WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Etudes littéraires sur l’Erotika Biblion. Quand l’ironie sème le doute.


par Sylvain Haure
UNIVERSITE PAUL VALERY, Montpellier III - MASTER II Littérature française et comparée 2019
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

UNIVERSITE PAUL VALERY, MONTPELLIER III, UFR I

Études littéraires sur

l'Erotika Biblion :

Quand l'ironie sème le doute

Mémoire de Master ; Littérature française et comparée.
Sous la direction de Mme. Maria Susana Seguin

Membres du jury : Mme. Maria Susana Seguin et Mr. Dominique Triaire

SYLVAIN HAURE
Septembre 2019

Remerciements

En premier lieu, je tiens à remercier ma directrice de mémoire, Mme. Susana Maria Seguin pour m'avoir guidé sur des pistes de réflexion riches et fertiles le long de ces deux dernières années. Je dois beaucoup à son instinct de chercheure qui m'a poussé dans les bonnes directions, me faisant gagner du temps et de la pertinence, tout en me laissant le loisir d'explorer mes pistes et mes perspectives. Ses contributions donnent une certaine envergure à mon travail ; un modèle, une inspiration qui a façonné et motivé mon enthousiasme pour la recherche littéraire, elle a su m'épauler dans les moments difficiles, tout en me laissant une liberté confiante et bienveillante qui contribue grandement à mon envie d'arpenter le long parcours d'un jeune chercheur en littérature française.

Aussi spontanément, j'adresse mes remerciements à Mr. Dominique Triaire pour ses conceptions franches et approfondies sur la littérature libertine ; autant d'éclaircissements qui m'ont permis de mieux en appréhender l'idéologie et d'en saisir la consistance. Je lui dois notamment une meilleure considération de la teneur axiologique de mon domaine d'étude ; et plus généralement, ses réflexions sur la littérature m'ont amené à apprécier plus activement la place de nos études littéraires dans ce monde en fuite vers la déréliction numérique, perdant ce rapport personnel et intime avec le manuscrit.

Aux conservateurs de la bibliothèque de médecine de Montpellier qui ont contribué à étoffer les annexes de ce mémoire. Leur gentillesse m'a permis de m'y établir pendant plus d'un mois pour constituer mes recherches ; je leur en suis très reconnaissant et me sentirais toujours à mon aise, assis à côté de la fenêtre, où l'on pouvait entendre le doux son matinal de l'orgue qui insufflait une spiritualité à ce haut lieu de conservation ancestral.

À ma mère qui eut l'audace d'imprimer les oeuvres de mon corpus dans le sein vigilant de l'Education Nationale ; nul doute que le contrôle distrait des informaticiens municipaux a, pour une fois, déterré des anomalies assez curieuses.

Sommaire

Lumières sur l'Erotika Biblion de Mirabeau..........................................................................................................................1

Au Commencement était le Verbe..........................................................................................................................11 Ordre et unité d'ensemble..........................................................................................................................17 Ironie savante..........................................................................................................................33 La Métaphore coïtale...........................................................................................................51

Inspirations et ressources..........................................................................................................................55 Ressources bibliques..........................................................................................................................57 Une Spiritualité indéterminée..........................................................................................................................77

Le Léviathan..........................................................................................................................92 La Raison du corps..........................................................................................................................95 Une Utopie évolutive..........................................................................................................................120

Conclusion..........................................................................................................................131

Annexes..........................................................................................................................134

Bibliographie..........................................................................................................................153

Corpus..........................................................................................................................153 Appareil Critique..........................................................................................................................158

Table des Matières..........................................................................................................................163

1 Le Libertin de qualité, ou Confidences d'un prisonnier au château de Vincennes, Auri Sacra fames, écrites par lui-même, à Stamboul [sic], Imprimerie des Odalisques, 1784.

- 1

Lumières sur l'Erotika Biblion de Mirabeau

« Osée, prends une fille de joie, et fais-lui des fils de fille de joie. [...] Ce n'est pas tout, dit le Seigneur au troisième chapitre : va-t'en prendre une femme qui soit non seulement débauchée, mais adultère. Osée obéit. [...] » Mais savez-vous ce que tout cela signifie ? - Non, lui dis-je. - Ni moi non plus, dit le rabbin.

« Ezéchiel », Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire.

Essayons d'imiter l'attitude du rabbin qui regarde ces passages bibliques sans préjugés, sans connaissances autres que celles du texte. Cette attitude constitue la seule condition pour saisir la consistance de l'Erotika Biblion. Considéré comme une somme savante sur des sujets érotiques traités et dissertés de façon à bousculer les idées communes, l'ouvrage d'Honoré Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau [1749-1791], est souvent perçu comme le résultat impudique d'un esprit fiévreux. Comme il l'écrivait en détention dans les cellules de Vincennes, on l'a imaginé brisé, souffrant et oppressé entre quatre murs incarcérateurs étouffant sa raison et sa flamme vitale ; on a réduit l'ouvrage à une aberration, une distraction, un griffonnage pour s'abriter du souffle de la mort qu'il sentait sur sa nuque. Pour justifier cette discrimination perpétrée dans sa production littéraire, on pointait du doigt son compagnon d'infortune : le marquis de Sade et l'hypothétique conseil qu'il lui aurait susurré alors qu'ils partageaient le même quotidien, le même destin, enfermés dans le donjon de Vincennes. Rien n'est moins sûr tant ces deux hommes se détestaient, bien qu'ils partageassent plus d'une idée.

Écrit en octobre 1780, huit mois après le roman -pornographique Ma Conversion1 , l'Erotika Biblion est la dernière oeuvre du comte produite dans les fers. Elle mobilise un savoir relatif à la Bible et à ses commentaires, aux histoires apocryphes concernant les prophètes et les personnages mythologiques, aux anecdotes de la vie des casuistes et des jésuites, et à la littérature antique. On y examine la constitution des préjugés et des bienséances en ce qui regarde la sexualité ; aussi, on y étudie les bornes dans lesquelles certaines pratiques sexuelles doivent être tolérées. Mirabeau est alors détenu depuis trois ans à Vincennes, et il serait prodigieux que les citations en langues anciennes sortent à la virgule près de sa mémoire. Il devait certainement avoir à sa disposition des travaux pour constituer une telle recherche ; on peut en retrouver des traces dans sa correspondance où il sollicite quelques ouvrages. Mais il demande rarement un titre spécifique ; il désire seulement de la littérature pour y puiser de l'inspiration.

2 - Lumières sur l'Erotika Biblion de Mirabeau

C'est un écrit sulfureux, inspiré par d'étranges muses. Il fait montre d'une grande érudition, et traite, à la manière des casuistes, des sujets bibliques les plus scabreux ; de facto, il attire l'attention de la Congrégation en 18041. L'intertexte fastidieux déployé témoigne d'une lecture détournée des textes exégétiques, d'un engouement pour les contes philosophiques, et d'un grand intérêt pour la littérature idéologique. Les écrits de nombreux auteurs et savants apparaissent en filigrane ; de Buffon à Dom Augustin Calmet, en passant par l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, Le Dictionnaire portatif de Voltaire et Le Dictionnaire historique de Pierre Bayle ; tous ont été repris, relus et incorporés dans l'ouvrage, parfois plagiés à la virgule près. On peut retrouver par exemple, un passage du Candide de Voltaire qui a dû suffisamment lui plaire pour qu'il le recompose dans un discours paraissant savant : les contes voltairiens lui servent alors d'inspiration pour créditer ou saper les écrits exégétiques. Rien d'étonnant, c'était dans la tradition d'écriture, mais à ceci près que les circonstances dans lesquelles Mirabeau écrit l'empêchent d'avoir tous ces titres sous les yeux ; comment peut-il plagier sans avoir les sources originales ? En lui-même, le titre de l'ouvrage questionne : Errotika Biblion. La faute n'est pas du fait de l'éditeur : Jean Pierre Dubost a retrouvé un manuscrit de la main de Mirabeau2 avec le titre orthographié « Errotikos Biblion [sic] » ; et vu les nombreuses anecdotes sur la civilisation grecque, les citations de la Bible des Septante, les sous-titres en grec et en hébreux, comment Mirabeau, qui ne savait apparemment pas le grec, a pu concevoir un ouvrage de cette consistance ? De plus, l'inventaire de sa bibliothèque vendue à sa mort en 17913 confirme l'ignorance de ces langues : plus de 2800 ouvrages, dont près d'un tiers sont en latin et traitent de médecine. Sa bibliothèque est impressionnante et montre un goût certain pour les langues anciennes, mais aucun titre en grec ou en hébreux. Quant à son instruction, son précepteur nous en apprend la contenance en accusant son élève du vol des traductions latines de Tibulle lors de leur parution dans La Décade Philosophique4 ; du latin lui était donc enseigné et il le maîtrisait parfaitement, mais toujours pas de grec, pas d'hébreux. Au sortir de son éducation, entre ses fréquentes détentions et ses nombreuses frasques, on ne voit ni où, ni comment Honoré Gabriel aurait pu trouver le goût et le temps pour l'apprentissage de ces langues. Il semble même peu probable qu'il ait lu la plupart des auteurs savants réinjectés dans l'Erotika Biblion avant sa détention au donjon de

1 Pour lire le rapport de la Congrégation, voy. La Lettre clandestine, n°25, dirigée par Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin, Paris, Classiques Garnier, 2017.

2 Cf. Erotika Biblion, édition critique avec introduction, notes et variantes par Jean-Pierre Dubost, Paris, Honoré Champion, 2009. L'orthographe du titre constitue un objet de contradiction avec Guillaume Apollinaire qui n'y voit qu'une faute d'impression persistant dans quelques exemplaires ; et lui-aussi s'appuie sur un manuscrit : vendu à un certain M. Solar pour 150 francs, le manuscrit serait un in-4°. Pour éclaircir l'affaire, il faudrait retrouver le manuscrit en suivant les registres de vente ou les actes notariats et remonter la piste. Voir L'oeuvre du Comte de Mirabeau, introduction, essai bibliographique et notes par Guillaume Apollinaire, Paris, Bibliothèque des curieux, 1921.

3 Catalogue des Livres de la bibliothèque de feu M. Mirabeau l'ainé, Paris, Rozet et Belin, 1791.

4 La Décade philosophique littéraire et politique, par une société de républicains, Paris, bureau de la Décade, an IV de la République Française, page 165.

- 3

Vincennes ; il faut donc que ces ouvrages y aient été à sa disposition pour expliquer la précision et la profusion des citations.

Mirabeau a conçu l'Erotika Biblion comme une série de dissertations divisées en chapitre visant à démontrer, par des récits tantôt fictifs, tantôt avérés, les bénéfices d'une libération sexuelle. Il appuie son argumentation sur des références savantes, il ponctue ses démonstrations par des allusions aux textes d'autrui, et cite les pères de l'Église et autres autorités spirituelles dans chacun des chapitres ; toutefois, il tronque les citations, les déforme, et son subterfuge ne s'arrête pas là. En certains endroits, il travestit des éléments fictionnels pour les confondre dans l'argumentation. Ces éléments sont difficilement repérables car implantés dans une cohérence d'ensemble ; c'est un jeu d'auteur, où il s'agit moins de fausser les représentations scientifiques et mythiques du lecteur que de rechercher différentes façons d'acter ou de saper toute forme de vérité tirée d'une interprétation littéraire. On en serait presque à une singerie des argumentations casuistes sans cette cohérence d'ensemble, appréhendable par la consistance du projet anthropologique développé dans l'ouvrage : un système politique fondé sur une interprétation originale des Écritures. Tantôt justifiées par la tradition rabbinique, tantôt tirées de citations tronquées de La Bible, ses considérations théologiques entretiennent un rapport complexe avec la fiction qui dépasse la singerie comique. Car en d'autres endroits, Mirabeau revendique clairement la fiction1 comme moyen d'instruction ; il nourrit ainsi l'ambiguïté dans ses propos pourtant conçus pour paraître savants. Dans une certaine mesure, ces différents rapports avec la fiction se retrouvent dans sa correspondance. Incapable de sentir la solitude peser sur ses épaules, il maintient l'intérêt de ses correspondants sur son sort carcéral en développant des intrigues fictives qui auraient retardé sa libération. Si l'on y recherche des similitudes avec sa production littéraire, il faudrait regarder les corrélations inventées par Mirabeau entre la consistance de ces intrigues et les protagonistes qui créditeraient son invention. La règle, la seule contrainte de ce jeu d'auteur est la cohérence. C'est pourquoi le soin de prendre en compte le contexte dans lequel Mirabeau a conçu l'ouvrage doit être automatique ; à l'article de la mort, il avait certainement dans l'idée que cette production serait la dernière, non pas comme une énième énigme à laisser derrière lui2, mais plutôt comme un dernier soubresaut idéologique vivace et plein de ferveur.

1 Telle pourrait être la fonction du premier chapitre « Anagogie » qui se place dans la tradition des romans philosophiques de Voltaire : les qualités des Saturniens sont si semblables à celles décrites dans Micromégas que cette fiction devient un topos idéologique qui bousculerait l'anthropocentrisme de l'homme pour considérer la Création.

2 Trouver de la cohérence dans la vie de Mirabeau est une gageure sans arrêt relevée par les historiens. Son action politique par exemple, est jalonnée de comportements contradictoires. Élu à l'Assemblée du Tiers-Etats en 1789, il en défendait naturellement les causes, tout en devenant secrètement le serviteur du Roi. L'armoire de fer et la brigade qu'il envoie en province pour discréditer l'Assemblée à la suite du décret obligeant les ecclésiastiques à prêter serment, sont des symptômes de l'ambigüité de ses positions politiques. Pour un aperçu romancé de sa vocation politique, voir Les Grandes Enigmes de l'Histoire, Genève, édition Magellan, 1998.

4 - Lumières sur l'Erotika Biblion de Mirabeau

La récente découverte de la mise à l'Index1 de l'ouvrage à côté des Romans et Contes de Voltaire, et Jacques le fataliste de Diderot, relativise son importance au sein de la littérature clandestine du XVIIIe siècle2. Même si la critique censoriale en pointe les erreurs théologiques, et construit sa réponse à partir des sources détournées qu'elle a identifiées, tout un travail génétique reste à faire pour en dresser l'inventaire. Avant cela, l'ouvrage était reçu comme une curiosité, tantôt blâmée, tantôt louée3, sans qu'aucune synthèse satisfaisante n'ait encore été écrite, tant la disparité, la diversité et l'importance des propos sont disparates ; à vrai dire, en proposer une synthèse - et ne serait-ce que l'ordonner - s'approche déjà plus d'une véritable lecture interprétative que d'un résumé objectif.

Deux ans après sa détention et l'écriture de l'Erotika Biblion, Mirabeau compose un sermon dans lequel est conceptualisée La nécessité d'une autre vie et les consolations dues à l'homme juste4. On peut considérer que ses lectures au donjon de Vincennes lui ont apporté matière à réflexion pour qu'il se sente apte à disserter sur la question de l'immortalité. En un sens, ce sermon serait une maturation de l'Erotika Biblion. Il y affirme des réflexions théologiques dont les premières traces se trouvent dans l'objet de notre étude : ses considérations politiques restent inchangées, ses rapports avec les interprétations exégétiques de même, tout comme son appréciation de la vertu et de la morale. Mais les teintes sensualistes présentes dans l'Erotika Biblion sont mises à mal, et avec elles, la consistance du bonheur, de la perfectibilité et de la justice connaît un subtil remaniement. Si l'on recherche un lien significatif dans toute sa production5 et ce sermon, il faudrait commencer par la religiosité ; Mirabeau n'est pas athée, et sa foi en la révélation constitue le ciment de ses constructions théologiques. La continuité de sa production littéraire est curieuse, mais sans doute serait-ce une mauvaise lecture que de comprendre l'Erotika Biblion comme la profession de foi d'un athée amoral.

L'ouvrage a suscité l'interrogation et l'intérêt de bon nombre de savants, il les même parfois inspirés, bien qu'il n'ait jamais connu la postérité6, sûrement à cause de la censure répétée jusqu'en 1890 et à la concupiscence de son objet. Parmi ceux-là se trouve le chevalier de Pierrugues. Les

1 Cf. « Errotika Biblion », par Amadieu Jean-Baptiste et Mace Laurence, Les Mises à l'Index des Lumières françaises au XVIIIe siècle dans La Lettre clandestine, n°25, dirigée par Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin, éd. cit, page 19.

2 N'allons pas dire que ces oeuvres partagent la même forme de clandestinité, l'objet de l'ouvrage de Mirabeau est clandestin de lui-même.

3 Seule la lettre du 17 novembre 1784, dans la Correspondance Littéraire Secrète, Paris, 1784, salue l'intention de l'ouvrage au sujet de sa visée politique.

4 Un sermon inédit de Mirabeau sur la nécessité de l'autre vie, tome 31, Revue des Deux mondes, 1916.

5 Nous n'inclurons dans sa création proprement littéraire que les ouvrages dont Mirabeau en assume la paternité dans sa correspondance ; soit, ses traductions latines, ses traités politiques, et surtout Ma Conversion, écrit en 1780, et l'Erotika Biblion, écrit la même année.

6 La collection de la Pléiade a bien publié une anthologie en 2005 où apparaît le roman Ma Conversion de Mirabeau ; mais rien en ce qui concerne l'Erotika Biblion, pourtant très édité depuis sa première parution jusqu'à nos jours. Voy. Romanciers libertins du XVIIIe siècle, T. II, éd établie par Patrick Wald Lasowski, Bibl. de la Pléiade, 2005.

- 5

commentaires du chevalier, publiés en 18331, doublent le volume du texte original et manifestent apparemment le désir d'en poursuivre l'esprit. Tout en apportant des illustrations denses et pertinentes au propos de l'auteur, ils assombrissent toutefois l'intention générale de l'oeuvre dans un continuum au discours initial, comme une toile de fond savante qui s'amuse à subvertir sans relâche les magistères religieux. L'ouvrage n'en est que plus curieux finalement, et ces commentaires peuvent tromper l'intention de Mirabeau ; c'est pourquoi nous ne les prendrons pas en compte lors de notre travail, pour nous contenter de l'édition princeps2. Car il y a besoin d'éclaircir le nuage opaque autour du texte et de l'intérêt qu'il suscite, ce dont témoigne d'ailleurs la réception de l'oeuvre : L'Erotika Biblion apparaît dans beaucoup de travaux universitaires. Il est souvent glissé en note de bas de page, peu relié au propos général, lors d'une supputation hasardeuse d'une source ayant servie à sa conception3, et parfois il n'apparaît pas du tout pour n'être cantonné qu'aux pages dédiées à la bibliographie. On le retrouve aussi sur les grandes ondes, dans la bouche pleine d'assurance d'un chroniqueur radiophonique, s'aveuglant sur le maquillage des références de l'édition princeps (une coutume répandue à l'époque...), pour dévoiler les raisons obscures de sa publication par l'imprimerie du Vatican4 . Les exemples sont nombreux et chacun avance son commentaire par des interprétations parfois farfelues ; il est donc grand temps de l'appréhender. Mis à part les éditions critiques de Charles Hirsch5, de Jean-Pierre Dubost6 et de Guillaume Apollinaire7, il n'existe aucun travail universitaire portant sur l'ensemble de l'oeuvre. On peut trouver des références à l'ouvrage en note de bas de page, mais comme nous l'avons dit, elles ne questionnent que l'intention et les sources de Mirabeau. C'est pourquoi il nous a semblé utile de dédier notre travail à des études littéraires sur l'Erotika Biblion.

1 Erotika Biblion de Mirabeau, nouvelle édition revue et corrigée sur un exemplaire de l'an IX et augmentée d'une préface et de notes pour l'intelligence du texte, Paris, chez les frères Girodet, 1833.

2 Ouvrage de référence pour notre travail ; les références données en corps de texte renverront à cette édition afin d'alléger l'appareil de note. Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII. Cote Enfer 1286 de la Bibliothèque Nationale de France.

3 Selon Marie Jo-Bonnet, Mirabeau aurait inventé le terme anandryne tout droit venu du grec ?íáíäñïò (sans époux, sans virilité), veuve, tribade ; cf. Les Relations amoureuses entre les femmes, Marie-Jo Bonnet, édition Odile Jacob, 1995, page 194. Elle appuie son hypothèse sur le fait que Mirabeau est le premier à employer le terme publiquement ; mais c'est sans compter sur sa probable ignorance du grec. De plus, Jean Dubost avance lui aussi l'ignorance du grec en commentaire du 12ème chapitre de l'Erotika Biblion, édition critique avec introduction, notes et variantes par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 143, page 141.

4 Lorsqu'on surprend un chroniqueur radiophonique expliquer la raison des publications d'écrits licencieux et pornographiques par le Vatican « pour en maîtriser l'édition et en assurer la distribution limitée aux confesseurs, aux enfers des bibliothèques et aux caves du Vatican », on frôle le paroxysme de la censure de l'Index ; écouter La Provence insolite : Erotica [sic] Biblion du comte de Mirabeau, par Jean-Pierre Cassely, France Bleu, le mercredi 18 novembre 2015.

5 Erotika Biblion, dans OEuvres érotiques de Mirabeau, collection L'Enfer de la Bibliothèque Nationale, Fayard,

1984.

6 Erotika Biblion, édition critique avec introduction, notes et variantes par Jean-Pierre Dubost, Paris, Honoré Champion, 2009.

7 L'oeuvre du Comte de Mirabeau, introduction, essai bibliographique et notes par Guillaume Apollinaire, Paris, Bibliothèque des curieux, 1921.

6 - Lumières sur l'Erotika Biblion de Mirabeau

La plupart des biographes de Mirabeau mentionnent Dom Augustin Calmet [1672-1757] - abbé bénédictin savant qui a accumulé une somme considérable de connaissances en visitant les prieurés de France - comme la principale source de l'ouvrage, mais personne ne donne la référence ; même Apollinaire nourrit cette piste, mais sans référer à des travaux universitaires1, tout comme Jean-Pierre Dubost2. Cette référence ne s'appuie pas non plus sur des documents officiels.3 On ne peut prouver cette source d'inspiration, toutefois on apporte des éléments clairs affiliant les écrits de l'Abbé à l'Erotika Biblion de façon très pertinente. Le neveu et successeur de l'abbé, Augustin Fangé, a laissé un mémoire4, traitant de toute la production littéraire de son oncle ; il y donne les titres de chacune des éditions qui auraient pu se trouver en possession de Mirabeau. Parmi toute la production du savant bénédictin, il semblerait que ce soient les Dissertations qui peuvent servir de prolégomènes de l'Écriture Sainte5 qui auraient pu nourrir sa réflexion. Il existerait plusieurs intitulés de ces fameuses dissertations. On trouve dans La Vie du très-révérend père D. Augustin Calmet, Abbé de Senones, plusieurs titres qui auraient pu l'inspirer :

- Dissertations qui peuvent servir de prolégomènes sur l'écriture sainte, revues, corrigées & considérablement augmentées, & mises dans un ordre méthodique, 1720 à l'initiative d'un libraire voyant là de quoi assurer sa fortune, mais qui ne répondent pas aux vues de Dom Calmet sur son travail.

- Nouvelles dissertations sur plusieurs questions importantes & curieuses, qui n'ont point été traitées dans le commentaire littéral sur tous les livres de l'ancien & du nouveau testament, chez le même éditeur, 1722. Cette fois, Dom Calmet est à l'origine de la recomposition de son travail et en profite pour l'augmenter de plusieurs dissertations.

- Trésor d'antiquité sacrées & profanes, tirées des commentaires du R.P Augustin Calmet sur l'écriture sainte, par un certain Geoffroi Clairmont, prédicateur français à Amsterdam, pour le moment sans date.

Bien que le catalogue de la bibliothèque de Mirabeau ne recense aucun de ces titres (on n'y trouve que le Dictionnaire historique de Dom Calmet), il n'est pas impossible que l'ouvrage ait tout de même été en sa possession. D'ailleurs, Augustin Fangé en signale une première édition en 1715 par « un libraire d'Avignon, dans l'espérance d'un gain considérable, [qui] s'était avisé d'imprimer séparément les dissertations de D. Calmet6 » ; l'édition, in-8° en cinq volumes, format discret et transportable, aurait pu se retrouver dans ses biens à Vincennes ; Avignon et le fief de Mirabeau se

1 Idem, page 19.

2 Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 9 et note 19, page 123.

3 J'ai recherché en vain aux Archives Nationales, un document référençant les biens détenus par Mirabeau en détention.

4 La Vie du très-révérend père D. Augustin Calmet, Abbé de Senones, par Augustin Fangé, Senones, chez Joseph Pariset, 1742.

5 Dissertations qui peuvent servir de Prolégomènes de l'Écriture Sainte, revue, corrigées, considérablement augmentées, et mises dans un ordre méthodique, par le R.P. Dom Augustin Calmet, 3 tomes, Paris, chez Emery, Saugrain et Pierre Martin, 1720.

6 La Vie du très-révérend père D. Augustin Calmet, Abbé de Senones, par Augustin Fangé, éd. cit, page 341.

- 7

trouvent d'ailleurs à une centaine de kilomètres l'un de l'autre. Ces livres sont rares car il n'en existe que deux exemplaires à notre connaissance ; mais par chance, on peut les consulter à la bibliothèque de médecine de Montpellier1 . Aussi, si l'on se fie aux ventes des livres théologiques les plus populaires de l'époque, on ne trouve pas en tête le Dictionnaire, mais les Dissertations qui n'ont d'ailleurs connu aucune réédition depuis 1722.

La curiosité n'est pas toujours déterminée par une problématique ; et assurément, l'Erotika Biblion est une curiosité. En proposer une lecture interprétative s'avère laborieux, tant on est éprouvé par la disparité des thèmes abordés par Mirabeau. L'ouvrage résiste aux tentatives de catégorisation (certains l'identifient comme un traité, d'autres un manuel ; et la nature de la démonstration - dissertation ou commentaire - est difficile à déterminer) : l'intention de Mirabeau n'est pas évidente, la lecture est difficile, le texte hermétique. Aussi, nous serions immédiatement tentés de nous tourner vers l'idéologie de l'ouvrage : n'est-elle qu'une relecture de la Bible ou juste une pure invention née d'une imagination débridée ? Son auteur, est-il athée ou déiste, voire théiste, relevant l'idée de Dieu par les thèses sensualistes ? Plus simplement, Mirabeau croit-il dans les fondations théologiques de son oeuvre ou s'amuse-t-il seulement à subvertir les interprétations exégétiques ? L'ouvrage est évidemment né d'un goût pour la provocation, mais cela ne nous oblige en rien à le réduire à une mosaïque de récits inventés, parodiés ou détournés ; et même si c'était le cas, l'idée de sa confection est, en elle-même, significative d'un rapport prolixe aux textes sacrés. Heureusement, le comte laisse des indices permettant d'appréhender son intention : notamment par son style, et par des éléments intertextuels qui, une fois reconnus, nous invitent à suivre une piste dégagée de ce genre de soupçons. Grâce aux ressources que nous avons identifiées et les résultats d'un travail d'analyse stylistique, nous pouvons considérer plus sûrement les fondements philosophiques de l'ouvrage. On s'aperçoit rapidement que Mirabeau profite des équivocités de certains passages bibliques afin de proposer une interprétation très différente de celle dispensée par les apologistes. À partir de son rapport au sacré, il construit une pensée contenant l'expression politique répondant à ses interprétations théologiques. Il y aurait une sorte de triptyque composé par la sexualité, le savoir et la politique avant l'heure2 : l'association sacrée de la sexualité au savoir pour disputer la justification systématique du pouvoir

1 Voici les côtes que j'ai pu consulter dont l'annexe du mémoire a été étoffée selon leur pertinence : Dissertation qui peuvent servir de prolégomènes de l'Écriture Sainte [Ab 67 in-4] ; Commentaires sur l'Ancien et le Nouveau Testament [Ab 68 in-4] ; Histoire universelle [Fb 96 in-4] ; Dictionnaire historique [Ab 5 in-fol] ; Supplément au Dictionnaire [Ab 6 in-fol].

2 Sachant l'importance du rôle de Mirabeau lors de la révolution de 1789, on pourrait considérer son ouvrage comme le pressentiment de l'impact du triptyque sexualité, savoir et politique dans les bouleversements sociaux nés d'une manifestation libertaire ; il s'agit des thèses de Foucault. Mais nous n'avons aucunement l'intention de prêter ce dessein à Mirabeau dans ce travail.

8 - Lumières sur l'Erotika Biblion de Mirabeau

en place. Mais loin de relire l'idéologie de Mirabeau avec les thèses de Foucault1, la problématique doit se fixer sur un point de départ : Mirabeau, à la manière d'un théologien, intègre-t-il son système idéologique dans les vues de Dieu ? Et comment justifie-t-il l'absolu d'une telle volonté ? Finalement, se fait-il l'ennemi des institutions religieuses ? Qui vise-t-il ? L'ouvrage, est-il construit comme une critique politique, donc comme une accusation formelle d'imposture à l'encontre de l'Église ? Ces questions sont déjà plus pertinentes, car elles chercheraient à caractériser le texte par sa réception par la Congrégation de l'Index ; mais en vérité, elles reviennent à se demander si Mirabeau a écrit pour lui-même ou pour un autre. Cette dernière question est extrêmement féconde : Erotika Biblion, écrire une Bible ! n'est-ce pas se prendre pour le prophète de Dieu : Moïse ? Quel rapport entretient-il avec ses propres écrits, avec ceux des autres ? Et de quelle façon se sent-il inspiré ? Dès lors, ce genre de problématique insère un degré d'ironie inhérent à l'ouvrage. Voilà qui nous permettrait de juger plus objectivement et plus sûrement de son intention. Nous avons dit que Mirabeau écrit dans la perspective d'élaborer et de justifier intellectuellement une idée de Dieu pour procurer toute la cohérence nécessaire à son projet anthropologique.

Il s'agirait plutôt d'interroger son rapport au divin dans le sein de l'idéologie de l'époque, celle des Lumières, faite d'un profond rejet des systèmes métaphysiques et d'une volonté de gratifier l'homme de la juste maîtrise de sa vie et de son destin. À ce niveau, de quelle façon Mirabeau établit-il la nature divine de son projet anthropologique ? Ses fins politiques sont-elles en adéquation avec l'idéologie des Lumières ? Définirait-il le progrès dans un rapport au sacré ? Le conçoit-il dans un déterminisme divin ? Mirabeau a répondu à ces dernières questions, preuve que son ouvrage procède d'une cohérence approfondie par des réflexions affinées. Aussi, elles nous guideront lors de ce travail. En même temps que le développement de la pensée de Mirabeau, nous prendrons le soin de clarifier les articulations logiques nécessaires à son projet anthropologique. Aussi, il nous a semblé pertinent d'aborder ces questions par trois grandes parties : le Verbe, la Religiosité, et la Politique ; autrement dit, le rapport à l'Écriture - dans son sens large : stylistique et sacralité - aboutit à un rapport significatif avec Dieu qui se prolonge dans l'élaboration d'un système politique que Mirabeau conçoit comme un rapport du législateur avec le bien commun ou souverain bien.

Le rapport à l'écriture dans un premier temps, nous permettrait de clarifier les procédés ironiques employés par Mirabeau afin de jauger du degré de subversion entretenu dans sa stylistique savante. La principale difficulté consiste, non pas à distinguer ses propres écrits des pillages opérés chez les autres, mais à concevoir l'ouvrage comme résultant d'une intention propre et personnelle

1 Cf. Histoire de la sexualité, Michel Foucault, 3 tomes, Paris, Gallimard, 1976 et 1984.

- 9

qui se laisserait appréhender dans la cohérence de son ensemble. Il faut rechercher une unité de composition en étudiant, chapitre après chapitre, les différents emplois des pronoms personnels, rechercher les tournures de phrase qui lui sont propres, relier les motifs, les figures, les problématiques reprises d'un chapitre à l'autre, et définir une structure type qui revient le plus souvent quand une démonstration est élaborée. Comme il nous faut relever les écrits d'autrui pour ce travail, nous en profitons pour évaluer, et si possible authentifier, les sources et références utilisées. La religiosité dans un deuxième temps, est l'étude du rapport au divin permettant de justifier le projet anthropologique. Mirabeau élabore son idée de Dieu dans un rapport à la sexualité comme le point de départ, la preuve et le témoin de l'existence divine. Comme la sexualité est perçue à travers des pratiques qui ont évolué, il suffirait de définir la jouissance comme le point central de ses conceptions théologico-politiques s'il ne relevait pas la déviance des désirs sexuels et leur portée funeste comme un obstacle à l'épanouissement d'une société. Il en vient même à élaborer l'esquisse d'une philosophie où la femme est à la fois réceptrice et émettrice de sensation sexuelle ; il caractérise enfin le sexe féminin et ses attraits sur l'autre sexe comme la manifestation d'une volonté divine, preuve de son existence et de sa toute-puissance. Notre problématique interroge la portée d'une telle puissance divine, et avec elle, la notion du progrès et de la perfection que nous confrontons avec la lecture que Jean-Pierre Dubost propose dans son introduction à l'ouvrage1. Nous en profitons pour augmenter l'étude de la charge ironique du discours. Enfin, la dernière partie est toute politique et ambitionne de reconstruire le système anthropologique de Mirabeau, génie politique de son temps. Disséminé dans les chapitres, ce système retrouve toute sa cohérence une fois reconstruit autour du rôle du législateur - position centrale dans la réflexion politique de Mirabeau - dont l'autorité repose sur les moeurs de son peuple, définis comme des goûts particuliers et des désirs naturels à satisfaire. Utilitariste, Mirabeau fixerait le bien commun et le spécifierait selon le bien naturel et le souverain bien ; deux conceptions différentes du bien qu'il partage entre le déterminisme naturel, la reproduction, et le déterminisme divin, l'accomplissement propre. L'homme, croyant que son devoir envers Dieu se situerait au-delà des choses sensibles, est capable de détourner les desseins naturels de la reproduction ou de dédaigner l'appel de ses pulsions ; Mirabeau a prévu une réponse adaptée à chacune de ces contrariétés. À la fin de la partie, nous exposons une éventuelle source, originale, qui l'aurait directement inspiré.

1 Jean-Pierre Dubost s'acquitte de la perfectibilité et du progressisme selon l'idéologie de Mirabeau en ramenant le premier chapitre « Anagogie » à l'avènement futur d'un métamorphisme généralisé, selon le mythe diderotien. Le progrès reviendrait à un investissement sensoriel qui évoluerait avec l'ancienneté de l'humanité et son contrôle sur l'environnement. Nous en dirons l'essentiel et citerons les exemples lors de l'analyse. Voy. Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 13.

10 - Lumières sur l'Erotika Biblion de Mirabeau

L'annexe comporte nos outils d'analyse, notamment une retranscription des évocations et allusions référencées dans l'ouvrage. Six pages de sa correspondance sont annexées ; étant indispensables pour aborder certaines hypothèses du mémoire, nous les avons recopiées pour épargner au lecteur une recherche dans quatre volumes assez bien garnis. Il y a aussi un extrait de la correspondance salonnière de Diderot et quelques pages tirées du Dictionnaire et des Dissertations de Dom Calmet.1

1 Cet ouvrage n'est consultable que dans deux lieux de conservation seulement et n'a connu ni numérisation, ni réédition depuis 1722.

- 11

Au Commencement était le Verbe

En supposant que Mirabeau se trouvait en possession de textes d'autrui pour composer son ouvrage, comment pourrait-on identifier ces sources, les propos initiaux qui lui auraient servi d'inspiration ? On les retrouverait aisément en étudiant les visées axiologiques et les constructions idéologiques de l'Erotika Biblion, mais il est fort probable que l'intention initiale des sources textuelles ait été confondue, voire détournée.

Pour éclaircir l'étendue des ressources de Mirabeau, nous nous sommes employés, dans un premier temps, à rechercher les ouvrages cités dans le texte afin de vérifier l'exactitude des citations et de saisir la signification des curieux mélanges de culture qui ponctuent le discours. Puis, en étudiant le degré de subversion entretenu dans le style et en catégorisant les détournements des sources textuelles, nous avons été en mesure d'esquisser le positionnement axiologique de l'auteur vis-à-vis de ses sources, ainsi que de définir son éthos masqué subtilement derrière une stylistique savante mobilisant elle-même les propos d'autrui. Que ce soit par le degré d'altération des citations, ou par les expressions et tournures de phrase qui semblent propres à l'auteur, la manière de recomposer les sources servant d'inspiration est la manifestation la plus visible d'une intention de l'écriture. Mais comme bien souvent, il est plus facile de savoir comment un texte littéraire est construit que de trouver les raisons de sa conception, surtout lorsque le texte présente des curiosités idéologiques.

Puisque Mirabeau semble se dévoiler particulièrement lorsqu'il contextualise une source ou une citation, on pourrait penser que l'ouvrage a d'abord été conçu comme la façon la plus originale de penser et de commenter ces sources. Et si la raison de sa conception était réductible à la volonté de traiter les lectures et auteurs qui ont servi de passe-temps vertigineux au sein d'une solitude, l'Erotika Biblion ne serait-il plus qu'un patchwork de commentaires déliés sur des textes éclectiques ? En un sens, il est enfermé depuis deux ans, pour la quatrième fois et de façon arbitraire par lettre de cachet à la demande de son père. Il en ignore les raisons ; il ne cesse de les demander aux autorités compétentes tout au long de sa détention ; il espère pouvoir s'en dégager ; et surtout, il souhaite défendre sa liberté. Le sentiment d'impuissance certainement, l'amène à protester vivement contre toutes les formes de pouvoir arbitraire et despotique1. Grâce à l'Erotika Biblion, il aurait trouvé un sujet bien familier, la sexualité, lui permettant d'exercer sa parole - exercice primitif du pouvoir2 -,

1 On relève parmi sa production littéraire à Vincennes, un traité politique significatif et univoque d'un rapport séditieux avec le pouvoir royal ; voy. Des Lettres de cachet et des prisons d'État : ouvrage posthume composé en 1778, Hambourg, 1782. N.B : Il est possible que l'ouvrage ait été imprimé de son vivant, et publié après sa mort ; sinon « ouvrage posthume » serait en contradiction avec la date de publication.

2 Pour Pierre Serna, exercer la parole dans une vue contestataire du pouvoir reviendrait à une forme de requête au

12 - Au commencement était le Verbe

de répondre aux auteurs et productions littéraires faisant autorité en la matière, d'éclairer l'héritage historique qui expliquerait logiquement les convenances de la sexualité - vues comme une privation de liberté. Il pourrait accuser l'abscondité des raisons privant l'individu de liberté en démontrant qu'elles reposent sur la superstition, la crainte du péché, et un interdit chimérique divin. Car, pour autant que l'on puisse prêter à son ouvrage une intention spécifique, Mirabeau ne lui donne aucune fin particulière lorsqu'il le présente à Sophie de Monier.

Il t'amusera [ce manuscrit] : ce sont des sujets bien plaisants, traités avec un sérieux non moins grotesque, mais très décent. Croirais-tu que l'on pourrait faire dans la Bible et l'antiquité des recherches sur l'onanisme, la tribaderie, etc. etc. enfin sur les matières les plus scabreuses qu'aient traité [sic] les casuistes, et rendre tout cela lisible, même au collet le plus monté, et parsemé d'idées assez philosophiques ?1

Les raisons de la conception de l'Erotika Biblion ne sont pas explicitées ; et pourtant, elles ont fait office de justification systématiquement discriminatoire pour perpétrer et poursuivre la censure dans la production littéraire de l'auteur. Pour l'essentiel, l'ouvrage était réduit à l'expression obscène d'une sensualité bridée par la captivité, ou ramené au besoin de se procurer rapidement des moyens afin de pourvoir aux besoins matériels immédiats. Devant l'absence totale de justification de l'oeuvre, il faudrait s'abstenir de lui prêter une sur des critères autres que littéraires, ou tout au plus maintenir sa pertinence hors de toute appréciation de l'état de l'auteur, matériel et émotionnel, même s'il s'agit de contraster cet « écart » au vu de toute sa production littéraire2 . Notons que les sensibilités se rencontrent lorsqu'il s'agit d'incorporer l'ouvrage dans la production littéraire de Mirabeau ; le paradoxe, né d'une pensée politique sérieuse côtoyant l'obscénité, divise l'opinion qu'on se forme de lui, et plutôt que de le laisser poursuivre sa course infernale, on souhaiterait presque le rayer d'un trait de plume ; peut-être pour absoudre l'auteur devant le tribunal des belles lettres, quitte à faire l'impasse sur le poids de ses écrits clandestins dans sa pensée politique. Inutile de dire que c'est amputer l'héritage idéologique de Mirabeau que de fermer les yeux sur l'Erotika Biblion ; et selon des considérations plus générales, choisir la cécité face à l'altérité revient à se priver des perspectives pertinentes pour formuler une problématique. Ce qui reviendrait à ne pas pouvoir répondre aux enjeux qui regardent l'appréhension présentée par des sujets gênants, en établissent une juste

pouvoir en place. Dans la logique du déclassé, l'auteur qui décrit ou conteste les rouages du pouvoir offre un négatif de la réalité permettant de mieux la renverser ; ses écrits apparaitraient alors comme un chantage dont l'enjeu est le reclassement de sa propre classe écartée de ses prérogatives et de ses richesses par la monarchie absolue instaurée par Louis XIV. Voy. « Sade et Mirabeau devant la Révolution française », Pierre Serna, dans Politix, vol. 2, n°6, printemps 1989, pp. 75-79.

1 Lettre à Sophie, le 21 octobre 1780, dans Lettres originales, écrites du donjon de Vincennes, pendant les années 1777, 78, 79 et 80, recueillies par P. Manuel, T. IV, Paris, Chez J. B. Garnery, 1792, page 298.

2 Louis Barthou qualifie l'ouvrage d'inavouable et ramène la production littéraire de Mirabeau à un gaspillage prodigieux de son talent, ce qui n'était apparemment pas le sentiment de leur auteur. Voy. Mirabeau, Louis Barthou, Figures du passé, Paris, Hachette, 1913, page 69.

- 13

compréhension et en conditionnent un certain degré de tolérance.

La somme de savoir nécessaire pour rédiger l'Erotika Biblion s'étend jusqu'à une époque très ancienne, Mirabeau souhaite remonter aux origines spirituelles de la sexualité. En joignant la sexualité et la philosophie - deux matières toujours mises de pair dans la littérature pornographique du XVIIIe siècle -, il dévoile l'esprit de l'ouvrage sans pour autant justifier son champ d'étude, sa problématique et son corpus.

Ce n'est pas un ouvrage pornographique, car sa prétention est érudite ; c'est une recherche, une curiosité dont la fin n'est pas définie et qui articule au souci de plaire à son lecteur, celui de l'instruire. La confection de l'Erotika Biblion a nécessité l'étude de divers auteurs souvent plagiés à la virgule près dans l'ouvrage. Or, le plagiat présentait le risque d'une confusion inhérente à la composition d'un texte assemblé à partir de sujets initialement différents ; mais non sans cohérence, les propos initiaux adhèrent et correspondent au sujet central du texte, malgré la divergence des sources : de l'Encyclopédie1 au manuel de guerre de Santa Cruz2, la sexualité a une place prépondérante dans l'Erotika Biblion, elle lui transmet cette cohérence qui rend le texte si curieux. Aussi, l'intention la plus évidente de Mirabeau est de reconstruire une spiritualité primitive faisant de la sexualité, une injonction originelle. Échafaud idéologique de son ouvrage, son rapport au sacré ne concerne pas seulement le christianisme, mais aussi les mythologies antiques grecques, égyptiennes et judaïques. Il leur suppose des traditions et des pratiques communes à propos de la sexualité, (telles que la circoncision, le rôle des institutions dans l'éducation sexuelle, la féminité en tant que vecteur transcendantal et divin) pour les établir comme des coutumes courantes et répandues dans l'Antiquité, afin de les comparer de façon originale avec les pratiques contemporaines ; toute loi axiologique promulguant l'abstinence ou l'interdit sexuel serait alors une hérésie. Les civilisations antiques servent d'éléments de comparaison avec la contemporanéité ; aussi, l'étude de Mirabeau en serait presque diachronique s'il n'y avait cette recherche des origines qui apparaît comme une déduction d'envergure visant à asseoir la sexualité comme une spiritualité originelle, la préoccupation première, la raison d'être de l'humanité.

Souvent décrié comme un ouvrage se contentant de décrire la perversion des Anciens, l'Erotika Biblion contient pourtant des démonstrations plus subtiles si l'on relie les motifs et les problématiques repris d'un chapitre sur l'autre. Sa source de prédilection étant la Bible, notamment les livres de l'Ancien Testament, il ramène la sexualité à une transcendance originale. Pour ce faire,

1 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, 17 tomes, Paris, Chez Briasson, David, Le Breton et Durand, 1751-1765.

2 Réflexions militaires et politiques de Monsieur le marquis de Santa Cruz de Marzendo, traduites de l'espagnol, La Haye, Chez Jean Vau Duren, 1734.

14 - Au commencement était le Verbe

Mirabeau construit d'abord la sexualité originelle par l'étude de différentes spiritualités pour la confirmer dans l'Écriture. Mais la recherche de cette sexualité n'est jamais explicite. Elle n'apparaît pas dans un absolu fracassant le rythme du texte, elle se fait dans un rapport constant à différentes spiritualités, contemporaines ou anciennes. Le rapport constant des sources anciennes avec la Bible caractérise le texte par l'objectivité, qui apparaît alors comme savant. Mirabeau écrit dans un style savant : son écriture mobilise une érudition éclectique dont la prétention est de traiter objectivement son objet sans trancher ou écarter les aspérités problématiques. La démarche se veut scientifique : il s'agit de construire une connaissance méthodique par la formulation d'hypothèses adoptées par des faits ou par les textes. Mirabeau dédaigne l'exercice exégétique ; pour lui, l'inspiration divine revient à une connaissance sans fondement produisant une idée arbitraire des ordres divins.

Le texte serait presque limpide s'il n'était pas ponctué d'une charge subversive et comique, inhérente à l'usage de l'ironie. Et comme l`objet de l'ouvrage était déjà hardi, on pourrait se demander si l'humour ne le dessert pas plus qu'il ne lui est secourable.

Spiritualité, sexualité, et philosophie sont les ingrédients clefs de l'Erotika Biblion, alors comment s'organise la subversion dans la cohérence du texte ? Dans sa lettre à Sophie, Mirabeau confesse le souci de traiter sa recherche décemment, de façon à la rendre recevable et compréhensible. Les soucis de cohérence, de décence, et de pertinence impliquent une écriture proche de son sujet. Et en même temps, le ton objectif instaure suffisamment de distance avec le sujet pour ne pas heurter les convenances, d'où peut-être l'emploi de l'ironie. La particularité du style de Mirabeau est de trouver une juste mesure entre la dénonciation et l'approbation forcée de ce qu'il lit dans la Bible. Mais l'irone est bien plus qu'un secours stylistique. Les propos ironiques procèdent d'un double discours repérable par le ton comique, largement inspiré de Voltaire, ou par des marques dissonantes prenant la forme de noms célèbres, de témoignages inventés par Mirabeau pour nourrir l'argumentation de crédit et de véracité. L'intention de l'écriture se complexifie. D'une part, ce double discours malmène les préjugés et les bienséances au regard d'un progrès spirituel, moral et artistique ; mais d'autre part, l'ironie présente le risque de renverser l'argumentation par dissonance avec la gravité requise selon les conventions, pour traiter des conceptions sérieuses d'un sujet si sensible, la sexualité. D'ores et déjà, on peut diviser les effets ironiques en deux fonctions : démontrer que seuls les préjugés sont à l'origine d'un interdit sur la sexualité, et procurer du crédit et de la véracité par effet de dissonance aux sources inventées pour appuyer l'argumentation.

Notre analyse identifie les procédés d'une ironie « savante » par une étude stylistique abordant l'oeuvre comme une unité, une composition originale pour en dégager une première cohérence d'ensemble ; dans un second temps, nous isolons quelques procédés d'ironie savante pour illustrer le concept de dissonance et interpréter plus significativement la charge subversive du style dans la

- 15

cohérence de l'ensemble de l'oeuvre. Nous classons ensuite les références citées par Mirabeau selon leur affinité religieuse pour situer plus exactement l'héritage théologique de son interprétation des mythes.

La production littéraire de Mirabeau est riche : il traduit les Elégies de Tibulle, des contes, écrit des traités politiques, de médecine, des sermons religieux, un abrégé de grammaire française, entretient des correspondances abondantes et s'adonne même au roman-mémoire. Son style, vif et incisif, se prête particulièrement à des genres composés pour l'oralité (le sermon, le conte et la poésie) ; mais son écriture n'en est pas moins protéiforme, car à chaque genre pratiqué, son expression s'enrichit du lexique agréé, témoin d'études poussées sur les sujets abordés. Rappelons qu'il est avant tout un redoutable orateur qui défend sa propre cause devant les magistrats, lors de maints procès dirigés contre lui, qu'il a dirigé ensuite, en quelques phrases, un acte protestataire vers un mouvement qui s'autoproclame Assemblée Nationale1 , et que sa vocation politique l'amène naturellement à concevoir la langue comme un outil puissant au service d'une cause.

On pourrait considérer que la littérature lui apparaît de même, comme un investissement volontaire requérant de l'application et du travail, et que toute intentionnalité d'écriture repose sur un enjeu propre, une cause, une conception personnelle à défendre ou à reconstruire. En conséquence, on devrait retrouver une certaine cohérence axiologique entre l'Erotika Biblion et ses autres écrits, ou du moins établir différentes logiques pour assimiler le projet anthropologique de l'ouvrage avec une idéologie de la liberté et du bonheur inhérente à sa production littéraire. D'ailleurs, cette recherche de cohérence est formulée dès les premières pages dans l'introduction de Jean-Pierre Dubost.

Pour expérimenter les articulations toujours nouvelles et toujours risquée de l'éros et de la raison, Mirabeau ne choisit pas, comme le fait Sade, de mêler intimement les ruses de la fiction à l'érudition. Il préfère séparer les genres, en écrivant parallèlement deux textes complémentaires et foncièrement différents - d'un côté un roman libertin, Ma Conversion ou Le Liberté de qualité, et de l'autre Erotika Biblion [...].2

Il peut être difficile de catégoriser un genre « savant » ou « érudit » en littérature, surtout pour comparer deux textes, l'un relevant de la fiction, et l'autre de l'érudition ; d'autant plus que l'Erotika Biblion relève des deux à la fois. Par les procédés d'écriture en revanche, on pourrait établir un style articulant la fiction et l'érudition sous couvert d'un ton général : l'ironie savante.

1 23 juin 1789, Henri-Evrard, marquis de Dreux-Brézé, grand maître des cérémonies, communique l'ordre royal dispersant l'Assemblée Constituante. Alors que les députés du Tiers-Etat hésitaient sur le comportement à adopter, seul Mirabeau se lève et prononce la locution engageant la révolution française, que la tradition déformera : « Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté du peuple, et qu'on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes. »

2 Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, ed. cit, page 7.

16 - Au commencement était le Verbe

Le ton savant de l'Erotika Biblion pourrait d'abord se comprendre comme le désir d'assimiler l'objet de sa démonstration, la sexualité, à l'objectivité. De facto, sa première fonction est de diminuer la charge licencieuse et déplacée d'un tel objet, et d'en constituer le coeur d'un raisonnement recevable et digne d'être argumenté. Par ailleurs, Mirabeau définit lui-même son style comme passable, non pas médiocre, mais recevable et honnête ; un style adaptable selon le ton de son objet, comme une capacité à livrer une pensée propre, son caractère, son esprit et ses sentiments sans choquer les conventions et la bienveillance du lecteur.

Mon style est passable, parce qu'il est à moi ; parce que communément j'ai le ton de la chose que je dis ou que j'écris, attendu que je ne dis et que je n'écris que ce que je pense : c'est là, je crois, le grand secret. Suivre son caractère propre, la tournure naturelle de son esprit et les inspirations du sentiment.1

Il paraît étrange de considérer l'expression de soi comme une convention stylistique recevable. D'ailleurs, on recense dans l'Erotika Biblion2, 64 occurrences d'un pronom personnel à la première personne renvoyant à l'auteur-narrateur. Et malgré le titre de l'ouvrage, on constate curieusement que le ton employé est différent de celui adopté dans la littérature érotique de l'époque. Pourtant, on y traite essentiellement d'érotisme (31 anecdotes concernant la sexualité) tout en maintenant son objet à distance par un ton savant, un style objectif et apparemment neutre. Contrairement à ce que le titre laisserait supposer, l'ouvrage n'est en rien pornographique. C'est même tout l'inverse ; grâce à des renforts de raisonnement et des références savantes, le ton s'approche plus d'un essai que du récit pornographique. Mirabeau a pourtant déjà versé dans les textes pornographiques, et les idées en la matière ne lui manquaient pas pour renouveler le genre3. Rien de tel dans l'Erotika Biblion, car l'association entre la sexualité et le savoir l'amène à construire un discours appuyé par des éléments discursifs plagiés sur autrui, et par conséquent cadencé par des allusions et des citations provoquant des variations sémantiques et stylistiques dans le texte. De facto, le discours étale une richesse lexicale qui l'aide à être reçu comme un texte érudit traitant de sexualité4. Ponctué par la première

1 Lettres à Sophie, le 28 décembre 1778, dans Lettres originales, écrites du donjon de Vincennes, pendant les années 1777, 78, 79 et 80, recueillies par P. Manuel, T. II, éd. cit, page 445.

2 L'ouvrage de référence pour notre travail est l'édition princeps ; Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII. Cote Enfer 1286 de la Bibliothèque Nationale de France.

3 On lui prête bien des écrits licencieux dans le genre pornographique, mais le seul attesté par sa correspondance est Le Libertin de qualité, ou Confidences d'un prisonnier au château de Vincennes, Auri Sacra fames, écrites par lui-même, éd. cit. Son originalité provient de la nature du moteur de la narration : l'argent. Auri Sacra fames (l'exécrable faim de l'or) constitue la qualité d'un libertin qui ne se prête plus aux femmes par désir charnel mais par rémunération, faisant ainsi la différence avec le libertin de moindre qualité, mal éduqué, mal contrôlé. Voy. « Ma conversion, ou la puissance satirique du grotesque », Valérie Van Crugten-Andre, dans Lumen : travaux choisis de la Société canadienne d'étude du dix-huitième siècle, vol. 15, 1996, pages 215 à 228.

4 Par exemple, le dernier chapitre, « La Linguanmanie », relève un nombre significatif de termes empruntés à l'érudition hellénistique pour accuser les déviances des pratiques et des institutions d'ordre sexuel dans l'Antiquité. Le dispositif éditorial procède d'une ironie savante en donnant leur définition et plus de détails en langue originale dans les notes de bas de page.

- 17

personne en tant que témoin d'une situation initiale dont l'étonnement justifie la dissertation, le discours opère une distanciation caractérisant le texte par l'objectivité.

Alors pourquoi parlons-nous d'ironie savante ? Parce que la fiction est invitée dans l'argumentation à grands renforts de preuves factices ou par stratégie argumentative. Nous la mettons en évidence en étudiant la dissonance et la charge subversive du discours après avoir dégagé la cohérence générale de l'ouvrage.

Ordre et unité d'ensemble

Plus qu'un aperçu de son contenu, il fallait une synthèse des onze chapitres de l'Erotika Biblion pour y trouver un lien, la cohérence poursuivie par Mirabeau afin d'ordonner et d'unifier son oeuvre. Notre ouvrage de référence étant l'édition princeps, le douzième chapitre « Zonah »1 publié par Jean-Pierre Dubost est absent de notre étude ; il n'a jamais été terminé. L'Erotika Biblion est un ouvrage inachevé. Sa logique de composition, l'ordonnément des chapitres peut en souffrir ; aussi, nous nous appliquons consciencieusement à pointer les difficultés pour établir son ordonnément. Plutôt que d'en proposer un seul, nous en abordons plusieurs possibles. Aussi, il faut dire que l'absence du dernier chapitre n'ampute rien à la cohérence générale de l'oeuvre. Pris à part, un chapitre est significatif de lui-même, et ensemble, ils concurrent à une seule et même démonstration joignant la libération sexuelle au bonheur, à l'accomplissement propre. Même si cette partie de notre travail fait office d'une présentation de l'oeuvre et de son contenu, l'objectif de notre synthèse n'est pas seulement d'être un point de départ à une étude stylistique, elle permet aussi une meilleure compréhension de l'ouvrage. En dégageant plusieurs logiques de composition, nous considérons plus sûrement sa richesse, ses équivocités, son unité stylistique et sa charge ironique, subversive et dissonante.

Résumés des chapitres

Nous avons, autant qu'il se peut, adopté un esprit synthétique et objectif. Certains chapitres souffrent d'un manque de cohérence d'ensemble, et nous avons fait l'effort de la démêler en reconstruisant la hiérarchie des éléments significatifs en son sein. Il est vrai que cette hiérarchisation peut être contestée, car Mirabeau n'insiste parfois pas autant sur ceux que nous mettons en avant. De

1 Aucune correspondance au terme, sinon æþíç (zone, ceinture) ; par métonymie, Jean-Pierre Dubost propose ventre. Ce court chapitre n'a qu'une poignée de pages qui traitent des plus célèbres courtisanes grecques. Voy. Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 143, page 141.

18 - Au commencement était le Verbe

plus, il se donne rarement la peine de lier les éléments introductifs avec les conclusions en fin de chapitre, tant la cohérence doit lui paraître évidente. Or, le manque d'évidence est justement le problème dont souffrent toutes les lectures qui se sont essayées à synthétiser, voire à résumer, l'oeuvre. Mais nous montrons de la cohérence par notre reconstruction des chapitres. Cette hiérarchie fonctionne dans la mesure où la disposition des éléments en fonction de leur importance idéologique dans la démonstration, ne souffre pas d'autocontradiction.1

« Anagogie » (1er chapitre, 20 pages) : Du grec, ?íá (en haut) et ?ãùã? (conduite), par extension recherche du sens mystique. Un manuscrit antique découvert à Herculanum [contextualisation historique ; #177; 33 lignes], raconte la révélation de Shackerley, un voyageur visitant Saturne. Le manuscrit est daté d'un millénaire avant la venue du Christ [contextualisation mythique ; #177; 22 lignes]. Après la description de la planète [#177; 26 lignes], des observations astronomiques [#177; 47 lignes], et de l'anneau de Saturne [#177; 62 lignes], le discours réfléchit le crédit des révélations anagogiques par analogie avec les croyances aveugles en l'Apocalypse et d'autres textes anciens, dont les traductions incertaines peuvent nourrir des fantasmes mystiques et produire des interprétations farfelues. La juste appréciation du texte de Shackerley est impossible puisqu'en l'occurrence, les conséquences des effets de la pesanteur [#177; 48 lignes] et la perfection du peuple saturnien [#177; 85 lignes] sont incompréhensibles car ils sont hors de nos sens, hors de notre entendement, et ne constituent pas un idéal adéquat et désirable pour le genre humain. Le chapitre se finit sur la consistance du bonheur absolu de l'être saturnien [#177; 45 lignes], et l'auteur propose la traduction du manuscrit de Shackerley à l'Europe savante [#177; 12 lignes]. Ce chapitre interroge la consistance du progrès et de la perfectibilité pour l'humanité au regard des inventions utopiques et incompréhensibles décrivant des êtres parfaits et perfectionnés n'ayant aucun rapport avec l'homme.

« L'Anélytroïde » (2nd chapitre, 12 pages) : Du grec, á privatif, ç euphonique, ?ë?ôñïí (étui, fourreau), åéäïò (forme ou idée), la femme sans vulve. Les métaphores bibliques souffrent d'un manque de cohérence relatif aux connaissances limitées des peuples de l'Antiquité, à l'état de leur représentation scientifique du monde [#177; 54 lignes]. Vu la physique surannée des Écritures, on peut supposer que Dieu a suppléé ce défaut en dotant l'homme de la science pour qu'il saisisse davantage l'essence divine du monde [#177; 44 lignes]. Ceux qui repoussent les connaissances produites par la

1 Pour bien montrer nos coupures du texte, nous avons indiqué le nombre de ligne [entre crochet] que nous synthétisons en quelques phrases. Le sigle `#177;' signifie « plus ou moins » et concerne la partie du résumé qui le précède. Nous avons aussi indiqué le nombre de page et les traductions des sous-titres au début de chaque chapitre, et notre phrase conclusive traduit l'intention générale. L'ouvrage adopté pour l'ensemble de ce travail est l'édition princeps, Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII. Cote Enfer 1286 de la Bibliothèque Nationale de France. Toutes les références aux pages données dans le corps du texte renvoient exclusivement à cette édition. Nous avons adopté cette procédure pour l'ensemble du mémoire afin de limiter les notes de bas de page et d'en fluidifier la lecture.

Ordre et unité d'ensemble - 19

science sont à l'origine des problèmes interprétatifs qui persistent sur l'Écriture [#177; 58 lignes]. Pour illustrer ces problèmes, le discours commente la Création et démontre l'androgénie d'Adam [#177; 38 lignes]. Cette interprétation est ensuite appuyée par des traditions païennes et adamites, qui ont adopté cette croyance et dont les membres se sont constitués en sectes qui ont longtemps perdurées [#177; 50 lignes]. L'équivocité de certains passages bibliques permet de douter de la volonté de Dieu. C'est pourquoi la condamnation de certaines pratiques sexuelles jugées non naturelles peut être remise en question ; à savoir la question des femmes privées de vulve qui pourraient tout de même procréer par la parte poste [#177; 44 lignes]. Comme la science confirme la possibilité de procréer par ce biais, on en conclut que cette pratique sexuelle, bien que non naturelle, rentre dans les vues de Dieu [#177; 8 lignes]. Ce chapitre montre les problèmes de l'interprétation biblique lorsque la lecture est bornée à des préjugés et aveuglée par des bienséances ; il affiche une sorte de positivisme qui insère la science dans les vues de Dieu.

« L'Ischa » (3ème chapitre, 10 pages) : De l'hébreu, femme. L'éducation des femmes laisse à désirer alors qu'elles équivalent les hommes dans les domaines intellectuels. Elles souffrent d'un préjugé constitué en un rapport de force, le droit du plus fort, et de l'influence des systèmes politiques et des religions [#177; 39 lignes]. Pourtant les livres saints montrent la femme comme une créature parfaite dont la beauté équivaut à un don du ciel, un chef d'oeuvre de la Création [#177; 15 lignes]. Pour retrouver les traces d'une égalité primitive, le discours contextualise la Création en insistant sur les ressources mobilisées par Dieu lors de la confection de l'homme [#177; 34 lignes]. Comme celle de la femme n'advient que lorsque l'homme a reçu son esprit, sa condition raisonnable, la femme apparaît comme l'aboutissement des facultés intellectuelles [#177; 35 lignes]. La femme jouit d'une place universelle dans toutes les religions ; elle est une divinité partout adorée, révérée et crainte [#177; 38 lignes]. Son succès s'explique par un culte plus appréhendable que le culte d'un Dieu supputé masculin, car la consistance de son être, de sa nature, les façons de l'adorer et l'étendue de ses pouvoirs souffrent d'une trop grande complexité conceptuelle [#177; 40 lignes]. Face à de telles difficultés, certaines interprétations religieuses ont conçu la possibilité de conférer le sexe féminin à l'Esprit Sain [#177; 25 lignes]. Pour adorer et honorer Dieu plus facilement, il faudrait trouver le moyen de revêtir la vertu des charmes de la beauté afin d'inciter les hommes à l'exercer [#177; 14 lignes]. Ce chapitre tend à démontrer que le culte de Dieu est compliqué à appréhender comparée aux divinités féminines, tant sa nature est éloignée de la condition humaine.

« La Tropoïde » (4ème chapitre, 12 pages) : Du grec, ôñüðïò (direction), d'où genre de vie, moralité d'un peuple. Les lois de Moïse nous permettent de comparer les moeurs des hébreux avec les nôtres, aussi elles montrent que ce peuple est loin de l'exemplarité enseignée par les sermonneurs [#177; 24 lignes]. Une loi est relative aux moeurs, car elle en vise les corrections ; son but est d'instaurer

1 Lettre du 9 novembre 1780, Musée Arbaud, fonds Mirabeau, n°72 ; cf. Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 43, page 126.

20 - Au commencement était le Verbe

un sentiment du devoir qui se présente comme l'opinion assimilant l'intérêt particulier à l'intérêt général [#177; 30 lignes]. Les moeurs sont relatives à l'esprit national qui n'est rien d'autre que la considération de la vertu dans la société, selon le caractère des administrateurs [#177; 32 lignes]. Elles sont relatives à la nature du gouvernement et à l'influence de ses lois : la république a besoin de bonnes vertus et doit développer l'esprit d'austérité garantissant de bonnes moeurs ; la monarchie limitée a plus besoin de liberté que de vertu, et doit développer l'esprit de concorde pour préserver les moeurs des excès ; la monarchie absolue n'a besoin ni de l'un, ni de l'autre, et doit développer l'esprit de désinvolture pour corrompre les moeurs [#177; 25 lignes]. Le Lévitique décrit les moeurs corrompues des Juifs en dévoilant leurs maladies vénériennes, leurs pratiques de reproduction et la consistance de leurs plaisirs charnels [#177; 70 lignes]. Assisté par la superstition, ce genre de pratique perdure encore dans certaines cultures [#177; 33 lignes] ; mais elles ne le sont plus dans celles où elles ont été réglementées [#177; 45 lignes]. Pour conclure, il vaut mieux réguler ces pratiques pour les résorber plutôt que de les interdire [#177; 20 lignes]. Ce chapitre accuse les effets néfastes de la superstition, et propose le schéma d'une théorie politique capable de réguler les moeurs afin d'en suppléer les défauts ; la première condition pour appliquer ce schéma est donc de tolérer les moeurs initialement dissolues afin de les corriger.

« Le Thalaba » (5ème chapitre, 16 pages) : Aucune correspondance au terme, mais une lettre de Mirabeau adressée à la Fage, mari de Julie, et relevée par Jean-Pierre Dubost1 démêle un peu de sens : « Y célébrez-vous les boules chinoises et tout cet art du Thalaba dans lequel elle est si adepte ? » L'éducation physique, par extension l'institution sportive, est indispensable pour maintenir de bonnes moeurs car l'exercice physique répond aux besoins du corps et de l'âme, et lisse les aspérités entres les âges et les classes sociales [#177; 35 lignes]. La disparition de ces institutions explique l'attention grandissante aux désirs et l'éloignement des préoccupations moralement vertueuses ; alors l'homme, être doué d'imagination, a su développer ses plaisirs, notamment ceux qui se servent de l'instinct de propagation sans égard pour ses fins naturelles - la propagation -, et ce, malgré la tradition, le culte, les lois, tous les remparts élevés pour éviter les dérives [#177; 34 lignes]. Parmi celles-là, on peut expliquer l'onanisme par le goût de la provocation, le cynisme qui se vêtit des moeurs naturelles dans une société raffinée, ou par la force de la superstition [#177; 27 lignes]. Transporté en-dehors de l'intimité conjugale, la masturbation a des conséquences qui conduisent à la suffisance de soi, à l'isolement, et par extension au pacifisme [#177; 41 lignes]. Dans la Bible, l'exemple d'Onan donne d'autres causes à cette pratique : la crainte des maladies vénériennes, ou de donner la vie à des êtres dans des circonstances malheureuses [#177; 42 lignes]. Ces derniers cas devraient rendre la morale indulgente à

« L'Akropodie » (7ème chapitre, 15 pages) : Du grec, á?ñïò (extrémité) et ðïóè? (pénis),

Ordre et unité d'ensemble - 21

l'égard de la masturbation, car elle n'est pas dangereuse tant qu'elle se borne à la crainte d'un mal plus grand. D'ailleurs, les pratiquants en sont les seuls malheureux, et cela ne cause pas de mal physique [#177; 34 lignes]. Mais lorsque le goût s'en mêle, la crainte devient un besoin, puis une habitude, ou pire, une passion qui peut dégénérer en fureur causant des ravages sur les organes et l'imagination [#177; 35 lignes]. Cherchant à satisfaire ce besoin tout en limitant les excès, les deux sexes se sont mutuellement aidés en créant un art, le Thalaba, qui prévient la fureur et ses dommages [#177; 47 lignes]. Mais cet art requiert des conditions préalables : un certain perfectionnement propre et un tempérament paisible [#177; 73 lignes]. On en conclue qu'une pratique sexuelle - bien que détournée des fins de la nature - peut dégénérer le genre humain, mais peut aussi être utile à la morale lorsque les excès sont prévenus par un art. Donc il n'y a pas de mal absolu ; il faut éviter les nuisances [#177; 21 lignes]. Ce chapitre montre le rôle des arts et des institutions lorsque les autres remparts sont méprisés par les passions ; il questionne aussi le fondement absolu de la morale et établit son impuissance à rendre l'homme vertueux.

« L'Anandryne » (6ème chapitre, 18 pages) : Du grec, ?íáíäñïò (sans époux, sans virilité), veuve, tribade. On peut supputer l'androgynie primordiale d'Adam par l'existence antérieure d'êtres hybrides qui, connaissant un plaisir illimité, ne se préoccupaient que de leur jouissance ; pour éviter qu'ils dépérissent, Dieu sépara les sexes et limita le plaisir [#177; 42 lignes]. Cette opération divine est attestée par Moïse, Platon, Louis Leroi, Antoinette Bourignon et surtout par l'exemple vivant d'un moine auvergnat possédant les deux sexes [#177; 89 lignes]. Toutefois, il faut faire la distinction entre l'androgyne véritable et l'hermaphrodite - invention grecque d'un être réunissant la perfection des deux sexes - qui par la suite, s'est révélé dans le tribadisme [#177; 39 lignes]. Vestige du dédoublement divin, le tribadisme a été élevé dans les institutions de Lycurgue afin d'enseigner l'art d'aimer aux femmes. Son but était qu'elles en usent avec leur mari une fois mariées, et que ceux-ci reconnaissent qu'il y a du bien à aimer [#177; 39 lignes]. La tribade est faite pour aimer ; c'est la leçon du malheur de Sapho qui abandonna ses conjointes qu'elle aimait pour s'épandre dans l'amour ingrat de Phaon [#177; 27 lignes]. À Rome, le collège des Vestales empêchait ces femmes d'aimer l'homme en échange des prérogatives politiques ; et comme il s'agit de leur nature, elles devaient recourir à la tribaderie pour assouvir leur raison d'être [#177; 58 lignes]. La tribaderie peut avoir des effets curatifs ; mais aussi négatifs, comme le montrent les tristes exemples des couvents où les nonnes finissent par se blesser [#177; 51 lignes]. On trouve toute sorte de sérail de tribaderie à travers le monde ; ils offrent des spectacles charmants à la vue des hommes influents qui eux, profitent des charmes d'un certain degré de perfection [#177; 59 lignes]. Ce chapitre tend à démontrer que l'amour pour son prochain est au centre de la Création, et se présente comme un primat divin à cultiver pour se perfectionner.

« Kadhésch » (8ème chapitre, 15 pages) : De l'hébreu, saint. Pour que les lois soient respectées,

22 - Au commencement était le Verbe

circoncision. La nature détermine le bien par le beau, car ses créations contiennent les agréments pour la reproduction de l'espèce [#177; 19 lignes]. Mais ce principe est altéré par les passions, les moeurs et le climat. Dans un climat chaud, la passion se fait excitation, et soumet les habitants à un désir aveugle et dévorant, tandis que les habitants des climats froids sont plus réfléchis, et la passion sera plutôt l'affaire de l'éducation que du cri impérieux de la Nature. Le rapport bien et beau de la nature peut aussi être contrarié par la main de l'homme, notamment par les conséquences de l'industrie humaine [#177; 23 lignes]. Par exemple, les capitales, en concentrant les foyers et une grande activité humaine au même endroit, changent les climats ; alors, les progénitures de ses habitants sont plus nubiles qu'ailleurs. Par conséquent, les corps des jeunes filles se développent précocement à cause de l'exercice hâtif des facultés intellectuelles. Ce développement soudain ne se fait pas sans inconvénients moraux que l'on pourrait résorber par une éducation nationale bien pensée [#177; 27 lignes]. Si l'on éduque davantage la femme - être éminemment sensible et perfectible -, on pourrait influencer indirectement les moeurs masculines. Il faudrait les rendre plus belles, plus propres à épanouir le désir plutôt que de les laisser à elles-mêmes, cibles des inquiétudes, de la culpabilité, mères de l'accablement stérile ; et si cette éducation atteint son but, on pourrait dire que la volupté est le mobile de l'espèce humaine [#177; 44 lignes]. Mais pour établir cette morale appuyée sur des fondements physiques, il faut combattre les préjugés et les lois coercitives et despotiques qui entravent la libération sexuelle. Car l'homme a toujours voulu tout ordonner, tout diriger en perdurant un héritage législatif d'un autre Âge ; l'une de ses illustrations les plus singulières est la circoncision [#177; 20 lignes]. Certains peuples ont observé, à juste titre, cette pratique à des fins hygiéniques ; mais d'autres l'ont établi comme un précepte divin perpétué à travers les Âges [#177; 42 lignes]. Et ce, jusqu'à nos jours car on continue de voir le prépuce comme l'incarnation du péché originel ; et on se questionne sur les raisons qui en excluent les femmes, ainsi que sur les problématiques qu'entraînent la conversion d'un juif apostat étant déjà circoncis par mesure hygiénique. Tous ces questionnements ont eu leur lot de démonstrations et d'expérimentations farfelues [#177; 113 lignes]. D'ailleurs, on observe des spécificités particulières à cette pratique dans chaque culture ; mais l'irritation est l'une des conséquences observables de la circoncision. Pour s'en accommoder, les Juifs et les Israélites ne portaient pas de culottes, mais la Bible indique qu'on les priait de s'équiper d'un chauffoir lors des cérémonies, afin d'éviter les désagréments esthétiques d'une quinte aigüe et impulsive [#177; 36 lignes]. Au reste, la Bible réserve bien d'autres surprises sur l'héritage moral d'un autre monde dont les traditions perdurent de nos jours [#177; 33 lignes]. Ce chapitre regarde les obstacles à l'établissement d'une morale établie sur les beautés charnelles, et montre, qu'à cause des préjugés, on lui en préfère une autre établie sur des traditions obscènes.

Ordre et unité d'ensemble - 23

il leur faut être compréhensibles, transparentes et évidentes ; car l'influence d'une loi sur le peuple dépend de la sagesse qui l'a dictée. Plus leur influence est grande, plus elles sont respectées, et plus le gouvernement est aimé du peuple ; il y aurait alors moins besoin de châtiment et de menace sur le peuple qui augmenterait leur crainte et leur défiance du gouvernement [#177; 40 lignes]. Rien ne sert d'imposer la volonté du législateur par la force, il suffit d'accepter les hommes tels qu'ils sont pour les rendre tels qu'ils doivent être ; car le gouvernement modèle les hommes en leur donnant le sentiment du devoir. Il reste justement des traces des devoirs archaïques qui ont survécu au temps et aux moeurs : notamment ceux sur le mariage et la stérilité [#177; 29 lignes]. Les gouvernements antiques amputaient des droits aux célibataires, car les législateurs tels que Moïse, Platon, Lycurgue, les Egyptiens et les Romains faisaient de la propagation de l'espèce, leur priorité. Ils suivaient la vue de Dieu qui était, en ces temps-là, en adéquation avec celle de la nature [#177; 59 lignes]. Malgré leurs directives, l'amour des jeunes garçons commençait à naître - probablement à cause de l'impuissance, une permissivité de la nature -, et ils adaptèrent alors la loi pour le punir d'infamie, et chassèrent les impuissants hors des sociétés. Réduits à cette situation, les hommes expulsés se soumirent à des mortifications pour s'assujettir à la volonté des autres, et trouvèrent alors leur place dans la société ; tant et si bien qu'une conséquence de l'impuissance devint une habitude propagée par le despotisme [#177; 50 lignes]. Dans les états policés, on a perfectionné cette pratique de façon à créer plusieurs sortes d'eunuques pour assouvir les passions de quelques individus [#177; 48 lignes]. Comme d'autres pratiques qualifiées de péché contre nature - c'est-à-dire non-participatives à la propagation de l'espèce -, elle ne se heurte pourtant pas aux vues de Dieu. La sodomie par exemple, a été nécessaire à la lignée génitrice de Jésus : la destruction de Sodome entraîne la naissance incestueuse de Moab qui participera indirectement à la naissance du Christ [#177; 41 lignes]. Aussi le goût de la pédérastie était très répandu dans le monde, au point que la nature créa des êtres à queue par un prolongement du coccyx [#177; 50 lignes]. La pédérastie est toujours bien présente, notamment à Paris, autour d'une charte qualitative allouant une valeur échelonnée aux individus qui en font profession [#177; 40 lignes]. Ce chapitre distingue la pédérastie naturelle - c'est-à-dire efficiente selon l'impuissance initiale -, d'un goût pédéraste né d'une trop grande rigueur législative. Il montre aussi que les voies de Dieu évoluent, alors que l'appel de la nature reste inchangé.

« Béhémah » (9ème chapitre, 15 pages) : De l'hébreu, bestialité. Les passions de l'amour peuvent conduire l'homme, être infiniment sensible et perfectible, à la copulation avec la bête ; il serait absurde de définir la nature de cette force comme purement physique alors que l'aspect moral est si vivement engagé [#177; 26 lignes]. D'ailleurs, on ne peut pas expliquer physiquement cet attrait pour la bête car on ignore les différences entre les sexes, et encore moins celles entre les animaux et les hommes ; toutefois, on remarque que les produits de l'accouplement de deux espèces présentent une

24 - Au commencement était le Verbe

physionomie hybride. On pourrait peut-être définir la spécificité de l'humanité sur la bête si l'on recherche dans les productions semi-humaines, les limites de la tolérance de la nature, à savoir, le mélange monstrueux qui garderait la capacité de se conserver et de se reproduire [#177; 36 lignes]. On sait que la différence entre l'homme et la bête tient à l'âme, mais on ne connaît ni son emplacement, ni sa nature. La seule chose assurée est son existence ; aussi, elle constitue un indicateur d'altération et de dégradation pour guider l'observation des progénitures monstrueuses [#177; 62 lignes]. Et pour considérer l'âme de ces êtres, il ne faut pas étudier leur faculté de penser, car la sensibilité est chose commune, et la participation de l'âme à l'élaboration de la pensée la rend difficilement distinguable ; il faut plutôt la rechercher dans leur caractère, en regardant les émotions qui se marient le mieux à leur physionomie. Car l'animal a un caractère, et il peut être bon ou mauvais. Il est impossible de dire que les bêtes étaient ainsi lors de la Création - car les créations de Dieu ne peuvent être que bonnes -, tout comme il est absurde de leur supposer un péché originel pour expliquer leur cruauté naturelle [#177; 60 lignes]. On voit que la distinction entre l'homme et la bête ne peut pas être réalisée théoriquement en recherchant l'origine de l'âme, car ceux qui s'y sont essayés souffraient de facteurs déterminant leur pensée, comme le climat, leur constitution corporelle, leur nourriture, etc... Il faudrait donc éduquer les progénitures monstrueuses pour observer leur degré de raison [#177; 42 lignes]. De nombreuses autorités témoignent de l'existence de ces progénitures, telles que l'Écriture, la culture grecque, les apôtres, et des voyageurs qui certifient l'existence des satyres, des centaures, des pygmées, de certains singes humains, etc... [#177; 53 lignes] Hier encore, on trouvait de nouveaux spécimens ; il subsisterait même une contrée africaine où les copulations bestiales se perpétuent, offrant là-bas le laboratoire idéal pour mener les expériences de croisement [#177; 37 lignes]. On peut aussi se tourner vers les Pyrénées françaises où les bergers poursuivent ces pratiques [#177; 20 lignes]. Ce chapitre montre que la nature ne peut pas soutenir un principe moral puisqu'elle tolère les progénitures monstrueuses. Toutefois, les êtres hybrides se présentent comme un moyen de perfectionner la nature de l'homme grâce à une meilleure connaissance des spécificités de l'âme humaine sur la bête.

« L'Anoscopie » (10ème chapitre, 13 pages) : Du grec, ?íù (supra) et ó?ïðåù (je contemple), la divination, la prédiction prophétique. L'ignorance et la nature superstitieuse des hommes se présentent comme de sûrs moyens de les tromper [#177; 21 lignes]. L'Écriture met en garde contre les devins, les charlatans, qui, en asseyant leur pouvoir sur les esprits influents, abusent de la crédulité superstitieuse des hommes pour se proclamer interprètes divins [#177; 50 lignes]. Le peuple juif a eu affaire à beaucoup de charlatans. Il pullulait parmi eux des prophètes dont l'influence politique faisaient des envieux ; si bien que n'importe qui se faisait prophète s'il savait faire quelques prodiges et quelques effets sur les esprits. À leur guise, ils créaient de nouveaux dieux pour renverser les

Ordre et unité d'ensemble - 25

anciens [#177; 31 lignes]. Si maintenant nous pouvons éclairer la consistance de leurs faux miracles et les reproduire grâce à la science, il ne faut pas pour autant perdre la foi, car nous risquerions la colère de Dieu [#177; 25 lignes]. Parmi les manoeuvres des charlatans figure l'histoire curieuse des Jésuites envoyés en Chine : prêchant la véritable foi, ils furent mis au défi d'invoquer la pluie par le Roi de Golconde. Sous la menace d'une exécution prochaine, ils s'apprêtaient à partir lorsque l'un d'entre eux prédit la pluie grâce aux conséquences rhumatiques de sa vérole ; ils furent ainsi sauvés et rallièrent le pouvoir royal à leur cause [#177; 166 lignes]. Cette société a d'ailleurs une longue histoire concernant la syphilis : elle intrigue pour que le nom de son remède soit chaste, lui consacre des messes pour la guérison, et certains casuistes l'intègrent même dans les oeuvres divines [#177; 41 lignes]. Les Jésuites sont prêts à tout pour se faire les serviteurs d'une mauvaise idée de Dieu ; en témoigne le comportement lascif d'un novice qui forniquait avec un juif pour le convertir [#177; 22 lignes]. Ce chapitre dévoile la façon dont la superstition et l'ignorance permettent aux charlatans qui se disent interprètes divins, d'assujettir un pouvoir politique à leur cause. Il montre aussi que les progrès de la connaissance peuvent distinguer les faux des vrais miracles, mais ils présentent aussi le risque de perdre la foi en Dieu.

« La Linguanmanie » (11ème chapitre, 19 pages) : Du latin, lingua (langue) et du grec, ìáíßá (fureur), rendre furieux par la langue. Le fard langagier cache les désirs primitifs. Les subtilités du langage sont nées d'une imagination débridée, déréglée faisant de la femme un objet de fantasme ; elles traduisent la pudeur, phénomène artificiel d'institution humaine fait de retenue et de contrariété au désir naturel [#177; 51 lignes]. Pourtant, le désir charnel est au nombre des impulsions naturelles ; en conséquence son fonctionnement est assimilable à la faim, à la soif, au sommeil, etc... Une privation trop longue de jouissance dégénère en rage, et produit des excès, tels que la nymphomanie et la mentulomanie1. Les femmes y sont plus sujettes que les hommes car l'organisation interne masculine est plus souple et leur évolution sociale moins exigeante [#177; 31 lignes]. La nymphomanie n'est pas née d'une prédisposition physique ou d'une fréquente démangeaison de la vulve. La manie réside dans l'esprit ; elle enflamme les sens et amène l'individu à des comportements extrêmes pour la satisfaire [#177; 33 lignes]. Différente de la recherche ordinaire du plaisir, la manie n'obéit pas directement à l'instinct naturel ; elle est produite par l'échauffement de l'imagination, jusqu'à en devenir insatiable. De plus, les femmes qui en sont atteintes perdent leurs grâces naturelles et agissent contre leur nature [#177; 34 lignes]. La manie n'est donc pas naturelle, bien qu'elle présente des similitudes avec la lubricité. De nature différente, la lubricité obéit à l'instinct, tandis que la manie est une explosion résultant d'une conduite trop réglée pour satisfaire les désirs irrésistibles [#177; 54

1 Peut-être un terme inventé par Mirabeau qui est le pendant masculin de la nymphomanie.

26 - Au commencement était le Verbe

lignes]. Rien de tel pour prévenir l'explosion que l'exercice physique. À cette fin, les Anciens avaient pourvu leur gymnastique d'exercices destinés aux deux sexes. Mais ils devinrent très vite des compensations à la sévérité et à l'austérité des corps politiques ; ils évoluèrent en foyer de dégénérescence morale [#177; 34 lignes]. Ces institutions étaient protocolaires et proposaient toutes sortes de services étudiés selon la lascivité des goûts et des plaisirs de chacun ; mais elles n'en demeuraient pas moins artificielles. Des civilisations entières se sont adonnées à ce genre d'institutions, tantôt par délire religieux, tantôt par mesure sanitaire [#177; 77 lignes]. La notoriété de ces pratiques faisait le caractère distinctif de tout un peuple. On inventait des mots descriptifs pour remonter leur origine qu'on retrouve aujourd'hui dans nos archives et dans notre langage commun [#177; 48 lignes]. Ce chapitre insiste sur la nocivité de la sévérité des corps politiques et des effets de la civilisation sur les moeurs : la moindre emprise despotique sur elles les détermine à dégénérer. Que ces moeurs soient bridées ou encouragées, elles échapperont à la juste mesure et présentent le risque d'être échauffées jusqu'à la manie.

Les chapitres sont structurés de la même façon, mis à part le premier « Anagogie ». Leur introduction évoque la construction d'un projet anthropologique dont les lois, les institutions et la législation sont pensées pour réguler, voire diriger les goûts et les moeurs d'un peuple. Au cas par cas, les introductions des chapitres ne démontrent pas la même chose : « L'Anélytroïde » est la démonstration d'une meilleure connaissance de Dieu par le savoir, par la science, et non par les interprétations anagogiques ; « l'Ischa » est la démonstration de la perfection divine et effective de la femme ; « La Tropoïde » est la démonstration d'une meilleure évolution des moeurs lorsque le législateur a régulé plutôt qu'interdit certaines pratiques avilissantes ; Le « Thalaba » est la démonstration d'une meilleure régulation des moeurs par des pratiques physiques ; « L'Anandryne » est la démonstration que l'amour est la seule volonté, et apparaît comme l'unique commandement divin ; « L'Akropodie » est la démonstration que le bien est déterminé naturellement par le beau ; « Béhémah » est la démonstration que l'amour est une force morale, et pas seulement physique ; « L'Anoscopie » est la démonstration que les erreurs et l'ignorance des hommes proviennent d'artifice maquillant les motivations naturelles.

Cohérence idéologique

Visiblement, l'ouvrage ne procède d'aucun ordre logique. Le classement des chapitres n'est pas alphabétisé ; leurs noms en grec et en hébreux nourrissent l'hermétisme, et leur traduction en français ne peut être que périphrastique et équivoque. On pourrait presque avancer l'hypothèse que l'organisation de l'ouvrage entretiendrait une tradition ésotérique l'affiliant à la Kabbale puisque l'argumentation ne se concentre que sur l'Ancien Testament. Comme le premier chapitre relate une

Ordre et unité d'ensemble - 27

utopie, un idéal révélé à la manière d'un conte, on peut considérer que les autres chapitres se présenteraient comme des argumentations visant à prouver que, à l'instar des Saturniens, « tous les êtres sont entre eux dans un flux perpétuel ». D'ailleurs, Jean-Pierre Dubost établit toute son analyse sur ce possible ordonnément ; il postule que le premier chapitre « Anagogie » contient le principe idéologique, la clef de la compréhension de l'oeuvre. Il soutient donc que Mirabeau s'inspire de la formule de Buffon « tout est en flux perpétuel », pour la tordre sérieusement en « tous les êtres sont entre eux dans un flux perpétuel (de jouissance) », fixée comme l'axiome d'un absolu de jouissance, primordial et divin, soutenant un principe de volontariat vertueux qui fonderait le projet anthropologique de Mirabeau.

[...] il faut, pour mesurer pleinement l'enjeu de la stratégie herméneutique de Mirabeau, la replacer dans la logique profonde de ce culte à la volonté et de l'énergie, de cette quête à la volupté et d'intensité de vie qui commande chez lui la passion amoureuse et le plaisir des sens [...].1

Jean-Pierre Dubost insère la jouissance en tant qu'articulation axiomatique et systémique, procédant d'un déterminisme primordial sexuel, pour relever la construction idéologique de l'ouvrage. Mais c'est à titre d'exemple que Mirabeau illustre le flux perpétuel dans lequel baignent les Saturniens avec les jouissances d'Alphée et d'Aréthuse [« Anagogie » ; page 19], et non comme un principe absolu ; de plus, le récit de Shackerley est placé sous l'égide des Académies italiennes que l'on retrouve dans De la Charlatanerie des savans ; par Monsieur Menken avec des remarques critiques de différents auteurs2. Une charlatanerie, c'est-à-dire une fumisterie ; la charge ironique n'est pas si équivoque pour qu'on puisse situer les principes idéologiques de Mirabeau dans ce premier chapitre. Nous parlerons de l'ironie dans un prochain chapitre et nous avancerons par ailleurs d'autres éléments qui proposeraient une lecture inverse du chapitre « Anagogie » dans lequel, au contraire, les formes d'inspiration exégétiques seraient rejetées justement parce qu'elles confèrent à l`absolu un principat axiomatique et systémique. Quoiqu'il en soit, le premier chapitre pourrait procéder d'une articulation idéologique qui ordonnerait le reste de l'ouvrage ; et comme il s'agit de rechercher l'ordonnément logique, nous le laisserons de côté dans un premier temps pour rechercher dans les autres une continuité idéologique indépendante. Pour l'heure, disons simplement que si Mirabeau avait clairement formulé sa thèse dès le départ, nous aurions trouvé promptement de l'ordre à son ouvrage. Qui plus est, cette composition n'est pas le fruit du hasard, elle relève d'une logique précisée et élaborée par l'auteur ; en témoigne une note de sa main en marge du titre « Ischa » dans le

1 Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 17.

2 De la Charlatanerie des savans ; par Monsieur Menken avec des remarques critiques de différents auteurs, Mencke Johann Burchard et Van Duren, Chez Jean Van Duren, 1721.

28 - Au commencement était le Verbe

manuscrit retranscrit par J.P Dubost qui stipule « Il faut mettre l'Ischa à la suite de l'Anélytroïde »1.

Organisation thématique

Les principaux thèmes de l'Erotika Biblion sont l'androgynie d'Adam (trois chapitres : « L'Anélytroïde » [II], « l'Ischa » [III] et « L'Anandryne » [VI]), l'éducation des femmes (quatre chapitres : « L'Ischa » [III], « Le Thalaba » [V], « L'Anandryne » [VI] et « L'Akropodie » [VII]) et la perfectibilité (leitmotiv de l'ouvrage, mais il est particulièrement traité dans trois chapitres : « Anagogie » [I], « L'Anandryne » [VI] et « Béhémah » [IX]). L'androgynie primordiale, l'éducation des femmes et la perfectibilité se présentent comme trois grands thèmes intimement liés ; ils établissent un fil idéologique qui conduit à la réflexion d'un système anthropologique censé parfaire une société. Remarquons que Mirabeau dessine cet idéal par la négation, car il révise les maux de l'humanité plutôt qu'il n'établit l'axiologie absolue d'une société parfaite. Sa réflexion n'est donc pas utopiste, ses propos visent à corriger les vices soulevés et d'en montrer les causes selon ses recherches dans les mythologies et cosmogonies religieuses.

La structure type que l'on retrouve dans chaque chapitre, introduit un système anthropologique, le justifie ensuite par une lecture originale des textes sacrés et se conclut par réflexion sur les maux qui découlent d'interprétations différentes de ces mêmes textes. Mirabeau recherche une sagesse spirituelle axée sur la sexualité et ses articulations diégétiques dans les écritures sacrées ; puis, il les utilise pour illustrer et justifier la section du système anthropologique évoqué en début de chapitre. Au cas par cas, les introductions des chapitres démontrent différentes subdivisions du même système, corrélées dans une relation à la sexualité :

I. « L'Anélytroïde » affirme que la meilleure connaissance de Dieu se trouve dans le savoir, dans la science, et non dans les interprétations anagogiques. La condamnation des pratiques anales est née d'une erreur théologique, car la médecine soutient la possibilité de procréer par la parte poste [page 35].

II. « L'Ischa » soutient que la femme est le chef d'oeuvre de la création divine. La fontaine Canathus au Péloponnèse restituant la virginité perdue illustre la puissance des divinités féminines capables d'outrepasser les lois naturelles [page 45].

III. « La Tropoïde » démontre que l'évolution des moeurs est bien meilleure lorsque le législateur a régulé plutôt qu'interdit certaines pratiques avilissantes. En témoignent certains passages du Lévitique qui relatent des pratiques sexuelles pernicieuses n'existant plus aujourd'hui [page 57].

IV. « Le Thalaba » précise que la régulation des moeurs doit se faire par l'éducation du corps. Le Thalaba se pratique à deux partenaires ; sensuel et voluptueux, il satisfait les goûts sexuels sans dénaturer le corps et l'esprit [page 77].

1 Note a de la page 41, Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 147.

Ordre et unité d'ensemble - 29

V. « L'Anandryne » élève l'amour à un commandement divin. Les vestales, tribades et autres
femmes ont été éduquées pour pratiquer l'amour ; leurs accouplements sont autant de spectacles sublimes dont la fureur est de nature divine [page 99].

VI. « L'Akropodie » atteste que le bien est déterminé naturellement par le beau. Il n'y a donc pas
besoin d'ordonner et de diriger la vie des hommes selon des lois archaïques comme la circoncision. L'expérience des PP. Conning et Coutu en illustre l'absurdité [page 113].

VII. « Kadesch » indique que les lois prédisposent au sentiment du devoir, mais elles ne dissipent pas
les goûts naturels des hommes. Par exemple, les lois archaïques sur le mariage n'ont pu empêcher l'amour des jeunes garçons que la nature a développé dans des êtres à double queues [page 133].

VIII. « Béhémah » avance que l'amour est une force morale, et pas seulement physique. Comme il est
impossible de concilier la regrettable copulation de l'homme et la bête avec l'attrait divin de l'amour, il faut étudier les progénitures monstrueuses pour en tirer les caractères spécifiques de l'âme humaine [page 147].

IX. « L'Anoscopie » établit que les fausses croyances des hommes proviennent d'erreurs
théologiques impardonnables, des interprétations volontairement trompeuses des écritures sacrées. Les Jésuites par exemple, ont consacré la syphilis car elle leur permit d'échapper au bûcher alors qu'ils propageaient la foi [page 166].

X. « La Linguanmanie » dénonce les termes trompeurs du langage qui dénaturent les motivations
de l'humanité. Plus on invente des termes pour préciser des pratiques sexuelles précises, plus l'objectif sacré de la reproduction est dénaturé [page 189].

La structure type et l'ordre des chapitres participent à une cohérence générale. On peut discerner deux groupes de chapitre dont les éléments discursifs se répondent et se complètent, formant ainsi deux continuités idéologiques qui se recoupent dans une conception de la sexualité à la fois naturelle et divine :

- « L'Anélytroïde » [II], « La Tropoïde » [IV], « Le Thalaba » [V], « L'Anoscopie » [X] et « La Linguanmanie » [XI] : La véritable connaissance de Dieu se trouve dans les permissivités de la nature [II] qui contient un ensemble de lois déterminant les moeurs des hommes [IV]. On peut corriger les moeurs par l'exercice du corps à travers la sexualité [V], et non par l'élaboration d'une morale chagrine inventant des termes [X] pour masquer les motivations naturelles de l'homme [XI].

- « L'Ischa » [III], « L'Anandryne » [VI], « L'Akropodie » [VII], « Kadesch » [VIII] et « Béhémah » [IX] :

La beauté de la femme est une consécration divine [III] ; et puisque la Nature détermine le bien par le beau, elle participe activement à la reproduction [VI]. La beauté inspire l'amour, unique commandement divin [VII], qui mène à la vertu [VIII] ; la physionomie se présente dès lors comme une force morale [IX].

Bien sûr, pour opérer ces rassemblements, nous avons réduit les chapitres à leur quintessence ; leurs propos ont plus de consistance. Notons tout de même que la sexualité apparaît comme étant à la fois un facteur de progrès, un moyen de perfectionner l'humanité, mais aussi comme l'injonction primordiale de Dieu. Selon ce rassemblement, les chapitres sont entres-mêlés. Aussi, il met en évidence que l'enchaînement des chapitres est thématique selon un type de sujet ; par exemple,

30 - Au commencement était le Verbe

« L'Akropodie » [VII] et « Kadesch » [VIII] sur le rôle et l'administration des lois, ou bien « L'Anoscopie » [X] et « La Linguanmanie » [XI] sur les tromperies dont les hommes sont victimes. Ces enchaînements sont perceptibles, mais ils ne peuvent unifier les propos de l'ouvrage. De plus, cette possible structuration souffre d'une synthétisation trop lourde pour rendre compte à la fois de l'unité du chapitre, mais aussi de l'oeuvre. Car, en considérant ces sujets comme des thèmes dont le développement structure l'ouvrage, on n'expliquerait pas l'entremêlement voulu par Mirabeau qui place « L'Anélytroïde » avant « L'Ischa » sinon en considérant l'attention que Dieu porte à la femme comme un thème alors qu'il s'agit seulement d'un élément discursif revenant ponctuellement. Toutefois, il existerait un possible fil conducteur qui débuterait avec le chapitre que nous n'avons pas évoqué.

L'Articulation autour du premier chapitre, « Anagogie »

Seul chapitre privé de la structure type, « Anagogie » apparaît comme un chapitre important ; non seulement il présente beaucoup de singularités sur les autres, mais surtout il introduit l'esprit de l'ouvrage. Il décrit une société saturnienne dont les êtres possèdent des sens inconnus à l'espèce humaine, les rendant ainsi extraordinairement perfectionnés. Ce chapitre introduit le thème du perfectionnement, de sa mise en oeuvre, d`un certain idéal, de son lien relatif avec les circonstances naturelles dans lesquelles un être vivant évolue. En admettant que le discours porte sur le perfectionnement tout au long de l'ouvrage, le premier chapitre est assurément celui qui présente une société aboutie et enviable ; et cela va sans dire que Mirabeau épargne la société saturnienne alors qu'il stigmatise les aspérités de beaucoup de civilisation dans les chapitres suivants. Si le perfectionnement est un fil conducteur possible, l'ordre des chapitres peut être étudié pour tracer son évolution. Cette lecture est proposée par Jean-Pierre Dubost qui voit dans « Anagogie » l'annonce du développement de l'androgynie dans les chapitres suivants ; il réduit donc la question de la perfectibilité à l'aspiration d'un transformisme originel.

Le mythe saturnien par lequel le traité débute [« L'Anagogie »] est celui d'un Eden érotique, et il prélude en tant que tel au mythe antique de l'androgyne, qui est développé dans le chapitre suivant [« L'Anélytroïde »].1

L'androgynie primordiale, ces êtres à double sexes qui vivaient dans les transports de la jouissance ont subi l'opération de la séparation. Mirabeau le concevrait comme un modèle de perfection. Il s'agirait alors de comprendre l'ouvrage comme une tentative d'identifier les moyens favorisant l'avènement du transformisme originel. Pour ce faire, il faudrait, comme les saturniens, entretenir le contact permanent au plaisir afin que les sens, démultipliés et renforcés par la Nature du fait de cette

1 Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 13.

Ordre et unité d'ensemble - 31

utilisation, permettent d'accéder à de nouvelles jouissances. Cette lecture fait de la jouissance un facteur de perfectionnement. Et puisque « la perfectibilité de l'homme se mesure en toutes choses à son degré de proximité ou d'éloignement par rapport à la Loi du plaisir »1, le projet anthropologique se résumerait à un utilitarisme prévenant les instincts primaires en les satisfaisant avant qu'ils n'apparaissent ; étrange conception de la vertu.

Il est difficile de soutenir que la structure de l'oeuvre est exclusivement pensée autour de l'androgynie adamique, car elle n'est traitée que dans trois chapitres ; de plus, Mirabeau ne présente l'androgynie comme modèle de perfection à aucun endroit. Jean-Pierre Dubost établit son interprétation en observant que le métamorphisme des saturniens dans « Anagogie » annonce l'androgynie d'Adam reprise dans le chapitre suivant, « L'Anélytroïde ». Nous avons déjà souligné le problème que représente l'unification de l'oeuvre par des thèmes spécifiques. Et si l'argument saturnien annonce l'androgynie d'Adam, il y aurait alors un système d'annonce d'un chapitre sur l'autre, argumentant et approfondissant les éléments utilisés pour les mêler à d'autres, et repris eux-mêmes ensuite dans les chapitres suivants. On aurait une sorte de chenille argumentaire où un élément serait investi dans un chapitre, puis repris dans un autre. Vu les résumés que l'on a fait de chacun des chapitres, il apparaît rapidement que ce n'est pas le cas. Et même si des éléments sont effectivement traités en plusieurs endroits, tels que l'androgynie adamique et les êtres au double sexe, ce n'est pas dans un enchaînement visant la démonstration de leur perfection. D'ailleurs, le support biblique déployé dans l'ouvrage ne concourt pas à disserter autour de l'androgynie2, Mirabeau le présente comme vrai et validé par des référents non cités et à peine évoqués, puis l'approfondit dans le système anthropologique évoqué au début de ces chapitres. À ce sujet, son interprétation des Écritures est dans la filiation d'une vieille tradition rabbinique, son explication des termes uir et uira en témoigne, mais il donne une référence en latin qu'il attribue aux Septante [« L'Ischa », page 43], et ne l'appuie qu'avec un texte, Le Banquet, et un référent, Moïse [« L'Anandryne », page 85]. La structure de l'Erotika Biblion n'est pas assimilable à une démonstration en chaîne de l'androgynie ; bien que ce thème soit majeur, il fait néanmoins partie d'une chaîne qui disserte la question de la perfectibilité (car nous devons dissocier la question de la perfectibilité du métamorphisme adamique pour éviter un raccourci qui tromperait sérieusement la philosophie de Mirabeau) et de l'éducation de la femme. Ce sont deux éléments quantitativement traités tout autant et qui ne sont pas hiérarchiquement distingués au sein de l'ouvrage.

Pour compléter l'étude d'une structure à partir du premier chapitre, voyons le mythe de

1 Idem, page 15.

2 Voy. la retranscription des évocations et allusions des chapitres « L'Anélytroïde », « L'Ischa » et « L'Anandryne » que nous avons indexée ; « Évocations et allusions à un intertexte foisonnant », annexe I.

32 - Au commencement était le Verbe

l'androgynie comme un Eden perdu, prenant « Anagogie » comme point de départ d'une idéologie. La Genèse est abondamment citée (11 fois), surtout au début de l'ouvrage - « L'Anélytroïde » [II] et « L'Ischa » [III] rassemblent 7 citations de la Genèse -. Puis le texte évolue avec des citations du Lévitique (19 fois) en majorité disposées au quatrième chapitre (« La Tropoïde » [IV] en compte 14 à lui seul). L'appareil discursif suit la structure de la Bible. Le monde saturnien serait analogue à l'Eden perdu de la Genèse si l'on regarde l'évolution des citations. Mais la suite de l'ouvrage ne confirme pas la formation de cette structure ; on s'y attache effectivement à joindre la sexualité avec un projet anthropologique, mais sans tenir compte des propriétés saturniennes, sans regarder comme possible l'avènement de cet Eden perdu dont on pourrait retrouver les prémices grâce à la révélation de Shackerley sur Saturne. D'ailleurs le titre du chapitre « Anagogie » renvoie aux lectures des textes sacrés qui tireraient une consistance du monde de l'invisible, souvent ramené aux délices du paradis, et que l'on peut connaître grâce à une complète dévotion aux dogmes et préceptes du Magistère. Mais Mirabeau n'évoque pas la société saturnienne comme une récompense posthume : l'intelligence du texte veut que Shackerley soit revenu vivant de son voyage saturnien pour le décrire à ses semblables.

On peut aussi considérer l'analogie structurelle entre la Bible et l'Erotika Biblion à partir d'une historicité partagée. Si l'Écriture est construite comme une perspective chronologique de l'Histoire qui commence par la Genèse et finit par l'Apocalypse, rien de tel dans L'Erotika Biblion qui se présente comme une suite de dissertations dont les liens, le fil d'Arianne, tiennent à des éléments qui se retrouvent engrangés les uns à la suite des autres. Si Mirabeau avait voulu donner une envergure biblique à son ouvrage, il l'aurait doté d'une structure similaire à son entendement de la Bible justement faite d'historicité comme le souligne Charles Hirsch à propos de l'interprétation du mythe adamique.

Selon Mirabeau, pour qui le texte de la Genèse est manifestement doté d'historicité, le chapitre II [de la Bible] n'est autre que la suite du récit commencé au chapitre premier.1

Il ne faudrait pas forcément comprendre « Biblion » comme l'indice du modèle sur lequel l'ouvrage a été composé. Même si le premier chapitre montre des particularités structurelles qui ne se trouvent pas dans le reste de l'ouvrage, c'est un récit, un conte, la fiction y est revendiquée2. Et c'est aussi le seul chapitre dont le titre renvoie à un type de raisonnement religieux. Il introduit non pas un modèle de perfectionnement à atteindre, mais plutôt une relecture des textes sacrés, de ses procédés

1 Erotika Biblion, dans OEuvres érotiques de Mirabeau, collection L'Enfer de la Bibliothèque Nationale, Fayard, 1984, note B, page 483.

2 On retrouve les particularités du roman-mémoire, très répandu au XVIIIe siècle, notamment le topos du manuscrit trouvé comme un procédé littéraire visant à crédibiliser, voire légitimiser le récit fictionnel à la première personne.

Ordre et unité d'ensemble - 33

hermétiques et exégétiques et une remise en question des dogmes religieux dont la vocation est de guider les hommes.

Comme l'intention et la problématique de l'Erotika Biblion ne peuvent pas être dégagées à partir de sa structure, il faut s'en tenir à l'observation que les chapitres se répondent et peuvent être regroupés en deux parties. De même, leur ordonnément peut être scindé en plusieurs parties selon des thèmes spécifiques, ou par des enchaînements argumentatifs approfondissant le système anthropologique. La juste dimension de l'ouvrage est difficile à cerner ; aussi, nous démontrons, dans les chapitres suivants, les raisons de notre préférence pour une relecture des textes sacrés plutôt que le développement d'une philosophie axée sur la jouissance.

Ironie savante

La charge ironique est stupéfiante quand on sait que Mirabeau détourne ou tronque les citations d'autrui pour mieux argumenter le discours de l'Erotika Biblion. Nous avons pris le soin de distinguer les évocations des allusions contenues dans l'ouvrage, car les références intertextuelles ne sont jamais complètement fausses ou vraies, elles ponctuent juste le discours d'une manière différente. Étant donné le contexte, leur signification manoeuvre la démonstration à plusieurs niveaux de lecture. Mirabeau les utilise pour créditer son discours et l'obscénité de son objet d'étude est si savamment commentée par tous les auteurs cités, qu'on en croirait presque qu'il écrit son ouvrage dans la perspective de se moquer de toute forme d'érudition.

Gardons à l'esprit les propos du vieux rabbin voltairien pour nous défaire de nos préjugés1 ; une lecture non avertie sentira bien la charge ironique - ce second discours dénaturant le discours de savoir - mais ne distinguera pas la philosophie qui se dessine entre les lignes. Les exemples que nous étudions montrent la teneur ironique du discours, d'abord à travers la dissonance - par des références détournées pour appuyer la démonstration -, puis au niveau de l'écriture, un style largement inspiré de Voltaire qui formule une idée dans un contexte peu avantageux afin de la décrédibiliser. L'enjeu stylistique revient à des entreprises de crédibilisation et décrédibilisation qui forment un second discours significatif participant à la structure de l'oeuvre.

Dissonance des références

Mirabeau ponctue l'Erotika Biblion de noms célèbres pour créditer son argumentation, comme

1 Voy. l'exergue de notre introduction « Lumières sur l'Erotika Biblion de Mirabeau.

34 - Au commencement était le Verbe

d'ailleurs il avait pris l'habitude de le faire dans sa correspondance pour maintenir l'intérêt de son entourage sur son sort carcéral.

Dans son ouvrage, on relève de nombreux exemples où l'évocation d'un texte ou d'un auteur est le point de départ de l'argumentaire ; l'utilisation de l'intertexte fait donc partie de la structure type. Mais que signifient ces références dans la pensée de Mirabeau dès lors qu'elles sont tronquées ou détournées de leur intention initiale ? Les Epitres de St Paul par exemple, sont à ses yeux un témoignage de la perversité des Romains et des Corinthiens1 lui permettant de souligner la nature des désirs sexuels dans l'Antiquité. Il les évoque moins comme une réprobation des pratiques sexuelles que comme un réservoir à anecdotes dont le vice, décrié et signalé par l'apôtre, est tout simplement absent des citations rapportées. Dès lors que Mirabeau savait que ces références et citations étaient tronquées et déplacées de leur contexte initial, comment comprendre son intention ? Était-ce de privilégier une certaine philosophique, certain de sa validité et des articulations logiques ? Et même si les propos rapportés ne sont pas exacts, ils ne remettraient pas en cause toute sa construction ? Ou bien, est-ce pour volontairement induire le lecteur en erreur, et pour se moquer de tout, y compris de sa propre idéologie ? Mais cette évaluation du sérieux de son texte dénote fortement avec le projet anthropologique qu'il développe en parallèle de ses traités politiques ; sa conception de l'homme est appuyée sur les effets des lois sur les moeurs, lesquelles supportent la vertu par une morale fondée et consolidée sur les thèses sensualistes.

L'Erotika Biblion est bien plus qu'un tableau des aberrations humaines. Mirabeau y articule ces conceptions de la liberté et du bonheur avec les motivations individuelles pour fonder un projet communautaire dont l'optimisme n'est pas teinté d'ironie. Malgré la profusion des références, on ressent son unité philosophique, sans pour autant la saisir ; on sent bien que Mirabeau compose son texte en surinterprétant l'intertexte afin de l'intégrer en tant que témoignage ou garant moral d'une pratique sexuelle libérée. La Congrégation l'accuse de calomnie, non sans raison. Mais il est curieux qu'elle n'en relève que quelques occurrences, comme la référence au manuel de guerre du marquis Santa-Cruz [« Le Thalaba », page 73], et l'étude sur la sodomie des savants jésuites Tournemine et Sanchez2 [« L'Anélytroïde », page 34] ; d'ailleurs, elle prend soin d'éviter le dernier compère, Cucufe, peut-être de peur d'avouer son impuissance à identifier la personne en question3. Néanmoins,

1 Cités quatre fois dans l'ouvrage, Les Epitres aux Romains et Aux Corinthiens sont les deux seuls textes du Nouveau Testament dans lequel Mirabeau a puisé des ressources. St Paul apparaît comme son auteur biblique de prédilection, son Sermon sur la nécessité de l'autre vie et des consolations dues à l'homme juste est placé sous son patronage. Voy Un sermon inédit de Mirabeau sur la nécessité de l'autre vie, tome 31, Revue des Deux mondes, 1916.

2 Voy. La Lettre clandestine, n°25, dirigée par Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin, éd. cit, page 28 ; les propos des censeurs y sont reproduits et traduits.

3 Nos recherches n'ont trouvé aucun mémoire théologique, aucune histoire ecclésiastique, où serait évoqué le nom Cucuse ; nous en donnerons une explication possible lors de l'analyse de l'intertexte.

Ironie savante - 35

elle relève l'incohérence chronologique de la défense de Tournemine [1661-1739] par Sanchez [1550-1610], et l'on voit bien que le prince des casuistes était dans l'impossibilité de défendre son confrère sur cet objet d'étude. Aussi, ce que la Congrégation affirme est digne de foi, mais ce qu'elle omet, volontairement ou non, n'écarte pas la possibilité que Sanchez ait disserté sur la question de la procréation anale dans ses travaux1.

Un Concept relevant du comique et de l'intertexte

La dissonance est un procédé intertextuel qui s'observe dans l'appareil discursif de Mirabeau et qui opère à trois niveaux de lecture. En premier lieu, il s'agit d'un désaccord entre l'allusion ou l'évocation d'une référence avec sa contextualisation, son apport dans la démonstration, son emploi dans le cheminement logique ; ce désaccord entraîne un décalage comique qui apparaît souvent comme une dynamique focale inséparable des procédés comiques attenants : burlesque, grotesque, héroïcomique, etc... Le rire est subversif et apporte le doute sur la véracité de l'intertexte en question. En second lieu donc, le comique révèle une tension philosophique donnant l'impression que Mirabeau disserte sur une problématique dont la thèse et l'antithèse, n'étant pas formulées, sont à déceler dans la contextualisation de la référence qui indiquerait le positionnement argumentatif du discours. Comme la stylistique savante entretenue par Mirabeau l'empêche de formuler clairement et explicitement son propre positionnement, il se contente d'introduire ces références dans le développement en laissant au comique et à son pouvoir subversif, le rôle dissertatif qui échoie d'ordinaire à la logique. Il ne s'agit pas d'y voir une dissertation qui disqualifierait ou altérerait l'antithèse de façon à répondre à une problématique puisque, en dernier lieu, le doute sur la véracité des références demeure et profite aux références qui suivent.

La spécificité de la dissonance comme procédé ironique est de profiter de la crédibilité des références attestées ou vérifiables pour les transmettre aux références plus douteuses. C'est une entreprise de crédibilisation/décrédibilisation dont la fonction est d'entretenir une juste présomption sur la véracité des références déployées, et dont la nature est d'entretenir un désaccord avec leur pertinence dans la démonstration. Le grotesque provoque le rire, puis un doute, une subversion logique de l'intertexte employé initialement pour créditer la démonstration.

Illustration du concept

Pour illustrer le concept, étudions plus en avant l'exemple dissonant du savant Sanchez, célèbre pour avoir son rôle dans Les Lettres provinciales de Pascal. Mirabeau fait de lui le défenseur de la

1 Le seul ouvrage véritablement connu du casuiste traite du mariage ; voy. le Disputationum de sancto matrimonii sacramento, qui uniuersam huius argumenti tractationem complectuntur, ut quarta docebit pagina, 3 tomes, Antuerplae, apud Martinum Nutium, M.DC.VII.

36 - Au commencement était le Verbe

thèse de l'anélytroïde qui voudrait qu'une femme imperforée puisse procréer, malgré l'absence de vulve, par la parte poste. Lui donnant raison en fin de chapitre, il se moque néanmoins de lui pour avoir soutenu la thèse dans des conditions grotesques.

Cucufe et Tournemine ont été attaqués, cela devait être ; mais le savant Sanchez, Espagnol, qui a étudié trente ans de sa vie ces questions assis sur un siège de marbre, qui ne mangeait jamais ni poivre, ni sel, ni vinaigre, et qui, quand il était à table pour dîner, tenait toujours ses pieds en l'air, Sanchez a défendu ses confrères avec une éloquence dont on ne croirait pas une pareille matière susceptible. [« L'Anélytroïde », page 35]

À ceci, Mirabeau ajoute une note indiquant dans la production littéraire de Sanchez, les ouvrages où l'on pourrait apprécier la consistance de son travail : « Et si vous voulez avoir une idée des édifiantes questions qu'a agité ce théologien, et bien d'autres, cherchez la vingt-unième dispute de son second livre » [Ibid, note 1]. Jean-Pierre Dubost, après vérification1, admet la teneur scabreuse de son travail. Si cette référence est juste, l'allusion suivante, concernant la défense de la thèse de l'anélytroïde par un médecin célèbre, Monsieur Louis2 , devant l'académie des sciences ne l'est pas. Aussi, les références semblent se valider les unes les autres.

L'enchaînement d'une référence juste, puis d'une fausse est une disposition que l'on retrouve dans le reste de l'ouvrage ; la présomption sur la validité d'une référence juste créditerait la suivante, comme on peut le constater avec l'association des Pères Tournemine et Cucufe, dont ces derniers sembleraient tout droit sortis de l'imagination de Mirabeau. Toutefois, les références inventées ne sont pas complètement imaginaires et on ne peut pas les écarter pour reconstruire l'esprit de l'ouvrage. Par exemple, l'allusion au médecin Louis est fausse, mais Mirabeau la contextualise de façon à lui donner de l'envergure dans sa démonstration pour soutenir que la casuistique de Sanchez n'a aucune autorité face à la physique. Pour lui, ce sont deux matières qui s'affrontent pour le même rôle théologique ; il les met en opposition comme deux recherches différentes des causes divines. On rencontre la réfutation franche qui parcourt le XVIIIe siècle français des connaissances religieuses tirées des philosophies métaphysiques au profit d'une connaissance physique, vérifiable et empirique. Ainsi, l'ouvrage de Mirabeau se situe dans l'esprit des Lumières en opposant l'interprétation religieuse à la physique pour préférer aux supputations exégétiques, les connaissances empiriques basées sur des faits observables et réitérables. Pour lui, la casuistique est idéiste, faite de parole et d'articulation vide de logique ; la physique est empirique, et procède d'une observation suivie, expérimentale, qui appuie ses thèses par des faits. Et même si Mirabeau conçoit qu'elles peuvent

1 Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 25, page 124.

2 Même si le discours ne l'indique pas, le médecin Louis peut renvoyer à Antoine Louis, célèbre pour avoir été le médecin légiste de l'affaire Calas [1761-1765]. À la suite de l'affaire, il publie un protocole pour manipuler les victimes d'étranglement afin de prévenir les interprétations hâtives pouvant causer des décisions judiciaires regrettables. Voy. Récits d'historien, Voltaire et l'Affaire Calas. Les faits, les interprétations, les enjeux, Benoît Garnot, Hatier, 2013, p. 71.

Le procédé de dissonance a si bien fonctionné que l'Erotika Biblion a été introduit à la

Ironie savante - 37

s'accorder sur une question - comme ici, sur la procréation de l'anélytroïde -, il n'appartiendrait pas à la casuistique d'avoir autorité face à la physique qui aurait des preuves tangibles pour soutenir ses thèses.

Il suffit de regarder la description de Sanchez et la profusion des détails. Mirabeau lui donne des habitudes culinaires, un mobilier et une gestuelle grotesques. C'est à se questionner sur l'état de santé mentale de celui qui vient prendre les conseils d'un tel homme. Cette profusion de détails des arts de la table glissés dans la description d'un homme de savoir, constitue une approche familière de l'intimité du Jésuite dont l'occupation principale consiste à brasser de l'air avec ses pieds. L'effet de dissonance renforce le discrédit du Jésuite et ajoute du comique à sa description - vu la nature des objets d'études de Sanchez, celui-ci aurait très bien pu disserter sur les meilleures façons de se tenir à table - pour créditer l'anecdote du médecin qui paraît vraie parce qu'elle fait suite à la prodigieuse description, précise et intime, du casuiste ; ce procédé intertextuel implique une maîtrise, une connaissance renforcée des références mises en oeuvre pour asseoir la crédibilité de l'argumentation. Pour opérer le discrédit de Sanchez, le champ lexical se concentre sur les arts culinaires, les épices, la table, le dîner, qui ne sont nullement appropriés aux questions théologiques. L'association des arts culinaires avec le socle de marbre sur lequel repose Sanchez fait de l'interprétation religieuse, une matière figée travaillant avec des ingrédients impertinents, et le trône marbré implique la rigidité séante du casuiste, le rendant anatomiquement impropre à disserter sur la question de l'anélytroïde. Et même si la thèse est valide, l'interprétation religieuse est inefficace pour l'établir avec suffisamment d'autorité pour que ses conclusions soient adoptées et dogmatisées ; en témoignent les attaques subies par Cucufe et Tournemine. En revanche, l'autorité de la médecine est efficace pour justifier la thèse. Elle met fin aux protestations des autorités législatives et théologiques qui y voyaient une atteinte à la décence. La question de l'anélytroïde est réglée dès lors que la médecine présente des faits observables.

Il faut noter que les sources déployées par Mirabeau appartiennent pour la plupart, à la catégorie religieuse. Elles participent aux deux-tiers environ à l'ensemble de l'appareil discursif ; aucune n'est inventée, et même si elles peuvent être inexactes, tronquées ou détournées, elles constituent le préalable au procédé de dissonance. Elles sont présentées de telle façon qu'elles confèrent du crédit aux références qui les suivent. La dissonance consiste à présenter une référence selon un contexte opérant un décalage comique avec la nature de l'objet cité - dans notre exemple, un érudit dont on attendrait plus de gravité que de grotesque - et ce, afin d'adonner du crédit aux références, laïques cette fois, qui suivent. Ce procédé ne peut pas se concevoir sans la subversion qui se présente dans le traitement des références.

38 - Au commencement était le Verbe

Congrégation par deux uota1 ; le premier appréhende l'ouvrage par sa prétention savante et ne remet pas en doute les références qui y sont contenues et développées, le second comme le résultat d'une moquerie sans borne dirigée à l'encontre de la théologie chrétienne. Chacun des uota constitue une réfutation de l'ouvrage à partir des mêmes éléments soulevés - à savoir, l'androgynie d'Adam, les époux successifs de Thamar, et l'amalgame des Philistins avec les Israélites infidèles qui se seraient fait des prépuces -, mais selon une appréhension différente du discours : le premier uotum repose sur une argumentation d'ordre grammatical pour les réfuter, le second est plutôt d'ordre sémantique. Toutefois, les deux proposent de qualifier l'Erotika Biblion d'ignorant. La question de savoir si l'ouvrage est bel et bien savant sur les matières religieuses est vaine : Mirabeau articule la sexualité avec une injonction divine sous couvert d'une spiritualité primordiale qu'il souhaite confirmer dans les Écritures. Dans notre exemple, l'anélytroïde représente l'exemple vivant de la toute-puissance de l'injonction primordiale défiant les lois naturelles par décret divin ; celui que tout être vivant doit être apte à procréer. L'intertexte religieux concourt uniquement à cette démonstration dans une perspective téléologique. Mirabeau pense que si l'observation des lois de la nature qui montre que ces dernières peuvent être détournées pour favoriser la procréation, l'interprétation des Écritures qui soutient cette hypothèse est donc valide ; c'est le principe du résultat qui compte.

Les références aux matières religieuses ont une part de vérité ou du moins, sont suffisamment contextualisées pour alimenter le doute sur leur véracité, permettant ainsi une nouvelle interprétation des textes sacrés. Le discours n'entre pas dans une logique cherchant systématiquement à subvertir les préceptes religieux ; il s'agit seulement des besoins de la démonstration visant à dogmatiser l'injonction divine sur la sexualité. À côté de l'entreprise crédibilisation/décrédibilisation, de dissonance donc, on relève une écriture subversive, un style semblable à celui que l'on pourrait rencontrer sous la plume de Voltaire.

Comique subversif

La puissance stylistique de Mirabeau réside essentiellement dans ses procédés ironiques. Capable de juxtaposer plusieurs matrices significatives en un segment de phrase, son style est économe, succinct et laisse au rire et à sa charge comique, le soin de trancher la démonstration. En faisant rire son lecteur, l'intelligence du texte le persuade de la justesse de la réflexion. Mais le rire se fait aux dépens de qui ou de quoi ? Est-il significatif d'un certain rapport à la religion ? Les procédés ironiques déployés par Mirabeau s'appuient sur l'appareil discursif, comme nous l'avons

1 Pour le fonctionnement protocolaire de la Congrégation, voy. « Errotika Biblion », par Amadieu Jean-Baptiste et Mace Laurence, Les Mises à l'Index des Lumières françaises au XVIIIe siècle dans La Lettre clandestine, n°25, dirigée par Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin, éd. cit, page 19.

Ironie savante - 39

vu pour la dissonance ; leur objet varie donc selon les sources utilisées et leur pertinence dans la démonstration. Comme les cibles du rire sont subverties, le renversement est de facto significatif et montrerait une prise de position, un parti de l'écriture dans la démonstration. Seulement, Mirabeau ne donne jamais de suite significative à la subversion d'une référence. Le rire, la charge comique lui suffit ; il n'explicite pas les conclusions qui s'imposent et ne les réinjecte pas dans la suite de la démonstration. Puisque cette puissance stylistique - les procédés ironiques - ne concerne que l'appareil discursif, elle se concentre sur les ressources sensées crédibiliser et justifier le discours. Mirabeau ouvre des brèches et exploite leurs failles par le comique ; puis, le ton savant succède aux procédés comiques pour appuyer une certaine interprétation des textes sacrés. Car, en révélant les faiblesses de l'autorité théologique, représentée par les personnes ou les procédés affiliés à une autorité religieuse, la charge comique se constitue autour d'une interprétation théologique, originale, dont les fondements sont prétendument fidèles aux traditions rabbiniques délaissées ou oubliées. D'ailleurs, le sous-titre de l'édition princeps contient bien cette intention : Abstrusum excudit, c'est-à-dire, façonné à partir de ce qui a été dissimulé. Mais, peut-on y voir une accusation formelle d'imposture théologique à l'encontre de l'Église ? À aucun endroit dans l'ouvrage ne s'y dessine un tel réquisitoire, Mirabeau se contente d'appuyer sa propre interprétation des textes sacrés par subversion des dogmes et préceptes chrétiens. Il est même difficile d'attribuer formellement une confession religieuse au discours.

En majeure partie, les textes sacrés cités dans l'ouvrage sont cantonnés à l'Ancien Testament, mais la démonstration s'aventure à établir la généalogie de Jésus, et investit la mythologie païenne pour développer des liens entre les traditions religieuses. Alors on pourrait croire que les procédés comiques épargnent les textes sacrés pour se concentrer seulement sur les interprétations jugées désuètes ; mais non, la subversion des matières religieuses ne vise pas seulement les écrits des Pères de l'Eglise et des apologètes. Et même si le rire subvertit les interprétations théologiques, et que le rapport implicite à la sexualité désacralise les textes religieux, la subversion de la sacralité n'implique ni l'athéisme - sapant de facto la justification du projet anthropologique en détruisant la pertinence et la cohérence d'une sexualité libérée -, ni une vision d'une sexualité débridée, sans règle et sans limite. Le style de Mirabeau restreint la charge comique à un rôle censé trancher la démonstration ; et la subversion, inhérente au comique, gomme ou relève les aspérités des problématiques ponctuant la démonstration. À ce titre, les procédés comiques contiennent des enjeux stylistiques inhérents à la construction d'une pensée et peuvent concerner aussi bien les écritures sacrées que les interprétations théologiques. Toutefois, il peut être difficile, voire impossible, de déterminer les choix stylistiques au regard des besoins philosophiques à un moment précis de la démonstration car le texte est le fruit d'un assemblage plagié sur d'autres auteurs.

40 - Au commencement était le Verbe

Pour discerner leur place dans une stratégie argumentative, nous questionnons la charge comique contenue dans le premier chapitre dont nous avons révélé l'enjeu dans la construction générale de l'oeuvre ; et dans le même temps, nous relevons et analysons des procédés intertextuels inspirés des contes voltairiens, et qui, rapprochés des textes initiaux, révèlent la stylistique et ses modalités énonciatives dans lesquelles s'insère la subversion des textes sacrés.

Subversion par la logique

Le premier chapitre « Anagogie » contiendrait à lui seul, les clefs de compréhension de l'Erotika Biblion. Le « flux perpétuel » dans lequel vivent les Saturniens serait l'axiome autour duquel la structure argumentative de l'ouvrage serait construite. Reste à savoir si Mirabeau établit les fondements d'une société utopique selon le principe qu'il emprunte à Buffon, ou s'il subvertit seulement les interprétations anagogiques par lesquelles on accèderait aux vérités transcendantales. Dans ce dernier cas, la subversion de l'anagogie renverse la révélation de Shackerley, mais aussi la construction du bonheur fondée sur le principe de Buffon. S'il est effectivement ramené à une rêverie, le « flux perpétuel », illustré sexuellement par le mythe d'Aréthuse et d'Alphée, serait le fantasme d'une vie simple entièrement tournée vers la jouissance hédoniste et collective, dont l'harmonie s'explique grâce aux dispositions sensorielles naturellement développées chez les Saturniens, bannissant ainsi les efforts des interactions sociales. Jean-Pierre Dubost postule que les chapitres suivants contiennent ce principe, et qu'ils contiennent le développent des axes logiques dans une équation régissant la jouissance, l'énergie vitale et la volonté. Il en appelle aussi aux travaux de David G. Planck qui éclairent le chapitre « Anagogie » par le monisme du savant jésuite Boscovitch qui cherchait une « équation générale et unique qui régirait la mécanique, la physique, la biologie et même la psychologie. » 1 Mirabeau le rencontre en 1781. Seulement, l'Erotika Biblion est publié en 1780 après trois années de détention, et aucune publication n'indique qu'ils aient correspondu avant la libération. Et même si c'était le cas, il se pourrait que Mirabeau stigmatise davantage les principes de la vie saturnienne qu'il n'en fait le modèle fondant son projet anthropologique. Car la charge comique du premier chapitre apparaît dans des comparaisons entre le monde saturnien et la vie terrienne que l'on pourrait concevoir comme un rapport d'opposition, des tensions, rendant l'assimilation du principe saturnien à l'être humain impossible, voire utopique.

Si cet étrange tableau par lequel le texte commence relève moins de quelque naïveté utopique que d'une désinvolture délibérée et d'une ironie ouvertement affichée, il trahit tout de même la pensée profonde de Mirabeau, hanté par un empirisme radical, par un naturalisme sans nuance, où les sens, libérés totalement des entraves de l'équivocité, parleraient un langage absolument transparent, où toute communication humaine aurait

1 Cf. David G. Planck, Le comte de Mirabeau et le père Roger Boscovitch : à propos de l'« Erotika Biblion », dans Les Mirabeau et leur temps, actes du colloque d'Aix-en-Provence, Paris, 1968, pages 171-179 ; voy. Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 1, page 15.

Ironie savante - 41

lieu dans un « flux perpétuel de jouissance ».1

Jean-Pierre Dubost associe les dispositions sensorielles des Saturniens à celles des hommes s'ils exerçaient leurs sens en vue de les perfectionner dans un but de jouissance. Mais ce principe n'est jamais explicité, et les comparaisons entre les Saturniens et les hommes ne sont pas univoques.

Sans même aborder l'ironie partout présente dans ce chapitre, on peut observer que la plupart des comparaisons entre les Saturniens et les hommes regardent la description de l'environnement et les considérations de la physique de Saturne comparée à la Terre : le système solaire [page 10], les proportions kilométriques de l'environnement des Saturniens par rapport à la Terre [page 12], et les effets d'optiques de la courbe de l'horizon [page 13]. Le texte dit bien que l'environnement a participé au développement sensoriel des Saturniens, mais il ne contient aucune conclusion qui postulerait que le physique de la Terre doit être modulé sur le modèle saturnien pour y voir des progrès similaires chez les hommes. La comparaison entre la physique de Saturne et celle de la Terre apparaît comme un procédé narratif qui consiste à faciliter au lecteur la représentation saturnienne plutôt que de le convaincre de la nécessité de refaçonner la Terre sur ce modèle. Quant aux comparaisons ethnographiques entre les Saturniens et les hommes, elles sont tout simplement absentes, car Shackerley « échoua quand il voulut peindre des êtres animés. » [« Anagogie » ; page 15]. Mais encore, il prévoit la destruction de ce monde utopique s'il était à la disposition de l'homme2. En l'occurrence, il est évident que ce monde n'est ni adapté, ni compréhensible pour l'homme et que la logique voudrait que l'être humain s'intéresse davantage à ce qui lui est propre, au lieu de chercher des modèles de perfection hors de sa portée, et impossible à mettre en oeuvre. Sans même aborder les effets ironiques, il semblerait que la logique du discours prédispose à une stigmatisation des procédés anagogiques par l'absurde.

Subversion par le comique

Il est difficile d'écarter les conséquences idéologiques d'une ironie ouvertement affichée. Non seulement, la comparaison entre l'utopie saturnienne et le monde des hommes - qui pourrait à elle seule justifier la lecture de Jean-Pierre Dubost - n'est pas univoque, mais en plus, elle est parcourue par des procédés comiques contextualisant le manuscrit et justifiant de son contenu, mythologique et historique, dans une réception fictive3. Pour preuve, la réception du manuscrit de Shackerley est

1 Ibid, page 14.

2 « Ainsi il pouvait y avoir de petits royaumes sur ce bord intérieur et concave, que les politiques de notre globe sauraient bien rendre un théâtre sanglant et mémorable d'innombrables intrigues s'il était à leur disposition ». « Anagogie », page 13, » Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII.

3 Jusqu'ici, il nous a semblé inutile de préciser que le manuscrit de Shackerley est fictif et qu'il est introduit par les topoï classiques du manuscrit trouvé, alors à la mode dans les romans-mémoires du XVIIIe siècle.

42 - Au commencement était le Verbe

mise en scène de façon à appuyer l'incompréhension totale et générale, et qui relie, par analogie, la révélation saturnienne et l'anagogie de St Jean. De plus, le contraste entre le sérieux attendu d'un texte sacré et l'absurdité de son contenu est renforcé par la mention des Académies italiennes lancées dans la traduction du manuscrit et qui portent des noms dont la consonance en latin rappelle l'absurdité, l'ignorance, la médiocrité, et même la folie [Confusi, Inabili, Instabili, Impatienti, Indifferenti, Discordanti, etc... ; note 1, page 4]. Ces occurrences comiques sont contenues dans le dispositif éditorial - tout comme le titre du chapitre - qui renvoient en bloc à une subversion des lectures anagogiques visant à leur ôter toute pertinence, toute autorité prêtée par la sacralité d'une révélation mystique. Particulièrement au premier chapitre, le dispositif éditorial - le titre du chapitre et l'appareil de notes de bas de page - est utilisé comme procédé intertextuel pour caractériser l'artificialité d'un discours littéraire, devenu ainsi, à l'instar du discours religieux, une pure invention qui ne peut prétendre à aucune autorité morale, philosophique ou intellectuelle. En l'occurrence, la contextualisation du manuscrit par les Académies italiennes procède d'une pratique éditoriale, l'annotation savante. La note concernant les Académies occupe deux pages et demie [« Anagogie » ; page 4 à 6] ; et l'occupation de toute cette place indique un désir d'exhaustivité s'apparentant à une moquerie de l'érudition d'accumulation qui entend substituer à la qualité d'un raisonnement, la quantité des références érudites. Et en ce qui concerne la contextualisation mythologique du manuscrit, le procédé ironique relève moins du dispositif éditorial, que des modalités énonciatives recherchant à asseoir l'autorité sacrée de la révélation de Shackerley sur le caractère authentique du manuscrit.

Que personne dans Herculanum n'a pu rien comprendre à ce manuscrit, écrit bien avant la venue de J-C. comme nous n'entendons rien à la bête de l'Apocalypse qui a 666... sur le front, ornement qui serait bien singulier, même pour un mari français ; ce qui ne détruit point du tout l'authenticité de notre docte manuscrit [« Anagogie », note 2, alinéa 2, page 9].

Le court segment « ornement qui serait bien singulier, même pour un mari français » délivre toute la complexité du dispositif énonciatif : métaphore entre la bête et le mari cocu, si bien qu'on ne sait plus lequel des deux devrait avoir des cornes ; analogie, si la bête représente la fin du monde, l'arrivée du mari annonce la fin des réjouissances ; il y a de tous les tons : héroïcomique, on rit face au danger ; burlesque, l'histoire biblique est ramenée à un fait quotidien ; et grotesque, par la focalisation du discours sur une excroissance du front. Et il ne s'agit là que d'une pluralité de sens littéraux et grammaticaux d'une proposition incise surprise dans l'économie d'une phrase. La ponctuation - en l'occurrence, les points de suspension et le point-virgule - resserre la contextualisation du manuscrit autour de la matrice ironique pour relier le plus directement possible l'incompréhension générale et l'impossibilité d'en contester l'authenticité par incongruence avec le sublime attendu d'une révélation sacrée. La stratégie discursive est limitée et contrôlée pour nourrir le caractère fictif d'un

Ironie savante - 43

texte littéraire qui, doté de sacralité, ne donne aucune clef de compréhension fiable, et qui entretient, par le merveilleux, une signification insaisissable se prêtant davantage à la confusion qu'à la clarté. Ainsi, dès le premier chapitre, le discours opérerait une censure parmi les textes sacrés en fonction de leur degré de clarté apparié à l'utilisation du merveilleux pour présenter une vérité transcendantale. La logique du discours procède d'une caractérisation de la sacralité en fonction de l'authenticité, ramenée à un degré d'entendement qui représenterait la règle constituant le corpus sur lequel s'appuie la démonstration dans la suite de l'ouvrage. Prise dans la cohérence du chapitre seul, la stratégie énonciative transforme le récit de Shackerley en une absurdité consciente, mais arbitrairement adoptée par les apologètes qui déchiffrent le texte par l'anagogie inspirée plutôt que par leur raison. La subversion ne concerne pas l'incompréhension générale, l'impossibilité avérée d'en saisir les sens spirituels, mais bien l'autorité, iniquement conférée aux magistères italiens - qu'ils soient savants ou religieux - pour certifier et dogmatiser les écrits sacrés plutôt que l'intelligence générale, le bon sens commun. Ainsi, le voyage sur Saturne est non seulement incompréhensible pour le sens commun, mais incongru dans son rapport à la sacralité qui se doit d'élever et de rapprocher l'homme du divin. Il faut donc comprendre le titre du premier chapitre, « Anagogie », comme une contextualisation de l'échec exégétique visant à rechercher dans des textes incongrus un sens divin et des vérités ; car la sacralité est attribuée selon des critères absurdes et inaudibles pour l'intelligence. D'ailleurs, l'analogie de la révélation de Shackerley avec l'Apocalypse de St Jean est exprimée dans l'annotation du voyage vers Saturne. Or, le départ pour Saturne est aussitôt marqué par l'échec du voyage initiatique : le protagoniste n'arrive pas à la destination voulue1. La logique du discours renverse l'autorité conférée aux apologètes en stigmatisant comiquement l'authenticité des textes jugés sacrés ; et le comique procède du merveilleux pour subvertir la sacralité des textes du canon religieux. Ainsi, la subversion gagne à la fois les textes et les institutions sacrés.

Du Comique voltairien

Le comique est particulièrement significatif dans le premier chapitre où se justifie la cohérence de l'ouvrage en entier. Si par la suite, le comique relève plutôt des effets de dissonance, l'enjeu du premier chapitre est d'introduire une idéologie protéiforme liant la scientia sexualis avec des éléments fictifs et des procédés exégétiques de la pensée religieuse sous la forme d'un discours savant. Toujours dans le premier chapitre donc, les motifs du merveilleux concourent au comique et sont en majeure partie puisés dans les contes voltairiens ; ils procèdent d'une intertextualité révélant la

1 La différence tient à l'avortement du souhait et des espérances initiaux du protagoniste : « Shackerley voulut être transporté dans une des planètes les éloignées qui forment notre système ; mais on ne le déposa pas dans la planète même, on le plaça dans l'anneau de Saturne. » Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII, page 8.

2 Histoire de Jenni ou le Sage et l'Athée, par M. Sherloc, traduit par M. de La Caille, Anonyme, Londres, [en réalité Genève, Cramer, sans date].

44 - Au commencement était le Verbe

stratégie du discours. En l'occurrence, il s'agit des contes de Candide1 et de L'Histoire de Jenni2 que nous présenterons en premier lieu pour mieux les insérer à la suite du texte de Mirabeau. On retrouve des éléments diégétiques et des tournures syntaxiques, deux catégories très différentes, propres aux écrits de Voltaire dans la contextualisation mythologique du manuscrit de Shackerley. Il est difficile de parler de processus intertextuels dans la mesure où cette inspiration est de nature trop sporadique et ponctuelle pour dessiner une véritable signification discursive. On conçoit aisément que Mirabeau, alors enfermé à Vincennes, ne pouvait recevoir que quelques pages déchirées par correspondance, expliquant ainsi la disparité des indices intertextuels. Néanmoins, on retrouve une logique de composition complexe pouvant illustrer une stratégie d'écriture. L'enjeu serait de recouvrir un système discursif qui, sous l'allure d'un discours savant, mêle les éléments diégétiques d'écrits sacrés et de récits fictifs pour appuyer l'artificialité d'un discours littéraire prétendant à une quelconque autorité. En l'occurrence, l'effet recherché est de procurer du comique dans les raisons d'adopter le manuscrit de Shackerley comme un texte authentique. On y retrouve l'emploi de l'ironie voltairienne qui feint de justifier les thèses adversaires par l'absurde afin de manifester son indignation. Le premier passage dont Mirabeau s'est probablement inspiré pour contextualiser le manuscrit de Shackerley se situe au début du chapitre VI de Candide, « COMMENT ON FIT UN BEL AUTO-DA-FE POUR EMPECHER LES TREMBLEMENTS DE TERRE, ET COMMENT CANDIDE FUT FESSE ». Juste après le tremblement de terre de Lisbonne, les sages du pays décident de donner un auto-da-fé pour en prévenir les préjudices.

On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d'avoir épousé sa commère [...] : on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l'un pour avoir parlé, et l'autre pour avoir écouté avec un air d'approbation [...].

Voltaire dénonce la décision arbitraire de l'inquisition de donner un auto-da-fé dont l'élection des victimes repose sur des éléments irrationnels : l'un s'est marié récemment avec la mère de son filleul, et les deux autres se sont mutuellement parlés et écoutés. Les décisions de l'institution religieuse sont désignées comme absurdes et hors de leur juridiction, car l'auto-da-fé est présenté comme un moyen de calmer l'agitation du peuple - et non la turbulence divine - par des immolations humaines en grande cérémonie. Initiée par le connecteur logique « en conséquence », l'absurdité est croissante et atteint son paroxysme lorsque les deux protagonistes, Candide et Pangloss, sont condamnés sans que leurs propos ne soient rapportés, caractérisant ainsi l'irrévocabilité et l'incontestabilité du jugement. La stratégie employée par Voltaire charge l'absurde d'une

1 Candide, ou l'Optimisme, traduit de l'allemand par M. Le Docteur Ralph, Anonyme, S. 1, Genève, Cramer,

1759.

Ironie savante - 45

dénonciation du divertissement visant à détourner le peuple des questions gênantes pour l'institution religieuse. Le deuxième passage qui nous intéresse se situe au troisième chapitre de l'Histoire de Jenni, « PRECIS DE LA CONTROVERSE DES MAIS ENTRE MR. FREIND ET DON INIGO Y MEDROSO Y PALALAMIENDO1, BACHELIER DE SALAMANQUE ». Mr. Freind, un anglican, docteur en théologie chargé par la couronne d'accompagner le siège de Barcelone, fait la rencontre d'un bachelier barcelonais après la capture de la ville. Leur conversation regarde l'établissement des dogmes catholiques et protestants à la lumière de leur ancienneté et de leur pouvoir temporel. Naturellement, le dialogue prend la tournure d'un débat lorsque le catholique évoque St Pierre - apôtre majeur de Jésus, Simon Pierre était considéré comme le premier archevêque de Rome - pour revendiquer la succession apostolique et ainsi affirmer la primauté pontificale. De bonne foi, le bachelier avance que les actes et intentions de St Pierre sont fondés par le dessein divin, puisque ce dernier aurait rencontré Simon Vertu-Dieu avec qui il se serait prêté à un concours de magie et que l'ayant remporté, il fut couronné la tête en bas et les jambes en haut, preuve que le pape doit régner sur tous ceux qui ont des couronnes sur la tête2. L'invraisemblance et l'irrationalité des arguments du catholique donnent lieu à une réponse de Mr. Freind.

Il est clair que toutes ces choses arrivèrent dans le temps où Hercule, d'un tour de main, sépara les deux montagnes, Calpée et Abila, et passa le Gibraltar dans son gobelet ; mais ce n'est pas sur ces histoires, tout authentiques qu'elles sont, que nous fondons notre religion : c'est sur l`Evangile.

Voltaire regarde les textes sacrés comme possiblement porteurs de raison si leur compréhension s'appuie sur de justes critiques conditionnées par une lecture attentive et avertie. Si le bachelier reconnaît n'avoir jamais lu la Bible, le protestant rappelle que seul le contenu d'un texte peut fonder une religion. Par ailleurs, remarquons que Sanchez est introduit au début de la démonstration du bachelier défendant St Pierre en tant que garant moral. Mirabeau le reprend aussi dans le chapitre « L'Anélytroïde » pour en faire un garant moral vicié. L'invraisemblance et le caractère merveilleux de la contextualisation mythologique, contenus dans le burlesque tenant à la fois aux expressions familières, et aux entreprises dangereuses qui ne requièrent aucun effort à Hercule, discréditent l'argumentation du catholique qui décentre la foi à des considérations irrationnelles. Ainsi, Voltaire justifie l'incrédulité, dans la bouche de l'anglican, par l'authenticité douteuse des histoires qui

1 NB : Le nom du bachelier espagnol est l'indice d'une stupidité fervente qui s'en remet à l'Église pour diriger ses opinions, ses croyances et sa conscience : Inigo signifie nigaud, medroso, peureux, comodios, mange-Dieu par extension idolâtre, et papalamiendo, lèche-pape.

2 Voltaire ajoute que cette anecdote illustre la logique utilisée par certains théologiens pour établir des dogmes sans égard à la raison. Cf. Art. « Voyage de Saint Pierre à Rome » dans le Dictionnaire philosophique, et le chapitre VIII, « De l'Eglise et de l'Etat avant Charlemagne. Comment le christianisme s'était établi. Examen s'il a souffert autant de persécution qu'on le dit » dans l'Essai sur les moeurs et l'esprit des nations et sur les principaux faits de l'histoire depuis Charlemagne jusqu'à Louis XIII, Genève, Cramer, 1756.

46 - Au commencement était le Verbe

fonderaient un discours d'autorité. Cette stratégie énonciative est reprise par Mirabeau, de même que la tournure syntaxique qui justifie l'authenticité d'un texte par le burlesque pour dénoncer l'irrationalité de certains discours religieux. Les éléments que nous venons de soulever dans les contes de Voltaire sont recomposés par Mirabeau lors de la contextualisation du manuscrit de Shackerley de façon plus complexe, mais non moins signifiante.

Animé de la même intention, Mirabeau s'inspire de la même gradation de l'absurde, des mêmes emplois stylistiques, et de la même charge ironique des contes de Voltaire dans la contextualisation du manuscrit de Shackerley. Lui-aussi cherche à définir comme irrévocable et incontestable le jugement des magistères sur le texte de Shackerley afin de rappeler, par l'absurde, les moyens en leur possession pour prévenir toute contestation de leur autorité ; lui-aussi met en avant le contenu invraisemblable de certains textes jugés sacrés ; lui-aussi justifie l'incrédulité résultante d'une authenticité douteuse de ces textes. Mais son inspiration de Voltaire ne s'arrête pas à la critique des institutions religieuses, il recoupe les éléments diégétiques des contes voltairiens pour les articuler dans sa démonstration afin de dénoncer l'irrationalité des interprétations religieuses. La fictionnalité de ces éléments, quoique nécessaire pour la démonstration, n'est pas assumée par le discours car les éléments fictifs côtoient des éléments réels selon le concept de dissonance pour créditer la démonstration d'une présomption de véracité. Ainsi, l'ambigüité se situe entre fictionnalité et rationalité, mêlées dans une subversion presque systématique de tout discours, en l'occurrence d'un discours savant, dont l'autorité repose sur l'artifice d'une construction littéraire.

Par le doute inhérent à la charge comique du texte, l'ambigüité nourrit une réflexion discursive dont la stratégie est de nature métalittéraire. Puisque les procédés énonciatifs masquent, par effet de dissonance, la fictionnalité de l'intertexte qui participe à la démonstration de l'irrationalité d'un discours religieux, la réflexion métalittéraire revient sur le discours même du texte par subversion de sa propre stratégie ; car elle est produite par un discours qui raisonne ou déraisonne de la même façon que les logiques qu'il dénonce. Ainsi, la subversion gagne le discours qui le produit jusque dans sa logique interne. La bonne compréhension du manuscrit de Shackerley doit donc être tributaire d'une réflexion métalittéraire qui regarde évoluer le discours sans qu'il puisse prétendre à aucune vérité absolue, y compris dans sa propre dénonciation de l'irrationalité d'un discours religieux. Cette logique de composition est significative d'une recherche de paradigme qui se profile dans les chapitres qui suivent. En l'occurrence, si le premier chapitre repose sur une subversion métalittéraire qui consiste à interroger la rationalité des constructions littéraires produisant un discours d'autorité, la suite de l'ouvrage se présenterait comme une tentative de répondre à cette interrogation. Pour l'heure, reportons-nous aux éléments diégétiques soulevés dans les contes de Voltaire pour étudier leur utilisation dans le texte de Mirabeau, en l'occurrence le premier chapitre « Anagogie ». Pour ce

Ironie savante - 47

faire, il est bon de rappeler que la contextualisation mythologique du manuscrit de Shackerley est exprimée à deux niveaux selon le dispositif éditorial ; elle est réduite à une phrase dans le corps du texte pour situer le manuscrit dans l'histoire mythologique [« Anagogie » ; page 5], et à trois alinéas dans les notes de bas de page pour justifier son contenu [« Anagogie » ; note 2, page 8].

C'est un manuscrit mozarabique, composé dans ces temps perdus où Philippe fut enlevé à côté de l'eunuque de Candace ; où Habacuc, transporté par les cheveux, portait à cinq cents lieues le dîner à Daniel, sans qu'il se refroidît ; où les Philistins circoncis se faisaient des prépuces ; où des anus d'or guérissaient les hémorrhoïdes [« Anagogie » ; page 5].

À ceci s'ajoutent les trois alinéas justifiant le voyage sur Saturne. Ils annotent l'évidente absence des raisons de Shackerley qui simplement, « voulut être transporté dans une des planètes les plus éloignées qui forment notre système [ici comme l'appel de note divisée en trois alinéas] ; mais on ne le déposa pas dans la planète même, on le plaça dans l'anneau de Saturne » [« Anagogie » ; page 8]. Pour justifier l'authenticité du manuscrit et répondre aux objections des sceptiques qui verraient bien des raisons de douter de Shackerley, les trois alinéas procèdent dans l'ordre suivant :

- Le premier alinéa répond par un argument irrationnel et illogique aux possibles objections quant à la datation du manuscrit en fonction des connaissances astronomiques de Shackerley, et initie l'analogie du manuscrit avec l'Apocalypse de St Jean [« Anagogie » ; page 9].

- Le deuxième alinéa décrit l'incompréhension générale à la réception du manuscrit et rapproche accessoirement la bête de l'Apocalypse avec le mari trompé, afin de souligner que le bon sens ne constituerait pas un facteur fiable d'authentification des écrits sacrés [Ibid].

- Le troisième alinéa menace d'élection à un auto-da-fé à qui doute de l'authenticité du manuscrit et à qui pense que les « trente-six mille raisons, un peu trop longues à déduire » mais non rapportées qui le prouvent, ne suffisent pas pour se convaincre [Ibid].

Nous retrouvons les éléments empruntés à Voltaire selon une disposition complexe. Pour commencer, la syntaxe de la phrase contextualisant le manuscrit de Shackerley est construite selon le modèle de la répartie anglicane dans l'Histoire de Jenni ; en outre, elle s'articule autour du connecteur circonstanciel « dans le temps où » et réinvestit le burlesque dans les compléments qui suivent le procès pour fonder le doute en l'authenticité des histoires rapportées. Ensuite, les termes qui dénoncent l'irrationalité du jugement des interprétations religieuses dans Candide sont repris et disséminés entre le corps de phrase et la note de bas de page. Nous les disposons ici en miroir : l'auto-da-fé en situation initiale du périple de Candide à Lisbonne se trouve être la promesse finale à l'encontre des sceptiques devant le manuscrit de Shackerley ; l'aberration logique de donner un auto-da-fé, initiée par le connecteur « en conséquence » dans Candide s'incarne dans le fondement illogique de procéder à l'analogie de l'Apocalypse avec le manuscrit ; la gradation de l'absurde qui trouve son apothéose dans l'absence de circonstances incriminantes pour condamner Candide et Pangloss est transcrite par les trente-six mille raisons non rapportées de ne pas douter du manuscrit ;

48 - Au commencement était le Verbe

ensuite, nous pouvons facilement identifier les motifs du dîner, le dernier des condamnés dans Candide, le dîner de Habacuc pour la contextualisation du manuscrit, puis du mari, trompé par son désir d'épouser sa commère dans Candide, trompé par sa femme et cornu par analogie avec la bête de l'Apocalypse ; enfin, l'impersonnel de la troisième personne du singulier est employée dans les deux oeuvres pour relater l'action d'une force agissante et non déterminée, une instance au service de l'Inquisition dans Candide, au service des souhaits de Shackerley dans le manuscrit.

À la lumière de ces éléments, l'étude des contes voltairiens par Mirabeau pour y puiser de l'inspiration apparaît comme une stratégie argumentative visant à démontrer l'irrationalité des institutions religieuses. Il est d'ailleurs difficile de ne pas mentionner l'inspiration du Micromégas1 de Voltaire dont les personnages - un habitant de l'étoile « Sirius » et un saturnien dotés d'une multitude de sens - bousculent l'anthropocentrisme et relativisent les connaissances et certitudes des hommes qui ne sont pourvus que de cinq sens2. Pour l'essentiel, les sources voltairiennes ne sont pas détournées de leur visée initiale ; Mirabeau reprend et recompose l'intention de Voltaire différemment, mais non sans vigueur, et sans que l'ironie perde sa vocation à dénoncer les méthodes de l'Église. Remarquons toutefois qu'une différence subsiste : le burlesque révélant le doute en l'authenticité de certains textes s'applique à la mythologie grecque chez Voltaire, à la mythologie judéo-chrétienne chez Mirabeau. Ce détail pourrait dévoiler un fondement idéologique de l'ouvrage : Mirabeau dénoncerait moins la confiance aveugle que l'on pourrait avoir dans la religion que les fondements de son autorité qui reposeraient sur des constructions littéraires irrationnelles pour guider la foi. La nuance peut avoir son importance : la volonté de libérer la croyance des raisonnements exégétiques semble le remporter sur le dessein d'éclairer le vulgaire sur les machinations qu'il subit. En outre, l'hermétique nourrie dans le discours par l'usage du grec et du latin, associée aux procédés énonciatifs pour produire un discours savant pourrait se concevoir comme une stratégie d'écriture visant à adresser l'ouvrage aux élites intellectuelles compétentes, plutôt qu'à un public ordinaire et populaire ; et ce, à l'inverse de Voltaire, qui compose des récits dans des genres populaires très accessibles, et qui assume et revendique pleinement la fictionnalité pour mieux instruire son lecteur. En l'occurrence, Mirabeau pourrait avoir l'intention de renverser l'argumentation de l'institution religieuse pour faire place à une nouvelle forme de raisonnement plus sensée. Sans avancer de certitude, nous relevons dans l'ensemble de l'ouvrage cinq adresses directes à un lecteur bien défini :

- Deux regardent un lecteur commun :

1 Le Micromégas, Voltaire, Londres, 1752.

2 Pour illustrer le principe, Mirabeau développe « l'impossibilité d'expliquer des sens dont on est dépourvu » par l'anecdote du miroir et de l'aveugle afin de rendre compte du désarroi de Shackerley face aux saturniens. Cf. « Anagogie » dans Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, ed. cit, page 14.

1 Mirabeau utilise des lieux communs pour les aborder. Dans son évocation à l'Apocalypse de St Jean par exemple,

Ironie savante - 49

o « Si quelque lecteur est curieux de [...] », « Anagogie », page 6.

o « [...] une vérité très importante [...] pour le commun des lecteurs [...] », « Anélytroïde », page 36.

- Et les trois autres renvoient à une institution ou un individu représentant le monde savant :

o « [...] quelque demi-savant, ou quelque critique obstiné ne trouve [...] », « Anagogie », page 8.

o « [...] je me propose d'en donner à l'Europe savante », « Anagogie », page 22.

o « Je finis [...] par demander aux moralistes [...] et aux érudits [...] », « La Linguanmanie », page 191].

« Anagogie » et « La Linguanmanie » étant réciproquement le premier et le dernier chapitre, nous pouvons remarquer que les adresses relatives à un individu appartenant au monde savant ouvrent et ferment l'ouvrage. La vocation de l'Erotika Biblion se situerait donc moins dans la volonté d'éclairer le commun que de mettre les institutions érudites dans l'embarras ; ainsi, la prétention savante du discours serait en adéquation avec la volonté de tromper le lecteur averti par la subversion des raisonnements auxquels il est habitué.

Les éléments ironiques que nous avons dégagés suffiraient à mettre en doute l'articulation du premier chapitre avec le reste de l'ouvrage à partir du paradigme saturnien et de la formule altérée de Buffon - tous les êtres sont reliés par un « flux permanent [de jouissance] » -. Mais s'il fallait tout de même le soutenir, la charge comique et l'ironie qui contextualisent le manuscrit de Shackerley devraient être réduites à une dissipation, une désinvolture gratuite, dans une réflexion requérant un certain ascétisme ; ce qui aurait pour incidence l'immolation de la richesse stylistique à la volonté de plaire au lecteur par pur plaisir esthétique, sans incidence avec l'idéologie dont la subversion serait accidentelle et négligeable. Il suffit pourtant de regarder le rire comme participant à l'intelligence du texte pour prendre en compte les conséquences philosophiques de la charge comique. Nous venons de voir que le premier chapitre emploie le rire comme une sollicitation de la subversion pour disqualifier certains textes sacrés - en l'occurrence, ceux de St Jean et de Shackerley - dont une vérité absolue est extraite pour construire des dogmes théologiques. Le rire est profane et désacralise la gravité de la matière religieuse par l'absurde ou le ridicule : par exemple, Sanchez dont la gesticulation frise le grotesque ou l'aberrante authenticité du manuscrit de Shackerley. Saisi dans un contexte donné, le rire réduit ses cibles à des rêveurs ou à des rêveries, privés d'autorité et de toute crédibilité, tandis que la stratégie discursive profite des procédés intertextuels pour ridiculiser l'exégèse biblique qui y recherche des systèmes métaphysiques1. Et si l'ouvrage de Mirabeau nous

50 - Au commencement était le Verbe

paraît si curieux, c'est en partie à cause de ces balancements ironiques articulés par des illustrations érotiques ; d'ailleurs, le nom même de l'ouvrage, Erotika Biblion, contient toute cette équivocité. En grec ?ñùôéêÜ âéâëßïí, le titre peut être traduit de deux façons différentes en déplaçant le sujet suivant l'ambivalence de la morphologie nominative : soit De l'Erotisme dans les livres, soit Le Manuel d'érotologie. Il y a subversion des matières sérieuses par la sexualité dans les deux cas, mais la ressemblance des sujets ne fonde pas la même intention : dans le premier cas, c'est une recherche du plaisir tournée comme une réflexion métalittéraire, tandis qu'il s'agit d'un enseignement, d'une méthode presque, dans le deuxième. L'hybridité est unifiée autour du pouvoir subversif de la matière érotique ; l'ouvrage peut traiter des deux sujets à la fois1, mais la vocation à enseigner un savoir d'érudition se concilie mal avec l'apparente ignorance du grec dont témoigne l'erreur colportée par l'édition princeps portant le titre Errotika Biblion2, et qui se vérifie sur le manuscrit trouvé par Jean-Pierre Dubost avec un titre orthographié de la main de l'auteur, Errotikos Biblion3. Peut-être écrit à l'aveugle, le titre est toutefois stratégiquement provocateur, car l'attention a été portée sur les sonorités ; tout en se référant par consonance au livre par excellence, la Bible, il suppose, par l'usage du grec, un discours d'érudition autour de la sexualité. Pour un titre, une telle économie de mot, inhabituelle pour l'époque, implique la prétention d'englober largement son sujet, et évoque ainsi un défi d'érudition. S'il y a eu lapsus, il a néanmoins été assez heureux pour conserver l'équivocité d'une seule et même idée ; à savoir, l'articulation de la sacralité avec la sexualité dans une subversion métalittéraire.

Notre étude stylistique profite de l'emploi de l'ironie pour dégager plusieurs intentions possibles de l'écriture. Aussi, nous avons montré que la première intention de Mirabeau est de dégager matière à hybridité - entre recherche et enseignement de la sexualité, non sans subversion des raisonnements exégétiques employés - dans les ouvrages lui servant d'inspiration pour les traiter de façon à démontrer l'incompétence et l'absurdité des interprétations religieuses. L'ironie savante se situe entre fictionnalité et rationalité et concourt aux besoins de la démonstration qui a besoin de preuves et de

on peut lui reprocher d'avoir omis la seconde bête ; soit par crainte de rendre la métaphore avec le mari cocufié moins pertinente, soit par une connaissance approximative des textes évoqués.

1 En plusieurs endroits, Mirabeau décrit des pratiques sexuelles avec une certaine précision et non sans coloration érotique ; par exemple, le chapitre « Le Thalaba » contient à la fois les observations des incidences de l'onanisme sur le corps et l'esprit et des propositions pour y remédier par l'intermédiaire d'une pratique sexuelle relatée dans ses moindres détails : « [...] la fille adepte évite d'abord avec le plus grand soin de toucher les parties de la génération [...] ». Cf, « Le Thalaba », Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, ed. cit, page 77.

2 Tout est dans le titre, Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, ed. cit.

3 Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 167. Jean-Pierre Dubost précise dans la notice du manuscrit qu'une phrase estropiée en grec est mise en exergue sur la première page. Pratiquement illisible, Jean-Pierre Dubost la retranscrit ainsi : ?óðåñ ô?í êüíéí íüæï? ï?ôù êá? öáýëïõ? ôñõö? êõêëåé, « De même que le vent du Sud fait tournoyer la poussière, de même la luxure fait aussi tournoyer les vauriens », trad. Jean-Pierre Dubost, ibid.

Ironie savante - 51

faits pour paraître crédible. Or, l'inspiration de Mirabeau est si riche et éclectique que la disposition dans laquelle il a composé son ouvrage se devait d'être efficace et économe afin d'articuler le plus rapidement possible son appareil bibliographique avec les besoins de la démonstration. Sans énoncé clair d'une thèse initiale, nous avons vu toutefois que son objectif est d'aller droit au but ; il remet en question les conventions fondant l'autorité des magistères en faisant lui-même usage de leurs raisonnements pour en montrer toute l'absurdité. Les modalités d'expression qu'il utilise pour les subvertir le situe dans la veine de Voltaire, et son intention dans celle des Lumières. La cohérence de son ouvrage se situe dans la subversion générale de ce type de raisonnements ; dans l'absolu, nous pourrions donc qualifier l'Erotika Biblion de singeries des commentaires bibliques s'il n'y avait ce projet anthropologique correspondant à ses traités politiques qu'il enracine dans un rapport sexualité-spiritualité. La suite de notre travail s'attache à découvrir la cohérence philosophique de son ouvrage à travers des conceptions anthropologiques élaborées. C'est un travail d'orfèvre, puisque Mirabeau s'est résigné à la désinvolture ; la plupart du temps, il abandonne abruptement son raisonnement, et bâcle ainsi la fin d'un chapitre. Non sans raisons, Jean-Pierre Dubost rapproche la désinvolture de Mirabeau de celle de Diderot ou de Voltaire, mais pour remarquer qu'il « ne sait pas aussi bien qu'eux ne pas finir.1 » À la décharge de Mirabeau, l'inscription d'un rapport sexualité-spiritualité dans un projet anthropologique n'est pas une tâche aisée, surtout pour quelqu'un dont l'éducation religieuse pourrait laisser à désirer2.

Avant d'entamer l'étude entre la sexualité et le projet anthropologique, on propose une lecture métaphorique de l'oeuvre. Bien qu'on ignore si Mirabeau avait bien eu l'intention de faire apparaître une métaphore coïtale au sein de son premier chapitre, nous la reproduisons ci-dessous en la définissant comme une stratégie d'invention. Comme nous allons le voir, cette image de la sexualité ne concerne et n'est visible que par certaines catégories de lecteur ; c'est la raison pour laquelle nous la qualifions comme une possible stratégie d'invention. Nous la mettons à part, mais nous considérons tout de même que ce développement à sa place dans l'étude stylistique que nous avons proposée.

La Métaphore coïtale

Il faut rappeler la nature des Saturniens : ce sont des êtres aériens dont la description ne tourne

1 Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 9.

2 Nous évaluons dans notre partie suivante l'exacte maîtrise des textes sacrés et les connaissances théologiques de Mirabeau. Cette assertion est appuyée par de nombreux faits relevés par nos études.

1 Nous invitons le lecteur à relire le passage de « Anagogie », de la page 18 à 22 ; cf. Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, ed. cit.

52 - Au commencement était le Verbe

qu'autour de leurs facultés sensitives1 car Shackerley est dépossédé de ses mots quand il essaye de les peindre. La sensibilité qui les définit est ramenée à un dialogue de molécule sensible que le récit compare à aux jouissances des amants d'Alphée et d'Aréthuse à travers la métaphore de la fontaine et du fleuve.

Cette cohésion vive et presque infinie de tant de molécules sensibles, produisoit nécessairement dans ces êtres un esprit de vie que Shackerley exprime par un mot mozarabe, que l'académie des Innamorati a traduit par le mot électrique, quoique les phénomènes de l'électricité ne fussent point connus dans ces temps reculés. [« Anagogie » ; page 20]

Il faut noter l'embarras de l'académie italienne devant la traduction de ce mot mozarabe qui n'est d'ailleurs pas donné dans le texte. Mirabeau parle de cohésion qu'il qualifie de vive et de presque infinie pour les ramener à un phénomène électrique. Et justement, Shackerley précise bien que ces molécules ont besoin des émanations des corps pour se propager et communiquer, formant ainsi « une atmosphère toujours agissante à des distances considérables » [« Anagogie » ; page 19].

Toutefois, le récit indique aussi que ces émanations « sont en pure pertes sur la Terre » [Ibid] ; et il s'agit de comprendre cette phrase. Il n'y a qu'une seule autre occurrence du syntagme en pure perte dans l'Erotika Biblion. Il est attribué à la liqueur lymphatique qui séjourne autour du gland en contact avec le prépuce et qui lubrifie le phallus lors de l'accouplement. On trouve ce syntagme dans le chapitre « Le Thalaba », il est utilisé pour décrire le tempérament de ceux qui ont le gland découvert quelque en soit la raison : la vieillesse, un prépuce naturellement plus court ou la circoncision.

Ceux [les hommes] qui avec du tempérament savent se contenir et ont le gland recouvert, conservent une salacité digne des anciens satyres : la raison en est simple ; le gland qui forme le siège de la volupté, s'entretient dans un état de sensibilité exquise, par le séjour continuel de la liqueur lymphatique qui le lubrifie, au lieu qu'il devient dur et calleux avec l'âge chez ceux qui l'ont découvert, qu'on a circoncis ou qui ont naturellement le prépuce plus court ; car chez eux cette liqueur préparatoire qui s'échappe existe en pure perte. [« Le Thalaba » ; page 77]

Si les émanations saturniennes renvoient à la liqueur lymphatique terrienne, il serait inutile d'en recomposer l'image, et une reconstruction cérébrale suffira amplement : l'anneau de Saturne serait le contenant des émanations ; il tient en son centre la planète échauffée et mal formée de Saturne. Par ailleurs, l'anneau de Saturne est qualifié de « mince et plutôt attiédi » [« Anagogie » ; page 10] et de « bien situé » ; [page 12] ; et l'orbe de Saturne est « immense », « point encore tranquille », parsemé de « tremblements de terre presque continuels », de « débordements », etc... [pages 9 et 12].

La Métaphore coïtale - 53

Toutes ces précisions sont dues à des mouvements qui témoignent d'une certaine sensibilité. Les Saturniens qui séjournent dans l'anneau au contact des rayonnements de la planète sont tous semblables, ont une sensibilité exacerbée, et communiquent par la pensée, justement grâce à cette atmosphère agissante. On peut très bien les comprendre comme concourant au système nerveux, qui n'est rien d'autre que le phénomène de la pensée dans les thèses sensualistes ; et ils sont d'ailleurs décrits comme relevant d'un phénomène électrique. Par ailleurs, les Saturniens sont tantôt ramenés à des formes, tantôt des pensées, tantôt des sensations.

Vu le titre du chapitre « Anagogie » qui consiste en une révélation métaphysique et le fait que la liqueur lymphatique et les émanations seraient deux substances liquides, on pourrait comprendre que l'âme et la corporalité des Saturniens sont réduits de même, à l'état de liquide ; il s'agit justement d'un mythe ancien qui ramène l'âme à un liquide que les dieux puisaient dans une fontaine pour l'insérer dans le vase féminin. Dom Calmet et Voltaire ont d'ailleurs disserté sur cette question. Dans ce cas, pourquoi choisir Saturne plutôt qu'une planète lambda ? Parce que Saturne présente la particularité de posséder un anneau, et surtout parce que Saturne est une divinité pour laquelle certains peuples, comme les Phéniciens se circoncisaient. Il est possible que Mirabeau ait lu quelques passages des Dissertations de Dom Calmet lorsqu'il disserte sur la circoncision dans le chapitre « Akropodie »1 ; et il n'y a aucune difficulté à concevoir qu'il ait rapproché Saturne des prépuces, et que, par extension, il en ait fait un rapport coïtal. Et par la même occasion, on pourrait mieux comprendre la raison de son amalgame entre les peuples philistins et israélites pour désigner ceux qui se sont fait des prépuces au début de « Anagogie » comme nous avons vu l'exemple dans le dernier chapitre2.

Dans cette lecture de « Anagogie », l'anatomie des Saturniens ne s'inscrit pas comme une nécessité pour une société idéale. Elle apparaît plutôt comme l'expression de la vivacité organique parfaite, prépondérante et fertile qui se déroule lors de l'accouplement. Le suivi de la métaphore fait que l'on se représente bien mieux la consistance de l'exercice anagogique de Jeremy Shackerley ; ce qui peut nous éclairer sur la raison pour laquelle ce dernier soit effectivement dépossédé de ces mots pour décrire la nature de ces êtres. La position première de ce chapitre n'est pas un hasard, il donne le ton de l'ouvrage, et c'est le seul qui soit écrit intégralement de la main de Mirabeau. On peut aussi

1 Nous en proposons une étude détaillée dans le chapitre suivant. Pour l'heure, nous avons annexé ces pages, et celle dont nous parlons se trouve à la page 419 du chapitre « Sur l'origine de la circoncision » du Tome I des Dissertations qui peuvent servir de Prolégomènes de l'Écriture Sainte, revue, corrigées, considérablement augmentées, et mises dans un ordre méthodique, par le R.P. Dom Augustin Calmet, 3 volumes, Paris, chez Emery, Saugrain et Pierre Martin, 1720. Voy. l'annexe II : « Dissertations f...], de Dom Calmet, Tome I ».

2 Il s'agit d'une erreur car les Philistins n'ont jamais été un peuple circoncis. Il est d'ailleurs curieux que cette erreur soit seulement présente dans le chapitre « Anagogie » et qu'il évite de la commettre dans « L'Akropodie ». Nous développons une analyse autour des erreurs de Mirabeau dans le chapitre suivant.

54 - Au commencement était le Verbe

y noter une subtilité : Mirabeau pense qu'il n'y a que les circoncis qui ne profitent pas des bienfaisances du liquide lymphatique ; ceux-là ne peuvent donc pas interpréter et encore moins révéler l'Écriture par un exercice anagogique. Vu la teneur de son matérialisme, il pouvait tout à fait croire que les circoncis ne comprendraient rien au chapitre « Anagogie » et qu'il en abandonnerait très vite la lecture ; ce premier chapitre pouvait, dans cette conception des choses, faire office de garde-fou et de repoussoir aux lecteurs indésirables.

Après avoir étudié la cohérence et l'unité stylistique de l'oeuvre, il est temps de s'intéresser aux inspirations et aux ressources de Mirabeau afin d'éclairer l'ouvrage dans une étude élargie aux documents ayant servi à sa conception. Autant que possible, nous dévoilons les méthodes de nos recherches intertextuelles ; et si quelques références se trouvent déjà dans l'édition de Jean-Pierre Dubost, nous l'indiquons, mais bien d'autres nous sont apparues grâce à un travail minutieux. Loin de prétendre à une présentation exhaustive de la bibliographie de l'Erotika Biblion, la partie suivante de notre travail vérifie la crédibilité de ses sources, afin de relever la cohérence et l'unité de l'ouvrage aux vues de ces références éclectiques ; il s'agit surtout de nous donner les moyens d'apprécier au mieux l'exacte maîtrise des textes commentés et investis par Mirabeau après les avoir identifiés.

- 55

Inspirations et ressources

Le ton comique de l'Erotika Biblion est partout présent dans l'ouvrage. On pourrait même le voir comme un procédé littéraire qui organise les chapitres et la disposition de l'ouvrage. Nous nous en tenons à l'observation que les raisonnements du texte ne sont pas sans subversion, et donc sans articulation critique. Et il s'agit maintenant d'identifier précisément la doxa concernée par la subversion.

Par ailleurs, il nous semble utile de rappeler que Mirabeau n'hésite pas à inventer des références pour ponctuer son ouvrage selon la dissonance. De plus, il n'hésite pas à détourner ou à amputer certaines citations afin qu'elles rapportent ce qu'il souhaite démontrer. De facto, il nous faut vérifier chacune des citations, des allusions et des évocations présentes dans l'ouvrage pour déterminer les vraies des fausses. Alors, nous essayerons de savoir s'il construisait son ouvrage au fur et à mesure de ses découvertes dans la Bible ou s'il avait une idée de la forme finale de son ouvrage avant même de commencer à l'écrire. Car ce sont deux processus de création différents qui impliquent deux démarches et deux intentions d'écriture différentes : les réponses du pourquoi et du comment l'Erotika Biblion a été écrit ne seraient pas les mêmes. Comme il était nécessairement conscient qu'il détournait et amputait les citations, nous avons aussi questionné le degré de son honnêteté intellectuelle. In fine, nous n'avons pas hésité à prolonger ses réflexions lorsque les éléments de notre étude le permettaient afin de mieux déterminer son but ; nous rappelons toutefois que l'objectif de cette étude est de reconstruire du sens et non pas de vérifier les bons fondements philosophiques de l'ouvrage.

À la suite de notre travail sur le style de Mirabeau, notre étude s'attache à établir les sources qui ont servi d'inspiration à Mirabeau. Il suffit d'ouvrir l'Erotika Biblion pour s'apercevoir que les références à la Bible sont nombreuses, et que cette riche annotation nous amènerait à penser que Mirabeau s'est contenté de commenter l'Écriture pour écrire son ouvrage, et que son interprétation des textes sacrés relèvent soit de l'imaginaire, soit de la version biblique qu'il possédait à Vincennes. Et pour vérifier ces deux hypothèses, il fallait étudier son corpus. C'est une partie de notre travail riche en étude intertextuelle, nous nous sommes surtout attachés à retrouver les documents et les ouvrages que Mirabeau aurait pu détenir à Vincennes. Vu l'éclectisme de ses sources, on ne peut pas envisager qu'elles se trouvent au même endroit, dans le même ouvrage. Aussi, nous avons adopté une méthode qui prenait en compte deux critères pour diriger nos recherches et renforcer la probabilité qu'il s'était bien appuyé sur une source en question : la photocopie et l'ergonomie. La photocopie est le procédé de reproduction d'un texte dans un autre. Il s'agit de l'étude de circulation

1 OEuvres érotiques de Mirabeau, collection L'Enfer de la Bibliothèque Nationale, Fayard, 1984, notes A et B, page 483.

56 - Inspirations et ressources

des idées : rechercher les termes des notions développées dans un ouvrage ainsi que l'organisation du texte autour de ces termes pour les voir apparaître dans un autre ouvrage. Si la démonstration de Mirabeau reprend les mêmes termes pour désigner les mêmes notions, et qu'elle articule les mêmes éléments et les mêmes exemples dans le même ordre et de la même façon qu'un autre texte, on pouvait estimer qu'il détenait bien cette source en question. À ceci s'ajoute une exigence ergonomique. Puisque nous avons avancé que Mirabeau ne détenait aucun texte en entier - car on devait probablement lui faire parvenir les documents par correspondance, ces documents se devaient de tenir dans une lettre - ses sources ne pouvaient être que dans un petit format, sinon amputées. Ainsi, la reproduction des notions et de ses articulations d'un texte source nous amène à penser que ces textes étaient imprimés sur des petits formats. Pour valider une étude photographique, il fallait que les éléments d'une reproduction tiennent sur un nombre très limité de feuilles d'une édition.

Comme nous l'avons indiqué, Mirabeau dissémine dans son texte des indices intertextuels pouvant révéler son exacte connaissance des textes canoniques de la Bible ; mais il y a toutefois des erreurs et des incohérences dans ses références à l'Écriture. Nous les avons relevées dans notre étude afin de d'instiguer ses erreurs de ses incompréhensions. En ceci, la Congrégation nous aide par le relevé qu'elle a effectué pour mettre l'Erotika Biblion à l'Index. Mais elles ne les relèvent pas toutes ; les principales erreurs de Mirabeau que nous avons découvertes et identifiées concernent les références aux Livres des Rois, l'appréciation de la Genèse, et l'amalgame entre les Philistins et les Juifs apostats. Son interprétation de la Bible est somme toute cohérente, mais nous ne la reproduisons pas dans cette partie de notre étude. Le but étant d'établir seulement son corpus biblique, nous nous sommes concentrés sur le rapport qu'entretient le texte avec la Bible et ses commentaires : et le rapport d'erreur offre non seulement des pistes pour trouver le possible corpus biblique que Mirabeau détenait, mais aussi des pistes pour apprécier justement sa culture religieuse propre. Il s'agit de distinguer les commentaires de Mirabeau qui relèvent d'une lecture suivie d'un commentateur biblique de ceux qu'il formule par lui-même. Mais il va sans dire que son interprétation de l'Écriture n'est, somme toute, pas incohérente, de même que les articulations philosophiques qu'il en retire.

À la suite des résultats de cette étude, nous nous sommes sentis dans l'obligation d'essayer de caractériser la spiritualité de Mirabeau à travers son texte. La question de savoir si Mirabeau s'est nourri de l'herméneutique de la tradition juive semblerait pertinente ; c'est pour vérifier ces fondements que Charles Hirsch a commenté le développement de Mirabeau sur l'androgénie d'Adam1. Néanmoins, les résultats de notre étude sur son éducation et sur sa connaissance propre de

- 57

la Bible nous amènent à penser qu'il n'en est rien. C'est pourquoi notre étude ne présente aucun ouvrage de tradition juive.1 Ignorant les secrets de cette tradition, nous nous en sommes remis aux résultats de nos propres études. Vu les doutes formulés et les surprises devant les développements obscènes de l'Erotika Biblion, nous avons décidé de commencer cette étude à partir de l'appréciation de Jean Pierre Dubost qui estime que l'attitude de Mirabeau envers la Bible est en quelque sorte ambivalente.

L'Écriture est pour lui un ample réservoir d'anecdotes à verser au dossier de l'éros. [...] Le plaisir de pervertir l'herméneutique biblique est indéniable, et en ce sens Mirabeau se situe dans la lignée immédiate de Voltaire. Mais l'intention est moins militante. Il cherche moins la dérision ou l'attaque frontale et se complaît plutôt à démontrer à l'aide d'exemple tirés de la Bible ou de l'Antiquité que le désir est la Loi du monde, que la sexualité est une force prodigieuse et qu'il est impossible « d'éluder les fins de la nature ».2

Loin de nous contenter de l'interprétation de Jean Pierre Dubost, nous la questionnons à la fin de ce chapitre. Pour l'heure, nous avons réglé l'étude du rapport de Mirabeau avec la Bible selon trois règles qu'il énonce lui-même ; à savoir que « l'intelligence de la Bible, qui existe depuis un si grand nombre de siècles, qu'il y a bien peu de choses à citer d'une aussi haute antiquité, demande peut-être encore un long [sic] période d'efforts et de recherches » [« L'Anélytroïde » ; page 29]. Premièrement, la Bible est à prendre comme un texte entier ; deuxièmement, l'homme ne peut en avoir qu'une compréhension limitée qui va en s'agrandissant ; et enfin, la connaissance du livre dépend d'un savoir relatif à la nature et à la physique. Par la suite, Mirabeau est très cohérent : les anecdotes bibliques illustrent différentes intelligences de la Bible en fonction des temps et des peuples, et il s'évertue à rechercher des passages obscurs qui ont pu donner naissance à diverses pratiques qui sont dans l'erreur. Sa logique discursive doit être comprise comme le fondement philosophique d'un projet anthropologique que nous étudierons dans le chapitre suivant.

Ressources bibliques

En plusieurs endroits de l'Erotika Biblion, Mirabeau relève des citations du texte biblique en commettant des fautes de référence, ou des incohérences d'interprétation. Bien qu'il ne soit pas de notre ressort de justifier ses choix théologiques, nous avons relevées tous les commentaires qui paraissent hétérodoxes car nous pensons que ces fautes nous permettent d'apprécier sa culture religieuse, et qu'elles peuvent aussi nous permettre de définir son réel corpus religieux.

1 Notre démarche s'est aventurée à questionner certaines personnes réputées compétentes par la communauté religieuse à laquelle ils appartiennent. Il n'est toutes fois pas nécessaire de les nommer.

2 Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 17, page 123.

58 - Inspirations et ressources

Lorsqu'il commente un passage de la Genèse ou qu'il s'étonne de l'accord au pluriel des verbes attenant à la création du monde, on pourrait penser qu'il s'agit de la réflexion de quelqu'un qui découvre le texte de la Création. Toutefois, il faut déterminer si ces erreurs - si toutefois on peut les appeler ainsi - relèvent de l'appareil biblique dont se servait Mirabeau, ou de son éducation et de sa propre culture religieuse. En outre, elles nous permettent de définir la probable bibliographie de Mirabeau et son instruction sur ces matières. L'une et l'autre pourraient définir des traits philosophiques particuliers dans l'Erotika Biblion, et en tout cas, elles nous permettraient de mieux appréhender son appréciation de la Bible. Il est donc pertinent et important d'éclairer sa compréhension des textes sacrés à la vue de ses ressources bibliques, bibliographies et personnelles. Il s'agit alors d'identifier les textes bibliques sources que cite Mirabeau, d'approfondir ses interprétations, d'examiner l'ossature argumentative qu'il déploie dans ses démonstrations pour les comparer à des commentateurs de la Bible. Tous ces indices doivent être extraits méthodiquement du texte de Mirabeau et de celui du commentateur de la Bible afin de les comparer ; nous en proposons la méthode, et ce, afin de définir les réservoirs à ressources intertextuelles utilisées par Mirabeau.

Examen de l'appareil biblique

Mirabeau cite à de nombreuses reprises la Bible en latin, en allemand et en hébreux. Il serait étonnant qu'il ait imprimé ces citations, ces passages dans sa mémoire et qu'il soit capable de les rendre à la virgule près en détention, dans un état de santé qui laisse d'ailleurs à désirer1. Il devait donc avoir à sa disposition différentes versions de la Bible qu'il nous faut déterminer. Dans ce travail, la Congrégation nous aide par les erreurs qu'elle rapporte de son analyse de l'Erotika Biblion. Vu le rapport de la Congrégation, on peut observer qu'elles sont dues soit à de l'inattention ou de l'ignorance, soit à une erreur récurrente dans la ou les sources citées et utilisées dans l'Erotika Biblion. Est relevé notamment dans le premier chapitre « Anagogie », l'amalgame entre Philistins et les Israélites infidèles à la loi de Moïse pour désigner les hommes qui se faisaient des prépuces ; un miracle dont Mirabeau appuie l'étrange incongruité par les expériences des pères Conning et Coutu dans le chapitre « Akropodie » [« Akropodie » ; page 113]. Nous avons déjà présenté le texte lors de notre analyse sur l'ironie, mais il est toutefois bon de le rappeler.

C'est un manuscrit mozarabique, composé dans ces temps perdus où Philippe fut enlevé à côté de l'eunuque de Candace ; où Habacuc, transporté par les cheveux, portait à cinq cents lieues le dîner à Daniel, sans qu'il se refroidît ; où les Philistins circoncis se faisaient des prépuces ; où des anus d'or guérissaient les hémorroïdes... [« Anagogie », pages 5 à

1 Peu avant l'écriture de l'Erotika Biblion, il se plaint d'un état de santé allant s'empirant : sa vue baisse, ses vêtements partent en lambeaux, il marche pied-nus à même le sol ; on lui soupçonne même d'être affecté d'une pneumonie.

Ressources bibliques - 59

8]

Notons que les personnages bibliques, Philippe, Candace, Habacuc et Daniel renvoient à des repères précis de l'Histoire biblique. En l'occurrence, la situation initiale couvrirait chronologiquement un millénaire : entre Daniel au Xe siècle avant notre ère et le diacre Philippe au Ier siècle après J-C. Le manuscrit aurait été trouvé dans cet énorme espace de temps, ce qui apparaît ainsi comme une moquerie envers la vraisemblance des récits trouvés selon la tradition des romans-mémoires fortement établie au XVIIIe siècle. En réinvestissant le topos du manuscrit trouvé, Mirabeau inscrit de facto ce chapitre dans la fiction.

Au-delà de la charge comique, ce court passage contextualisant le manuscrit de Shackerley concentre deux approximations, deux éléments qui portent à croire que lors de la rédaction du texte, Mirabeau avait sous les yeux une ou des sources l'induisant en erreur au sujet des Philistins et au sujet des anus d'or guérissant les hémorroïdes. Par exemple, sa note développant les anus d'or renvoie au premier Livre des Rois : « Rois, liv. I, chap. VI, v. 17 »1 [« Anagogie » ; page 8]. Or, l'anecdote se trouve en réalité dans le Livre de Samuel, I, chap. VI, verset 17. Nous verrons qu'il ne s'agit pas forcément d'erreur à proprement parler, et qu'il existe plusieurs explications qui peuvent déterminer la bibliographie dont se servait Mirabeau.

L'Amalgame entre les Philistins et les Israélites infidèles

La référence aux Philistins circoncis est annotée par Mirabeau. Sa note évoque le premier Livre des Maccabées, chapitre I, verset 16, pour décrire les actions des Philistins : « Et fecerunt sibi proeputiae. » [« Anagogie », note 1, page 7]. À noter qu'il s'agit en réalité du verset 15, non du 16, et que la Congrégation fait aussi une erreur en mentionnant le verset 122. Toutefois, dans aucune version de la Bible, les Philistins ne sont évoqués par ces versets, car ils ont disparu longtemps avant le début des Livres des Maccabées qui traitent de l'invasion d'Alexandre le Grand.

La note de Mirabeau présente pourtant cinq traductions différentes attestant la citation : la traduction initiale en latin, celle des Septante, celle de Isaac Lemaistre de Sacy3, celle de Isaac-Joseph

1 L'édition de référence pour notre travail, Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII. Cote Enfer 1286 de la Bibliothèque Nationale de France, présente la note « Rois, liv. VII, chap. VI, v. 17 ». Comme il n'existe pas 17 livres des Rois, il s'agit probablement d'une erreur d'impression. Dans le doute, nous renvoyons à la note retranscrite par J-P. Dubost sur le manuscrit. Voy. Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 27.

2 Voy. « Errotika Biblion », Amadieu Jean-Baptiste et Mace Laurence, Les Mises à l'Index des Lumières françaises au XVIIIe siècle dans La Lettre clandestine, n°25, dirigée par Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin, éd. cit, page 28.

3 Il s'agit probablement de la version revue par Pierre Thomas Du Fossé et Henri-Charles Beaubrun ; avant eux, la traduction de Sacy ne concernait pas l'Ancien Testament. Voy. La Sainte Bible traduite en françois, le latin de la vulgate à côté, avec de courtes notes tirées des saints pères & des meilleurs interprètes [...], trad. Isaac Lemaistre de Sacy, établie en liaison avec les Messieurs de Port-Royal, revues après sa mort en 1684 par Pierre Thomas Du Fossé et Henri-Charles Beaubrun notamment, à Liège, chez Jean-François Broncart, 1701.

60 - Inspirations et ressources

Berruyer', et celle de Martin Luther2. En plus de ces traductions, Mirabeau présente une querelle autour du terme proeputiae, engageant, en plus des traducteurs ci-nommés, les jansénistes et les jésuites ; au total, la note fait dialoguer sept acteurs autour du terme « prépuces »3 . Comme le souligne la Congrégation4, il ne peut pas s'agir des Philistins qui n'existaient déjà plus en tant que nation lors des conquêtes d'Alexandre le Grand, mais d'une nouvelle génération juive qui, à l'orée de la période hellénistique, se soumet à l'envahisseur et se défait des marques de l'Alliance. L'Écriture la présente comme des ennemis mauvais et malsains pour avoir renié la foi, tels que sont présentés d'ailleurs les Philistins dans le Livre des Rois. On peut toujours imaginer qu'il y ait eu des erreurs d'impression dans les sept sources citées par Mirabeau, mais il est fort peu probable qu'elles concernent toutes des inversions des termes « Philistins » et « Israélites ».

S'il s'agit d'une erreur de mémoire, on peut excuser facilement l'incohérence des dates, l'approximation des versets, ou l'amalgame Philistins-Israélites. Mais l'impertinence d'une erreur qui regarde Alexandre Le Grand, personnage extrêmement célèbre, est consternant pour quelqu'un qui disposerait d'une si vaste culture biblique et qui lirait la Bible en quatre langues différentes. Il s'agit plus probablement d'une erreur colportée dans une édition de la Bible disposant de commentaires qui relatent plusieurs versions de l'Écriture. Vu les références mobilisées par Mirabeau, on pourrait situer un commentaire publié après 1701, c'est-à-dire après la Bible de Sacy. Nous écartons volontairement l'ouvrage d'Isaac-Joseph Berruyer de cette datation parce qu'il s'agit en vérité d'un roman adapté de l'Histoire biblique et écrit selon les goûts de l'époque. Ce roman a d'ailleurs suscité beaucoup d'indignation tant de la part du monde clérical, que du monde laïque ; et vu son énorme succès, il se pouvait très bien que Mirabeau l'ait en sa possession ou qu'il en ait retenu ce passage. D'ailleurs, il ne l'évoque qu'à cet endroit en l'écrivant « père Berrhuyer »5 [« Anagogie », page 7] avec une faute qu'il n'aurait pas faite s'il avait eu le nom écrit sous les yeux.

Avant d'écarter définitivement la possibilité que Mirabeau ait retenu de mémoire les citations de la Bible, il nous reste à observer son exacte maîtrise des langues qu'il cite des différentes versions de la Bible ; à savoir, le grec, le latin et l'allemand. En ce qui concerne le latin, nous avons déjà montré qu'il le maîtrisait parfaitement de par ses traductions de Tibulle. Et en ce qui concerne l'allemand, il a fait quelques excursions en Allemagne avant sa détention, et s'est vu chargé par Talleyrand en 1786

' Histoire du peuple de Dieu depuis son origine jusqu'à la venue du Messie, par Isaac-Joseph Berruyer, Paris, 7. Vol, 1728.

2 Biblia : das ist : die gantze Heilige Schrifft : Deudsch Auffs New zugericht, D. Mart. Luth, Gedrueckt zu Wittemberg Durch Hans Lufft. M. D. XLI.

3 Voy. notre retranscription des « Évocations et allusions à un intertexte foisonnant », annexe I.

4 La Lettre clandestine, n°25, dirigée par Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin, ibid.

5 Il fallait écrire « Berruyer ». Ce n'est pas une erreur d'impression, puisqu'on retrouve la même faute dans le manuscrit trouvé par J-P Dubost. Cf, Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 27.

Ressources bibliques - 61

d'une mission secrète à Berlin consistant à lui rapporter toutes sortes d'informations ; suite à ses rapports, et n'obtenant pas de vrai poste diplomatique, Mirabeau publie un pamphlet révélant la consistance des intrigues berlinoises1. Si ces faits ne permettent pas d'établir sûrement une parfaite maîtrise de l'allemand, il s'avère que Philippe Roudié relève son multilinguisme en établissant Mirabeau dans le rôle de médiateur entre les Lumières françaises et allemandes2 . Le latin et l'allemand peuvent être considérés comme deux langues qu'il maîtrisait très bien ; il nous reste donc à examiner sa maîtrise du grec.

Les Références aux Livres des Rois

Grâce à un nouvel amalgame entre la Bible des Septante et la Vulgate, nous pouvons considérer sa maîtrise du grec. Il se trouve dans la contextualisation du manuscrit de Shackerley présentée plus haut ; il s'agit de sa note développant la référence aux anus d'or qui guérissent les hémorroïdes. Fléaux dispensés par Dieu lorsque l'Arche d'Alliance est volée par les Philistins, les hémorroïdes se propagent de ville en ville, tuant parfois instantanément la population locale ; pour s'en défaire, les devins conseillent aux responsables de la remettre aux juifs, accompagnée de cinq objets d'or figurant les plaies reçues. Cinq anus d'or ont donc été remis aux juifs en même temps que l'Arche.

Dans sa note, Mirabeau cite le premier Livre des Rois comme référence : « Hi sunt autem ani aurei, quos reddiderunt Philistiim pro delicto Domino. Rois, liv. I, chap. VI, v. 17 »3 [« Anagogie ; note 1, page 8] ; et comme nous l'avons dit, la citation se trouve en réalité dans le premier Livre de Samuel. Or, seule la Bible des Septante compte les deux Livres de Samuel dans les quatre Livres des Règnes dits des « Rois ». Dans cette version, ils sont donc les deux premiers des Livres des Rois à l'inverse de toutes les versions de la Bible postérieure à la Septante qui séparent les quatre livres en deux blocs distincts. Soit Mirabeau le savait, et fait dans ce cas une grossière erreur en ne le précisant pas ; soit il l'ignorait tout simplement, tout comme il ignorait que les Septante ont écrit en grec. Car il n'y a aucune explication à traduire le grec en latin sans l'indiquer. D'ailleurs, Mirabeau cherche à entretenir une tonalité savante, il lui est important et amusant de montrer ses capacités à traduire le grec en latin comme il le fait dans le chapitre « La Linguanmanie » sur des termes scabreux4. Mais il n'utilise que des termes en grec, jamais de phrase ; et dans le reste de l'ouvrage, il n'y a que quatre termes en grec qui se trouvent dispersés entre deux chapitres, sans contextualisation, sans référence

1 Dénonciation de l'agiotage au Roi et à l'Assemblée des Notables, par le conte de Mirabeau, 1787.

2 Suite à ses contacts avec l'Allemagne, Mirabeau regrette que le monolinguisme des Français empêche des avancées dans les sciences. Voir Interférences franco-allemandes et révolution française, Philippe Roudié, Presse Univ de Bordeaux, 1994, page 55.

3 Nous donnons les références de l'édition critique de J-P Dubost comme expliqué plus haut.

4 Voy. le dernier chapitre « La Linguanmanie », Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, éd. cit, pages 186 à 189.

62 - Inspirations et ressources

et sans traduction1. Il est donc étonnant qu'il ait traduit une phrase entière du grec sans l'indiquer. De plus, le terme « Septante » n'apparaît que deux fois. Leur évocation ou citation est importante pour les démonstrations, car elles appuient à chaque fois l'interprétation que veut donner Mirabeau de l'Écriture. Pour la première occurrence, il s'agit, comme dans l'exemple vu plus haut, de l'anecdote des prépuces qui « est en vérité miraculeuse dans le texte des Septante » [« Anagogie » ; page 8]. La deuxième et ultime occurrence sert à démontrer la perfection de la femme dans la traduction grecque de la Bible, car « les Septante ont prétendu que par le mot uira le sens de l'hébreu n'était pas rendu, ils ont ajouté ago. » [« L'Ischa ; page 43]. Ce dernier exemple est décisif : Mirabeau pourrait avancer clairement que les Septante ont écrit en latin. N'étant pas au fait de l'état originel du texte des Septante, il n'a donc pas traduit la citation des anus d'or, n'a pas ouvert la Bible des Septante, et ne l'avait donc pas sous les yeux lors de la composition de l'Erotika Biblion.

Les Livres des Rois sont cités deux fois. Nous venons de voir la première en latin ; la seconde est en français : « Le Seigneur frappa ceux de la ville et de la campagne dans le fondement. Roi, I, c, v. 26 » [« L'Anoscopie » ; page 168]. Il manque le numéro du chapitre, il en est de même dans le manuscrit trouvé par J-P. Dubost2. Après vérification dans le Livre de Samuel et dans le Livre des Rois, il s'avère qu'aucun verset 26 ne correspond à cette citation. L'extrait le plus proche se trouve dans le premier Livre de Samuel, au chapitre 5, verset 9 : « Il [Le Seigneur] frappa les gens de la ville, du plus petit au plus grand, et des tumeurs leur poussèrent »3. Il semblerait que les références aux Livres des Rois utilisées par Mirabeau appartiennent à une version qui organise la Bible selon la version des Septante. Or, pour annoter ces citations, il n'y avait aucune pertinence à choisir spécifiquement la version des Septante pour référer aux anus d'or ou au fléau divin. Mirabeau ignorait donc tout simplement que ces références renvoient à la Bible grecque ; et vu la dernière référence qui est amputée du chapitre et qui indique un mauvais verset, peut-être n'avait-il même pas les moyens de les vérifier. Par ailleurs, les deux références concernent le même extrait biblique qui n'est rien d'autre que la vengeance de Dieu contre les Philistins ayant volé l'Arche d'Alliance au peuple d'Israël. Dans la première citation, Mirabeau expose ce qu'est réellement le fléau de Dieu contre les Philistins, c'est-à-dire les hémorroïdes ; mais dans la deuxième citation qui se situe presque à la fin de son ouvrage, il la ramène à la cristaline, une version plus létale de la syphilis. Ses deux interprétations de ce fléau divin ne se contredisent pas vraiment, puisqu'un traité de médecine du XVIIe siècle indique que la cristaline est un terme générique qui englobe toute sorte de maladie

1 « Kadesch » et « Béhémah » ; voy. notre retranscription des « Évocations et allusions à un intertexte foisonnant », annexe I.

2 Cf, Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 101.

3 Trad. La Bible de Jérusalem, traduite en français sous la direction de l'Ecole biblique de Jérusalem, nouvelle édition revue et corrigée, Les Editions du Cerf, 1998, page 379.

Ressources bibliques - 63

vénérienne résultant du péché de paillardise ; ce traité indique par ailleurs que les Juifs souffrent des hémorroïdes après avoir commis ce péché1. Il est possible que Mirabeau ait eu une version ultérieure de ce traité ; nous en établissons l'affiliation dans le chapitre suivant. Pour l'heure, on ne trouve aucune trace dans ce traité de médecine d'une référence au Livre des Rois ; le commentaire sur la cristaline est, à postériori, un ajout de Mirabeau. Et bien qu'il utilise une citation en latin, et une autre en français pour rapporter l'extrait biblique, il peut s'agir du même texte source ; même si les citations ne sont pas rapportées dans la même langue, Mirabeau aurait pu détenir un feuillet abîmé et tronqué d'un texte ; apparemment, une anthologie ou des commentaires dont l'analyse mélange plusieurs langues. C'est l'explication la plus simple d'une relative connaissance des Septante et dans lequel il aurait trouvé des informations générales sur les textes de l'Ancien Testament, et sur les propos des Septante sans connaître le grec2.

On peut distinguer plusieurs ouvrages qui ont servi de texte source à Mirabeau sans toutefois pouvoir les définir. Dans un autre chapitre, « L'Akropodie », Mirabeau cite par 5 fois le Livre des Règnes en utilisant des références exactes renvoyant à l'ordonnément de la traduction grecque. Ces références parcourent les 4 Livres des Règnes ; autrement dit, il avait sous les yeux, soit le texte source, soit un autre commentaire utilisant des références au Livres des Règnes. Il est à noter que ces références sont notées Reg dans le texte de Mirabeau, et non Rois comme précédemment, que l'annotation ne concerne qu'un passage restreint de « L'Akropodie », et qu'elles se situent toutes à proximité les unes des autres3. Reg peut renvoyer à « règnes » ou au latin, libros regum ? Quoiqu'il en soit, il est étonnant que Mirabeau change ainsi de système référentiel. Ici, il ne s'agit probablement pas du même texte source ; la concentration de l'utilisation des annotations aux Livres des Règnes à un seul endroit indique qu'il ne s'agit pas non plus d'un texte biblique, mais plus probablement d'un commentaire. Sans d'autres éléments, il nous est pour l'instant impossible de savoir s'il s'agit du même auteur.

À noter que Charles Hirsch recherchait la version de la Bible dont Mirabeau s'est servie pour composer l'ouvrage afin d'expliquer les entorses et les détournements que ce dernier fait au sens biblique4. Vu les références et les citations appartenant à plusieurs versions bibliques, en plus des

1 « [...] les Juifs, pour un tel péché, sont fort tourmentez des hemorroides, et des ulceres malins, et le tout à cause d'un tel peché de paillardise. ». Cf. Traicté de la Maladie noovvellement appelée Cristaline, diligemment disputée suivant la Doctrine nouuelle et ancienne, comme se verra par les authoritez mises pour plus grande preuue, Guillaumet T., Chirurgien du Roy, Doyen et Maistre Juré en la Cité de Nismes À Lyon, Chez Pierre Rigaud, ruë Merçiere, au coing de ruë Ferrandiere, M. DCVI, page 20.

2 Le commentaire de Jean Pierre Dubost confirme définitivement cette hypothèse par la découverte du douzième chapitre, « Zonah », dont « de nombreuses erreurs dans le texte montrent que Mirabeau ne savait visiblement que peu de grec, et de nombreuses citations latines sont déformées. » Cf, Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 142, page 141.

3 Voy. notre retranscription de « L'Akropodie » en annexe I, « Évocations et allusions à un intertexte foisonnant ».

4 Erotika Biblion, dans OEuvres érotiques de Mirabeau, collection L'Enfer de la Bibliothèque Nationale, Fayard,

64 - Inspirations et ressources

différentes lectures savantes que Mirabeau rapporte, on pourrait pencher plutôt pour un commentaire de l'Écriture écrit par un clerc particulièrement savant. Quant au texte biblique source, il est difficile de le déterminer sans connaître la raison des références tronquées et non vérifiées par l'auteur. On pourrait toujours supposer avec Charles Hirsch qu'il aurait eu accès à une version de la Bible en latin. Peut-être la Vulgate avec tous les défauts qu'elle présente, à savoir d'avoir été reçue comme un code pénal asseyant un pouvoir politique sur une base religieuse' ; mais Mirabeau n'avait probablement pas de texte intégral, plutôt des fragments de différentes versions de la Bible qui certainement, étaient réunis en un commentaire publié après 1701. Aussi, il serait vain de ramener l'essence de l'interprétation biblique de Mirabeau à un seul texte, voire à un seul commentateur ; tout comme, il est vain de réduire l'intention de Mirabeau à une lecture profane et anticléricale de la Bible. Il devait composer entre les ouvrages sacrés et profanes pour construire son propre commentaire malgré les lacunes d'une telle entreprise.

Sa pauvre maîtrise du grec nous permet de relativiser son investissement philosophique dans la Bible et nous permet d'avancer que sa culture religieuse n'était pas suffisamment approfondie pour rapporter de mémoire des extraits et des références bibliques ; comme en témoigne sa maîtrise de la langue des Septante. Il s'agit maintenant de déterminer jusqu'où Mirabeau peut s'aventurer dans l'interprétation de la Bible sans recourir à un commentateur.

Examen de la culture religieuse de Mirabeau

Pour observer la culture religieuse de Mirabeau, il nous faut chercher ce que l'auteur paraît dégager de lui-même de la Bible sans avoir recours à une note, à un ouvrage ou à un auteur. Comme nous l'avons vu, il tient toujours à annoter ses citations, même si celles-ci sont incomplètes, fausses, et sans moyens pour le vérifier. Toutes les citations annotées de la Bible écartées, il ne reste plus que trois passages où Mirabeau livre une citation de la Bible, dans le corps du texte, pour la commenter et pour développer ses observations2.

Ces trois passages concernent le même texte, la Genèse. Les deux premières occurrences concernent le chapitre « L'Anélytroïde » dans lequel il commente la physique de la Bible lorsqu'elle traite de la Création, puis l'ordre (en vérité, il s'agit plus d'une proposition) de Dieu concernant la propagation : « Croissez et multipliez ». Dans ces deux cas, ces commentaires ne se bornent qu'à démontrer que la physique de la Genèse est en réalité assujettie à l'état de savoir de celui qui rapporte

1984, note A, page 504.

' Idem, page 453.

2 Voy. « Évocations et allusions à un texte foisonnant », annexe I pour chercher les références bibliques rapportées [sans ref].

1 Se référer à notre texte de référence, « L'Ischa », page 43, Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII. Cote Enfer 1286 de la Bibliothèque Nationale de France.

Ressources bibliques - 65

la parole divine et qui devait adapter le récit de Dieu aux représentations scientifiques des peuples contemporains. Quant à l'ordre divin, il le commente de façon à démontrer que cette parole est toute puissante, et qu'elle détermine toute espèce vivante à procréer, même celles qui sont en apparence privées d'organe géniteur, telle que se présente l'anélytroïde, cette femme pouvant procréer par la parte poste. La dernière occurrence se trouve dans le chapitre « L'Ischa », et elle se démarque des deux autres, car son commentaire s'aventure plus loin qu'une lecture littérale de la Bible. Il procède d'une démonstration en chaîne très élaborée de l'androgynie primitive et originale d'Adam. Son commentaire cherche à établir la filiation entre Adam androgyne et un Dieu androgyne ; le créateur qui ne peut créer que ce qui lui est semblable.

Faisons l'homme, dit-il. Il est évident que Dieu parle à lui-même. C'est une chose inouïe dans toute la Bible qu'aucun autre que Dieu ait parlé de lui-même en nombre pluriel : Faisons. Dans toute l'Écriture, Dieu ne parle ainsi que deux ou trois fois ; et ce langage extraordinaire ne commence à paraître que lorsqu'il s'agit de l'homme. [« L'Ischa », page 42]

Son raisonnement se tient si l'on admet que Dieu ne parle de lui au pluriel que lors de la Création de l'homme. Adam serait donc un être double jusqu'à ce qu'il soit divisé par l'opération rapportée dans Le Banquet de Platon. La femme serait tirée de l'essence la plus pure de l'homme ; elle représente l'acte de création le plus parfait car son avènement achève l'ouvrage de Dieu. Il s'agit du fondement philosophique duquel Mirabeau tire les déterminations naturelles de chaque espèce : la reproduction. L'homme et la femme sont faits pour être ensembles et se reproduire. Mirabeau rapporte l'amour que la femme inspire, à une détermination divine faisant que la femme doit éduquer l'homme à se comporter vertueusement. Cela l'amène à penser que la reproduction entraine la vertu ; de facto, l'acte sexuel ne peut jamais être qualifié d'amoral ou d'immoral. Nous développons ces points, étapes par étapes dans le reste de note travail.

Pour l'heure, il s'agit de voir comment Mirabeau qualifie l'acte de Création de Dieu. Et justement, il semble être partagé entre l'évidence et l'étonnement devant ce court passage ; on peut d'ailleurs préciser que ce sont les prémisses de la philosophie. En huit lignes, il répète deux fois l'injonction « Faisons », nomme par trois fois « Dieu », et utilise quatre termes renvoyant à la parole1. Ce qui donne l'impression qu'il fait une découverte stupéfiante et obsédante en même temps qu'il commente l'extrait. S'il s'agit vraiment pour lui d'une découverte, cela en dirait long sur sa propre culture religieuse ; car la pluralité de Dieu est une notion inculquée dès les débuts des études sur la Bible. C'est d'ailleurs ce que rappelle Voltaire lorsqu'il commente la Genèse dans son Dictionnaire

66 - Inspirations et ressources

philosophique portatif.

« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. » C'est ainsi qu'on a traduit ; mais la traduction n'est pas exacte. Il n'y a point d'homme un peu instruit qui ne sache que le texte porte : « Au commencement, les dieux firent ou les dieux fit le ciel et la terre. » Cette leçon d'ailleurs est conforme à l'ancienne idée des Phéniciens, qui avaient imaginé que Dieu employa des dieux inférieurs pour débrouiller le chaos, le chautereb.1

Mirabeau n'aurait donc pas suivi l'enseignement religieux dont ont bénéficié Voltaire et bien d'autres. L'Erotika Biblion n'est donc pas seulement une recherche dans la Bible des matières scabreuses, c'est un apprentissage. On pourrait même penser que son ouvrage n'est pas le fruit d'une pensée mûre et réfléchie, mais plutôt un commentaire fait pas à pas selon les découvertes du jour. Dévoiler les textes sur lesquels Mirabeau découvrait ces notions n'est alors plus facultatif, puisqu'ils nous permettraient de retracer le cheminement intellectuel de l'ouvrage.

Nous avons montré qu'il est probable que Mirabeau ait eu avec lui une Bible, ou un commentaire qui proposait plusieurs traductions en différentes langues ; il est exclu qu'il ait eu avec lui, un seul texte source car il n'a pas eu le loisir de vérifier ses propres références. Peu d'études ont été rondement menées pour établir une liste de ces textes. Toutefois, de nombreux critiques de l'Erotika Biblion pensent qu'il s'agirait principalement des oeuvres d'Augustin Dom Calmet [16721757] : un savant abbé bénédictin qui a parfait son érudition en visitant les bibliothèques des prieurés de France. Les productions de cet abbé étaient très populaires ; parmi sa grande production d'écrits, les plus lus sont notamment son Dictionnaire2 et ses Dissertations3. Il existerait plusieurs intitulés de ces fameuses dissertations. On trouve dans La vue du très-révérend père D. Augustin Calmet, Abbé de Senones4, un mémoire écrit par son neveu et successeur, Augustin Fangé, les principaux titres désignant l'ouvrage :

- Dissertations qui peuvent servir de prolégomènes sur l'écriture sainte, revues, corrigées & considérablement augmentées, & mises dans un ordre méthodique, 1720 à l'initiative d'un libraire voyant là de quoi assurer sa fortune, mais qui ne répondent pas aux vues de Dom Calmet sur son travail.

- Nouvelles dissertations sur plusieurs questions importantes & curieuses, qui n'ont point été traitées dans le commentaire littéral sur tous les livres de l'ancien & du nouveau testament, chez le même

1 Article « Genèse », Dictionnaire philosophique portatif, Voltaire, Londres, 1764.

2 Dictionnaire historique, critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible, enrichi de plus de trois cents Figures en taille-douce, qui représentent les Antiquitez Judaïques, Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée, Augustin Dom Calmet, 4 volumes, À Paris, Chez Emery, Saugrain et Pierre Martin, M. DCCXXX.

3 Dissertations qui peuvent servir de Prolégomènes de l'Écriture Sainte, revue, corrigées, considérablement augmentées, et mises dans un ordre méthodique, par le R.P. Dom Augustin Calmet, 3 volumes, Paris, chez Emery, Saugrain et Pierre Martin, 1720.

4 La Vie du très-révérend père D. Augustin Calmet, Augustin Fange, Abbé de Senones, Senones, chez Joseph Pariset, 1742.

Ressources bibliques - 67

éditeur, 1722. Cette fois, Dom Calmet est à l'origine de la recomposition de son travail et en profite pour l'augmenter de plusieurs dissertations.

- Trésor d'antiquité sacrées & profanes, tirées des commentaires du R.P Augustin Calmet sur l'écriture sainte, par un certain Geoffroi Clairmont, prédicateur français à Amsterdam, pour le moment sans date.

Même si on ne retrouve pas les Dissertations dans le catalogue de la bibliothèque de Mirabeau vendue à sa mort, cette bibliothèque a été constituée après sa détention au donjon de Vincennes, avec une ambition neuve1 qui n'était peut-être pas dans sans ses vues lorsqu'il composait l'Erotika Biblion. Qui plus est, il est fort probable qu'il ne détenait que quelques feuillets arrachés d'oeuvres ici et là ; il n'avait jamais d'oeuvre complète, d'où le fait que ces titres n'apparaissent pas dans sa bibliothèque. Enfin, ajoutons à ceci le fait qu'une première édition en 1715 est relevée par Augustin Fangé, par « un libraire d'Avignon, dans l'espérance d'un gain considérable, [qui] s'était avisé d'imprimer séparément les dissertations de D. Calmet »2 ; l'édition, in-8° en cinq volumes, format discret et facilement transportable, aurait pu se retrouver dans ses biens à Vincennes. Avignon et le fief de Mirabeau se trouvent d'ailleurs très proches géographiquement. Malgré nos recherches, nous n'avons pas pu retrouver cet ouvrage ; nos analyses concernent la première version, Dissertations qui peuvent servir de Prolégomènes de l'Écriture Sainte, dont les Nouvelles dissertations sur plusieurs questions importantes & curieuses, qui n'ont point été traitées dans le commentaire littéral sur tous les livres de l'ancien & du nouveau testament ont été tirées. Quant au dictionnaire, c'est un ouvrage volumineux composé de quatre volumes in-folio et référençant plus de 5450 entrées. Au bas mot, chaque volume fait plus de 800 pages. Comme Mirabeau définit son ouvrage comme une recherche des sujet scabreux contenus dans la Bible3, on suppose que son travail a été méthodique : il lisait en premier lieu les commentaires et dissertations des savants, puis il allait vérifier les références données en note de bas de page (quand il le pouvait) pour les réinjecter dans son commentaire. Dans ce cas, les allusions au texte d'autrui qui ne contiennent ni référence, ni citation peuvent s'expliquer par l'absence des dites références dans le texte source et simplement parce qu'il n'avait pas le livre appelé en note à sa disposition.

Pour savoir si Mirabeau a bien trouvé de l'inspiration chez Dom Calmet, il s'agit de vérifier, non pas la teneur du propos du bénédictin et leur visée morale et intellectuelle, mais d'étudier

1 Ce sont les dires du catalogue que l'on retrouve dès les premières pages d'introduction. Cf, Catalogue des Livres de la bibliothèque de feu M. Mirabeau l'ainé, Paris, Rozet et Belin, 1791.

2 La Vie du très-révérend père D. Augustin Calmet, Abbé de Senones, par Augustin Fangé, éd. cit, page 341.

3 Déjà cité : « Croirais-tu que l'on pourrait faire dans la Bible et l'antiquité des recherches sur l'onanisme, la tribaderie, etc. etc. enfin sur les matières les plus scabreuses qu'aient traité [sic] les casuistes, et rendre tout cela lisible, même au collet le plus monté, et parsemé d'idées assez philosophiques ? ». Cf. Lettre à Sophie, le 21 octobre 1780, dans Lettres originales, écrites du donjon de Vincennes, pendant les années 1777, 78, 79 et 80, recueillies par P. Manuel, T. IV, Paris, Chez J. B. Garnery, 1792, page 298.

68 - Inspirations et ressources

l'organisation de ses ouvrages, de lister les références sur lesquelles il s'appuyait, et finalement de se tenir à tous les indices référentiels qui se trouveraient à la fois dans le texte de Mirabeau et dans ceux d'Augustin Dom Calmet. Nous restreignons l'étude à deux ouvrages de Dom Calmet, son Dictionnaire et ses Dissertations qui sont déjà deux productions littéraires d'envergure ; et nous la relevons à travers deux thèmes qui ont été particulièrement traités par Mirabeau : l'obscénité des peuples antiques et la circoncision.

L'Obscénité des peuples antiques

L'ordre dans lequel Mirabeau développe son propos et qui structure un point particulier peut nous permettre de dessiner l'organisation d'une argumentation. C'est grâce à elle que l'on peut retrouver les textes sources qui lui ont servi d'inspiration ; notre étude compare deux ossatures similaires : celle de Mirabeau et celle des textes pour en établir des filiations pertinentes. Elle nous permettrait de vérifier si Mirabeau a effectivement puisé dans les oeuvres de Dom Calmet pour composer son ouvrage, afin d'identifier le ou les ouvrages en question.

En l'occurrence, le chapitre qui nous intéresse est « La Tropoïde ». Mirabeau y rapporte les obscénités des cultures antiques pour commenter les lois qui régissaient les peuples afin d'établir un parallèle entre les lois et les moeurs : il y développe un axiome faisant que l'évolution des lois contribue à l'évolution des moeurs. Les obscénités du peuple hébreux sont annotées par le Lévitique ; celles des peuples romains, grecs et égyptiens par La Cité de Dieu de St Augustin1. Les moeurs hébraïques sont très annotées ; il s'agit de 15 références au Lévitique en 3 pages2 qui proviennent apparemment d'une version de la Bible en latin, et nous avons déjà soulevé les difficultés qui apparaissent lorsque nous essayons de dégager un texte biblique source. Toutefois, Mirabeau utilise ces références pour reprocher au moralisme chagrin sa volonté systématique de référer au peuple de Dieu pour enseigner la bonne morale. C'est pourquoi il leur demande ce qu'ils penseraient « si des bois sacrés plantés auprès de nos églises comme autour de leurs temples [païens], étaient le théâtre de toutes les débauches » [« La Tropoïde », page 60] ; et ce, après qu'il ait évoqué la divinité juive Moloch et des atrocités que cette divinité inspirait au peuple juif [« La Tropoïde » ; page 57]. Ces deux éléments ouvrent et clôturent l'exposition de la dépravation liée à ces pratiques ; les deux références ne sont pas annotées et ne renvoient pas à la Bible qui, de toute façon, ne relie jamais les deux thèmes. Vu la culture religieuse de Mirabeau, on peut être surpris qu'il connaisse l'existence de

1 Nous proposons une édition antérieure aux commentaires de Dom Calmet, bien que rien n'indique que Mirabeau ait bien eu avec lui un exemplaire de La Cité de Dieu ; Cité de Dieu de Saint Augustin traduite en françois, et revue sur l'édition des Pères Bénédictins, et sur plusieurs Anciens Manuscrits ; Avec des Remarques et des Notes qui contiennent quantité de corrections importantes du Texte Latin, 2 tomes, À Paris, rue S. Jacques, Chez Pierre Debats et Imbert Debats, M. DCCI.

2 Cf. « Évocations et allusions à un texte foisonnant », annexe I.

Ressources bibliques - 69

ces bois sacrés ou Moloch, cette divinité liée à l'idolâtrie ; mais le fait qu'il les lie tous deux pour dénoncer l'obscénité du peuple hébreux apparaît difficilement comme une coïncidence puisque nous retrouvons ces deux thèmes disposés en miroir dans les argumentations de Dom Calmet.

Dans les deux ouvrages que nous avons cités, Dom Calmet parle des bois sacrés et de la statue de Moloch. Dans ses Dissertations, il les lie en évoquant l'idolâtrie. Ce qui lui permet de développer un récit autour de ces bois où « se commettoient ordinairement les abominations, que les Prophètes reprochent si souvent aux Juifs. »1 Notons que ce développement est contenu sur une même page, dans la « Dissertation sur les temples des Anciens »2. Bien que les références au Lévitiques rapportées par Mirabeau ne s'y trouvent pas, il faut attirer notre attention sur le fait que Mirabeau ouvre et clôture la présentation de ces moeurs par Moloch et les bois sacrés ; l'ossature de sa présentation est nettement délimitée par ces deux thème3. Il se pourrait très bien qu'une brève lecture de ce court passage des Dissertations ait pu lui donner l'idée de chercher davantage d'éléments sur les moeurs décrites par Dom Calmet, et qu'il s'en d'ailleurs inspiré ; ce qui expliquerait les similarités de l'organisation de l'argumentation. Dans le Dictionnaire de Dom Calmet, les entrées « MOLOCH »4 et « BOIS » 5 existent aussi ; elles rapportent à peu près les mêmes faits concernant le culte des Ammonites et la nature des activités que l'on pratiquait dans les bois. Seulement, toutes ces informations se trouvent au même endroit, sur la même page des Dissertations ; tandis qu'aucun des deux articles du Dictionnaire ne les contiennent toutes au même endroit. Si l'on admet que Mirabeau a apparemment une culture religieuse limitée, il fallait bien qu'il connaissance l'existence de ces bois avant d'en chercher l'entrée dans le Dictionnaire, ou du moins qu'il se doute de leur portée sacrée. Il faut noter que Dom Calmet a tendance à répéter les mêmes phrases à la lettre près dans ces deux ouvrages ; déterminer par le biais d'une étude stylistique l'ouvrage qui aurait servi de source à Mirabeau serait donc difficile. Mais vu l'objet du discours de Mirabeau sur cet extrait du texte, il s'avère que les Dissertations présentent une ossature argumentative plus proche de l'extrait de « La Tropoïde » que le Dictionnaire.

Il s'agit maintenant d'étudier la provenance de la profusion des références au Lévitique dans « La Tropoïde ». Nous nous concentrons sur deux éléments. L'un se trouve à l'introduction de la description des moeurs obscènes, juste avant les mentions à Moloch et aux bois sacrés ; et l'autre, celui qui nous intéresse à présent, est l'enchaînement des références du Lévitique dans l'annotation

1 Voir annexe II : « Dissertations f...], de Dom Calmet, Tome I ».

2 Dissertations qui peuvent servir de Prolégomènes de l'Écriture Sainte, revue, corrigées, considérablement augmentées, et mises dans un ordre méthodique, par le R.P. Dom Augustin Calmet, livre I, ed.cit, 1720, page 669.

3 « La Tropoïde », page 57 à 60 ; Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, éd. cit.

4 Dictionnaire historique, critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible, éd. cit, Tome II, page 724.

5 Idem, Tome I, page 349.

à 528.

70 - Inspirations et ressources

en bas de page qui suit l'ordre suivant1 :

- Page 56 : Lev. ch. VIII, v.24 ; Ibid. ch. XII, v.5.

- Page 57 : Lev. ch. XVII, v.7 ; Ibid. ch. XVIII, v.7 ; Id. ch. XX, v.3.

- Page 58 : Lev. ch. XVIII, v.22 ; Lévit ; ch. XXI, v.18.

On peut observer que le commentaire suit pas à pas l'évolution du Lévitique dans une logique de lecture allant du chapitre VIII au chapitre XXI avec pour seule entorse à cette logique, la présence du chapitre XVIII entre le chapitre le XX et XXI. Or, toutes ces références au Lévitique sont données dans le même ordre textuel (quoique sans l'entorse du chapitre XVIII) dans l'annotation que Dom Calmet déploie dans sa « Préface sur le Lévitique » dans le livre II de ses Dissertations, pages 40 et 412. Les notes de Mirabeau concernant les cérémonies de consécration [« La Tropoïde » ; note 1, page 56], celles des naissances [Ibid ; note 2], la fornication avec les chèvres [Idem ; note 1, page 57], les rapports incestueux [Ibid ; notes 2 à 8], les sacrifices des nouveau-nés [Ibid ; note 9] y sont toutes référencées sur les deux premières pages du commentaire de Dom Calmet. Bien que ce rapprochement ne constitue pas un fait suffisant pour établir la certitude que Mirabeau a effectivement puisé dans les Dissertations pour construire son tableau des aberrations, il offre néanmoins des similitudes frappantes pour considérer cette possibilité ; toute l'annotation de « La Tropoïde » est contenue dans deux pages des Dissertation. Aussi, vu la notoriété des ouvrages de Dom Calmet, il se pouvait que Mirabeau - s'il n'avait pas précisément cette « Préface sur le Lévitique » - ait pu détenir un ouvrage qui s'en servait déjà comme inspiration. Au reste, dans le Dictionnaire, ni l'article « LEVITE », ni l'article « LEVITIQUE »3 ne contiennent une telle profusion ; les articles ont des textes extrêmement courts qui survolent les moeurs que Mirabeau illustre dans « La Tropoïde ».

L'autre élément qui nous intéresse se situe avant le tableau des moeurs, et juste après que Mirabeau se propose de déterminer « si nos moeurs, et quelques-uns de nos usages comparés avec plusieurs grands peuples, doivent paroître si détestables. » [« La Tropoïde » ; page 55] Par ce biais, il introduit le Lévitique et précise que le nom du livre biblique provient du peuple Lévi. Il présente à la suite l'habit des lévites, le lévi, qu'il décrit comme un « habillement d'aujourd'hui qui porte ce nom, sans être un monument bien authentique de notre piété » [« La Tropoïde », page 55]. Or, l'article « LEVITE » du Dictionnaire précise « qu'ils ne portaient point d'habits distinguez du reste des Israëlites » jusqu'à ce qu'ils obtiennent du Prince Agrippa la permission de porter la tunique de

1 Se référer à notre annexe I : « Évocations et allusions à un texte foisonnant ».

2 Voy. l'annexe III : « Dissertations f...], de Dom Calmet, Tome II ».

3 Dictionnaire historique, critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible, éd. cit, tome II, pages 525

Ressources bibliques - 71

lin des prêtres et de jouer des instruments de musique'. Il aurait pu connaître l'habit grâce à une gravure qu'il aurait eue à sa disposition, telle qu'on peut la retrouver dans l'article « LEVITE » entre la page 526 et 527 du Dictionnaire de Dom Calmet ; ou bien, comme nous l'informe le manuscrit trouvé par J-P Dubost qui contient quelques annotations du chevalier de Pierrugues (que Dubost identifie comme Auguis) datant de 1783 - soit 3 ans après la première publication de l'Erotika Biblion - il pouvait le connaître grâce à une mode qui consiste en une « espèce de robe de femme qui portait ce nom à Paris, en 1778-79 et 80. »2 Bien que Mirabeau ait été enfermé de 1777 à 1780, on peut considérer qu'il serait tout de même étonnant que cette mode lui ait échappée.

Les éléments que nous avons soulevés ne permettent pas d'affirmer que Mirabeau se soit directement inspiré de Dom Calmet. Néanmoins, nous avons pu détecter plusieurs éléments qui nous assurent que Mirabeau avait recours à un commentateur, surtout en ce qui concerne les notions et informations que nous avons dégagées de « La Tropoïde ». Sachant la pauvre culture biblique de Mirabeau, elle doit bien être redevable à ce type de commentaire pour que le texte soit parsemé de telles références. D'autres types de lacunes nous indiquent aussi le format sous lesquelles se présentaient les sources de Mirabeau. Certainement des feuilles ou feuillets déchirés, toutes les informations et les références au texte biblique devaient se trouver au même endroit, si possible sur la même page. En l'occurrence, les Dissertations de Dom Calmet sont rentrées dans cette exigence de format ; il est donc possible que Mirabeau eût avec lui un ou des extraits des dites Dissertations ou un texte qui s'en inspirait. Quoiqu'il en soit, nous pouvons avancer qu'il existe bien une inspiration indirecte des oeuvres de Dom Calmet, en l'occurrence des Dissertations, mais non pas du Dictionnaire. Nous allons maintenant examiner un deuxième passage de l'Erotika Biblion dont Jean Pierre Dubost assure qu'il est inspiré du Dictionnaire de Dom Calmet.

' Idem, page 526.

2 Cf. Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 39, page 125.

« La Tropoïde », page 55

72 - Inspirations et ressources

Article « Lévite », Dictionnaire historique f...], Dom Calmet, éd. cit, Tome II, page 526

« [...], l'habillement d'aujourd'hui qui porte ce nom, sans être un monument bien authentique de notre piété. »

Ressources bibliques - 73

La Circoncision

Une note de J-P Dubost dans le chapitre « L'Akropodie », commente le développement et la construction des propos de Mirabeau sur la circoncision. J-P Dubost y établit des rapprochements entre le texte de Mirabeau, le Dictionnaire philosophique de Voltaire, l'Encyclopédie, et le Dictionnaire de Dom Calmet1.

La question débattue à cette époque était de déterminer l'origine de la circoncision et d'identifier le peuple qui, le premier la pratiqua. En outre, les avis sont partagés ; et Voltaire est du côté de ceux qui veulent prouver que les Hébreux la tenaient des Égyptiens. Comme Mirabeau ne disserte pas sur cette question, J-P Dubost estime qu'il a suivi les commentaires du Dictionnaire de Dom Calmet dont le texte ne traite que légèrement de l'origine de la circoncision pour restreindre le propos à l'explication de la pratique chez les Hébreux et chez d'autres peuples, à la description du rituel juif qui enveloppe cette pratique, et à sa signification dans l'Écriture. Et il montre finalement que Mirabeau déplace la question, comme le fait Dom Calmet dans son Dictionnaire, à la circoncision des femmes. Ainsi, le texte du Dictionnaire philosophique de Voltaire est écarté comme possible source directe de « L'Akropodie », et il ne reste plus qu'à traiter de l'Encyclopédie dont il se sert pour aborder la pratique de la circoncision chez les peuples turcs, persans, malgaches et mexicains ; comme il recopie des extraits de l'article « CIRCONCISION »2, ainsi que le montre J-P Dubost, il n'y a pas de doute quant à la source de son texte. Ce n'est toutefois pas le cas pour les textes de Dom Calmet. On retrouve la dissertation de l'abbé « Sur l'origine de la circoncision » dans les Dissertation3 , dans lequel il développe toutes les raisons de penser que les Hébreux étaient les premiers à pratiquer la circoncision. Comme nous l'avons déjà dit, le Dictionnaire et les Dissertations de Dom Calmet présentent un texte similaire, reprenant les mêmes références, et parfois les mêmes développements à la virgule près.

Il s'agit donc de voir si Mirabeau a choisi de traiter de la circoncision des femmes en s'inspirant directement du Dictionnaire de Dom Calmet et par défaut d'autres textes ne traitant pas de l'origine de la circoncision, ou - s'il avait aussi les Dissertations avec lui - par choix littéraire. Le détournement de la question de la circoncision aux femmes impliquerait une volonté de sortir des carcans où s'inscrit une littérature savante pour tourner en dérision cet exercice d'érudition.

1 Idem, note 66, page 130.

2 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, Paris, Chez Briasson, David, Le Breton et Durand, 1751-1765, tome III, page 458.

3 Dissertations qui peuvent servir de Prolégomènes de l'Écriture Sainte, revue, corrigées, considérablement augmentées, et mises dans un ordre méthodique, par le R.P. Dom Augustin Calmet, livre I, ed.cit, 1720, page 411. Nous avons annexé les pages concernées des Dissertations pour notre étude. Voy. l'annexe II : « Dissertations f...], de Dom Calmet, Tome I ».

74 - Inspirations et ressources

Que ce soit pour le Dictionnaire ou pour les Dissertations de Dom Calmet, Mirabeau n'y recopie aucun extrait ; il préfère utiliser leurs éléments argumentatifs et les exemples qui y sont déployés pour recomposer son texte. Il est vain de chercher dans l'Erotika Biblion des passages recopiés sur Dom Calmet ; il n'est donc pas exclu qu'il possédait les deux ouvrages. En l'occurrence l'ossature argumentative de « L'Akropodie » présente des similitudes avec le Dictionnaire. L'enchaînement de certains éléments se présente comme une lecture suivie de l'article « CIRCONCISION » du Dictionnaire de Dom Calmet1 que l'on rapporte ici dans l'ordre :

- L'âge d'Abraham lorsqu'il se fit circoncire :

o « L'Akropodie » ; page 109 (référé à la Genèse. XVII, 24).

o Dictionnaire de Dom Calmet ; page 433, premier chapitre (référé à la Genèse. XVII, 30).

o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision » des Dissertations.

- La division des Pères de l'Église sur la signification de la circoncision :

o « L'Akropodie » ; page 110 (évocation de St Augustin, St Justin, Tertulien et St Ambroise, etc.).

o Dictionnaire ; page 434, neuvième chapitre (évocation de St Augustin, St Justin le Martyr, St Irenée, St Chrysostome, St Epiphane, d'Hilare Diacre, St Jérôme, St Jean Damascène, St Grégoire le Grand, Bède le Vénérable, St Fulgence, St Prosper, St Bernard).

o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision » des Dissertations.

- La circoncision des égyptiennes :

o « L'Akropodie » ; page 111 (annotée par une citation de Huet sur Origenes).

o Dictionnaire ; page 435, treizième chapitre (Idem).

o Dissertation ; page 418.

- La cérémonie de la circoncision des apostats devenant juifs :

o « L'Akropodie » ; pages 111 et 112.

o Dictionnaire ; page 435, quatorzième chapitre.

o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision » des Dissertations.

- La pratique des juifs devenant apostats2 :

1 Dictionnaire historique, critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible, éd. cit, tome I, pages 433

à 436.

2 Il faut noter qu'à cette occasion, Mirabeau évite d'inverser les peuples juifs et philistins pour désigner ceux qui se sont fait des prépuces comme il a pu le faire dans le chapitre « Anagogie » ; toutefois, nous pensons que ce chapitre est si intimement lié avec « L'Akropodie » qu'il a dû les écrire ensemble.

1 Voy. les pages 417 et 418 de l'article « Sur l'origine de la circoncision » de l'annexe II : « Dissertations f...], de Dom Calmet, Tome I ».

Ressources bibliques - 75

o « L'Akropodie » ; page 112 (référée au Macchab. Liv. I, chap. I, 16).

o Dictionnaire ; pages 435 et 436, quinzième chapitre (référée au I. Macc. I. 16)

o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision » des Dissertations.

- La crainte de St Paul devant cette pratique :

o « L'Akropodie » ; page 112 (référée au I. Cor. VII, 18)

o Dictionnaire ; page 436, fin du quinzième chapitre (référée au I. Cor. VII. 18).

o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision » des Dissertations.

- L'impossibilité d'effacer la circoncision :

o « L'Akropodie » ; page 112 (évocation de St Jérôme, Rupert et Haimon).

o Dictionnaire ; page 436, seizième chapitre (évocation de St Jérôme et annotée par Rupert

et Haimo [sic]).

o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision » des Dissertations.

- Les méthodes de Galien, Celse et Buxtorf le fils pour se défaire de la circoncision :

o « L'Akropodie » ; pages 112 et 113.

o Dictionnaire ; page 436, dix-septième chapitre.

o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision » des Dissertations.

Mis à part quelques incohérences de références au texte biblique et aux Pères de l'Église, on voit bien que l'argumentation de Mirabeau suit l'organisation du Dictionnaire de Dom Calmet, et non ses Dissertation. Un seul élément peut nous amener à penser que Mirabeau aurait pu aussi détenir le chapitre des Dissertations : la circoncision égyptienne. Dans ce texte, Dom Calmet regarde la pratique égyptienne comme un volet de sa démonstration, puisqu'il s'agit de la détacher des pratiques juives. Il y décrit donc les raisons de la pratique égyptienne dans les détails1. Ce qui constitue une grande différence avec le Dictionnaire où il se contente de la ramener aux usages et aux raisons naturelles. Or, Mirabeau revient par deux fois sur la pratique égyptienne de la circoncision afin de la ramener à une nécessité physique. En premier lieu, il apparaîtrait que la pratique favoriserait l'éjaculation lorsque le prépuce est très long [« L'Akropodie » ; page 108] ; et en second lieu, la circoncision des femmes devait permettre une meilleure « approche du mâle » [« L'Akropodie » ; page 111]. Il établit ainsi la reproduction comme la seule bonne raison qu'il y aurait à circoncire les hommes et les femmes ; et il semble donc donner raison aux Égyptiens, à l'inverse des peuples qui la pratiquaient suivant l'observation d'un principe religieux. Bien que les conséquences physiques

76 - Inspirations et ressources

de la non-circoncision ne se sont pas décrites dans les Dissertations (elles peuvent être inventées par Mirabeau), les raisons d'adopter cette pratique composent l'un des volets de l'argumentation de Dom Calmet dans ses Dissertations ; car cette différence constitue à ses yeux une preuve que les Hébreux n'ont pas reçu la circoncision des Égyptiens. Dom Calmet s'y attache donc à décrire savamment les différents protocoles de la circoncision, ce qui aurait pu de source à Mirabeau. Il y a aussi cette citation de Huet sur Origène qui appuie le fait que l'on circoncisait les Égyptiennes, et que l'on trouve sur les trois textes. Mirabeau en recopie une partie en latin dans sa note I de la page 111. Or, sa note comporte une précision en grec, ô?ò íõìö?ò (de la jeune fille) ; et ce terme grec ne se trouve que dans les Dissertations1, et non pas dans le Dictionnaire. Il serait étonnant que Mirabeau ait ajouté ce terme selon son bon plaisir ; il devait avoir sous les yeux cette citation comportant ce terme, et donc il devait avoir ce chapitre des Dissertations. Comme l'inspiration directe du Dictionnaire n'est plus à prouver, il aurait donc fait le choix de ne pas traiter de l'origine de la circoncision s'il possédait effectivement les deux textes.

Au reste, un dernier élément de « L'Akropodie » est encore à traiter. J-P Dubost relève une phrase raturée dans le manuscrit qui n'apparaît dans aucune édition de l'Erotika Biblion. Elle indique un début de phrase tronquée à la page 111 que nous mettons en italique : « Cette pratique subsiste même encore aujourd'hui s'il faut en croire l'histoire de l'église d'Alexandrie par le père Van Sleb : on leur coupe une partie du clitoris qui nuirait à l'approche du mâle [...] »2. L'indication de la prospérité de la circoncision en Égypte n'est rapportée que dans le Dictionnaire de Dom Calmet3, et non pas dans les Dissertations. Toutefois, Dom Calmet ne donne aucune référence, et il faut que Mirabeau ait trouvé quelque part l'ouvrage de Johann Michael Wansleb4. Ce qui nous fait penser qu'il avait avec lui d'autres ouvrages où il tirait des références ; peut-être notamment, l'article « Effets de la circoncision » du tome III des Dissertations que nous n'avons pas pu consulter, mais qui pourrait contenir l'ossature argumentative du Dictionnaire, en plus de la description des conséquences physiques qui résulteraient de la non-circoncision exposées par Mirabeau. Toujours est-il qu'il paraît évident que Mirabeau se soit inspiré de Dom Calmet et que le déplacement de la question de l'origine de la circoncision à la circoncision des femmes est dû à un choix de l'auteur. On peut donc penser que Mirabeau souhaite ridiculiser non seulement la pratique de la circoncision et la culture érudite qui s'exerce autour de son origine, mais aussi la signification sacrée que lui donne le peuple élu. L'alliance avec Dieu lui apparaît comme l'obéissance à l'ordre primitif qui consiste à croître à se

1 Idem, note (d), page 418.

2 Cf. Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 74.

3 Dictionnaire historique, critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible, éd. cit, tome I, pages 435.

4 Histoire de l'Église d'Alexandrie fondée par S. Marc, que nous appelons celle des Jacobites d'Égypte, écrite au Caire même en 1672 et en 1673, par le P.J.M. Vansleb, à Paris, chez la Vve Clousier, 1677.

Ressources bibliques - 77

multiplier ; c'est l'injonction de la procréation, et à ce titre, la circoncision n'est nécessaire que lorsqu'elle empêche l'accouplement.

À travers les différents exemples que nous avons soulevés, il nous a été possible de délimiter le corpus sur lequel Mirabeau aurait pu s'appuyer pour écrire l'Erotika Biblion. Son appareil biblique apparaît en grande partie redevable à un commentateur, Dom Calmet, qui lui fournissait non seulement de la culture biblique, mais aussi de la matière à réflexion. On ne peut toutefois pas dire que Mirabeau a écrit un ouvrage pieux et respectueux des dogmes chrétiens. Il y a ajouté beaucoup d'anecdotes et de détails provenant de la culture profane ou païenne pour construire son discours. Il s'agit alors de retrouver toutes ces ressources afin de compléter la définition de son corpus et de dessiner sa compréhension de la spiritualité.

Une Spiritualité indéterminée

Nous avons déjà vu que l'ouvrage est bâti autour d'un projet anthropologique et d'une lecture des livres sacrés. Dans l'Erotika Biblion, l'un ne va pas sans l'autre ; et il apparaît évident que la façon dont Mirabeau comprend la spiritualité justifie son projet anthropologique. Il s'agit donc d'étudier la logique qui les relie, et qui donne une certaine cohérence à toute son oeuvre. Nous avons déjà tenté au chapitre précédent, une réunification de l'ouvrage par une étude thématique et nous avons abandonné l'ambition de le réduire à une seule et même signification. C'est pourquoi nous proposons ici une étude limitée à certaines notions traitées par Mirabeau, et qui nous semblent être les clefs d'une compréhension satisfaisante de l'intention de l'ouvrage.

En philosophe, Mirabeau traite dans l'Erotika Biblion de certains points appartenant à la matière religieuse. Que ce soit des questions dogmatiques, comme l'androgynie d'Adam, l'âme, ou des anecdotes historiques appartenant à quelques ordres religieux, il les relève dans son texte comme des traits particuliers et curieux qu'il s'agit de commenter pour développer une philosophie autour d'un projet anthropologique. On sait qu'il était en possession d'un corpus savant très élargi traitant de différentes confessions, et de différentes philosophies ; pourtant ses propres commentaires ne s'inscrivent pas vraiment dans une offensive contre le moralisme chagrin, le despotisme et l'imposture de l'Eglise qui sont pourtant des thèmes très débattus pendant le XVIIIe siècle. Comme nous l'avons vu, beaucoup de références sont inventées, détournées ou amputées ; notre analyse cherchera maintenant à les rétablir pour saisir la logique de composition de l'Erotika Biblion et déterminer les grandes lignes de son interprétation des textes sacrés.

78 - Inspirations et ressources

Invention et recomposition

Il semble évident que Mirabeau prend un grand plaisir à ridiculiser le monde religieux ; on entend par là, certaines sociétés, les jansénistes et les jésuites notamment, et certains Pères dont les noms sont encore à vérifier. Ces moqueries sont disséminées à travers les chapitres ; toutefois, on peut distinguer parmi elles, trois occurrences dans lesquelles elles sont plus qu'une évocation ou une allusion ; elles prennent toutes l'apparence d'une anecdote qui fait office de moteur d'argumentation. La première occurrence se situe dans le chapitre « Anélytroïde », lors de la démonstration autour de la fille imperforée [« Anélytroïde » ; page 34], c'est un passage que nous avons déjà relevé ailleurs ; la deuxième constitue la méthode inventée par les Pères Conning et Coutu pour se faire des prépuces [« Akropodie » ; page 113] ; et la dernière est l'aventure narrée en vers des missionnaires jésuites envoyés en Chine [« L'Anoscopie » ; page 163]. À l'inverse des autres, ces occurrences font intervenir plusieurs acteurs prenant part à la démonstration ou à la fiction. Il s'agit de vérifier chaque référence et d'étudier leur articulation dans le texte. Nous nous concentrons sur la première et la troisième occurrence, car la méthode des Pères Conning et Coutu a été analysée par J-P Dubost, et elle montre une déformation des noms de deux auteurs de traité de théologie du XVIIe siècle, Aegidus de Coninck et Antonio de Couto1.

« L'Anélytroïde » contient un point important de l'Erotika Biblion. Mirabeau y formule la volonté de réinterpréter la Bible, car il juge que la compréhension de l'Écriture a toujours été soumise à l'orgueil des commentateurs ; et que par conséquent, si l'on use de sa raison pour réfléchir sur les livres saints, on ne trouvera dans les commentaires que des absurdités et des aberrations. Son projet est donc de proposer une lecture saine de la Bible dénuée de tout préjugés et de toute considération tenant à la bienséance et qui seraient prescrites par une norme morale, par les goûts et par l'éducation d'une époque.

Une des sources du discrédit où les livres saints sont tombés, ce sont les interprétations forcées que notre amour-propre, si orgueilleux, si absurde, si rapproché de notre misère a voulu donner à tous les passages que nous ne pouvons expliquer. De là sont nés les sens figurés, les idées singulières et indécentes, les pratiques superstitieuses, les coutumes bizarres, les décisions ridicules ou extravagantes dont nous sommes inondés. [« L'Anélytroïde » ; page 28]

Ce point est important parce qu'il détermine un fil conducteur logique de son appréciation de la spiritualité. En somme, il propose de comprendre l'Écriture et d'adorer Dieu non pas par la foi, mais par la raison ; ce qui constitue le coeur d'un raisonnement philosophique initié un siècle plus tôt par

1 Voy. Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, bas de la note 66, page 131.

1 Cf. Chap. VII du Tractatus Theologico-Politicus, Spinoza, Hamburgi, apud Henricum Künrath, CI? I? CLXX, 1670. Et nous rappelons ici que notre étude ne cherchera pas à rétablir les fondements théologiques de l'ouvrage.

Une Spiritualité indéterminée - 79

Spinoza qui s'essaye déjà à soumettre la foi à la raison1. Pour Mirabeau, Dieu est bon ; et par conséquent, il aurait donné la raison à l'homme pour qu'il ait une meilleure connaissance de son créateur. Donc, comme pouvaient le faire les anciennes communautés religieuses, telles que les Basiliciens, les Carpocratiens et les Adamites, la parole et la volonté de Dieu sont à comprendre dans leur sens littéral, sans chercher des inventions qui résistent à la raison. Ces sociétés témoigneraient d'une jouissance d'essence divine, car elles « regardaient la jouissance des femmes en commun comme un privilège de leur rétablissement dans la justice originelle », et qui appliquaient à la lettre, l'injonction divine « Croissez et multipliez » [« L'Anélytroïde » ; page 33]. On peut dès lors avancer que le fil logique de l'argumentation est de considérer la pérennité d'une société religieuse comme l'indice d'une bonne interprétation de l'Écriture ; plus une société a perduré dans le temps, plus elle était proche de la vérité et de la bonne conduite à adopter selon les textes sacrés.

Bien que le texte de Mirabeau compare les anciennes sociétés religieuses avec les contemporaines, il s'emploie surtout à décrédibiliser la Compagnie de Jésus. Sa connaissance des anciennes sociétés lui provient de la lecture du Dictionnaire de Bayle, et de l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert ; tandis que les anecdotes concernant les jésuites proviennent en partie de son imagination. Il semble donc décidé à leur refuser un jugement positif sur leur compréhension de l'Écriture, et pour ce faire, il parsème son texte d'anecdotes se moquant de leurs actes et de leur entendement des textes sacrés. Mais comme il ne peut nier que, bien qu'elle ait été mise à mal au XVIIe siècle suite aux conflits avec les Jansénistes, la Compagnie de Jésus perdure, bien qu'expulsée d'Europe, et qu'elle n'est pas prête à disparaître, il lui faut inventer des raisons de son prochain effondrement. Notre étude dissèque la démonstration autour de la femme privée de vulve, éléments après éléments, afin de définir ce qui ferait défaut à la Compagnie de Jésus aux yeux de Mirabeau ; ainsi, nous pourrons délimiter une philosophie et en ressortir plusieurs points sur son appréciation de la spiritualité.

L'Anecdote du médecin Louis et des Pères Cucufe et Tournemine

La démonstration du chapitre « L'Anélytroïde » de la « fille privée de la vulve en apparence [qui] doit trouver dans l'anus des ressources pour remplir le voeu de la reproduction, la première et la plus inséparable des fonctions de notre existence » [« L'Anélytroïde » ; page 35], se situe à la fin du chapitre, après que le discours ait introduit l'androgénie d'Adam selon un commentaire sur la Genèse. Ce n'est que le début de cette démonstration en chaîne ; elle est reprise dans le chapitre

80 - Inspirations et ressources

suivant, « L'Ischa », puis au sixième chapitre dans « L'Anandryne ».

L'anecdote qui nous intéresse fait intervenir plusieurs acteurs appartenant à trois mondes différents autour d'une querelle d'ordre moral sur la possibilité de procréer par la parte poste : le monde religieux est représenté par les Pères Sanchez, Cucufe et Tournemine, le pape Benoît XIV, et les casuistes de la Sorbonne ; le monde scientifique est représenté par le médecin Louis, secrétaire perpétuel de l'académie de chirurgie, et la faculté de chirurgie de Paris ; enfin, le monde législatif est représenté par le Parlement de Paris. Dans une note, Dubost avance que l'anecdote est sans aucun doute, une pure invention ; il ne donne donc pas de référence et ne propose pas non plus d'analyse1. De même, concernant cette anecdote, la Congrégation accuse Mirabeau d'obscénité et d'ignorance ou de calomnie selon le uotum en portant sur ce passage2. Si l'on ne peut que les croire, la question est de savoir si les acteurs ont aussi été inventés, et si l'affaire dont parle Mirabeau ne présente pas des similitudes avec une autre du même ordre moral. Et justement, son texte contextualise suffisamment l'anecdote pour nous donner plusieurs pistes à suivre ; il nous donne même une date, ce qui n'est pas une précision anodine. De plus, les cadres narratifs de l'anecdote présentent les événements dans un certains ordre : les jésuites Sanchez, Tournemine et Cucufe affirment d'abord que l'anélytroïde peut procréer ; ils sont ensuite attaqués pour leur thèse ; puis le pape Benoît XIV, selon leurs considérations, lève les condamnations morales sur la sodomie. Alors, l'affaire prend une toute autre tournure, et les événements s'accélèrent.

En effet, M. Louis, secrétaire perpétuel de l'académie de chirurgie, a soutenu en 1755 la question sur les bancs. Il a prouvé que les anélytroïdes pouvaient concevoir, et des faits consignés dans sa thèse, imprimée avec privilège, le démontrent. Malgré cette authenticité, le parlement ne manqua pas de dénoncer la thèse de M. Louis comme contraire aux bonnes moeurs. Il fallut que ce grand, et non moins ingénieux et malin chirurgien, recourût aux casuistes à la Sorbonne. Alors il montra facilement que le parlement prononçait sur une question qui n'est pas plus de sa compétence que l'émétique. Et le parlement ne donna aucune suite à la dénonciation. [« L'Anélytroïde » ; page 36]

L'objectivité de l'emploi de la troisième personne du singulier, l'enchaînement rythmé de phrase simple, les articulations logiques et les précisions circonstancielles de temps et de lieu du texte présentent les faits structurant la narration comme réels. Mais vu l'invraisemblance de l'objet de la démonstration du médecin, il faut définir le faux en reprenant tous les éléments.

Nous avons déjà évoqué les travaux de Sanchez précédemment, et le pape Benoît XIV, dit le « Pape des Lumières », qui voulait restaurer la foi selon les dernières découvertes scientifiques. Dans l'absolu, il se pourrait que le récit de Mirabeau ait un fond de vérité. Le nom de Tournemine, malgré

1 Cf. Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 26, page 124.

2 Cf. La Lettre clandestine, numéro 25, dirigée par Pierre-François Moreau et Maria Susana Seguin, Paris, Classiques Garnier, 2017, pages 28 et 29.

Une Spiritualité indéterminée - 81

le fait qu'il soit bien compatible avec le ton des romans pornographiques d'époque, est reconnu par la Congrégation qui l'accuse lui et Sanchez, d'imposture théologique1. Nous n'avons rien trouvé sur Cucufe par contre, même en regardant chez Dom Calmet. Il faut dire que la graphie du -s au XVIIIe siècle peut induire en erreur ; on aurait confondu le -s long avec le -f, car il s'écrit différemment lorsqu'il est situé entre deux lettres. Dubost et Apollinaire l'ont donc orthographié Cucufe2, mais Charles Hirsch a opté pour Cucuse3. Après des recherches sur Cucuse, nous avons pu rapprocher le personnage de la ville de Cucuse qui se trouve en Arménie et dans laquelle Saint Jean Chrysostome a été exilé en mars 404 après JC, suite à des problèmes répétés sur son comportement. On ne peut expliquer ce rapprochement que par les recherches de Chrysostome sur la moralité dans la Bible, car il voulait éviter que les propos possiblement scandaleux ; c'est en grande partie ce que l'on peut comprendre de son traité. D'ailleurs, il s'y trouve certains passages qui sont assez proches de l'Erotika Biblion. Ils concernent une réflexion sur les moeurs décrites dans la Bible, ainsi que l'attitude qu'il faut adopter envers ceux qui y cherchent des obscénités et des sujets à scandale.

De même les divines Écritures, à combien de personnes ont-elles été un sujet de scandale ? à combien d'hérésies ont-elles donné occasion ? fallait-il donc anéantir les divines Écritures à cause de ceux qui en ont pris un sujet de scandale, ou ne les pas donner dès le commencement ? [...] Ne m'opposez donc pas ceux qui se perdent, car, comme je vous l'ai dit dans mon dernier Traité, aucun de ceux qui ne font pas tort à eux-mêmes, n'en recevra jamais par autrui, quand même il serait en danger de perdre la vie.4

Nous ne faisons pas ce rapprochement en vain. Mirabeau avait l'habitude de détourner les textes et les pensées d'autrui ; il se pourrait très bien qu'il ait agit ainsi avec les textes de Saint Jean Chrysostome. Qui plus est, il est curieux de voir apparaître ce Cucuse ou Cucufe seulement au sein de ce chapitre, « L'Anélytroïde », où l'on discute de la bonne interprétation à donner de l'Écriture. La réflexion de Saint Jean de Chrysostome présente des similitudes troublantes avec celle de Mirabeau. Le texte de Chrysostome renvoie les convictions personnelles sur les textes sacrés à une question de vie ou de mort ; tout comme le texte de Mirabeau qui fait intervenir les autorités religieuses et législatives pour décider des conséquences de la pratique anale, déterminant ainsi une clause de moralité qui peut entrer en conflit avec les convictions personnelles sur les textes sacrés. Il ne s'agit pas d'attribuer indirectement la thèse de l'anélytroïde à Saint Jean de Chrysostome, car il y a un gouffre. Le rapport entre ces deux textes montre juste la signification et l'enjeu de l'anecdote,

1 Elle montre aussi que les deux jésuites ne se sont jamais rencontrés, car Sanchez est mort 50 ans avant la naissance de Tournemine. Cf, La Lettre clandestine, numéro 25, éd. cit, ibid.

2 Cf. Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 39 ; L'oeuvre du Comte de Mirabeau, introduction, essai bibliographique et notes par Guillaume Apollinaire, Paris, Bibliothèque des curieux, 1921, page 63.

3 Cf. Erotika Biblion, dans OEuvres érotiques de Mirabeau, collection L'Enfer de la Bibliothèque Nationale, Fayard, 1984, page 481.

4 Lettres de Saint Jean Chrisostome, traduites sur le grec, avec approbation et privilège du Roi, tome premier, Paris, chez Pierre Gandouin, 1732, page 478.

82 - Inspirations et ressources

et non pas la véracité des faits ; il ne fait que confirmer l'entreprise présentée au début du chapitre, à savoir, la révision de l'interprétation des textes sacrés.

Il nous a été plus compliqué de déterminer la référence au médecin chirurgien Louis, qui aurait été le secrétaire perpétuel à l'académie des sciences selon le texte de Mirabeau. Plusieurs pistes se sont présentées ; il pouvait s'agir du nom de l'auteur, Louis Le Nain de Tillemont qui a écrit un mémoire dans lequel un chapitre « Eguillon de Dieu » est consacré à l'histoire de St Chrysostome1 ; ce titre aurait pu être suffisamment évocateur, et être facilement détourné, pour que Mirabeau s'y intéresse. Mais cela n'expliquait en aucun cas l'appartenance du personnage au monde scientifique. Nous nous sommes donc dirigés vers le chirurgien Antoine Louis, célèbre pour avoir été le médecin légiste lors de l'affaire calas (1761-1762) ; il a d'ailleurs été immortalisée par le Traité de la tolérance de Voltaire2 dans lequel il tient un rôle très louable. Mais ses travaux en médecine ne portent pas sur les thèses du personnage de Mirabeau. Pour la plus grande partie, il s'agit d'essais sur les distinctions que l'on peut faire entre un suicidé et un assassiné, et le protocole que le légiste doit adopter pour manipuler le corps de la victime afin de préserver les preuves. Nous avons même envisagé que Mirabeau parlait de Louis, c'est-à-dire, lui-même. Étant enfant, il avait l'habitude de s'adresser à lui-même par « Monsieur moi »3. Il aurait pu vouloir exacerber sa facette de défenseur des causes judiciaires ; puisqu'il avait aussi pris l'habitude d'intervenir en tant qu'avocat lors de maints procès, ce qui lui permettait de mettre en pratique, non sans plaisir, toute l'étendue de son éloquence et de sa rhétorique. Mais cela n'expliquait pas que le personnage soit spécifiquement un médecin.

C'est grâce à la date que nous avons trouvé la référence la plus convaincante : en 1755 furent pratiquées les premières inoculations en France. Peu de temps après les premières injections, l'opinion publique pensant que c'était une folie de guérir le mal par le mal, porta l'affaire au Parlement pour en obtenir un décret qui interdirait la pratique. La structure narrative de l'anecdote du médecin Louis présente des similitudes troublantes avec le déroulement de l'affaire autour de l'inoculation en France. De même, un médecin, M. de la Condamine, qui en était le défenseur, devait répondre des raisons de la pratiquer face aux autorités législatives, scientifiques et théologiques. On trouve justement dans les oeuvres de Condorcet, un éloge à ce médecin qui tînt bon malgré les difficultés.

L'inoculation, toujours combattue, faisait toujours des progrès. On essaya d'effrayer le

1 Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles, Louis Lenain de Tillemont, tome XI, Paris, chez Charles Robustel, 1706.

2 Cf. Traité de la tolérance, Voltaire, à l'occasion de la mort de Jean Calas, 1763.

3 Voy. « Sur Mirabeau », Littérature et Philosophie mêlées, Victor Hugo, La Haye, G. Vervloet, 1834, page 256.

Une Spiritualité indéterminée - 83

gouvernement ; on osa même invoquer le nom de la religion ; enfin, à force de cris et de faits, ou exagérés ou faux, on obtint, du parlement, un arrêt qui, dans la vue, sans doute très sage, de prévenir les épidémies que l'usage imprudent de l'inoculation pouvait multiplier dans les villes, mit des entraves à la liberté d'inoculer. [...] La faculté de médecine, et même la faculté de théologie furent consultées. Celle de théologie répondit prudemment, que tout ce qui était salutaire aux hommes était agréable à Dieu, et qu'il n'appartenait qu'aux médecins de juger de l'utilité des remèdes. La faculté de médecine donna deux rapports contraires, et chacun fut signé par un égal nombre de médecins. [...] Pendant toute cette dispute, M. de la Condamine n'avait cessé de la défendre [l'inoculation] par des raisonnements, par des faits, et même par des plaisanteries [...].1

On retrouve par ailleurs, une autre édition de ce texte dans la bibliothèque de Mirabeau vendue à sa mort2. Les similitudes avec « L'Anélytroïde » sont frappantes ; le cadre narratif étant le même, on peut penser que la fiction de Mirabeau s'est inspirée de l'histoire de M. de la Condamine et de l'inoculation. L'anecdote de l'anélytroïde n'est donc pas une pure invention et sa signification n'est pas moindre. Avec elle, il s'agit de montrer que la conviction personnelle, quand elle est raisonnée, est manifestement dans la vérité. Et ce, même lorsque la multitude, et des siècles de discussion qui la contredisent, sont contre elle. L'anecdote est en fait un argument contre les raisonnements communément admis sur la Bible, qui impliquent des jugements moraux pouvant amener l'interdiction de certaines pratiques. Finalement, Mirabeau avance que les raisons pour condamner les pratiques sexuelles contre-nature sont non fondées, car on peut donner, par conviction personnelle, une autre interprétation de la Bible qui serait bien plus dans la vérité. Et le seul moyen pour s'assurer qu'elle serait bien fondée, est de construire sa conviction par la raison et les connaissances avérées par l'observation de la nature, sans vouloir forcer les passages bibliques qui résistent aux analyses.

Du moment où vous admettez que la Bible est faite pour l'univers, songez que l'on sait aujourd'hui bien des choses que l'on ignorait il y a quarante siècles, et que dans quatre mille autres années, ou saura des faits que nous ignorons. Pourquoi donc vouloir juger par anticipation ? [« L'Anélytroïde » ; page 29]

La science aurait donc un rôle à jouer, car elle serait non seulement capable de démontrer un phénomène par des faits, mais aussi elle développerait des raisonnements qui éclairciront les passages bibliques encore obscurs. C'est exactement cette méthode que propose d'investir Mirabeau dans la suite de l'ouvrage, dessinant ainsi une certaine appréciation de la spiritualité.

Il nous reste à analyser la raison pour laquelle Mirabeau a choisi de travestir sa démonstration par un récit fictif, plutôt que de s'en tenir à une version plus vraisemblable. La réponse se situerait

1 « Eloges des Académiciens de l'Académie royale des sciences », OEuvres complètes de Condorcet, Tome 1, Paris, Chez Henrichs, 1804, page 239.

2 Eloges des Académiciens des deux Académies Française et des Sciences, par MM. D'Alembert et de Condorcet, Paris, Panckouke, 2 volumes, 1773 et 1779 ; Cf. Catalogue des Livres de la bibliothèque de feu M. Mirabeau l'ainé, Paris, Rozet et Belin, 1791, page 434.

1 Ce passage se trouve dans « La Tropoïde » ; et nous avons déjà développé ce point dans une précédente étude.

84 - Inspirations et ressources

plutôt dans la suite de l'ouvrage. Mais pour s'en tenir à ce chapitre, on pourrait penser que les péripéties autour de la thèse de l'anélytroïde illustreraient celles rencontrées par la thèse de l'inoculation. Car ce qui a fait obstacle à la pratique de l'inoculation est en fait l'opinion commune née de la peur de se voir souillé par le mal. Mirabeau la désigne sous le terme de « bonnes moeurs » [« L'Anélytroïde » ; page 36]. Il souhaite peut-être secouer les idées reçues - ce n'est pas anodin que ce chapitre soit placé au début de l'ouvrage - mais il s'agit surtout de les investir par l'obscénité en ponctuant son texte d'interprétations bibliques du même calibre ; car il estime qu'elles sont menées et façonnées par des déclamateurs et des moralistes qui citent la Bible en la présentant comme un modèle de perfection morale1. Sa stratégie, tout comme l'inoculation, serait de guérir le mal par le mal. Et ce faisant, il s'attaque à la pudeur, aux préjugés et à la bienséance que nous avons définis comme des prescriptions d'une norme morale qu'il outrage autant qu'il le peut. Il estime qu'elles sont nées des conventions sociales apportées par les habitudes et les usages, que l'on peut déceler autant dans les attitudes que dans le langage. La nocivité de ces conventions est d'ailleurs l'objet de la démonstration du dernier chapitre, « La Linguanmanie ». Pour l'heure, il essaye de définir les bornes que les bonnes moeurs répugnent à franchir en tirant de la Bible des anecdotes qui choquent le goût commun. En l'occurrence, il existe un bon nombre de ce genre de passage dans l'Écriture. Mirabeau ne cherche pas à les expliquer ; il les présente seulement comme relevant de la révélation, et donc comme devant être obligatoirement dégagés de toute appréciation morale. C'est un point important pour la bonne compréhension de l'ouvrage. Mirabeau n'a pas cherché à dresser le tableau des obscénités bibliques pour le plaisir ; sa démarche est une tentative de débarrasser de l'interprétation biblique toute lecture allégorique, qui puise de facto dans les goûts et les moeurs d'une époque. Voilà la raison pour laquelle nous avons mis un texte en exergue de notre étude qui rapporte l'incompréhension autour de l'histoire d'Onan.

Pour achever notre étude sur ce point, nous proposons une dernière illustration qui se situe à la fin de « L'Akropodie ». Il s'agit d'une référence à Ézéchiel « qui étendait sur son pain cet étrange ragoût, lequel Dieu, par un miracle, qui ne paraît pas à tout le monde digne de sa bonté, convertit en fiente de boeuf » [« L'Akropodie » ; page 117]. Ce passage clôture la présentation des goûts bizarres pour la circoncision et les prépuces. Le texte donne cette anecdote pour démontrer que la volonté de lire la Bible pour retrouver les goûts et les usages de l'époque, en un mot les moeurs, ne constitue en aucun cas une bonne compréhension de l'Écriture, car elle ne peut pas s'appliquer à la Bible en son entier. Par conséquent les lectures tropologiques et allégoriques ne constituent pas une méthode fiable pour interpréter les textes sacrés. Et effectivement, certains passages de l'histoire d'Ézéchiel ont

Une Spiritualité indéterminée - 85

longuement subi la discrimination de la bienséance, comme le souligne d'ailleurs l'article « Ézéchiel » dans le Dictionnaire philosophique de Voltaire.

Plusieurs critiques se sont révoltés contre l'ordre que le Seigneur lui donna [Ézéchiel] de manger, pendant trois cent quatre-vingt-dix jours, du pain d'orge, de froment et de millet, couvert d'excréments humains. [...] Comme il n'est point d'usage de manger de telles confitures sur son pain, la plupart des hommes trouvent ces commandements indignes de la majesté divine.

Pour Mirabeau, cette attitude discriminatoire implique des travers moraux qui font que les bonnes moeurs sont fondées dans l'erreur et encouragées à y persévérer. Si l'on suit son raisonnement, une bonne étude de la Bible ne pourrait donc en tirer des considérations morales que si ses méthodes d'analyse s'appliquent à tout le texte biblique. C'est la raison pour laquelle il reproche aux sociétés religieuses qui ont traduit la Bible en langue vulgaire, d'avoir omis ou remplacé les termes jugés impurs, comme par exemple les jansénistes qui « ont prétendu qu'on ne pouvoit pas mettre les prépuces dans la bouche des jeunes filles lorsqu'on leur faisoit réciter la Bible » [« Anagogie » ; page 7] ; ce qui empêcherait une bonne compréhension de l'Écriture, et les sources d'une bonne méthode analytique ultérieure.1 Pour finir, l'anecdote d'Ézéchiel est situé à la fin du chapitre « L'Akropodie » dont l'introduction stipule que les goûts ne doivent être soumis et ramenés qu'aux attraits que l'on ressent pour un sexe. Car il est dans l'ordre de la nature que l'espèce humaine doit se reproduire. Par conséquent la beauté détermine ce qui est bon, et les goûts ne doivent pas s'écarter de la beauté et de l'ordre naturel. Il fallait donc que l'anélytroïde puisse procréer pour donner toute sa justesse à la démonstration de « L'Akropodie ». Cette cohérence de facture peut nous faire penser que « L'Akropodie » a été écrit avant « L'Anélytroïde ». Mais cela n'est malheureusement pas suffisant pour expliquer l'ordonnément de l'ouvrage choisi par Mirabeau.

À la fin de l'étude sur ce chapitre, il nous semble que nous n'avons pas assez fait apparaître les défauts que reproche Mirabeau à la théologie catholique et à sa mauvaise appréciation de la Bible. De fait, l'anecdote de l'anélytroïde montre que Benoît IV et les jésuites n'étaient pas dans l'erreur, mais plutôt du côté de la vérité. Toutefois, ils n'étaient pas du côté de la raison, puisque leurs raisonnements ne relevaient pas de leur matière ; nous l'avons d'ailleurs démontré à travers la description de Sanchez dans notre étude sur l'ironie savante. Et donc, si nous pouvons être dans la vérité sans être dans la raison, il s'agirait d'une contradiction de la part de Mirabeau. Il n'en est rien, car il distingue la réalité et la vérité : la démonstration du médecin aurait tiré la vérité de

1 Au passage, nous faisons remarquer au lecteur que l'actuelle traduction de Jérusalem de la Bible a persévéré dans l'aseptisation de ces termes ; le mot hémorroïde est par exemple, remplacé par tumeur et le groupe nominal anus d'or par images de vos tumeurs. Livre de Samuel, I, ch. V, v. 9. et ch. VI, v. 5 et 6. Cf. La Bible de Jérusalem, traduite en français sous la direction de l'Ecole biblique de Jérusalem, nouvelle édition revue et corrigée, Les Editions du Cerf, 1998, page 379.

Entre les deux anecdotes se situe un récit relatant les exercices des jésuites qui visent à améliorer leur influence auprès du Roi. Cette fois, l'anecdote n'a pas été inventée, ces événements se sont

86 - Inspirations et ressources

l'observation de la réalité ; tandis que les théologiens ont supputé une possibilité théorique à partir d'une analyse des textes. En somme, la théologie se doit de prouver et d'appuyer par ses études les avancées scientifiques, et non de s'aventurer dans des supputations présentant d'ailleurs le risque de cloisonner moralement ses raisonnements. Il suffit juste de remarquer l'ordre que met Mirabeau entre les sciences dans ce même chapitre ; il s'agit « de lier toujours la science de la nature avec celle de la théologie » [« L'Anélytroïde » ; page 28], et non l'inverse. Mirabeau reproche donc à la théologie d'essayer de tirer une morale de la Bible, mais en plus, de le faire sans les méthodes qui leur permettent d'être dans la vérité, à savoir, celles qui relèvent de l'observation de la nature et qui appartiennent aux sciences de la nature.

Nous proposons plus loin une étude sur l'articulation entre la morale et la nature. Pour l'heure, il s'agit de continuer l'étude sur la spiritualité développée dans l'Erotika Biblion à travers un second exemple que nous déjà présenté plus haut : l'histoire des missionnaires jésuites envoyés en Chine. À l'inverse de l'anecdote sur l'anélytroïde, nous n'avons trouvé cette fois, aucune référence pouvant éclairer le fondement de véracité de cet extrait. L'étude que nous proposons poursuit donc le développement que nous avons commencé autour de l'analyse des bonnes moeurs, et plus précisément sur le langage qui transmettrait les habitudes et les usages que Mirabeau cherche à dénoncer.

Le Mensonge des mots

Comme nous l'avons indiqué précédemment, « L'Anoscopie » contient la dernière occurrence d'une intervention directe de la Compagnie de Jésus dans la démonstration. Cette anecdote, qui prend la forme d'un poème en vers, est introduite par le bref exposé des charlatans rapportés par la Bible, qui se serviraient de la superstition pour tromper le peuple et faire en sorte que leur parole soit assimilée à celle de Dieu. Mirabeau rapproche donc les jésuites des charlatans par le fait qu'ils croient tous sincèrement être des élus de Dieu qu'une foi aveugle protège du mauvais sort par des miracles et que leurs mensonges, qu'ils en soient conscients ou non, ne sont pas condamnables s'ils servent l'oeuvre de Dieu. On aurait aussi l'impression que ce n'est plus l'opinion commune, les bonnes moeurs, que Mirabeau cherche ici à atteindre. Ce chapitre ridiculise les jésuites par deux anecdotes : l'étrange baromètre jésuite, et l'élévation d'un novice jésuite pour avoir forniqué avec un Juif dans le but de le convertir. Il faut donc que Mirabeau estime que ces histoires ont un rapport avec la correction des bonnes moeurs ; et c'est dans l'influence dont dispose la Compagnie de Jésus que se trouve l'articulation philosophique permettant de lier les deux.

1 Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 131, page 139. Nous proposons aussi au lecteur de regarder à l'article « ARUSPICE » à titre purement informatif.

Une Spiritualité indéterminée - 87

effectivement déroulés. Il faut noter que Mirabeau a dû s'inspirer en grande partie sur l'article « CLYSTERE » de l'Encyclopédie, comme l'a souligné J-P Dubost dans un rapide commentaire1. Cette affaire tournait autour du choix du mot qu'il fallait employer pour désigner le traitement contre les problèmes intestinaux, et notamment les hémorroïdes. On désignait en général ces maladies sous le nom de cristalline dont nous avons déjà dit un mot précédemment.

Les Jésuites qui voyaient que le mot ignoble de lavement avait succédé à celui de clystère, gagnèrent l'abbé de S. Cyran, et employèrent leur crédit auprès de Louis XIV, pour obtenir que le mot lavement soit mis au nombre des expressions déshonnêtes [...]. On substitua donc le mot remède à celui de lavement. Remède comme équivoque parut plus honnête, et c'est bien là notre genre de chasteté. [« L'Anoscopie » ; page 167]

Par la consistance du mot remède, Mirabeau analyse la chasteté de la langue comme autant d'écarts à la réalité pouvant tromper le peuple. L'équivoque qui permettrait de voiler la réalité, apparaît comme la ressource de ceux qui cherchent à tromper les autres et eux-mêmes pour renforcer la foi. Plus le mot est équivoque et obscur, plus la tromperie serait grande. Et les bonnes moeurs en seraient affectées parce que l'habitude de se tromper et de tromper serait contenue dans le langage utilisé de tous. Là aussi Mirabeau guérirait le mal par le mal. Que ce soit par le dispositif éditorial - que nous avons déjà étudié - qui prête faussement l'édition de l'ouvrage à l'Imprimerie du Vatican, le titre des chapitres entretenant un jeu herméneutique sur les langues anciennes, ou tout simplement, ses inventions qui cherchent la tonalité de la véracité sans pouvoir prétendre être crédibles, l'équivoque est entretenue tout au long du texte. Seulement, Mirabeau utilise des codes littéraires bien connus des lecteurs d'alors pour masquer la fictionnalité : les fausses références d'édition étaient une pratique très répandue et les topoi du manuscrit trouvé sont tous présents dans le chapitre « Anagogie », etc... Sa tromperie est donc elle-même prise en dérision, et ce, juste pour montrer qu'il y a eu tromperie ; ce paradoxe renforce ses réflexions sur la clarté et la transparence du langage jusqu'à rendre l'Erotika Biblion plus honnête que les paroles des jésuites. Il n'y a plus qu'un pas pour ajouter l'exigence de clarté à une bonne interprétation de la Bible : plus l'interprétation serait simple et honnête, et plus elle serait dans la vérité.

Dans « le Mensonge des mots », nous avons soulevé brièvement la réflexion de Mirabeau sur l'articulation de l'équivocité du langage avec la corruption des moeurs. Or, il n'existe que deux chapitres de l'Erotika Biblion où le langage est étudié ; l'étude du langage des Saturniens dans le premier chapitre « Anagogie », et l'étude du langage en tant que témoin du dérèglement des moeurs

88 - Inspirations et ressources

dans le dernier chapitre « La Linguanmanie ». Jean Pierre Dubost considère que le premier chapitre constitue une utopie dont la réflexion sémiologique permet de révéler une cohérence philosophique dans l'Erotika Biblion avec les thèses métamorphistes. Nous proposons donc à la suite de notre étude sur la spiritualité, une réflexion sur l'importance que Mirabeau accorde au langage dans sa réflexion sur les moeurs.

Réflexion sur le langage

En premier lieu, il faut rappeler ce que nous avons dit des Saturniens : ce sont des êtres décrits comme des pensées, des formes ou des émanations. Leur langage n'est pas fait de mots, mais de sensations qui permettent de délivrer un message sans dénaturation. Nous ne reprendrons pas ici, le développement de la métaphore coïtale ; car elle ramènerait les Saturniens aux sensations électriques éprouvées lors de l'accouplement et serait donc impertinente sur une étude du langage.

L'étude de J-P Dubost repose sur un rapprochement entre l'argument saturnien de Diderot qui se trouve dans le Rêve de d'Alembert et la fiction saturnienne de Mirabeau. On relève beaucoup de références à Saturne dans la littérature du XVIIIe siècle ; la plus célèbre est sans conteste le Micromégas de Voltaire. Seulement, Diderot n'utilise pas Saturne pour en faire une fiction ; la référence à la planète lui permet d'introduire les effets des variations matérielles auxquelles chaque être vivant est soumis ; car « si une distance de quelques mille lieues change mon espèce, que ne fera point l'intervalle de quelques milliers de diamètres terrestres ?1 » Cette distance permet d'introduire le questionnement de d'Alembert qui se demande si le « flux général » de l'univers - chaque chose vivante est soumise en permanence au mouvement - aurait permis la création d'être pensant et sentant dans Saturne. La conformation générale de chaque être dépend de son environnement et de ses habitudes : plus il fera d'effort pour se mouvoir et répondre à ses besoins, plus son corps, avec le temps, lui facilitera la tâche en modifiant son enveloppe corporelle selon les stimuli. En postulant le monde comme un ensemble d'une même matière parcouru d'un seul flux procédant d'une transformation permanente de la matière 2 , son argument saturnien devient l'hypothèse du métamorphisme.

L'enjeu pour notre étude sur la spiritualité de Mirabeau est de taille, car il s'agirait de voir si l'Erotika Biblion poursuivrait le monisme matérialiste et athée de Diderot. Jean Pierre Dubost entrevoit dans la société saturnienne décrite dans le chapitre « Anagogie », un idéal de perfection que

1 Mémoires, correspondance et ouvrages inédits de Diderot, publiés d'après les manuscrits confiés, en mourant, par l'auteur à Grimm, tome IV, Paris, Paulin, Libraire-éditeur, Alexander Mesnier, Libraire, M. DCC. XXXI, page 153.

2 Il a en quelque sorte devancé les découvertes d'Antoine Lavoisier qui a fixé l'équation élémentaire de la chimie moderne : « Rien ne se perd tout se transforme ».

Une Spiritualité indéterminée - 89

Mirabeau propose d'atteindre grâce à son projet anthropologique ; c'est-à-dire qu'il aurait pensé l'exercice des sens humains dans la vue de perfectionner ses sens et son corps autour de l'axiome « tout est en un flux perpétuel de jouissance ».

Pour Diderot, l'argument saturnien s'inscrivait dans la perspective d'un métamorphisme généralisé de la nature. L'idée qui soutenait son transformisme et que résumait la formule directement empruntée à Buffon selon laquelle « tout est en un flux perpétuel » subit chez Mirabeau une torsion majeure : « tous les êtres sont entre eux dans un flux perpétuel (de jouissance) ». La nature paradisiaque et originelle des « Saturniens » rassemble tous les attributs anthropologiques d'un état d'innocence où la jouissance est l'alpha et l'oméga du bonheur.1

De fait, la faible apesanteur de la planète permettrait aux saturniens de saisir les émanations des êtres environnants qui contiennent leur pensée, leur idée et leur sentiment ; cette connexion ne souffrant d'aucun équivoque interprétatif, le langage ne peut être qu'absolument transparent, voire même inexistant tel que nous le connaissons. Incapables d'oubli, les Saturniens ne nagent pas moins dans le bonheur : le volontariat est soutenu par la force du plaisir et la société vit dans le calme et l'harmonie. Seulement, si l'on suit l'idée de Diderot, c'est le monde matériel qui permet l'évolution. Et nous avons déjà étudié les rapports entre la Terre et Saturne dans le chapitre « Anagogie » pour montrer que le texte ne présente pas la proposition de moduler le physique de la Terre sur le modèle de Saturne, et que la comparaison entre les deux planètes est un procédé narratif visant à faciliter au lecteur la représentation de Saturne. Mirabeau ne présente donc pas le langage comme constitutif à l'évolution ; il ne fait aucune observation sur la concomitance ou l'antériorité du langage parfait à la société saturnienne. Mais pour Jean Pierre Dubost, le langage saturnien traduit tout de même la philosophie de Mirabeau.

En imaginant ce monde idéal où des êtres infiniment perfectibles communiquerait entre eux dans le bonheur sensuel par une transmission purement physique et naturelle de leurs pensées, sans la moindre nécessité d'avoir recours au langage, Mirabeau fait de façon radicale table rase de toute la réflexion linguistique et sémiologique de l'époque, qui va de Locke à Rousseau et Condillac. [...] Si cet étrange tableau par lequel le texte commence relève moins de quelque naïveté utopique que d'une ironie ouvertement affichée, il trahit tout de même la pensée profonde de Mirabeau, hanté par un empirisme radical, par un naturalisme sans nuance, où les sens, libérés totalement des entraves de l'équivocité, parleraient un langage absolument transparent, où toute communication humaine aurait lieu dans un « flux perpétuel de jouissance ».2

Il est vrai que le langage saturnien est décrit comme étant parfait et achevé, mais il n'y a pas plus de précisions et de développements dans le texte. Comme Mirabeau se contente de le rapporter à des phénomènes électriques, il n'a donc pas ressenti le besoin de décrire le rapport signifiant-signifié

1 Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 13.

2 Id, page 14.

90 - Inspirations et ressources

d'un tel langage. De plus, il n'a pas trouvé de pertinence à discerner dans le langage des Saturniens, l'élément formant la genèse : la pensée ou le signe. On peut ajouter que si Mirabeau avait bien compris le texte de Diderot et qu'il avait voulu l'illustrer d'une fable, il n'aurait pas décrit une société parfaite tout en sachant que le métamorphisme de Diderot ne peut théoriquement pas connaître de stade d'achèvement.

Si la description du langage saturnien ne peut pas faire office d'une sérieuse réflexion sémiologique, il faut le replacer dans l'organisation du chapitre. En l'occurrence, il s'avère que l'élément argumentatif qui ferait office d'une réflexion sémiologique se situerait juste avant la description du langage saturnien ; lorsque le texte aborde la Lettre sur les aveugles de Diderot pour évoquer la solution recherchée par les Philosophes pour décrire et définir un miroir à un aveugle [« Anagogie » ; page 16]. La réflexion se construit donc autour de la relation signifiant et signifié pour étudier le langage. Or, toutes les définitions du miroir que l'on peut faire à un aveugle sont absurdes, Mirabeau le dit bien ; elles démontrent juste la difficulté d'expliquer ce qui relève d'un sens inconnu de l'interlocuteur. Notons par ailleurs que le rapport au texte de Diderot se fait dans un rythme fracassant l'organisation du chapitre ; c'est le seul moment où le récit de Shackerley est écarté pour développer un point subalterne. Et ce n'est peut-être pas anodin. On peut penser que le fait d'avoir introduit la description des Saturniens par une anecdote autour d'un aveugle renvoie finalement à l'état figuré de tous ceux qui n'ont pas reçu la révélation anagogique et qui sont donc dans l'impossibilité de comprendre les propos de Shackerley. Sur ce point, il faudrait plutôt réduire la signification de la fiction des Saturniens dans l'économie interne du chapitre : au lieu d'incarner une utopie politique et un idéal anthropologique qui seraient fondés sur un langage parfait ou inversement, - Mirabeau ne le précise pas - la fiction des Saturniens serait simplement une illustration de la relativisation des rapports qu'entretient le langage avec la réalité dont dépend la compréhension. Le langage serait né de l'établissement de l'homme en société, et sa première fonction serait d'être intelligible ; ce qui rejoint ainsi la théorie sémiologique de Condillac. Quoiqu'il en soit, il ne peut pas s'agir d'une véritable réflexion sémiologique, car le récit de Shackerley qui renonce de lui-même à développer la description des Saturniens, apparaît plutôt comme une imitation de ceux - tel que St Jean - qui emploient un langage obscur et lacunaire pour relater des faits prémonitoires incroyables et trompeurs. Finalement, on y trouverait un nouveau principe pour constituer une bonne interprétation des textes sacrés : la lecture anagogique de la Bible, au même titre que la lecture tropologique et allégorique, ne pourrait pas constituer une méthode de compréhension fiable des textes sacrés car il requiert des moyens de compréhension possédés seulement par celui qui a reçu la révélation. Sachant que la Bible a été écrite pour tous et pour toutes les époques, l'anagogie doit être mise au rang des méthodes qui induisent en erreur. Avec les principes de simplicité et d'honnêteté que Mirabeau a définis implicitement pour constituer la bonne

Une Spiritualité indéterminée - 91

interprétation des textes sacrés, on peut y ajouter celui de la clarté.

En reprenant les résultats de cette étude, on peut s'apercevoir que Mirabeau définit au fil du texte trois principes d'une bonne interprétation de l'Écriture : elle doit relever de la clarté [« Anagogie »], de la simplicité [« L'Anélytroïde »] et de l'honnêteté [« L'Anoscopie »]. Et si à chaque fois, ses procédés littéraires pratiquent les raisonnements qu'il dénonce, ce serait tout simplement pour en montrer toute l'aberration et pour pousser au maximum leur absurdité. Ces trois principes sont extrêmement simplistes, aussi Mirabeau estimerait que les interprétations des théologiens catholiques doivent se contenter de lire la Bible sur des bases grammaticales et littérales. En somme, notre étude n'a pas relevé d'élément fiable qui nous permettrait de relier la spiritualité de Mirabeau à un monisme matérialiste et athée. Bien au contraire, il faudrait que la spiritualité et la croyance soient importantes à ses yeux pour qu'il définisse trois principes d'une bonne interprétation de la Bible.

Nous avons pu observer que le rapport de Mirabeau avec la Bible est bien plus qu'une simple inspiration dans laquelle il puiserait des anecdotes dans le but d'en montrer son caractère obscène. À l'évidence, sa lecture du texte sacré est grammaticale et littérale, elle ne montre pas la volonté de pénétrer l'herméneutique pour en délivrer un message ésotérique et impénétrable. En l'occurrence, nous avons vu que la forme de ses raisonnements et de ses fictions empruntait celle des raisonnements exégétiques, mais afin de s'en moquer et d'en montrer toute l'absurdité ; il s'agit d'une stratégie littéraire qui montre que ces types de lecture sont dans l'erreur et qu'elles ne peuvent pas délivrer de vérité morale, relative ou absolue à partir de l'Écriture. Bien que ses références et ses citations du texte sacré souffrent d'une hégémonie normative, elles montrent qu'il avait à sa disposition plusieurs types de texte qui relataient et commentait l'Écriture dont il se servait plus comme des manuels éducatifs sur la religion que comme des réservoirs à anecdote. En étudiant son processus de création, nous pouvons supposer qu'il écrivait son texte au fur et à mesure de ses découvertes, et qu'il n'avait peut-être aucune idée de la forme finale de son ouvrage en l'écrivant. Le moteur du processus n'est peut-être rien d'autre que la volonté de relier le projet anthropologique qu'il a déjà construit et développé dans ses traités politiques, avec la Bible. Il s'agit donc maintenant d'étudier les articulations philosophiques entre son rapport à la spiritualité et son projet anthropologique.

92 -

Le Léviathan

Après avoir examiné les références dont Mirabeau se sert pour construire son argumentation et après l'examen de son appareil énonciatif, nous nous concentrons sur la reconstruction de sa philosophie et de son projet anthropologique. Nous recherchons les principes philosophiques et politiques qui supporteraient sa société idéale. Pour ce faire, nous nous pencherons sur l'héritage du matérialisme et du sensualisme présent dans l'Erotika Biblion, puis sur l'héritage de l'épicurisme et de l'utilitariste. Il faut rappeler que ce sont des écoles philosophiques et que nous ne prétendons pas embrasser ces courants de pensée dans leurs ensembles. Mirabeau lui-même ne revendique aucune affiliation à ces écoles, sinon l'épicurisme. L'étude se penchera à nouveau sur le premier chapitre, « Anagogie » afin d'aborder le matérialisme et le sensualisme ; puis sur le reste de l'oeuvre dans son ensemble pour rechercher les éléments clefs appartenant aux deux autres philosophies.

Nous pouvons déjà supposer que le projet anthropologique de Mirabeau est tourné vers le bonheur. C'est à partir du postulat épicurien, l'homme heureux est vertueux, que la société qu'il imagine prend tout son sens. Mais fonder une politique sur la pensée sensualiste peut amener beaucoup de débordement, c'est pourquoi Mirabeau identifie les problèmes comportementaux que cela peut engendrer afin de les résoudre. En contrepartie, il énonce et dresse la liste de tous les biens qui peuvent naître d'un système politique perfectionné tendant au bonheur sensuel.

Nous reviendrons sur le premier chapitre, « Anagogie », car une lecture anagogique d'un texte implique un système de récompense pour la vie passée sur Terre en rétribution d'une conduite morale, d'une vertu. Si Mirabeau écarte les lectures inspirées qui peuvent résoudre les problèmes moraux, il lui faudra trouver une alternative pour empêcher les écarts comportementaux. Nous interrogerons donc les conceptions de Mirabeau sur Dieu, sur la Nature, l'âme et la morale même. S'il contourne la question de l'existence de l'âme pour la confondre avec la nature de l'homme, les thèses sensualistes n'admettent pas un système de rétribution morale après la mort et n'intègrent pas aussi le bonheur terrestre comme une justice implacable, car celui qui se comporterait mal n'est pas systématiquement malheureux. On observera un dialogue entre les chapitres, qui sont en apparence décousus les uns des autres, avec le premier chapitre « Anagogie ». Par exemple, à la nature extrêmement perfectionnée des saturniens répondrait le chapitre « Behemah » qui contient des dissertations sur l'âme humaine. La révélation biblique n'étant pas rejetée par Mirabeau, il y discerne un problème, un hiatus entre morale et nature.

De deux choses l'une, ou Dieu a pris plaisir à former les bêtes vicieuses et à nous donner en elles des modèles très odieux, ou elles ont comme l'homme un péché originel qui a perverti leur nature. La première proposition est contraire à la Bible, qui dit que tout ce qui est sorti des mains de Dieu était bon et fort bon. Mais si les bêtes étaient telles alors

- 93

qu'elles sont aujourd'hui, comment pourrait-on dire qu'elles fussent bonnes et fort bonnes ? Où est le bien qu'un singe soit malfaisant, un chien envieux, un chat perfide, un oiseau de proie cruel ? Il faut recourir à la seconde proposition et leur supposer un péché originel ; supposition gratuite et qui choque la raison et la religion. [« Behemah » ; page 146]

On ne peut évidemment pas supposer de l'imperfection à la Création pour expliquer les comportements animaux qui ne connaissent pas la bonté. Il nous reste à savoir si Mirabeau considère cette question sous un angle philosophique ou politique. Aussi, nous voyons déjà qu'il considère que la morale et les moeurs sont deux choses différentes. On pourrait penser que la morale n'est pas nécessaire, qu'il n'y a pas besoin d'un code de conduite dans la société qui dicterait des préceptes jugés flous et non-fondés. La loi en revanche suppléerait les travers dans le temps en corrigeant les moeurs et les goûts.1 À priori, on peut penser que Mirabeau apporte une réponse politique à tous les problèmes philosophiques ou moraux qu'il soulève dans l'Erotika Biblion. Cet ouvrage ou cet essai, est une suite de dissertation dont chaque problématique est contextualisée suivant un schéma particulier : d'abord le contexte mythologique, puis scientifique. Mirabeau jongle entre les représentations mythologiques et scientifiques et cherche des réponses philosophiques et politiques. Parlant de son ouvrage dans sa correspondance avec Mr. Boucher, il révoque pourtant la matière politique dans l'Erotika Biblion.

Je vous prépare un volume de mélanges très singuliers, et qui auront un grand débit ; mais il ne faut pas penser à la censure ; c'est de la contrebande ; au reste rien contre ni sur le gouvernement, et je crois que tout autre matière vous est indifférente.2

Par contrebande, on peut penser que Mirabeau n'évoque pas les réseaux des livres clandestins très actifs au XVIIIe siècle, mais une autre sorte de contrebande ; celle qui concerne le mélange des sources sur lesquelles il s'est appuyé et dans lesquelles il a pillé abondamment des passages qu'il recopie à la virgule près.

Mirabeau parcourt les mythes pour y trouver des motifs qui lui permettent de théoriser une politique des moeurs. Comme nous l'avons vu dans la partie précédente, son réservoir mythique s'appuie sur les Dictionnaires de Bayle, Buffon, Voltaire, Dom Calmet et l'Encyclopédie. En construisant son idéologie sur des récits mythologiques, il chercherait peut-être à mystifier le lecteur. Il y aurait une recherche des origines qui s'apparenterait à une recherche de la vérité ; et cette recherche doit être confirmée par la science. Ce qui explique que Mirabeau mêle les représentations

1 « Il y a des variétés dans les êtres créés, qui seraient incroyables si l'on pouvait combattre les résultats d'observation suivies, réitérées, authentiques, mais la physique éclairée doit être le guide éternel de la morale. Et voilà pourquoi presque toutes les lois coercitives sont mauvaises. Voilà pourquoi la science de la législation ne peut être perfectionnée qu'après toutes les autres » ; « L'Akropodie », Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, éd. cit, page 107.

2 Lettre du 1er octobre 1780 (Musée Arbaud, fonds Mirabeau, n°72). Voy. Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 10.

94 - Le Léviathan

scientifiques et mythologiques. Il en vient d'ailleurs à l'idée que la science a été donnée par Dieu à l'homme et que le progrès est en quelque sorte consacré. Cette idée, le positivisme, est une idéologie qui perdure jusqu'à nos jours. Il emprunte aussi des éléments à la Bible pour en faire des règles lui permettant de penser son projet anthropologique. Par exemple, l'amour serait le seul et unique commandement divin. Il déploie une cohérence, une logique qui, élaborée pour une évolution, lui permet de relier les progrès scientifiques et la religion dans une seule perspective, un seul but : la meilleure société possible.

Le projet anthropologique de Mirabeau est global. En le situant dans une évolution, il le conçoit comme un être vivant, capable d'apprendre et en conséquence, de s'adapter. C'est pourquoi nous avons choisi le titre « Le Léviathan » pour traiter de cette partie. Sa pensée politique vise un bien, et nous essayons de définir le Souverain Bien comme le comprend Mirabeau. Il n'est pas évident que la finalité soit le bonheur, car en aucun endroit, il ne traite ni des besoins, ni des désirs, ni de la façon dont la société doit y répondre, ni même à quel moment. En d'autres termes, Mirabeau ne disserte pas sur les questions utilitaristes : faut-il ressentir le besoin pour être heureux ? faut-il les prévenir ? faut-il y répondre de façon qualitative ou quantitative ? faut-il entretenir la crainte du manque ou l'habitude de l'abondance ? etc... Pourtant, elles constituent elles-aussi des questions morales qui règleraient une société. Mirabeau n'explique pas non plus comment le bien individuel pourrait s'articuler avec le bien commun. Néanmoins, vu le titre de l'ouvrage, le plaisir sexuel pourrait constituer la pierre de touche de ses conceptions philosophico-politiques. Sans déborder sur le développement qui suivra, on peut déjà avancer que le plaisir sexuel se compte au nombre des besoins de l'homme et qu'il s'inscrit dans une loi naturelle indépassable et incontrôlable. Une législation doit donc composer avec des forces qu'elle ne maîtrise que partiellement. Dans cette partie, nous regardons les moyens à disposition du législateur pour altérer la loi naturelle que Mirabeau développe dans la totalité de son ouvrage.

Mirabeau développe tout un système entre les goûts, les moeurs, l'habitude et le plaisir. Il emprunte par exemple la théorie des climats à Montesquieu et l'augmente de sa propre théorie. Il tire de son système l'explication des travers moraux contemporains, et cherche des solutions en étudiant les causes de la disparition des travers moraux des Anciens. Il dresse ainsi une liste de tous les dangers que représentent certaines pratiques sexuelles, notamment la masturbation. C'est une partie importante de notre étude qui permet de mettre en lumière la véritable clef de la pensée anthropologique de Mirabeau : l'énergie. Comprendre la dynamique de l'énergie nous permet de comprendre les manques que l'on pourrait reprocher à son argumentation, notamment sur les questions morales.

- 95

Nous commençons par examiner le premier chapitre « Anagogie » afin d'examiner la position de Mirabeau sur le sensualisme. Puis, nous étudions les interactions entre Dieu et Nature qui sont deux entités différentes et séparées dans la théorie de Mirabeau. Ses conceptions en la matière sont d'ailleurs très hétérodoxes. Enfin, nous développons son projet anthropologique à travers trois thèmes : l'utopie, l'énergie et le bonheur.

La Raison du corps

Les relations entre Dieu, la Nature et l'homme sont partout présentes dans l'ouvrage de Mirabeau. Spiritualité, détermination naturelle et anthropologie sont liées par des articulations philosophiques qui sont tantôt explicites, tantôt implicites ; ces dernières n'apparaissent pas sous les formes d'une thèse sur laquelle le texte disserte, mais plutôt dans l'économie du texte, dans sa logique interne qu'il s'agit ici d'étudier. Ce qui relève de l'implicite présente généralement les bons processus de connaissance de l'oeuvre de Dieu par l'Écriture, ainsi que nous l'avons montré dans le chapitre précédent ; et ce qui relève de l'explicite articule le projet anthropologique aux lois de la nature qui regardent la propagation de l'espèce humaine, ainsi qu'aux commandements divins qui regardent essentiellement la bonne conduite, la vertu. Il nous faut étudier le rapport entre Dieu et la Nature comme deux entités différentes afin de comprendre leur définition pour Mirabeau. Et ce, afin de pouvoir rendre justement leurs relations avec l'homme.

En premier lieu, nous étudions la distinction que fait Mirabeau entre la corporalité et la spiritualité, c'est-à-dire les notions qui relèvent de l'esprit, et celles qui relèvent du corps. Cette étude nous amène à considérer les notions philosophiques de Mirabeau. Car, comme nous l'avons vu dans nos études précédentes, la notion de la connaissance est au centre de la bonne interprétation des textes sacrés. Ensuite, nous étudions la distinction entre Dieu et Nature à travers différents chapitres. Nous les évoquons par les termes d'entités, car l'une et l'autre sont toujours traitées par la troisième personne du singulier. Ce qui permet au texte de leur attribuer des actions, voire une volonté. Dans le texte, cette réflexion est implicite ; le sujet est en partie traité dans trois chapitres. Mais c'est surtout autour de l'onanisme que Mirabeau révèle la raison pour laquelle il distingue la Nature et Dieu, en démontrant que la pratique n'est ni contre-nature, ni contre l'oeuvre de Dieu. C'est à travers l'onanisme que notre étude reconstruit l'oeuvre de la Nature et celle de Dieu afin de déterminer l'articulation philosophique qui les relie. Aussi, on peut s'étonner que Mirabeau, qui avait probablement lu Spinoza, n'ait pas choisi de maintenir l'axiome Deus siue Natura.

96 - Le Léviathan

La Connaissance en la matière

Les personnages de l'Erotika Biblion appartiennent, pour la plupart, au monde de la connaissance : des savants, des scientifiques, des casuistes, etc... Bien que nos études se soient déjà penchées sur leur rôle dans les dissertations et les fictions du texte de Mirabeau, nous n'avons jusqu'alors traité que des personnages du monde catholique ou du monde scientifique. Il est temps d'étudier de nouveaux personnages, notamment ceux qui appartiennent à d'autres confessions et professions. Jusqu'ici, il pourrait apparaître que le texte de Mirabeau est effectivement anticlérical, et qu'il ne rejette que la culture judéo-chrétienne ; il nous faut donc replacer ses propos à l'égard de toutes les différentes confessions présentes dans l'ouvrage. Pour cette étude, nous nous intéressons particulièrement au premier chapitre « Anagogie » qui n'est plus à présenter. Deux personnages y figurent : le protagoniste, Shackerley, et un savant, Anquetil-Duperron.

Dans le texte, Shackerley est présenté comme le personnage qui a reçu une révélation ; lui attribuer le manuscrit d'inspiration anagogique n'est pas sans raison, et le choisir pour traiter de cette sorte d'inspiration n'est pas non plus sans signification. Il s'agit d'une personne ayant réellement existé, quasiment contemporaine à Mirabeau. Bien que Shackerley soit écrit avec un -c, nous évacuons la possibilité qu'il ait voulu référer au poète anglais Marmion Shackerley [1603-1639]. Nous pensons plutôt qu'il s'agit de l'astronome anglais, Jeremy Shakerley [1626-1653?], car Mirabeau a pris la peine de donner le prénom Jérémie à son personnage et que plusieurs détails de la vie de l'astronome font échos avec des éléments fictionnels de son texte, mais aussi avec le parcours d'Anquetil-Duperron que le texte cite à la fin du même chapitre. Toutefois, le véritable Shackerley n'a aucun point commun avec l'orthodoxie chrétienne. Il est fasciné par d'autres cultures religieuses, et voyage dans le monde pour découvrir les secrets des religions païennes. Si bien que certains de ses contemporains l'ont cru converti à ces anciennes croyances. Ce personnage était un savant qui s'engageait dans des expéditions scientifiques et qui, au nom de la science et du savoir, ramenait ses découvertes pour les présenter à ces contemporains. D'abord mathématicien en 1646, il se forme à l'astronomie au contact de spiritualités exotiques qui l'amènent à formuler des questions mélangeant astronomie et astrologie. Bien qu'homme de science, Shackerley voyait que le mouvement des planètes avait une part de surnaturel. Ses observations ont développé des croyances astrologiques. Il est important de noter qu'il part à Surat en Inde orientale, pour vérifier sa prédiction du transit de Mercure le 24 octobre 16511 où il s'est profondément intéressé à l'astronomie brahmane. C'était un personnage partagé entre science et ascétisme religieux dont les lettres témoignent d'une grande curiosité, ou plutôt d'une profonde fascination pour l'astronomie brahmane, et si bien qu'il s'est fait

1 Il est le deuxième homme de science à observer ce transit ; le premier est Gassendi en 1631.

La Raison du corps - 97

une certaine réputation.

Le manuscrit que Mirabeau attribue à Shackerley dans « Anagogie » est complétement fictif, mais il ne lui sert pas seulement d'illustration des croyances nouvelles et aveugles de Shackerley, il lui sert également de lien entre Shackerley et un autre personnage contemporain.

Quand le développement et la traduction de ce précieux manuscrit seront achevés, je me propose d'en donner à l'Europe savante une édition non moins authentique que celle des livres sacrés des Brames, que M. Anquetil a incontestablement rapportés des bords du Gange ; car j'ose me flatter de savoir presque aussi bien le mozarabique qu'il sait le zend ou le pehlvi. [« Anagogie » ; page 22]

Abraham Hyacinthe Anquetil-Duperron [1731-1805] est un indianiste français qui a ramené de Surat lui-aussi, une traduction de certains textes sacrés zoroastriens. La moquerie de Mirabeau repose sur une polémique initiée par la Royal Society de Londres qui l'accuse de supercherie en doutant de l'authenticité de cette traduction. Il s'agit maintenant de voir plus en détail la raison de ce rapprochement et sa signification dans le texte de Mirabeau.

Shackerley et Anquetil-Duperron

Le personnage de Jérémie Shackerley peut référer à l'astronome et mathématicien anglais Jeremy Shakerley qui se serait adonné à l'astrologie brahmanique au milieu du XVIIe siècle1. Ses découvertes, relatées dans le chapitre « Anagogie », figurent le manuscrit de Shackerley décrivant son voyage sur Saturne. Et justement, il s'avère que le mathématicien a effectivement porté à la connaissance de l'Europe de vieilles traditions ésotériques et d'anciennes spiritualités toujours pratiquées en Orient. Mais c'est toujours au nom de la science et de la connaissance que Shakerley rapportait l'intérêt de ses textes, et non pas dans la volonté de convertir ses contemporains à cette foi païenne. Loin de louer cette intention, le texte de Mirabeau en fait le fondement d'une littérature inspirée tout au long du chapitre « Anagogie », en opérant le déplacement de l'âme de Shackerley dans le monde immatériel qui révèle des vérités absolues par un moyen de locomotion tout à fait absurde. Et à la fin du chapitre « Anagogie », il opère une analogie entre le manuscrit de Shackerley, avec les livres sacrés de Brames rapportés par Anquetil-Duperron2 ; il se place ainsi dans le giron de la querelle née des doutes sur leur authenticité3 . Aux yeux de Mirabeau, ces deux personnages présentent des points communs : leurs recherches concernent la même spiritualité, et ne sont motivés

1 En vérité, il peut s'agir d'une surinterprétation d'une de ses lettres, adressée à un certain Henry Osborne depuis Surat (Inde) en janvier 1653 ; malheureusement, je n'ai pas eu l'occasion de vérifier la teneur de la correspondance.

2 C'est ce que dit le chapitre « Anagogie » à la page 22 ; mais en vérité, il n'a rapporté que des commentaires sur les livres sacrés zoroastriens et non pas les textes sources.

3 Nous renvoyons le lecteur désireux de s'informer des circonstances et du contexte de la querelle aux travaux de Claire Gallien, « Une querelle orientaliste : la réception controversée du Zend Avesta d'Anquetil-Duperron en France et en Angleterre » dans Littérature classiques 2013/2 (N°81), pages 257 à 268.

98 - Le Léviathan

que par le besoin de trouver des réponses à un problème existentiel propre. Anquetil-Duperron s'est aussi rendu à Surat pour en rapporter la sagesse gnostique ; mais à la différence de Shakerley dont les croyances spirituelles sont un peu floues, il s'est ouvertement et complètement adonné et converti à ces mystères. On retrouve d'ailleurs dans les OEuvres complètes de Diderot1, une lettre d'Anquetil-Duperron décrivant ses manoeuvres pour parvenir à ses fins. Diderot se moquait de ce dernier qui voulait convaincre les prêtres brahmaniques d'entamer la traduction des anciens livres indiens en leur faisant fait part de l'exemplarité de ses moeurs qui, par ailleurs, s'apparentent fortement au jeûne ascétique attendant la révélation. De par son attitude austère, Anquetil-Duperron croyait au monde démiurgique et regardait le corps comme une enveloppe imparfaite emprisonnant l'âme éternelle qui est intacte d'impureté.

L'attitude de Shakerley et d'Anquetil-Duperron était bien connue puisque leurs lettres pouvaient être un objet de lecture dans les salons. Souhaitant aussi s'en moquer, Mirabeau a donc reproduit les qualités d'un manuscrit ancien qu'il attribue à Shakerley et qui rappelle le débat autour du texte ramené de Surat. C'est l'intention des deux savants, leurs espoirs de trouver des vérités dans des textes primordiaux qui sont tournés en ridicule, par un doute sur l'authenticité des textes d'une part, mais aussi par le fait qu'ils cachent leurs motivations sous couvert d'une entreprise scientifique. Nulle part, le texte de Mirabeau ne remet en question l'intérêt scientifique de posséder une traduction de ces ouvrages, mais l'intention réelle de leurs auteurs. Ces derniers voileraient sous l'apparence d'une démarche scientifique, un besoin propre et personnel d'obtenir des réponses existentielles. D'ailleurs, Diderot évoque lui-aussi les motivations réelles et secrètes de ces savants en donnant par exemple les raisons de « celui-ci [Anquetil-Duperron ; qui] vous dira qu'il est consumé du désir de connaître ; qu'il s'éloigne de sa patrie par zèle pour elle ; et que, s'il s'est arraché des bras d'un père et d'une mère, et s'en va parcourir, à travers mille périls, des contrées lointaines, c'est pour en revenir chargé de leurs utiles dépouilles [des efforts fournis à cette entreprise] »2. Anquetil-Duperron est ici considéré comme un explorateur de l'éternel qui ne trouvera rien avec ses méthodes, le texte de Diderot montre qu'il n'obtiendra pas ce qu'il est venu chercher car l'objet de sa quête, la paix, ne se trouverait que dans la mort. Car à la suite de la description de l'entreprise de l'orientaliste français, il souligne l'inutilité d'une telle dépense d'énergie.

Ô bienheureux mortels, inertes, imbéciles, engourdis ; vous buvez, vous mangez, vous dormez, vous vieillissez, et vous mourez sans avoir joui, sans avoir souffert, sans qu'aucune secousse ait fait osciller le poids qui vous pressait sur le sol où vous êtes nés.

1 Salons, Tome II dans OEuvres complètes de Diderot, Volume IX, Paris, Chez J. L. J. Brière, 1821, page 356, note de l'éditeur.

2 Idem, page 359.

La Raison du corps - 99

On ne sait où est la sépulture de l'être énergique. La vôtre est toujours sous vos pieds.1

Il n'existe que trois autres occurrences de « la sépulture de l'être énergique » dans la production littéraire de Diderot2 et elles renvoient toutes au développement de la condition humaine tourmentée. Le terme sépulture évoque la mort, l'inaction et donc la paix éternelle ; la sépulture peut aussi renvoyer au lieu où il y aurait le moins d'interaction possible entre la matière sensiblement active, le végétal et l'organique, avec la matière sensiblement inerte, le minéral. C'est la raison pour laquelle Diderot considère que l'être qui recherche son âme3, c'est-à-dire une partie de lui-même qui ne serait pas matière et donc hors du monde physique, a déjà un pied dans la tombe. Dans le texte de Diderot, la recherche de la paix trouve une réponse orchestrée par la voix de la vérité immortelle - peut-être même d'une divinité, par l'interjection « Ô bienheureux mortels » - se faisant terrible et implacable. Le ton de la voix divine est l'inverse de la paix recherchée par le personnage dépeint par Diderot. Notons aussi qu'une fois que ce dernier a été introduit dans le texte, la voix divine apparaît suite au récit de la rencontre entre le sauvage Moncacht-Apé4 et le chef d'une nation étrangère qui était venu le consulter.

Le texte de Mirabeau présente les mêmes procédés, donc les mêmes significations, à deux différences près. La première est que le personnage principal n'est pas Anquetil-Duperron, mais Shackerley qui visite un peuple étranger, les Saturniens, pour en tirer des vérités comme le fait le chef d'une nation étrangère avec Moncacht-Apé. Et la deuxième est située dans la conclusion du voyage de Shackerley qui finit par admettre que « la véritable gloire d'un être intelligent est la science, et la paix son vrai bonheur » [« Anagogie » ; page 22]. Le texte de Mirabeau évacue l'adresse directe de Dieu au lecteur - du moins, d'une voix qui n'est pas humaine -, comme on peut la retrouver dans l'adresse de Diderot, ou même dans celle de Voltaire d'ailleurs5, pour la repositionner dans la finalité du cheminement anagogique et ascétique de Shackerley et donc comme la seule vérité logique que l'on peut trouver dans ces types de recherche. C'est une vérité générale et banale que « la triste

1 Idem, page 356.

2 Lettre du 10 février 1769, et Lettre à Sophie de 1763. Il s'agirait d'un syntagme employé par le philosophe pour digresser sur l'énergie. Pour compléter notre étude sur ce point, nous renvoyons aux travaux d'Elisabeth Zawisza, « Une lecture littéraire des lettres de Diderot à Marie Madelaine Jodin » dans Diderot Studies XXIX, edited by Diana Guiragossian Carr, Librairie Droz S.A, 2003.

3 Dans l'Entretien entre M. d'Alembert et M. Diderot, Diderot met en correspondance les termes âme et chair dans la bouche de sa fille ; il est donc difficile d'approfondir la signification de ce rapport. Néanmoins, cela pourrait vouloir dire que seule la matière faite de chair pense qu'elle a une âme. Cf, Mémoires, correspondance et ouvrages inédits de Diderot, publiés d'après les manuscrits confiés, en mourant, par l'auteur à Grimm, tome IV, Paris, Paulin, Libraire-éditeur, Alexander Mesnier, Libraire, M. DCC. XXXI, page 109.

4 Explorateur amérindien dans la région du Mississippi au début des années 1700 ; il est évoqué dans les mémoires de Jean-Baptiste Le Masrier, Mémoires historiques sur la Louisiane, Paris, Chez CL. J. B. Bauche, 1753.

5 « Prends garde, ô homme ! [...] Tu es né, tu vis, tu agis, tu penses, tu veilles, tu dors, sans savoir comment. Dieu t'a donné la faculté de penser, comme il t'a donné tout le reste ; et s'il n'était pas venu t'apprendre dans les temps marqués par sa providence que tu as une âme immatérielle et immortelle, tu n'en aurais aucune preuve ». Cf. article « Âme », Dictionnaire philosophique et portatif de Voltaire.

100 - Le Léviathan

expérience de tant de siècle nous enseigne encore vainement » [« Anagogie » ; page 21]. Il faut noter que lorsque Shackerley formule sa conclusion concernant la gloire et la paix, une proposition incise à la première personne appuie cette conclusion1 ; ce n'est pas la voix de Shackerley, mais celle de la voix narrative, ou dissertative, si l'on peut dire. C'est l'usage de la première personne qui soutient l'analogie avec Anquetil-Duperron ; elle participe à la controverse autour de ces travaux scientifiques, et montre ainsi qu'elle contribuerait à la diffusion des savoirs grâce à la traduction du manuscrit de Shackerley tel que le fait Anquetil-Duperron avec les livres sacrés de Brames. On peut en conclure que ces deux entreprises, étant vaines et stériles, constitueraient une dépense d'énergie inutile. La logique énonciative du texte de Mirabeau ramène la démarche d'un savant qui, au nom de la science, s'intéresse de près aux textes sacrés à une démarche personnelle guidée par la foi. L'intérêt général ne pourrait donc pas être servi par des croyances propres travesties en démarches scientifiques.

C'est finalement la question du progrès qui au centre de cette étude. On constate que ces deux personnages, Shackerley et Anquetil-Duperron, sont décrits par Mirabeau comme deux êtres qui veulent se défaire de leurs sens pour mieux appréhender le monde parfait des idées et de l'immatérialité afin d'y trouver une connaissance absolue, une sagesse salutaire ; ils sont donc à l'exact opposé de l'être sensualiste qui ne peut connaître le monde que par l'usage de ses sens. Mirabeau estime que l'énergie inutilement dépensée constitue une perte de progrès. En plusieurs endroits de l'Erotika Biblion, la considération que l'énergie n'est malheureusement pas réinvestie dans le progrès est évoquée par l'emploi de la première personne. En outre, il s'agit d'une considération personnelle qui considère la perte d'énergie d'une personnalité historique ou mythologique comme un dommage au progrès des connaissances humaines au nom d'un questionnement existentiel absurde. De plus, l'emploi de la première personne alimente le texte avec la tonalité de la controverse : le « je » implique un rapport conflictuel avec des individus, ce qui est justement le nerf de la querelle.

- « Anagogie » : rapport avec Anquetil-Duperron au sujet de la traduction inutile des livres sacrés de Brame ; page 22.

- « L'Anélytroïde » : rapport avec Moïse au sujet des doutes stériles qui sont formulés sur son élection divine ; page 25.

- « L'Ischa » : rapport avec Jacques del Pozzo au sujet de l'aberration de douter de la perfection avérée de la femme par l'Écriture ; page 40. Puis rapport avec Schurman au même sujet2 ; page 43.

1 « Les plaisirs stériles ou factices n'y régnoient pas plus que le faux honneur ; & l'instinct de ces êtres fortunés [Les Saturniens] leur avoit appris sans effort ce que la triste expérience de tant de siècles nous enseigne encore vainement, je veux dire, que la véritable gloire d'un être intelligent est la science, & la paix son vrai bonheur » ; Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, éd. cit, pages 21 et 22.

2 Nous traitons de la conception de la femme dans le texte de Mirabeau plus loin. En attendant, nous renvoyions

La Raison du corps - 101

- « La Tropoïde » : rapport avec St Augustin au sujet des mauvaises représentations de l'exemplarité des moeurs antiques ; page 60.

- « Le Thalaba » : rapport avec Martial au sujet de son appréciation morale erronée de certaines pratiques sexuelles ; page 79.

- « L'Anandryne » : rapport avec J. de Névisean au sujet de la stupidité de dénombrer les charmes féminins et d'en établir un modèle de perfection absolue1 ; page 98.

- « Kadhésch » : rapport avec un homme d'Etat au sujet de la nocivité de son renoncement à modeler certaine société ; page 123.

- « L'Anoscopie » : rapport avec les charlatans au sujet de leurs efforts pour détourner l'étude, la science et le talent à leur crédit ; page 158.

- « La Linguanmanie » : rapport avec les érudits au sujet de l'utilité de leur recherche sur les

inventions sexuelles de l'Antiquité qui choquent l'imagination ; page 191.

L'emploi de la première personne évolue au fil de l'ouvrage ; elle apparaît de plus en plus fréquemment, tout comme l'emploi de la troisième personne inclusive « on » qui articule des observations d'ordre général à la démonstration. Nous pouvons donc noter que Mirabeau, au fur et à mesure de son ouvrage, se place au sein d'un groupe pour participer à la querelle. Nous nous sommes donc intéressés au rapport entretenu tout au long de l'ouvrage entre l'énergie dépensée et la philosophie du progrès imaginée par Mirabeau. Or, notre étude révèle que ce rapport est contenu dans tous les chapitres, sauf deux : le chapitre VII, « L'Akropodie », et le chapitre IX, « Béhémah ». Et ce sont justement les deux seuls chapitres qui dissertent sur la morale. « L'Akropodie » traite de la moralité des goûts nés dans certaines interprétations de l'Écriture comme nous l'avons déjà vu ; « Béhémah » regarde la moralité des goûts naturels pour certaines pratiques bestiales. Dans son anthropologie, Mirabeau distingue les goûts qui relèvent de la Révélation - on pourrait même dire de la civilisation - de ceux qui sont naturels. En somme, notre étude montre que son raisonnement sur les pertes d'énergie écarte les pratiques venant des goûts car il ne les considère pas comme des dépenses d'énergie inutiles en vue du progressisme ; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle il renonce à redresser les pratiques contre-nature, car il pense qu'elles peuvent être utiles à l'expérimentation et donc au savoir (notamment par l'étude de la physionomie des êtres monstrueux) en éclairant davantage les spécificités de l'homme sur l'animal. De plus, les moeurs nées des goûts constituent le moteur énergique justifiant l'anthropologie de Mirabeau. Ce n'est pas un hasard si tout le projet

le lecteur désireux de s'informer sur toute la bibliographie parue à l'époque qui traitait du sujet, à l'Essai sur le caractere, les moeurs et l'esprit des femmes dans les différens siècles, par M. Thomas, de l'Académie Françoise, à Paris, Chez Moutard, M. DCC. LXXII. page 86. Quant au rapport avec Schurman, il est recopié mot pour mot d'un extrait de l'article « FEMME » de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.

1 Ce passage est très commenté dans l'édition critique de Jean Pierre Dubost ; il essaie notamment de rétablir l'origine du texte qui n'appartiendrait pas à l'auteur cité par Mirabeau, tout en dressant une liste des textes ultérieurs à l'Erotika Biblion. À titre informatif, nous renvoyons le lecteur à ses travaux ; voy. Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, notes 62 à 64, pages 129 et 130.

1 Nous mettons les termes clefs en italique pour montrer l'importance du rapport entre les goûts et le corps dans la réflexion anthropologique de Mirabeau.

102 - Le Léviathan

anthropologique de Mirabeau regarde l'homme comme une matière sensible qui peut évoluer et que les institutions peuvent façonner en vue de le perfectionner.

Oh ! si l'on employait autant d'efforts à former les moeurs qu'à les corrompre, à créer les vertus qu'à exciter les désirs, que l'homme aurait bientôt atteint le degré de perfection dont sa nature est susceptible ! [« L'Anandryne » ; page 100]

Les institutions présentées dans l'Erotika Biblion sont nombreuses ; nous les étudions dans les chapitres qui suivent. Les moeurs et les goûts représenteraient donc les moyens pour faire progresser l'humanité, et non plus la raison comme le répétaient les Philosophes dans la première moitié du XVIIIe siècle ; c'est un changement philosophique majeur qui est peut-être né de l'assimilation du sensualisme dans l'idée du progrès. Pour terminer cette étude, il faut noter que Mirabeau pense, en partie, comme un matérialiste : l'éducation doit passer par le corps et les goûts qui lui fournissent de l'énergie, ce qui lui fait dire qu'« il n'y a que les exercices du corps, où se trouve ce mélange de travail et d'agrément, dont la partie constante occupe, amuse, fortifie le corps et par conséquent l'âme » [« Le Thalaba » ; page 65]1.

Il faudrait maintenant définir la notion de progrès dans le texte de Mirabeau. Nous avons montré qu'elle était inséparable d'un projet anthropologique qui donne au corps et aux goûts un rôle central dans la progressivité que nous avons présentée comme étant le processus du progrès ; de plus, nous venons de voir que Mirabeau conçoit ce processus en termes d'énergie. Par ailleurs, notre étude sur sa réflexion sémiologique contenue au chapitre « Anagogie », montre que les sens déterminent le langage, la représentation du monde, et la pensée. Même si le texte ne dit pas explicitement que la nature parfaite des Saturniens est redevable de la physique de la planète, on peut tout de même y voir une illustration de la thèse du transformisme que nous venons d'aborder. De là, une idée ne serait jamais idée en tant qu'elle-même, mais elle serait le résultat d'un processus empirique né de l'exercice de nos sens ; elle est organique, car elle est tout simplement déterminée par la disposition et l'usage des organes. Il faut donc convenir que la progressivité regarde l'usage de l'énergie, et la perfectibilité, l'usage des sens. Nous étudierons la notion du progrès en la replaçant au sein d'une articulation entre la progressivité et la perfectibilité que l'on définit aussi comme un processus, et qui n'est autre que l'hypothèse que l'on peut perfectionner les sens humains. Entre autres, on remarque que la dépense d'énergie dépend des goûts qui eux-mêmes sont conditionnés par la nature, tandis que l'usage des sens dépend de la physique. Il fallait clarifier ces notions car il s'agit de la base théorique sur laquelle Mirabeau réfléchit son projet anthropologique ; même si nous ne

La Raison du corps - 103

proposons qu'une reconstruction de ses principes philosophiques qui ne sont jamais explicités et formulés, ils apparaissent au début de chaque chapitre pour articuler le projet anthropologique avec l'objet de la démonstration.

Des Sens et des goûts

Il nous faut étudier les nombreuses interactions entre les goûts et les sens qui sont développées dans le texte de Mirabeau. En premier lieu, nous repartons dans une étude du premier chapitre « Anagogie », car elle détient certaines clefs permettant la compréhension de l'ouvrage, et dans laquelle nous réinvestissons tous les points développés depuis le début de notre travail. Pour ce faire, nous allons de nouveau avoir besoin de l'hypothèse de lecture de Jean-Pierre Dubost qui inscrit la fiction Saturnienne comme l'axiome que « tout est en un flux perpétuel de jouissance » et qui soutiendrait l'hypothèse d'un transformisme général. Il s'ensuit que Mirabeau aurait pensé son projet anthropologique dans le but de retrouver cet Eden érotique qui figure l'immédiateté de la jouissance afin de perfectionner les sens et qui constitue ainsi la « perfectibilité de l'homme [qui] se mesure en toutes choses à son degré de proximité ou d'éloignement par rapport à la Loi du plaisir. »1 Comme Jean-Pierre Dubost le dit bien, la perfectibilité entrerait dans une équation qui reposerait essentiellement sur un équilibre quantitatif : « plus la nature fait de frais quant à l'investissement sensoriel, plus le gain de jouissance augmente en fin de compte. »2

En premier lieu, nous interrogeons la perfectibilité telle que nous venons de la définir pour la replacer à l'égard des nécessités d'un projet anthropologique où tout est conditionné par la jouissance. En second lieu, nous étudions les goûts et les sens qui articulent la réflexion philosophique de Mirabeau, tout en reconstruisant les rapports de conséquences entre les hommes, la Nature et Dieu.

Si l'argument saturnien s'inscrit dans un transformisme, la perfectibilité conçue par Mirabeau repose sur un rapport quantitatif. Dès lors, la jouissance, qui serait à la fois le moyen et la fin de l'activité humaine, évacue la nécessité d'un système politique et anthropologique. Car si nous regardons de près la société saturnienne, on voit bien que leur modèle politique est l'anarchie. Ils n'ont ni gouvernement, ni monnaie, ni distinction ou rôle social particulier. On pourrait avancer qu'il s'agirait de la négation même du projet politique et anthropologique de l'ouvrage. Vu le naturel de l'homme à rechercher la jouissance, la perfectibilité de Mirabeau pourrait se réduire à une recherche d'une jouissance immédiate, ce qui reviendrait à dire qu'il vouerait les institutions destinées à développer les sens afin d'accomplir un métamorphisme semblable aux saturniens, à l'inutilité. Or,

1 Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 15.

2 Idem, page 13.

Le texte de Mirabeau ne jette aucune lumière sur l'énigme saturnienne, sur le mystère de leur

104 - Le Léviathan

nos études précédentes ont décelé dans ce chapitre une réflexion sur la relativité des moeurs et de ses rapports avec le langage, et plus précisément sur la fonction du langage qui se doit d'utiliser des termes et des définitions compréhensibles par tous. Or, le sens mystique de Shackerley qui lui permet de voyager sur Saturne n'est pas partagé par tout le monde, et le récit du voyage constitue donc pour ces semblables un langage obscur et incompréhensible tout comme peut leur apparaître L'Apocalypse de St Jean. Le texte de Mirabeau met l'accent sur les sens puisqu'ils sont relatifs à la perception du monde physique, et qu'ils constituent le seul moyen de connaissance : il faut rappeler que les Saturniens usent de leurs sens pour partager une mémoire sans défaut qui leur permet de savoir que leur gloire est la science, et que leur paix est le bonheur. De plus, l'hypothèse que la perfectibilité serait ramenée à la jouissance immédiate regarde le monde saturnien comme un Eden érotique. Cette hypothèse témoigne peu d'égard au titre du chapitre, « Anagogie », qui se définit comme une lecture de la Bible illustrant la consistance de la vie éternelle et qui assimile les plaisirs célestes à ceux procurés par le respect et l'observance des règles d'une vie pieuse et religieuse. La lecture anagogique, pour assimiler les plaisirs du paradis à ceux d'ici-bas et ainsi donner une réalité à l'éternité, doit décrire les délices du juste et du fidèle. Or, les efforts de Shackerley pour rendre les effets des plaisirs saturniens s'avèrent vains, en raison de son impossibilité sensorielle à saisir les moeurs, le langage et les pensées de l'être saturnien. Pour ce faire, le texte de Mirabeau compare le lecteur et Shackerley même, à un aveugle de naissance qui chercherait à saisir la vue.

Je ne connais point d'exemple plus propre à montrer l'impossibilité d'expliquer des sens dont on est dépourvu ; et cependant toutes les affections et les qualités morales dérivent des sens ; c'est par conséquent sur les observations qui leur sont relatives, que l'on pourrait uniquement fonder ce qu'il y aurait à dire sur le moral de ces êtres d'une espèce si différente de la nôtre. [« Anagogie » ; page 17]

Nous avons souligné en gras le terme qui exclue toute possibilité de connaissance sur une espèce dont les sens sont inconnus de l'espèce humaine. Par ailleurs, il faut noter que Mirabeau emploie le terme moral soit au masculin, soit en tant qu'épithète d'une affection ou d'une qualité ; comme il semble lui donner une valeur appréciative selon une norme, il ne s'agit pas de la dichotomie absolue du bien et du mal appartenant aux conceptions morales d'une espèce, mais à un ensemble de goûts dépendant de leur constitution et de leur environnement, et qui participent ou non à leurs moeurs. Les qualités d'une espèce ne peuvent être comprises que par ses semblables qui possèdent les mêmes attributs sensoriels. Les sens et les goûts du Saturnien étant impossibles à comprendre, la révélation de Shackerley est une aberration incompréhensible. La société saturnienne ne peut constituer un Eden perdu ; leur perfectibilité idéale est vouée à l'inaccomplissement pour l'homme puisqu'elle est inconcevable pour l'espèce humaine.

La Raison du corps - 105

perception, sur leur politique, sur leurs goûts et sur leurs sens. De plus, il encadre la description de Saturne et des Saturniens par l'intérêt et les menaces de l'inquisition religieuse. Ce n'est pas vraiment Shackerley qui est exposé à ces risques, - il est mort depuis longtemps - mais ceux qui doivent interpréter le texte sacré et lui donner du sens, c'est-à-dire les stupides magistères italiens. Leur interprétation du manuscrit doit lever le voile sur la révélation ; démarche stupide, vu l'impossibilité de comprendre l'expérience de Shackerley. Et il n'est pas anodin que les institutions religieuses interviennent dans ce premier chapitre. La façon dont le texte de Mirabeau les fait interagir avec le manuscrit implique qu'elles ont un certain intérêt pour les Saturnien. Et si les Saturniens représentent l'espèce dont la perfectibilité enviable pour l'homme s'est générée au contact d'une jouissance immédiate et permanente, alors les institutions religieuses participeraient d'une façon ou d'une autre au projet anthropologique de Mirabeau. Or, à part Moïse, ses lois, et les communautés religieuses pratiquant certains rites sexuels, il n'existe aucun passage dans la suite de l'Erotika Biblion qui aborde à nouveau de près ou de loin, les institutions religieuses.

C'est en cherchant dans l'article « SENS EXTERNES » de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert que l'on peut comprendre leur rôle et leur présence dans ce premier chapitre. On peut penser que Mirabeau s'est appuyé sur quelques pages de l'Encyclopédie lors de l'écriture de ce chapitre. On y retrouve notamment un lien entre Dieu et les sens qu'il a donné à l'homme, ainsi qu'une présentation des sens mystiques dans l'article « SENS DE L'ÉCRITURE ». Ces deux articles se situent sur deux feuilles l'une à côté de l'autre, on peut donc envisager qu'il avait ce feuillet avec lui1. La présence des institutions religieuses dans le texte de Mirabeau peut s'expliquer par le lien entre les sens humains, les sens mystiques, et l'oeuvre de Dieu. Nous présentons donc en premier lieu, un extrait de l'article « SENS EXTERNES ».

Le créateur n'a pas voulu donner un plus grand nombre de sens ou des sens plus parfaits, pour nous faire connaître ces autres peuples de matière, ni d'autres modifications dans ceux mêmes que nous connaissons. Il nous a refusé des ailles, il a fixé la médiocrité de la vue qui n'aperçoit que les seules surfaces surface des corps. Accuserons-nous le ciel d'être cruel envers nous et envers nous seuls ?2

La possible perfectibilité des sens reposant sur le flux perpétuel de jouissance est en contradiction avec la limitation des sens humains selon l'oeuvre de Dieu qui est indépassable. De plus, la voix narrative, c'est-à-dire le traducteur du manuscrit, rapporte et commente les propos de Shackerley au discours indirect ; le texte de Mirabeau évite soigneusement tout rapport direct entre Shackerley et l'autre peuple de matière. Par ailleurs, il n'y existe aucune trace de moquerie envers le créateur.

1 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, Paris, Chez Briasson, David, Le Breton et Durand, 1751-1765, tome 15, pages 29 et 31.

2 Article « SENS EXTERNES », ibid.

106 - Le Léviathan

Finalement, la révélation de Shackerley pointe les limites que l'imagination peut atteindre pour montrer que l'esprit humain ne peut dépasser l'oeuvre de Dieu. C'est en ce sens que la nature saturnienne ne peut pas constituer un modèle de perfection pour l'homme. Si Mirabeau relève les thèses métamorphistes dans un récit qui ne livre aucune clef de compréhension, c'est peut-être parce qu'il ramène ces thèses à des rêveries livrées par des sens mystiques. Ce passage de l'Encyclopédie est situé sur le même feuillet qui contient l'article « SENS DE L'ECRITURE ». En imaginant la situation carcérale de Mirabeau, on peut aisément concevoir qu'il pouvait le posséder, qu'il l'avait sous les yeux, et qu'il sait ce qu'une lecture anagogique implique. Et comme toutes ses sources, il ne pouvait pas être en possession des ouvrages en entier, seulement de quelques pages envoyées par correspondance. On trouve à la fin de l'article « SENS DE L'ECRITURE », après les explications concernant les cinq façons de lire la Bible, une réflexion concernant le crédit que l'on peut donner à une interprétation mystique de l'Écriture. Cet extrait nous intéresse parce qu'il évoque les positions de l'institution religieuse lorsqu'une révélation mystique veut se constituer en doctrine ; il évoque aussi les meilleurs moyens d'avoir des certitudes sur la matière religieuse qui consiste à s'en tenir à la lecture littérale de la Bible. Or, notre étude a montré que, dans son ouvrage, Mirabeau s'est attaché à repousser toutes les lectures de la Bible autres que littérales. Ramener le métamorphisme à une révélation anagogique dont les fondements sont discutables peut remettre en question le fait que Mirabeau a développé son ouvrage autour de l'axiome « tout est en flux perpétuel de jouissance ».

D'ailleurs, comme chacun peut imaginer des sens mystiques, selon sa pénétration ou sa piété, chacun par la même raison a le droit de les rejeter ou d'en imaginer de contraires. Il faut cependant observer que dès qu'un sens mystique est autorisé par l'église ou par le concert unanime des pères, ou qu'il suit naturellement du texte, & que l'Écriture même le favorise, on en peut tirer des preuves & des raisonnements solides. Mais le plus sûr en matière de controverse est de s'attacher au sens littéral, parce qu'il est fort aisé d'abuser du sens allégorique.1

Cet extrait peut expliquer le qualificatif « vrai croyant, dit le manuscrit » [« Anagogie » ; page 8], conférant ainsi à Shackerley le droit d'écrire une révélation incompréhensible tant que des éléments irréfutables ne viennent pas la contredire. L'article de l'Encyclopédie ajoute qu'une interprétation mystique ne doit être reçue comme vraie que lorsqu'elle « est autorisé[e] par l'église ou par le concert unanime des pères, » ; ce qui expliquerait aussi le choix du détournement référentiel de l'édition princeps « Par l'imprimerie du Vatican, à Rome ». Ce n'est pas tellement de l'autorité du Magistère dont Mirabeau se moque, mais de la crédulité attachée aux institutions prétendant détenir des vérités incompréhensibles et obscures. Car sa proposition finale de présenter « à l'Europe savante, une édition [du manuscrit de Shackerley] non moins authentique que celle des livres sacrés de Brames, »

1 Article « SENS DE L'ÉCRITURE », ibid.

La Raison du corps - 107

[« Anagogie » ; page 22] à l'instar d'Anquetil-Duperron qui « sait le zend et le zendhi » [idem] implique une déconsidération propre de toute vérité sortie d'un texte ou d'une pensée par un sens mystique. Non pas qu'il ne peut détenir aucune vérité, mais que la réflexion est proprement inaudible et inutile de par leur impuissance à conduire l'humanité vers un stade de perfection plus avancée ; le stade d'une perfection sensorielle étant dès lors déjà atteint et donc parfait en ce qui regarde l'homme. La controverse repose alors par l'analogie entre les écrits de Shackerley et ceux de Saint Jean : quiconque ne croirait pas au mythe saturnien remettrait en question le cheminement d'une foi aveugle en des dires prophétiques, ce qui mérite l'auto da fé même si l'on ne comprend rien aux dires des deux auteurs.

En outre, il serait légitime de se demander si Mirabeau ne ramènerait pas plutôt les thèses métamorphistes à des révélations mystiques ; s'il a bien compris Diderot, et s'il ne cherche pas plutôt à se moquer de sa philosophie en ramenant son matérialisme à des croyances fondant un système religieux à son tour. Quoiqu'il en soit, la perfectibilité des Saturniens, qu'elle ait des liens avec l'environnement ou non, est incompatible avec la limitation des sens humains. En somme, ce n'est pas en stimulant les sens que l'on parviendra à l'avènement de l'Homme en Saturnien ; mais ça serait plutôt en altérant ses goûts, donc ses moeurs qui eux, fondent la base du lien social dans l'anthropologie de Mirabeau. Il s'agit maintenant de voir les articulations entre les goûts, la physique et la loi de la Nature pour continuer l'étude de son projet anthropologique.

Pour mener la suite de notre étude, nous avons relevé plusieurs problématiques qui articulent les sens et les goûts dans l'anthropologie de Mirabeau. Nous avons précisé que les sens dépendent de la physique et que les goûts sont naturels. Or, la physique, que l'on définit ici comme des modifications de la matière produisant des phénomènes, et la Nature définie comme la force d'attraction qui encourage la procréation et qui est déterminé par le beau, sont deux choses interdépendantes dans la pensée de Mirabeau.

Les sens peuvent altérer les goûts et inversement ; cette articulation fonde le projet anthropologique de Mirabeau destiné à procurer de l'ordre dans une société faite pour le bonheur. Nous verrons plus tard la question de la moralité. Nous nous en tenons sur ce point et pour cette étude, aux propos de Charles Hirsch qui remarque que « les articulations ne grincent, chez Mirabeau comme chez tous ses contemporains, qu'en raison d'une conception faussée de la nature. »1 Mais cela n'empêche pas moins que sa conception de la Nature rentre dans un schéma politique cohérent : il cherche à établir une législation qui, prenant en compte les moeurs initiales d'un peuple, adapterait

1 OEuvres érotiques de Mirabeau, collection L'Enfer de la Bibliothèque Nationale, Fayard, 1984, page 18.

1 C'est la raison pour laquelle Mirabeau présente dans « La Tropoïde », toutes les perversions que Le Lévitique cherchait à redresser.

108 - Le Léviathan

ses lois en conséquence dans le but de travailler les goûts naturels déterminants les moeurs, qui sont impossibles à révoquer par la force répressive des lois1.

Quiconque est conformé de manière à procréer son semblable, a évidemment droit de la faire ; c'est le cri de la nature qui est la souveraine universelle, et dont les lois méritent sans doute plus de respect que toutes ces idées factices d'ordre, de régularité, de principes, dont nous décorons nos tyranniques chimères, et auxquelles il est impossible de se soumettre servilement ; qui ne font que d'infortunées victimes ou d'odieux hypocrites, et qui ne règlent rien, pas plus au physique qu'au moral que les contrariétés faites à la nature ne peuvent jamais ordonner. [« Linguanmanie » ; page 180]

Dans la perspective de Mirabeau, les lois ne doivent pas contrarier les injonctions naturelles à la propagation de l'espèce, mais elles peuvent procurer de l'ordre en établissant une législation régulatrice des goûts naturels ; il observe cette possibilité dans la perspective que les opérations de la Nature sont « opérées à tout instant, exposées en tout tems & pour tous les tems à sa contemplation [de l'homme] » [« L'Anélytroïde » ; page 28]. Mirabeau avance clairement, non sans génie, que la Nature se recrée sans cesse, mais en plus, que l'homme peut observer ces changements et s'y adapter. Cet axiome induit des conséquences sur les sens et les goûts. Ils peuvent évoluer selon les opérations de la Nature. Mirabeau distingue dans l'entité Nature, la loi naturelle qui ne change pas, à savoir celle qui vise la procréation en déterminant ce qui est bien par ce qui est beau, et l'environnement qui est relatif à l'activité humaine, et qui peut être modifié pour favoriser l'adaptation des espèces. La Nature, tel que l'entend Mirabeau, est bien plus qu'une loi d'attraction entre les hommes, elle relève de l'environnement, de la physique, et offre par ses réactions et ses modifications par l'activité humaine, des possibilités pour modifier les goûts et les moeurs. Elle constitue la base sur laquelle peut agir une législation. Du moment où elle prend en compte que la loi de la Nature, cette « loi générale, à laquelle ne dérogent les modifications particulières, qu'autant que les passions, les goûts, les moeurs, soumis à un rapport direct avec les législations et les gouvernements, mais toujours subordonnés à la constitution physique dominante dans tel ou tel climat, s'écartent plus ou moins de la nature contrariée par l'homme » [« L'Akropodie » ; page 104], on en conclurait vite que la physique déterminerait les moeurs et les goûts. Ce qui l'amène à la maxime que « la physique éclairée doit être le guide éternel de la morale » [« L'Akropodie » ; page 107].

Par ailleurs, Mirabeau pense que la base du lien social ne relève pas de la loi naturelle qui n'a d'ailleurs aucune moralité, mais plutôt des moeurs et des goûts qui, quand ils sont partagés, sont démultipliés et peuvent s'exercer avec plus de facilité et de sécurité. Dans ses traités politiques antérieurs à l'Erotika Biblion, il réfléchit à la façon d'établir de l'ordre dans une société sans devoir

La Raison du corps - 109

sacrifier les droits et les goûts naturels ; il estime que ces derniers ne constituent pas d'obstacle à la nécessité d'ordre dans une société dès lors, justement, que son but est de conserver et de démultiplier les facultés à user des droits naturels.

Les hommes n'ont rien voulu ni dû sacrifier en se réunissant en société ; ils ont voulu et dû étendre leurs jouissances et l'usage de la liberté par les secours et la garantie réciproque. Voilà le motif de la subordination qu'ils rendent à l'autorité souveraine, à qui le peuple a confié sa défense et sa police. Les citoyens conservent dans la société bien ordonnée tout l'étendue de leurs droits naturels, et acquièrent une beaucoup plus grande faculté d'user de ses droits.1

Cet optimisme contraste fortement avec les idées de Hobbes, l'homme est un loup pour l'homme, qui définit la liberté comme l'absence d'obstacle pour exercer sa volonté propre, et la loi de la nature comme l'injonction de sa propre conservation2. Mirabeau replace le jugement de l'individu, qu'il soit instinctif ou non, sur les mesures à entreprendre pour sa propre conservation à une prise de conscience collective du fait que le plaisir est démultiplié lorsqu'il est partagé. Son axiome est différent : la loi naturelle n'est plus soumise à une logique de conservation, mais de propagation. Il conçoit donc la liberté comme l'absence d'obstacle aux plaisirs liés à la propagation. On voit bien que la jouissance est au centre du lien social, mais elle ne constitue que l'axiome de son anthropologie, et non pas son développement. Si la jouissance est la motivation pour s'établir en société, elle n'est pas suffisante ; il faut encore que les individus partagent les mêmes goûts pour les mêmes choses. Ce n'est que lorsque les goûts sont partagés que la société est stable et sécurisée, car les comportements pouvant nuire à l'ordre général ne peuvent pas y naître. Le projet anthropologique de Mirabeau est donc de faire en sorte que tout le monde partage les mêmes goûts, et si possible les meilleurs goûts que la nature humaine est capable de développer. Sa réflexion sur les sens et le sensualisme n'est finalement là que pour montrer que tous les hommes sont semblables, en ceci que leur connaissance et leur compréhension mutuelle dépendent des mêmes contingences ; à savoir, que « la volupté est & doit être le mobile tout-puissant de notre espèce » [« L'Akropodie » ; page 107]. Le projet anthropologique de Mirabeau est de définir les moyens mis à disposition d'une législation pour façonner les meilleurs goûts possibles grâce à la modification de l'environnement.

La Nature, en se récréant sans cesse, peut être modifiée par l'activité humaine ; et le changement de l'environnement altère les goûts et par conséquent l'ordre d'une société. Pour que la physique éclairée constitue une morale, c'est-à-dire l'ensemble des conventions qui forment un obstacle aux attitudes contrariant l'ordre général, il faut que la législation favorise l'éclosion des meilleurs goûts

1 Essai sur le despotisme, Londres, 1775, pages 44 et 45.

2 Cf. Chapitre XIV, « Des deux premières lois naturelles, et des Contrats », Leviathan or The Matter Forme, London, 1651.

110 - Le Léviathan

possibles par des modifications de l'environnement dont les effets ont été étudiés et expérimentés, et non pas par des lois. Et justement, dans le chapitre « L'Akropodie », Mirabeau expose les effets que peuvent avoir les changements des moeurs liés à l'activité humaine concentrée en un seul endroit. Il prend pour exemple Paris pour étudier ces relations. Dans cette partie de la démonstration, il s'agit de montrer qu'une morale peut très bien garantir l'ordre sans porter atteinte au désir de procréer, à la loi naturelle de la propagation. En partant des théories de l'Esprit des lois de Montesquieu dont il prend les développements des effets des climats sur le corps et sur les esprits, il élabore les effets des aménagements urbains et la prolifération des institutions au même endroit sur la morale. Il cherche moins à déterminer si les modifications de l'environnement de Paris ont été entraînées par les goûts déjà présents et inversement, qu'à présenter les relations entre les moeurs et les institutions humaines.

Par exemple, la loi respective de l'amour physique des pays septentrionaux & des méridionaux est très atténuée par les institutions humaines. Nous nous sommes entassés en dépit de la nature dans des villes immenses ; et nous avons ainsi changé les climats par des foyers de notre invention dont les effets continuels sont infiniment puissants. À Paris, dont la température est bien froide en comparaison même de nos provinces méridionales, les filles sont plutôt nubiles que dans les campagnes mêmes voisines de Paris. Cette prérogative, plus nuisible qu'utile peut-être, tient à des causes morales, lesquelles commandent très souvent aux causes physiques ; la précocité corporelle est due à l'exercice précoce des facultés intellectuelles, qui ne s'aiguisent guère avant le tems qu'au détriment des moeurs. [« L'Akropodie » ; page 104]

Pour Mirabeau, la morale parisienne présente deux causes : le climat chaud, qui fait que les jeunes filles sont nubiles plus tôt, et les goûts déjà présents du peuple parisien, qui ont quelques rapports avec le développement des facultés intellectuelles. Comme les attraits naturels sont développés plus tôt, et que l'éducation consiste à les préserver avant le mariage, ces jeunes filles peuvent contrarier des hommes dans leur droit à la propagation ; ce faisant, cette éducation dégrade les moeurs et trouble la société. La morale et les lois parisiennes seraient donc mauvaises car les goûts parisiens ne sont pas adaptés au climat et inversement. Par ailleurs, notons que Mirabeau ne juge pas si le développement précoce du corps est bon ou mauvais, il ne fait qu'observer la nocivité des articulations morales qui en découlent lorsque le développement de l'esprit ne suit pas la loi de la propagation. Pour y remédier, Mirabeau développe plus loin dans son chapitre, les nouveaux moyens dont dispose une bonne législation. Pour modifier les goûts, elle peut aussi former des institutions éducatives capables de redresser les effets moraux nuisibles en respectant les goûts et l'environnement déjà formés. L'éducation apparaît aux yeux de Mirabeau comme une transmission des goûts qui, quand elle n'est plus adéquate au climat provoque des problèmes moraux, mais qui peut aussi les résoudre.

L'enfance est plus courte ; l'adolescence hâtive devient héréditaire ; les fonctions animales & l'aptitude à les exercer s'exaltent (car se perfectionnent ne seroit pas le mot) de génération en génération. Or les dispositions corporelles et les facultés de l'âme sont entre

La Raison du corps - 111

elles dans un rapport qui peut être transmis par la génération. Grande vérité qui suffit pour faire sentir de quelle importance serait pour les sociétés une éducation nationale bien conçue ! [« L'Akropodie » ; page 105]

La recréation de la Nature lui permet d'aborder les effets de l'éducation sur le long terme. On voit bien comment l'éducation peut réformer les goûts, mais il faut qu'elle soit nationale afin que tout le monde les partage, ce qui préserverait la société d'un déchirement. Notre reconstruction montre la manière dont Mirabeau conçoit les moeurs comme le résultat des goûts et des climats, ainsi que sa conception de la morale qui est définie dans les articulations entre les moeurs et la loi de la propagation. Son projet anthropologique se situe dans une perspective évolutive de la société, à la fois dans son environnement, et dans sa régénération. En somme, il s'articule pleinement avec sa conception de la Nature qui est à la fois la modification environnementale, et l'attraction de la procréation.

Lors de cette étude, nous avons vu plusieurs notions qui définissent l'anthropologie de Mirabeau. Nous nous sommes surtout concentrés sur les rapports entre la Nature et les hommes qui sont fondés du point de vue du législateur. En ce sens, l'Erotika Biblion est un ouvrage fait pour une élite intellectuelle assumant les hautes fonctions. Seulement, le projet anthropologique de Mirabeau développe aussi un rapport aux commandements de Dieu. Toutes nos études ont du moins révélé un rapport profond et constant avec la Bible. Il s'agit maintenant de voir comment sa conception de Dieu, ou plutôt de l'ouvrage de Dieu, s'insère dans son projet anthropologique.

Deus neque Natura1

Nous quittons maintenant les analyses sur le premier chapitre « Anagogie », puisque c'est le seul chapitre où ni Dieu, ni la Nature n'apparaissent. Comme nous l'avons dit précédemment, le texte de Mirabeau traite de Dieu et de la Nature à la troisième personne en leur procurant des actions et des volontés. Nous rapportons ci-dessous leurs présences et leurs rôles au sein de chaque chapitre selon le découpage du texte que nous avons proposé dans nos synthèses au début de notre travail. Nous relevons toutes les occurrences sans chercher à toutes les classifier ; il s'agit juste d'étudier les tendances générales et les cas particuliers.

- L'Anélytroïde : 12 occurrences de Dieu, dont l'une est un complément du nom idée et une autre est le pronom auteur indirectement complété par le syntagme de la nature dans l'association de deux phrases simples.

1 Dieu et non pas la Nature par opposition à l'axiome spinoziste : Deus siue Natura ; Dieu ou bien la Nature.

112 - Le Léviathan

o 7 occurrences sont en position sujet dans l'interprétation de la Genèse [pages 28 à 31].

o 3 occurrences sont en position objet dans la démonstration de l'androgénie d'Adam [pages 31 et 31].

- L'Ischa : 24 occurrences de Dieu, dont l'une est un complément du nom oeuvre, une autre du nom volonté apparaissant dans une redondance du grand Être.

o 12 occurrences sont en position sujet dans la description des ressources mobilisées pour la création [pages 41 et 42].

o 2 sont en position objet dans la description de l'adoration qu'il faut lui rendre [page 48].

- La Tropoïde : 3 occurrences de Dieu, dont l'une est le pronom ouvrier. Elles sont toutes en position sujet, et apparaissent surtout comme une mauvaise raison au nom de laquelle on meurtrissait les attraits naturels de la reproduction dont il a doté l'homme [pages 58 à 60].

- Le Thalaba : 8 occurrences de la Nature, dont 3 sont des compléments du nom fin ou but et deux sont le pronom personnel elle.

o 4 occurrences sont en position sujet et relatent les articulations entre la toute-puissance de loi de la propagation avec le comportement humain [pages 66 et 67].

o une occurrence est en position objet au même endroit.

- L'Anandryne : 4 occurrences de Dieu, dont l'une est un complément du nom oeuvre. Les autres sont en position sujet et relatent le miracle de la création d'Ève [pages 83 à 87].

- L'Akropodie : 7 occurrences de la Nature, dont 3 sont des compléments des noms opérations, activité et ordre, et deux sont des pronoms personnels elle. 4 occurrences sont en en position sujet et présentent les attraits de la reproduction comme un concourt entre ce qui est bien et beau [pages 103 à 106].

- Kadhésch : 3 occurrences de la Nature, dont 2 sont des compléments des noms loi et fin, et l'autre est coordonnée au terme impuissance ; 2 occurrences de Dieu, toutes deux compléments des noms loi et malédiction dont cette dernière est articulée avec le terme stérilité.

- Béhémah : 2 occurrences de la Nature, dont l'une est complément du nom erreur, l'autre est sujet des distinctions entre les sexes ; 2 occurrences de Dieu, dont l'une est complément du nom mains, l'autre est sujet de la création des bêtes animales.

- L'Anoscopie : 4 occurrences de Dieu, dont l'une est complément du nom grâce, et deux du nom oeuvres ; l'autre occurrence est l'objet indirect des miracles opérés par Moïse.

- La Linguanmanie : 10 occurrences de la Nature, dont 3 sont compléments des noms but, ouvrage et cri, et une est le pronom personnel elle. Une occurrence est attribut du sujet souveraine universelle.

o 2 occurrences sont en position sujet et relatent la toute-puissance de la propagation [pages 177 à 181].

La Raison du corps - 113

o 3 occurrences sont en position objet indirect et regardent l'énergie allouée à la propagation et les nuisances qui s'ensuivent lorsque ce but est contrarié [pages 175 à 177].

Dans ce relevé, nous n'avons pas inclus l'occurrence la nature de l'homme que l'on retrouve dans les chapitres « Béhémah » et « L'Anoscopie » ou bien la nature de l'âme que l'on trouve aussi dans « L'Anoscopie », ainsi que les interjections du type dieu merci, oh Dieu, etc... Car, Mirabeau semble évoquer par la nature de quelque chose, un état partagé par les individus d'une même espèce, et qui ne renvoie pas à la Nature en tant qu'entité. Par notre relevé, on voit bien que la Nature et Dieu sont très rarement traités ensembles ; on ne les retrouve traités ensembles que dans les chapitres « Kadhésch » et « Béhémah ». Mais ils ne sont jamais confondus. Dans « Kadhésch » par exemple, la Nature est cause de l'impuissance, tandis que Dieu est cause de la stérilité ; dans « Béhémah », la Nature génère des distinctions entre les sexes, tandis que Dieu crée des distinctions entre l'homme et la bête. Même un énoncé aussi simple que Dieu est l'auteur de la Nature n'apparaît qu'indirectement dans le texte dans le suivi de deux phrases simples : « Plus on pénètre dans le sein de la nature, & plus on respecte profondément son Auteur [...] » [« L'Anélytroïde » ; page 31]. Ceci montre bien que Mirabeau évite soigneusement de confondre Dieu et Nature et qu'il veut opérer une distinction entre ces deux notions traitées comme des entités. Ce n'est qu'en un seul endroit que son texte fait apparaître une synchronisation par « la loi de Dieu & celle de la nature [qui] imposoient à toutes sortes de personnes l'obligation de travailler à l'augmentation du genre humain [...] » [« Kadhésch » ; page 124]. Cette conciliation concerne « les premiers âges du monde », il semblerait donc que Mirabeau conçoit ces deux entités dans une évolution temporelle et que leurs lois respectives ne sont plus synchronisées passés les premiers âges de la Création. Il faut noter que Mirabeau fait souvent des termes Dieu et Nature des compléments du nom ; ainsi, on retrouve beaucoup d'occurrence de l'oeuvre de Dieu ou de fin [ou but] de la nature. De facto, le texte opère une distinction entre ces deux entités ; c'est l'objet de notre étude.

La nature apparaît pour la première fois dans le texte au chapitre le « Thalaba » ; la troisième personne remplace Dieu par la Nature qui était jusqu'alors traité à cette personne. Il est question dans ce chapitre de la masturbation. Ce sujet apparaît ponctuellement dans l'Erotika Biblion que Mirabeau développe à travers plusieurs exemples : les eunuques, l'androgynie primitive, Diogène, etc... Sa démonstration tente de prouver que le péché ne pourrait pas être contre nature. Pour ce faire, il déplace la notion du péché qui regarde initialement les pratiques sexuelles ne participant pas à la propagation de l'espèce, au péché d'un comportement qui nuirait à sa propre conservation. Ainsi, on pourrait penser que l'oeuvre de Dieu doit être conservée et doit prospérer, tandis que le but de la nature est essentiellement la propagation de son oeuvre. Et Mirabeau, partant du principe qu'au début de la Création, la Terre devait être peuplée, en conclut naturellement que la loi de Dieu était la même

114 - Le Léviathan

que celle de la Nature, car son oeuvre avait besoin de se propager pour se conserver ; mais plus le temps passait, plus la propagation de l'homme se mit à nuire à sa propre conversation. À partir du moment où la survie de l'espèce humaine ne dépendait plus de son effectif numérique, les lois de Dieu ont changé, car « si tous les glands devenoient des chênes, le monde seroit une forêt où il seroit impossible de se remuer » [« Le Thalaba » ; page 80]. C'est alors que les effets de la masturbation favorisaient, dans ce cas, l'oeuvre de Dieu. Mirabeau ne l'exprime jamais explicitement, mais en outre, il semblerait qu'il conçoive la Nature comme la loi d'attraction, qui est bien réglée et fixée pour la propagation, tandis que la loi de Dieu se situerait dans une évolution prenant en compte les besoins de l'humanité et l'injonction naturelle de la propagation à chaque instant. Puisque l'oeuvre de Dieu peut se contraindre à être contre-nature, c'est-à-dire contre la propagation, il est aberrant de vouloir que l'homme adopte un comportement sur une notion du péché définie comme contre-nature. Selon les cas, et selon les situations et les époques, être exempt de péchés contre-nature impliquerait un comportement agissant contre l'oeuvre de Dieu ; c'est le fondement de la démonstration de Mirabeau qui définit la notion du péché comme un manquement du but que Dieu a donné à l'homme, et non pas comme une faute traumatique. Manquer la cible n'est pas préjudiciable, puisque l'essentiel est d'avoir une cible. Mirabeau replace continuellement le but que Dieu a donné à l'homme dans la perspective de la conservation. Et ce but évolue selon les besoins de la conservation de l'espèce humaine.

Nous concentrons notre étude sur l'onanisme, car Mirabeau l'aborde à plusieurs reprises dans son ouvrage. Il essaye de rendre la masturbation utile à la morale et à la conservation des hommes ; il la développe autour des problèmes comportementaux qui ont motivé la déviation des fins de la Nature et des effets nocifs que cela implique sur les corps et les moeurs. Il peut être étonnant qu'il théorise Dieu et la Nature à travers l'onanisme, mais il s'agit très clairement de la clef de voûte qui articule la théologie avec son anthropologie. Sa conception de la masturbation s'étale sur plusieurs chapitres, il l'illustre par la philosophie de Diogène [« Le Thalaba »], par la mythologie avec l'amour du dieu Pan pour la nymphe Écho [ibid.], et par la biologie avec l'hermaphrodisme [« L'Anandryne »]. Il s'agit maintenant d'étudier l'édifice théologique de Mirabeau qui utilise par ailleurs plusieurs traditions spirituelles pour l'articuler avec son projet anthropologique ; et ce, toujours dans la perspective d'établir des relations entre corporalité et spiritualité.

Les voies de Dieu sont impénétrables, mais Mirabeau semble croire que l'entendement humain peut néanmoins trouver et comprendre les prescriptions et les décisions mises en oeuvre par Dieu pour la conservation de l'Homme. Pour ce faire, il entreprend une lecture de la Bible par des voies de nécessité qui placent les pratiques sexuelles contre-nature comme n'étant pas contraires aux voies de Dieu, et qui concourraient même à son oeuvre. Ainsi, sa démonstration montre le rapport de

La Raison du corps - 115

conséquence entre les pratiques sodomites et onanistes avec l'avènement du Christ. Si Sodome n'avait pas été une ville de sodomites et si elle n'avait pas été détruite à cause de leur irrespect de la loi d'hospitalité, Loth n'aurait pas fécondé ses filles et Jésus n'aurait pas vu le jour1 [« Kadhésch » ; page 132] ; de même, si Onan ne s'était pas masturbé par refus de donner une descendance à son frère, Judas n'aurait pas copulé avec sa belle-fille, et Jésus n'aurait pas vu le jour2 [« Le Thalaba » ; page 71]. Aussi, Mirabeau ne conçoit pas les raisons de la condamnation d'Onan comme un outrage au Créateur3. Bien loin de chercher des rapports avec l'homicide, ou de remettre en cause le lévirat4, il conçoit la mort d'Onan comme un rapport de conséquence nécessaire faisant que « J.C. se trouve né de Ruth étrangère, Rahab courtisanne, Bethsabée adultère, & Thamar incestueuse du père à la fille » [ibid.]. Il inscrit les circonstances de l'avènement du Christ dans l'immoralité pour montrer que Dieu a voulu, en donnant son fils à l'humanité, donner un exemple aux hommes, une voie à suivre : les circonstances de la naissance de son fils cautionnent les rapports sexuels jugés immoraux parce que Dieu devait montrer que les conceptions morales fondées sur les pratiques contre-nature nuisaient à la conservation de son oeuvre. Le texte de Mirabeau n'exprime en aucun endroit que Dieu encourage ces pratiques, il s'agirait juste d'une modification dans l'oeuvre de Dieu pour qu'elle puisse se conserver. Et il semblerait que ces modifications soient des ajustements aux conséquences de la loi de la propagation qui elle, resterait fixe et statique.

On pourrait s'étonner que Dieu encourage l'homme à éluder les lois naturelles qu'il a lui-même créées, et qu'il lui suffirait de changer les termes de la loi naturelle pour remédier aux problèmes. Et ce n'est pas le seul exemple d'une confrontation entre la volonté de Dieu et les fins de la Nature dans le texte de Mirabeau. On retrouve au début du chapitre « L'Anandryne », un nouveau rapport où Dieu modifie son oeuvre pour contrer les nuisances engendrées par la loi de la propagation. Même si le terme « Nature » n'y apparaît pas, ces êtres doubles qui ne sont motivés que par le plaisir de s'unir à leur alter ego sont entièrement soumis à la loi de l'attraction naturelle. Une fois de plus, c'est pour conserver son oeuvre que « Dieu fit un miracle ; il sépara les sexes & voulut que le plaisir cessât après un court intervalle, afin que l'on fît autre chose que de rester collés l'un à l'autre » [« L'Anandryne » ; page 84]. On retrouve de nouveau une intervention divine avec l'exemple du dieu Pan qui s'essouffle et qui risque de mourir de fatigue en courant derrière la nymphe Écho ; pour le conserver « Mercure ayant eu pitié de son fils Pan, qui couroit nuit & jour par les montagnes, éperdu d'amour pour une

1 De cette union incestueuse naquît Moab, chef de la nation des Moabites dont David est issu et dont Jésus descend directement par sa mère.

2 Toutes ces informations se retrouvent dans l'évangile de St Matthieu qui rappelle par ailleurs que la lignée de Jésus a commencé avec l'histoire de Judas et Thamar.

3 « Ce qu'il faisait déplu à Yahvé, qui le fit mourir lui aussi », Trad. de Jérusalem, Gen. ch. 38, v. 10.

4 Afin de favoriser la lignée, les frères cadets devaient épouser la femme de leur frère aîné et lui donner des enfants si celui-ci venait à mourir.

1 Dictionnaire historique et critique, Pierre Bayle, cinquième édition, Tome II, Amsterdam, Par la Compagnie des

116 - Le Léviathan

maîtresse dont il ne pouvoit jouir, lui enseigna cet insipide soulagement [la masturbation] que Pan apprit ensuite aux bergers » [« Le Thalaba » ; page 69].

Dans le texte de Mirabeau, toute l'oeuvre de Dieu serait donc motivée par la nécessité de la conservation ; il montre que Dieu est à l'origine des pratiques contre-nature qui sont ainsi concourantes à la conservation de son oeuvre. Comme rien de ce que Dieu fait n'est immoral, Mirabeau finit par clamer l'absence de principe moral, ou du moins il le réduit à la maxime « Mal est ce qui nuit » [« Le Thalaba » ; page 79]. Seulement, il n'explicite jamais l'articulation de l'oeuvre de Dieu avec la conservation. On pourrait penser qu'il sait cette articulation fragile et vulnérable, car n'importe qui pourrait présenter des objections sur les exemples que nous venons d'étudier ; par exemple, il serait facile d'alléguer que le texte biblique explicite clairement que le comportement d'Onan déplût à Dieu au point qu'il le fît mourir, parce qu'il lui déplaisait, et non pas pour obliger Judas à copuler avec sa belle-fille. C'est peut-être la raison pour laquelle il maquille cette articulation. Face à l'absence d'arguments théologiques solides, il s'en remet à la philosophie et à la biologie pour articuler la nécessité des pratiques contre-nature avec la conservation de l'espèce sans passer par Dieu ; car ces démonstrations présentent des raisons et des conclusions qui elles, sont recevables. C'est le principe du résultat qui compte. Il démontre par la philosophie et par la physique que cette articulation est justifiée, et comme Dieu a donné la science et le savoir à l'homme pour qu'il le comprenne, une argumentation philosophique appuyée par des faits et des observations vaut largement un développement théologique.

Par exemple, il disserte sur les préceptes philosophiques concernant la masturbation, replacées à l'égard de la nécessité de la conservation de l'espèce. Dans « le Thalaba », le texte aborde le cas de Diogène afin de montrer les raisons alléguées par le cynique pour justifier les pratiques de la masturbation : la suffisance, et la gloire de braver les préjugés [« Le Thalaba » ; page 69]. Pour Mirabeau, la pratique serait condamnable lorsqu'elle implique l'isolement du pratiquant qui n'a alors plus besoin d'autrui. Ce qui entraîne une dépense d'énergie inutile en plus de l'exposer au danger du confinement et de l'immobilisme nuisant à sa propre conservation.

Comment poursuivre un homme qui vous dit froidement : « c'est un besoin très impérieux ; je suis heureux de trouver en moi-même ce qui porte les autres hommes à faire mille dépenses et mille crimes. Si tout le monde m'eût ressemblé, Troie n'aurait été prise, ni Priam égorgé sur l'autel de Jupiter. » [« Le Thalaba » ; page 69]

Comme Jean-Pierre Dubost le montre, Mirabeau recopie ici l'article « DIOGENE » du Dictionnaire de Pierre Bayle1. On y retrouve les anecdotes sur Pan [idem ; page 70], Laïs [ibid.], la fille de joie

La Raison du corps - 117

rejetée par Diogène [ibid.], Galien [page 73] et les vers de Martial [page 79] que Mirabeau reprend à la suite de la note (L) du Dictionnaire de Bayle. Par ailleurs, il faut noter que la note de Mirabeau « Hypparchia, &c. » [idem, page 68] est incomplète. Elle renvoie à Hipparchia qui est la femme du philosophe Crates qu'elle quitte pour Diogène. Contrairement à ce que dit Jean Pierre Dubost1 , Mirabeau ne s'est pas inspiré du roman, Hipparchia, histoire galante traduite du grec attribué à Godard de Beauchamps, mais des notes (C), (D) et (G) de l'article « HIPPARCHIA » du Dictionnaire du Bayle2. Mirabeau en recopie là aussi des passages pour écrire son « Thalaba » ; il a simplement suivi le renvoi de la note (M) dans l'article « DIOGENE » du Dictionnaire de Bayle3. En l'occurrence, la note de Mirabeau « Hypparchia, &c. » est censée apporter des précisions sur les femmes qui se laissent entrainer par le cynique ; mais il se contente de nommer Hypparchia pour représenter les femmes qui ont été séduites par l'impudicité. Mirabeau semble suggérer par l'abréviation &c. que c'est un problème récurrent et qui touche beaucoup de femme. Ce point est important dans le chapitre « Le Thalaba » car l'impudicité est spécifiquement un caractère humain qui le conditionne dès sa naissance à être civilisé, et ce développement est l'objet du dernier chapitre « La Linguanmanie ». L'impudicité est la preuve que Dieu a prévu que l'être humain doit être civilisé jusque dans ses désirs les plus sauvages prouvant par ailleurs, qu'il a connu un état naturel. Comme la honte et la pudeur ne sont pas des sentiments propres aux animaux, ils ne sont donc pas naturels ; et Mirabeau montre que l'homme peut trouver les moyens, par lui-même, de tromper les fins de la nature, et qu'il n'a en conséquence rien à voir avec la bête. Il poursuit en abordant la pratique de la masturbation pour montrer que les inconvénients - le ramollissement des organes, la solitude, la fureur - qui s'ensuivent peuvent être annihilés en pratiquant l'onanisme en société. Et justement, Mirabeau développe dans le « Le Thalaba », une pratique, un art, qui permettrait de concilier l'état naturel avec l'état civilisé sans les inconvénients de la masturbation, et sans mettre en péril la conservation de l'espèce humaine. Ce chapitre est véritablement l'illustration des réflexions morales contenues dans l'Erotika Biblion, et il prépare la dissertation morale des chapitres suivant : « L'Akropodie » et « Béhémah ». Nous traiterons de la moralité de la nature dans un prochain chapitre ; pour l'heure, il faut noter que Mirabeau ramène la moralité à une question de conservation, car il semblerait que le bonheur, qui justifierait à lui seul son projet anthropologique, est conditionné par une libération morale de la sexualité qu'il doit à priori juger nécessairement entravée. Par exemple, dans « L'Akropodie », il montre que la nature génère du beau pour prédisposer l'homme à la procréation, tandis qu'il tempère la puissance de la loi naturelle dans le chapitre « Béhémah » en montrant que Dieu empêche la

Libraires, 1734, page 294.

1 Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 45, page 127.

2 Dictionnaire historique et critique, Pierre Bayle, éd. cit, Tome III, pages 346 à 349.

3 Id. Tome II, page 294.

118 - Le Léviathan

reproduction des êtres monstrueux. C'est aussi la question de la génération qui est au centre des réflexions morales de Mirabeau.

Cependant, l'article « HIPPARCHIA » de Bayle, dans lequel Mirabeau recherche la liste des femmes séduites par l'impudicité, ne rapporte aucun autre exemple de femme ayant tout sacrifié au cynique. L'abréviation &c. employée par Mirabeau cache, en fait, un manque de référence à sa disposition. Il pourrait apparaître alors que le risque que l'impudicité puisse se généraliser serait un besoin pour la démonstration qui l'amènerait à faire preuve de mauvaise foi intellectuelle. Pour bien comprendre l'enjeu de la démonstration sur ce point, il faut admettre que Mirabeau regarde l'état civilisé comme étant nécessairement contraire à l'état de nature. Puisque la nature est capable, par la loi d'attractivité naturelle, de mettre en péril la conservation de l'oeuvre de Dieu, il est logique qu'elle ravage généralement et facilement les conventions sociales formées par l'habitude désuète des goûts et de l'environnement comme par exemple la circoncision que nous avons traitée précédemment. Et comme ces conventions sociales sont impuissantes devant la puissance de l'homme à dévier ses pratiques sexuelles des fins de la nature, il conviendrait de libérer la sexualité des conventions qui ne sont plus en accord avec les goûts et l'environnement actuel. Mirabeau présente donc une certaine mesure à la libération sexuelle qui tient à des facteurs que l'on travaille dans le temps ; ce n'est pas une complète libération sexuelle telle que pourrait le suggérer une approche hédoniste de son ouvrage, mais plutôt une perspective qui s'élaborerait dans le temps. Même si la formation des goûts et de l'environnement dépend en partie de l'activité du législateur, les sociétés ne perdurent et ne prospèrent que lorsqu'elles sont utiles à la conservation de l'Homme, car Dieu peut à tout moment intervenir pour les supprimer. C'est pourquoi Mirabeau est fasciné par toutes ces sectes religieuses ou philosophiques rapportées dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, et qu'il cite dans presque tous les chapitres de l'Erotika Biblion. Elles avaient une relation particulière avec la sexualité provenant de leur interprétation des écrits sacrés ou philosophiques ; et plus elles ont perduré et prospéré, plus il les considère comme autant d'illustration des changements de l'oeuvre de Dieu qu'il s'agit d`interpréter pour mieux connaître les desseins du Créateur et si possible mettre en chantier, un projet qui rentrerait dans ses vues actuelles. Loin de les condamner ou à l'inverse, de les prendre en exemple, il les considère en philosophe, car elles doivent nécessairement contenir une partie de l'essence divine qui se configurerait comme une logique dans le temps, que l'être humain peut appréhender et comprendre, pour calquer son comportement actuel sur la marche à suivre selon les vues de Dieu. Pour revenir à Hipparchia, l'abréviation &c. de Mirabeau relève moins d'une mauvaise foi intellectuelle que du pari qu'il y a eu bien d'autres femmes qui se sont laissées séduire par une philosophie ou une croyance destructrice qui ont eu, en revanche, leur place dans l'évolution de l'oeuvre de Dieu.

La Raison du corps - 119

En somme, la perspective chronologique avec laquelle Mirabeau construit son projet anthropologique, l'oblige à l'articuler avec des exemples commentés sur la sexualité dans les temps anciens et modernes dans une logique comparative qui a pu apparaître comme une moquerie envers les moeurs des Hébreux et autres civilisations antiques. Comme nous venons de le voir, il s'agit en réalité de bien plus. Par ailleurs, on s'aperçoit qu'il est nécessaire que Nature et Dieu ne soient pas une seule et même entité, et que l'élection de Dieu est visible selon la pérennité d'une oeuvre ; ce qui coïncidence avec l'idée que la noblesse entretient un rapport avec l'élection divine. Un législateur qui parviendrait à former un projet anthropologique prospère aurait été lui-même élu par Dieu pour le faire. C'est la raison pour laquelle Mirabeau s'étonne au début du chapitre « La Tropoïde » que l'on puisse concevoir Moïse comme un imposteur et que, par conséquent, on puisse avancer que la Bible n'est pas révélée1. Comme il observe que le peuple juif existe encore à son époque, sa logique veut que cette civilisation ait été menée par un législateur élu de Dieu, en plus du fait qu'il n'existait aucun peuple avant eux pour leur donner l'exemple. Moïse est bien un prophète puisque son oeuvre est pérenne. Pour Mirabeau, c'est le principe du résultat qui compte : il affiche clairement une certaine foi en un avenir positif, puisque le faux ne dure jamais dans le temps ; il finit toujours par être démasqué comme Mirabeau semble l'avancer au début du chapitre « L'Anoscopie ». Le progrès n'est donc pas seulement l'affaire du législateur, il est aussi dans l'oeuvre de Dieu qui empêche le faux d'évoluer dans le temps. Exercer une fonction politique aurait aussi quelque chose d'électif et de sacré pour Mirabeau, car il appartient au législateur, tel que Moïse, à interpréter l'oeuvre de Dieu. Si l'interprétation de Mirabeau se concentre essentiellement sur la sexualité, c'est justement par la tension qu'il décèle entre l'oeuvre de Dieu et les fins de la Nature.

Le système politique de Mirabeau regarde la pérennité comme le garant d'un bon système. Les erreurs peuvent être corrigées soit par le législateur, grâce aux lois et aux emménagements territoriaux, soit par la volonté divine faisant que les aberrations ne puissent prospérer, ni même se propager. On voit bien que ce système politique se constitue comme un corps évoluant dans le temps, modelable comme un corps organique. C'est la raison pour laquelle nous avons appelé notre partie le Léviathan. Toutefois, Mirabeau considère qu'un meilleur système est encore à naître et qu'il devra prendre en compte la doctrine épicurienne : l'homme heureux est vertueux. De fait, le Souverain Bien serait le bonheur, mais quel type de morale pourrait s'en montrer garante ? Dans notre dernière partie, nous dissertons sur cette question et nous essayons de mettre en relation les notions clefs de son ouvrage : l'énergie, la Nature et la femme. Il nous faudra aussi convenir que le Dieu de Mirabeau

1 « La plupart des objections sur lesquelles se fondent les personnes qui ne peuvent croire que Moyse ait été un interprète divin, me paroissent très insuffisantes. » « L'Anélytroïde », Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII [édition de référence pour ce mémoire], page 25.

1 Voy. Lettre à Sophie, le 19 juin 1780, dans Lettres originales, écrites du donjon de Vincennes, pendant les années 1777, 78, 79 et 80, recueillies par P. Manuel, T. IV, Paris, Chez J. B. Garnery, 1792, page 225.

120 - Le Léviathan

n'est pas chrétien, et certainement pas dans une doctrine religieuse ou philosophique. Il est changeant, bienveillant et pourrait se résumer à une force conservatrice. Il y aurait donc un angle de sa réflexion à mettre davantage en lumière : celui de l'universalité.

Une Utopie évolutive

Si l'on regarde bien le premier chapitre, Mirabeau fait de la société saturnienne, une véritable utopie fonctionnant hors du temps, et qui évolue dans un absolu imaginaire peu commun. Nous avons montré que Mirabeau, bien loin de l'intégrer dans ses réflexions politiques, s'en moque et la considère comme inutile, car incompréhensible pour le genre humain. Et nous avons déjà envisagé l'éventualité que les chapitres qui suivent se constitueraient comme une réponse à la fable saturnienne. Les autres chapitres fonctionneraient donc d'un seul bloc et dessineraient une nouvelle utopie, mais qui ne serait pas figée et fictionnelle. Plutôt que d'adopter un récit, Mirabeau aurait choisi d'argumenter ; plutôt que reposer la diégèse sur des éléments mythologiques, il choisit l'Histoire et la Bible - que Mirabeau prend très au sérieux, il convient de l'admettre - ; plutôt que de peindre des personnages fictifs, il utilise des personnages historiques appartenant au monde de la connaissance. Il s'agirait d'une utopie car le but de son argumentaire vise l'épanouissement, le bonheur grâce à la société, et pour ce faire, il utilise toute la matière à sa disposition : la connaissance des livres savants, et sa connaissance propre, empirique et spirituelle.

Une question demeure : pourquoi a-t-il choisi l'argumentation plutôt que la fiction pour écrire son utopie ? Peut-être parce, pour avoir écrit plus de traités politiques que de fiction, il considère la matière politique comme étant trop sérieuse pour être traitée par la fiction ; peut-être aussi que les ouvrages dont il s'est en grande partie inspiré, sont des ouvrages savants qui traitent de leur sujet de façon sérieuse. L'une de ses inspirations lui viendrait directement de Jean Jacques Rousseau. Dans une lettre adressée à Sophie1, il y présente la société que Rousseau propose au gouvernement polonais car il est en permanence menacé par l'annexion de la Russie. Aux détours des usages politiques machiavéliens pour se défendre d'un ennemi extérieur, on retrouve les éléments fondateurs de l'Erotika Biblion : le caractère philosophique étranger aux moeurs et aux idées contemporaines; le référentiel aux peuples antiques - dont l'analogie au le peuple juif ; le sentiment et le caractère national fondateur de la société grâce à des jeux d'enfants qui peuvent s'illustrer avec les exemples relatés dans l'ouvrage (notamment les gymnases) ; l'aspiration à l'éternité ; un système politique

Une Utopie évolutive - 121

absent, quelques lois mais sans véritable régime - tous ces éléments peuvent être lus dans

l' « Anagogie » ; le bonheur modéré pour tenir à l'écart la volupté immodérée, nourrice des vices ; le renouvellement des romans politiques de Platon ; faire obstacle à la corruption et au luxe des peuples modernes ; le dégoût et l'effroi pour les moeurs antiques ; entretenir la peur des vices pour conduire le peuple à la vertu ; réformer la société par et pour les passions ; se servir non plus de la voix de Dieu, mais des instruments des hommes : la raison et le discours érudit. Ce sont autant d'idées que l'on retrouve dans l'Erotika Biblion. Il resterait à savoir si Mirabeau avait bien ce manuscrit avec lui, s'il est bien de la plume de Rousseau et surtout s'il lui est parvenu par défaut ou s'il l'avait demandé.1

Toujours dans sa correspondance avec Sophie, Mirabeau parle d'un plan manuscrit que Mr. Dupont lui aurait remis lorsqu'il était en détention. Bien que ce texte ne soit pas identifié - on ne sait pas s'il s'agit du manuscrit de Rousseau ou d'une ébauche de l'Erotika Biblion -, il est curieux de remarquer que Mirabeau distingue deux manuscrits en parlant de l'Erotika Biblion. Bien qu'il en revendique la paternité, ce deuxième manuscrit est qualifié en tant que « nouveau » et en même temps « original » alors que l'Erotika Biblion est en chantier depuis quelques mois déjà. De plus, si ce manuscrit n'est qu'une copie de l'ouvrage sur lequel Mirabeau travaille, on comprend difficilement pourquoi il lui est si nécessaire pour terminer l'Erotika Biblion.

Je comptais t'envoyer aujourd'hui, ma minette bonne, un nouveau manuscrit très singulier, qu'a fait ton infatigable ami ; mais la copie que je destine au libraire de M. B... n'est pas finie, et t'ôter à l'avenir l'original, ce serait l'interrompre pour longtemps. Ce sera la prochaine fois. Il t'amusera : ce sont des sujets bien plaisants, traités avec un sérieux non moins grotesque, mais très décent. Croirais-tu que l'on pourrait faire dans la Bible et l'antiquité des recherches sur l'onanisme, la tribaderie, etc. etc. enfin sur les matières les plus scabreuses qu'aient traité les casuistes, et rendre tout cela lisible, même au collet le plus monté, et parsemé d'idées assez philosophiques ?2

Nous avons mis en gras les phrases qui nous semblent avoir besoin d'éclaircissement. Il serait plausible, voire probable que Mirabeau se soit largement inspiré du plan manuscrit qu'il aurait reçu des mains de M. Dupont. Quant aux raisons où ce manuscrit s'est trouvé à Vincennes dans les mains du comte, il est laborieux d'y répondre en l'état des choses car nous n'avons pas identifié le manuscrit dont parle Mirabeau. Pour l'heure, on doit se contenter des appréciations de Mirabeau sur le

1 Malgré mes recherches aux Archives Nationales, je n'ai pas trouvé le manuscrit en question. Je ne peux donc qu'évaluer la piste du manuscrit « fantôme » avec les éléments laissés par Mirabeau dans sa correspondance.

2 Lettre à Sophie, le 21 octobre 1780, dans Lettres originales, écrites du donjon de Vincennes, pendant les années 1777, 78, 79 et 80, recueillies par P. Manuel, T. IV, Paris, Chez J. B. Garnery, 1792, page 298. D'ailleurs, Guillaume Apollinaire a lui aussi soulevé ce détail dans une note de son introduction : « Et t'ôter à l'avenir l'original, ce serait l'interrompre pour longtemps. Cette phrase est obscure. Elle a toujours été supprimée par les commentateurs, qui ont souvent cité cette lettre d'après le recueil de Lettres originales de Mirabeau, publié par Manuel. » Note I, page 18 de L'oeuvre du Comte de Mirabeau, essai bibliographique et notes par Guillaume Apollinaire, ed. cit, 1921.

122 - Le Léviathan

manuscrit et ne pas écarter la possibilité que Mirabeau ait bien eu le manuscrit de Rousseau en sa possession. Car le philosophe entretenait des relations épistolaires avec l'Europe entière.

L'Universalité

Quel que soit le régime, Mirabeau cherche à isoler un principe de fonctionnement universel. Puisque les moeurs et les goûts dépendent de la nature, la loi d'attraction et l'environnement, il resterait au législateur le pouvoir de modifier l'environnement, comme nous l'avons vu, et d'édicter des lois. La loi corrige les travers mais ne les empêche pas. Son effet est visible sur le long terme et n'est plus nécessaire lorsqu'elle a atteint son but. Dans l'idéal, une société parfaite n'aurait pas besoin de loi et n'aurait pas besoin de législateur. Tout revient à pouvoir instaurer un gouvernement capable de modifier les conséquences d'une Nature puissante en ayant suffisamment d'emprise dans l'esprit des sujets1 pour faire appliquer les lois et ainsi corriger les travers. Comme le ressort de cette autorité ne peut pas se trouver dans le caractère du législateur - ce qui contreviendrait à la volonté de donner un système politique universel -, Mirabeau convient toutefois qu'il existe de véritable homme d'Etat qui ont su conquérir suffisamment d'empire sur eux-mêmes pour se détacher des injonctions naturelles. Ainsi, le rôle du législateur ne peut être qu'une fonction à plein temps2 adressée à une certaine élite. Paradoxalement, le rôle de l'homme d'Etat pour Mirabeau cesse lorsque la société n'a plus besoin de lui.

Quoi qu'il en soit, un imbécile obéi peut, comme un autre, punir les forfaits ; le véritable homme d'Etat sait les prévenir. C'est sur les volontés plus que sur les actions qu'il cherche à étendre son empire. S'il pouvait obtenir que tout le monde fît bien, que lui resterait-il à faire ? Le chef-d'oeuvre de ses travaux serait de parvenir à rester oisif. [« Kadesch » ; page 122]

Plus le principe est simple, plus il perdure car il est respecté de tous et pour tous les temps. Mirabeau disserte sur l'influence des lois et du législateur dans les chapitres « Kadesch » [VIII] et « La Tropoïde » [IV]. Dans « La Tropoïde », Mirabeau explique le rôle des lois et définit les moeurs, et regarde les lois du peuple juif pour en conclure qu'elles ont atteint leur but car les vices ont été corrigés. Le chapitre « Kadesch » illustre davantage les conséquences des lois désuètes et de leurs répercussions sur les moeurs et les goûts. Mirabeau les développe à travers l'exemple des lois sur le mariage [« Kadesch » ; page 123] qui aurait donné lieu au goût pédéraste pour les eunuques. Ce

1 « Le véritable ressort de l'autorité est dans l'opinion, et dans le coeur des sujets ; d'où il suit que rien ne peut suppléer aux moeurs pour le maintien du gouvernement : il n'y a que les gens de bien qui sachent administrer les lois ; mais il n'y a que les honnêtes gens qui sachent véritablement leur obéir. » « La Tropoïde », Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII [édition de référence pour ce mémoire], page 52.

2 Mirabeau se détache Du Contract social ; ou, Principes du droit politique, de Rousseau qui ne conçoit pas une professionnalisation de l'homme politique, car elle signerait la fin de la république, et donc de la société idéale.

Une Utopie évolutive - 123

passage nous intéresse car il développe le problème qui se pose lorsque les lois humaines ne suivent que la loi naturelle en faisant fi de la loi de Dieu. Si dans les premiers âges, Mirabeau avance que la stérilité et le voeu de célibat étaient rares, le goût pour les pédérastes est né lorsque le monde n'avait plus besoin d'être peuplé. C'est-à-dire lorsque la loi de Dieu, la conservation, n'était plus synonyme de propagation. Malgré la loi sur le mariage, certains se firent eunuques et prirent l'habitude de s'asservir au désir de son prochain. Ce serait une sorte d'esclavage qui a donné naissance « au plus atroce des despotismes » [« Kadesch » ; page 127] et à l'habitude d'asservir son prochain ; ce serait le début des inégalités sociales. Dans le même chapitre, Mirabeau montre que le goût pour les eunuques est universel sans être naturel. La Nature, en se recréant sans cesse, aurait même développé des êtres à doubles queues pouvant se reproduire tout en satisfaisant les goûts pédérastes [« Kadesch » ; page 133]1 . En outre, l'habitude d'éluder les lois et les injonctions du législateur donne naissance aux grands maux qui sont l'asservissement, l'esclavagisme et le despotisme.

Il n'est pas de lois qui puissent arrêter un désordre idéal ; aussi malgré les injonctions des législateurs, on éludait très communément dans l'antiquité les fins de la nature. [idem ; page 126]

Ce désordre idéal dont parle Mirabeau est en fait l'indice d'un changement de la volonté divine et que la législation, plutôt que de se durcir, doit l'intégrer afin d'éviter de donner l'habitude d'être désobéie.

On voit bien la façon dont la volonté divine s'exprime : c'est une idée, peut-être un désir irrévocable, qui s'empare des esprits des hommes. Finalement, Mirabeau avance que Dieu n'est rien d'autre que l'idée de Dieu qui s'exprime dans l'esprit des hommes. Il fait d'ailleurs le même raisonnement sur l'âme, elle n'est que l'idée de l'âme, et disserte sur son existence dans le chapitre « Béhémah »2 à travers les raisonnements des Anciens. Sans nier l'existence de l'âme, il en conclut que « jamais on n'avait eu jusqu'à nos dogmes modernes la moindre idée de la spiritualité de l'âme » [« Béhémah » ; page 143]. Le siège de l'âme ou sa nature n'est pas une question pertinente pour Mirabeau : seul compte le fait que ces idées agissent sur les esprits et cela lui suffit. Car il voit bien que ces idées ont une vie propre, même si elle est purement spirituelle, et qu'elles influent sur le gouvernement des hommes, sur leurs moeurs, leurs goûts et leur morale. C'est ainsi que se constitue son principe d'universalité : les hommes ont les idées que leur prête la divinité et agissent en conséquence. Il ramène des questions compliquées traitées par la théologie à un raisonnement très

1 Ce serait là une possible illustration du métamorphisme tel que le conçoit Mirabeau. On voit bien que ce n'est pas l'usage des sens ou l'expression des besoins vitaux qui déterminent une métamorphose du corps, mais l'injonction naturelle, la propagation, altérée par les conséquences des lois humaines sur les moeurs.

2 « Béhémah », Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII [édition de référence pour ce mémoire], page 142.

124 - Le Léviathan

simple et en tire une conclusion très simple. Ce n'est pas aux hommes de faire preuve de tolérance et de laïcisme pour favoriser le bonheur en société, mais aux législations. On retrouve la nécessité de séparer la religion de l'Etat telle que la conçue Spinoza dans son Traité Théologico-politique. Leurs raisonnements sont similaires sur un point : le rapport à Dieu est une idée et c'est faire violence à ceux qui n'ont pas la confession élue par les Souverains Pouvoirs que de les obliger à adopter des dogmes qu'ils croient faux.1 Mirabeau n'est donc pas athée, du moins l'Erotika Biblion ne nous permet pas de le dire. La religion est dans le coeur des hommes et il faut composer avec elle pour établir un régime politique. Par ailleurs Mirabeau pense que la religion n'aurait pas d'effets néfastes sur la société dans la mesure où le commandement de Dieu est d'aimer son prochain.2

Finalement Mirabeau prescrit la simplicité dans le principe d'universalité. Et on ne peut être qu'étonné qu'il ait écrit un ouvrage aussi compliqué que l'Erotika Biblion pour justifier un raisonnement qui recherche la simplicité. Nous pouvons d'ailleurs revenir à la signification du titre : À propos de l'Erotisme dans les livres. Ce serait l'idée de l'érotisme que l'on peut ressentir à la lecture de livres. À aucun endroit Mirabeau ne définit l'érotisme et ne justifie le titre qu'il a choisi pour son ouvrage. Toutefois, on y retrouve les éléments qui nous conduisent à l'idée de l'érotisme : la femme, l'énergie, le bonheur, etc... Sans jamais être justifié, ce titre réveille une idée partagée, commune, qui s'inscrit donc dans l'universalité. Peut-être qu'il considérait que l'érotisme est à ce point universel qu'un traité politique fondé sur cette idée ne peut que compris par tous. Car on peut supposer que Mirabeau aurait pu développer son système politique sans passer par une relecture de la Bible et des moeurs antiques qui donne, par ailleurs, une note ambigüe à ses propos.

Dans la mesure où Mirabeau construit une utopie par l'argumentation, on peut ramener son désir de simplicité et d'universalité au désir d'ouvrir la société idéale à tous les peuples à tous les temps. C'est l'inverse d'une utopie classique refermée sur elle-même où les frontières physiques empêchent l'extérieur d'interférer comme se présente la société saturnienne délimitée par l'espace d'une planète, inaccessible de l'extérieur. La perspective diachronique de son argumentation implique la prétention de ne négliger aucun peuple et aucune époque pour fonder ses propositions. Il s'applique à démontrer l'évolution des lois et de ses effets sur les moeurs pour disposer d'une réflexion universelle. Ce désir l'amène à rechercher des origines comme le feront après lui les romantiques au XIXème siècle. Son étude est inséparable d'une volonté globalisante réfléchissant des principes généraux, voire absolus.

1 Cf. Chap. XX du Tractatus Theologico-Politicus, Spinoza, Hamburgi, apud Henricum Künrath, CI? I? CLXX,

1670.

2 Voy. notre résumé de l'ouvrage au début de notre travail ; « L'Anandryne », Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII [édition de référence pour ce mémoire].

Une Utopie évolutive - 125

La Femme et l'énergie

Les conceptions de Mirabeau sur la femme prennent une part importante dans son argumentation. Deux chapitres lui sont entièrement dédiés : « L'Ischa » [III] et « La Linguanmanie » [XI]. La femme, que Mirabeau conçoit comme un véritable vecteur d'énergie et de vertu pouvant éduquer l'homme, apparaît comme un élément central de vie sociale. Nous avons vu avec l'onanisme que le risque était que l'homme s'isole en satisfaisant ses besoins seul. La femme permet de contrer cet inconvénient et de faire en sorte que les goûts, en plus d'être partagés, soient pratiqués en société : nécessité première pour l'établissement d'une société.

Toujours est-il que la femme peut faire naître des fantasmes. L'interdit et les contrariétés seraient un foyer dangereux de déviance morale. L'idée de la jouissance attachée au fantasme est si puissante qu'elle pourrait pousser un être à se compromettre pour la satisfaire. Mirabeau problématise ces déviances comportementales en représentant les forces auxquelles est soumis l'individu qu'il ramène aux injonctions de la Nature et les interdits de la société. Il les comprend comme deux forces déterminant l'individu à l'action. Faux dilemme s'il en est : les lois de la société sont remplaçables, tandis que les lois de la Nature sont rigides. L'individu peut évoluer dans une société qui ne le dénaturerait pas outre mesure : son corps, réagissant comme une machine aux sensations qui l'environne, le rend universel et semblable à son prochain. Mirabeau prend acte du rôle uniformisateur des lois sociales, et les compare avec les lois naturelles pour expliquer la difformité des moeurs civilisés.

La machine humaine ne doit pas être plus réglée que l'élément qui l'environne ; il faut travailler, se fatiguer même, se reposer, être inactif, selon le sentiment des forces l'indique. Ce serait une prétention très absurde et très ridicule que de vouloir suivre la loi d'uniformité, et se fixer à la même assiette, quand tous les êtres avec lesquels on a des rapports intimes sont dans une vicissitude continuelle. Le changement est nécessaire, ne fût-ce que pour nous préparer aux secousses violentes qui quelquefois ébranlent les fondements de notre existence. [« La Linguanmanie » ; page 180]

La machine humaine est soumise à loi naturelle de l'attraction. Comme Mirabeau le dit bien, on ne peut pas lui obéir constamment. C'est une question d'énergie, et c'est la raison pour laquelle la loi naturelle est impropre pour fonder une société. Il lui faut être supplée par la loi humaine qui doit viser la vertu ; c'est-à-dire l'amour qui est par ailleurs le seul commandement de Dieu. Même si Mirabeau admet qu'une société pervertie peut exister si tout le monde partage le même degré de corruption et qu'un plus grand mal naîtrait si l'on forçait les individus à se comporter d'une façon contraire à leurs goûts et leurs moeurs, il y aurait une limite qui contrebalancerait les écarts et les débordements : c'est la limite de l'énergie. Pour canaliser cette énergie, la femme serait le moyen le plus sûr d'y parvenir. En inspirant l'amour, elle montre le bon et suscite donc nécessairement le bien. C'est la raison pour laquelle Mirabeau s'intéresse aux problèmes moraux que la masturbation peut

126 - Le Léviathan

engendrer et le rapport qu'il entretiendrait avec le sexe féminin.1 Pour illustrer les retombées morales que peuvent avoir la pratique, Mirabeau donne en note dans le chapitre « Le Thalaba », l'exemple du marquis de Santa-Cruz pour démontrer que la masturbation peut avoir quelques intérêts pratiques.

Le marquis de Santa-Crux [sic], par exemple, commence son livre de l'Art de la Guerre par dire : « Que la première qualité indispensable à un grand général, c'est de savoir se b...le v..., » parce que cela épargne dans une armée, et surtout dans une ville de guerre, tous les caquetages et les indiscrétions des femmes, qui finissent toujours par tout perdre. [« Le Thabala » ; note I, page 73]

On peut voir que la masturbation peut être une nécessité pour le bien de tous, comme l'est celle de ne pas se livrer à une espionne lors des transports nocturnes, ce qui mène tout droit la bataille du lendemain à sa perte. Notons que la commission de l'Index s'offusque de la référence en qualifiant l'anecdote de calomnie2, à raison, puisque selon Dubost, cette illustration est fausse car « il n'y a rien dans cet ouvrage [de Santa-Cruz] qui puisse être interprété en ce sens. »3 Autant la réflexion de Mirabeau est assez explicite, autant ses références souffrent, là encore, d'exactitude. Si cet exemple nous permet de bien concevoir les dangers que la masturbation préserve, on peine à comprendre l'utilité de calomnier une référence. Peut-être Mirabeau a-t-il voulu lier ensemble, l'ouvrage de guerre et l'Erotika Biblion avec le Dictionnaire philosophique ? Car il est étonnant de remarquer à ce propos l'exemple que donne Voltaire dans son article « Caractère ».

[...] Une de tes passions a dévoré les autres, et tu crois avoir triomphé de toi. Ne ressemblons-nous pas presque tous à ce vieux général de quatre-vingt-dix ans qui, ayant rencontré de jeunes officiers qui faisaient un peu de désordre avec des filles, leur dit tout en colère : « Messieurs, est-ce là l'exemple que je vous donne ? »

L'exemple est si semblable qu'on aurait du mal à s'empêcher d'y voir la même anecdote. Les deux auteurs parlent des passions dévorantes, mais Voltaire pense qu'on en triomphe rarement ; tandis que, pour Mirabeau, le législateur doit s'affranchir de la loi naturelle pour gouverner. Car il avance que les passions ont remplacé les vertus à cause de la disparition de certaines institutions entraînant le manque d'exercice physique pour consolider l'âme ; « il suit de là et de bien d'autres causes, que je ne prétends point énumérer, que nos passions, ou plutôt nos désirs et nos goûts (car nous n'avons

1 Nous avons abordé cette question sous un angle philosophique dans notre partie précédente avec l'exemple d'Hypparchia et de Diogène.

2 Cf. « Errotika Biblion », par Amadieu Jean-Baptiste et Mace Laurence, Les Mises à l'Index des Lumières françaises au XVIIIe siècle dans La Lettre clandestine, n°25, dirigée par Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin, éd. cit, page 27.

3 Note 48, page 127 de Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit. L'ouvrage dont se sert Dubost s'intitule Réflexions militaires et politiques de Monsieur le marquis de Santa Cruz de Marzendo, traduites de l'espagnol, la Haye, Chez Jean Vau Duren, 1734 ; mais s'agit-il du bon titre ? Mirabeau parle de l'Art de la Guerre, et le traducteur affirme qu'il n'a rien changé au titre original, sinon l'ajout « Politique » au titre. Toutefois, si l'intention est de calomnier l'auteur, il paraît logique d'en maquiller les sources ; au reste, Santa Cruz, dans un alinéa au deuxième chapitre, parle bien des dangers qui arrivent lorsque les généraux mêlent les femmes à leurs plaisirs, mais rien sur la masturbation.

Une Utopie évolutive - 127

guères de passions), l'emportent, et de beaucoup, sur toute vertu morale » [« Le Thalaba » ; page 66]. C'est alors qu'intervient la femme, non seulement comme vecteur pour l'énergie, mais aussi comme garant moral, un guide vers la vertu, censé être parfait.

Il faut rappeler que Mirabeau comprend la femme comme le chef d'oeuvre de la Création.1 Il affiche une foi sans limite en la capacité de la femme pour mener l'homme sur le chemin de la vertu. Mirabeau voit un lien entre les êtres qui est naturel, beau et qui vise le bon. Il pense cette énergie amoureuse, cet éros, comme une mécanique capable d'élever à des idées philosophiques, sinon morales. Mirabeau se trouve dans la lignée du sensualisme pour qui les sens sont l'élément déclencheur d'une juste pensée, de l'apprentissage, de la connaissance, et par extension de la philosophie. Pour revenir à la question de la masturbation et de la femme, l'art du Thalaba, que nous avons vu plus haut, serait la solution que Mirabeau propose pour relier la dépense d'énergie, le renfort du lien social et la satisfaction de la loi naturelle. Mais il s'agirait d'une faculté purement féminine qui provoquerait le désir chez l'homme2. Il y a certes une dimension de plénitude dans cet acte lorsque la jouissance est atteinte, mais elle reste incomplète car il n'y a que l'homme qui jouit. Alors comment comprendre ce mécanisme qui défavoriserait un des deux sexes ? Cette distinction amènerait l'idée que l'homme est foncièrement mauvais et la femme bienfaisante. Si l'on ramène la question à l'énergie, la femme serait trop occupée à s'occuper de la procréation pour faire le mal. Ce qui rejoint l'argument de Mirabeau que nous avons déjà présenté, disant que l'homme n'est pas foncièrement mauvais car il ne peut pas avoir l'énergie de faire toujours le mal. Mais il n'y a rien de misogyne dans l'ouvrage de Mirabeau. C'est pourquoi il nous faut regarder du côté de la spiritualité, de la croyance pour comprendre cette distinction. Il remarque que la compréhension de l'homme est bien meilleure quand il s'agit du culte de la Vierge que celle de Dieu car elle est « bien plus approprié à l'esprit humain que celui du grand Être, aussi inexplicable qu'incompréhensible » [« L'Ischa » ; page 46]. L'idée de Dieu est difficilement saisissable, et l'homme aurait du mal à convenir qu'il soit bon tout en tolérant que le mal existe. On pourrait même ajouter que la dichotomie chrétienne échappe volontairement au raisonnement de Mirabeau car la nécessité de simplification et d'universalisation l'amène à évacuer tout système moral complexe discriminant - il faut être chrétien

1 « Voilà donc deux créations bien distinctes ; celle de l'homme, celle de son esprit ; et c'est ici seulement que paraît la femme. Elle n'est pas créée du néant comme tout ce qui a précédé ; elle sort de ce qui existait de plus parfait ; il ne restait plus rien à créer ; Dieu extrait d'Adam le plus pur de son essence, pour embellir la terre de l'être le plus parfait qui eut encore paru ; de celui qui complèterait l'oeuvre sublime de la création. » ; « L'Ischa », Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII [édition de référence pour ce mémoire], pages 42 et 43.

2 « Il ne s'agit pas d'un sentiment que l'être de la fille transmette : elle ne fait que le provoquer. Ce n'est pas une sensation qu'elle communique par l'impulsion de son corps : c'est une sensation que l'homme doit goûter en lui-même par l'imagination de cette fille, et qui ne devient exquise qu'autant qu'elle peut, par son art, prolonger la jouissance. », « Le Thalaba », idem, page 76.

1 Cf. Erotika Biblion, dans OEuvres érotiques de Mirabeau, collection L'Enfer de la Bibliothèque Nationale, Fayard, 1984, page 12.

128 - Le Léviathan

pour adopter le dogme de la dichotomie : il faut donc convenir que Mirabeau conçoit que Dieu n'est rien d'autre que l'idée de Dieu. Et au fond, il ne fait que constater que l'idée de Dieu pose problème car l'équation du bien et du mal n'est pas résolue et que chaque confession formule une réponse différente. Il ne lui reste que le culte de la Vierge, de la féminité, voire même de la vie, de la procréation - qui constitue une bonne part des cultes primordiaux avec les cultes animistes - pour observer un culte qui est à la fois simple et universel. Dans cette perspective, les désirs de la féminité seraient donc ramenés à la procréation, et la vertu serait préservée tant que l'homme est préoccupé par la féminité.

Charles Hirsch pense que Mirabeau se confond avec sa conception de la femme, car elle ne répond pas à la notion du bien, soutenue par une vision de la nature généreuse, qu'il aurait construite à travers un corpus fortement contesté1. Mais on peut supposer que Mirabeau recherche plus un principe qui dirigerait les différences entre les individus pour l'organisation générale, pour faire en sorte qu'elles se complètent, plutôt qu'une vérité absolue. Par exemple, Mirabeau ne se demande pas s'il existe un principe sexué qui détermine les différences, voire si c'est une suite de nécessités naturelles qui provoque ces différences. Car cela reviendrait à se demander si un organe peut être sexué : un de deux poumons par exemple, doit-il nécessairement être femme ? Loin de ces questions, Mirabeau se considère comme un législateur ; il recherche l'harmonie entre les forces qui dirigent le monde : à savoir, l'attraction, la conservation, les goûts et les moeurs des hommes.

Morale du bonheur

Nous avons dit que Mirabeau recherche l'harmonie, mais il s'agirait maintenant de bien définir le Souverain Bien vers lequel tend sa société idéale. Rappelons qu'il y a un lien de nécessité entre le beau et le bien. Les vues de la nature sont belles, car elles sont bonnes ; et si elles sont bonnes, c'est parce qu'elles sont belles. C'est le principal axiome de Mirabeau sur lequel s'étend sa conception anthropologique et son projet politique. Mais la Nature supporte difficilement toutes sortes de conceptions sur la moralité ; c'est la loi du plus fort qui prime. De même, nous avons vu que les lois pouvaient interdire le mal, mais non pas l'empêcher. Et les forfaits non soumis à la justice sont autant d'infractions qui ne seront jamais punies. À noter que Voltaire traite de ce problème dans son Dictionnaire philosophique avec l'article « Bien (Souverain bien) », d'ailleurs situé sur le même feuillet que l'article « Bêtes » que Mirabeau aurait pu détenir lors de la conception de l'Erotika Biblion.

Une Utopie évolutive - 129

Nous avons la belle fable de Crantor : il fait comparaître aux jeux olympiques la Richesse, la Volupté, la Santé, la Vertu ; chacune demande la pomme. La Richesse dit : « C'est moi qui suis le souverain bien, car avec moi on achète tous les biens. » La Volupté dit : « La pomme m'appartient, car on ne demande la richesse que pour m'avoir. » La Santé assure que sans elle il n'y a point de volupté, et que la richesse est inutile. Enfin la Vertu représente qu'elle est au-dessus des trois autres, parce qu'avec de l'or, des plaisirs et de la santé, on peut se rendre très misérable si on se conduit mal. La Vertu eut la pomme. La fable est très ingénieuse, mais elle ne résout la question absurde du souverain bien. La vertu n'est pas un bien, c'est un devoir ; elle est d'un genre différent, d'un ordre supérieur. Elle n'a rien à voir aux sensations douloureuses ou agréables. L'homme vertueux avec la pierre et la goutte, sans appui, sans amis, privé du nécessaire, persécuté, enchaîné par un tyran voluptueux qui se porte bien, est très malheureux ; et le persécuteur insolent qui caresse une nouvelle maîtresse sur son lit de pourpre est très heureux.

Si la vertu n'est pas une valeur absolue et détachée du reste, elle reste un principe de fonctionnement social qu'il faut encourager pour établir une société idéale. Le bonheur et le malheur, ramenés ici à des cas de conscience, ne suffisent pas à l'encourager car elles ne fonctionnent pas sur le principe de la récompense.

Aux yeux de Mirabeau, le principal et unique bien, de nature divine et naturelle est la liberté de procréer. Il ramène le mal moral à une invention imaginée par les rigoristes, et le mal physique, à un argument fantoche qui prouverait l'existence du mal moral. Par exemple, l'onanisme si décrié par les sermonneurs, n'est pas un mal car « il n'y a point eu de mal physique à ce penchant, et la morale en certains cas aurait pu lui montrer quelque indulgence. » [« Le Thalaba » ; page 73]. Ce que Mirabeau appelle « morale » n'est encore que l'idée que se font les hommes de la morale, mais elle n'est aucunement la volonté divine. Il a réduit à un principe unique afin de ne pas s'en encombrer : Mal est ce qui nuit... à la conservation de l'homme aux yeux de Dieu. S'il s'agit bien d'un principe divin, il ne répond pas aux problèmes des hommes qui veulent s'établir en société.

Le principe général et peut-être unique de morale, est que mal est ce qui nuit. L'adultère n'est pas si loin de la nature, et est un beaucoup plus grand mal que l'onanisme. Celui-ci ne saurait être dangereux qu'à la jeunesse, quand il altère sa santé ; mais il peut souvent être très utile à la morale ; la perte d'un peu de sperme n'est pas en soi un plus grand mal, n'en est pas même un si grand que celle d'un peu de fumier qui eût pu faire venir un chou La plus grande partie en est destinée par la nature même à être perdu. [« Le Thalaba » ; page 79]

En définitive, le mal physique que Mirabeau pourrait admettre serait la dégénérescence liée à l'inceste. Et dans l'exemple ci-dessus, l'adultère est mal lorsqu'il nuit à son prochain, notamment s'il cause de la peine à son ou sa partenaire. Il s'agit de la règle d'or adoptée à la fois par les religions et par les morales athéistes ; on peut aussi bien la traduire par « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse », ou bien dans une perspective plus chrétienne : « aime ton prochain comme toi-même ». Cette piste, bien qu'elle ouvre sur la notion de la réciprocité, ne nous permet pas d'établir l'origine de la réflexion de Mirabeau. Admettons seulement qu'il existerait un hiatus entre

130 - Le Léviathan

la morale humaine et la volonté divine à résoudre, voire à théoriser dans l'Erotika Biblion. Car Mirabeau ne disserte nulle part sur la nécessité d'établir des règles morales pour une société. Il faut donc rappeler que son projet se situe dans une évolution, et qu'il regarde l'établissement d'une société comme étant déjà réalisé : les individus partagent à priori les mêmes goûts pour les mêmes choses et c'est à ce moment que la réflexion de Mirabeau prend du sens. L'utopie de Mirabeau n'est donc pas absolue, autonome et détachée de l'Histoire.

On peut aisément partir du principe que Mirabeau pense sa société idéale en vue du bonheur. Mais en ne théorisant pas les comportements amoraux pouvant déséquilibrer la société, il partirait du principe que l'homme heureux est vertueux, que la femme pourrait éduquer l'homme à aimer son prochain et quand bien même un homme voudrait nuire à son prochain, il n'aurait pas l'énergie suffisante pour mettre en péril l'ordre et l'harmonie. Sa perspective diachronique le pousse à étudier la pérennité de certaines sociétés, et l'amène à conclure que les erreurs ne perdurent pas dans le temps. Par conséquent, l'amoralité ne serait pas un problème dans la mesure où la volonté divine ne permettrait pas qu'elle perdure. Il ne ressent donc pas le besoin de construire la morale de sa société idéale puisqu'elle est suppléée par la loi naturelle et la volonté divine.

- 131

Conclusion

Il est difficile de définir la confession de Mirabeau après la lecture et l'étude de l'Erotika Biblion. Mirabeau est croyant, peut-être un théiste comme Voltaire. L'idée de l'âme, de l'immortalité et de Dieu implique un schéma politique universel, car tout le monde pense que Dieu et l'âme existent. Ce sont ces constations qui poussent Mirabeau à recevoir ces croyances comme vraies et avérées. Comme le maintien de l'ordre nécessite que tout le monde veuille participer à la société, il ne faut pas qu'elles se contredisent ou rejettent les croyances étrangères. On peut d'ailleurs regarder de près son sermon sur St Paul1 comme un texte inspiré prônant la tolérance.

Peut-être Mirabeau cherche-t-il à prouver que Dieu existe ? Il ne serait passé ni par le raisonnement, ni par les supputations métaphysiques, mais par la nécessité d'admettre son existence en vue de produire une société idéale pour le bien de tous. Par cette proposition, il théorise une société, un projet anthropologique qui répondrait aux besoins de tous les peuples pour tous les temps. S'il faut composer avec la Bible et les confessions qui y sont tirées, alors pourquoi ne pas s'en servir ? Mirabeau tire de la Bible des preuves que les moeurs et les goûts ont évolué, et ce, grâce à la législation. Finalement, il cherchait à adresser son projet à l'universalité : il a pensé que la sexualité et la spiritualité sont deux domaines partagés par tous et que, par conséquent, son ouvrage parlerait à n'importe quel lecteur.

Il ne faut pas non plus oublier que, tout comme son roman pornographique Ma Conversion, l'Erotika Biblion est un texte non fini. Nous avons décelé des problèmes avec la fiction : elle est rarement assumée sinon Mirabeau aurait écrit une utopie. Et il a préféré l'argumentation à la fiction pour présenter ses théories. En revanche, ses traductions des textes latins et ses traités politiques ont bien été finis ; l'Erotika Biblion étant un assemblage, on pourrait penser que Mirabeau avait dans la perspective d'écrire une fiction en premier lieu, puis qu'il se serait détourné de ce projet littéraire. Il faut d'ailleurs rappeler que le premier chapitre, « Anagogie », nuit à la cohérence de son essai ; c'est le seul chapitre qui commence par une fiction ; c'est aussi le seul où son projet anthropologique n'est pas présenté et il n'y articule pas la démonstration à ses traités politiques. Peut-être que sa pensée n'était pas encore mûre et qu'elle était en train de se faire. C'est pourquoi l'ouvrage nous semble si désordonné et qu'il a pu l'écrire en quelques semaines seulement : il n'est pas fini. En outre, l'intérêt de cet ouvrage est d'éclairer la pensée de Mirabeau, ses articulations, ses axiomes, ses raisonnements et ses argumentations qui ont peut-être accompagné le tribun lors de ses discours à l'Assemblée Nationale, neuf ans plus tard. Aussi, ce texte présente en brut, plusieurs procédés de création bien

1 Un Sermon inédit de Mirabeau sur la nécessité de l'autre vie, volume 31, Revue des Deux mondes, 1916.

132 - Conclusion

visibles car l'intention d'écriture flotte encore et ne paraît pas viser un but bien défini. Bien que l'exercice de lecture en soit freiné, l'ouvrage aurait toute sa place dans un corpus dédié aux études génétiques en littérature. Car on peut facilement y trouver un réseau intertextuel que le dispositif énonciatif et éditorial tort, subvertit, et détourne de leur visée initiale. On peut donc apprécier, à la fois la compréhension de Mirabeau des textes et idéologies de son temps, mais aussi sa considération sur ses propres textes et sur la façon dont il les intègre aux courants de pensée contemporaine ; et ce, grâce à sa volonté de retourner les textes contre ceux qui l'ont écrit avec leurs propres raisonnements. C'est particulièrement significatif au premier chapitre « Anagogie ».

Pour rester dans la comparaison entre ses propres ouvrages, on peut rapporter l'Erotika Biblion à Ma Conversion. Les points significatifs sont nombreux : au début de son roman, sa lettre à Satan montre que plus personne n'a plus peur de l'enfer, de la punition et du péché, et finalement de Dieu. On retrouve un Dom Juan qui provoque Dieu : c'est le retour à un libertinage intellectuel. Le seul effroi véritable se situe dans le passage où le Père Ambroise énonce les conséquences de l'irrespect des religions et des punitions temporelles qui attendent l'athée. C'est d'ailleurs la seule occurrence de la tradition de l'imposture des religions dans la production littéraire de Mirabeau.1 Or, la nécessité de croire en Dieu et en l'âme est au carrefour des conceptions anthropologiques, philosophiques et politiques de l'Erotika Biblion. Bien qu'il ne reconnaissance que Dieu et l'âme ne sont rien d'autre que l'idée de Dieu et de l'âme, il intègre ces croyances comme un principe d'universalité, et regarde de même la sexualité. Aussi, le péché est notion bien commentée dans l'Erotika Biblion, et Mirabeau montre que ce n'est qu'un manquement, et non pas une faute ; car il ne faudrait pas que la loi du pouvoir temporel de l'Eglise remplace la loi du législateur. La grande différence entre ces deux ouvrages vient du fait que le moteur de la narration de Ma Conversion est l'argent2 : Auri sacra fames, l'exécrable soif de l'or. On peut s'en étonner, l'Erotika Biblion a été écrit seulement trois mois après Ma Conversion, on ne peut pas y voir une autocontradiction gratuite : l'épigraphe serait en complète contradiction avec les propos de l'Erotika Biblion. Le protagoniste de Ma Conversion n'est motivé que par l'argent ; il cherche donc à se préserver. C'est la loi de la conservation qui rythme l'ouvrage. Il visite tous les personnages féminins, des prototypes des romans pornographiques d'époque (la dévote, la marquise, etc...), et s'accouple avec elles selon l'importance de leur patrimoine. Or, comme nous l'avons montré, la loi naturelle pour Mirabeau est la loi de la propagation, la loi divine est la conservation de l'espèce. Le protagoniste suivrait donc l'impulsion divine qui vise à se

1 Nous omettons volontairement tous les romans non revendiqués par l'auteur dans sa correspondance et qui lui sont parfois attribués.

2 Voy. la page de titre du Le Libertin de qualité, ou Confidences d'un prisonnier au château de Vincennes, Auri Sacra fames, écrites par lui-même, à Stamboul, Imprimerie des Odalisques, 1784.

- 133

conserver plutôt que le désir de propagation réservé pourtant exclusivement à l'acte sexuel ; ce qui explique d'ailleurs pourquoi il n'a pas peur de finir en Enfer. Pourtant, la juste punition pour Mirabeau consiste à le rendre sujet d'une maladie vénérienne à la fin du récit, représentant ainsi une sorte de justice divine. Toutefois, Ma Conversion est, comme l'Erotika Biblion, un ouvrage non fini.

Pour revenir au processus de création de Mirabeau, nous rappelons qu'il écrit à partir de fragments de texte car il ne possédait que des oeuvres partielles. Il avait une compréhension limitée de leur unité, de leur pensée et de leur construction intellectuelle. Pourtant Mirabeau parvient à produire une oeuvre plus ou moins cohérente et autonome. Il croyait que son oeuvre échapperait à la censure car il pensait avoir épargné la matière religieuse ; et il est vrai que sa stylistique empêchait qu'il ne formulât explicitement des thèses contraires à la religion. Sa force littéraire réside justement dans sa dénonciation des grandes lectures des textes sacrés qui aspirent aux vérités transcendantales et absolues. C'est ce qu'on a pu lire dans le premier chapitre, « Anagogie » : toute construction littéraire aspirant à une quelconque autorité ne sera jamais audible et compréhensible. L'Erotika Biblion représente tout l'inverse ; cet écrit est parcellaire, informe, parfois bâclé, mais il n'est pas incohérent. D'ailleurs, le titre, Erotika Biblion, que l'on peut traduire par de l'érotisme dans le livre pourrait nous donner l'image d'un corps : on prend les plus beaux morceaux des ouvrages qui nous inspirent quelques idées et on les assemble pour former le corps le plus séduisant possible. Chercher de l'érotisme dans les livres se fait surtout par l'imagination, tel un rêve dont on prend autant de plaisir à le produire qu'à le déchiffrer ; et il ne sera peut-être jamais question de rendre l'Erotika Biblion uniforme et entier. Tous ces morceaux de textes apparaissent comme autant de charme et d'atout qui participent à la séduction générale. Et si nous pouvons ramener le livre à la femme, Mirabeau nous dit bien que seul le sot chercherait à décrire et énumérer tous les charmes de sa belle1. Peut-être même que la démarche initiale de Mirabeau ne serait pas dans la volonté intellectuelle de situer ses idées philosophiques et politiques à l'égard d'une sexualité et d'une spiritualité exacerbées, mais plutôt dans la volonté d'atteindre un plaisir de l'écriture, ou même de répondre à un besoin d'écriture. Ce besoin ou ce plaisir d'écriture consisterait à créer un texte à partir de petits fragments d'autres textes pour nourrir le plaisir de penser, le plaisir d'imaginer, et de créer du sens tout en donnant une vie et une visée propre aux écrits des autres pour construire un dialogue, souvent tronqué ou déformé. L'Erotika Biblion n'est peut-être simplement qu'un jeu d'imagination qui ne serait pas sans rapport avec l'érotisme.

1 « On ne calcule point les charmes qu'on adore ; on s'enivre, on brûle, on les couvre de baisers ; ce n'est qu'alors qu'on est intéressant ; la belle qui verroit compter par ses doigts les attraits dont elle est ornée, prendroit le calculateur pour un sot, & feroit elle-même une pauvre figure. » ; « L'Anandryne », page 99, », Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII.

- Le Père Berrhuyer ; à propos de son accord avec les Jésuites, de plus il accuse Luther et Isaac le

Maître de Sacy d'hérésie, idem.

134 -

Annexes

Annexe I : Évocations et allusions à un intertexte foisonnant

Nous appelons évocation, une référence dans le texte, au propos d'autrui rapportés au discours direct ; aussi, il faut que le nom de l'auteur et le titre de l'oeuvre apparaissent, cas à part pour les citations bibliques.

Nous appelons allusion une référence au propos d'un auteur, rapportés au discours indirect, qui souffre d'une référence au titre de son oeuvre.

Anagogie contient 7 appels de note. Le chapitre renvoie à 10 évocations, dont 9 à différentes versions de la Bible, et une à la littérature idéologique. Toutes les citations sont données en note de bas de page. En voici la liste dans l'ordre d'apparition avec les références données par Mirabeau. Nous les classons selon leur appartenance, en premier à la catégorie religieuse, en second à la catégorie païenne, et enfin à la catégorie laïque.

- Les Actes des Apôtres. 8, 39. [LAT.] ; à propos de l'eunuque de Candace, page 6. - Daniel. chap. XIV, v. 32. [LAT.] ; à propos du voyage d'Habacuc, idem.

o Trad. d'Isaac le Maître de Sacy [FR.] ; à propos des cheveux d'Habacuc, page 7.

o Trad. Luther [ALL.] ; ibid.

- Maccab. livre I, c. I, v. 16. [LAT.] ; à propos des prépuces philistins, page 7.

o Trad. d'Isaac le Maître de Sacy [FR.] ; ibid.

o Trad. Septante [FR.] ; ibid.

o Trad. Luther [ALL.] ; ibid.

- Rois. livre I, VII, chap. VI, v. 17 [LAT.] ; à propos des anus d'or, page 8.

Les allusions sont au nombre de 7 et n'ont évidemment pas de références. 4 renvoient à des noms de personnes physiques appartenant à la catégorie laïque, 3 sont des noms de personnes physiques ou morales appartenant à la catégorie religieuse. Nous les reclassons ici, dans le même ordre que pour les évocations.

- Les Jansénistes ; à propos de leur refus de traduire proeputiae, par prépuces, page 7. - Les Jésuites ; à propos de leur désaccord avec les Jansénistes, idem.

Évocations et allusions à un intertexte foisonnant - 135

- Jarckius ; à propos de son livre sur les académies savantes de l'Italie imprimé à Leipzick en 1725, page 6.

- M. Bailly ; à propos de son histoire de l'Atlantide, page 8.

- M. Bailly ; à propos de son histoire de l'astronomie antidiluvienne, page 9.

- Diderot et d'Alembert ; à propos de la connaissance par les sens, (Lettres sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient), page 16.

- Anquetil du Perron ; à propos de sa traduction des livres sacrés des Brames, page 22.

L'Anélytroïde contient 4 appels de notes. Le chapitre renvoie à 6 évocations, 5 sont tirées de la Bible, et une de la littérature casuistique. Elles sont toutes fondues dans le corps du texte, ce qui explique le manque de référence. En voici la liste dans l'ordre d'apparition avec les références données par Mirabeau.

- Genèse. sans ref. [FR.] ; à propos de la séparation des eaux inférieures et supérieures, page 26. - Genèse. chap. I, v. 27. [FR] ; à propos de la création de l'homme, page 30.

- Genèse. chap. II, v. 19. [FR.] ; à propos du nom véritable des animaux, page 30.

- Genèse. chap. II, v. 20. [FR.] ; ibid.

- Genèse. sans ref. [FR.] ; à propos de l'ordre divin à croître et à multiplier, page 33.

- De matrimonio, avec les références d'édition. [LAI.] Sanchez ; à propos de sa défense éloquente des jésuites, page 35.

Les allusions sont au nombre de 6 et n'ont évidemment pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de personnes physiques dont 3 appartiennent à la catégorie religieuse, et les 3 autres à la catégorie laïque. Nous les classons selon leur appartenance, en premier, à la catégorie religieuse, en second, à la catégorie casuistique, et enfin à la catégorie laïque.

- Moïse ; à propos de la révélation de la Création, page 31.

- Moïse ; à propos du décompte des jours du soir au matin, page 32.

- Cucufe et Tournemine ; à propos de leurs recherches sur l'anélytroïde, page 34.

- Platon ; à propos des caractéristiques particulières de l'androgyne, page 32.

- Buffon ; à propos des relations entre foi et science, (« Des époques de la nature », Histoire naturelle [Dubost]), page 33.

- Louis ; à propos de sa thèse de médecine sur l'anélytroïde, page 36.

L'Ischa contient 6 appels de note. Le chapitre renvoie à 4 évocations, 3 sont tirées de la Bible, la dernière renvoie à un texte non identifié. Les deux premières sont incluses dans le corps du texte, les autres sont données en note de bas de page. En voici la liste dans l'ordre d'apparition avec les

136 - Annexe I

références données par Mirabeau.

- Genèse. sans ref. [FR.] ; à propos de la multiplicité de Dieu, page 42.

- Genèse, ch. II, v. 23. [LAT] ; à propos du terme uirago, Mirabeau donne cette référence aux Septante,

page 43.

- Genèse, ch. II, v. 23. [ALL] ; à propos du terme mânnin, page 43.

- Diod [?], d, I, ch. XXVII ; à propos de l'autorité de la femme mariée dans les coutumes égyptiennes,

page 46.

Les allusions sont au nombre de 8 et n'ont évidemment pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de personnes physiques dont 2 appartiennent à la catégorie religieuse, et les 6 autres à la catégorie laïque. Nous les classons selon leur appartenance, d'abord à la catégorie religieuse, ensuite à la catégorie laïque.

- Un écrivain illustre ; à propos de la prééminence de Junon sur les autres dieux, page 45.

- Erasme ; à propos de la coutume de saluer la Vierge en chaire, page 46.

- Marie Schurmann ; à propos des bienfaits d'une éducation féminine plus complète, page 39. - Boccace ; à propos des femmes illustres, page 39.

o Hilarion Coste ; idem, page 40.

o Wolf ; ibid.

- Pozzo ; à propos de la femme meilleure que l'homme, page 40.

- Marie Schurmann ; à propos d'Eve comme le chef d'oeuvre de la création, page 43.

La Tropoïde contient 17 appels de note. Le chapitre renvoie à 15 évocations ; toutes sauf une, sont tirées de la Bible, et la dernière de la littérature religieuse. Elles sont toutes données en note de bas de page, sauf cette dernière, fondue dans le corps du texte. En voici la liste dans l'ordre d'apparition avec les références données par Mirabeau.

- Lévitique, ch. VIII, v. 24 ; à propos du cérémonial religieux de l'établissement d'Aaron, page 56.

- Idem, ch. XII, v. 5 ; à propos de l'impureté d'une mère donnant naissance à une fille.

- Lévitique, ch. XVII, v. 7 ; à propos de la perversion des pratiques sexuelles des Hébreux, page 57.

o Idem, ch. XVIII, v. 7.

o Ibid, v. 9.

o Ibid, v. 10.

o Ibid, v. 12.

o Ibid, v. 15.

o Ibid, v. 16.

Évocations et allusions à un intertexte foisonnant - 137

o Ibid, v. 17.

o Ibid, v. 21 et ch. XX, v. 3.

o Lévitique, ch. XVIII, v. 22, page 58.

o Ibid, v. 23.

o Lévitique, ch. XXI, v. 18, idem.

- La Cité de Dieu, liv. VI, ch. IX, St Augustin ; à propos des membres virils mis en procession lors des fêtes de Bacchus, page 60.

Les allusions sont au nombre de 3 et n'ont évidemment pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de personnes physiques appartenant à la catégorie religieuse. Nous les classons selon leur ordre d'apparition.

- Moïse ; à propos de l'impureté des Hébreux, page 55.

- L'évêque d'Hippone ; à propos d'une cérémonie romaine favorisant la fertilité des femmes, page 61.

- Le jésuite Filliutius ; à propos d'une modération des plaisirs charnels avant qu'ils ne deviennent

coupables, page 62.

Le Thalaba contient 8 appels de note. Le chapitre renvoie à 5 évocations, 2 sont tirées de la Bible, 1 de la littérature casuistique, et 2 de la littérature idéologique. Les citations de catégorie religieuse sont données en note de bas page, les autres sont fondues dans le corps du texte. Nous les classons selon leur appartenance, en premier à la catégorie religieuse, et en second à la catégorie laïque ou païenne.

- Aux Cor, 6, 7, 8, 29 ; à propos de l'épitre de St Paul commandant de se comporter avec sa femme comme si nous n'en avions pas, page 68.

- Genèse, ch. XXXVIII ; à propos d'Onan et l'onanisme, page 70.

- [sans nom], page 817, édit. In-8, Saci ; à propos de la nécessité de l'onanisme à la venue de J-C, page

71.

- Epig, 42, liv. IX, Martial ; à propos de la pratique de l'onanisme, page 79.

- L'Art de la guerre, marquis de Santa Cruz ; à propos de l'onanisme comme pratique nécessaire pour un général, page 73.

Les allusions sont au nombre de 3 et n'ont évidemment pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de personnes physiques dont appartenant à la catégorie païenne. Nous les classons selon leur ordre d'apparition.

- Diogène ; à propos de la masturbation en public, page 68.

- Galien ; à propos du pacifisme de la masturbation, page 69.

138 - Annexe I

- Galien ; à propos des inconvénients de la semence retenue, page 73.

L'Anandryne contient 11 appels de note. Le chapitre renvoie à 7 évocations, une seule est tirée de la Bible, un autre provient de la littérature religieuse, et les cinq dernières viennent de la littérature païenne ou laïque. 5 sont données en note de bas de page ; 2 sont fondues dans le corps du texte, ce qui explique leur manque de référence. En voici la liste dans l'ordre d'apparition avec les références données par Mirabeau.

- [sans ref], vers traduits de l'hébreux attestant des êtres à double sexe, Louis Leroi, page 85.

- Nouveau Ciel, Antoinette Bourignon ; à propos du système des êtres doubles, page 86.

- Dialog, t. I, deor, XV & 2. Diodor. Sic. I. IV, p. 252, éd. Westhling, Lucian ; à propos de l'étymologie

du terme hermaphrodite, page 88.

- Meret. V, Lucian ; à propos d'une spécificité féminine de l'hermaphrodisme, page 89. - Ad Rom, cap. I, St Paul ; à propos de l'hermaphrodisme reproché aux Romaines, idem. - Lib. IV. Cap XVI ; à propos du témoignage des pratiques sexuelles des Romaines, idem. - Epist. XCV, Sénèque [LAT] ; à propos du réquisitoire contre les Romaines, idem.

Les allusions sont au nombre de 15 et n'ont évidemment pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de personnes physiques dont 3 appartiennent à la catégorie religieuse, et les douze autres à la catégorie païenne ou laïque. En voici la liste dans l'ordre d'apparition.

- Les plus fameux rabbins ; à propos du double sexe des premiers hommes, page 83.

- Moïse ; à propos de sa confirmation du dédoublement des sexes, expliquant l'attraction amoureuse, page 85.

o Platon, ibid.

- Aristophane, Plaute, Phèdre, Ovide, Martial, Tertullien et Clément d'Alexandrie ; ils sont rassemblés en tant que témoins des pratiques sexuelles des Romaines, page 89.

- Lycurgue ; à propos des gymnopédias, page 90.

- Anacréon ; à propos de l'apprentissage de l'amour, idem.

- Sapho ; à propos de son système pratique concernant l'amour, page 91.

- Anacréon ; à propos de la fureur amoureuse des tribades, idem.

- Plutarque ; à propos de l'amour en tant que fureur divine, idem.

- Horace ; à propos de l'épithète mascula donné à Sapho, page 92.

- Zoroastre ; à propos du terme avesta, la garde du feu, idem.

- L'abbé Barthélémi ; à propos des habits des vestales, page 94.

- Dumoulin ; à propos de l'usage de la tribaderie comme remède, page 95.

Les allusions sont au nombre de 10 et n'ont évidemment pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de personnes physiques et appartiennent à la catégorie religieuse. En voici la liste dans

Évocations et allusions à un intertexte foisonnant - 139

- M. Poivre ; à propos des chinoises, les plus fameuses des tribades, page 97.

- M. de Saint-Priest ; à propos des vingt vers décrivant les trente charmes d'Hélène, idem.

L'Akropodie contient 26 appels de note. Le chapitre renvoie à 22 évocations, toutes sauf une sont tirées de la Bible. 6 sont exprimées en note de bas de page, les autres sont fondues dans le corps du texte. En voici la liste dans l'ordre d'apparition avec les références données par Mirabeau.

- Gen. XVII, 24 ; le prépuce d'Abraham serait le signe d'alliance entre le Créateur et son peuple, page 109.

- Ex. IV, 25 ; la femme de Moïse circoncis son fils et déclenche une querelle, idem.

- Lév. XIX, 23 ; prépuce signifie aussi fruit circoncis, idem.

- Deut. X, 16 ; on parle aussi de circoncision du coeur, idem.

- Josué. V, 3 & 7 ; la circoncision de tout un peuple en une seule fois, idem.

- Reg. XVIII, 25 ; cent prépuces de douaire demandés à David, idem.

- Reg. Liv. I, XVIII, 27 ; il en apporta deux cents, page 110.

- Reg. Liv. II, II, 14 ; il obtint ainsi la main de Michol, idem.

- [sans ref] Origène [LAT] ; à propos de la circoncision des égyptiennes par mesure sanitaire, page 111.

- Imon, ch. I, 16 [LAT] ; les Juifs apostats se font des prépuces, page 112.

- Cor. Liv. I, VII, 18 ; la crainte de St Paul que les juifs convertis au christianisme n'en fassent de même,

idem.

- Lév. Ch. VI, 10 [LAT] ; les prêtres doivent se servir d'un chauffoir lors des cérémonies, page 116. - Reg, I, ch. XXIV, 4 [LAT] ; le comportement de Saül poursuivant David, idem.

- Reg. 4, ch. XVIII, 27 [LAT] ; de la matière fécale en guise de nourriture, et de l'urine pour breuvage page 117.

- Tobie, II, II ; Tobie se nourrissant de fiente d'hirondelle, idem.

- Esther. XIV, 2 ; Esther se couvrant la tête de saleté, idem.

- Ecc. XXII, 2 ; les paresseux lapidés par de la bouse bovine, idem.

- Isaïe. XXXVII, 12 ; Isaïe se nourrissant des hideuses évacuations du corps humain, idem.

- Tren. IV, 5 [LAT] ; les riches embrassant des immondices, idem.

- Mal. II, 3 ; ils en étaient aspergés dans le temple même, idem.

- Ezech. IV, 12 ; Ezéchiel étendant sur son pain un étrange ragoût, idem.

- Ibid. IV, 15 ; Dieu convertit le ragoût en fiente de boeuf, idem.

140 - Annexe I

l'ordre d'apparition.

- St Augustin avance que le prépuce qui remettrait le péché originel, page 110.

- St Justin, Tertullien et S. Ambroise sont d'avis contraire, idem.

- M. Huet soulève la question de la circoncision des femmes, idem.

- Paul Jove et Munster avancent que la circoncision des femmes est en usage chez les Abyssins, page

111.

- St Jérôme, Rupert et Haimon nient la possibilité de se faire des prépuces, page 112.

- Galien et de Celse affirment l'inverse, idem.

- Bartholin détiendrait le secret pour effacer la circoncision de la chair, idem.

- Buxtorf le fils confirme cette possibilité par l'autorité des Juifs, page 113.

- Les PP. Conning et Coutu l'ont expérimentée, idem.

- Herrera souligne que les Mexicains avalent le prépuce après l'avoir coupé, page 115.

Kadhésch contient 11 appels de note, 2 sont en grecs sans référence d'auteur et d'ouvrage. Le chapitre renvoie à 6 évocations, 3 sont tirées de la Bible, une provient d'un texte apocryphe, et les deux autres appartiennent à la littérature païenne ou laïque. Les citations tirées de la Bible sont données en note de bas de page, les autres sont fondues dans le corps du texte, ce qui explique leur manque de référence. En voici la liste dans l'ordre d'apparition avec les références données par Mirabeau.

- Livre d'Enoch ; à propos des femmes qui affectaient la stérilité dans l'Antiquité, page 124. - Juv. Liv. II, s. 6 [LAT] ; à propos de la puissance sexuelle des eunuques, page 129.

- Gen XIX, 4 [LAT] ; la prostitution des deux filles de Loth, page 130.

- Gen. XIX, 33 [LAT] ; l'inceste de Loth et de ses deux filles, page 132.

- Aux Rom. Ch. I, 27 [LAT] ; les excès de pédérastie des Romains, idem.

- Description géographique, Marc Paul [Marco Polo] ; à propos des hommes à queue du royaume de

Lambris, page 133.

Les allusions sont au nombre de 7 et n'ont évidemment pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de personnes physiques dont 2 appartiennent à la catégorie religieuse, et les autres à la catégorie laïque ou païenne. En voici la liste dans l'ordre d'apparition avec les références données par Mirabeau.

- Platon ; à propos de la nécessité de présenter un préambule raisonné en tête des édits, page 121. - Moïse oblige les hommes à se marier, page 123.

- Lycurgue note d'infamie les célibataires, idem.

Évocations et allusions à un intertexte foisonnant - 141

- Platon tolère les célibataires jusqu'à l'âge de 35 ans, page 125.

- Struys ; à propos des hommes à queue de l'île Formose, page 133.

- Gemelli Carreri ; à propos des hommes à queue de l'île Mindors, idem.

- Sanchez ; à propos de son observation de l'accouplement d'un homme à queue, page 134.

Béhémah contient 12 appels de note. Le chapitre possède deux termes en grec ; il renvoie aussi à 7 évocations, 4 sont tirées de la Bible, et 3 de la littérature païenne. Elles sont toutes données en note de bas de page. En voici la liste dans l'ordre d'apparition avec les références données par Mirabeau.

- Ex. XXII, 19. Lév. VII, 21. XVIII, 23 ; les Juives auraient commerce avec les animaux, page 148.

- Lév. XX, 15 ; les bêtes seraient choisies par elles sans distinction, idem.

- More Nevochin, p. III, c. XLVI, Maimonide ; à propos du culte des boucs, page 149.

- Lév. XVII, 7. Exod. XXXIII, 20 et 23 ; les démons apparaitraient sur la forme de bouc, idem.

- Jérem. L, 39 ; ils seraient appelés faune suffoquant, idem.

- Ðåñß áðßóôùí, c. XXV, Héraclite ; à propos des satyres vivant dans les bois, idem.

- Tseror hammor (Fasciculus myrrhoe), Abraham Seba ; il admet une âme aux faunes, page 150.

Les allusions sont au nombre de 33 et n'ont évidemment pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de personnes physiques dont 19 appartiennent à la philosophie antique, les autres sont liées à la catégorie laïque. En voici la liste dans l'ordre d'apparition.

- Tibulle ; à propos des chèvres favorites des bergers, page 139. - Les Pythagoriciens ; à propos de la transmigration, page 142.

o Les Platoniciens ; ibid.

- Thalès ; à propos de la consistance de l'âme, page 142.

o Pythagore ; ibid.

o Platon ; ibid.

o Aristote ; ibid.

- Héraclite établit la nature de l'âme comme une exhalaison, page 142.

o Pythagore ; comme un détachement d'air, idem.

o Empédocle ; un composé d'éléments, idem.

o Démocrite, Leucide, Epicure ; un mélange de je ne sais quoi de feu, de je ne sais quoi d'air,

de je ne sais quoi de vent, et d'un autre quatrième sans nom, idem.

o Anaragore, Anaxième, Archelaüs ; un composé d'air, idem.

142 - Annexe I

o Hippone ; un composé d'eau, idem.

o Xénophon ; un composé d'eau et de terre, idem.

o Parménide ; un composé de feu et de terre, idem.

o Boëce ; un composé de feu et d'air, idem.

o Marc-Antonin ; du vent, page 143.

o Cristolaüs ; une cinquième substance, idem.

o S. Irénée ; un souffle, idem.

o Tertullien pense qu'elle est corporelle, idem.

o S. Bernard, qu'elle conversera avec J-C, idem.

- Critius place l'âme dans le sang, page 142.

o Hippocrate la pense répandue dans tout le corps, idem.

o Descartes ; dans la grande pinéale, page 146.

o Vicussens ; dans le centre ovale, idem.

o Lancisi et M. de la Peyronie ; dans le corps calleux, idem.

- Jamblique ; à propos des démons visibles sous la forme de bouc (le cpciaparpaywç), page 149.

- Homère ; à propos de l'apparition des démons en boucs, idem.

- Manethon, Denis d'Halicarnasse ; à propos des vestiges remarquables de ces productions monstrueuses, idem.

- Edouard Tyson ; à propos des pygmées, cynocéphales, sphynx, orang-outang et les aigo-pithecoi, idem.

- Munster qui a trouvé à propos des productions monstrueuses ce qu'ont en dit les rabbins (les rpaywpopcpot), page 150.

- Voltaire ; à propos de ses écrits sur les monstres d'Afrique, page 151.

- Buffon ; à propos de ses études sur les progénitures monstrueuses, page 152.

L'Anoscopie contient 3 appels de note. Le chapitre renvoie à 2 évocations, toutes deux tirées de la Bible. Elles sont données dans le corps du texte. En voici la liste dans l'ordre d'apparition avec les références données par Mirabeau.

- Lév. XX, 16 ; Moïse défend de consulter les devins, page 158.

- Rois. I, c. V, 26 ; à propos de la maladie frappant les êtres dans leur fondement, page 168.

Les allusions sont au nombre de 6 et n'ont évidemment pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de personnes physiques dont 5 appartiennent à la catégorie religieuse, et l'autre à la catégorie laïque. En voici la liste dans l'ordre d'apparition.

Évocations et allusions à un intertexte foisonnant - 143

- Moïse ; à propos des faux miracles opérés par les enchanteurs de Pharaon, page 161. - Un poète moderne relate l'histoire des missionnaires Jésuites en Chine, page 162.

- Pascal, étayé de Nicole qui harcela les Jésuites, page 163.

- Arnaud frappé d'anathème à la demande de la Société de Jésus, idem.

- Le père Garasse ; à propos du terme lavement, page 167.

- Le Jésuite Anusin décrit un ébat entre un Jésuite et un Juif, page 169.

La Linguanmanie contient 22 appels de note. Le chapitre possède 16 termes, tous en bas de page dont 2 qui n'ont pas de référence ; il renvoie aussi à 16 évocations, 3 sont tirées de la Bible, les autres proviennent de la littérature païenne. Elles sont toutes données en note de bas de page. En voici la liste dans l'ordre d'apparition avec les références données par Mirabeau.

- Juv. L. II, sat. 6 [LAI] ; Messaline connait le plaisir mais jamais l'amour, page 179.

- Livre de la sagesse. Ch. XIV, v. 26 ; à propos des avortements criminels, de l'impudicité, etc... page 185.

- Jérémie. Ch. V, v. 13 ; à propos de l'amour des jeunes garçons, idem.

- Ezéchiel. Ch. XXVI, v. 24, 25, 26, 37 ; à propos des mauvais lieux de prostitution, idem. - [sans ref], p. 553, Erasme [LAI, GRE] ; à propos du parterre de la nature, page 186.

o [sans ref], 269, Erasme [LAI, GRE] ; les filles du parterre sont comparées à des boucs, idem.

o [sans ref], « Ancon », 335, Erasme [LAI, GRE] ; à propos du lieu Ancon et ses habitants, idem.

o [sans ref], 723, Erasme [LAI, GRE] ; à propos de la prostitution des filles et garçons à Sardanapale, page 187.

o [sans ref], 827, Erasme [LAI] ; à propos du temple corinthien pour la prostitution, idem.

o [sans ref], 737, Erasme [LAI, GRE] ; à propos de la souplesse et la volupté des Corinthiens, idem.

o [sans ref], 731, 800, Erasme [LAI, GRE] ; à propos de la bouche des Lesbiennes, page 188. - [sans ref], gens, Erasme [LAI, GRE] ; à propos du terme chalcider, page 189.

o [sans ref], 690, Erasme (chez Plin. L. IV, 12) [LAI, GRE] ; à propos du terme phicidisser, idem.

o [sans ref], 619, Erasme [LAI, GRE] ; à propos du terme cleitoriastein, idem. - Martial. Lib. I [LAI] ; à propos des lèvres des Lesbiens, page 190.

- Hier. Merc. Li. IV, p. 93 [LAI] ; Epiphane aurait écrit que certaines femmes buvaient leur menstruation, page 191.

Les allusions sont au nombre de 8 et n'ont évidemment pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de personnes physiques et appartiennent à la catégorie laïque ou païenne. En voici la liste dans l'ordre d'apparition.

144 - Annexe I

- Sennert citerait une femme devenue nymphomane à cause d'une boisson, page 177. - Muller donne la recette d'un aphrodisiaque, page 178.

- M. de Buffon relate son observation d'une jeune fille dont le comportement est lubrique en présence d'homme, page 179.

- M. Burette ; à propos de la gymnastique des Grecs et des Romains, page 182.

- Erasme recueille des anecdotes sur la sexualité chez les auteurs grecs et romains, page 185.

- Hesychius et Suida auraient décrit une pratique sexuelle des tribades, page 189.

- Suétone ; à propos du terme phicidissare, idem.

- Sénèque ; à propos de l'expression non satis liques [sic], page 190.

- Suétone ; à propos des lèvres de Uitellius, idem.

Dissertations f...] de Dom Calmet, Tome I - 145

Annexe II : Dissertations [...] de Dom Calmet, Tome I

SUR L'ORIGINE DE LA CIRCONCISION. 417

donner nôtre Peur it un incirconcis , c'efl parmi nous un opprobre , - une chofe bonteufc ; c'efl-x-dire , quiconque ne porte pas la marque de la Circoncilion , eit regardé parmi nous avec horreur , ( a ) c'cft un objet honteux aborn~i-nable`~: le Cananéen & l'Egyptien étoient donc également un opprobre aux Hébreux, parce que ni l'un ni l'autre n'avoicnt la Circoncifion.

Marsham (G) a prétendu tirer de ce premier paffage cité de Jofuc , une preuve pour fon fentimcnt , qui veut que du teins- de Moyfe , les Egyp-tiens ftitfent circoncis :.t'ai ôté du milieu de vous l'opprobre de ]'Egypte a c

à-dire , felon lui , j'ai cité d'entre vous ce qui eft également en horreur aux Egyptiens & .à vous; comme files Egyptiens avoieut jamais été circoncis untverfellement, & fans relèrve & s'ils avoient regardé avec mépris ceux qui ne l'étoient pas , ou qu'ils euilënt été. engagez par devoir , ou par quelques Loix à recevoir
· cette marque fur eux-memes. L'opprobre de l'Egyp-te ne peut donc marquer en cet endroit , que la honte dont les Egyp-tiens ,en qualité d'incirconcis , font chargez , & l'horreur qu'en ont les Ifraclites pour cette raifon. A prés toutes .ces preuves , nous croyons pouvoir conclure que du terns de Moyfe & de Jofiie les Egyptiens n'avotent pas encore la Circoncifion
· examinons â préfent les rems qui ont fùivi.

L'opinion la plus commune , eft :que ce fut fous le regne de Salomon que les Egyptiens & les Ethiopiens recûrent l'ufage de fe circoncire. Les preuves de ce fentinnent fe prennent du grand commerce de ces peuples avec les Juifs dans ce teins-là : niais fi nous il'avoiions pas que les Egyptiens aycnt Pris cette coûtutne des Hébreux .dans le teins du ajour de ceux-ci dans l'Egypre , nous aurons peine à -convenir que la liaifon que ces deux peuples eurent enfemble du rems de Salomon , ait pies produire cet cffct; ar tout n'y ayant point d'autres raifons qui foûtiennent celles-là. Et quant

aux Ethiopiens , qu'on prétend avoir recii la Circoncifion par le moyen deleur Reir1e , qui entreprit exprés le voyage de Jérufalem pour voir Salomon

on doit remarquer u'elle n'etoit oint Reine de l'Ethio ic dont on vcutpar-

1er , niais du pays de Saba dans l'Arabie; & qu'ainfi la vifite qu'elle rendit â.
Salomon, & l'eitirine qu'elle pouvoir avoir pour ce Prince, n'apû contribuer a faire prendre la C irconcifion aux Ethiopiens , qui n'avaient aucune relation avec elle.

'Rochait , & quelques-autres Icavans , ont crû que la Circoncifion n'ctoit pas venuii dans ]'Egypte par le canal des Juifs ,mais par le moyen des Arabes voiif ins de cc pays. On remarque en effet une grande differencc entre la Circoncifion des Egyptiens , & celle des Juifs, & au contraire beaucoup de relemblance entre celle des Egyptiens & des Arabes. i°. Les Juifs regardent cette cérémonie comme une obligation indtfpenfable, & comme le lceau & le caradére qui les rend le peuple de Dieu , & qui leur afïitrc l'effet de les protnnea s? & les prérogatives attachées à fa Religion ; les Egyptiens ne l'ont jamais conliderée que comme une pratique affcz indifférente, & qui L1'étoit pas d'obligation pour rout le peuple , mais feulement pour certains

Prêtres. 4. Les Juifs ne donnent la Circoncifion qu'aux mâles , ils la don-
nent totljours le huitiénne jour ; les Egyptiens la donnent aux hommes

min ! 1 b) hlstrshanz Canon. Æ ppt., fsrr:i.

Fffiij

t

146 - Annexe II

4i8 DISSERTATION

aux femmes , ( a) & cela au commencement de la guatorzicrne année, felon faint Ambroife. (b) Les Voyageurs ne conviennent pas que toutes les femmes Egyvtiennes recoivent cette efpéce de Circoncifion. Elle Ii'elt d'obligation que dans quelques pays d'Arabie & de Perfe, comme vers 1c Golphe Perf que , & la Mer rouge , où l'on circoncit les deux fexes avec une pareille régularit6 ; niais avec cette différence que l'on peut circoncire les hommes t cinq , fïx , ou neuf , ou treize ans. Mais pour lcs
·
femmes on ne les circoncit que quand elles ont paifé la jeun cire , parce qu'auparavant il n'y a point d'excrefcencc pour l'excision. ( c )

30. Enfin les Juifs recoivent la Circoncifion pour avoir part â l'alliance de Dieu avec Abraham & avec fa poileritc : les Egvpticns n'ont dans

cela point d'autre motif que la propreté , & petit-etre , d'éviter quelque

incon,modit6 corporelle particuliere â leur pays ; & cela principalement a l'égard des femmes. (d) C'eil donc avec raifort qu'Origcnes C,titenoit

comme nous l'avons remarque , que la Circoncifion des EgyptienS étoit

tout- â-fait différente de- celle des Hébreux , & que ces pratiques n'avoient rien de commun entre-elles. Mais on n'en peut pas conclure abfolument

qu'elles ne viennent point de la mémé fource ; car fuit qu'elles tirent leur origine des Juif5 ou des Arabes , cela fe rapporte toûiours à Abraham pere d'Ifaac & d'Ifm i8e détruit l'opinion de l'antiquité de la Circoncifionparmi les Egyptiens

Du tenus des Pro phétcs Ezéchiel & Jérémie les L tiens fbnt mis au

rang des incirconcis avec les Babyloniens & les Tyrie~r1:zéchiel ( e) parlant au I1.oy d'Aiiyrie , lui dit de la part de Dieu - Vous dcicendr'cz au

fond de la terre & dans l'enfer , & vous y repnfcrc _ avec les incirconcis gui ont été mis 4 mort par l'épée ; vous aureK pour compagnon Pharaon rr for:tes fes troupes. Le rnémc Prophérc (f) parlant à Pharaon lui-1114.'411e , & fon peuple , les menace de les faire dcicendre dans l'enfer avec les autres }sert" pics incirconcis, comme Affilr, Elam-, Moloch & Tubai. Enfin Jérémie (g) cii[tingue clairement les Égyptiens d'avec, les Juifs, par la Circonci1ior1

Strabon. lib %V 1 7.

(6) f4rbro ff lib. 1i . de .ilbrlal7?_'iyr. c. I I. JRSypril quarto deeisso anno eireumcidunt mares : , fesninas cairn; anno cireurncidi f ce-rient , grsât! ab co videlicre anno i»cipi ;t

grare p,Iffo virilrs , l'en in:trum men rua
fuMAnt
initi4.

f c ; Chardin , voy;t~r dc Perk t. 3. p. 37.

( d I Huet. No: n Orrgen p. Circrum-
rif'o frrnin. rsim >st r.feciirne i s t,c ç 'ç

dn-clitoridis quez pirs in Anffralitem
prafert;in rmrslicril
·.ec it t cxcrc.fcit , sat ferro
· ft cnrrcenda. is-.. tradunt m:dici infgnes Paulus Ægineta: , lib. v i . c, 7
o. rlëthites Tc-sraLl. 4. fi'. 4.. c. ic;. quorum hts ita per-

tzpropt.r. 1£gyptiis vifur eft , ut an
·

-

tequ:asn cxrsbrret [p:crs :11a corporis 1 urrrple-srt:rr , tuen pr,scipue num Virginrs
· nubiles
fitirt elocanda . . , ksorl isititr neccet, te

ffr>:odtrns

primitm inveêlum tif ,. 1Rcligioni Peib yiI.li rc]urI,4r,,m fuit ; gfrad C9' aligtt liarcc con-

CirG:fArrr/ionc cp'714ti rant. Porro ' rm hb_
frtttttdinern eirersnuidendsrrsrn nn.tarr

ii ;T rr A.

cdicrt;tc r":0

rttncre ?yp:ias j rant rca I

mll C4t.K

nes illps !rt ra~+:; rur; t , i if:::-_,.r

r1,rtrtr rst_

ccn't'in- partis hstjus leixri?:km adkibeTiorrt-J Lit Bcllon liber' 111 . obrc''u- C. 2.E' hs:rrc f ruarc fenrirtus in l'c rf a . C.4'

CoC

PF I'r

-s

rti.-rr in Æthiopia, Cbvefi licct non.n ~r frbtnobfnaranmn;etDidtcn ;alar ff f'rti:i.Si2cyjr'r n<rucs r?c,cprbleiiLit ib=n,i V~rTtI.2 aIn.^nnars rirtntf" 1.4;3+ig7Pd

i

rium r un venditan tes.

(e) E7ech. xax. iL viras. Curst rn041

4

_

(f)Etxxxii. I9. 2I, 1=.. ea/fel.

· (g ) Jercm. i' . xs.

- 147

) Eufrb. pr.gi. !i b. 1T

Dissertations [...] de Dom Calmet, Tome I

SUR L'ORIGINE DE LA CIRCONCISION, 419

lue ceux-ci recevaient , & que les autres n'avoienr pas. Voici le pafrage de ce Prophéte â la lettre félon l'Hébreu : Vilitabo fier omnern ctrcuin-cifum cuti praputio : fuper t/Egypturra , & fuper Juda : dura mimes gentes babent pra putium , omnis autern domus Ifraël incircurncifi flint corde. Je punirai l'incirconcis, comme celui qui a la Circoncifion, le juif avec L'Egyprien : parce que tous les peuples font incirconcis dans la chair ; mais la . Maifon d'Ifrael n'a pas la Circoncifion du coeur. Je ne voudrais pas néanmoins foûtenir qu'alors il n'y eût perfonne de circoncis parmi les- Egyptiens ; on convient ,que cette pratique cil ancienne parmi les Prêtres de cette Nation : mais il

cft vifible par les pairages que nous venons d'alléguer, que le peuple paifoit ..encore pour incirconcis.

Pour achever de détruire la prétention de ceux qui veulent que les Egyp-tiens. fuient les inventeurs de la Circoncifion & qu'ils layent pratiques dés le commencement on peut faire encore deux reliéxiôns : L.0 premiere, qu'il Weil pas concevable que naturellement, & fans quelque raifon extraordinaire un peuple entier s'avifè de fe circoncire. C'efl une cérémonie

trop douloureufe., & trop humiliante , & d'ailleurs trop finguliere pour tortlbcr dans l'efprit d'un homme, & à plus forte raifon de tonte une Na-

tion. On conçoit aiférnent que le premier q+.ii s'eft circoncis, a diî y etre Porté pâr d'autres motifs que ceux dont nous parlent les Egyptiens , d'une prétendue propreté , ou d'une fuperilition encore plus ridicule, qui eft'd'imi-ter k Cynocephale , certain animal divinité, qui vient, dit-on , au monde tout circoncis : ce font des rêveries qui ne mentent pas qu'on s'arrête les réfuter. Or les Egyptiens n'apportent point de meilleures rairons que celles-

la qui les ayent pu porter I cette pratique; on doit donc conclure qu'ils n'en font point les auteurs.

La faconde retléxion, c'efl que fi cette coutume eût toûjoiirs été parmi eux , & qu'elle y eût été en quelque confidrarion , & regardée comme ieme cllpfe riécelfaire , ou tille pratique rcligicufe , on la verroir parmi les puplés qui font fortis de l'Egypre; & dans les endroits qui ont pris leur

Religion , & leur culte des Egypriens : nuis c'efi ce qui ne parait nulle pair. Les Cananéens , les Phéniciens, les Philii}lits, & divers peuples d'A--trini1e , font Egyptiens d'origine ; & aucun de tons ces peuples n'a la Cir-

concifion , fi ce n'et'1 les Phéniciens, qui la reçût-eut de Saturne , corn-lue nous le dirons ci-aprés. J'en dis de même des fuperilitions Egvprien-

qui k font répand ucs dans la Syrie , dans la
· Phénicie , dans l'Afrique , dans l'lfle de Cypre, dans la Gréce ; on n'y remarque point de Circon-cifion. Nous examinerons ci-aprés ce qui regarde les Colchiens , qu'on 'a

prétendu être les mêmes que Cafluim , defccndus des Mizraïins, ou des :Égyptiens.

le Il faut donc avouer que les Egyptiens n'ont pas eu la Circoncifion clés commencement, qu'ils ne l'ont pas inventée, qu'ils ne l'ont regcie qu'afl&z

tarda & qu'Abraham ils put l'imiter , ni la prendre d'eux. Voyons mainte rant les preuves que les Phéniciens apportent pour fe procurer l'honneur d'a-v°ir pratique les premiers cette cérémonie.

Sanchoniaton rapporté dans Eufebe, ( a) dit que Saturne , qui eft nommé

( P 7 xxv 1 I7.,,1 0.

t b) Hrrodot: lit?. 11 ,

` (r) .7ofapl+ !ib. I. contra ittpion.

ld}Ge~rr' x, 14.

dcS

148 - Annexe II

_ to DISSERTATION.

lfraël par les Phéniciens , n'ayant qu'un fils- nommé Jeud, né de la Nymphe rinobret , l'immola fur un autel s qu'il avoir dreflé à fon ere le Ciel & qu'ayant pris la Circoncifion, il contraignit tous les folda rs d'en faire de même. De là dl. venu parmi les Phéniciens la coûtumc qu'avaient les Princes d'immoler leurs fils dans les lusreflântcs néceflitez de l'État, & de la vient aufli apparemment l'ufage dcjla Circoncifion parmi ce peuple'. Mais comme nous mettons Sanchoniaton au nombre des Auteurs fabuleux, nous ne croyons pas devoir perdre le teins à le réfuter , ni à faire des rcfle' ]lions fuir fon récit.

Si donc la Circoncifion a été en ufage dans la. Phénicie, elle n'en Ve-nuzi que d Abraham & des lfraclites : mais il nelroît pas que cette Fra" nt

tique ait jamais été fort commune dans ce pays. Les Phéniciens ens ne fc

°

jamais fait un devoir de la pratiquer; ils ne !'avoient pas du tem de .10' fûé ,. ni , je penfè , fous les. Rois de Juda,& d'lfraël. Ezcchiel (a } méc del le Roy de Tyr de le. frapper de la mort des incirconcis
·
c'eft-à-dire ,

fzire mourir comme. les autres peuples incirconcis, fans aucune cfP~ra.nee d'une meilleure vie, vous irez droit en enfer avec les autres Rois ineir-concis. Voyez Ezéchi.cl xxxr r. 19, 2.1. az. & fuivans. Hérodote( b} av°u'c que les,Pheniciens quittérent la Circoncifion par le commerce gui'ils etââ11s

aucuneavec s& s Colonies qu'ils ét nous ne ablirons ent fur touteas qu'ils s les cent ôtes de la rte cetteMcdi erranée. Enfin Jofeph ( c)-affure que de fon teins il n'y avoir que les Juifs qui priflént


·

la Circoncifion, entre tous les peuples qui habitoicnt la Syrie; ainfi files .Phc niciens. ont eu cette coûtume ils ne l'ont coi]f ervée c1L1e l'eii d~ tei11S, 8& is l'ont, conftaminent rcççilc d'ailleurs.

Nous nous (oinrncs étendus ailleurs d fur l'origine des CvJc11iu11s ,
·& nous avons tâché -de montrer que ce que dit Hérodote touchant l'clriginr Egyptienno de ces peuples , était fort incertain : cc qu'il avance fur 1e1, Circoncifion , fait q+i;il vciiille qu'ils rayent eu dés le comnlencen1enr

fait qu'il prétende qu'ils Payent rifc dans l'Égypte , n'eft ion ~c

pas p111:LiX ab.

puyéc ; ainfi. il nous faut chercher une autre fource de la- Circoncll ,
. ces peuples , & de-celles des Syriens- de deflùs les fleuves Thermoa°o'' .a_ l'arthénius. S'il ei} permis de propofer quelques con c° chues dans Oc ge ma" titre fi obi-cure , & fi emI3ar,raflëc on pourra dire que les Colchiei1s'. les Syriens circoncis dont arle Hérodote a-voient recu"i la Circolicif'°11 Y

des Ifraëlitcs exilez dans ces pays.- là : ~i l'on n'aime mieux dire qui 115 . itnielit faux-mêmes des lfraëfitcs tranf-orrcz dans ces Provinces par Te-glatl,halafl'ax , ou par Salmanalfar: Conti le ils avoient corifervé la tir E .

cifion , &. qu'us étaient venus dit voilinatie de 1 E te' a i1t11 encore fl
que air & quelques manieres des Egygtiens -com me le teint i afalle, les cheveux crépus, un long ig - étranger â la. Colchide & ]e
·

culte d'un bau

ou,d'un vea i d'or
· fellzbiable à celui d'Apis , il fut ailé, de les prendre, p°1'i

IAhhei, .& rkrr itriav c'd ar,9p aire .Pruiyl5e t UuFcir vixaapr e euv
·c
'' c4..r
Y;rac ryura. -

i ( ef+ ) Gi'n.eJ. xxv 11 1. r 8

( e) Exoal. X'. a j. cl, LJegs. (f) Genej: xxt. 334

 
 

5,.

XXVII.

 

Dissertations [...] de Dom Calmet, Tome I - 149

6613 DISSERTA
·TI ON

avifé de lui batir des Temples. (a) Les cérémonies ,
·&des dehors de lapié
·'

rc n'en avaientoint encore étouffé l'intérieur , l'ei3. tltiei & l'on n'avoir-
pas vitt dans la Religion-,. l'acceiroire prendre la place du principal. il n'y eûr, que de liniplcs Autels avant le déluge, & merle encore long tctxls..dcpuis, Abel', Nuë. , Abraham , If aac, & Jacob , ces vrais & ly nccres . dut ateurs , no bai Trent aucuns Temples. Un Autel fimple dans un lieu pur , & écarté, tans

figures , &= fans ilatuds , fans ornemens, & fans riclircïlts, dans un bois,cu fair Line hauteur, étoit le lieu , ail penétrcz-d'une t'aime trayeur, ils s'alicin-blutent , pour reconnultmC le fbuverain Seigneur, par un culte tft1cére l~
·li,~sttz~:.

11 'lita pas rné'mc certain qu'on ait immolé des vidkirnes avant le déluge. Cc ne tut part-i'trc que depuis la permiilion accordée :1 Noc, d'uiér pour fat: ntixirritt rc de !a chair des atiinaaux , que ee l'arriarclic crut pouvoir etc attrir le fang , & les chairs .cn facrificc. Auparavant on fe contentoit de prc(erirer l'auteur de tous les biens , les prth iccs des fruits qu'on reti,eilloit, ou le fait, lws graiflcs , &: les laides des animaux qu'on nourriilcit. Voilà l'idée que nous donne l'Ecriture de ces premiers teins. Voilà l'idée qu'en ont eu les Anciens. (b ) qui nous parlent de la
· Religion primitive, connue de la
·chofc la plus }etre, fa plus 11;11111e, la plus innocente. Les Miels iféLL.iLft point baignez;: du Fang des taureaux, dit un ancien j otite, { r.) On regardait comme un là-h p crilége de l'aire maurrif titi anima! , & d'en devorer la- chair. On n'offrait ni encens ni
·vicctitncs fanglantes ; mais des herbes que produit la terre, qu'on mettait dans le fut' , aprés les avoir élevées en haut vers l'Auteur de la uatu re. Une Religion. fi modette , n'avoir pas bcfoin tic Temples iwnprtieux , & de grands édifices , ni d'une multitude de cércinonics, G& de Miu,ilres. Les Autels eux- mêmes eroieit Cans Faite & fans Façon. Celui chie Jacob exigea i
·
·! apres la vitic,n qu'il eut â Déthel , comme kl alloit en M: (dpotaniie , n'cteia que d'une pierre brute , qu'il avoir mis fous fa tete pour dormir. ll l'érigea comme un monument ,die l'I;CrittjrC , [ d) & il verfit de l'huile par deilus. Au retour de la Méfopotatnie, il alla ati même endroit , pour s'acquitter du voe; qu'il avait fait d'offrir â Dieu la dixcne de tous fes biens. Moi[e lui-tliéu1e ora= donne qu'on ne
· fatlè que de pierres brutes, les Autels qu'on pourra Cr1Zet an Seigneur. { e )

Abrahampour concilier plus de ref & âfï'c. l'Autel , qu'il avoir dre a Béer-fabte , planta un bois auteu. (f) C'était comme une ef péce de Ttiniile, oit il alloit rt:1i icj realt avec fa fainilie offrir it Dieu its pr]: es , & les facri-

es. On netl

fgait ce fur n l'imitation des peuples du pals de Clianaan , at

il ci- fi :ttit alors , qu'il planta cc bois t ou s'il titivit en cela le penchant c e foin

iproet
·
ir , ou l'infj}iration du Seigneur. Mais nous ne voyons rien de plus ancien. après les Aritcls, que les bais facrez. Mellé hic parie jamais bien clairernen>

(~ l .Ertfi~t.. Prep. ta'. z. pe. 9. V: Tperer
7ti+. 7V rr.~m'.oc
·I: r T~r persp krcaw , {{.. f! Ya,a4
·luzorksv ciç

~ 7
·Fl reY , 7rüt tÔOE'e r hp1 p3i,14: -1.

J vide 1 ha
·ophraft, aplsd PaYphyr. de 44(i-Aenti4, lik. t. t j,
4.

5 TR·tliuy ch: ~OTe1C !J P qq

ÉuF70 j3a1dutl4
·j

Y r -

a

150- Annexe II

SUR LES TEMPLES DES ANCIENS. 669

de Temples; mais louvent il parle des bois confacrez aux Idoles. Il ordonne aux llraéiitcs de détruire les Autels, d'abattre les- bois , de démolir les mo-tturnens facret, ou les flatuës des Cananéens; mais il ne commande pas de démolir leurs Temples : ce qu'il n'aurait fans douce pas manque de faire , s'ils eu.[i; tir alors c:té communs dans ce pais. Et on ne remarque pas qu'il en ait dcinali lui its rnc aucun , dans les coiequeccs qu'il fit au de-là du Iouri in , quo: q,l'un n'ignore pas que tout cc pais étoit plane dans 1'ido13,rrie, que P1aégttr , ope Moloch , & que Charnus y croient adorez.

Ces Carpes Diviciiiez n'avaient peut-être point d'autres Temples que les bois,

otl l'on les adotoit , des nicltcs, & des Temples portatifs , at] l'on pur_
toit leurs ftarué_:,aiuiï gi'Amos (a) le marque d'une naiuirrrc a[l'czclaire.Q el. ques-uns dou:eut iiit113e li alors ces peuples avaient de:: ilaiuCs. Les Anciens
· qui nous parlent des prcinicres Diviuitez des Arabes , parmi lelslucls les Mua-bites , & les Anuiiouires Cioieut compris , les dépeignent comme de fimples

pierres , ail tai lécs ; niais non pas avec une forme humaine. Les plis
anciennes llivirii:.:z Pi,:iiicierutcs frirent adorées fous la forme de bizous ou de haltes, & d,.. colon-mes dreilees en leur honneur , dit Sanchoriiaton. ( b) C'eit pour cela feioil Trogns, que l'on met des haltes, oit des fceprres dans les rtt.ti_ns lies Dieux, parce qu'au comniencem nr , on adora ces bâtons,. au iicti dc, figures. des Dieux : ( c) Nam ab origine rermm, pro nuis imnxnrta-liGus ruera loves hz&raêrc. Ioleph (d) parle de quelques colt titres pr&cieil-les , c:,nfàcrees dans l'ancien Temple de Tyr Les Septante ont accatltumé: de rendre par colomnes ,.1c mot Hébreu , rnarzaba , qu'on traduit ordinairc-

m:-nc par !ratais, fèmhle que le nom de coloinnes , revient mieux 4.
la lignification du terme original.

On lçait l'atitiquire du culte qu'on a rendu aux bois Curez , 2ulfli Liera , aufq+ielles ces lieux étt~ient confacrez. C,édéun abattit. le bois qu'aux Idoles confacré à Baale) Les Rois d'If-rad& de Juda conlacrérent louvent de femb'ablcs bois aux F nx Dieux. (f) Et d'autres Rois plus pieux les abattirent, & renver fêtent les .Autcls qu'Us y avoient bâtis , & Ies Idoles qu'ils y avoieut placées. C'eft Jans ces bois que fê comn-ierroient ordinairement les abominations, que les Pruphcxes reprutlzent fi 'buvent aux Juifs. S. Clément .Al~xantlrie noir; parle des buis ,
· qui accompagnaient toûjours les Temples. des Epptien5. Le Temple de Jupiter Ammon étoit au milieu d'uni bois; &

celui que ions décrit dans Carthage,

Lucas in Orbe fisse medi2 ... .

Les Géngi aplies nous décrivent quelques bois facrez de l'Arabie ,8.4. en par-tictilicr celui des Palmiers, qu'on croit etre celui

d'Elim , Ies IfraiIites cant-

pérent ..prés le pafliage de la mer rouge. Cc bois étoit confacré une rrivi, Acte & il y avoir un Prêtre & une Pretreffe, qui le gardaient. ( g ) Le bois.

,4,n03 Ir, 2.6- Porto/lis tabernsrtrelxWn Î d )1ofr
·ph lib. i, ceotF,
pprun,

7

t r
ab 1.41r0 , c' imagirse
·n lslo!orum veft'ro- j e ) ]rfdit.
vi, 2,7,
? m,.gdtdi n'i vefiri, q:es fe ifiis vobis. I fi 3. Reg, xsr. 15. <5, 23.,V. iy. t xiii
l d 1. 3 inebonàacr, %se Porph r, apud Eafeb. 3 3. 0' 4. Reg. Xi i ie. 6. & xvi i;, i p

/filea) yrs ;
· . sb
C3) Src'.il 14,6 iG,

Dissertations [...] de Dom Calmet, Tome II -151

Annexe III : Dissertations [...] de Dom Calmet, Tome II

PRÉFACE

5 U R

LE LEVITIQUE ,

C

L Livre efl:appellé Lévitique, parce qu'il contient des Loix qui re ardent .fes . facrifices & les devoirs dçs Prêtres & des 1Lévites : d'oit vient que ide 11.abl` ~~ lui donnent au fil le nain de, Loi des Pr;ires. porta en Hébreu le nom J
(a) parce qu'il commence parce terme dans le Texte original.

Aprés que Mie cut dre sé le Tabernacle , & que la gloire du Seigneur euttelle-incnt remplice flint liedque Mode lui-même n'ofoit entrer , comme il cane,' gué dans k dernier chapitre e l'Exode; ;Dieu appella Moire, & lui donna les Lo~x qui l'ont contenues dans les rept premiers chapitres du Lévitique.. refcrit d'ab°rd

ce qui regarde lanaturc & lcs qualitez des holocaufles, & les cérémohiics qui devoiet

)e

qui préfentait l'animal pour être facrifsé, que P`

être obfcrvécs, tant par celuie

Prêtre qui l'immolait. (I) Il palle enfuite aux offrandes des pains , de farine , d gâteaux, d'épis vers; (c)puis aux facrifices pacifiques, ou d'actions de graccs. il régie les cérémonies de ces ffacrifïces,-& il détermine quelles parties on doit briller fur l'Autel. (d) Au chapitre quatriéme , il parle de la znaniére d'offrir les hofliesPi ii k péché du grand-Prêtre, pour les fautes d'ignorance de tout k peuple,

dans les

pour les pêchez d'ignorance des particuliers. Il continuë la rnême matif

deux Chapitres fuivans; il y parle de divcrfes fortes de péchez, qu'on exploit par lc5 facrifices. il marque les parties des vi& imcs qui devaienten être co e}fiunées fur l'Autel,

Celles qui devaient appartenir aux q ~

Aprés l'ére&ion du Tabernacle, Molle confacra Aaron & les fils, ainfi que rie çir

l'avoir ordonné dans le chapitre xx ix. de l'Exode. Il offrit les facrifices , fit les on . rions , & les afperf ions du Sang commandées dans cette cérémonie. Il préfentac bute Aaron & lcs fils devant l'Autel & leur mit en main lesarties des viEires qui avoicnt été offertes au Seigneur pour leur consécration. ri leur ordonna de demeurer hitt jours dans le Tabernacle, fans en fortir. (f) AufTi-tôt que la cérémonie de la cons4.

cration des Prêtres fart achevée , Aaron offrit â Dieu des facrificcs pour fa:l lch, pour celui de les edam. Il immola aulfi dcs holocattftes & des hofiics pacsiyéquesé ;8z

un feu miraculeux forti du Tabernacle , les couru:na a la vû6 de tout le pettple. (g 7 j

 

(y) Cap. 3v. V. Trr. Vil, ( f ) Gap. Viti. (s) cap.ix,

(aJ L1i.'7 (bJ Cap.

(6 l Gap. lx. (a) Cap. iii.

152 - Annexe III

4.s

SUR LE LEVITIQUE, 41

Nadab&Ablu fils d'Aaron, ayant mis dans leur encenfoir un
·feti étranger, & différent de celui qui brilloit fur l'Autel, & ayant voulu entrer:dans.le Saint, pour y offrir l'encens, furent étouffez par une flamme.qui en {drtit, &- les enveloppa. Alors Moïfe défendit 'a Aaron de faire le deiiil de fes deux .fils,. & cirdonim que les Prctres ne boiroierzt point de vin clans le Tabernacle. (a) On. voit aprés cela les différences cies animaux purs & impurs ; (b) les cérémonies pour la purification des femmes nouvellement accouchées,; (c) la manlére de diflinguer.la lépre tics hommes, des mai-fons, & des habits ; (d) tes facrifices qu'on ofl:roit`Iorf u on .étoit guéri de cette incommodité.; (r,) de quelle forte les hormm~es:incornmoclea de la gonorrhée., &, les
· femmes qui ont leurs incomtnoditez
·, fe purifient: (f) Ivl.oife .preicrit enfuiteles _- rémonies qui s'obfcrvoicnt dans la fête de l'expiation folemnelle ; continent le grand-. Prêtre entrnit dans le Sani&uaire, & comment on einvoïoit le bouc émiffaire. (g) Dieu défend aux l fradites de facrifier ailleurs qu'a la porte dii Tabernacle; il leur in-. tordit l'ufage du fang, & de la chair des-animaux morts d'eux-meures. (h) Il leur prefcrit les dégrez dans lcfquels les mariages font permis au détendus. Il ne vent point

qu'ils contra&ent alliance avec les étrangers &les Cananéens. ( i) -
· .

Aprés toutes ces ordonnances qui ont un rapport plus dire& â la fainteté du Tabernacle , dont il n'étoit pas permis de s'approcher étant foiiillé;Dieuréïtére une
· partie des préceptes qu'il avoit donnez auparavant ; par exemple, ceux de l'obferva-tion du Sabbat, du refpe& dit aux pareras_; contre l'idolâtrie , le vol , le parjuré, la calomnie, la haine du prochain,. &c. Il. ordonne de ne pas ramafferles épis qui tom, bentpendantla moiffon, & de ne_pas fcier toute la longueur du champ; mais .d'est laifler quelque peu pour les pauvres. Il ne permet pas.I'ufage des fruits
·d'un arbre nouvellement planté, pendant les cinq prem iéres années titi' on le cultive. Il condamne les proftitutions, & les diverfes fortes de divinations. Il ne veut pas qu'ou imite les.. maniéresfuperf itieufesdefe faire les cheveux & la barbe, uftécs par les Gentils. Il: commande le rcfpe& envers les vieillards, & l'humanité envers les étrangers. (f;') Il fait de trés-sévéres menaces contre ceux ui
· ofl'riroient de leurs en fans aM.oloc. Ill punit de mort ceux qui prononcent des rrialediEtions contre leurs pores., ou qui corn-
· mettent l'adultéee; ou qui s'engagent dans des mariages inceltueux,
·ou qui cainrnct-tent des imputerez abominables; (t) enfin ceux. qui s'adonnent aux diverfes fartes. d'augures & de magie. Ii ne permet pas aux lïmples Tfradlites, ni même aux Prêtres guinderont pas purifiez, de manger des chofes confacrées â Dieu. Il marque plu-lieurs défauts qui rendent les vidimes indigtes d'être préfentées au Seigneur. (rra)

(g) Cap. xvc.

(h) cr+f.'v;t. N) Caf. xvtit. (k) top.xrx. (J) Cap.xx. (1,77) Crap, xxale.

(a) .Cap, x,

(b) Cr.p.xs. (r) Cap.xtz.

(d) Crrp.xszs.

( c ) Cnp.xiv. (f) Cap. xv.

Tam. r Part. r.

Dans Je chapitre xxi i 1. Molle rnarqueles'principales fêtes de l'année, &
·la rua-niére de les célébres. Ces Fêtes font, nique, laPentecdte, la Fête des Trompettes, celle de l'Expiation, & celle des-Tabernacles. Cc fut appa4cmm ent au campement de Sinaï, & avantl'ércélion dit Tabernacle, que Dieu lui prcfcrivit la maniére de préparer les lampes du chandelier d'or, & de mettre les pains fur la table d'or qui ell dans le Saint. Dans k même terns on amena a Mode un homme qui avoitblafphêrné le nom

BUFFON Georges-Louis Leclerc et DAUBENTON Louis-Jean-Marie, Histoire naturelle générale et particulière ; avec la description du Cabinet du Roy, 15 volumes, Paris, de l'imprimerie royale,

- 153

Bibliographie

Corpus

Primaire (classé par ordre chronologique)

Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII. Ouvrage de référence pour ce mémoire, cote Enfer 1286 de la Bibliothèque Nationale de France.

MIRABEAU, Erotika Biblion, nouvelle édition revue et corrigée sur un exemplaire de l'an IX et augmentée d'une préface et de notes pour l'intelligence du texte, Paris, chez les frères Girodet, 1833.

MIRABEAU, L'oeuvre du Comte de Mirabeau, introduction, essai bibliographique et notes par Guillaume Apollinaire, Paris, Bibliothèque des curieux, 1921.

MIRABEAU, Erotika Biblion, dans OEuvres érotiques de Mirabeau, collection L'Enfer de la Bibliothèque Nationale, Fayard, 1984.

MIRABEAU, Erotika Biblion, édition critique avec introduction, notes et variantes par Jean-Pierre Dubost, Paris, Honoré Champion, 2009.

Secondaire

Dictionnaires et encyclopédies

Encyclopédie des Gens du monde, Répertoire universel des sciences, des lettres et des arts, par une société de Savants, de Littérateurs et d'artistes, français et étrangers, 22 volumes, Paris, Librairie de Treuttel et Würtz, 1842.

Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, 17 volumes, Paris, Chez Briasson, David, Le Breton et Durand, 1751-1765.

BAYLE Pierre, Dictionnaire historique et critique, 5 volumes, Amsterdam, Par la Compagnie des Libraires, 1734.

154 - Bibliographie

1749-1789.

PEIGNOT G, Dictionnaire critique, littéraire et bibliographique des principaux Livres condamnés au feu, supprimés ou censurés, Bibliothécaire de la Haute-Saône, Membre de l'Académie Celtique de Paris, et de plusieurs Sociétés littéraires, Paris, chez A. A. Renouard, 1806.

VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique portatif, Londres, 1764.

Littérature exégétique

Cité de Dieu de Saint Augustin traduite en françois, et revue sur l'édition des Pères Bénédictins, et sur plusieurs Anciens Manuscrits ; Avec des Remarques et des Notes qui contiennent quantité de corrections importantes du Texte Latin, 2 tomes, À Paris, rue S. Jacques, Chez Pierre Debats et Imbert Debats, M. DCCI.

Lettres de Saint Jean Chrysostome, traduites sur le grec, avec approbation et privilège du Roi, 2 volumes, Paris, chez Pierre Gandouin, 1732.

BOURIGNON Antoinette, Le Nouveau Ciel et la nouvelle terre, contenant des merveilles inouïes, jamais vues ni déclarées de personne... composé pour la consolation des bonnes âmes, Amsterdam, chez P. Arentz, 1679.

DOM CALMET Augustin, Dictionnaire historique, critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible, enrichi de plus de trois cents Figures en taille-douce, qui représentent les Antiquitez Judaïques, Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée, 4 volumes, À Paris, Chez Emery, Saugrain et Pierre Martin, M. DCCXXX.

DOM CALMET Augustin, Dissertations qui peuvent servir de Prolégomènes de l'Écriture Sainte, revue, corrigées, considérablement augmentées, et mises dans un ordre méthodique, par le R.P. Dom Augustin Calmet, 3 volumes, Paris, chez Emery, Saugrain et Pierre Martin, 1720.

R.P. SANCHEZ Thoma, Disputationum de sancto matrimonii sacramento, qui uniuersam huius argumenti tractationem complectuntur, ut quarta docebit pagina, 3 volumes, Antuerplae, apud Martinum Nutium, M.DC.VII.

Ouvrages sacrés Bible des Septante.

Bible Vulgate.

Biblia : das ist : die gantze Heilige Schrifft : Deudsch Auffs New zugericht, D. Mart. Luth, Gedrueckt

GUILLAUMET T., Chirurgien du Roy, Doyen et Maistre Juré en la Cité de Nismes, Traicté de la

- 155

zu Wittemberg Durch Hans Lufft. M. D. XLI.

Histoire du peuple de Dieu depuis son origine jusqu'à la venue du Messie, par Isaac-Joseph Berruyer, Paris, 7. Vol, 1728.

La Bible de Jérusalem, traduite en français sous la direction de l'Ecole biblique de Jérusalem, nouvelle édition revue et corrigée, Les Editions du Cerf, 1998.

La Sainte Bible traduite en françois, le latin de la vulgate à côté, avec de courtes notes tirées des saints pères & des meilleurs interprètes [...], trad. Isaac Lemaistre de Sacy, établie en liaison avec les Messieurs de Port-Royal, revues après sa mort en 1684 par Pierre Thomas Du Fossé et Henri-Charles Beaubrun notamment, à Liège, chez Jean-François Broncart, 1701.

Morale de Zoroastre, extraite du Zend-Avesta, traduction d'Anquetil du Perron, Paris, chez Victor Legou, 1850.

Manuels et traités

Eloges des Académiciens des deux Académies Française et des Sciences, par MM. D'Alembert et de Condorcet, Paris, Panckouke, 2 volumes, 1773 et 1779.

Itinéraire instructif de Rome à Naples et à ses environs, tiré de celui de feu M. Vasi ; et de la Sicile, tiré de celui de M. De Karaczay, Rome, de l'imprimerie Poggioli, 1826.

Réflexions militaires et politiques de Monsieur le marquis de Santa Cruz de Marzendo, traduites de l'espagnol, La Haye, Chez Jean Vau Duren, 1734.

Anonyme [DIDEROT], Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient, Londres, 1749.

Anonyme [MIRABEAU], Des Lettres de cachet et des prisons d'État : ouvrage posthume composé en 1778, Hambourg, 1782.

Anonyme [MIRABEAU], Essai sur le despotisme, Londres, 1775.

BAILLY Jean-Sylvain, Lettres sur l'Atlantide de Platon et sur l'ancienne Histoire de l'Asie, pour servir de suite aux Lettres sur l'origine des Sciences, adressées à M. de Voltaire, Londres, chez M. Elmesly, et Paris, chez les Frères Debure, 1779.

FANGE Augustin, La Vie du très-révérend père D. Augustin Calmet, Abbé de Senones, Senones, chez Joseph Pariset, 1742.

156 - Bibliographie

Maladie noovvellement appelée Cristaline, diligemment disputée suivant la Doctrine nouuelle et ancienne, comme se verra par les authoritez mises pour plus grande preuue, À Lyon, Chez Pierre Rigaud, ruë Merçiere, au coing de ruë Ferrandiere, M. DCVI.

HOBBES Thomas, Leviathan or The Matter Forme, London, 1651.

LE MASRIER Jean-Baptiste, Mémoires historiques sur la Louisiane, Paris, Chez CL. J. B. Bauche, 1753.

MACHIAVEL Nicolas, Le Prince, traduit par Gaspar d'Auvergne, Poitiers, Enguilbert de Marnef, 1553.

MENCKE Johann Burchard et Van Duren, De la Charlatanerie des savans ; par Monsieur Menken avec des remarques critiques de différents auteurs, Chez Jean Van Duren, 1721.

MIRABEAU, Dénonciation de l'agiotage au Roi et à l'Assemblée des Notables, 1787. MONTESQUIEU, De l'Esprit des loix, T. I et II, Londres, 1757.

ROUSSEAU Jean-Jacques, Du Contract social ; ou, Principes du droit politique, Amsterdam, chez Marc Michel Rey, 1762.

SPINOZA, Tractatus Theologico-Politicus, Hamburgi, apud Henricum Künrath, CI? I? CLXX, 1670.

THOMAS Antoine-Léonard, Essai sur le caractere, les moeurs et l'esprit des femmes dans les différens siècles, à Paris, Chez Moutard, M. DCC. LXXII.

TILLEMONT, Louis Lenain (de), Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles, avec approbations et privilège du roi, 12 volumes, Paris, chez Charles Robustel, 1706.

VAN SCHURMAN, Anna Maria, Question célèbre s'il est nécessaire, ou non, que les filles soient sçavantes. Agitée de part et d'autre, par Mademoiselle Anne Marie de Schurman. Holandoise, et le Sr. Andrè Rivet Potevin, Paris, 1646.

VOLTAIRE, Essai sur les moeurs et l'esprit des nations et sur les principaux faits de l'histoire depuis Charlemagne jusqu'à Louis XIII, Genève, Cramer, 1756.

VOLTAIRE, Lettres philosophiques, Amsterdam, chez E. Lucas, 1734, 387 pages.

VOLTAIRE, Traité de la tolérance, à l'occasion de la mort de Jean Calas, 1763.

WANSLEB Johann Michael, Histoire de l'Église d'Alexandrie fondée par S. Marc, que nous appelons

MIRABEAU, Lettres originales, écrites du donjon de Vincennes, pendant les années 1777, 78, 79 et

- 157

celle des Jacobites d'Égypte, écrite au Caire même en 1672 et en 1673, par le P.J.M. Vansleb, à Paris, chez la Vve Clousier, 1677.

Anthologies

Mémoires, correspondance et ouvrages inédits de Diderot, publiés d'après les manuscrits confiés, en mourant, par l'auteur à Grimm, Paris, Paulin, Libraire-éditeur, Alexander Mesnier, Libraire, M. DCC. XXX.

OEuvres complètes de Condorcet, 20 volumes, Paris, Chez Henrichs, 1804. DIDEROT, OEuvres complètes de Diderot, Paris, Chez J. L. J. Brière, 1821.

ROUSSEAU Jean-Jacques, Collection complète des oeuvres de J. J. Rousseau, citoyen de Genève, T. X, Genève, 1782.

Romans et contes

Hipparchia, histoire galante traduite du grec, divisée en trois livres, avec une préface très intéressante, et ornée de fig. en taille-douce, Lampasque (Paris), 1748.

Anonyme [VOLTAIRE], Candide, ou l'Optimisme, traduit de l'allemand par M. Le Docteur Ralph, S. 1, Genève, Cramer, 1759.

Anonyme, [VOLTAIRE], Histoire de Jenni ou le Sage et l'Athée, par M. Sherloc, traduit par M. de La Caille, Londres, [en réalité Genève, Cramer, sans date].

LOUIS DE MONTALTE [PASCAL], Les Provinciales ou les lettres écrites à un provincial de ses amis ; aux R.R. PP. Jésuites, sur le sujet de la Morale, & de La Politique de ces Pères, Cologne, chez Pierre de la Vallée, 1657.

MIRABEAU, Le Libertin de qualité, ou Confidences d'un prisonnier au château de Vincennes, Auri Sacra fames, écrites par lui-même, à Stamboul, Imprimerie des Odalisques, 1784.

MONTESQUIEU, Lettres persanes, T. I et II, Amsterdam, Chez Pierre Brunel, 1721. VOLTAIRE, Le Micromégas, Londres, 1752.

Correspondances

MIRABEAU, Lettres à Julie, écrites du donjon de Vincennes, dans Annales du Midi par Antoine Thomas, Toulouse, 1904.

CRUGTEN-ANDRE Valérie Van, « Ma conversion, ou la puissance satirique du grotesque », dans

158 - Bibliographie

80, recueillies par P. Manuel, 4 volumes, Paris, Chez J. B. Garnery, 1792.

Presse et catalogue

Catalogue des Livres de la bibliothèque de feu M. Mirabeau l'ainé, Paris, Rozet et Belin, 1791.

La Décade philosophique littéraire et politique, par une société de républicains, Paris, Bureau de la Décade, an IV de la République Française.

Lettre du 17 novembre 1784, dans Correspondance Littéraire Secrète, Paris, 1784.

Un Sermon inédit de Mirabeau sur la nécessité de l'autre vie, volume 31, Revue des Deux mondes,

1916.

Appareil Critique Articles

AMADIEU Jean-Baptiste et MACE Laurence, « Errotika Biblion », Les Mises à l'Index des Lumières françaises au XVIIIe siècle dans La Lettre clandestine, numéro 25, dirigée par Maria Susana Seguin et Pierre-François Moreau, Paris, Classiques Garnier, 2017, pp. 17-37.

ARTIGAS-MENANT Geneviève, « La collusion des pouvoirs dans les manuscrits philosophiques clandestins », dans Libertinage et Politique au temps de la monarchie absolue, dir. Jean-Charles Darmon et Georges Molinié, Paris, Honoré Champion, 2005.

AUDET René, « Relation et distinction de la narrativité et de la fictionnalité » dans fabula, 10 novembre 2007.

AUWERS Jean-Marie, « L'interprétation de la Bible chez Spinoza. Ses présupposés philosophiques », Revue théologique de Louvain, Volume 21, Numéro 2, Louvain-la-Neuve, 1990.

BELLEMARE Alex, « Les francs-tireurs de la subversion », L'Ironie dialoguée des Lumières, Acta fabula, vol. 16, n°2, Notes de lecture, février 2014 sur Patrick Neiertz, Lumières obliques. Ironie et dialogues au XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, coll. « Moralia », 2012.

COMPAGNON Antoine, « Philologie et archéologie », Revue d'histoire littéraire de la France, volume 103, 2003.

VOVELLE Michel, « Sade et Lacoste, suivi de Mirabeau et Mirabeau. Réflexions sur le déclassement

- 159

Lumen : travaux choisis de la Société canadienne d'étude du dix-huitième siècle, vol. 15, 1996, pages 215 à 228.

GALLIEN Claire, « Une querelle orientaliste : la réception controversée du Zend Avesta d'Anquetil-Duperron en France et en Angleterre », dans Littérature classiques 2013/2 (N°81), pages 257 à 268.

GERAUD Violaine, « L'Ironie au siècle des Lumières », dans L'Information Grammaticale, n°83, 1999, pp. 3-8.

GOLDZINK Jean, « Libertinage et politique dans le roman libertin des Lumières », dans Libertinage et Politique au temps de la monarchie absolue, dir. Jean-Charles Darmon et Georges Molinié, Paris, Honoré Champion, 2005.

MARMIER Jean, « Edouard Corbière, Mirabeau et Tibulle » dans Annales de Bretagne, numéro 3, volume 72, 1965.

MORERE Pierre, « Signes et langage chez Locke et Condillac » dans Le Continent européen et le monde anglo-américain au XVIIe et XVIIe siècle, Actes du Colloque - Société d'études anglo-américaines des 17e et 18e siècle, 1986, pp. 16-29.

PAGANINI Gianni, « Politique et religion dans L'Esprit de Spinoza », dans Libertinage et Politique au temps de la monarchie absolue, dir. Jean-Charles Darmon et Georges Molinié, Paris, Honoré Champion, 2005.

PLANCK David G., « Le comte de Mirabeau et le père Roger Boscovitch : à propos de l»Erotika Biblion' », dans Les Mirabeau et leur temps, actes du colloque d'Aix-en-Provence, Paris, 1968.

REVAULT D'ALLONNES Myriam, « Cet Eros par quoi nous sommes dans l'être », Editions Esprit 2006/3 (Mars/avril), pp. 276-289.

SERNA Pierre, « Des Animaux en révolution », Annales historiques de la Révolution française, n°3777, L'Animal en révolution, juillet-septembre 2014.

SERNA Pierre, « Sade et Mirabeau devant la Révolution française », dans Politix, vol. 2, n°6, printemps 1989, pp. 75-79.

VISELLI et SANTE, « Liberté, libertinage et despotisme chez Mirabeau », dans Man and Nature 8, Société canadienne d'étude du dix-huitième siècle, 1989, pp. 17-28.

160 - Bibliographie

nobiliaire dans la Provence du XVIIIe siècle », dans Provence historique, t. XVII, fasc. 68, 1967, pp. 160-171.

ZAWISZA Elisabeth, « Une lecture littéraire des lettres de Diderot à Marie Madelaine Jodin » dans Diderot Studies XXIX, edited by Diana Guiragossian Carr, Librairie Droz S.A, 2003.

Publications

Diderot Studies XXIX, edited by Diana Guiragossian Carr, Librairie Droz S.A, 2003.

La Lettre clandestine, numéro 24, dirigée par Pierre-François Moreau et Maria Susana Seguin, Paris, Classiques Garnier, 2016.

La Lettre clandestine, numéro 25, dirigée par Pierre-François Moreau et Maria Susana Seguin, Paris, Classiques Garnier, 2017.

Querelles, éditées par Jeanne-Marie Hostiou et Alain Viala, édition spéciale des Littératures classiques 82, 2013.

ABRAMOVICI Jean-Christophe, Le Livre interdit, De Théophile de Viau à Sade, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1996, 290 pages.

BARBIER Ant. -Alex, Dictionnaire des ouvrages anonymes, Suite de la seconde édition des supercheries littéraires dévoilées par J. -M Quérard, 4 volumes, Paris, Paul Daffis, 1872.

BONNET Marie-Jo, Les Relations amoureuses entre les femmes, édition Odile Jacob, 1995.

CASSELY Jean-Pierre, La Provence insolite : Erotica Biblion du comte de Mirabeau, France Bleu, le mercredi 18 novembre 2015.

DARMON Jean-Charles et MOLINIE Georges, Libertinage et politique au temps de la monarchie absolue, Paris, Honoré Champion, 2005, 306 pages.

DARNTON Robert, Édition et sédition, L'Univers de la littérature clandestine au XVIIIe siècle, à Mesnil-sur-l'Estrée, Gallimard, 1991, 278 pages.

FOUCAULT Michel, La Volonté de savoir, t. I, Histoire de la sexualité, Paris, Gallimard, 1976. FOUCAULT Michel, L'Usage des plaisirs, t. II, Histoire de la sexualité, Paris, Gallimard, 1984. FOUCAULT Michel, Le Souci de soi, t. III, Histoire de la sexualité, Paris, Gallimard, 1984.

- 161

HÖLZLE Dominique, Le Roman libertin au XVIIIe siècle, Une Esthétique de la séduction, Oxford, Voltaire Foundation, 2012.

PASTORELLO Thierry, Sodome à Paris : protohistoire de l'homosexualité masculine fin XVIIIe - milieu XIXe siècle, Paris VII, Histoire, Université Paris-Diderot, 2009.

QUERARD, J.-M, La France littéraire ou Dictionnaire bibliographique des savants, historiens et gens de lettres de la France, ainsi que des littérateurs étrangers qui ont écrit en français, plus particulièrement pendant les XVIIIe et XIXe siècle, Paris, Chez Firmin Didot, M. DCCC XXVII.

RICHARDOT Anne, Femmes et libertinage au XVIIIe siècle ou Les Caprices de Cythère, Presses Universitaires de Rennes, col. Interférences, 2004.

Point historique

Galerie historique des contemporains, ou Nouvelle Biographie, seule édition, dans laquelle se trouvent réunis les hommes morts ou vivants, de toutes les nations, qui se sont fait remarquer à la fin du 18ème siècle et au commencement de celui-ci, par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, leurs vertus ou leurs crimes, 9 volumes, Bruxelles, Aug. Wahlen et Compe, 1819.

Mémoires biographiques, littéraires et politiques de Mirabeau, écrits par lui-même, par son père, son oncle et son fils adoptif, 8 volumes, Paris, chez Adolphe Guyot, 1834.

Revue encyclopédique ou Analyse raisonnée des productions les plus remarquables dans la littérature, les sciences et les arts, par une réunion de membres de l'Institut et d'autres hommes de lettres, volume 13, Paris, Bureau central de la revue encyclopédique, 1822.

BARTHOU Louis, Mirabeau, Figures du passé, Paris, Hachette, 1913.

CASTRIES (Duc de), Les Idées politiques de Mirabeau « Visages de la sincérité », Revues des Deux Mondes, juin 1961.

GARNOT Benoît, Récits d'historien, Voltaire et l'Affaire Calas. Les faits, les interprétations, les enjeux, Hatier, 2013.

HUGO Victor, Littérature et Philosophie mêlées, La Haye, G. Vervloet, 1834.

PEUCHET Jacques, Mémoires sur Mirabeau et son époque : sa vie littéraire et privée, sa conduite politique à l'Assemblée nationale, et ses relations avec les principaux personnages de son temps, 3 volumes, Paris, Chez Bossanges frères, 1824.

162 - Bibliographie

ROUDIE Philippe, Interférences franco-allemandes et révolution française, Presse Univ de Bordeaux, 1994, 227 pages.

VIEVILLE Lucien, Mirabeau et l'armoire de fer, dans Les Grandes Énigmes de l'Histoire, Genève, Édition Magellan, 1992.

ZORGBIBE Charles, Mirabeau, Paris, Éditions de Fallois, 2008.

Table des Matières

Remerciements.....................................................................................3

Sommaire.....................................................................................5

Lumières sur l'Erotika Biblion de Mirabeau.....................................................................................1

Au Commencement était le Verbe.....................................................................................11 Ordre et unité d'ensemble.....................................................................................17 Résumés des chapitres.....................................................................................17 Cohérence idéologique.....................................................................................26 Organisation thématique.....................................................................................28 L'Articulation autour du premier chapitre, « .....................................................................................Anagogie .....................................................................................».....................................................................................30 Ironie savante.....................................................................................33 Dissonance des références.....................................................................................33 Un Concept relevant du comique et de l'intertexte.....................................................................................35 Illustration du concept.....................................................................................35 Comique subversif.....................................................................................38 Subversion par la logique.....................................................................................40 Subversion par le comique.....................................................................................41 Du Comique voltairien.....................................................................................43 La Métaphore coïtale...........................................................................................................51

Inspirations et ressources.....................................................................................55 Ressources bibliques.....................................................................................57 Examen de l'appareil biblique.....................................................................................58 L'Amalgame entre les Philistins et les Israélites infidèles.....................................................................................59 Les Références aux Livres des Rois.....................................................................................61

Table des Matières

Examen de la culture religieuse de Mirabeau 64

L'Obscénité des peuples antiques 68

La Circoncision 73

Une Spiritualité indéterminée 77

Invention et recomposition 78

L'Anecdote du médecin Louis et des Pères Cucufe et Tournemine 79

Le Mensonge des mots 86

Réflexion sémiologique 88

Le Léviathan 92

La Raison du corps 95

La Connaissance en la matière 96

Shackerley et Anquetil-Duperron 97

Des Sens et des goûts 103

Deus neque Natura 111

Une Utopie évolutive 120

L'Universalité 122

La Femme et l'énergie 125

Morale du bonheur 128

Conclusion 131

Annexes 134

Annexe I : Évocations et allusions à un intertexte foisonnant 134

Annexe II : Dissertations [...] de Dom Calmet, Tome I 145

Annexe III : Dissertations [...] de Dom Calmet, Tome II 151

Annexe IV : Lettre à Sophie, le 19 juin 1780, [...], page 225 Erreur !

Signet non défini.

Bibliographie....................................................................................................153

Corpus....................................................................................................153

Primaire (classé par ordre chronologique)....................................................................................................153

Secondaire....................................................................................................153 Dictionnaires et encyclopédies....................................................................................................153 Littérature exégétique....................................................................................................154 Ouvrages sacrés....................................................................................................154 Manuels et traités....................................................................................................155 Anthologies....................................................................................................157 Romans et contes....................................................................................................157 Correspondances....................................................................................................157 Presse et catalogue....................................................................................................158

Appareil Critique....................................................................................................158

Articles....................................................................................................158

Publications....................................................................................................160

Point historique....................................................................................................161






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"