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Le régiment des tirailleurs sénégalais du tchad (RTS-T) et la consolidation de l'empire colonial francais: de sa création et de son déploiement au Kamerun entre 1910-1918


par Samuel Djeguemde
Université de Douala - Master 2021
  

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II- LES FONDEMENTS DE LA MISE EN PLACE DU RTS-T

Plusieurs éléments ont été responsables de la constitution du RTS-T. Ces facteurs sont à la fois endogènes et exogènes au territoire du Tchad. Ainsi, en ce qui concerne les éléments internes à la création du RTS-T, il s'agit notamment du l'héritage patrimonial Sao, de la culture de certains peuples et du caractère guerrier des royaumes comme celui du Baguirmi. Pour ce qui est des facteurs externes ayant entrainé la création du RTS-T, figure en bonne place les querelles entre Européens, mais, surtout l'impact du plan Mangin à travers l'empire colonial français.

83 J. Kouffan, 1996, « Les relations entre le Kamerun et l'AEF : Chronique d'une annexion avortée : 1916-1921 », Thèse de Doctorat en Histoire, Université de Strasbourg, p. 6.

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A- Les facteurs endogènes de la constitution du RTS-T

Les éléments qui permettent d'appréhender la mise en place du RTS-T sont de premier ordre propre à ce territoire. Il s'agit premièrement de l'histoire de sa population, deuxièmement des menaces turco-sénoussiste sur sa partie septentrionale et enfin, le rayonnement des grands royaumes comme celui du Baguirmi.

1- Le legs patrimonial des Sao et les rites initiatiques

Si, à partir des populations du Tchad la France a pu y bâtir un corps de troupes locale, ce fut en partie grâce à la transmission patrimoniale des Sao mais surtout, du fait des cultures guerrières de ces peuples. Outre cela, certains rites d'initiation à l'instar du Yo-ndo ont également facilité la mise en place du RTS-T.

a- L'héritage Sao

Il est important de rappeler que le Tchad en tant qu'Etat est une création de l'autorité coloniale. Il n'existait pas une homogénéité territoriale administrative avant 1900. Par ailleurs, il est attesté que le facteur de développement principal d'un peuple c'est avant tout sa population car il est l'essence même de la société. Ainsi, la population qui vit donc sur ce vaste ensemble saharien est régit par un long passé marquer par des hommes aux potentialités parfois démesuré84.

Le caractère physiologique d'une grande majorité de la population de cet ensemble territorial leur a très certainement valu d'être sollicité dans le cadre de la constitution d'une armée locale. En effet, lorsqu'on évoque le Tchad, il est difficile de l'appréhender sans parler des Sao. C'est en confortant cette idée que, André Malraux estimait que, les Sao sont les lointains ascendants des tchadiens en déclarant que : « les Sao sont les Gaulois des tchadiens85».

Ce peuple de légendes dont les échos sont « incroyables » ont d'une manière ou d'une autre influencés la société précoloniale et coloniale « tchadienne ». D'ailleurs, Charles Seignobos dans son recueil était assez élogieux envers ce peuple et ne tarissait pas de superlatif pour parler d'eux en déclarant notamment que:

Les Sao étaient si hauts de taille que leurs bois d'arc étaient faits de palmiers entiers, que leurs gobelets, grands comme des jarres funéraires, pouvaient contenir deux hommes assis. Ils pêchaient sans filet en barrant de leurs mains les rivières. Ils prenaient à la main les hippopotames et les dévoraient comme des poulets. Ils annonçaient en criant d'une cité à l'autre leur tour de pêche et leur voix roulait jusqu'au Tchad comme un tonnerre, faisant fuir tous les oiseaux des arbres. Leurs ongles étaient si

84 B. Jacques, 1966, Histoire du Tchad et de Fort-Archambault, Paris, Scorpion, p. 43.

85 J. Chapelle, 1986, Le peuple tchadien : ses racines, sa vie quotidienne et ses combats, Paris, l'Harmattan, p. 31.

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épais qu'ils ont résisté à la pourriture et qu'on en déterrerait aujourd'hui dans les buttes86.

C'est dans la même mouvance que, la littérature tchadienne porté dans ses premières heures par Joseph Brahim Seid a perpétué cette légende autour des Sao. Il y écrit d'ailleurs dans son recueil que les Sao pouvaient porter d'une main un Hippopotame87.

En dépit de cette fascination de Seignobos pour les Sao qui fut conforté et entretenue par les contes et légendes des peuples du Tchad, l'ethnologue allemand Raoul Hartweg88 quant à lui est un peu plus réservé et pense que les Sao certes, ont été des hommes de tailles relativement grandes mais, que les légendes ont énormément contribué à amplifier les mérites. Il y ressort d'ailleurs de ses recherches après l'analyse d'un fémur retrouvé et appartenant à priori à un Sao qu'il mesurait environ 1,70m à 1,80m.

C'est pourquoi Mbainarem Gédéon89 pense que, l'étude des Sao doit être faite avec beaucoup de réserve même si ces derniers ont sans doute légué leur héritage matériel et immatériel à de nombreux peuples parmi lesquels les Massa, les kotoko, les Bouduma les Mandara et une partie des Kanuris.

L'affiche ci-dessous s'inspire des contes et légendes véhiculées par la tradition orale des Kotoko du Tchad sur les Sao. Elle met en évidence un géant qui, à priori est terrifiant pour ses contemporains. Son auteur est Adji Moussa et, cette affiche date de 2011.

86C. Seignobos, 1978, « Les systèmes de défense végétaux précoloniaux : Paysages de parcs et civilisations agraires (Tchad et Nord-Cameroun) » In Annales de l'Université du Tchad, N'Djaména, Série Lettres, Langues Vivantes et Sciences Humaines, numéro spécial, p.78.

87 J. Brahim Séid, 1962, Au Tchad sous les étoiles, Paris, Présence Africaine, p. 15.

88 R. Harweg, 1942, « Les squelettes humains anciens du village de Sao », in, Journal de la Société des Africanistes, tome 12, p. 6.

89 Entretien avec Mbainarem Gédéon, N'Djamena le 22-11-2021.

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Photo 1: Couverture de la Bande dessinée les Sao de Adji Moussa

Source : Manga Makrada Maïna, 2017, « La problématique des Sao : Entre civilisation, mythologie et construction de l'histoire », Thèse de Doctorat en Histoire, Paris, Université Panthéon 1 Sorbonne. P.259

Cette Bande dessinée est un formidable moyen de s'apercevoir que même plusieurs siècles après leur disparition, la légende autour de ce peuple n'a pas vraiment changé. Car, il met en évidence des géants qui font paniquer leur contemporaine et sont capable de transporter à priori d'une seule main des animaux de tailles adultes.

Avec tous ces atouts quand bien même « légendaire », force est de remarquer que les prouesses des Sao ont pesé dans la décision des colons de lever la plus grande armée de l'AEF à partir des populations du Tchad héritière directe des Sao. Cependant, il faut noter que, l'aspect culturel de la population du Tchad fut également un mobile de la constitution du RTS-T.

b- La culture comme vecteur d'exaltation : l'exemple du Yo-ndo90

L'un des éléments ayant contribué et renforcer le sentiment français de constituer des régiments de tirailleurs sénégalais en Afrique et particulièrement au Tchad fut le caractère

90 Rite initiatique en pays Sara qui concourt à la formation et à la transformation de l'homme. A l'issu du rite, les néophyte changent de nom et sont considérés comme Homme accompli.

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cultuel des « Tchadiens ». Ainsi, pour illustrer nos propos, il est question dans cette section de mettre en évidence le yo-ndo des Sara.

Le yo-ndo ou le passage de l'enfance à la maturité. C'est un rite initiatique qui concerne tous les Sara étant à cheval entre l'adolescence et l'âge adulte. En fait l'opération à la base se déroulait une fois chaque 7 ans et les futurs initiés étaient amenés en brousse durant 3 mois pendant laquelle ils leurs étaient véhiculés la dignité humaine et la fonction d'homme dans la société91.

Ainsi, loin d'être une partie de plaisirs, l'initiation en pays Sara comporte plusieurs incommodités pouvant causer la mort des plus faibles. Virginie Nemadjileyo92 va plus loin et estime que, le yo-ndo a été institué en pays Sara pour identifier les leaders, les hommes sélectionnables pour défendre les leurs durant les attaques ennemies. C'est, en confortant cette pensée que, Jacques Boisson pense que, ce rite initiatique est caractéristique des peuples dit kirdis93, et déclare dans ce sens que, « les hommes qui s'y prêtent sont une belle race et ne redoutent plus le danger au sortir de l'initiation94 ».

Certes, le rite initiatique Yo-ndo se pose comme une formation à une philosophie de vie très structurée qui permet aux initiés d'outrepasser la mort. Mais, en réalité, l'initiation Sara contribue juste à l'édification et au courage de ses adeptes ; les candidats au yo-ndo sont censés « mourir » pour être re-infantés par Yo-ndo afin d'appartenir à un cercle très restreint détenteurs du « secret » de la vie95.

Mais, dans le cadre de cette étude, il s'avère que, ce rite a à l'instar de la fête du coq chez les toupouris façonné la témérité et la vocation guerrière de la population. Ce qui a permis un nombre conséquent d'engagement de ces hommes au sein du RTS-T.

2- Les grands royaumes précoloniaux : l'exemple du Royaume du Baguirmi

Les royaumes qui étaient logés au Tchad à l'instar du royaume du Baguirmi ont également influencé la constitution du RTS-T sur le territoire du Tchad.

S'il est notoire qu'avant l'occupation du territoire du Tchad par la France, les sociétés évoluaient de façon disparate et saccadé. Force est de constater que, lors du Moyen-Age

91 R. Jaulin, 2011, « La mort Sara, l'ombre de la vie ou la pensée de la mort au Tchad », Paris, Edition CNRS, in Cahiers d'études africaines. URL : Consulté le 12-11-2021, http://journals.openedition.org/etudesafricaines

92 Entretien avec Larlem Augustine, Douala le 31-03-2021.

93 Terme employé pour désigner les populations distinctes des musulmans vivant généralement au Sud du territoire.

94 J. Boisson, 1966, La construction du Tchad et de Fort-Archambault, Paris, Scorpion, p. 53.

95 E. Djomniyo Kantiebo, 2004, « Musiques, corps et objets dans les rites et dans les danses des Sara du Sud Tchad », thèse de Doctorat Phd en Histoire économique et sociale, Université de Strasbourg, p. 31.

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Africain qui rime avec l'époque des grands Empires, le royaume du Baguirmi se démarqua par sa structuration à tous les niveaux.

En effet, ce fut l'un des royaumes les plus prospères et organisés du Tchad précolonial qui, grâce à son armée a effectué des conquêtes et des razzias notoires sur le territoire96. C'est aussi le royaume qui a résisté aux assauts répétitifs de Rabah à partir de 1887 avant que leur roi, le Mbang Garouang ne décide de le mettre sous protectorat français en 198997.

En parlant de son armée, un chant de guerre appelé communément le ka way constitue même la source de motivation de l'armée du Baguirmi tel que livrée par Nepidimbaye Géneviève.

Tableau 1: Chant de guerre en Barma

La version française

Version baguirmienne

1-Si je fuis, que Dieu m'étrangle

1-Mun jam may gana allah ge tol@m

2- Si je fuis, que le prophète me tue

2-Mun jam may gana nibi g@ TOL@ma

3-Jana, si je fuis, que le prophète m'écrase

3-Jana jo mun jam gana nibi g@ Tolem

4-Jana si je fuis...

4-Jana jo mum jam maya

5-Jana est décidé à mourir

5-jana ob royi kas god mbay yo

6-Mais la mort ne veut pas l'emporter

6-dag yo toly yeli

7-Jana veut mourir mais la mort tarde à l'emporter

7- jana ge yo dag yo mba diya

8-Il tient à offrir son corps aux charognards

8-nob royi god marlo

9-Mes frères tombent sous les coups de lances

9-ngan kuyumge yinga sà ga

10- Mes propres frères, les lances les ont emportés

10- ngan kuyuma yinga sà ga

11- Mes frères morts sont abandonnés aux charognards

11-ngan kuyumge jà marlo

12- La mort des autres me ferait moins mal

12- won kwi mad@mna ga koyim tag.

 

Source : Entretien avec Nepidimbaye Geneviève. Moundou, le 03-02-2022.

De ce qui précède, on peut affirmer qu'il est évident que ce chant de guerre a à bien d'égards été un catalyseur dans la fortification du caractère guerrier des baguirmiens. Malgré

96 A. Ngaré, 1994, « Histoire structurale du royaume du Baguirmi. Des origines à l'occupation coloniale : XVIe-Début XXe siècle », thèse de Doctorat en Histoire, Université Paul Valéry- Montpellier, pp. 62-66.

97 Ibid., pp. 104-109.

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le fait que, ce royaume ait disparu au début du XXème siècle, cet héritage légué à la postérité mais surtout le lien diplomatique qui le liait à la France a favorisé l'enroulement des baguirmiens au sein du RTS-T. En effet, étant jadis sous protectorat de la France, il était d'autant plus facile pour cette dernière de tirer avantage de ce legs du royaume du Baguirmi pour y constituer une armée locale.

Mais, il est également important de remarquer que, le patriotisme et l'attachement à la royauté expliquent la détermination et le courage des soldats baguirmiens que ni leur adversaire, ni encore la mort ne faisaient peur. Du moins, en bravant le danger, le soldat Baguirmien certes s'expose à la mort, mais mourir pour son royaume et les siens était pour lui une mort juste et digne.

Cependant, il faut également noter que cette armée baguirmienne est hiérarchisée et au sommet se trouve le Mbang qui est le roi, il est secondé par le Paja qui est le commandant en chef de l'armée, ce dernier fait également figure de Ministre de la défense du royaume98. En temps de guerre, l'armée peut disposer d'environs 450 à 600 soldats mais en temps de paix, seule la garde royale exerce et peut disposer de 150 à 300 soldats. Mais, ce sont les griots qui sont détenteurs du Ngah dal99.

Tout ceci témoigne bien le caractère guerrier du Tchad précolonial ; chose qui permit notamment à la France d'y lever la plus grande armée de l'AEF afin de l'utiliser pour renforcer son influence quant à la protection de son Empire. Mais, d'autres facteurs ont néanmoins aussi pesé sur la décision de mettre en place le RTS-T à l'instabilité provenant du Nord et menaçant la présence française sur ce territoire.

3- Les menaces Ottomane et sénousite au Nord du territoire (BET)

Les zones actuelles du Borkou, de l'Ennedi et du Tibesti ont durant les premières heures des conquêtes été âprement discutées entre Français, Sénoussistes et Turcs100. Et, de ce fait, la partie septentrionale du territoire du Tchad qui est frontalière avec la Tripolitaine, territoire alors sous domination italienne fut l'objet de convoitise de part et d'autre.

98 A. Ngaré, 1994, pp. 219-221.

99 Sorte de tambour sacré que les Barma sortent à l'occasion des guerres, il est joué pour annoncer, reprendre ou mettre fin à la guerre.

100Archives CEFOD, J. Ferrandi, H. Perpignant, « Turcs et Senoussistes au Fezzan », In Bulletin du comité de l'Afrique Française. Renseignement coloniaux Juillet 1930- Novembre 1935. Supplément de l'Afrique Equatoriale. Cote TCH B 0319, pp. 3-7.

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Or, la confrérie Sénousites101 faisant face au prolongement du domaine français s'érige en véritable menace pour la colonisation française avec l'appui Turc et italien contre la France qui essayait d'assoir son autorité dans cette zone.

Cependant, pour mieux cerner la présence ottomane au Nord du Tchad lorsque les appétits des autres puissances colonisatrices grandissaient notamment celle de la France, il est important de comprendre comment cet empire s'installa sur le continent jusqu'à influencer le Nord du Tchad.

D'emblée, il est important de rappeler que la dimension africaine de l'impérialisme ottoman continue d'être absente des discussions et parfois de l'historiographie africaine. Or, la présence ottomane fut attestée au Tchad dès le XVIe siècle bien avant la présence des Français102. Mais, plusieurs auteurs à l'instar de Nora Nafi considèrent la colonisation ottomane plutôt comme une simple occupation ayant précédé l'ère coloniale103. Ceci se justifierait par l'absence de véritables colonies ottomanes en Afrique qui pourraient contredire cette thèse. Mais, en réalité il s'agissait tout simplement d'un impérialisme différent des autres.

C'est d'ailleurs dans ce sens que Michel Le Gall estimait que, l'impérialisme ottoman s'est manifesté dans une rhétorique de panislamisme prompt à islamiser l'ensemble du territoire tchadien104. Ceci lève une équivoque et permet de comprendre le soutien ottoman aux Sénousites face à la colonisation française : il s'agissait en réalité d'un conflit d'intérêt qui opposait la France à l'Empire ottoman. Ceci était l'un des mobiles apparemment suffisants pour justifier la constitution et le déploiement du RTS-T.

Mais, force est de constater que seuls des mobiles intra au territoire du Tchad n'ont pas été responsables de la mise en place du RTS-T. Car, à côté de ceux-ci, figure également des facteurs externes.

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