont pour nous un exemple bien que leur zone d'étude soit différente de la nôtre, ils traitent quand même de la question d'accès à la terre et des conflits qui en découlent.

    VII- PROBLÉMATIQUE

    En pays Massa, situé dans le Sud-ouest du Tchad, l'agriculture est plus développée dans un espace où les conditions écologiques sont favorables et avec le mil rouge/blanc, et le riz comme la principale culture de rente.

    Les terres cultivables constituent la base de toutes les activités dans cette région située dans le sud du Tchad. Avec la pression démographique observée durant les quatre dernières décennies, le pays massa connait une extension territoriale. Les terres cultivables deviennent pour ainsi dire des denrées rares, et les rives leur servant de

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    pêche connaissent une régression due au changement climatique mais aussi et surtout de l'utilisation abusive par les populations.

    De ce fait, une interrogation centrale faisant fonction de fil conducteur sous-tend cette étude. Il s'agit de présenter dans une perspective historique l'importance de la terre et les enjeux liés à sa gestion. Autrement dit, quelles sont les stratégies et les modalités d'accès à la terre et en quoi la gestion de la ressource foncière est source de conflit.

    VIII- OBJECTIF

    Plusieurs objectifs sous-tendent le choix de notre sujet. L'objectif général est de montrer la valeur de la terre, ses ressources et leurs importances dans l'émergence d'une société mais aussi d'énumérer le rôle que joue la terre dans l'émergence des conflits. D'autres objectifs secondaires consistent à :

    - Faire la présentation du pays Massa;

    - Décrire les conditions d'accès à la terre en pays Massa ;

    - Faire la typologie des conflits et présenter les enjeux liés aux conflits;

    - Analyser les mécanismes de résolution des conflits en pays Massa ainsi que

    leurs faiblesses.

    IX- MÉTHODOLOGIE

    Tout travail de recherche a son fondement, ainsi que des méthodes mises en place pour collecter les informations nécessaires à sa réalisation. Afin d'exécuter ce travail, nous, avons eu recours à deux méthodes, c'est-à-dire la collecte de données et le traitement de ces données. Dans la première partie concernant la collecte de données, nous nous sommes intéressés aux sources écrites et orales.

    D'abord en ce qui concerne les sources écrites, ce sont des ouvrages qui abordent notre sujet. Il s'agit aussi des articles, mémoires, des thèses, des périodiques et d'archives. La consultation de ces ouvrages fut possible grâce à trois grandes bibliothèques, Centre Almouna, le CEFOD et l'institut français de N'djaména. Le

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    Centre de documentation de Maroua qui, à travers les mémoires et thèses nous a fourni des données susceptibles pour notre travail.

    Afin d'élargir nos sources, une attention particulière a été accordée aux nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). Des ouvrages et articles en ligne traitant de la question foncière et de la gestion des ressources naturelles de manière générale nous ont permis de mener à bien notre travail.

    Les sources orales sont d'une importance capitale dans l'historiographie africaine, nous y avons mis un accent particulier. Au préalable pour ce travail, nous avons manifesté un intérêt particulier aux informateurs qui sont les autorités administratives et traditionnelles. La population du monde rural a été incontournable dans le cadre de cette étude. Ainsi, nous nous sommes intéressés aux paysans agriculteurs mais aussi aux éleveurs de la région. Toutes les personnes susceptibles de nous fournir des informations fiables sur le passé et le présent en pays massa ont été nos cible. Les entretiens se sont faits sur la base d'un questionnaire élaboré au préalable, et ce questionnaire est conçu en fonction des catégories d'informateurs. La méthode des collectes d'informations en ce qui concerne les sources orales fut la prise des notes. Des outils de la nouvelle technologie et de l'information nous ont facilité les prises des photos et les enregistrements.

    Une fois réuni toutes les informations utiles à notre travail, nous avons procédé à leur analyse en confrontant les informations. Ainsi une approche pluridisciplinaire nous a permis de mieux appréhender le sujet. L'analyse diachronique dans le cadre de cette étude nous a permis de restituer la dynamique des systèmes fonciers et de leurs incidents depuis la société traditionnelle précoloniale jusqu'aux indépendances.

    Cependant, nous avons rencontré un certain nombre de difficultés lors de notre descente sur le terrain. La première difficulté se trouve dans la rareté et l'inaccessibilité de certains documents relatifs aux conflits fonciers en pays Massa. Il faut aussi noter le manque des archives relatives aux fonciers datant de l'époque précoloniale. La méfiance de certaines autorités traditionnelles et administratives a été un handicap. L'autre difficulté majeure est liée au manque de l'énergie électrique pour alimenter nos appareils photos et d'enregistrement. De même, certains documents

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    d'archives intéressants n'ont pu être photocopiés en l'absence des machines photocopieuses dans les localités qui ont fait l'objet de notre visite.

    X- PLAN

    Malgré les difficultés énumérées plus haut, nous sommes parvenus à produire ce travail qui s'articule autour de quatre chapitres. Le premier chapitre est une présentation physique, socioéconomique, culturelle et politique du pays massa. Le chapitre II met l'accent sur l'accès à la terre dans la société massa. Quant au chapitre III, il traite des manifestations et conséquences des conflits en pays massa. Le dernier chapitre IV porte sur les mécanismes de résolution des conflits en pays massa.

    CHAPITRE I PRÉSENTATION ET CARACTÉRISTIQUES PHYSIQUES DU

    PAYS MASSA

    Situé dans la région du Mayo-Kebbi Est, dans le sud-ouest du Tchad entre le pays Kim, Moussey et Toupouri, le pays Massa dépend des rives du Logone et du Chari qui offre une multitude de ressources liée à la pêche et l'agriculture. Le pays Massa est composé en grande partie des Massana13 reparti en clan bien que l'on observe dans les dernières décennies la présence des étrangers. La migration de ces derniers dans la localité se justifie soit par les guerres qu'a connues le pays soit parce qu'ils sont des éleveurs à la recherche des ressources pour l'alimentation de leur troupeau. Le présent chapitre présente d'abord, les caractéristiques physiques du pays Massa, le peuplement tout en prenant en compte toutes les activités économiques de la région. Ces éléments sont importants dans la compréhension des conflits fonciers au pays Massa.

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    13Terme qui désigne les Massa.

    Carte : localisation du pays massa

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    Source : Base de données SOGEFI, KampétéD.K., Taïwé J. W.,

    Atlas national du Tchad Octobre 2017

    LOCALISATION DE LA ZONE D'ÉTUDE

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    I- CARACTÉRISTIQUE PHYSIQUE DU PAYS MASSA

    Le pays massa situé dans le sud-ouest du Tchad, est plus ou moins homogène sur le plan géographique avec le reste de la région. De ce fait, les caractéristiques physiques du pays sont diversifiées, favorable à l'agriculture et à l'élevage.

    1- Le relief

    L'étude des géographes portant sur le relief du Tchad confirme qu'au sud, il y a une dépression du modelé, point le plus bas du Tchad, 175m. Le pays Massa situé dans le Mayo-Kebbi présente des bas plateaux et les zones d'accumulation inondables. À la différence du précédent relief, le pays Massa se distingue par une alternance de plaines exondées et des plaines inondables.

    2- Le climat

    Le pays massa appartient climatiquement à la zone soudanienne, caractérisée par un climat tropical humide à deux saisons. Elle bénéficie d'un climat tropical subhumide, marqué par une pluviométrie annuelle qui dépasse 700 mm et peut atteindre 1 200 à 1 400 mm pendant les années les plus arrosées (très variable dans le temps et dans l'espace). La saison des pluies dure de mai à octobre, avec une concentration des pluies de juillet à août, puis vient une saison froide (novembre à janvier) et une saison sèche chaude (février à avril) où la température dépasse régulièrement les 40° C (Souapibé Pabamé Sougnabé, 2003:3).

    Le phénomène à l'origine de ces variations climatiques reste le déplacement, au cours de l'année, les deux masses d'air (harmattan et mousson) (Oumar Goumaïna, 2015:43). La première est une masse d'air continental, chaud et sec, qui amène des vents en provenance de l'Est et du Nord-Est du Sahara et la seconde est une masse instable d'air maritime, équatorial, humide et relativement frais en provenance du sud-Ouest. La rencontre de ces masses d'air constitue le Front Inter Tropicale(FIT) ou la Convergence Inter Tropicale(CIT) dont le balancement détermine le cycle saisonnier

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    annuel (Cabot, 1965:12). En ce qui concerne la température, les chiffres les plus élevés sont observés en fin de saison sèche et plus faible en décembre et janvier.

    Ce type de climat est favorable pour les activités agropastorales en pays massa. Car les activités économiques tiennent compte des saisons dans cet espace situé dans le sud-ouest du Tchad. Grâce au climat soudanien, ces régions permettent le développement d'une agriculture pluviale et d'un élevage extensif (Souapibé Pabamé Sougnabé, 2003:3). La saison sèche est plus favorable aux activités pastorales pour la simple raison que pendant la saison sèche, les éleveurs profitent après la récolte pour faire paître leurs bétails dans les champs. Tandis que la saison des pluies est très propice aux activités agricoles.

    Les activités économiques de la région sont déterminées par la pluviométrie. Ainsi, en étudiant le climat de la zone soudanienne, certains géographes ont conclu que « le rythme de la vie est ici entièrement soumis à l'alternance régulière entre une saison des pluies, une période d'intense activité agricole et une saison sèche, époque des récoltes, des échanges et déplacements » (Dionnodji Ngass, 2011:18).

    3- Réseaux Hydrographiques

    L'eau représente une ressource indispensable à la satisfaction des besoins des hommes dans une société donnée. Elle joue un rôle primordial dans la vie de tous les êtres vivant en particulier l'homme. L'eau a été l'un des facteurs déterminants dans l'installation du peuple massa aux abords du Chari et du Logone. Parmi les réseaux hydrographiques qui parcourent le territoire massa, nous pouvons citer : le Chari, le Logone et les mares qui culminent la région.

    Le Chari est un fleuve permanent, long de 1398km, qui prend sa source en RCA et arrose le Tchad. Il est formé d'une série de petites rivières : le Bamingui, l'Ouhan, ou Bahr Aouk, le Bahr Kéita, le Bahr Salamat, qui rejoignent le Chari à Sarh (ex-For-Archambault). Son passage à la frontière du pays massa, dans la région du Mayo-Kebbi, permet une pêche saisonnière chez les populations lointaines et extensive chez les riverains.

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    Le Logone est l'un des fleuves permanents du réseau hydrographique du lac Tchad. Le bassin versant de ce fleuve est compris entre le 6e et le 12e degré Nord, puis le 13

    e et le 17e degré de longitude Est (Sambo, 2012:41). Il prend sa source dans les Monts Mbang, massif de l'Adamaoua14. Son lit acquiert très vite une pente très faible, si bien qu'en période de crue, en aval de Laï, une partie des eaux se déverse dans les marais toupouri, que draine le Mayo-Kebbi, affluent de la Bénoué. C'est ce fleuve qui sépare les Massa du Tchad de leurs frères du Cameroun. Le Logone dans son cours tchadien coule en direction approximative SW/NE, s'infléchit et prend une direction semblable celle du Chari en se rapprochant de lui pour le rejoindre après 700 km de cours (Blache et Milton cité par Sambo, 2012:42).

    4- Les Sols et végétation

    Le Tchad est soumis aux influences du climat tropical, très déterminant dans la formation des sols. Le pays massa est sous l'influence d'une zone climatique qui conditionne quatre types de sol à savoir : sols ferralitiques, sols ferrugineux tropicaux, sols subarides et ethydromorphes. Ces différents types de sols sont favorables pour l'agriculture. Les sols renferment le témoignage du passé des hommes et est aussi le lieu où l'on produit toutes les ressources nécessaires pour survivre. Ils ont une importance capitale dans la vie de l'homme massa. Le milieu naturel du pays massa constitue un cadre idéal très favorable au développement des activités rurales et permet l'installation humaine.

    L'existence des réseaux hydrographiques et l'importance des pluies déterminent la végétation et les activités humaines. Les formations végétales du Tchad sont réparties selon les régions. Ainsi, le domaine de la formation soudanienne correspond à la formation des savanes plus ou moins boisées. On observe donc une forêt claire composée des plantes, différentes espèces et une forêt plus ou moins dense composée des plantes épineuses et de plus en plus clairsemées. La végétation de type soudano sahélien, donne un paysage de savanes arborées où dominent les espèces arbustives suivantes : rônier (borassus aethiopum), doum (hyphaene thebaica), tamarinier

    14Wwwuniversalis.fr/encyclopedie/chari-logone/, consulté le 17-06-2017.

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    (tamarindus indica), jujubier (zyzyphus jujuba) et acacia albida (Dumas-Champion, 1983:16).

    Toutefois, il est à noter que selon certaines études conduites sur l'époque préhistorique, le Sahara en général était couvert par la forêt. Cette couverture végétale disparaît progressivement à cause de la désertification, de la surexploitation et de la pression excessive exercée sur les terres par la population (Sambo, 2012:33). En effet, le pays Massa était autrefois couvert par l'eau. Avec l'effet du changement climatique, il a fait place à la forêt claire. Sous l'afflux d'une population dense, croissante, les zones boisées se sont rétrécies. Le constat grave est de savoir que les plantes ne peuvent germer suite aux feux de brousse. Nous retenons dans cette partie que la végétation contribue durablement à la production agricole et pastorale et à toutes les activités liées à la terre.

    II- LA MISE EN PLACE ET L'ORGANISATION SOCIALE DES MASSA

    En étudiant l'histoire de toutes les sociétés, l'on convient qu'elles ont toujours un point de départ. Ainsi, dans cette partie, il s'agira pour nous de mettre l'accent sur l'origine des Massa tout en passant en revue leur organisation socio-politique et culturelle.

    1- Peuplement

    Les villages situés aux alentours de Bongor offrent tous les mêmes conditions géographiques. L'histoire des Hommes massa est ancienne et très complexe. Il est question d'expliquer le phénomène migratoire ayant conduit à la mise en place de la population Massa dans le Mayo-kebbi.

    Le peuple vivant dans les plaines Nord-Bongor appartient au groupe ethnique majoritaire, les Massa. Ils sont repartis aux abords du Logone et du Chari depuis le Canton Macrom jusqu'à Kolom. Le groupe le plus important qui s'étend au-delà du canton Koumi est la grande famille Goumaye. Les Bayiga et les Walia Tougou sont le groupe moins important démographiquement. La répartition actuelle des tribus et des familles est le résultat d'installation remontant à environ 200 ans (Cabot, 1965:22-

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    23).Aujourd'hui, l'on compte dix Cantons : Koumi, Magao, Touhra, Télémé, Bongor, Tougouday, Ham, Lolon, Macrom, Mita. Parmi les nombreux villages qui forment ces cantons, d'autres sont des créations récentes, issues de la migration qu'a connue le pays durant les dernières décennies.

    Toutes les légendes ayant trait à l'établissement des ancêtres dans la région comporte les mêmes éléments : en général, c'est en chassant que les aïeux ont découvert le lieu qui leur a paru bon et où ils se sont définitivement fixés. Les aïeux seraient tous venus du Sud et ils auraient emprunté le fleuve pour atteindre les nouveaux lieux de chasse qui devaient devenir leurs terres. Actuellement leur descendance est encore regroupée en quartiers distincts, entre les membres desquels existent des interdits de mariage rigoureux. Chaque quartier a son ancêtre, le plus souvent l'un des fils du fondateur (Cabot, 1965:22-23). Elles laissent supposer que le pays fut le théâtre d'une histoire mouvementée de migration par clan. Autrefois leur descendance était regroupée en quartiers distincts, entre les membres desquels existent des interdits de mariage rigoureux. Chaque quartier a son ancêtre, le plus souvent l'un des fils du fondateur (Ibid). Les villages sont au contraire des créations plus récentes et leur institution a parfois rassemblé autour d'un même chef de village (Blama) des quartiers d'ascendance étrangère les uns aux autres (Ibid).

    Pour certains15, les Massa auraient suivi l'eau pour s'installer définitivement aux abords du fleuve Chari et Logone donc une branche au Cameroun et l'une au Tchad. C'est suite à l'assèchement de la mer paléo tchadienne que les Massa étaient contraints de quitter leur région d'origine pour suivre l'eau qui se rétrécissait suite aux aléas climatiques. La majorité de la population dès le XVIe siècle s'est retrouvée aux abords du Lac-Tchad. Un groupe bien nombreux s'installera définitivement dans les plaines nord de Bongor et une partie s'achemine de l'autre côté du fleuve pour s'installer au Cameroun.

    15Entretien avec le Chef de Canton Samma Tordina, le lundi 26 juin 2017 à Bongor.

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    Toutefois l'on sait que les Massa seraient venues de l'Est et auraient cheminé vers le sud avant de s'installer dans cette région plusieurs siècles avant l'arrivée des Colonisateurs. Cette population avait au départ comme activité, la pêche et la chasse.

    Le mot Massa tire son origine de Massana qui signifie littéralement homme. En d'autres termes le mot massa renvoie à l'homme courageux, qui franchit les obstacles sans heurt majeur et ceci quels que soient les obstacles à braver. Le Massa est aussi le dialecte des Massa. Cette population est attachée aux religions traditionnelles et celles dites révélées, organisées en cellules familiales ou villageoises.

    Cependant, il importe de préciser que sur le territoire massa, il existe d'autres tribus venues d'ailleurs. Parmi elles nous avons les Ngambaye, Sarh, Moussey, Marba, Toupouri, Moundang, Ham, Arabe choa, Kim, Gourane, Hadjéray, Waday... la plupart de ces étrangers sont installés à Bariam, village situé dans le canton Bongor. Ils sont considérés comme autochtone du village parce qu'ils y ont été recasés par le gouvernement tchadien.

    2- Organisation socio-politique

    D'entrée de jeu, il importe de préciser que la société massa est définie comme «une communauté de consanguins (ou se prétendant tels) composés en moyenne de quatre générations d'individus vivants, issus d'un ancêtre commun (souvent défunt) et des femmes qui leur sont alliées (Magnant, 1987:27). C'est donc un type d'organisation fondée sur le lignage dont la cellule de base est la famille et l'autorité est détenue par l'aîné de la famille qui était en vigueur dans la plupart des sociétés du Mayo-kebbi (Armi, 2005:32).En effet, chaque société fonctionne selon les us et coutumes qui prennent la forme de la culture à laquelle elle s'attache. Ainsi, le mode de vie du peuple Massa est réglementé, suivi et régi par les lois coutumières d'où la notion de l'organisation politique traditionnelle. La société massa est organisée de manière hiérarchisée. La cellule de base est la famille.

    Chez les massa, ni le village ni le quartier ne possèdent traditionnellement d'inscription dans l'espace et l'habitat se caractérise par une forte dispersion. Les enclos appelés zina en massa, lieux de résidence du chef de famille, de ses frères

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    cadets, de leurs femmes ainsi que de leur descendance, et parfois d'autres parents (veuves...) comptent en moyenne cinq à six personnes. Certains chefs de famille, polygyne, et possédant une importante descendance peuvent cependant avoir plusieurs dizaines de personnes sous leur autorité (Dumas-Champion, 1983:5).

    Le pays massa est divisé en nagata, unité territoriale, dont chacune est placée sous l'autorité magico-religieuse du « maître de la terre » bum nagata qui joue le rôle d'intermédiaire entre les divinités locales et l'espace habité et cultivé (Arditi, 1998:2). À l'intérieur de la nagata, le chef d'enclos (bum zina) est dépositaire de droits d'usage sur les terres. Il en hérite, et doit les transmettre à la génération suivante.

    Avec la pénétration coloniale au Tchad, une chefferie de type fulbé est instaurée par les Français afin de quadriller la population. Dès sa pénétration, elle trouve que les massa sont « un peuple à demi-sauvage vivant dans l'anarchie » (Dumas-Champion, 1983:31) ; donc la pacification était la condition nécessaire à la perception d'impôt et de la création de la culture utile à l'économie française. L'instauration de cette chefferie a transformé les structures politiques existantes. L'organisation politique et judiciaire relevait du conseil des chefs de familles de moindre importance (ibid:32). En donnant au chef de canton le pouvoir de rendre une justice administrative, s'appliquant aux individus, le colonisateur a profondément entamé cette réalité essentielle à l'identité massa. Le massa n'a plus le droit de faire la justice selon la loi de ses pères, il est devenu un sujet, subordonné. Le conseil des anciens, où s'exprimait si justement l'unité lignagère lorsqu'il s'agissait d'engager le combat ou de venger un de ses membres, n'a plus lieu d'être. La nouvelle justice juges les individus. Il faut dire que la politique européenne n'a cependant fait qu'étayer une évolution bien antérieure à l'arrivée des blancs (Ibid:6).

    Les massa donnent le nom moulla, aux chefs traditionnels ou Chefs de canton, qui détiennent la quasi-totalité des pouvoirs. En plus de leurs rôles de chef, ces gardiens de la tradition massa étaient chargés de régler les conflits fonciers entre les membres de leur communauté respective. Dans un cas comme dans l'autre, les populations se devaient de respecter les ordres de ces chefs de terre.

    Si les Massa n'ont guère apprécié que leur instinct guerrier soit réprimé par le colonisateur, ils reconnaissent que les Français ont apporté la paix civile qui s'exprime

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    pour eux par des possibilités nouvelles (ibid). La pacification du pays et la mise sur pied d'une structure administrative ont élargi les frontières de l'existence quotidienne. On fit une autre expérience du voisin. Alors qu'il n'existait pas d'activité commerciale, la colonisation apporta les moyens de création de marchés qui par la suite furent principalement tenus par des commerçants fulbé ou burnu. Depuis ces jours on désigne les jours de la semaine du nom du village où se tient le marché. Ce nouveau mode de vie provoqua l'éclatement des groupes segmentaires (Dumas-champion, 1983:6).

    Il importe cependant de préciser que, le pays a connu dans son évolution diverses vagues de migration qui eurent des conséquences sur l'espace. Les hommes venus d'ailleurs se sont installés dans le pays soit pour les activités commerciales, soit des éleveurs à la recherche des pâtures pour leur bétail, soit des hommes qui ont fui leur zone suite aux crises politique de 1975-1979, soit ceux venu dans le cadre de l'administration surtout pour la zone de Bongor. Ils sont composés des Arabes choa, des Ngambaye, Sarh, des Kim, Moussey, Marba, Sara-kaba, Kanembou, Wadaye, Kotoko et bien d'autres, la majorité dans le canton Bongor16.

    Une partie de ces étrangers sont installés à Bariam dans le canton Télémé. Ce quartier est dorénavant comme leur ville et ces derniers ont même bénéficié des terrains pour les activités champêtres.

    3- Les pratiques culturelles en pays Massa

    Les Massa ont une organisation sociale et culturelle originale qui n'est pas uniquement un aboutissement, mais constitue un agent historique de leur société. L'élément caractéristique culturel chez les Massa est le guruna. C'est l'une des activités favorites des Massa, sans doute celle qui s'exprime le mieux (Dumas-Champion, 1983:122). La pratique du guruna s'articule directement sur l'échange matrimonial et se présente en ce titre comme une initiative des bouviers au mariage (ibid). L'écologie tient cependant une place déterminante dans cette technique d'élevage puisque la quête de nouveau pâturage doit assurer la prospérité du troupeau

    16Entretien avec Djonyang Laurent, chef de secteur de l'ANADER de Bongor, le lundi 07 août 2017 à Bongor.

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    conjointement celle de l'éleveur, en lui procurant une alimentation améliorée. Un Massa est traditionnellement un lutteur, ce qui suppose la pratique du guruna (ibid). C'est généralement dans les brousses pour faire paitre les boeufs, que les jeunes s'initient à la lutte. Cette sorte de marche, ou de pas de course, est souvent utilisée par les Massa lorsqu'ils se déplacent de farana en farana17. Il faut cependant dire qu'il y a plusieurs catégories de guruna qui s'échelonnent tout au long de l'année (Dumas-Champion, 1983:123). Nous avons le guru-fatna pratiqué de mars à mai, le guru-Oagamna de juin à juillet, le guru-walla d'août à novembre et le dernier guru-sarmana de décembre à février. À côté du guruna, il y a le labana, rite initiatique chez les massa qui malheureusement tend vers son déclin. Au début, cette pratique était une sorte de pont, phase pour les jeunes de passer au stade supérieur de leur vie. Pour devenir un homme et pour que le respect te soit accordé, il fallait passer par l'initiation dans la société massa.

    Traditionnellement, le golla, est aussi un élément caractéristique de la culture massa. Il consiste pour un propriétaire à confier, pour une durée variable, une ou plusieurs de ses vaches à un parent, allié ou maternel qui ne vit dans le même farana (ibid:157). Le golla est en effet une technique qui renforce les liens sociaux, c'est un moyen par lequel l'on témoin son amitié et la confiance envers ses proches.

    Le Mariage chez les Massa contrairement aux autres sociétés de la région du Mayo-Kebbi, est spécial. C'est le père qui a le devoir de marier ses enfants à leurs conjointes en procurant à ses fils des bétails nécessaires pour leur mariage. La dot ou le farayna est composé(e) de bétail et le nombre de celui-ci peut varier en fonction de l'offre et de la demande. Mais de manière générale, la dot est constitué de dix boeufs dans la société massa.

    III- LES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES

    Comme mentionne ci-haut, les régions situées au sud du Tchad présentent presque les mêmes conditions climatiques. Celles-ci sont favorables à plusieurs activités dont la population en bénéficie.

    17Terme qui signifie clan ou richesse.

    1- L'Agriculture

    D'une manière générale, la partie sud du Tchad est caractérisée par un système de production diversifié. Les activités agraires au pays Massa s'effectuent quant à elles au niveau familial (Dumas-Champion, 1983:53). Les champs sont les propriétés de la famille qui les détiennent traditionnellement du maître de la terre depuis la période précoloniale. C'est généralement le chef de la famille qui est habilitées à distribuer les parcelles de terre entre les différents membres de sa famille. À l'intérieur de la société massa, chaque famille utilise un champ.

    L'agriculture occupe une place importante et est pratiquée par la majorité de la population. C'est une agriculture de subsistance résultant d'une stricte adaptation des hommes au milieu. Les produits de l'agriculture au pays Massa sont variés : Mil rouge ou Ouana cultivé par tous les Massa dans le hoyoksina18 sert pour la consommation locale. Il constitue la culture vivrière essentielle. Après la récolte sur une faible partie de ces champs, les femmes cultivent le pahna19 qui est non seulement commercialisé afin de subvenir aux besoins, mais entre aussi dans la consommation locale. Les massa sont de grands consommateurs du tabac et cela a une signification culturelle d'une grande importance.

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    18 Terme qui signifie, à proximité des cases.

    19 Nom en massa qui signifie tabac.

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    Photo 1 : Un champ à proximité des cases à Biliam-Oursi.

    Cliché : Kampété Dieudonné Kingué à biliam 1, 23 juin 2017.

    Le sorgho blanc ou Tchokona est cultivé seulement par quelques paysans sur les terres argileuses. La culture de celui-ci se fait généralement à la fin des saisons pluvieuses dans les zones reculées. Le penicillaire ou Tchaïna est cultivé dans la région de Guelendeng, mais est assez rare sur les marchés de la région. Le riz, l'arachide et le coton, ont été introduits par l'administration européenne. C'est généralement dans un grand espace de plusieurs hectares à environ 10km des cases que se tiennent ces activités dites industrielles.

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    Photo 2 : Vaste terrain pour la culture du riz à 15km de l'entrée nord de Bongor.

    Cliché : Kampété Dieudonné Kingué à djarabou, 23 juin 2017.

    Toutefois, il convient de rappeler qu'avant l'arrivée des colonisateurs, les massa vivaient presque de la pêche. Ce sont les Européens qui, à travers leur société, ont instauré la culture du coton et du riz. Il s'agit en effet d'une société française dénommée SEMAB (secteur de modernisation et d'aménagement de Biliam-oursi), avec son siège à Oursi créée le 08 avril 1952-1953 par un Français nommé Randu Jean20. Elle commence ses premières activités en 1953-1954. Son travail

    20Entretien avec Fanga Augustin, le 24 juin 2017 à biliam-oursi I.

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    d'aménagements se fait dans les Cantons suivants : Koumi, Télémé, Toura et Magoua. Son rôle principal c'est la culture du riz. Le départ de cette société fut favorable aux populations qui bénéficièrent des espaces pour leur culture.

    Photo3 : Ruines de la Société SEMAB à Biliam-oursi I.

    Cliché : Kampété Dieudonné Kingué, 24 juin 2017 à Biliam I.

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    Photo 4 : Vestige d'une machine de labour de la SEMAB.

    Cliché : Kampété Dieudonné Kingué, 24 juin 2017 à Biliam I. 2- L'élevage

    Vivant dans le Mayo-Kebbi Est, région située dans le sud-ouest au Tchad, les Massa se distinguent d'autres peuples par leur intérêt pour les bétails, bien qu'ils soient cultivateurs et pêcheurs. Ils ont une technique spécifique d'élevage qui les démarque des autres et considérés comme une société agricole qui « spécialise temporairement ou en permanence ses pâtres » (Leroi-Gourhan, 1972:307). Les Massa possèdent d'immenses troupeaux de vaches qu'ils chérissent et leur permettent à une certaine période de faire la cure de laits ou gourouna qui doit les rendre forts. Les Massa sont fiers de leurs bêtes et s'estiment meilleurs éleveurs que leurs voisins fulbés, car les vaches entrent exclusivement dans la constitution de leur « dot » alors que les fulbés se marient avec l'argent (Dumas-Champion, 1983:116).

    Ces derniers jouent un rôle social très important et de nombreuses institutions sont fondées sur leur existence. Les bovins ne peuvent quitter le groupe familial que

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    pour procurer des épouses. Le bétail peut faire l'objet de prêts appelés golla, et sert aussi à organiser des cures de lait pendant la saison sèche. Les bovins sont gardés par les hommes et, après la traite matinale, ils sont conduits au pâturage. Le système de production des Massa combine de manière harmonieuse l'agriculture, la pêche et l'élevage. L'importance relative de chaque activité dépend aussi bien des conditions climatiques que de la localisation dans l'espace des groupes et des ressources naturelles dont ils disposent. Cette diversification des activités économiques permet de minimiser les risques climatiques, et de fournir une alimentation suffisante et variée indispensable à la reproduction de la force de travail familiale (Claude Arditi, 1998:3).

    3- La pêche

    L'importance que les populations accordent à la pêche dépend de la proximité des cours d'eau et de l'extension des nappes de crue. En pays Massa, la pêche est pratiquée dans le fleuve Logone, le Chari et dans les mares de la région. Bien que cette activité piscicole soit en voie de disparition en raison des modifications écologiques qui ont entraîné l'assèchement d'un grand nombre de mares, les massa continuent à pêcher dans celles qui ne sont pas encore taries (Dumas-Champion, 1983:386). Leurs installations aux abords du Logone leur ont permis de développer une technique de pêche efficace, voire originale. Mais à la différence de leurs voisins, les kotoko, population voisine spécialisée dans la pêche en eau vive, les massa se distinguent par une pêche de décrue, pratiquée collectivement dans les bras morts et les mares (ibid). Les poissons capturés lors de la pêche sont utilisés pour leur alimentation mais aussi pour vendre.

    Pendant la période de crue, juillet à novembre, quelques pécheurs occasionnels à bord de pirogue, capturent les espèces comme le capitaine, les carpes et les petits poissons pour le commerce. Durant la période de décrue par contre, tous les riverains deviennent de pêcheurs. Entre mars et avril, avec l'autorisation du chef des eaux, boum golonga21, une pêche collective dans certaines mares de la région est organisée. Cette dernière peut durer une journée.

    21 Le nom donné au prêtre de l'eau.

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    En somme, le pays massa, territoire situé dans le sud-ouest du Tchad est dans sa configuration fragmenté en dix Cantons autonomes. Les conditions climatiques de cet espace sont favorables et permettent aux populations de pratiquer plusieurs activités (l'agriculture, la pêche, l'élevage...) pour assurer leur survie. De toutes ces activités, l'agriculture est la principale. Avec la croissance démographique observée dans le pays en raison de mouvements d'autres populations vers la région et surtout du taux de natalité, la question d'accès à la terre reste complexe. Ainsi présenté le pays, il convient de voir dans le chapitre suivant la procédure d'accès à la terre.

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    CHAPITRE II

    ACCÈS À LA TERRE DANS LA SOCIÉTÉ MASSA

    En pays Massa, la terre reste un élément essentiel de l'accumulation du capital le plus précieux, parce qu'elle sert de support irremplaçable de toute vie, où elle constitue le facteur de production et de survie le plus important. Depuis fort longtemps, la problématique autour de la question foncière a pris une place importante dans les débats relatifs au développement en Afrique. Par la suite, des Africanistes de différentes disciplines (ethnologues, géographes, économistes, politicologues) se sont de plus intéressés au foncier et, ont-ils ainsi, considérablement élargi le domaine d'étude foncière sur l'ensemble des rapports sociaux. (Delville, 2002:8). Généralement, on peut distinguer deux modes de penser l'espace. L'un est caractérisé par des conceptions foncières traditionnelles (ou autochtones ou endogènes) et l'autre par des conceptions modernes d'origine occidentale. L'introduction d'un modèle de société exogène par les autorités coloniales, imité largement par l'État postcolonial, a gravement bouleversé les rapports entre l'homme et la terre. De ce fait, le présent chapitre fait état de la conception ancestrale de la terre, autrement dit comment le peuple massa concevait la terre et quel était le mode d'accès ? Ensuite, ce chapitre va s'appesantir sur le régime foncier colonial, et celui en cour et enfin analyser les contradictions autour de la question foncière et son impact sur la société massa.

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    I- LES PRATIQUES FONCIÈRES AVANT LA COLONISATION

    En Afrique, les droits fonciers coutumiers ne se réduisent pas à la seule réglementation des prérogatives qui naissent de l'appropriation ou de l'utilisation de la terre. Ils s'organisent autour des rapports qui ne sont pas nécessairement juridiques. Ces rapports sont de trois ordres : les rapports de l'homme au sacré par la médiation de la terre ; les rapports de l'homme aux différents groupes sociaux dont il est membre et qui définissent son statut juridique, social et fonctionnel ; les rapports de l'homme à la terre en tant que moyen de production (Karsenty et Assembe, 2010:6). Ce sont ces rapports qui, à travers leurs interactions réciproques, définissent les droits fonciers coutumiers et en constituent l'objet

    1- La conception endogène de la terre en pays massa

    Dans la mesure où les règles foncières varient d'une société à une autre, d'une culture à une autre et même à l'intérieur d'une société, d'une époque à une autre, il n'est pas aisé de faire un exposé exhaustif sur la pratique foncière chez les Massa. Toutefois il faut dire que la terre est restée depuis fort longtemps une question vitale pour toutes les sociétés. De l'analyse de la plupart des travaux sur la tenure foncière en Afrique, les différents groupes sociaux à l'époque précoloniale avaient quasiment la même considération de la terre, notamment celle qui trouve le fondement de la propriété foncière dans la religion et les croyances. Ainsi, le système foncier traditionnel revêt plusieurs caractères que l'on retrouve dans la quasi-totalité des régions africaines.

    Pour elles, la terre au-delà de son rôle de support de toute activité, revêtait une dimension mystique (Armi, 2005:35). Dans la conception traditionnelle massa, la terre est la propriété de « Dieu22 », appelés Lawna. Elle est extrapatrimoniale, c'est-à-dire, non susceptible de propriété privée ou privative. La terre n'est pas susceptible d'appropriation car elle appartient à lawna. Elle est un bien dont la jouissance revient à tous les membres de la société, dans le respect de sa destination23. L'accès et l'usage de

    22 Dans la tradition massa, la terre est le bien de Lawna, qui selon eux est un Dieu grand vivant dans les airs. Toute chose lui appartient et l'utilisation de cette dernière passait par le prêtre du village.

    23Entretien avec le Chef de Canton Samma Tordina le samedi 26 juin 2017 à Bongor.

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    la terre s'effectue par la filiation, l'héritage, l'alliance, le prêt. Mais il peut être limité dans le temps et dans l'espace et être conditionné par sa mise en valeur. La terre appartient traditionnellement à ceux qui l'on cultivées (Cabot, 1965:23).

    Pour pouvoir exploiter telle portion de l'espace, les hommes devront conclure un accord avec le Lawna. Dans son fonctionnement, ce droit est exercé par le boum nagada24 qui est l'intercesseur entre les hommes et les puissances naturelles liées à la terre. Il va de sacrifice et bénédiction agraire à la répartition des parcelles aux membres de chaque tribu. Il en résulte que les rapports entre l'homme et la terre sont sacralisés et que de nombreux interdits assujettissent les travaux agricoles au respect d'une divinité d'autant plus exigeante que les hommes attendent tout d'elle puisqu'ils vivent de sa fécondité.

    Ainsi par ses sacrifices, il conjure le mauvais sort et les catastrophes naturelles et par ses bénédiction, il appelait le « Dieu » à accorder une bonne pluviométrie, à rendre la terre fertile en vue de bonne récoltes. Bref, le chef de terre de par ses fonctions, est considéré comme « le symbole vivant du lien sacrificiel contracté avec la terre nourricière [...], le médiateur entre le monde visible et le monde invisible [...], le seul garant et gérant du patrimoine commun et le plus apte à répartir l'espace cultivable entre sa population (Famargué Kaïtamba, 2002:34).

    Cependant de l'analyse de la conception traditionnelle de la terre, celle-ci n'est plus le cas aujourd'hui. Avec la colonisation, l'idée que les hommes massa se faisaient de la terre a changé. La terre n'est plus la propriété du lawna et dont l'utilisation nécessitait le boum nagada, car dorénavant elle est le bien de l'État. L'entière jouissance passe donc par la procédure de l'immatriculation. Ici, l'homme massa n'a plus besoin du boum naga pour acquérir un espace mais plutôt d'un chef de canton et/ou Blama qui lui confère le droit de jouissance.

    24Le boum nagata est un nom en, massa donné au prêtre de l'eau.

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    2- Les modes d'accès à la terre en pays massa

    Les sociétés ont élaboré des règles écrites ou non pour préciser l'usage, le partage et la transmission de la terre entre tous. Cependant, dans la plupart des sociétés, la coutume exclut les femmes de l'accès à la propriété foncière bien qu'elles participent largement à l'exploitation de ces dernières.

    Traditionnellement, le régime foncier en pays massa est essentiellement collective, inaliénable et imprescriptible. La terre est un bien communautaire. Mais cette appropriation collective n'empêche pas que des droits d'usage soient accordés sur la terre aux membres de la collectivité et éventuellement aux étrangers qui en font la demande selon les règles coutumières qu'ils s'engagent à respecter. Essentiellement agraire, l'ensemble de la société massa a une conception variée de la terre. Selon la coutume massa dans l'époque précoloniale, l'accès, l'utilisation de la terre passe automatiquement par une demande auprès du boum-nagata, le chef de terre ou père de la terre. C'est lui qui renseigne le demandeur sur la disponibilité et les conditions d'accès à la terre. À partir de ce moment, il se charge de clarifier les prescrits coutumiers et délimite l'espace faisant l'objet de la demande. Après consultation des génies par le chef de terre, coutumièrement la symbolique confère au demandeur et à ses descendants, la jouissance de la terre qui, dorénavant devient la propriété familiale25.

    Dans la conception traditionnelle comme signalé ci-haut, les terres sont occupées au terme d'une alliance passée par le premier occupant avec les puissances de la terre et les esprits du lieu. Ces puissances ont des lieux spécialement réservés comme les collines, certains arbres ou les bois sacrés. Le Boum nagata est le garant du respect de l'alliance. Il est généralement le descendant du premier occupant26. Il est chargé des sacrifices nécessaires à l'obtention de l'accord et de la protection des possesseurs mythiques des lieux.

    L'ensemble de l'espace en pays massa appartient aux agriculteurs, qui l'exploitent comme ils l'entendent. Le rapport de ces populations à l'espace est un rapport social mais aussi spirituel comme mentionné ci-haut. L'espace n'est pas un

    25Entretien avec Dom Djaldi, agriculteur, le 22 juin 2017 à biliam-oursi I. 26Ibid.

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    bien, mais le siège de forces invisibles que l'on doit se concilier avant de l'investir. D'où l'importance des médiateurs nommés boom nagata. La terre appartient aux premiers occupants. Au sein de ces groupes, les terres sont réparties entre les familles pour qu'elles les cultivent. L'accès individuel à la terre est obtenu par la filiation patrilinéaire dans le cadre de la propriété collective de la terre. Une terre peut-être transmise aux enfants, à condition qu'elle soit mise en valeur et qu'elle soit maintenue en exploitation. C'est le principal mode d'accès à la terre, notamment au sein des communautés locales; transfert successoral de père à fils. Les droits des femmes n'ont pas progressé dans les pratiques locales (Bibiane Yoda, 2009:2). Celles-ci demeurent exclues de fait du droit d'héritier d'une partie des terres familiales.

    Cette pratique exista jusqu'à l'arrivé des colonisateurs qui, changent la donne, avec un système quasi-inadaptable. Avec la colonisation, le pays massa et l'ensemble de tout le territoire qui allait devenir le Tchad connurent un changement brusque. L'ancien système coutumier foncier est dorénavant considéré comme caduc. Les terres sont vues comme n'appartenant à personne, elles sont désormais le domaine de l'État, donc la puissance colonisatrice. Toutefois, certaines de ces pratiques continuent d'exister bien que les terres sont dans certains endroits le domaine de l'État.

    Les nouveaux arrivants peuvent obtenir le droit d'usage de la terre auprès du chef du village (blamana) (Cabot, 1965:23). Le prêt de la terre devient un mode d'accès aux fonciers utilisé par les étrangers installés dans un village donné. Ceux-ci sont assujettis au respect des us et coutumes locaux de la région. Dans le passé, le prêt de terres n'avait pas de contrepartie monétaire, il était surtout considéré comme un moyen de régulation des rapports sociaux locaux et d'organisation d'alliances familiales et inter-villageoises. De plus en plus, l'obligation sociale cède le pas à des exigences d'assistance, parfois abusives de la part des propriétaires fonciers coutumiers. Ceux qui ne se soumettent pas sont menacés de retrait des terres. Dans une certaine mesure, la location et la vente de terre sont des modes émergents de transactions foncières aujourd'hui observables dans de nombreuses régions et singulièrement en pays Massa. C'est une forme déguisée de prêt à court terme pratiqué surtout vis-à-vis des étrangers ou des familles en manque des terres agricoles. Les

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    ventes de terres sont liées à divers facteurs parmi lesquels on peut souligner le développement d'entreprises agricoles modernes comme c'est le cas à Bongor.

    3- Les types de propriétés foncières en pays massa

    En pays massa, nous avons trois types de propriétés des terres. En premier lieu, c'est celle dite ancestrale qui est la première et la plus ancienne forme de propriété, fondée sur des droits de premiers occupants ou ancêtres auxquels les nouveaux villages demandent des terres à exploiter. Car dit-on, les terres appartiennent traditionnellement à ceux qui les ont cultivées (Cabot, 1965:23) Ces terres n'étant pas achetées ne font l'objet d'aucune compensation. Cet attachement au patrimoine ancestral rend impensable toute aliénation de tout ou partie du domaine, support de vie du groupe. Nul ne peut céder une parcelle de cette propriété dont le caractère s'étend à la fois à travers l'espace et le temps. La terre appartenant aux ancêtres et se transmet à l'intérieur du lignage au sein duquel les droits fonciers sont susceptibles de faire l'objet d'une dévolution successorale. L'exemple de ce type de propriété est visible dans le Canton Koumi où les clans se disputent les espaces en évoquant l'idée de l'ancienneté. Aujourd'hui nombre de conflits observés dans la région ont pour fondement la question d'autochtonie.

    La deuxième forme de propriété est familiale, elle concerne dans un premier temps les terres dont les propriétaires sont des familles fondatrices ou résidentes des villages impliqués dans l'exploitation agricole de la plaine. Toutes les terres détenues par ces familles dans la plaine constituent les terres du village de résidence. Toutes les terres de la plaine sont des propriétés familiales. La caractéristique particulière de ces terres est qu'elles demeurent des patrimoines familiaux qui ne sont ni vendus ni rétrocédés. Ces terres se transmettent par héritage dans certains villages. Elles peuvent faire l'objet d'un prêt de courte durée, mais sans autorisation d'implantation d'investissements à long terme. La gestion des terres familiales est exercée par le membre le plus âgé de la famille détentrice de terres. Le chef de famille assure l'accès à la terre des membres de sa famille.

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    En dernier lieu nous avons la propriété collective qui, en plus des terres ou champs de familles qui délimitent les terres de chaque village, les villages sont aussi détenteurs de mares dont la propriété leur est exclusivement reconnue. Les mares constituent la propriété d'un village donné sous une forme de propriété villageoise collective. Elles sont souvent la propriété de plusieurs villages. Elles sont exploitées le plus souvent par le seul village propriétaire mais aussi aux villages voisins qui en font la demande. Elles font l'objet de pêches collectives annuelles à une date fixée au préalable par le village propriétaire. Ce genre de propriété est observable dans les Cantons Télémé, Bongor centre, Moulkou.

    II- LA POLITIQUE COLONIALE EN MATIÈRE FONCIÈRE ET SON IMPACT SUR LA SOCIÉTÉ MASSA

    Au-delà de la conception traditionnelle de la terre, la société massa comme toute autre société connait une autre forme de régime, celui dit occidental. Il est basé sur la propriété privée. Cette nouvelle vision de l'appropriation de la terre impacte sur la société massa.

    1- La conception exogène du foncier

    Tout le territoire qui allait devenir le Tchad a connu dès le début du XXe siècle la colonisation. Celle-ci impact toutes les sociétés et le pays massa n'y échappe pas. L'avènement de la colonisation a introduit dans la société massa des éléments nouveaux, exogènes et dominateurs, susceptibles qui ont entraîné des modifications et des distorsions dans les équilibres internes. Avec la colonisation, c'est l'avènement d'une conception du foncier basée sur des principes et des valeurs qui n'ont rien de commun avec ceux des sociétés traditionnelles (Coquerey-Vidrovitch, 1985:145).

    Alors que les terres sont considérées comme un patrimoine communautaire légué par les ancêtres et de ce fait inaliénable, la colonisation en fit un objet dont l'appropriation individuelle était possible, accordant par-là même une valeur marchande (Armi, 2005:39). Ainsi, en voulant avoir le contrôle des terres, l'on assiste à la vulgarisation de la procédure de l'immatriculation comme principale marque (Ibid).

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    Pour avoir la mainmise sur ces terres, les notions de terres vacantes sont évoquées pour justifier la politique coloniale. Ainsi des grands espaces font l'objet d'appropriation par les puissances colonisatrices qui pensent que la propriété foncière indigène se limitait à leur habitat et aux alentours. L'exemple patent de ce type d'appropriation peut dans une certaine mesure être le cas en pays Massa où plus de 700 hectares ont fait l'objet d'accaparement sur l'ensemble des dix Canton. La société française installée dans le village de biliam-oursi I en 1953 comme nous le confirme Fanga Augustin27, avait à elle seule plus de 450ha, espace qui servait pour la culture du coton et quelques années après pour le riz. Cette société avait à elle seule occupée un grand espace.

    Dans cette perspective, plusieurs lois relatives aux grandes orientations foncières furent promulguées, parmi lesquelles nous avons :

    - Décret du 28 mars 1899, modifié en décembre 1920 fixant le régime de la propriété foncière ;

    - décret du 20 juillet 1900 et le décret du 24 juillet 1906 créant le système de l'immatriculation et l'introduction des livres fonciers dans le cadre d'une politique d'organisation de la propriété foncière ;

    - décret du 08 octobre 1925 consolidant les droits coutumiers en permettant aux détenteurs de faire constater leur propriété et délivrant un livret foncier coutumier (Armi, 2005:39-40).

    Ces textes sont établis pour permettre à la puissance colonisatrice de mener à bien ses activités économiques dans l'ensemble du territoire tchadien. Cette forme de régime foncier exogène est sous-tendue par une volonté d'abolir toute forme d'organisation interne, de hiérarchie au sein des sociétés traditionnelles en général. D'où la tendance à qualifier ces sociétés de sociétés acéphales et anarchique. Pour ce qui est du pays Massa, un rapport administratif de 1913 qualifie les Massa comme « un peuple à demi-sauvage vivant dans l'anarchie » (Dumas-Champion, 1983:30). La politique coloniale en matière foncière consistait, dans presque toutes les sociétés à considérer que les terres étaient vacantes et ensuite en prendre possession.

    27Entretien avec Fanga Augustin, le vendredi 23 juin 2017 à Bilam-Oursi I.

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    Dans ce contexte de domination, le boum nagata, maître de la terre est démis et méconnu dans ses fonctions par le pouvoir nouvellement instauré. Ce qui fait que sa prépondérance en matière foncière décline et ses prérogatives passent aux mains des chefs traditionnels créés et instrumentalisés par l'administration coloniale pour les besoins de la cause. Il est désormais, un simple officiant des rites ancestraux, ses services sont de moins sollicites pour disposer de la terre. La terre devient ainsi un bien dont l'appropriation individuelle et la vente sont possible.

    Devenu maître et propriétaire des terres, les colonisateurs les mettent en valeur cela s'explique par l'implantation de la culture cotonnière dans toute la région du Mayo-kebbi. Pour le cas de notre zone d'étude, plus de 700ha ont fait l'objet d'appropriation par la puissance colonisatrice à travers la société française dénommée SEMAB, dont la fonction dura jusqu'à l'indépendance. Son principal rôle était la culture du coton et du riz et ses fonctions s'étendaient dans les cantons Koumi, Télémé, Toura et Magao.

    2- Les textes en matière foncière après l'indépendance et la tentative de leur adaptation

    Après plus d'un demi-siècle de domination coloniale, le Tchad accède à l'indépendance le 11 août 1960. Dans un contexte d'autonomie interne, le Tchad n'a fait que reprendre la législation foncière datant de la période coloniale. Le principe de prééminence de l'État sur toutes les terres et sur les autres ressources naturelles, est maintenu et sert d'argument à l'état dans sa volonté manifeste d'accaparement des terres au nom du développement économique28. De même, le caractère aliénable de la terre est maintenu et l'appropriation individuelle durable, voire définitive, reconnue et matérialisée par l'immatriculation. C'est dire que dans l'immédiat, aucune initiative, aucune réflexion allant dans le sens de l'adaptation ou de la réhabilitation du régime foncier coutumier ne fut ébauchée par les dirigeants de ce pays (Armi, 2005:47). Il se trouve que l'État tchadien ne se démarqua en rien de la politique coloniale en matière foncière sept ans après l'indépendance. Tout se passe comme si celui-ci s'était

    28Elina Yarandi cité par Armi lors d'un entretien le 25 avril 2003 à Pala.

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    substitué à l'état colonial pour poursuivre les mêmes objectifs en usant des mêmes moyens. Dans plusieurs pays d'Afrique centrale, l'accession à la propriété privée passe par une procédure héritée de la période coloniale, l'immatriculation. Quelques lois et décrets méritent d'être cités dans le cadre de cette étude. Il s'agit de :

    -la loi N° 24 du 22 juillet 1967 sur le régime de la propriété foncière et des droits coutumiers, suivie du décret n° 186/PR du 1er août 1967 sur le régime de la propriété foncière et des droits coutumiers ;

    - la loi N° 25 du 22 juillet 1967 sur la limitation des droits fonciers29 définit les procédures d'expropriation et définit le principe de l'indemnisation dans ses articles 2 et 5, fixée par la voix de conciliation. On rappelle qu'en principe, toute terre rurale faisant objet d'un titre de propriété et dont l'exploitation abandonnée pendant plus de cinq (5) ans compte tenu de mode de culture, peut être expropriée. A l'instar des lois de juillet 1967 portant sur le régime foncier au Tchad et sur les modalités de gestion, le nouveau code foncier énonce que :

    Les droits coutumiers, exercés de manière collective ou individuelle, peuvent être transformés en droits de propriété dès lors qu'ils comportent une emprise permanente et évidente sur le sol. Cette emprise se traduit par les constructions et/ou par une mise en valeur régulière du terrain, y compris les interruptions justifiées par les modes de cultures30.

    -La loi n°14/PR/98 du 17 Août 1998 définissant les principes généraux de la protection de l'environnement31. L'objectif de la loi est d'établir les principes pour la gestion durable de l'environnement et sa protection contre toutes les formes de dégradation. Au sens large, l'environnement prend en compte : le sol, le sous-sol, la faune, la flore, la zone humide, l'atmosphère et les aires protégées. L'article 29 vise à protéger les forêts contre les pratiques préjudiciables telles que le surpâturage, la

    29CEFOD, 2004, Recueil des textes sur le droit foncier au Tchad, Banque Tchadienne des Données Juridiques.

    30 International Grisis Group, 2014, « Afrique centrale : les défis sécuritaires du pastoralisme », Rapport Afrique N°215, p. 11.

    31La loi n°14/PR/98 du 17 Août 1998 définissant les principes généraux de la protection de l'environnement.

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    surexploitation, les incendies, les brulis. Les aires protégées ne peuvent être parcourues par les éleveurs ni exploitées par les agriculteurs ni attribuées.

    Or en pays massa, les zones protégées font l'objet, pas de vente mais de pratiques culturales par les familles en manque de terre. Aussi, les éleveurs aussi en font usage en saison sèche bien que les couloirs de transhumance soient définis. Ceci impact sur certaines plantes, avec comme conséquence la dégradation de l'environnement. Cette situation est contraire à ces dispositions juridiques en ce qui concerne la protection du foncier dans le canton Bongor.

    La loi n° 4 du 31 octobre 1959 portant règlementation du nomadisme sur le territoire de la république du Tchad32. Article 1er : le nomadisme est règlementé sur toute l'étendue du territoire de la République du Tchad, tant au point de vu de circulation des bétails qu'au point de vue de stationnement.

    Article 2 : Sont déclarés « nomades » les citoyens éleveurs des bovidés, de chameaux ou de moutons, n'exerçant habituellement aucune autre profession ou activité, n'ayant pas de domicile certain, et transhumant chaque année en famille avec leurs troupeaux sur le territoire de plusieurs circonscriptions administratives (districts).

    Article 4 : sont assimilés aux nomades définis aux articles ci-dessus tous regroupements de personnes ayant domicile certain et exerçant habituellement la profession de cultivateurs mais qui, propriétaires de troupeaux se déplacent avec ces derniers hors des limites admises de leur district de recensement.

    Article 7 : les mouvements des éleveurs transhumants doivent obligatoirement suivre les itinéraires fixés par une commission composée d'éleveurs, des notables et des élus de la circonscription.

    Article 9 : les sédentaires doivent laisser libre passage aux nomades sur les itinéraires de transhumance visés à l'article 7 du présent acte.

    32 La loi n° 4 du 31 octobre 1959 portant règlementation du nomadisme sur le territoire de la république du Tchad.

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    De tous ces articles, il convient de rappeler que l'exécution cause un problème. Les éleveurs comme les agriculteurs sont souvent confrontés à un problème d'interprétation qui, souvent laisse comprendre que les deux groupes ignorent les textes règlementaires. En considérant les mutations autour de la réforme foncière de 1967 et le contenu de cette réforme, il se pose la question de son adaptation au contexte actuel à cause des facteurs (anthropiques et naturels) qui sont survenus. L'examen de ces différents facteurs s'avère nécessaires pour saisir la dynamique interactive qui existe entre les groupes sociaux et le foncier. À travers ces lois, on voit bien que la nouvelle politique en matière foncière prête à confusion et la règlementation moderne est mal connue, peu diffusée et dont la compréhension échappe aux usagers.

    3- Les textes en vigueur

    Au plan de la théorie étatique, la terre, mieux le territoire, est un des trois éléments constitutifs de l'État. Sans territoire, l'on ne peut parler d'État. En plus de la population, il faut un support géographique ou physique sur lequel le pouvoir doit s'exercer. Par ailleurs, les richesses et les investissements proviennent et portent essentiellement sur la terre. D'où l'importance accordée au territoire. La terre apparaît donc comme un support du pouvoir politique et économique. L'avoir (pouvoir économique) est le support allié du pouvoir politique. Sans ce support qu'est la terre, sans cette assiette, aucun de ces deux pouvoirs ou aucun des pouvoirs ne peut se tenir «debout ». Les différentes conceptions de la terre, son statut et sa nature juridique ont fait que dans certains systèmes juridiques, la terre n'est pas susceptible d'appropriation. En traduction de l'expression selon laquelle la terre est un bien héritée des ancêtres, elle appartient à l'État.

    L'une des constantes en droit moderne est que la propriété foncière est essentiellement individuelle. Elle s'acquière par la procédure de l'immatriculation. Deux régimes fonciers continuent de nos jours à coexister en pays massa : le régime coutumier et le régime moderne. Leurs actions qui revêtent deux formes sont soient directes, soient indirectes. Le but poursuivi était d'organiser « une meilleure répartition et une plus judicieuse utilisation de la terre » (Kabo, 1990:2018). L'enjeu

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    de ces politiques est d'arriver par le contrôle de l'accès à la terre à mettre à la disposition de ceux qui peuvent effectivement la mettre en valeur et à leur accorder toutes les garanties qu'il faut sur cette terre pour les inciter à s'y installer et à y investir.

    III- AMENUISEMENT DES RESSOURCES FONCIÈRES ET COMPÉTITION POUR L'ACCÈS À LA TERRE

    La question foncière apparait plus complexe dans un monde où le nombre de la population ne fait que grandir. En pays massa, plusieurs facteurs expliquent la recrudescence des litiges fonciers. Ces facteurs sont d'ordres historique, politique, climatique et social.

    1- Les causes historiques issues de la colonisation

    Historiquement, avant la colonisation, les Massa vivaient dans les plaines inondables qui, dès les premières pluies se transformaient en marécage, avec une principale activité la pêche et quelquefois la chasse.

    Cela dit, les litiges fonciers en pays massa n'éludent pas la colonisation qui, dès son implantation eut un impact considérable sur la société massa. D'entrée de jeu, il convient de rappeler que les Massa bien qu'agriculteurs, n'aimaient pas labourer, parce que selon eux, « Dieu » a tout mis à leur disposition33. Vers 1914-1918 il y'avait la présence des Blancs sur le territoire massa. Dès son arrivée, l'administration coloniale chercha des auxiliaires qui devaient transmettre facilement les ordres émanant de la haute hiérarchie. Ces auxiliaires furent trouvés auprès des chefs traditionnels dont l'audience auprès de leurs administrés était un atout à exploiter au profit du colonisateur (Armi, 2005:43). Cette démarche conduisit à bien de dérapages dans la mesure où l'on assista à l'émergence de nouvelles « chefferies traditionnelles » dont l'existence et les attributions n'avaient rien en commun avec les chefferies traditionnelles authentiques. Elle fut nécessaire à la perception de l'impôt et à la création des cultures utiles à l'économie française. Pour quadriller la population

    33Entretien avec Fanga Augustin le vendredi 23 juin 2017 à biliam-oursi I.

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    massa, l'administration coloniale instaura une chefferie de type fulbé et conformément à sa logique territoriale propre, divisa le pays en cantons, villages et quartiers.

    C'est ainsi que l'on assiste à la naissance ou à l'intronisation du premier Chef, auxiliaire des colons, dans le canton Koumi, puis dans les autres localités. L'institution d'une chefferie a créé un type d'accaparement des richesses tout à fait étranges à la prospérité qu'un Massa traditionnel pouvait espérer (Dumas-Champion, 1984:33). Les chefs ont usé de leur pouvoir pour s'enrichir notamment en occupant des grands espaces après l'indépendance. Comme conséquence à cette situation, des actes d'insubordination et de contestation de la part des populations éclatent parce qu'ils jugeaient égoïste l'attitude des chefs auxiliaires qui considéraient la terre comme la leur. Dans la foulée, le rapport de l'homme à la terre connait un changement radical.

    Ajouté à cela, le départ de la société française (SEMAB) après les indépendances, eut des conséquences considérables sur la configuration spatiale. La presque totalité des terres appartenant à ladite société se trouve dorénavant entre les mains des populations. Elles ont fait l'objet de partage non équitable suscitant la réaction des populations qui, entre-temps ont pris goût pour la culture de la nouvelle filière (riz et coton).

    Après deux, trois générations, le pays massa connait une pression démographique et les espaces se rétrécirent. Les fils ne connaissant pas l'emplacement exact de leur champ procèdent par la revendication des champs d'autres familles34. Ainsi, apparait les premiers conflits latents entre familles dans le canton koumi avec comme base le partage des parcelles de terre.

    2- Les causes politiques comme facteur de migration

    Au lendemain de l'indépendance du Tchad le 11 août 1960, très rapidement le Tchad se trouve dans une impasse politico économique sans précédent. Des opposants arrêtés, des militants séquestrés, des paisibles citoyens assassinés, bref la méfiance et la haine se développaient de plus en plus et la déchirure était imminente. Toute

    34 Entretien avec Fanga Augustin le vendredi 23 juin 2017 à biliam I.

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    manifestation ou tout rassemblement était sévèrement puni parce que le président Tombalbaye voulait coûte que coûte sauvegarder l'unicité de son parti le PPT/RDA35.

    À partir de ces incidents politiques, le Tchad entre dans une période où les hommes en armes vont jouer un rôle prépondérant dans tous les domaines de la vie politique, économique et sociale. Nombre de personnes sous la menace, se verront contraint de quitter leur terre natale pour se réfugier ailleurs. C'est sous cette atmosphère que l'on assiste à une grande concentration des populations issues de la partie méridionale dans le pays massa.

    Les difficultés dans lesquelles se trouvait le Tchad durant cette période quant à la relance de son économie ont obligé le gouvernement à lancer un emprunt national. Cette situation est-elle-même la résultante conséquence des crises futures. Il y a eu augmentation du taux d'imposition. Les femmes qui jadis ne payaient pas l'impôt ont été contraintes par cette mesure à le payer.

    C'est ainsi qu'en 1965, la population de Mangalmé exprime une volonté commune de ne payer cette charge imposée par le gouvernement de Tombalbaye. Le refus de payer l'impôt plus la tuerie des dix personnes, une délégation envoyée dans le cadre d'un compromis entre les paysans et le gouvernement, se solde par un massacre sans précédent. Plus de 250 personnes ont été tuées. Des champs brulés ; les représailles étaient au-delà de la limite humaine (Adoudou et Adil Artine, 2015:46).

    De l'analyse de cette situation, naîtra un mouvement rebelle, dorénavant l'opposition au régime se fait par les armes. Plusieurs présidents vont se succéder au pouvoir en dehors du Général F. Malloum (1975) qui est originaire du sud, les autres, c'est-à-dire Goukouni Oueddeï (1979), Hissène Habré (1982) et Idriss Déby (depuis 1990) sont issus du nord. Ces changements de dirigeants s'accompagnent de rebellions et de guerres civiles assez sanglantes développant partout dans le pays un climat d'insécurité. Cette insécurité provoque dans la zone sahélienne des pertes en vies humaines et occasionne le mouvement des populations vers d'autres localités.

    35 Parti Progressiste Tchadien, section locale du Rassemblement Démocratique Africain.

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    Les crises politiques au lendemain de l'indépendance du Tchad ont en effet affecté la démographie dans la région du Mayo-Kebbi. Car les conflits fonciers en pays Massa ont pour moteur ces crises. Ainsi, les relations pacifiques entre les populations se dégénèrent suite au manque d'espace après deux décennies. Les principaux acteurs des conflits qui sont les agriculteurs et les éleveurs dans les zones rurales reconnaissent que la cohabitation s'est transformée en conflits avec l'avènement des forces armées du Nord(FAN) dirigée par Hissein Habré. Ensuite, la migration a atteint son point culminant dans le Mayo-Kebbi en 1984 avec la naissance de mouvements armés sudistes les « codo »36.

    En quête de sécurité, les éleveurs migrent vers le sud et particulièrement dans la région Mayo-kebbi. Ce flux migratoire du nord en direction du sud du Tchad est à l'origine d'une mutation spatiale. Inversement, les populations du sud, c'est-à-dire ceux de la région du Logone quittent leur terre natale pour la région du Mayo-Kebbi. Ce mouvement migratoire est la conséquence de la menace qu'exerçait le régime Tombalbaye. La région du Mayo-Kebbi devient pour ainsi dire un véritable centre de refuge dans lequel les déplacés s'y installent. La rencontre des deux camps dans cette région entraine un rétrécissement d'espace cultivable, et le Mayo-kebbi apparait dès lors comme le carrefour national avec une particularité ethnique.

    3- Les aléas climatiques et la pauvreté

    Une grande partie du Tchad est occupée par le désert. Ce phénomène naturel influence considérablement sur les régions voisines. Il est la cause du déplacement de certaines personnes vers une autre localité.

    3-1 contrainte naturelle

    La plupart des hommes dépendent de l'environnement pour vivre. La terre est un bien recherché tant par les communautés sédentaires que par les agro-pasteurs pour la culture de rente et la culture vivrière. Les pâturages sont essentiels pour les pasteurs mais aussi pour les agriculteurs installés qui possèdent du bétail. Ceux qui sont

    36C'est l'abréviation de commando. Ce sont les opposants du régime de Hissein Habré.

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    installés peuvent être soit de petits exploitants soit de grands propriétaires pratiquant l'agriculture mécanisée.

    Le Tchad, pays situé dans la zone sahélienne n'échappe pas au changement climatique. À partir des années 1970, des graves perturbations sont apparues dans la pluviométrie, avec des retards fréquents d'installation des pluies et une réduction des quantités. Ces modifications ont entraîné une baisse de la productivité des pâturages et ont réduit les zones propices à l'agriculture et à l'élevage. Agriculteurs et éleveurs sont à la recherche constante de terres, mais ont peu changé leurs modes de production (Souapibé Pabamé Sougnabe, 2003:4). Ces contraintes naturelles et environnementales sont la cause des mouvements des populations surtout éleveurs vers les localités favorables aux besoins des animaux. Ainsi, la transhumance des éleveurs en quête de pâturages et des points d'eau du nord vers le sud du pays depuis quelques décennies demeure permanente. Ces mouvements mettent en contacte des types d'activités différentes et des hommes différents (Armi, 2005:5). La différence qui existe entre ces hommes provient de leur culture respective et de leurs structures sociopolitiques et économiques fortement influencées par la disponibilité des milieux en ressources naturelles.

    Les sècheresses des années 1970 et de 1985 et la désertification qui s'en est suivie ont été un facteur déclencheur de conflits dans le milieu rural. Durant cette période, le nombre de têtes du cheptel bovin du Tchad est estimé à 4,5 millions. La plus grande partie se concentre dans la zone sahélienne. La zone soudanienne compte moins de 100 000 têtes. Mais en 1992, au moins 26% du cheptel national se trouve dans la zone soudanienne (Oumar Goumaîna, 2012:71-72). La désertification qui en résulte de la péjoration climatique et des activités abusives des hommes sur la nature cause la raréfaction ou la réduction des ressources naturelles qui sont : l'eau, le pâturage herbacé ou arboré. Cette situation se décline par une compétition acharnée pour l'accès aux ressources de la terre.

    Ainsi, la cohabitation entre les éleveurs venus du nord et les agriculteurs autochtones apparaît violente aujourd'hui. Les conflits sont devenus de plus en plus nombreux et parfois meurtriers. On est loin de cerner l'ensemble de leurs causes. Dans

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    les zones rurales, les conflits naissent dans la mesure où les éleveurs en provenance du nord avec un élevage extensif, ne suivent pas les couloirs de transhumance. Un troupeau de 500 têtes est souvent accompagné d'un petit enfant qui, n'ayant pas le contrôle, laisse les boeufs dévaster les champs. Les agriculteurs n'ayant d'autres choix que de riposter, se trouvent confronter à un ennemi bien plus fort qu'eux37. En plus de cela, les éleveurs seraient soutenus par les autorités administratives et disposeraient d'armes à feu.

    Photo 5 : Campement des éleveurs peuls à Djarabou.

    Cliché :Kampété Dieudonné Kingué, 28 juin 2017.

    37 Entretien avec Khamis officié de la police judiciaire de la Brigade de recherche de Bongor, le lundi 26 juin 2017.

    3-2 La pauvreté

    Pour éviter la faim, les populations vivant dans les périphéries de Bongor et bien plus dans les villages reculés sont tentées de mettre leur terre en location aux profits des familles en manque nanties. Ces familles sont généralement des étrangers qui, par vague de migration ont intégré la région. Ce sont généralement des commerçants, des généraux, et autres cadres de la région.

    D'autres, en particulier les chefs des cantons Bongor, Moulkou et Nguelendeng, profitent de leur titre pour vendre des hectares aux nanties bien que la loi n'autorise pas la vente d'un terrain de plus de cinq hectares à un individu. Ce qui fait que les terrains aux abords de la voie bitumée, depuis Nguelendeng jusqu'à l'entrée de Bongor sont vendus par les chefs de canton. Ces grands espaces sont transformés en vergé par les nouveaux propriétaires. Ce qui fait que les champs qui, autrefois servaient de culture de mil, ont été transformés en vastes vergés.

    La vente des terres par les chefs est la cause des conflits qui souvent opposent les ex propriétaires aux étrangers qui les exploitent. L'exemple patent de cette situation est observable dans le Canton Bongor, Moulkou et Tougoudé38. Dans une situation de chômage, la terre reste une source facile de revenu, il suffit de la vendre pour récupérer des sommes importantes d'argent. D'où l'accroissement des litiges par le moindre défaut d'honorer la redevance est une cause de résiliation du contrat d'amodiation.

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    38 Entretien avec le chef de secteur de l'ANADER Djonyang Laurent le lundi 07 août 2017 à Bongor.

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    Photo 6 : Espace autrefois utilisé pour la culture du mil transformé en verger de manguiers.

    Cliché : Kampété Dieudonné Kingué, 13 octobre 2017.

    Cette pratique perdure et les terrains qui ont dans le passé fait l'objet de vente sont aujourd'hui devenus des grandes forêts fruitières. Généralement les nouveaux propriétaires de terrains emploient les ex propriétaires pour s'en occuper. Ces derniers bénéficient en plus de la vente un salaire qui peut dans ce contexte assurer la survie de leur famille.

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    Photo 7 : Une forêt de manguiers à l'entrée nord de Bongor.

    Cliché : Kampété Dieudonné Kingué, 13 octobre 2017.

    Pour ce qui est de la location ou de prêt, Il s'agit ici des familles qui, par manque des moyens pouvant leur permettre d'exploiter leurs champs, sont contraintes de les mettre en location aux individus capables de l'exploiter. Après plusieurs années de mise en culture, les usufruitiers s'arrogent la propriété des champs. Inversement, les familles dépossédées des champs après une, deux générations sont confrontées à un problème d'espace. Elles s'élargissent tandis que leurs champs deviennent insuffisants, le besoin d'autres espaces se fait sentir. Ainsi les propriétaires commencent par réclamer les terres qu'ils avaient mises en location. Cette situation conduit souvent aux conflits latents mais aussi violents entre les deux camps.

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    4- La croissance démographique.

    Les migrations et les taux élevés d'accroissement interne ont favorisé une forte croissance démographique dans la zone soudanienne, dont la population a doublé en 30 ans, passant de 1 300 000 habitants en 1960 à 2 500 000 en 1993 (Djapania (1996) cité par Souapibé Pabamé Sougnabe, 2003:4). La forte natalité occasionne l'augmentation de la population sur une terre intacte. Dans ce contexte de forte croissance interne, les terres de culture deviennent de plus en plus rares et insuffisantes pour répondre aux besoins de la population tout entière. Cette situation rend problématique le rapport des hommes à la terre, ce qui génère des conflits dans tout le pays Massa. Ces conflits qui pour la plupart se justifient par le manque d'espace, sont fréquents puisque l'agriculture demeure et reste la principale activité. En voulant satisfaire leurs différents besoins, les hommes se disputent la terre.

    Aussi, la pression pastorale s'est-elle particulièrement accentuée dans tout le pays Massa, sous l'effet du développement des troupeaux villageois et surtout de la forte descente des troupeaux transhumants, fuyant les nombreuses sécheresses issues des aléas climatiques et des activités abusives d'hommes sur les terres. Cette démographie caractérisée par la transhumance de l'extérieur vers l'intérieur du pays, a favorisé une extrême croissance animale et humaine. Ainsi la saturation d'hommes et d'animaux dans le territoire massa a renforcé la pression sur l'espace et les oppositions entre les différents usagers. Même si la densité moyenne de la population et la charge moyenne du cheptel ne donnent pas une idée précise de leur répartition réelle dans les différentes localités (Souapibé Pabamé Sougnab, 2003:4), il faut dire cependant qu'il y a un sérieux problème quant à la gestion d'espace.

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    En somme, la croissante démographique issue aussi bien du taux élevé de natalité que du mouvement des éleveurs dans le pays Massa, a eu des conséquences sur la société massa. Cette situation a conduit progressivement au rétrécissement des espaces exploitables. Ainsi les relations entre les différentes populations, compte tenu des pressions sur les terres, dégénèrent souvent en conflit. Ces conflits qui, dans le passé les opposaient aux peuples voisins, sont devenus réguliers à cause du manque de la terre, elle-même causée par le nombre élevé de la population. Ils opposent pour la plupart de cas les agriculteurs entre eux et les agriculteurs aux éleveurs avec des conséquences considérables sur la société.

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    CHAPITRE III

    MANIFESTATIONS ET CONSÉQUENCES DES CONFLITS

    La terre étant un des facteurs qui constituent une nation. Celle-ci revêt une importance capitale dans la vie de l'homme et de la société tant qu'elle est source de développement économique. Elle est donc le pouvoir dans la mesure où elle tient : l'agriculture, l'élevage, l'habitation, les ressources minières et elle configure aussi l'étendue du pouvoir d'un État. La quête de la terre non seulement des terres fertiles, est toujours un problème social crucial (Kangu lumbam Kambi, 2004:27). Ainsi, les usagers de l'espace s'opposent souvent sur l'utilisation de ce dernier et véhiculent des visions différentes, voire opposées. Ces tensions peuvent se transformer en conflits. La croissante démographique plus la dégradation de l'environnement observée au cours des XIXe et XXIe siècles influence progressivement les rapports entre les différents utilisateurs dans le pays massa. Essentiellement cultivateurs, l'accès à la terre chez les massa est dorénavant un enjeu considérable qui engendre les tensions chaque année entre les usagers car la corrélation entre la croissante démographique plus l'amenuisement de l'espace est importante pour comprendre les conflits dans la région. Ainsi, terres et conflits sont souvent inextricablement liés. Des conflits nombreux et variés surviennent régulièrement pour l'accès aux ressources dans le cercle et la communauté massa. Ces conflits sont exacerbés par des velléités pour leur contrôle ou appropriation par les acteurs. Il s'agit de conflits entre agriculteurs et éleveurs, entre communautés autochtones et utilisateurs allochtones, de limites d'espace et d'exploitation des ressources. Le présent chapitre étudie les manifestations des conflits sur le territoire massa et s'appesantit sur les conséquences qui en découlent.

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    I- TYPOLOGIE ET MANIFESTATION DES CONFLITS

    Il s'agit dans cette partie de présenter les différentes zones dans lesquelles l'on enregistre souvent des conflits aussi latents qu'ouverts ou violents. Au vu de nos enquêtes sur l'ensemble du territoire massa, il ressort que les titres fonciers sont attribués par diverses autorités sans qu'elles aient procédé à une enquête préalable de vacance de terre. Ce qui va sans doute causer des conflits des limites des terrains, les conflits autour des terres héritées, les conflits liés à l'exploitation illégale de terres, le conflit dû à la double cession.

    Les conflits des limites des terrains sont des conflits dus à une modification des limites de terrain après déplacement d'un plan. Ainsi ces conflits peuvent provenir d'une simple modification des limites du terrain par un ancien voisin du terroir après la mort subite de l'occupant qui n'a pas eu de temps de montrer toutes les limites à ses enfants ; il peut également être provoqué par une incursion volontaire dans le champ du voisin. Nous avons aussi les conflits autour des terres héritées qui eux aussi sont un autre type des conflits fonciers en pays massa. Le régime de succession est patrilinéaire chez les Massa c'est-à-dire les biens se transmettent aux enfants de sexe masculin qui doivent se les partager équitablement. Ceci renforce la cohésion de la famille aux dépens de la famille élargie. Mais seul le fils de la première femme peut devenir chef des terres, du terrain. En ce qui concerne les conflits d'occupation illégale des terres, certaines personnes occupent des terres sans aucune autorisation soit par la force soit par ruse. Ces personnes pénètrent le terrain sans l'avis du propriétaire. Ce genre des pratiques ne cesse de causer des conflits fonciers. Depuis plus d'une décennie, les conflits au sein des groupes sociaux se multiplient, dégénérant parfois en affrontements sanglants et meurtriers. La gravité des conflits varie d'un village à un autre avec d'acteurs variés.

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    1- Conflits inter-claniques

    Les formes et modes de propriété des terres sont souvent la source de conflits. La gestion des terres ancestrales chez les Massa constitue une source d'incompréhension majeure entre villages. En effet, ce conflit est l'un des plus meurtriers de la région. La problématique du droit d'accès à la terre se pose avec acuité dans un contexte où le nombre de la population va de manière croissante. Depuis plus d'une décennie, le canton Koumi, connaît des situations dramatiques. Ce Canton se compose principalement de trois entités claniques : le groupe Beiga dans le nord, les Rigaza et Nollaye dans le sud. Il faut signaler que ces trois entités claniques vivent en harmonie depuis des siècles. Au départ, le village de Biliam-oursi I et Biliam-oursi II vivaient en harmonie. Les conflits les opposaient au clan Koumi. Les antagonismes commencent quand un des Biliam-oursi II rend l'âme suite à une bagarre entre ces derniers et un fils de Biliam-oursi I. cette situation interrompt les relations qui existaient entre ces deux clans. À partir de cet instant, les Biliam-oursi se rallient au Koumi, clan qui, au départ était leur ennemi.

    Les premiers heurts commencèrent en 1998, quand les paysans de Dongui-Baha, village voisin de biliam-oursi I, investissent un terrain de 10 hectares exploité depuis fort longtemps par le village de Biliam-oursi I. Ils prétextent que ce Champ leur appartient. À la suite de cette revendication, une bataille éclate et se solde par deux morts dans le camp biliam-oursi I. Après jugement39 en faveur de biliam-oursi I, le verdict est contesté par le village de Dongui-Baha et ce, jusqu'aujourd'hui bien que le champ appartient juridiquement au village biliam-oursi I40.

    De ce qui précède, un décret présidentiel érige les cantons Toura, Magoua et Koumi en sous-préfecture dénommé Rigaza41. Avec une Sous-préfecture portant le nom de leur ancêtre, les Rigaza commencent par imposer leur dicta. À partir de ce moment la question d'autochtonie se pose. En d'autres termes, qui n'est pas Rigaza n'est pas de Koumi, et par conséquent n'a pas accès à la terre. C'est dans ce contexte

    39 Entretien avec le chef de canton Sampil Dapsia, le vendredi 23 juin 2017 à Nolay.

    40 Ibid.

    41 Cf. Décret n°354/PR/MISD/99 du premier septembre 1999 portant création de la sous-préfecture de Rigaza

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    que le clan Rigaza interdit les biliam-oursi I de labourer 34 hectares de riz. Alors que ce champ est la propriété de biliam-oursi I bien avant sa mise en valeur en 1953, date de la création du casier A de Biliam-oursi42. Suite à ces événements, le tribunal de 1re Instance de Bongor a rendu un jugement en faveur de Biliam-oursi I43. Ce jugement est mal accepté par le clan Rigaza qui attaque les forces de l'ordre, blessant un gendarme grièvement. Les gendarmes ripostent en blessant plusieurs personnes dans le camp Rigaza dont un mortellement. Pour se venger, les Rigaza s'abattent sur Biliam-oursi I. Ils détruisirent les habitations et pillèrent le village ennemi44.

    Dans un contexte de rixe violent, en juin 2014, les membres du clan Rigaza du Canton Magao, sous-préfecture de Moulkou empêchent le village de Biliam-oursi Beiga d'exploiter un champ appartenant à ce dernier. Ils arrachent les plants, s'en prennent violemment aux cultivateurs. Quelques bottes sont amenées comme preuves par les gendarmes de Bongor. Quelques mois après, de la même année, les exploitants agricoles de la rizière de Biliam-oursi I sont attaqués par quelques individus du Clan Rigaza. Il s'agit cette fois-ci de tous les villages de Rigaza du Canton Koumi et de quelques villages du Canton Magao, sous-préfecture de Moulkou45. Ils investissent tous les villages Biliam-beiga. Les hostilités durent trois jours et le bilan est de 12 morts, soit 9 du côté des Beiga et 4 du côté Rigaza. Ce conflit voit dans le cadre de sa résolution la présence de l'ex premier Ministre Tchadien et du gouverneur, accompagné des forces de l'ordre. Ainsi, 54 personnes sont arrêtées par les forces de l'ordre. Elles se trouvaient soit au lieu de deuil, soit au champ du mil, soit au sortie d'une église46, transférées à N'djaména et après à Korotoro, une prison située dans le djourab47.

    42 Entretien avec Malamssou, cultivateur, le 23 juin 2017 à Ours I.

    43 Cf. pièce n°3 : extrait du jugement civil du 27 avril 2011.

    44 Entretien avec Malamssou, cultivateur, le jeudi 23 juin 2017 à Oursi I.

    45 Entretien avec le sous-préfet Moussa Kallibokori le 24 juin 2017 à Oursi I.

    46 Entretien avec Dom Djaldi, cultivateur, le vendredi 23 juin 2017 à Oursi I.

    47 Désert dans la partie nord-est du Tchad.

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    Aujourd'hui, ces conflits se manifestent chaque année à l'approche de la saison de pluie mais souvent latents. Ayant pris une connotation politique48, il ressort des analyses sur le terrain que le fait que les biliam-béiga soient reconnus comme propriétaires dudit terrain faisant l'objet de tensions, et de tous les conflits futurs. Ainsi la « Rigazatitude49 » prônée par les Rigaza, apparaît comme une idéologie dont il faut se prévaloir pour exclure certains groupes.

    Il convient de souligner que les tensions violentes et souvent moins violentes dans le Canton Koumi s'explique par une croissance démographique rapide ; un camp voulant s'accaparer d'autres espaces pour assurer la survie de son village. L'autre camp moins peuplé revendique la propriété des champs, arguant qu'il l'exploitait avant sa mise en valeur par le casier A à Biliam-oursi.

    Outre ces conflits violents dans le Canton Koumi, il existe des conflits moins sanglants souvent tranchés sur le coup. Il s'agit par exemple du litige qui oppose le village Kouhlou au village Malam50. Ce dernier voudrait mettre en valeur un espace de plusieurs hectares sous pression d'une démographie galopante. Ce différend fut réglé à l'amiable par les chefs de village et de canton.

    Contrairement au Canton Koumi où l'on enregistre le plus des conflits ouverts et souvent violents entre les différents clans, le Canton Bongor fait l'objet des conflits latents et quelques fois ouverts. C'est ainsi qu'un litige opposa en 2015 le village de Djarabou, situé à 15km de Bongor, aux villages Tchinvogo et Gollo. Ces deux villages se disputaient un terrain de plusieurs hectares à la frontière qui les sépare. Toutefois, il n'y pas eu d'affrontement direct. Le litige a été tranché à l'amiable, le chef de village ayant été l'arbitre : « En principe la norme voudrait à ce qu'ils me consultent avant de labourer sur mon territoire »51.

    48 Nous parlons de la connotation politique ici parce que la notion de Rigazatitude est soulevée afin de bannir certains groupes de la société.

    49 Nom qui renvoie à l'ancêtre Rigaza qui est pour le clan une fierté.

    50 Entretien avec le chef de village Kouhlou Issa Kampété le samedi 24 juin à Beiga-kouhlou.

    51 Entretien avec la Chef de village Djarabou Oumar Mahamat, le mardi 27 juin 2017 à Djarabou.

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    Les autorités administratives signalent aussi les conflits domaniaux dans les villages Goum-Bougoudan et Malam-Wayanga : « C'est une population tellement violente, une erreur pouvant dans ces sociétés vous conduire à la mort. C'est généralement les parents qui, arrivés à un certain niveau croient pouvoir dompter les autres, incitent les enfants à occuper les champs d'autres personnes ».52 Cette occupation illégale des terrains est mal acceptée par les propriétaires qui revendique leurs terrains y compris par la force. C'est ainsi que l'on enregistre chaque année des cas de conflit sur l'ensemble du territoire massa.

    Aujourd'hui, le dans le canton Koumi, la majorité des conflits inter-clans ou familles quels qu'ils soient, sont des conflits dont le fondement est lié au sol. Les conflits éclatent quasiment chaque année entre les différents groupes avec des conséquences fâcheuses.

    2- Rixes éleveurs-agriculteurs

    On l'a dit plus haut, les communautés villageoises se retrouvent de plus en plus souvent privées de leur patrimoine foncier suite à une mauvaise gestion de la terre. Dans les années précédentes, les pratiques pastorales dans le pays Massa n'avaient pas trop d'effets et cet élevage était beaucoup plus traditionnel. Mais aujourd'hui, les zones qui, dans le passé furent réservées pour la pratique du Guruna sont devenues des exploitations agricoles. La transhumance dans cette partie semble difficile et dans certains villages, l'on enregistre chaque année des conflits ouverts ou latent et dans d'autres, cette situation semble devenir la cause des futurs conflits.

    Aujourd'hui avec l'accroissement de la population, une nouvelle forme d'élevage s'est instaurée et apparait comme une menace à la propriété foncière pour la société massa surtout dans les cantons Moulkoun, Bongor. C'est l' « élevage des Généraux53 », des grands commerçants et autres personnalités installées dans la région

    52 Entretien avec le CB de la sous-préfecture de Rigaza Perssou Dalbé le samedi 24 juin 2017 à Biliam-oursi I.

    53 L'élevage des Généraux est ici une nouvelle forme d'élevage extensive pratiquée essentiellement par les officiers supérieurs de l'armée. Ces Généraux emploient quelquefois les jeunes soldats sous leur autorité pour surveiller leurs troupeaux. Ces derniers sont dotés d'armes pour leur défense. Cette pratique est plus développée dans le nord du pays.

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    du Mayo-Kebbi. C'est ainsi que l'accès aux ressources telles que les terres, dont les conditions sont très difficiles dans cette région, est source de tension sociale. Des conflits existent entre agriculteurs et pasteurs qui ne se résument pas à une simple opposition. Ces conflits éclatent quasiment chaque année, essentiellement entre les éleveurs peuls et les autochtones dans les villages Witiwitchi, Moulkou, Guézédé et Magao et quelque fois entre les éleveurs massa et les cultivateurs massa54. D'autres tensions existent aussi entre les nouveaux propriétaires des grands espaces transformés en vergers et la population locale. Les agriculteurs veulent étendre le domaine agricole et font fi de l'usage ancestral oubliant qu'il existe des limites à ne pas franchir après la vente d'une quelconque parcelle. Les conflits résultent aussi de l'entrée des animaux pour pâturer dans des parcelles cultivées non protégées ou des vergers. À en croire la structure sociale massa, les agriculteurs sont les premiers à s'installer bien qu'ils pratiquent un élevage traditionnel. L'ancien élevage confronté aux nouvelles pratiques s'accompagne de tensions sociales.

    Les migrations issues des aléas climatiques soit des crises politiques au lendemain des indépendances ont eu pour conséquence une concentration élevée des populations dans la région du Mayo-Kebbi. Cette concentration crée un manque d'espace avec l'évolution de la région sur une durée de près de 45 ans. L'occupation progressive des terres par les éleveurs et le non-respect des couloirs de transhumance par ces derniers sont souvent sources de tension. L'exemple de ce qui se passe dans le Canton Moulkou, Bongor est illustratif. L'on assiste dans ces Cantons à un regroupement des troupeaux à cause de leur proximité avec le Logone mais aussi du Chari. En saison de pluie dans ces Cantons, la stagnation des eaux empêche les éleveurs d'effectuer leur transhumance. Aussi, les champs de mil dans ces Cantons occupent presque les terres fermes et cela rétrécit les pistes de transhumance. Comme l'affirme Abdouraman Tom : « à l'ancien système de transhumance, à la fois stable et spécifique, mais lié à des groupes sociologiques précis (Foulbé et Arabe Choa) s'est substitué un système caractérisé par des relations de plus en plus conflictuelles entre

    54 Entretien avec Djonyang Laurent, chef de secteur de l'ANADER, 07 août 2017 à Bongor.

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    agriculteurs et éleveurs et une anthropisation accrue du milieu »,(Abdouraman cité par Sambo, 2012:201).

    Il est difficile dans ce contexte de conduire un troupeau de boeufs d'un point à un autre endroit. Car les éleveurs considèrent que les agriculteurs font exprès et les empêchent de circuler comme ils veulent. Inversement, les agriculteurs estiment que les éleveurs ne respectent guère les lignes établies dans le cadre de leur circulation55. Cette situation est, elle-même la résultante cause des conflits, c'est ainsi que l'on assiste à des disputes qui se terminent par des bagarres entre les deux camps56. Le Chef de canton de Bongor estime que les conflits dans sa circonscription ne relèvent pas de sa compétence du moment où il n'a pas de mot quand survient un conflit57. Selon lui, lorsqu'un conflit survient, les éleveurs font appel à leur maître, les hauts cadres du pays et l'affaire est réglée à la brigade de recherche de la localité soit à la justice sans son point de vue.

    Les conflits qui opposent les agriculteurs aux éleveurs sont dus aussi à l'occupation des espaces autrefois réservés à la transhumance par les agriculteurs. Cette occupation se justifie en effet par la dégradation du sol. Les terres faisant l'objet des travaux extensifs, ne peuvent subvenir aux besoins de la population58. Au vue de cette situation, les agriculteurs sont contraints quelques fois d'excéder leurs champs en touchant les axes servant de couloir de transhumance. Cette pratique a pour conséquence les conflits ouverts lors de passages de boeufs entre les agriculteurs et éleveurs.

    55 Entretien avec Djonyang Laurent, chef de secteur de l'ANADER de Bongor, le lundi 07 août 2017 à Bongor

    56 Entretien avec le Chef de Canton de Bongor, Samma Tordina le lundi 26 juin 2017 à Bongor.

    57 Ibid.

    58 Entretien avec Djonyang Laurent, chef de secteur de l'ANADER de Bongor, le lundi 07 août 2017 à Bongor.

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    Photo 8 : Un troupeau de boeufs pâturant près d'un champ.

    Cliché :Kampété Dieudonné Kingué, 13 octobre 2017.

    Accompagnés souvent des petits enfants, comme c'est le cas sur cette photo, prise dans un village situé à quelques kilomètres de Bongor, ces derniers ne peuvent maitriser les boeufs qui saccagent les champs, entrainant des altercations avec les paysans. C'est ainsi qu'une altercation entre éleveurs peuls et agriculteurs dégénéra en bataille rangée dans la localité de Guézédé, village situé à 15km de Bongor. L'affrontement se soldat par de nombreux blessés parmi les communautés belligérantes59. C'est aussi le cas à Moulkou où en 2015 un conflit éclate entre les éleveurs choa et agriculteurs Massa. Ce conflit se solde par un grand nombre de blessé dans les deux camps et le litige fut réglé chez le chef de canton de Moulkou60.

    Alliés aux hommes armés de la région, ces éleveurs sont dotés quelquefois des armes à feu qu'ils utilisent en cas de menace comme le confirme Khamis, l'OPJ de la

    59Entretien avec Khamis officié de la police municipale de la brigade de Bongor le lundi 26 juin 2017 à Bongor. 60 Entretien avec le chef de secteur de L'ANADER, Djonyang Laurent le lundi 07 août 2017 à Bongor

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    brigade de Bongor61. Ce qui fait que la plupart des conflits entre les deux camps sont meurtriers. Les bergers étant parfois des employés de riches éleveurs musulmans basés en ville, les affrontements connaissent parfois des tournures confessionnelles et une dimension de lutte de classe. C'est ainsi qu'en 2016, comme nous l'explique Djonyang Laurent, chef de secteur de l'ANADER62 de la région de Mayo-Kebbi, une altercation entre bouvier et agriculteur fut saisie par le parquet de Bongor parce que selon lui, les Chefs traditionnels se sont vus dans l'impossibilité de trancher le conflit. D'après ce qu'en rapportent les témoins, un général d'armée a ordonné depuis N'djaména à son bouvier de pénétrer un champ près de son terrain parce que son troupeau est aux abois. Ce dernier s'exécute, provoquant le courroux des agriculteurs. La situation dégénère en conflit ouvert entre les propriétaires dudit champ et le bouvier. Les chefs traditionnels ayant peur de se voir détrôner ont laissé l'affaire entre les mains de la justice63.

    Comme mentionné dans le précédent chapitre, les massa sont un peuple qui chaque année pratique le Guruna, sorte de rite qui consiste pour les jeunes de conduire les troupeaux en brousse pour une durée de deux voire trois mois. Cette sorte d'élevage traditionnel est le propre de l'homme massa. Cette pratique est depuis quelques années sources de conflits dont les causes sont liées au non-respect des couloirs de transhumance établis par les hommes massa eux-mêmes.

    Avec l'accroissement de la population dans le canton Koumi par exemple, les espaces se sont rétrécis et ce qui était autrefois considéré comme couloir de transhumance est aujourd'hui exploités par les hommes. Ainsi, l'on enregistre chaque année des conflits latents entre les populations locales, depuis les villages Magoa jusqu'à Tior.

    De même, le guruna était pratiqué jadis par les jeunes braves et valides. Mais aujourd'hui, cette pratique est désacralisée. Souvent, ce sont les enfants qui s'en

    61Entretien avec Khamis, Officier de la Police Judiciaire de la brigade de Bongor, le lundi 26 juin 2017 à Bongor.

    62 Acronyme pour désigner l'Agence Nationale d'Appui au Développement Rural, ex ONDER (office national du développement rural).

    63 Entretien avec Djonyang Laurent le lundi 07 août 2017 à Bongor.

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    occupent et n'ayant pas l'entière maitrise du troupeau, laissent les boeufs dévaster les champs des paysans. C'est le cas notamment à Witiwithi, village situé dans le canton Télémé où un champ de haricot a été dévasté par les boeufs conduit par deux enfants massa.

    3- Conflits au sein d'une même famille

    L'expérience que nous vivons aujourd'hui sur la question foncière, nous révèle que la terre soulève toujours de sérieux problèmes dans beaucoup de familles. Parce que l'existence de l'homme est liée à celle-ci et à ce qui en est extrait. La terre revêt une importance capitale tant qu'elle est source du développement économique. De cette importance découle également un nombre élevé des conflits.

    À Béding, frontalier avec le village Beiga, les Birlim et les Bandè entrent en conflit suite à une mésentente sur une parcelle. Issus d'un même village, la première famille voudrait bien exploiter l'espace pour l'agriculture or la seconde ayant des espaces suffisants pour leur culture voudrait l'utiliser pour faire paitre leur troupeau. C'est ainsi qu'en 2015, lors d'une dispute, un conflit ouvert est déclenché mais tranché sur le champ par le chef du village. Il n'y avait pas de mort mais plusieurs blessés.

    C'est dans ce même contexte que des frères issus d'un même père dans le village Biliam-oursi I, entre en conflit ouvert pendant plus d'un mois à cause d'un espace que leur père décédé avait laissé. En effet après sa mort, Djouvounna Braham laisse à sa famille un espace de 3 à 4 hectares sans laisser des consignes au préalable. Son frère Kounna autorise les enfants de la deuxième femme à exploiter le champ, chose qui n'a pas du tout plu aux enfants de la première épouse. Ces derniers refusent de céder à la demande de leur oncle. C'est ainsi qu'on assista en 2014 à un conflit acharné entre les antagonistes avec comme conséquence des graves blessures64. Cette situation a été tranchée à la brigade de Rigaza. Selon le Commandant de Brigade de la sous-préfecture de Rigaza, ces conflits ont pour fondement le taux croissant de natalité dans certaines familles. Un père de famille n'ayant qu'une petite parcelle de terre

    64Entretien avec le commandant de Brigade de la sous-préfecture de Rigaza, Perssou Dalbé, le 23 juin 2017.

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    « prend le risque de mettre au monde beaucoup d'enfants sans se soucier de leur futur 65». Cette situation est la cause des éventuels conflits souvent rangés. Après la mort du chef de la famille, les enfants se disputent les terres, denrées précieuses de la nature.

    En 2016 par exemple, un conflit oppose deux familles du même village. Il s'agit de la famille Denguel et Houma. Mise en location, un terrain de 4 hectares fait l'objet de labour par la famille Denguel depuis 1967, est réclamé par les Houmi, présumés propriétaires dudit terrain66. Ce type de rixe sur les parcelles de quelques hectares oppose aussi la famille Zizou au Chef de village, un certain Hamana. En effet le champ faisant l'objet de conflit fut dans le passé un terrain vide, propriété des grands parents du chef de village. Vivant en harmonie, les grands parents auraient donné le terrain à la famille Zizou qui l'occupe jusqu'en 2010, date de sa mise en culture. Le chef de village étant le petit fils, réclame le terrain prétextant qu'il est en manque d'espace après plusieurs années d'exploitation par la famille Zizou67. Cette situation a entraîné le déclanchement d'une batail ayant entrainé une animosité dans les familles, laquelle a obligée certaines personnes à quitter leur village. La terre est transformée en un instrument des conflits au lieu qu'elle soit un moyen de production. Cette dissension entre les deux camps, fut tranchée chez le chef de canton, chez les Noloye.

    II- LES ENJEUX LIÉS AUX CONFLITS

    En Afrique, les enjeux de l'accès équitable à la terre sont liés au fait que cette ressource constitue l'un des substrats essentiels des activités productives en milieu rural. Parce que indispensable à la satisfaction des besoins humains, la terre représente aujourd'hui un enjeu majeur dans la société massa, au point que l'on s'inquiète des crises futures. Elle représente une ressource indispensable à la satisfaction des hommes.

    1- Enjeux socio-économiques

    65 Entretien avec le commandant de Brigade de la sous-préfecture de Rigaza, Perssou Dalbé , le 23 juin 2017.

    66 Entretien avec Djibetsou Moullah, cultivateur, le samedi 24 juin 2017 à Nollay. 67Ibid.

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    Le rapport foncier est un rapport social déterminé par l'appropriation de l'espace. D'une manière générale, les problèmes fonciers en Afrique n'ont pas commencé avec la colonisation. On admet actuellement que les principes de base de l'organisation des rapports sociaux de maîtrise de l'espace ont été posés par la révolutiondu néolithique, c'est-à-dire à l'occasion de la domestication des animaux et de l'invention de l'agriculture. À partir de ce moment, l'espace apparait donc comme un enjeu économique majeur dans la vie de l'être humain.

    Il est à noter qu'économiquement, la terre constitue le fondement de toutes les activités sur le territoire massa. C'est elle qui garantit la production mais, plus encore la reproduction d'une société. Les activités rurales sont conditionnées par la terre raison pour laquelle avoir accès et jouir de ses ressources constitue est un problème majeur des villageois. De ces constants où les terres connaissent un rétrécissement rapide dû à la surpopulation, c'est la survie des ruraux qui est en jeu, ainsi l'accès à la terre devient un enjeu majeur. Cette dynamique ne va pas sans poser de problèmes sociaux. Les relations entre les agriculteurs, agriculteurs-éleveurs, précédemment marquées par un certain équilibre qui repose sur la complémentarité, sont devenues désormais conflictuelles et concurrentielles dans la gestion des terres et de ses ressources. Il n'y a plus d'équilibre entre ressources disponibles et la population qui ne fait que s'accroitre.

    Dans ce contexte, l'accès à la terre devient une question de pouvoir où le jeu de force semble être l'ultime solution. Les terres deviennent pour ainsi dire des véritables enjeux économiques et dont le contrôle est une condition sine qua non. C'est ainsi qu'en pays massa, certains villages qui ont un taux élevé de la population pensent occuper les terres d'autres villages voisins parce que le nombre de leurs populations va de manière croissante. Dans cette situation de pénurie, le besoin de conquérir d'autres espaces ne peut qu'augmenter. En acquérant des grands espaces, ceux-ci expriment en fait leurs supériorités bien en nombre mais aussi en termes de force.

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    Nous savons que par définition, l'enjeu, c'est ce qui peut être gagné ou perdu, ce qui fait donc l'objet de conduites d'anticipation, le gain ou la perte.68 L'enjeu est donc ce qui est mis « en jeu ». C'est à la fois le support du jeu social, économique, politique et juridique : l'objet ou la ressource en compétition, le support de conduites qui expriment la maitrise sociale, le sens du jeu, et surtout ce dont une société tient pour vital la production individuelle ou collective69. Les litiges fonciers dans notre zone d'étude sont liés à l'occupation des espaces par des acteurs et ce, de manière anarchique quelquefois. Les terres sont un moyen de survie, en cas de manque, tous les moyens sont bons pour les acquérir70.

    De ce qui précède, la terre apparait comme un enjeu économique majeur raison pour laquelle son accès demeure une question prégnante dans toutes les couches sociales. Car elle est convoitée par tout le monde. Le constat qui se dégage de notre analyse du terrain est que, la course pour le contrôle de la terre montre combien les acteurs en compétition manifestent l'urgence de la conquérir. Les différents acteurs vivent dans une promiscuité totale. Au vue de l'actualité, on peut en déduire qu'aucun arpent de terre ne sera laissé si le nombre de la population ne fait que s'accroitre et que l'agriculture demeure la première activité dans la région.

    En ce qui concerne les conflits inter-clans, le pays massa apparait comme étant prédisposé à faire face à ce problème de cet ordre. Il s'agit ici de ceux dont une partie est un espace de rareté en ce qui concerne les terres cultivables alors que l'autre partie est mieux dotée d'espaces, ce qui donne lieu à une sorte de migrations des populations vers ces zones utiles. Ce qui explique la récurrence des conflits ouverts entre les clans dans le canton Koumi. L'économie du pays étant fondée exclusivement sur l'agriculture, les acteurs en compétition sont souvent animés par une volonté de priver le camp ennemi de cultiver.

    L'élevage au Tchad constitue un élément important dans le secteur économique. Les éleveurs en perpétuel mouvement sont animés d'une stratégie d'occupation de

    68 Groupe de Recherches Alternatives et de Monitoring du Projet Pétrole Tchad-Cameroun/GRAMP/TC, 2009, p. 145.

    69 Groupe de Recherches Alternatives et de Monitoring du Projet Pétrole Tchad-Cameroun/GRAMP/TC, 2009, p. 145.

    70 Entretien avec le chef de canton de Bongor Samma Tordina le samedi 26 juin 2017 à Bongor.

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    l'espace sans consultation préalable auprès des chefs de villages. Dans ce contexte où l'on exprime un besoin urgent d'espace confronté à la dynamique démographique, les terres deviennent des enjeux donc, impossible de les perdre.

    À cet effet, la terre reste un patrimoine important. Les activités agricoles et pastorales développées dans cette partie du pays permettent de répondre aux besoins de la population. La dynamique au sein des autochtones agriculteurs et éleveurs s'inscrit dans une logique de compétition pour l'accès aux ressources de la terre. L'agriculture étant le pilier de l'économie dans tout le territoire massa, elle ne peut être pratiquée que dans des vastes espaces. Cela dit, les couloirs de transhumance doivent en principe être respectés. Actuellement, la spéculation et l'accaparement de terres par les différents acteurs prend de l'ampleur.

    Cela dit, la course pour l'accès à la terre est due au fait que l'agriculture est dans la société massa la principale activité et le pilier de l'économie. Aujourd'hui, avec l'accroissement de la population sur le territoire, l'espace se rétrécit et devient source de conflits entre divers usagers. C'est ce qui fait que partout dans les villages l'on relève une situation de tensions entre les groupes de familles, entre les individus, les communautés.

    2- Enjeux politiques

    Nous savons qu'avec l'arrivée de la colonisation au Tchad, les législations sur le foncier et les ressources naturelles ont été des instruments de dépossession des communautés locales, à travers l'immatriculation. Légitimé par la rationalité technique et par l'intégration nationale, le contrôle étatique des ressources fait partie intégrante de la trajectoire d'État et a souvent été mis au service de la classe politico-administrative. De ce point de vue, la caractéristique principale des États aujourd'hui, est aussi cette capacité à disposer d'un grand espace. Car, tout système de propriété est fondé sur un système d'autorité. Le contrôle de la terre et de ses ressources apparait dès lors comme un enjeu de pouvoir.

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    C'est ainsi que les conflits entre différents acteurs surtout agriculteurs sont dorénavant des oppositions sous-tendus par une volonté de domination. Les chefs traditionnels voulant subvenir et ou, assurer la survie de leurs populations, sont animés par le désir d'affirmer leur souveraineté. Ainsi, la conquête d'espace par force semble être la solution aux futures crises qui pourraient s'abattre sur leur village. Ce qui fait que les facteurs qui influencent les comportements d'acteurs en conflits c'est non seulement le soutien des élus locaux mais, aussi celui venant de la part des hauts cadres de la région. Parce que détenteurs des grands espaces, cadeau venant de la part de certains chefs tel comme c'est le cas avec les chefs de cantons Moulkou, Bongor, ceux-ci en cas de conflits, prennent position derrière ceux qui leur sont redevable.

    Aussi, les enjeux politiques liés à la terre en pays massa se manifestent par le recours aux notions d'autochtonie et d'allochtonie. Elles ont souvent été un tremplin pour atteindre nombre revendications identitaires. L'exemple patent élucidant ce cas, est le conflit qui oppose les Rigaza aux biliam I dans le canton Koumi. Autrefois vivant dans l'harmonie, la forte natalité dans ce canton créa donc un sérieux problème quand à l'accès à la terre. Confronté à ce problème qui découle du rétrécissement d'espace, le groupe le plus nombreux, en voulant écarter l'autre groupe évoque donc la notion d'autochtonie en clamant la rigazatitude71. Qui n'est pas rigaza n'est pas autochtone, autrement dit, tout le peuple qui, plusieurs années avant s'était installé dans le canton doit quitter le territoire. Or, il faut signaler que la présence de la plupart de ce peuple dans la localité date de très longtemps et actuellement la majorité de la population de cette zone est issue de la troisième, quatrième génération. Aujourd'hui, le conflit le violent et meurtrier en pays massa est celui qui oppose les deux groupes mentionnés ci-haut et dont la gestion demeure très difficile.

    De ce constat, faut-il ajouter les enjeux électoraux liés aux fonciers dans la société massa. Les hommes politiques issus de la région en voulant avoir le plus de voix ou la faveur de l'électorat sont souvent tentés de soutenir le groupe le plus influent ou le groupe dont il est la progéniture72. Cette situation est plus fréquente dans

    71 Entretien avec le sous-préfet de Rigaza Moussa Kallibokri le vendredi 23 juin 2017 à Biliam-Oursi I.

    72 Entretien avec le responsable de l'ANADER Djonyang Laurent, le lundi 07 août 2017 à Bongor.

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    le canton Bongor où en 2016, une altercation entre deux acteurs d'usage différent a fini en justice. Dans ce contexte, le soutient d'hommes politiques a comme contrepartie la voix de ceux qui lui sont redevables. En aidant les groupes majoritaires, ces acteurs politiques pensent acquérir le plus de voix que leurs rivaux politiques de la région d'où l'intérêt manifeste de ceux-ci à vouloir souvent inciter les populations à s'approprier d'espaces d'autres personnes.

    III- LES CONSÉQUENCES DE CONFLITS FONCIERS

    Ces conflits nombreux et variés qui surviennent régulièrement pour l'accès à la terre dans le pays massa, ont des conséquences sur le plan économique, social, politique.

    1- Sur le plan économique

    Sur le plan économique, notons que les conséquences en sont nombreuses. Base de toutes les activités, la terre dans la société massa demeure le pilier de l'économie. Étant en perpétuel conflit, certaines familles se trouvent dépourvues de leurs terres. De cette situation il en découle que ces familles se trouvent confrontées à des difficultés économiques extrêmes. La moisson ne peut suffire à tout le monde, du moment où des hectares sont abandonnés sous peine d'être menacé73. En plus du taux élevé de naissance dans certaines familles, ces dernières sont souvent contraintes de contracter les crédits qui malheureusement utilisés pour subvenir à leur besoin mais qu'à la fin ils ne peuvent guère rembourser74. En filigrane à cette situation, les crises ne font que s'aggraver.

    Aussi, du conflit foncier en pays massa, il se solde souvent par la destruction des champs, des cases de réserve de mil brulées. L'exemple le plus patent est celui du conflit qui a opposé en 2012 le village biliam-oursi I au village Biliam-oursi II75. Plus de 10h d'un champ fut détruit. Le conflit violent de 2015 entre ces deux villages, n'est

    73 Entretien avec le responsable de l'ANADER Djonyang Laurent, le lundi 07 août 2017 à Bongor. 74Ibid

    75 Entretien avec Zakari à Nolay, le vendredi le 23 juin 2017.

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    pas sans conséquence. Car du côté du village Biliam-oursi I, plusieurs cases furent brulées. Étant une population qui vit essentiellement de l'agriculture, cette situation apparait catastrophique. Il faut dire que les paysans du territoire massa n'ont pas encore compris que l'arrangement à l'amiable de leurs différends serait moins coûteux que la saisie d'une instance qui, du reste, nécessite une démarche juridique qui parfois profite de l'ignorance des justiciables pour les traire et les abandonner aux greffiers et magistrats pour les sucer davantage. En outre les gens vendent leurs chèvres et vaches à cause de la terre et automatiquement lorsqu'ils finissent leurs biens ; ils deviennent pauvres. Enfin, nous verrons les conséquences des conflits fonciers sur le plan social.

    2- Conséquences sociales

    La terre a une signification culturelle importante pour les communautés rurales, pour lesquelles la survivance et l'identité culturelle sont inextricablement liées aux relations qu'elles ont avec les territoires ancestraux. Étant un des facteurs qui constituent une nation, celle-ci revêt une importance capitale dans la vie de l'homme et de la société tant qu'elle est source de développement économique et social. Elle est donc le pouvoir dans la mesure où elle tient l'agriculture, l'élevage, l'habitation, les ressources et elle configure aussi l'étendue du pouvoir d'un État. La quête de la terre non seulement des terres fertiles, est toujours un problème social crucial.

    L'analyse des conflits fonciers dans la société massa montre que les conséquences sur le plan social sont considérables parce qu'elles affectent toutes les couches sociales. Cette situation d'incertitude généralisée favorise le développement des conflits pour la maîtrise du sol, surtout quand la survie d'un groupe familial tient à l'exploitation d'une parcelle. La prolifération des conflits sur la terre nuit au climat social et au maintien de l'ordre. Ce contexte d'insécurité généralisée favorise le développement d'autres conflits soit latents soit des antagonismes entre les différentes familles. Il est à envisager que les conséquences sur le plan social se répercutent dans l'économie de l'habitat. Les hommes deviennent de plus en plus indigents pendant les périodes conflictuelles. Le pillage est enregistré et met un recul en matière d'investissement. Lors du déguerpissement forcé, les acteurs en conflit perdent et les

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    dégâts en sont immenses. Outre les habitations détruites, nous enregistrons des pertes en vie humaine. Tel est le cas d'un conflit qui oppose le clan rigaza au clan beiga en 2014, où l'on a enregistré 14 morts, 8 du côté beiga et 4 du côté rigaza76. Les conflits fonciers sont à la base de déplacement d'une grande partie de la population rurale, surtout les jeunes en direction d'autres localités. Ainsi, dans certains villages l'on remarque un pourcentage élevé d'hommes âgés que des jeunes. Ce qui fait qu'en cas de conflits, les pillages et destructions des cases sont enregistrées. Cette situation bloque le développement des sociétés.

    De ce qui précède, il convient de relever que les conflits dans la société massa ont comme conséquence une difficile cohabitation entre les différentes tribus. De cette situation, les femmes et les enfants en subissent les conséquences. À cet effet, il ressort de notre analyse sur le terrain que, la mortalité infantile est élevée et cela est due au fait que les enfants sont mal nourris. Les conflits entraînent un état psychosocial de violence permanente. La désorganisation sociale suscite un climat d'impunité favorable aux actes de violence et au chaos. On constate que les femmes sont les principales victimes de ces violences.

    3- Conséquences politiques

    Les sociétés africaines sont bâties sur un modèle selon lequel tout le monde se prend pour frère. Ainsi la crise foncière qui frappe tout individu frappe toute la société. C'est dans cette hypothèse que s'inscrivent les indétrônables procès des conflits car, une victime du procès entraîne toute une communauté derrière le sort du verdict.

    La terre nourrit la famille, procure du travail, est source de revenu et enjeu de pouvoir, possède une valeur symbolique et patrimoniale, met en jeu des stratégies de succession et d'alliance entre familles. Ainsi en pays Massa, les conflits fonciers ont des conséquences politiques. Celles-ci s'observent sur les chefs de villages qui pour n'avoir pas eu le contrôle et la maitrise de leurs sujets sont contraints par les autorités administratives de démissionner et céder la place à une autre personne. L'exemple qui

    76Entretien avec le commandant de brigade Paul Hawana, le lundi 26 juin 2017 à Bongor.

    peut élucider cette situation est le cas du chef de canton de Koumi. Dans la société massa, les successions sont patrilinéaire. Ce dernier héritier n'arrivant pas à trancher les litiges fonciers inter-clans et considéré comme n'assumant pas son rôle de chef de canton fut enlevé de son poste en 2012 et reconduit dix ans après.

    Aussi, les conséquences politiques peuvent s'observer au niveau des relations qu'entretiennent les villages. Bien qu'au début, ces derniers vivaient en harmonie, les relations se sont dégénérées avec l'exacerbation des conflits. Ils vivent dorénavant en conflit latent et les chefs sont devenus les moteurs quelquefois et incitateurs puisqu'il est question de pouvoir. Aujourd'hui dans le Canton Koumi par exemple, il n'existe presque plus des relations diplomatiques entre certains villages77.

    81

    77 Entretien avec le Sous-préfet de Rigaza Moussa Kallibokori le vendredi 23 juin 2017 à Biliam-oursi.

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    En somme, la dégradation de l'environnement issue des aléas climatiques plus les crises politiques parties de 1963 jusqu'à 1979, ont considérablement influencé sur la physionomie de la région du Mayo-Kebbi d'une manière générale. Elles ont conduit à un intense mouvement migratoire dans la région. Ce mouvement plus le fort taux de natalité interne crée une surpopulation avec comme conséquence le manque d'espace. Ainsi l'accès à la terre apparait comme un enjeu majeur dans la vie d'hommes, ce qui crée des conflits. Les conflits opposent les agriculteurs entre eux et les agriculteurs aux éleveurs.

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    CHAPITRE IV : MÉCANISMES TRADITIONNELS ET MODERNES DE
    RÉSOLUTION DE CONFLIT.

    S'il est une réalité qu'il n'existe en aucun cas une société sans conflit au sens où Karl Marx dirait que l'histoire de l'humanité est une histoire de lutte des classes, l'on peut aussi convenir qu'il n'existe nulle part de litiges sans une quelconque démarche de prévention, de gestion et de résolution de ce conflit. Le propre de l'histoire est depuis toujours de permettre à une société de forger un certain nombre de mécanismes de cohésion sociale, pouvant permettre le bon fonctionnement de ladite société. Au plan national, il n'existe pas de mécanisme de résolution des conflits entre agriculteurs et éleveurs. La loi n° 4 du 31/10/1959 qui réglemente la transhumance est largement dépassée par les contraintes écologiques, par l'évolution des mouvements des populations et des animaux. En cas de conflit, les parties en conflit ont recours à divers modes de règlement des litiges, comme le règlement par consensus entre les deux parties, le règlement au niveau des chefs traditionnels (villages, cantons), le règlement au niveau de la sous-préfecture ou de la brigade de gendarmerie, le règlement au niveau de la justice. Dans la société massa, les Hommes ont, du point de vue de leur coutume établit des règle qui leur sont propre dans le cadre de la gestion et régulation des conflits. Ainsi, dans ce dernier chapitre, il s'agira pour nous de présenter les mécanismes traditionnels et modernes de gestion de conflit dans la société massa tout en mettant l'accent sur leur faiblesse.

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    I- LES MÉCANISMES TRADITIONNELS DE RÉSOLUTION DES CONFLITS

    Dans la plupart des sociétés africaines, les aspirations à la paix ont conduit à développer des techniques de normalisation dont l'objectif est d'éviter ou tout au moins de palier les violences locales. Cela a donné naissance à une gamme variée de pratiques et/ou modes de prévention des conflits au cas où la société ferait face à un problème majeur. C'est ainsi que dans la société massa pour ce qui est de résolution des litiges, les hommes ont établi des règles. L'acceptation des médiations villageoises, bien qu'il soit le représentant de l'autorité administratif, s'explique par le fait que les vieillards et les chefs traditionnels sont d'abord des aînés, des fils du village et détiennent des savoirs sur les différents modes d'appropriation des ressources, leur utilisation et surtout sont les dépositaires de l'histoire de la communauté.

    1- La médiation des ainés

    La diplomatie dans l'Afrique précoloniale joua un rôle important dans les relations intercommunautaires. Les entités sociopolitiques de l'Afrique précoloniale, selon Daniel Abwa, ont toujours pratiqué la diplomatie dans leur rapport intercommunautaire (Abwa, 1989 cité par Sambo, 2012:203). Il faut comprendre que cette diplomatie entre les autorités traditionnelles avait d'abord pour objectif la sauvegarde des relations de bon voisinage (Sambo, 2012:203).

    C'est ainsi que dans le souci de normalisation et de résolution des conflits en pays massa, les hommes ont accordé une importance capitale aux procédures de négociation. L'objectif de la négociation est de parvenir à un accord entre les parties antagonistes. Ce qui suppose l'existence, au sein des parties concernées, d'une réelle motivation à parvenir à un accord et d'éviter une escalade de la violence qui conduit des situations non négociables. Nous savons que les négociations requièrent des connaissances techniques fondées sur la culture du groupe, sur une bonne maîtrise de l'histoire communautaire et aussi sur une longue pratique qui procure des stratagèmes imparables. Ainsi, le rôle des vieillards est très important, car l'on suppose qu'ils maîtrisent bien l'histoire du pays et qu'au-dessus de tout, le respect leur revient. Il

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    convient de rappeler que la tradition massa n'autorise guère de porter la main sur les hommes âgés bien que ceux-ci font quelquefois objet de bastonnade en cas de conflit78. Tout cela parce qu'il faut en effet que, pendant un conflit il reste quelque confiance en la disposition de l'ennemi, sans quoi l'on ne pourrait d'ailleurs conclure aucune paix et les hostilités dégénéreraient en une batail d'extermination.

    La gestion des conflits directement entre les parties concernées ou tout au moins au niveau du village semble être la méthode la plus efficace, car elle se fait sans des perturbations majeures dans les relations sociales et surtout elle n'engage pas beaucoup de moyens financiers. Ainsi, les agriculteurs, les éleveurs et pasteurs qui, sont plus impliqués sont les principaux responsables de l'élaboration d'un système efficace de gestion des conflits liés à l'accès à la terre.

    Dans les conflits inter-claniques du canton Koumi par exemple, les vieillards jouent un rôle important. En effet lors de la résolution des conflits entre les deux camps antagonistes, notamment les biliam I et les rigaza, l'on fait appel aux hommes âgés afin de jouer la médiation. Ce sont eux qui, devant la Brigade soit la justice tracent le mieux l'historique des conflits parce que l'on suppose qu'ils sont sages. Ici, les chefs de villages ou blama n'ont pas de rôle à jouer en ce qui concerne la médiation ou résolution. Ils sont dépourvus de toutes responsabilités y compris les Moulla79 ou chefs de Canton, représentant de l'État. Les protagonistes pensent qu'en tranchant l'affaire auprès de ces derniers, ils seraient tentés de prendre position derrière un camp.

    Dans ce contexte donc, les compromis sont trouvés par la médiation de ces vieillards. En 2015, par exemple, tous les vieillards dans le canton Koumi, qu'ils soient de Biliam-oursi I ou de Rigaza, ont fait l'objet d'emprisonnement de 6 mois environ dans le pénitencier de koro-toro, prison située à près de 2000 km de la capitale tchadienne, dans le désert80. Le gouvernement tchadien pense que ces derniers seraient

    78 Entretien avec Dom Djaldi le jeudi 23 juin 2017 à biliam-oursi I.

    79 Le Moulla est le nom des chefs des cantons en langue massa. Le Moulla est respecté par les massa et joue un rôle important dans la société massa.

    80 Entretien avec Malamsou le vendredi 24 juin 2017 à Biliam-oursi I.

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    des « complices » et qu'ils auraient joué le rôle « d'instigateur » dans le conflit meurtrier opposant les biliam aux rigaza, en 201581.

    Il convient aussi de signaler que dans le cadre des conflits latents, la présence des vieillards n'est pas ignorée. Dans le cadre de leur régulation, les blama sont tentés quelquefois de faire appel à eux82. Étant des jeunes pour la plupart, les blama accordent de l'importance à ces derniers au regard de leur ancienneté et de la maîtrise de certaines questions sociales.

    Généralement pour ce qui est de la négociation, ces vieillards essayent de retracer l'histoire du peuple en clarifiant la dynamique entre les différents groupes avant l'arrivée des blancs jusqu'à l'ère actuelle. Cette méthode qui consiste à remonter le temps revient à faire comprendre aux jeunes générations qu'elles sont issues d'un seul ancêtre et que, dans le passé, il n'y avait pas des conflits à l'intérieur de la communauté83. Les conflits sont selon les sages des phénomènes récents, avec comme cause, l'égoïsme de certains qui ont des ambitions démesurées. En écoutant donc les paroles des vieillards, les protagonistes sont souvent apaisés.

    Pour ce qui est de l'opposition agriculteurs-éleveurs les deux parties ont chacune un représentant. Du côté des éleveurs, c'est généralement le Sark sano qui vient pour l'arrangement auprès du représentant des villageois agriculteurs, le chef du village.

    2- Le rôle des Chefs traditionnels dans la résolution des conflits

    Dans le cadre de la résolution des conflits dans la société massa, il est important de souligner que les conflits sont tranchés devant les autorités en fonction de leur gravité et des enjeux. Certains conflits se limitent au niveau des blamana et d'autres, du point de vue de leurs complexités sont tranchés chez les mallah/chefs de canton.

    81 Entretien avec malamsou le vendredi 24 juin 2017 à Biliam-oursi I.

    82 Entretien avec le chef de canton de Bongor, SammaTordina le lundi 26 juin 2017 à Bongor.

    83 Entretien avec Issa Kampété, blama de Baiga kouhlou, le vendredi 23 juin 2017 à Baiga.

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    a- Les blamana ou chefs de village dans la résolution des conflits

    Traditionnellement les conflits liés à l'accès ou à l'utilisation de la terre sont tranchés par les chefs de village. Ces différends sont tranchés selon la tradition et la coutume locale bien qu'ils soient nommés par le pouvoir moderne84. Compte tenu du fait que les blamana sont les représentants des chefs de canton auprès des villages, ils sont respectés quand il s'agit d'une gestion de conflits.

    Dans les cas de dommages faits aux cultures par exemple, les animaux ayant causé les dégâts sont quelquefois saisis par les propriétaires du champ dévasté et les propriétaires des animaux en sont informés. De cette situation, s'il n'y a pas de compromis entre les deux camps, l'affaire est portée dans un premier temps devant les chefs de village . Dans ce cas, le chef de village convoque les deux parties et leur donne la parole tour à tour afin d'établir les faits. Généralement, les éleveurs peulh sont représentés par le Sark-nano85. Les jugements sont tranchés généralement à l'entrée de la concession du chef, toute la population peut assister et donner sa version de fait. Après explication venant des deux parties, la cour du chef donne son avis sur la question. Si le propriétaire des animaux reconnaît les faits, il est demandé à l'agriculteur de fixer la compensation et sa nature qui est couramment en argent. Dans certains villages, pour ce qui est d'évaluation, c'est l'ANADER86 qui s'en occupe. Quand l'agriculteur fixe le montant; il est demandé à l'éleveur son avis. Si ce dernier juge la compensation trop élevée par rapport aux dégâts, il propose un prix à son tour où il peut demander l'évaluation des dommages par une tierce personne, en général un des conseillers du chef. Après l'évaluation un prix est fixé et l'éleveur est sommé de s'exécuter et un délai lui est accordé. S'il refuse encore d'obtempérer après épuisement du délai, le chef de village peut transférer le jugement chef à la brigade de gendarmerie soit chez le chef de canton. Aussi, l'éleveur a le libre choix de demander que l'affaire soit transférée à la justice parce qu'il juge incompétente la décision prise par les chefs

    84Entretien avec Issa Kampété, blama de Baiga kouhlou, le vendredi 23 juin 2017 à Baiga 85 Le nom donné au représentant des peuls éleveurs. Ils sont les porte-paroles du groupe. 86L'ANADER est l'agence nationale de développement rural installé dans presque toutes les régions du Tchad. Elle axe ses activités dans le domaine de l'agriculture.

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    traditionnels. Il faut cependant signaler qu'après jugement, les deux parties sont appelées à verser une somme au chef conformément aux règles établies et en fonction du jugement.

    À Bongor par exemple nombre de conflits qui opposent les agriculteurs aux éleveurs sont tranchés soit à la justice, soit à la brigade de recherche de Bongor. Comme nous l'avons signalé dans les chapitres précédents, avec la nouvelle forme d' »élevage des hauts cadres », les bouviers préfèrent, dans une situation conflictuelle régler leurs différends à la brigade. Les chefs traditionnels sont quelquefois négligés et mal vus.

    Dans le cas des litiges fonciers sur des terres agricoles entre deux individus du même village, les deux parties sont convoquées par le chef de village. Elles se font aussi accompagnées de leurs témoins. Le jour de l'audience les deux parties prennent tour à tour la parole. Après les avoir entendus le chef et son conseil interrogent tour à tour les témoins des deux parties. Le témoignage n'est valable que si le témoin a assisté à un fait ou si les faits lui ont été rapportés par un proche parent (frère, père). Les témoins de retour dans leurs familles respectives informent leurs proches du témoignage qu'ils ont fait pour que ceux-ci à leur tour puissent continuer le témoignage s'il leur arrive un accident. Après avoir écouté toutes les versions, le chef de village tranche le litige en fonction des traditions locales. Dans ce contexte, si l'une des parties s'estime lésée par le verdict rendu par le chef et les sages, il peut recourir à la justice sinon demander que l'affaire soit transférée chez le moullah.

    b- Les chefs de canton dans la gestion des conflits

    Chez les massa, les moullah sont les chefs suprêmes. Ils sont très craints et respectés par la population87 surtout qu'ils sont nommés par le pouvoir moderne. Dans l'histoire des massa, il faut, noter que les moullah en tant que chef de canton n'ont pas toujours existé. Avant la colonisation, les hommes ne parlaient pas d'eux parce qu'il n'y avait pas le système cantonal. Toutefois, il est important de préciser que le mot en

    87Entretien avec Voundina Pièrre, le samedi 23 septembre 2017 à N'djaména.

    89

    lui-même existait parce que l'on considérait les chefs des familles comme les seuls chefs et donc moullah. C'est une création occidentale issue de la colonisation. À leur arrivée, les blancs ont « trouvé » que les massa vivaient d'une manière désorganisée et ont jugé utile d'instaurer la chefferie. C'est dans ce contexte que va naître le premier canton dans la zone de koumi.

    De ce qui sont des litiges fonciers, les différends sont aussi tranchés chez les chefs de canton lorsque que deux, trois familles issues de différents villages entrent en conflit. Ici, le problème n'est pas de la compétence des chefs de village. Ce sont les chefs de canton qui s'en occupent. La partie lésée saisie le chef de canton. Le jugement se fait généralement à l'entrée de la concession du chef. Assisté de ses notables appelés goumiéna88 en massa, le moullah donne la porale en premier à ses notables qui sont d'avance informés sur la question. Après compte rendu, les parties antagonistes peuvent prendre la parole. Il convient de préciser que le jugement se fait en public et la population peut donner son point de vue sur la situation.

    De même, les conflits qui opposent le chef de village à la population sont tranchés chez les chefs de canton. L'exemple d'une résolution de conflit à Nollaye chez le chef de canton a retenu notre attention. Un différend entre le chef de village et une famille suite à une parcelle de terre fut tranché chez le chef de canton avec presque toute la population qui y était présente. La parcelle faisant l'objet de dispute ou de revendication par le chef est en effet un terrain de près deux hectares et était exploité pendant des décennies par une famille dudit village. Sans doute en raison de sa fertilité, le chef de village a convoité cette parcelle arguant qu'elle appartenait à son grand-père. L'affaire fut portée devant le chef de canton à Nollaye, village résidentiel situé vers le nord, à peu près à 40km de Bongor. De nombreuses personnes, y compris nous, assistèrent à l'audience. Au terme des délibérations, après que les participants aient donné leurs avis, il est apparu que la parcelle avait été « prêtée » à la famille et qu'elle pouvait en jouir, sans pour autant pouvoir la vendre. Étant usufruitière, elle n'en serait dépossédée qu'une fois qu'elle quitterait le village. Le verdict a été rendu

    88Goumiéna en massa veut dire notable. Les notables des chefs sont appelés ainsi dans la société massa.

    en accord avec la coutume locale qui stipule que le bénéficiaire d'une cession de terre peut l'exploiter à sa guise, mais pas la vendre. Le véritable propriétaire, en l'occurrence le chef de village, ne peut récupérer sa parcelle que si les usufruitiers quittent le village.

    C'est en effet le principe établi dans le cadre de la propriété ancestrale. Elle est la première quand il est question de régime foncier traditionnel et la plus ancienne forme de propriété. Elle est fondée sur des droits de premiers occupants ou ancêtres auxquels les nouveaux venus demandent des terres à exploiter. Ces terres cédées n'étaient pas achetées et ne font l'objet d'aucune compensation. Des permis d'occupation individuelle ou collective sont encore requis auprès des propriétaires ancestraux, bien que le droit foncier traditionnel ne soit pas reconnu d'une manière légale par le gouvernement tchadien. Les villages massa sont reconnus comme les tenants de cette forme de propriété des terres depuis fort longtemps89. Toutefois, il est important de signaler que le prêt ou la vente existe et cette forme de pratique est bien différente de l'ancienne90.

    90

    89 Entretien avec le chef de canton de Bongor, Samma Tordina le lundi 26 juin 2017 à Bongor.

    90 Ibid..

    91

    Photo 9 : Jugement d'une querelle domaniale entre le blama et une famille

    Cliché : Kampété Dieudonné Kingue à Noloy, le vendredi 23 juin 2017.

    Ci-haut sur cette photo, c'est le cas du jugement d'un conflit qui oppose le chef de village à une famille dont l'affaire fut transférée chez le chef de Canton à Noloy91. Après le verdict, le chef de village s'est estimé lésé et a recouru à la justice. Ici, la parcelle faisant objet de litige est mise en défens jusqu'à ce que la justice soit rendue. À la fin, les antagonistes doivent chacun verser une somme au chef de canton pour le jugement rendu. Cette somme est obligatoire sauf pour les cas de conflits ouverts et violents.

    91 Village dans lequel se trouve la résidence du chef de canton, situé à près de 40 km de Bongor.

    92

    Pour le cas des conflits qui opposent les éleveurs aux agriculteurs, dans le canton Bongor et Moulkou, c'est une situation qui semble complexe et révèle que les chefs de canton sont confrontés à un problème de leadership. Ils ne sont pas capables de gérer les litiges sur leur territoire92. Dans le précédent chapitre, nous avons fait mention qu'au cours des deux dernières décennies, la région du Mayo-kebbi, a vu émerger une nouvelle forme d'élevage. Un élevage qui influença progressivement sur les sociétés massa parce qu'il est l'exclusive activité des commerçants, des généraux et colonels, en complicité avec les chefs de canton.

    Le chef de canton en charge d'une zone concernée par un conflit de type agriculteur-éleveur, ayant peur de subir des représailles, cherche à régler le problème à l'amiable. De cette résolution, souvent les agriculteurs ne sont pas satisfaits parce que le chef de canton résout le problème en faveur de l'éleveur dont il est parfois l'obligé93. Cette situation se justifie par le fait que souvent les chefs de canton sont détenteur d'un troupeau dont la gestion est confiée quelquefois aux éleveurs.

    Le Vendredi 13 octobre 2017 à Witchiwitchi, village situé dans la sous-préfecture de Nguelendeng, un troupeau de boeuf, conduit par deux enfants94 massa, dévaste un champ de haricot appartenant à un certain Chanzoumka Laaba. Il semble que le troupeau appartient au chef du village qui, lui aussi est frère d'un chef de canton95. Ici, le propriétaire du champ sachant d'avance que l'affaire ne sera tranchée avec équité, a préféré donner un avertissement au proches du chef afin qu'ils sachent que la prochaine fois il saisira la justice.

    92Entretien avec Djonyang Laurent, chef de secteur de l'ANADER de Bongor, le lundi 07 août 2017 à Bongor. 93 Ibid.

    94C'est enfants sont de la localité, un répond au nom de Yaya âgé de 14 et Abdoulay 12 ans.

    95 Entretien avec Chanzoumka Laaba, le fils du propriétaire du champ dévasté à Witchiwitchi le vendredi 13 octobre 2017.

    93

    Leur pouvoir est partial à cause des intérêts96. Le problème vient du fait que ces chefs de cantons ont, eux aussi, des troupeaux qu'ils confient aux éleveurs mais surtout leur collusion avec les généraux et commerçant de la région97.

    3- Les associations locales de résolution des conflits.

    Dans la société massa, il n'existe quasiment pas d'associations en charge de régulation des conflits98. Toutefois, il est à noter que les tensions violentes dans le canton koumi, ont suscité la volonté des uns à vouloir créer une association au nom de tous les massa. C'est ainsi qu'en 2015, lors du dernier conflit meurtrier qui a opposé le village biliam-oursi I au village biliam-oursi II, qu'une association sera mise sur pied par, les massa vivant à N'djaména issu de différents villages99. C'est une association qui vise la paix et le développement local mis sur papier mais jusqu'à présent pas officielle parce que le ministère de l'intérieur n'a pas jusque-là, donné l'ordre de fonctionnement100. Selon le membre101 de ladite association, le rôle principal de ce groupement est de parvenir à instaurer la paix entre les deux grandes familles, c'est-à-dire, Biliam-Oursi I et Biliam-Oursi II. De ce constant, il ressort que l'association se limite dans le canton Koumi.

    Dans les autres cantons, il n'existe pas d'association et pour ce qui est de régulation des conflits, celle-ci est soit tranchée par le chef de village, soit à la brigade. Dans les zones où l'on enregistre le plus des conflits opposants les éleveurs aux agriculteurs, il n'y a quasiment pas de groupement du côté massa. Lors du jugement par exemple, les éleveurs sont représentés par un membre de leur association appelé en arabe local moulamma, Sark-sano102. C'est lui qui, lors d'une résolution, défend leur communauté.

    96 Entretien avec Djonyang Laurent, chef de secteur de l'ANADER de Bongor, le lundi 07 août 2017 à Bongor.

    97 Ibid..

    98Entretien avec le chef de canton de Bongor, Samma Tordina le lundi 26 juin 2017.

    99Entretien avec Voundina Pièrre, membre de ladite association le samedi 23 septembre 2017 à N'djaména.

    100 Ibid.

    101 Ibid.

    102Entretien avec Oumarou, éleveur nomade le mardi 27 juin à Djarabou.

    94

    II- LES DISPOSITIFS MODERNES DE RÉGULATION DES CONFLITS

    Aux côtés de ces modes de résolution endogènes des conflits liés à la gestion ou à l'exploitation des terres, il existe un cadre législatif et institutionnel constitué de lois portant sur le code domanial, foncier et la charte pastorale. La gestion administrative des conflits liés à l'accès à la terre date de la période coloniale et de l'introduction de l'état moderne.

    Le recours aux autorités administratives locales intervient dans la plupart des cas quand les tentatives de gestion des conflits au niveau du village échouent surtout dans les cas de conflit violent entre les acteurs des terres. Les structures administratives impliquées sont les préfectures, les brigades et la justice de Bongor, chef-lieu de la région de Mayo-kebbi Est. Cette implication des autorités administratives se fait suite à une plainte introduite par une des parties en litige ou par le chef de village/canton.

    1- Les forces de l'ordre dans la résolution des conflits et la justice

    Pour ce qui est des conflits ouverts et souvent violents au pays massa, les forces de l'ordre sont les premiers à effectuer une descente sur le terrain afin de mettre de l'ordre puis viendra le jugement103. Ces forces de dissuasion ont chacune un local de fonctionnement dans chaque sous-préfecture. Elles établissent leur autorité sur les cantons sous leur commandement, avec des effectifs plus ou moins médiocres, souvent confrontés à des sérieux problèmes quant à la gestion d'un conflit.

    103 Entretien avec le commandant de brigade da la sous-préfecture de Rigaza, Perssou Dalbé, vendredi 23 juin 2017 à Biliam-oursi I.

    95

    Photo 11 : Bâtiment de la Brigade de recherche de Bongor

    Cliché : Kampété Dieudonné Kinguéle lundi 26 juin 2017 à Bongor.

    Les brigades installées dans la région jouent, un rôle important au pays massa. Sans elles, l'on pourrait enregistrer dans certaines localités un nombre pléthorique de morts suite aux violents conflits qui survient presque chaque année104. Pour le cas des conflits violent dans le canton Koumi par exemple, les premiers à intervenir sont les forces de l'ordre. Arrivées sur le terrain, quelques balles sont tirées en l'air afin d'effrayer les parties en conflit105. Les protagonistes sont saisis et conduit à la brigade de Bongor parce qu'il est non seulement le chef-lieu de la région du Mayo-kebbi Est, mais surtout la ville la mieux dotée en arsenal militaire et aussi le siège des autorités

    104 Entretien avec le commandant de brigade de Bongor, Paul Hawana, le lundi 26 juin 2017 à Bongor.

    105 Entretien avec le commandant de brigade da la sous-préfecture de Rigaza, Perssou Dalbé, vendredi 23 juin 2017.

    96

    compétentes pour le jugement106. Si un compromis n'est pas trouvé, l'affaire est transférée devant la justice.

    Les jugements ont lieu après non-satisfaction à la justice107. Les brigades sont en relation avec la justice. En cas de complication, la justice avec pour base Bongor, se saisi de l'affaire. Elle peut dans une situation litigieuse lancer une enquête si besoin est nécessaire afin de trancher le jugement avec équité108. Cette implication de la justice se fait souvent suite à une plainte introduite par une des parties en litige ou par le chef de village.

    Les deux parties comparaissent devant le juge, chacun produisant ces témoins. Les autorités villageoises sont convoquées et leurs versions des faits sont recueillies. La parcelle litigieuse est toujours mise en défens. C'est après l'instruction du dossier qu'une date est fixée pour le jugement. Le jugement est rendu en présence des deux parties en conflit ou présence de leurs représentants. Après le verdict un huissier est chargé de la délimitation de la parcelle109. La partie qui s'estime lésée peut interjeter appel auprès de la cour d'appel voire la cour suprême qui est le dernier recours.

    Dans les cas de dommages sur des cultures dans le canton Koumi, Moulkou, les parties concernées entrent en conflit ouvert et souvent violent. Dès lors, les forces de l'ordre sont habilitées à instaurer le calme. L'affaire est soit réglée à l'amiable soit transférée à la justice. Dans ce contexte, les agents de l'ANADER, ex-ONDR110 sont chargés de faire le constat, afin d'évaluer les dégâts causés par les animaux. Cette structure fut créée par l'ordonnance n° 26 du 23 juillet 1965111. C'est un établissement public doté d'une personnalité civile jouissant de l'autonomie de gestion foncière. Il est l'instrument du gouvernement dans son action de développement rural. Son

    106 Entretien avec le commandant de brigade de Bongor, Paul Hawana, le lundi 26 juin 2017 à Bongor.

    107 Ibid.

    108 Ibid.

    109 Entretien avec Jean Pabangou, huissier à la justice de Bongor, le mardi 27 juin 2017 à Bongor.

    110 L'ONDR est l'office de développement rural installé au Tchad et axe ses actions dans les zones rurales. Il s'intéresse beaucoup plus à l'agriculture.

    111 Entretien avec Mounouna Soudi, ingénieur agronome le jeudi 12 octobre 2017 à N'djaména.

    97

    fonctionnement est régi par le décret n° 129/PR du 23 juillet 1965. Il a pour mandat d'apporter des acquis aux producteurs ruraux en vue d'améliorer leur situation matérielle et morale.

    C'est ainsi que dans le cadre du développement rural, la région du Mayo-kebbi a bénéficié d'un siège, installé à Bongor. Il joue un rôle important en ce qui concerne la gestion des conflits dans la région du Mayo-kebbi en général. Il intervient beaucoup quand il s'agit d'un conflit de type agriculteur-éleveur. Les conflits qui opposent les acteurs de même usage semble l'écarter parce qu'il n'a pas de rôle à jouer. L'ANADER a pour tâche l'évaluation des dégâts causés par les animaux et il prodigue des conseils aux protagonistes.

    Photo 12 : Bâtiment de l'ANADER, ex ONDR (office national de développement rural) de Bongor.

    Cliché :Kampété Dieudonné Kingué le lundi 07 août 2017.

    Un agent de l'agriculture et des agents des forces de l'ordre plus un agent de L'ANADER sont mobilisés pour se rendre sur les lieux et constater les dommages. Après constat, ses agents fournissent à l'autorité administrative mandataire un procès-verbal de constat. C'est sur la base de ces constats que le commandant de brigades se

    98

    fonde pour fixer les amendes et les sanctions qui s'imposent. Dans la majorité des cas les dépenses engagées par la procédure sont aux frais de la partie plaignante et ce jusqu'à ce qu'un jugement soit rendu. Après le jugement le coupable est condamné.

    En pays massa, la sous-préfecture joue aussi un rôle non négligeable dans la résolution des conflits. Lors d'une résolution d'un conflit à la brigade par exemple, si le commandant de brigades estime qu'il est incompétent, il transfère le jugement chez le sous-préfet.

    2- Les sous-préfets dans la résolution des conflits

    La région du Mayo-kebbi Est, dans sa globalité compte dix sous-préfectures, mais nous nous sommes limités à ceux habités par les massa. Généralement à la suite d'un conflit ouvert entre les individus revendiquant un même espace, les gendarmes sont les premiers à intervenir afin de mettre l'ordre. Les protagonistes sont conduits à la brigade en charge du territoire puis transférés chez le Sous-préfet. Ce dernier essaye de concilier les parties en conflits. Si les protagonistes ne sont pas satisfaits ou si l'affaire est complexe, le Sous-préfet peut renvoyer l'affaire chef le chef de canton avec des consignes.

    99

    Photo 13 : Monument indiquant la Sous-préfecture de Nguelending

    Cliché : Kampété Dieudonné Kingué à Nguelendeng le vendredi 13 octobre 1017.

    3- Le gouvernorat et la justice

    Des acteurs qui interviennent dans la résolution des conflits fonciers, il est important d'énumérer le rôle que joue le gouvernorat. Pour la région du May-kebbi Est, le siège du gouverneur est installé à Bongor. Le gouverneur est ici, le représentant direct du chef de l'État, il exerce son autorité sur toute la région. Toutefois, il importe de préciser que l'intervention du gouverneur dans les litiges fonciers à une limite car il n'est pas présent dans tous les conflits. Son intervention est plus visible dans les zones où les conflits sont beaucoup plus violents comme dans le canton Koumi.

    En 2015, lors du conflit violent qui a opposé les biliam I aux biliam II, la présence des militaires n'a pas suffi pour mettre de l'ordre. Le conflit a pratiquement

    100

    durée trois jours avec des conséquences tragiques112. Ce conflit a vu la présence de l'ex premier ministre Kalzeubé Pahimi Deubet accompagné du gouverneur. Ce conflit est le plus violent et meurtrier dans l'histoire des Massa. C'est au coeur de la résolution de ce conflit que les principaux protagonistes des deux camps furent arrêtés et conduit au pénitencier de Korotoro113.

    4- Les faiblesses des mécanismes de résolution des conflits dans le pays massa

    La force des autorités dans la médiation et la gestion des conflits liés aux ressources naturelles viennent de leur grande influence et de la confiance que leur accordent les différents utilisateurs des terres. Leur faiblesse dans la gestion et la médiation en cas de conflits est due à leur partialité et manque de moyens.

    Aux yeux des communautés114, le recours aux autorités administratives dans la gestion des conflits ne se présente pas toujours comme une procédure viable et satisfaisante. Selon ces derniers les décisions manquent de transparence et conséquemment engendre la méfiance envers les services de l'état115. Celui-ci devrait répondre à ce défi par la mise en place des processus plus transparents de règlement des conflits. Il se doit de garantir l'équité dans l'accès et l'utilisation des ressources. Il s'agit surtout d'éviter les risques de commercialisation des terres par les chefs traditionnels116. Le manque de proximité en termes d'espace et de temps est perçu par les communautés comme un problème contraignant. Le manque de moyen a été fréquemment évoqué par les autorités administratives, les services techniques, la gendarmerie. Dans certains cas un manque d'effectifs et de carburant rend impossible

    112Entretien avec Le chef de canton de Koumi, Sampil Dapsia, le vendredi 23 juin 2015 à Nolloy. 113Prison situé dans le djourab, le désert.

    114 Entretien avec Samma Tordina, chef de canton de Bongor, le lundi 26 juin 2017, à Bongor.

    115 Entretien avec Djoyang Laurent le lundi 26 juin 2017 à Bongor.

    116Ibid

    l'envoi d'une équipe sur le terrain pour constater des dégâts ou la médiation entre les protagonistes117. Aussi l'innascibilité des certains village est un handicap.

    Les mutations fréquentes des agents de l'état constituent un frein à la mise en place et à l'appui pour une gestion participative et efficace des conflits118. Cette rotation des fonctionnaires est à l'origine d'un manque de continuité et de cohérence dans les prises de décisions. Ainsi la gestion des conflits dans cette partie du Tchad semble difficile.

    101

    117Ibid

    118 Entretien avec SammaTordina, chef de canton de Bongor, le lundi 26 juin 2017, à Bongor.

    102

    CONCLUSION GÉNÉRALE

    Au terme de cette étude, le pays massa est un territoire situé dans le sud-ouest du Tchad. Ce territoire qui, au départ fut habité par les massa est aujourd'hui le carrefour d'une diversité ethnique. Territoire essentiellement rural, la survie de la population dépend de l'agriculture et de la pêche.

    La terre est considérée dans la société massa comme un bien culturel, symbole d'héritage de génération en générations. Elle est aussi vue comme un bien avec tous les outils nécessaires de production, l'homme doit seulement l'exploiter parce qu'elle assure sa survie et celle de la société toute entière. La terre a joué un rôle important dans la dynamique historique du pays massa. Son rôle dans l'implantation et l'évolution socio-culturelle, économique et politique est essentiel dans la compréhension de son histoire.

    Parce qu'elle est vitale pour toutes les sociétés, la terre a été un élément catalyseur dans la mise en place et la structuration de nombreuses sociétés dans l'antiquité. C'est pourquoi, le pays massa qui est au centre de cette étude, a connu sur son territoire diverses migrations, lesquelles ont eu d'impact sur l'espace. Ces migrations sont les faits des aléas climatiques, des personnes à la quête d'un endroit pour assurer la survie de leur famille, des fonctionnaires de l'État, des commerçants soit des personnes chassées par les crises politiques au lendemain de l'indépendance du Tchad.

    Dans ce contexte de migration, le pays massa connait une surpopulation tout en étant confrontée à une dynamique démographique interne liée à la forte natalité. L'espace devient un enjeu majeur. La terre qui constitue l'élément fondamental de l'appareil de production, suscite dès ce moment, des formes de concurrence, de tension et de violence impliquant plusieurs types d'acteurs. Les conflits surviennent quasiment chaque année avec des conséquences plus ou moins désastreuses. Les causes de ces litiges fonciers sont la croissance démographique, la vente des terres et surtout la mal gestion des terres. Ainsi, ces conflits opposent d'une part les éleveurs aux agriculteurs et d'autre part les agriculteurs entre eux.

    103

    Cependant, dans le pays massa, les conflits liés à la terre ne peut être compris s'ils sont réduit à des phénomènes locaux isolés. Ces conflits fonciers découlent des facteurs complexes, d'ordre politique, économique voire idéologique. Dans le pays massa, si les conflits fonciers apparaissent plus accentués dans certains villages, c'est parce qu'ils sont sous-tendus par des idéologies politique. Ce qui explique presque chaque année le déclenchement des conflits avec des conséquences plus ou moins fâcheuses.

    Toutefois, il importe de préciser que les conflits persistent quand bien même que les décisions de justice sont prises. De ce constat, il importe que les autorités administratives et coutumières de la région se saisissent d'avantage de la situation qui prévaut dans le pays massa. Le manque d'effectif dans les brigades plus la négligence de certains chefs traditionnels sont entre autres la cause de la prolifération des conflits.

    104

    SOURCES ET RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES A- SOURCES ORALES

    Nom et prénom

    âge

    Profession

    Date et lieu

    d'entretien

     

    Abdoulay

    12

    Enfant bouvier

    Vendredi le 13

    octobre 2017

     

    Chanzoumka Laaba

    28

    cultivateur

    Vendredi le 13

    octobre 2017

     

    Djibetsou Moullah

    33

    Cultivateur

    Samedi le 23 juin 2017 à Biliam-oursi

     

    Djonyang Laurent

    43

    Chef de secteur

    de l'ANADER de Bongor

    Lundi le 26 juin

    2017 à Bongor

     

    Dom Djaldi

    58

    Cultivateur

    Vendredi le 22 juin 2017 à Biliam-oursi I

     

    Fanga Augustin

    76

    Pasteur et

    cultivateur

    Samedi le 23 juin 2017 à Biliam-oursi

     

    Issa Kampété

    35

    Blama de

    kouhlouBaïga

    Samedi le 23 juin

    2017 à kouhlou
    Baïga

     

    Jean Pièrre

    56

    Cultivateur

    Dimanche le 16

    juillet à N'djaména

     

    Khamis

    40

    Officier de la

    police judiciaire

    Lundi le 26 juin

    2017 à Bongor

     

    Malamsou

    77

    Cultivateur

    Samedi le 23 juin 2017 à Biliam-oursi

     

    Moussa Kallibokori

    64

    Sous-préfet de

    Samedi le 23 juin 2017 à Biliam-oursi

    105

     
     
     

    Rigaza

    I

     

    Oumar Mahamat

    42

    Chef de village de Djarabou

    Lundi le 26 juin

    2017 à Djarabou

     

    Paul Hawana

    40

    Commandant de

    brigade de
    Bongor

    Lundi le 26 juin

    2017 à Bongor

     

    Persou Dalbe

    50

    Commandant de brigade

    Samedi le 23 juin 2017 à biliam-oursi I

     

    Pièrre Voundina

    47

    Pasteur et

    membre de

    l'association massa

    Lundi le 17 juillet

    2017 à N'djaména

     

    Samma Tordina

    60

    Chef de canton de Bongor

    Lundi le 26 juin

    2017 à Bongor

     

    Sampil Dapsia

    47

    Chef de canton de Koumi

    Samedi le 23 juin 2017 à Nollay

     

    Yaya

    14

    Enfant bouvier

    Vendredi le 13

    octobre

    2017

    B- REFERENCE BIBLIOGRAPHIQUES B.a- Documents d'archives

    Archives de Direction des Domaines et des affaires foncières

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    - ADDF, La loi n° 25 du 22 juillet 1967 sur les limitations des droits fonciers.

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    Dictionnaire le Nouveau Petit Robert, nouvelle édition, Paris, 2000.

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    Oumar Goumaïna, Les conflits fonciers dans le logone occidental (sud du Tchad) : 1966-2013, mémoire de master à l'Université de Ngaoundéré, 2014.

    Sambo Armel, les cours d'eau transfrontaliers dans le bassin du lac Tchad : Accès, gestion et conflits (XIXe-XXe siècles), Thèse du doctorat en histoire à l'Université de Ngaoundéré, 2012.

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    110

    ANNEXES Annexe 1 :

    KAMPÉTÉ DIEUDONNÉ KINGUÉ 66145355

    kampetedieudonnek@gmail.com

    Guide d'entretien auprès des informateurs : les cultivateurs, éleveurs, les autorités administratives, aux chefs de canton, sous-préfets, toutes les personnes pouvant nous fournir une information.

    Propos liminaire

    Dans le cadre de la rédaction de notre mémoire en vue de l'obtention du diplôme de Master recherche en Histoire Politique et des Relations Internationales, nous menons une recherche axée sur : « Accès à la terre et conflits au Tchad : cas du pays Massa XXe-XXIe siècle ». De cette enquête, une analyse de données sera faite afin de tirer un résultat fiable pour compléter notre travail. Ceci dit, votre contribution apparait important pour nous. Merci pour votre disponibilité.

    IDENTIFICATION DE L'INFORMATEUR

    Nom et prénom Âge .Sexe

    Lieu .fonction

    ? QUESTIONNAIRE ADRESSÉ AUX CHEFS TRADITIONNELS

    1- Quand est-ce qu'on vous a nommé chef?

    2- Êtes-vous un héritier ou avez-vous fait l'objet de nomination par consensus?

    3- Combien des chefs se sont succédé avant vous ?

    4-

    111

    Avant l'arrivée des blancs, existait-il des chefs de village ? si non, comment est-ce-que la société massa était organisée ?

    5- Quelle fut la norme en ce qui concerne les relations entre les familles et/ou clans ?

    6- Comment est née la chefferie et quelle était la raison ?

    7- Quelle fut la réaction des massa face à ce nouveau type d'organisation sociale ?

    8- De l'instauration de la chefferie, comment était donc organisés les villages ?

    9- Quels étaient les rapports de ses autorités traditionnelles avec les autorités coloniales ?

    10- Quelle était votre conception de la terre contrairement à la conception étrangère ?

    11- Existe-il des conflits fonciers avant l'arrivée des blancs? si non, quelles sont les causes des conflits fonciers en pays massa?

    12- C'est conflits sont entre quel type de personne?

    13- Comment les autorités traditionnelles gèrent-ils ces conflits ?

    14- Quelles sont les méthodes adoptées par ces chefs pour gérer les litiges?

    15- Existe-il un rapport dans le cadre des régulations des conflits entre les autorités traditionnelles et celles modernes ?

    16- Y'a-t-il une entente entre ces autorités ?

    17- Quelles sont leur faiblesse ?

    18- Existe-t-il un dialogue entre vous et vos sujets ?

    19- Est-ce qu'il y a des personnes qui passent directement voir les autorités judiciaires pour trancher leurs problèmes ?pourquoi ?

    20- Dans vos fonctions de chef, pensez-vous assumer votre rôle comme il se doit ?

    ? QUESTIONNAIRE ADRESSÉ AUX AUTORITÉS

    ADMINISTRATIVES OU JUDICIAIRES

    1- Que pensez-vous des conflits fonciers en pays massa ?

    2-

    112

    Selon vous, quelles sont les principales causes ?

    3- Ces conflits sont pour la plupart latentes ou ouvertes ?

    4- Dans le cadre de leurs régulations, lequel des conflits entre les acteurs sont les plus récurrents ?

    5- Rencontriez-vous des difficultés dans la gestion des conflits ?

    6- Comment sont gérés ces conflits et quel en sont le processus?

    7- Les lois en ce qui concerne l'accès à la terre sont-elles prises en considération lors de la gestion de ces conflits ?

    8- Après jugement, est-ce-que les partis antagonistes mettent en exergue les décisions de justice et/ou sont-ils satisfait ?

    9- Entretenez-vous des relations avec les autorités traditionnelles ? si oui en quoi consiste cette relation ?

    10- Au vue de la situation, pensez-vous que ces litiges prendront fin un jour ?

    11- Quelle solution proposez-vous ?

    ? QUESTIONNAIRE ADRESSÉ AUX ACTEURS DU DÉVELOPPEMENT ET PROJETS

    1- Vous êtes des acteurs impliqués dans le développement rural, quel est le rôle que vous jouez dans la région ?

    2- Intervenez-vous souvent dans la gestion des conflits fonciers?

    3- Quelles sont selon vous les causes de ces conflits ?

    4- Quelles sont les stratégies que vous adoptez en ce qui concerne la résolution des litiges fonciers ?

    5- Ces stratégies sont-elles efficaces ?

    6- Rencontrez-vous des difficultés ? si oui les quelles ?

    7- Avez-vous des relations avec les autorités traditionnelles et les forces militaires ?

    113

    8- Ces relations se fondent sur quoi ?

    ? QUESTIONNAIRE ADRESSÉ À LA POPULATION LOCALE

    1- Quelle est votre profession ?

    2- Quelle est votre conception de la terre

    3- Elle représente quoi pour l'homme massa et lui serre de quoi en zone rurale ?

    4- La conception que vous avez de la terre avant l'arrivée des blancs est-elle toujours d'actualité ou la colonisation l'a brisée ?

    5- Quel est le mode d'accès à la terre avant et après la colonisation en pays massa ?

    6- Quels sont les types de propriétés ?

    7- En quoi est-ce-que l'accès à la terre demeure une question prégnante ?

    8- La terre appartient à qui ?

    9- Pourquoi sa gestion est source de conflits entre les différents groupes ?

    10- Quelles sont selon vous les causes de ses tensions en ce qui concerne l'accès ?

    11- Ces conflits ont toujours existé ou sont-ils récent ?

    12- Ce sont des conflits ouverts ou latents qui sont le plus récurent ?

    13- Avez-vous été victime d'un conflit ? si oui, ce conflit vous a opposé quel type d'acteur ?

    14- Ces conflits ne sont pas sous-tendus par des enjeux ?

    15- Comment sont réglés vos différends ?

    16- Êtes-vous souvent satisfait dans le cadre de la régulation des conflits par la décision des autorités traditionnelles ou administratives ?

    17- Pensez-vous que ces conflits prendront fin un jour ? si non, quelles solutions proposerez-vous afin de palier le problème ?

    114

    ? QUESTIONNAIRE ADRESSÉ AUX ÉLEVEURS

    1- Quel est votre lieu de provenance ?

    2- C'est l'élevage qui vous amené dans la localité ?

    3- Existe-il des couloirs de transhumance ?

    4- Lors de vos déplacements avec les troupeaux, ne rencontriez-vous pas de problèmes ?

    5- Quelles sont selon vous les causes de ces problèmes ?

    6- Avez-vous un représentant qui, lors d'un conflit vous porte garant ?

    115

    TABLE DES MATIÈRES

    SOMMAIRE

    DÉDICACE i

    REMERCIEMENTS ii

    SOMMAIRE iii

    RÉSUMÉ iiiv

    LISTES DES SIGLES ET ACRONYMES v

    GLOSSAIRE vi

    TABLE DES ILLUSTRATIONS vii

    INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

    I-OBJET DE L'ÉTUDE 1

    II-RAISONS DU CHOIX DU SUJET 3

    III-INTÉRÊTS DE L'ÉTUDE 3

    IV-CADRE SPATIO-TEMPOREL 4

    V-CADRE CONCEPTUEL ET THÉORIQUE 6

    V.1- Cadre conceptuel 6

    V.2- Cadre théorique 9

    VI-REVUE DE LA LITTÉRATURE 14

    VII-PROBLÉMATIQUE 17

    VIII-OBJECTIF 18

    IX-MÉTHODOLOGIE 18

    X-PLAN 20

    CHAPITRE I : PRÉSENTATION ET CARACTÉRISTIQUES PHYSIQUES DU

    PAYS MASSA 21

    116

    I-CARACTÉRISTIQUE PHYSIQUE DU PAYS MASSA 23

    1-Le relief 23

    2-Le climat 23

    3-Réseaux Hydrographiques 24

    4-Les Sols et végétation 25

    II-LA MISE EN PLACE ET L'ORGANISATION SOCIALE DES MASSA 26

    1-Peuplement 26

    2-Organisation socio-politique 28

    3-Les pratiques culturelles en pays Massa 30

    III-LES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES 31

    1-L'Agriculture 32

    2-L'élevage 36

    3-La pêche 37

    CHAPITRE II: ACCÈS À LA TERRE DANS LA SOCIÉTÉ MASSA 39

    I-LES PRATIQUES FONCIÈRES AVANT LA COLONISATION 40

    1-La conception endogène de la terre en pays massa 40

    2-Les modes d'accès à la terre en pays massa 42

    3-Les types de propriétés foncières en pays massa 44

    II-LA POLITIQUE COLONIALE EN MATIÈRE FONCIÈRE ET SON

    IMPACT SUR LA SOCIÉTÉ MASSA 45

    1-La conception exogène du foncier 45

    2-Les textes en matière foncière après l'indépendance et la tentative de leur

    adaptation

    47

    3-Les textes en vigueur 50

    117

    III-AMENUISEMENT DES RESSOURCES FONCIÈRES ET COMPÉTITION

    POUR L'ACCÈS À LA TERRE 51

    1-Les causes historiques issues de la colonisation 51

    2-Les causes politiques comme facteur de migration 52

    3-Les aléas climatiques et la pauvreté 54

    3-1 contrainte naturelle 54

    3-2 La pauvreté 57

    4-La croissance démographique. 60

    CHAPITRE III:MANIFESTATIONS ET CONSÉQUENCES DES CONFLITS 62

    I-TYPOLOGIE ET MANIFESTATION DES CONFLITS 63

    1-Conflits inter-claniques 64

    2-Rixes éleveurs-agriculteurs 67

    3-Conflits au sein d'une même famille 72

    II-LES ENJEUX LIÉS AUX CONFLITS 73

    1-Enjeux socio-économiques 73

    2-Enjeux politiques 76

    III-LES CONSÉQUENCES DE CONFLITS FONCIERS 78

    1-Sur le plan économique 78

    2-Conséquences sociales 79

    3-Conséquences politiques 80

    CHAPITRE IV : MÉCANISMES TRADITIONNELS ET MODERNES DE

    RÉSOLUTION DE CONFLIT. 83

    I-LES MÉCANISMES TRADITIONNELS DE RÉSOLUTION DES CONFLITS 84

    1-La médiation des ainés 84

    2-Le rôle des Chefs traditionnels dans la résolution des conflits 86

    118

    3-Les associations locales de résolution des conflits. 93

    II-LES DISPOSITIFS MODERNES DE RÉGULATION DES CONFLITS 94

    1-Les forces de l'ordre dans la résolution des conflits et la justice 94

    2-Les sous-préfets dans la résolution des conflits 98

    3-Le gouvernorat et la justice 99

    4-Les faiblesses des mécanismes de résolution des conflits dans le pays massa .. 100

    CONCLUSION GÉNÉRALE 102

    SOURCES ET RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 104

    A- SOURCES ORALES 104

    B- REFERENCE BIBLIOGRAPHIQUES 105

    B.a- Documents d'archives 105

    B.b- Ouvrages 106

    B.c- articles 106

    B.d- Mémoires et Thèses 107

    C-Documents électroniques 108

    ANNEXES 110

    TABLE DES MATIÈRES 115

    SOMMAIRE 115






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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci