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Etude des parcours de vie polyamoureux


par Clémence Gay
Université d'Evry - Maîtrise de sociologie parcours Image et Société: documentaire et sciences sociales 0000
  

Disponible en mode multipage

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Université d'Évry

JUIN 2021

ETUDE DES PARCOURS DE VIE

POLYAMOUREUX

MÉMOIRE
PRÉSENTÉ
COMME EXIGENCE PARTIELLE
DE LA MAÎTRISE EN SOCIOLOGIE

CLÉMENCE GAY

Remerciements

Je remercie ma directrice de mémoire, Jennifer Deram, qui a été présente tout au long de cette période tumultueuse et trouble. Sa disponibilité et ses judicieux conseils ont contribué à alimenter ma réflexion et à construire ce mémoire.

Un sincère merci à tou-te-s mes répondant-es pour leurs témoignages riches et captivants qui ont pu à la fois donner corps à cette recherche et faire évoluer ma pensée. Ce fut un plaisir de partager ces moments de discussion avec vous, que ce soit en ligne ou autour d'un thé.

Je remercie également toute l'équipe pédagogique de l'université d'Evry ainsi que les intervenants professionnels responsables de ma formation, pour avoir assuré la partie théorique de celle-ci. Leurs paroles, leurs écrits, leurs conseils et leurs critiques ont guidé mes réflexions.

Merci à Annabelle, Sophie, Ange et Aoline pour avoir relu et corrigé mon mémoire. Vos conseils de rédaction ont été très précieux.

Enfin, je voudrais exprimer ma reconnaissance envers les ami-e-s qui m'ont apporté leur soutien moral et intellectuel tout au long de ma démarche. Votre curiosité et vos questions ont été une véritable source de motivation pour mener à bien ce projet.

2

Table des matières

Remerciements 1

Introduction 4

Partie I 5

Cadrage et définition du sujet 6

Éléments de contexte (historique, politique, économique, juridique) 6

L'origine de la notion de polyamour : cadrage historique, juridique, ethnographique et

politique 6

Cadrage sociologique et statistique 7

Les sources quantitatives 7

Problématique 11

Conclusion de ces premières recherches 11

Cadrage méthodologique : la notion de «parcours de vie» 11

Hypothèses 12

Protocole d'enquête 13

Les entretiens «récits de vie» 14

Présentation du terrain 14

Les lieux des entretiens 15

Le problème de l'anonymisation 16

Positionnement du chercheur 16

Partie II 18

Les parcours de vie polyamoureux 18

Les profils des enquêtés 18

Profil et angle mort 18

Des événements déclencheurs de la non-exclusivité 20

Le premier pas en dehors de la boîte 24

L'influence des groupes 26

Trajectoires et diffusions des valeurs 27

Diffusion du polyamour : internet et la salope Ethique 27

Comment se rencontrer ? 29

L'apprentissage des codes et des valeurs 32

Comprendre ses limites 32

Construire ses relations 36

Le pilier du polyamour : l'hypercommunication 43

Polycule et métamour : construire son nouveau cercle de relation 45

Polyamour et stigmates 48

Une déconstruction parfois conflictuelle et fragilisante 48

Polyamour et intersectionnalité 52

Le coming out 55

Le besoin de se cacher 58

L'intentionnalité du parcours de vie polyamoureux 60

3

La cohésion avec soi-même 60

Pas d'étiquette ! Le polyamour en soi et pour soi 63

Entre pratique et identité : regard rétrospectif sur son vécu 66

La vision de l'avenir 68

Conclusion 70

Bibliographie 73

Annexe 80

4

Introduction

Les différentes formes d'expression et d'encadrement des relations et de la sexualité sont aujourd'hui en profonde et rapide mutation (Combessie, Mayer, 2013). La part la plus visible de ces transformations réside, par exemple, dans l'institutionnalisation des unions entre personnes de même sexe dans un nombre croissant de pays (Combessie, Mayer, 2013); et à cet égard, le polyamour s'inscrit également dans cette dynamique des transformations de l'intimité contemporaine.

Le polyamour se définit comme «l'orientation relationnelle présumant qu'il est possible [et jugé comme étant acceptable par les différents partenaires] d'aimer plusieurs personnes et de maintenir plusieurs relations amoureuses et sexuelles à la fois, avec le consentement des partenaires impliqués [...] et qu'il est souhaitable d'être ouvert et honnête à leur propos» (Barker, 2005). Son existence s'inscrit dans un contexte social où se libère de plus en plus la parole sur les différentes orientations sexuelles et relationnelles ainsi que sur l'expression des identités de genres.

Critique de la rigide injonction à l'amour romantique, le polyamour remet en cause ce que Mint (2004) nomme «the monogamy/cheating system». Les personnes polyamoureuses - en favorisant et expérimentant des cadres relationnelles modulables selon leurs aspirations (Lévesque, 2019) - sortent de l'arrangement culturel dominant selon lequel les individus doivent s'identifier à la valeur de l'exclusivité, et ce même si les conflits et infidélités sont si courants qu'ils peuvent être considérés comme une partie institutionnelle du paysage intime et sexuel. La «dyade traditionnelle» ne serait ainsi plus l'unique idéal relationnel légitime. Néanmoins, le couple exclusif dispose toujours d'un parcours strictement fermé et balisé, s'imposant naturellement aux individus comme étant une orientation relationnelle allant de soi. S'écarter de ses normes (relationnelles ou sexuelles) peut donc entraîner des sanctions sociales et être source de préoccupations quant aux possibles répercussions stigmatisantes générées par le simple fait d'être «différent».

En outre, si l'on en parle de plus en plus sur Internet et dans les médias depuis quelques années, beaucoup de choses restent encore à définir sur le polyamour. Cette pratique est un domaine émergent recueillant un nombre assez limité de textes qui, de surcroît, sont de nature essentiellement pédagogique plutôt que sociologique ou analytique. Bien que le nombre d'ouvrages et d'études consacrées au sujet ait fortement augmenté ces dernières années (Noël, 2006), la majorité des informations se trouvent avant tout en ligne et les études scientifiques menées sur le sujet sont dans une écrasante majorité originaires des États-Unis (Adam, 2020). En outre, le manque de diversité chez les échantillons de participants composants la plupart des enquêtes (la plupart des répondants sont blancs, neurotypiques,

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cisgenres1, avec un niveau d'éducation élevé) démontre qu'il existe encore aujourd'hui de nombreux angles morts dans l'étude de cette orientation (Adam, 2020).

Pourtant, de par sa position anticonformiste, le polyamour est source de multiples interrogations : comment expliquer son existence ? Comment se construit-il ? Y a-t-il des similitudes dans les trajectoires de vie des personnes polyamoureuses ?

Ainsi, il sera intéressant de voir comment cette orientation relationnelle s'incarne dans les parcours de vie des individus se revendiquant polyamoureux. Analyser les mécanismes qui sous-tendent la réalisation du polyamour et observer les manières dont il se perçoit dans le vécu individuel permettra de répondre à la problématique suivante: quels sont les parcours de vie des personnes polyamoureuses ?

Pour répondre à cette question, notre réflexion se fondera sur une étude qualitative se faisant sur la base d'entretiens récits de vie semi-directifs réalisés auprès de douze personnes polyamoureuses. Si le nombre d'entretiens menés ne permet de facto aucune généralisation (échantillon non probabiliste), cette limite quantitative se retrouve néanmoins compensée par la complexité et la richesse des voix polyamoureuses composant ce mémoire. Notre méthodologie vise à permettre une compréhension qualitative des trajectoires de vie polyamoureuses. En enracinant profondément notre étude dans les récits de vie, nous avons donné une ouverture maximale à la parole individuelle, afin de permettre une compréhension des modes de vie de nos enquêtés, tout en respectant les nuances habillant et enrichissant leur discours.

Après avoir fait les présentations plus détaillées de la problématique, du cadre théorique et du protocole d'enquête, nous essaierons de dresser un tableau des différentes pratiques, approches et configurations polyamoureuses. Par le biais d'entretiens récits de vie, nous chercherons à déterminer les mécanismes et trajectoires amenant à devenir et se revendiquer polyamoureux. Nous porterons ensuite notre regard sur les manières dont se diffuse l'idéologie polyamoureuse, en nous attardant sur l'apprentissage des codes, normes et valeurs sous-tendant cette pratique. S'ensuivra une mise en exergue des stigmates dont est porteuse cette communauté, ainsi que des différents mécanismes et dynamiques d'oppression contraignant et invisibilisant son existence. Enfin, notre étude se portera sur l'analyse des intentionnalités construisant le regard des personnes polyamoureuses sur leur propre identité. Nous nous attacherons également à observer la manière dont nos répondants ancrent leurs expériences et intègrent rétrospectivement leur vécu dans leur propre parcours de vie.

1 Soit qui concerne une personne dont l'identité de genre correspond au sexe qui lui a été assigné à la naissance (par opposition à transgenre) - Dictionnaires Le Robert.

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Partie I

Cadrage et définition du sujet

A. Éléments de contexte (historique, politique, économique, juridique)

L'origine de la notion de polyamour : cadrage historique, juridique, ethnographique et politique

Pour débuter notre approche du sujet, il est avant tout primordial de s'attaquer aux notions que recouvre le terme «polyamour». «S'il est aisé de décrire la signification du concept, saisir toute la richesse du phénomène de cette forme d'amour exigerait une vaste exploration historique, impossible à aborder dans le cadre d'un mémoire de maîtrise» (Lévesque, 2019). Nous pouvons néanmoins résumer que son origine théorique remonterait en 1816, au sein de l'ouvrage Le Nouveau Monde Amoureux écrit par le philosophe Charles Fourier, sous l'appellation «d'amour multiple». En 1920 il prendra aussi le nom «d'amour camaraderie» au sein des mouvements marxistes et libertaires (Kollontaï, 1923), appelant à se libérer d'une «captivité amoureuse» dictée par la volonté de concentrer le capital au sein d'une même famille.

C'est à l'autrice M. G. Zell, fondatrice de la religion néo-païenne Church of All Worlds qu'est accordée le plus souvent l'invention du terme. Au sein de son article Bouquet of Lovers, paru en 1990, elle proposera le terme «poly-amorous» en réponse à la recherche d'une alternative au terme de «responsible non-monogamy» (Klesse, 2011; Anapole, 2010). Ainsi, l'histoire de la naissance du terme «polyamory» - teintée de néo-paganisme et de théorie marxiste - aurait influencé l'orientation politique des communautés polyamoureuses actuelles (Aviram, 2010). La critique de la monogamie traditionnelle est au coeur de nombreux mouvements progressistes depuis les années 1960, tels que les mouvements socialistes anticapitalistes, anarchistes, féministes et LGBT (Anapole, 2010). En outre, selon les travaux ethnographiques d'Elisabeth Sheff publiés en 2005 sur une communauté polyamoureuse de la côte ouest-américaine, les polyamoureux sont en grande majorité des personnes blanches2, diplômées d'université, appartenant à la classe moyenne ou moyenne supérieure et ayant entre 30 et 50 ans (Klesse, 2011).

2 Il est néanmoins important de nuancer ces propos car en effet la plupart de la littérature recensée «provient des États-Unis et concerne un échantillon de participant·e·s peu diversifié : la plupart sont blanc·he·s et ont un niveau d'éducation élevé. Il serait pertinent d'approfondir ces recherches afin de déterminer si la pratique du polyamour est plus répandue parmi ces groupes» (Adam, 2020).

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En France, la popularisation du polyamour coïncide également avec la dépénalisation progressive de l'adultère ainsi qu'avec la valorisation progressive de l'affichage des sentiments. Auparavant «l'association entre pluripartenariat et secret était cohérente avec le cadre légal des unions à l'époque où, le mariage étant considéré comme une institution primordiale, l'adultère était un délit - plus sévèrement sanctionné pour les femmes»3. (Combessie, 2013). Ainsi, à la disparition de l'adultère comme «cause péremptoire de divorce» au sein du code civil, s'ajouta la montée progressive des courants de pensées préférant l'écoute et l'introspection au respect strict des règles.

Progressivement, les théories polyamoureuses se démocratiseront avec des oeuvres phares, par exemple la parution du livre manifeste du polyamour, The Ethical Slut, A Guide to Infinite Sexual Possibilities coécrit par la thérapeute familiale Dossies Easton et la sexologue Catherine A. Litz, souvent cité par les communautés polyamoureuses comme étant une des pierres angulaires du polyamour moderne. En France, une des figures du polyamour est incarnée par la journaliste Françoise Simpère, autrice de l'ouvrage Aimer plusieurs hommes (2002) et Guide des amours plurielles (2009).

Au coeur de ces ouvrages, le polyamour représenterait la possibilité de nouer des relations amoureuses avec plusieurs personnes simultanément et consensuellement. À la différence d'autres types de relations non-monogames - comme les relations échangistes ou libertines qui elles se caractérisent avant tout par «leur permissivité au niveau de la sexualité récréative» (Adam, 2020) - les personnes polyamoureuses «mettent de l'avant leur habileté à s'engager émotionnellement avec plusieurs partenaires, tout en prônant la communication ouverte et honnête dans ces engagements» (Cook, 2005).

B. Cadrage sociologique et statistique Les sources quantitatives

À l'origine de ce mémoire, ma question était la suivante : «comment devient-on polyamoureux ?» voir dans une dimension plus qualitative : «quand commence-t-on à se décrire comme étant polyamoureux ?». Nous verrons au cours de ce document que cette question de départ s'est précisée à mesure de l'étude de ces recherches et du cadrage de ce mémoire.

3 «Dans le code pénal français, jusqu'en 1975, les femmes encouraient jusqu'à deux ans de prison pour une relation qui pouvait se produire n'importe où, alors que les hommes n'encouraient qu'une peine d'amende et n'étaient considérés comme en situation d'adultère que si l'acte avait été commis au domicile conjugal.» (Combessie, 2013).

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Au cours de mes recherches, j'ai pu trouver différentes sources quantitatives mobilisables pour ce mémoire. Elles me furent utiles dans la conception de ma problématique, le cadrage de mon champ de recherche, ainsi que dans l'élaboration de mes hypothèses. Il est possible de regrouper les sources quantitatives exploitées en deux grandes catégories. La première a trait à une de mes hypothèses traitant du thème de l'infidélité, la deuxième s'attache à faire une estimation du nombre de personnes polyamoureuses au sein de nos sociétés.

Selon Sébastien Schehr, l'infidélité se rapporte directement à la trahison en ce sens qu'elle implique une «violation de la confiance et de la loyauté escomptées dans toutes les relations ou liens qui constituent le Nous». Dans le cadre de ce mémoire, nous pouvons également parler d'infidélité conjugale, voire d'adultère, soit le fait qu'un individu entretienne des relations sexuelles avec une personne autre que son conjoint envers qui il a affirmé le serment de fidélité. Dans la plupart des enquêtes qualitatives, il est noté que le polyamour est considéré comme un moyen de répondre à un problème d'infidélité au sein de son couple (Lévesque, 2019). Mon objectif était de voir ici s'il y avait une corrélation entre le profil des personnes infidèles et le profil des personnes polyamoureuses. Pour ce faire, je me suis appuyée sur trois enquêtes.

La première est issue d'un article de Blow, A.J. & Hartnett, K. paru en 2005 et ayant pour titre «Infidelity in Committed Relationships II: A Substantive Review».

Contexte : issu du Journal of Marital and Family Therapy, une revue académique qui couvre et analyse les sciences sociales et politiques, cet article résume en soi les difficultés méthodologiques rencontrées au cours de mes recherches. En effet, il s'accompagne d'un avertissement précisant que les données présentées doivent être interprétées à la lumière des critiques portées sur les problèmes méthodologiques dont souffrent la plupart des recherches sur l'infidélité. Les auteurs précisent néanmoins que leurs données sont une méta-analyse de différentes études empiriques. L'infidélité, comme le polyamour, souffre d'un problème de définition.

La deuxième source est issue d'une enquête quantitative réalisée par YouGov, une société internationale d'étude de marché dont le siège se situe au Royaume-Uni. Cette enquête fut publiée sur leur site sous le nom de «Young Americans are less wedded to monogamy than their elders».

Contexte : Les répondants, choisis via le principe de l'opt-in4, étaient tous membres du panel YouGov. Un échantillon aléatoire (stratifié par sexe, âge, ethnicité, éducation, l'idéologie politique, identification du parti, région géographique et inscription des électeurs) fut sélectionné à partir d'une l'étude communautaire américaine datant de 2014. Toutes les données furent recueillies via des entretiens en ligne menés auprès des 1000 participants.

4 Se dit d'un fichier de données personnelles dans lequel un internaute ne peut être inscrit que s'il exprime explicitement son consentement. ( legifrance.gouv.fr)

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La troisième source, elle, traite de la notion de la Serial Infidelity à travers une enquête menée par Kayla Knopp aux États-Unis et dont l'article, «Once a Cheater, Always a Cheater? Serial Infidelity Across Subsequent Relationships», a été publié au sein du journal officiel de l'Académie internationale de recherche sur la sexualité «Archives of Sexual Behavior».

Contexte : Cette étude s'intéresse ici à la question de «l'infidélité dans une relation antérieure comme un facteur de risque d'infidélité dans une relation ultérieure». Ici, c'est 484 adultes américains, sélectionnés à travers une série d'échantillonnages ciblés, qui ont été suivis à travers une étude longitudinale d'au moins deux relations amoureuses. Ils devaient signaler leur «propre implication sexuelle extradyadique (ou ESI, c'est-à-dire avoir des relations sexuelles avec quelqu'un d'autre que leur partenaire). Les participants devaient avoir vécu des relations amoureuses non mariées pendant au moins deux mois au départ [...]. Ceux qui étaient admissibles et intéressés pour s'inscrire (N = 1 294) ont rempli des sondages par la poste tous les quatre à six mois pour onze vagues de collecte de données, s'étalant sur environ 5 années. Les sondages duraient 75 minutes et les participants gagnaient 40 $ par sondage rempli. L'échantillon de la présente étude (N = 484) était composé de tous les participants qui ont répondu à des questions sur au moins deux relations amoureuses différentes au cours de l'étude.» (Knopp, 2017)

Les autres ressources mobilisées pour ce mémoire sont ici relatives à la proportion du nombre de personnes polyamoureuses dans une société. Malheureusement, aucune étude statistique fiable n'a été réalisée en France à ce jour. Parmi les différentes sources que j'ai pu trouver, j'ai retenu ici une étude américaine (que je détaillerai plus bas), et une étude canadienne : «Perceptions of Polyamory in Canada: Preliminary Data». Elle fut menée en 2016 par John-Paul Boyd et Alysia Wright appartenant au CRILF (Canadian Research Institute for Law and the Family) et en partenariat avec la Canadian Polyamory Advocacy Association pour la Canadian Research Institute for Law and the Family, institution affiliée à l'University of Calgary.

Contexte: cette étude visait à mener une enquête publique sur 3 mois, afin de recueillir des données sur les visions du polyamour par les Canadiens. Au total 547 personnes répondirent à l'enquête en détaillant leur mode de vie ainsi que leur perception du polyamour. Il s'agit à ce jour de l'étude la plus récente et la plus complète à laquelle j'ai pu accéder sur internet.

La deuxième étude américaine se nomme «Counting polyamorists who count: Prevalence and definitions of an under-researched form of consensual nonmonogamy». Cette enquête visait à définir en premier lieu une définition plurielle du polyamour afin de pouvoir par la suite interroger la population sur «les différents styles de relations que les gens ont».

Contexte : Au cours de l'été 2013 ce sont 972 participants qui furent interrogés via la plateforme web de crowdsourcing Amazon's Mechanical Turk (MTurk). Pour cette enquête d'une durée de 10 minutes, ils furent payés 0.75$. Il est intéressant de noter les différentes justifications employées par l'auteur pour utiliser de MTurk comme source de données : bien que non représentatif de la population américaine, sa population est démographiquement diversifiée et les échantillons peuvent être pondérés pour se rapprocher d'un échantillon

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représentatif. En plus de cela, cette plateforme est «rentable» selon l'auteur, permettant de mener une enquête à grande échelle pour un moindre coût. Enfin, le fait d'avoir des données anonymisées est un gage de qualité non négligeable, d'autant plus lorsqu'il s'agit d'interroger une population stigmatisée (ce qui est le cas des personnes polyamoureuses).

Résultat des sources

A la lumière de toutes ces enquêtes, plusieurs pistes d'études peuvent-être identifiées. Une des premières pistes s'interroge sur l'existence d'une corrélation entre les origines de l'infidélité avec la configuration des couples polyamoureux.

Une autre raison de mon interrogation sur l'infidélité est qu'elle nous fait poser la question de la construction de la fidélité traditionnelle en tant que norme structurante du couple. Il s'agit d'un des piliers que remet en question le polyamour de par sa redéfinition de l'exclusivité et de la hiérarchie relationnelle (Lévesque, 2019, p.75).

Résultat : à la lecture de ces enquêtes, on remarque qu'il y a bien corrélation au niveau de l'âge : l'enquête du CRILF menée par Jean-Paul Boyd indique qu'il y a une surreprésentation des polyamoureux chez les plus jeunes par rapport à la population globale du pays, 75% d'entre eux ayant entre 25 et 44 ans (voir la Figure 2.1 en annexe). Cette donnée se retrouve aussi chez les personnes infidèles, car plus une personne est jeune lorsqu'elle se met en couple, plus elle sera susceptible d'avoir des comportements ou expériences infidèles (Amato & Rogers, 1997; Atkins, Baucom, & Jacobson, 2001).

Le niveau d'étude a aussi un impact sur les comportements polyamoureux et infidèles. En effet, il existe une relation directe et positive entre le niveau d'éducation et l'infidélité (Atkins, Baucom & Jacobson, 2001). En parallèle de cela, Boyd indique dans son enquête qu'il y a une surreprésentation des personnes ayant un haut niveau d'étude vis-à-vis de la population globale : 37% des répondants ayant un diplôme universitaire de premier cycle, contre 17% de la population canadienne globale (voir Figure 3.1). Cela suggérerait que l'enseignement supérieur pourrait être associé à des attitudes plus libérales à l'égard de sa sexualité (Forste and Tanfer, 1996).

Après avoir brossé un tableau très succinct de ces enquêtes, nous pouvons néanmoins souligner qu'en définitive, il nous est pour le moment impossible de dire s'il existe une réelle corrélation entre ces différentes données. Pour l'heure, aucune étude quantitative n'a fait de lien direct entre les origines de l'infidélité et du polyamour. Cependant la redondance des données amène à se questionner sur ce potentiel travail d'analyse. D'autant plus que la vision de la fidélité change et pas uniquement chez les personnes polyamoureuses. En effet l'étude menée par YouGov montre (entre autres) que les jeunes sont davantage enclins à avoir des relations extra conjugales avec le consentement de leur partenaire (17% chez les moins de 45 ans contre 3% chez les plus de 65 ans). Les catégories de moins de 30 ans sont les moins enclines à avoir des relations totalement monogames (voir tableau 2) et à les envisager en temps que relation idéalisée (voir tableau 1). Les enquêtés de moins de 45 ans seraient

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également moins réfractaires à ce que leur partenaire ait des relations extraconjugales (voir tableau 5).

Ainsi, les nouvelles générations seraient plus enclines à repenser la structure traditionnelle du couple monogame exclusif.

Enfin, une dernière source quantitative que je compte mobiliser pour ce mémoire se trouve au sein de l'enquête «Counting polyamorists who count: Prevalence and definitions of an under-researched form of consensual nonmonogamy». Cette enquête, au-delà du fait qu'elle a fait un travail d'élaboration d'une donnée quantitative sur le nombre de polyamoureux aux États-Unis (qui serait ici de 1,44 million en 2014), permet aussi et surtout de donner différentes définitions du polyamour5. Ce qui sera très utile étant donné qu'un des objets d'étude de ce mémoire cherche à définir le moment où une personne se «définit» comme polyamoureuse.

C. Problématique

Conclusion de ces premières recherches

À travers la lecture de ces différentes enquêtes, j'ai remarqué que peu de recherches détaillaient les raisons amenant à devenir polyamoureux. La plupart des études sont de nature plutôt pédagogique qu'analytique ou sociologique, et traitent de la manière dont s'organisent les modes de vie polyamoureux, des différentes formes de polyamour, ou de la perception du polyamour par la société ou les polyamoureux eux-mêmes. Il existe très peu de données quantitatives fiables, que ce soit pour le polyamour (ce qui est assez compréhensible au vu de la "nouveauté" du sujet et du fait qu'il ne concerne aujourd'hui qu'une part très réduite de la population) ou encore pour l'infidélité (paradoxalement ici de par sa conception assez tabou et universellement connue de tous, posant la problématique de la pertinence de sa définition exacte).

En outre, il n'y a quasiment aucune donnée qualitative scientifique traitant des raisons et des trajectoires de vie amenant à devenir et se revendiquer polyamoureux, alors que le polyamour est avant tout une réflexion résultant de trajectoires de vie et d'expériences significatives (Sheff, 2014 : «Polyamory is not usually the first step outside of the box», soit la première «sortie de la norme» pour un individu). Ainsi l'objectif de mes recherches sera d'enrichir et consolider l'investigation scientifique de cette mouvance en étudiant les trajectoires de vie et les raisons amenant à devenir polyamoureux; soit répondre à la problématique suivante : quels sont les parcours de vie des personnes polyamoureuses ?

5 «We estimated the prevalence of polyamory when it was defined as: 1) an identity, 2) relationship beliefs/preferences, 3) relationship status, and 4) relationship agreements.» (Rubel, 2018)

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Cadrage méthodologique : la notion de «parcours de vie»

Une notion importante se dégage de cette problématique : celle du «parcours de vie». Cette notion définit ici un concept sociologique étudiant les événements, les étapes et transitions vécues par les personnes dans différents domaines de la vie. Le déroulement de la vie humaine s'inscrit dans un cadre socio-économique, historique et culturel; s'intéresser aux trajectoires et aux transitions biographiques permet de penser le parcours de vie en temps que fait social, «un ensemble de règles qui organise une dimension clé de la vie dans une société et un temps historique donnés» (Cavalli, 2013). Ainsi, se questionner sur l'existence d'»un» parcours de vie polyamoureux permettra de comprendre le façonnement de cette identité chez les individus, et ce à travers 5 axes principaux qui articulent notre conception et récolte des données :

- Le temps historique et le contexte

Les individus sont issus d'un contexte, évoluant au sein de structures sociales et institutionnelles. En fonction de l'âge et des générations, les facteurs socio-historiques et les normes n'auront pas le même impact. Les normes et injonctions dites «mononormatives» impacteront et marqueront différemment les discours et les trajectoires individuelles en fonction de l'époque de leur injonction.

- La temporalité des événements

Un événement ne sera pas perçu et vécu de la même manière en fonction de l'âge des sujets. Par exemple, se mettre en couple (qu'il soit ouvert ou non d'ailleurs) à 15 ou 30 ans n'aura pas le même sens et la même portée sur la personne concernée.

- Les vies liées

L'Homme, en temps qu'animal social, évolue au sein d'un réseau de relations sociales interdépendantes. L'existence de ce réseau implique la naissance de nouvelles opportunités ou au contraire, de nouvelles contraintes, pouvant se répercuter sur le parcours de vie des personnes. Cette composante est d'autant plus capitale étant donné que le polyamour se construit avant tout à travers ses rencontres.

- Le développement tout au long de la vie

Le polyamour, tout comme les autres formes d'orientation relationnelle, est un apprentissage. Celui-ci peut se construire notamment à travers la socialisation secondaire d'un individu, au fil de ses expériences et de ses déconstrutions de la norme (bien que nous le verrons, le polyamour prend également ses racines dans l'enfance des individus). Cette partie nous mène d'ailleurs au dernier axe d'analyse : l'intentionnalité.

- L'intentionnalité

Nous le verrons, le parcours d'un polyamoureux se compose de longues phases introspectives, de remise en question de sa destinée et de ses agissements. L'agentivité des

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polyamoureux renvoie ici à une dimension plus individualiste des parcours de vie, où les individus disposent en eux-mêmes d'une certaine marge de manoeuvre leur permettant d'agir au-delà des structures sociales et sociétales déterminantes.

D. Hypothèses

Différentes hypothèses se sont construites au cours de mes recherches. Elles structureront ce mémoire ainsi que ma grille d'entretien pour permettre d'amorcer des pistes de réflexion répondant à ma problématique.

Le polyamour est, entre autres, une façon de répondre à la question de l'infidélité et de la jalousie. Cette hypothèse se base notamment sur le fait que les partisans du polyamour croient que cette orientation relationnelle peut résoudre de nombreuses contradictions dans les relations intimes se posant dans la conjoncture historique actuelle (Anapol, 2010).

La définition de soi comme «personne polyamoureuse» n'est pas centrale dans la trajectoire des individus du fait d'une absence de référentiel au départ des parcours.

J'avais auparavant dans l'idée que les personnes polyamoureuses avaient une conscience forte de leur identité, ainsi qu'un véritable sentiment d'appartenir à une communauté polyamoureuse (répondant ainsi à leur sentiment de marginalité). Cependant, au fil du cadrage de ce sujet et des entretiens exploratoires, j'ai pu remarquer que les individus avaient de grandes difficultés à se représenter comme étant polyamoureux; par méconnaissance du terme, ignorance de ce qu'est le polyamour, voire par volonté de ne pas s'enfermer dans une catégorie trop fermée.

Les communautés polyamoureuses sont généralement d'abord liées à une ou plusieurs communautés LGBT et/ou ayant des idéologies religieuses et/ou politiques dites alternatives (paganistes, féministes, anticapitalistes), qui influeront la structure de leur orientation relationnelle.

En effet, il existe à ce jour plusieurs analyses liant les communautés polyamoureuses et d'autres identités, notamment BDSM, asexuelles, transgenres, queer, anarchistes ou féministes (Bauer, 2010). Deux explications majeures sont alors avancées. L'une avance que le fait de remettre en question certaines normes, telles que l'hétéronormativité, rend plus facile la remise en question de la monogamie obligatoire. L'autre explication souligne qu'il existe un certain nombre de valeurs culturelles partagées entre ces communautés - l'accent mis sur la communication et la négociation par exemple (Bauer, 2010). Mon hypothèse ici s'inscrit donc directement dans un courant déterministe, en affirmant que les structures sociales dans lesquelles s'inscrivent les personnes vont déterminer le type d'orientation polyamoureuse qu'elles adopteront et revendiqueront (anarchie relationnelle, polyamour solo,

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polyamour hierarchique, triade... Nous définirons également ces notions au cours de ce mémoire).

E. Protocole d'enquête

Comme nous avons pu l'annoncer précédemment, nous allons, dans le cadre de ce mémoire, nous intéresser à la réalisation d'entretiens récit de vie afin de pouvoir répondre à notre problématique. Afin de permettre une bonne approche de ce sujet, nous allons au cours de cette partie définir notre terrain d'enquête, les notions et approches que recouvre le terme de «récit de vie» ainsi que les moyens mobilisés pour contacter et rencontrer les enquêtés (lieu, anonymisation et moyen de contact). Enfin, je définirai dans un dernier temps mon positionnement au sein de ce sujet de recherche.

Les entretiens «récits de vie»

Étant donné la nature de notre problématique, traitant de la notion de parcours de vie, les entretiens réalisés sont des entretiens dits «semi directif» ou «narratif» (Bertaux, 1997). Ces entretiens sont des interactions au cours desquels mes interrogations se sont adaptées à l'échange en cours, permettant de faire émerger des thèmes précis au fil de la conversation. Les reformulations et «relances miroir» (Demazière, 2007) permettent de reprendre les propos de l'enquêté sans pour autant réorienter de façon trop abrupte les récits en cours en imposant aux personnes des catégorisations du monde préconçues.

Ma position théorique se rapproche de ce que Passeron définit comme un cadre d'analyse «ni déterministe ni individualiste», cherchant à « saisir la structuration des biographies à la fois comme un effet des structurations longitudinales » déterminantes sous-jacentes « et comme le produit [...] que l'action sociale des individus inscrit, en aval, dans [...] ces structures longitudinales » (Nossik, 2011; Passeron, 1990). Cette opposition aux approches purement déterministes et individualistes permet de saisir les éventuelles récurrences biographiques des parcours de vie, tout en les inscrivant comme étant le produit des interactions sociales des individus au sein de ces structures : «Le fait que ces récits servent à mettre en relation trajectoires individuelles et structures sociales apparaît comme acquis : la fonction des récits de vie est de permettre un recueil d'informations sur le parcours social des enquêtés.» (Nossik, 2011).

La direction de ces entretiens consista à croiser les positions objectives des enquêtés, leurs points de vue subjectifs exprimés, ainsi que leurs pratiques observées (Beaud, 1996). Il ne faut en effet pas oublier que «les récits de vie sont des «produits collectifs» (Mondada 2001) : co-construits par les interactants en présence, ils s'élaborent autour des «relations que la personne construit sous nos yeux, avec nous et pour nous, entre elle-même et son univers

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social» (Deprez, 1996). En bref, «recueillir la parole de l'interview, c'est recueillir une parole façonnée par l'interaction des l'interview» (Bres, 1999). En permettant à l'enquêté de ré-évaluer et de se réapproprier son histoire, en le co-construisant avec l'action et l'interrogation du chercheur, «le récit de vie nous rappelle tout simplement que subjectivité et lien social sont les deux pôles d'une dialectique fondatrice de l'individu.» (Nossik, 2011).

Présentation du terrain

Notre terrain d'enquête s'est concentré sur l'étude des communautés polyamoureuses en France métropolitaine, majoritairement situées à Paris. La limitation de l'enquête à cette ville n'était pas stricte, il s'agit surtout d'une limitation technique due à la survenue de la crise sanitaire et à ma condition d'étudiante. Au total 12 entretiens récit de vie ont pu être réalisés, d'une durée de 1h30 à 2h30 pour le plus long. Initialement, il était également question de réaliser une enquête de terrain au sein d'un «café poly» (réunion organisée généralement dans des cafés, où sont conviés polyamoureux ou simple curieux). L'idée aurait été de suivre les organisateurs de ces évènements, et d'observer les interactions, discussions et relations se tissant entre les individus. Malheureusement, la situation sanitaire n'a pas semblé très prompte à me laisser accéder à ce terrain là. J'ai donc concentré la base de mon travail d'enquête uniquement sur les entretiens narratifs. De part l'attachement de ma problématique à la notion de parcours de vie, j'eus à effectuer un nombre significatif d'entretiens permettant une analyse transversale des données qualitatives.

La prise de contact avec les enquêtés, du fait de la pandémie, s'est faite majoritairement en ligne, via les sites de rencontre (mon choix c'est porté sur Ok Cupid, choix que je détaillerai par la suite) ou des contacts de proches (étant souvent des «amis d'amis», ils constituent un réseau intéressant, même si peu diversifié sur le plan sociologique) ou des contacts d'enquêtés (qui constituent un réseau intéressant et riche de personnes interconnectées).

Ok Cupid est une application de rencontre américaine existant depuis 2004. La raison du choix de cette application réside dans sa grande diversité dans le choix des orientations sexuelles, relationnelles et des identités de genres, permettant ainsi de cibler plus facilement les personnes ayant des profils «non-monogamous» auto-identifiés. En outre, sa popularité grandissante -elle accueillait en 2020 plus de 50 millions d'utilisateurs- permet une plus grande diversité dans les profils rencontrés.

A l'image de l'étude «Perceptions of primary and secondary relationships in polyamory» réalisée par Rhonda N. Balzarini, l'utilisation de cette méthode de collecte de données m'a permis d'atteindre des personnes vivant dans des communautés et des relations marginalisées. Si la taille de cet échantillon ne peut permettre de justifier méthodologiquement des généralisations radicales, rappelons que «de sept à douze entrevues permettent généralement d'atteindre la saturation des données pour une étude exploratoire et qualitative (Mongeau, 2011, p. 92) comme la nôtre» (cf Lévesque, 2019).

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Les lieux des entretiens

Sur les 12 entretiens réalisés, 5 d'entre eux ont été réalisés en présentiel, sur Paris (soit au domicile des personnes, soit à mon domicile), les autres se sont fait en distanciel via la plateforme de discussion Zoom. Si le fait de mener les entretiens au domicile des personnes était un idéal, la conduite d'entretiens en ligne n'a pas constitué en soi un obstacle conséquent pour saisir la parole des enquêtés dans leur intimité6. Il faut rappeler également que si l'exercice de l'entretien peut être difficile en soi, il l'est encore plus lorsqu'il s'agit de dévoiler certains détails, parfois intimes, de son parcours de vie (d'autant plus sur un sujet aussi sensible que celui du polyamour) d'où l'importance de l'anonymisation.

Le problème de l'anonymisation

Une des problématiques fondamentales qui se pose pour tout entretien, c'est la question de l'anonymisation. À la fois catalyseur et inhibiteur, le chercheur tient un rôle ambivalent au sein des entretiens : il permet de libérer la parole tout en risquant l'écueil de l'autocensure. Or cette autocensure est d'autant plus forte lorsque les groupes ou personnes interrogés sont marginalisés et que le risque que la parole ait des répercussions néfastes est grand, ce qui est le cas des personnes polyamoureuses (souffrant de ce qu'on appelle la polyphobie). Ces craintes ont néanmoins été tempérées avant et pendant les entretiens en précisant que ceux-ci seraient anonymisés et que l'enregistrement de la prise de parole ne profitera qu'au chercheur. Il a été également très rassurant pour les enquêtés de pouvoir répondre à leurs éventuelles questions en leur assurant un total anonymat dans ce mémoire, ainsi définissant clairement auprès d'eux les objectifs de l'entretien (par téléphone ou par mail). Ainsi, tous les noms composant ce mémoire ont été modifiés afin de garantir l'anonymat des individus. Le choix des prénoms de substitution a été pensé en respectant les contraintes de générations, d'origine sociale et ethnique. De plus, certains enquêtés ont des prénoms d'origine volontairement mixtes (par volonté de ne pas s'enfermer dans un genre binaire «homme/femme»), j'ai donc respecté cette volonté en choisissant également des prénoms attribuables aux «deux» genres.

Positionnement du chercheur

Enfin, avant de débuter l'analyse de ces données, il me semble primordial de définir ici l'intérêt que je porte à ce sujet. Notamment du fait que dans le cas de la littérature polyamoureuse, les frontières entre les genres sont souvent floues. Si les premières

6 Bien que le fait d'interroger les personnes chez elles nous permet d'avoir un aperçu de leur univers, et que le cadre assez chaleureux et familier permet aussi une mise en confiance et une introspection plus facile et sereine.

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publications sur le polyamour étaient généralement fortement militantes, avec des écrits basés sur l'expérience (Anderlini-D'Onofrio, 2004), les oeuvres sociologiques plus académiques apparues ces dernières années sont, elles aussi, rédigées en majorité par des auteurs ayant personnellement des liens étroits avec les communautés polyamoureuses (Barker et Landgridge, 2010).

Étant moi aussi polyamoureuse et ayant appris l'existence de ce terme assez récemment, je m'inscris également dans cette mouvance tendant à comprendre les mécanismes qui animent ces relations. Bien que mon mémoire ne soit en aucun cas une oeuvre militante, il est nécessaire de souligner qu'il fut l'objet d'un long travail introspectif pour définir le plus justement possible ma place au sein de ce projet de recherche. Notamment du fait que mon travail d'enquête sera exclusivement composé d'entretien narratif, s'inscrivant dans un dialogue auprès des enquêtés, il était important pour moi de ne pas teinter mes questions et mon analyse de biais de jugement ou de raisonnement. Mon travail exploratoire et de cadrage fut d'ailleurs un ressort primordial pour affiner non seulement ma compréhension du sujet et ma problématique, mais aussi ma position en tant que chercheuse et que personne polyamoureuse.

Pour autant, comme l'a souligné Laplantine (1996), le premier outil de l'enquête ne peut être que le chercheur. Mon influence sur mon terrain était donc inévitable, mais c'est ce qui donna, à mon avis, de la richesse à cette enquête. Une des caractéristiques importantes de mes entretiens est qu'ils n'étaient pas unilatéraux : un véritable dialogue s'instaurait entre moi et l'enquêté. Mes questions, mes réflexions et mes expériences ont non seulement permis de dégager une parole plus libérée, mais aussi de faire naître de nouveaux thèmes et de nouvelles questions qui ne se seraient pas posés si je n'avais pas fait part de mes expériences et interrogations personnelles. D'un point de vue purement éthique, je trouve également que les entretiens narratifs, en cela qu'ils impliquent que l'enquêté se «mette à nu» -en racontant aussi bien ses expériences que ses échecs, ses doutes et ses erreurs- gagnent en intérêt et en profondeur lorsque l'enquêteur est capable d'atteindre le même niveau d'introspection. Il ne s'agit pas ici de remplacer ou de supplanter le discours ou la réflexion de l'enquêté, ni de se forcer à se dévoiler entièrement à lui, mais j'ai pu constater qu'ouvrir sa parole et dévoiler mon regard de «chercheuse polyamoureuse» a permit non seulement de rassurer les personnes sur les véritables intentions de mon enquête, mais aussi de creuser davantage «ensemble» nos réflexions et nos interrogations qui, même si elles divergeaient dans leur nature et sur leur origine, trouvaient néanmoins en leur sein des horizons communs.

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Partie II

Les parcours de vie polyamoureux

A. Les profils des enquêtés Profil et angle mort

Pour débuter cette analyse, intéressons-nous d'abord au profil des enquêtés7. Les 12 personnes interrogées sont de nationalité française, et ont entre 25 et 47 ans (parmi lesquelles

6 ont entre 29 et 32 ans). Ce fait est d'ailleurs un des angles morts que je détaillerai un peu plus loin dans cette partie.

Le niveau d'étude des personnes interrogées est globalement élevé. 4 des personnes interrogées ont ou sont en train d'effectuer une thèse et 7 d'entre elles ont entre le BAC+3 et le BAC+5. Une personne a elle commencé à travailler après un BAC+2.

Les professions des enquêtés sont d'ailleurs assez similaires, ayant pour la plupart des affinités avec les secteurs créatifs, littéraires et des nouvelles technologies. 3 personnes exercent ou ont exercé le métier d'infographiste dans le secteur du jeu vidéo (à noter que ces profils n'ont pas de liens entre eux). Il est intéressant de noter aussi que 4 des personnes interrogées ont été ou sont actuellement pleine reconversion et sont donc à ce jour dans une redéfinition de leur profession et de leur perspective d'avenir (permaculture, charpentier de marine, professeur de musique et gestionnaire d'un café rural itinérant).

Les origines familiales des enquêtés sont également diverses. Relevons quand même que leurs parents sont en grande majorité en couple monogame exclusif, sinon divorcés, issus pour la quasi-totalité de la classe moyenne. Les pratiques religieuses et affinités politiques sont, elles, très variées (allant de «catholique pratiquant» à «athée»; «d'anarchiste» à «concervateur»).

Sur les 12 personnes interrogées, 8 personnes se déclarent cisgenres (5 hommes et 3 femmes), 2 transgenres (1 femme et 1 homme), et deux se disent explicitement non-binaires, préférant être genrées au masculin neutre dans les deux cas, l'un privilégiant l'utilisation du pronom «iel» que j'utiliserai donc pour ce mémoire. L'orientation sexuelle définit est hétéroclique : 8 personnes se revendiquent bisexuelles, 1 pansexuelle et 3 hétérosexuelles (à noter que ces trois dernières personnes sont tous des hommes cisgenres). En outre, deux des enquêtées se déclarent ouvertement neuroatypiques, l'une ayant été diagnostiquée avec un TSA (trouble du

7 Voir en annexe le document «Présentation Sociodémographique» pour une présentation plus exhaustive du parcours relationnel et sociodémographique des enquêtés.

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spectre autistique) et l'autre avec un TDAH (troubles de l'attention avec ou sans hyperactivité). La revendication de ces troubles cognitifs différant de la norme aura d'ailleurs un lien tout particulier avec l'expression du polyamour. Nous le verrons dans la suite de ce mémoire.

Au niveau géographique, 6 des profils interrogés résident à Paris, ce fait étant directement en lien avec l'utilisation du site de rencontre Ok Cupid comme moyen de prise de contact. Au total, 4 des enquêtés parisiens ont été rencontrés via ce site de rencontre (qui se base sur le positionnement géographique de ses utilisateurs), les deux autres profils sont respectivement une des relations d'un des enquêtés parisiens et un contact personnel issu de mon entourage. Les 6 autres répondants quant à eux sont des «amis d'amis» ou des «relations d'amis d'amis» que j'ai pu rencontrer au cours de mon enquête. L'avantage amusant qu'il y a à étudier cette communauté étant que les personnes polyamoureuses ont généralement plusieurs autres connaissances polyamoureuses dans le cercle de leur relation, facilitant ainsi les prises de contact :

Nicolas : «Si tu as besoin d'un entretien avec eux, ils ont vraiment beaucoup bossé sur la question. C'est sûr que ce qui est pratique c'est que si tu as besoin d'échantillons il y en a !

Tu en vois un tu en as plein !»

Ce qui nous conduit à un autre point qu'il me semble important d'aborder ici : les liens présents entre les différents participants. Certains des enquêtés interrogés sont, à la base, des contacts qui m'ont été transmis lors de mes entretiens. Ainsi, afin de clarifier le statut de chacun de ses enquêtés, voici une présentation succincte des relations établies : Lilou, Jérémy et Camille sont dans une relation à trois, ou «trouple», Léna et Nicolas relationnent ensemble, et Roxane et Antoine relationnent ensemble. Au-delà de ces relations, les personnes interrogées ne se connaissent pas entre elles. Ainsi, de par l'existence de ces différents liens, certains discours et vécus entrent en résonance les uns avec les autres, bien que la proximité relationnelle ne soit pas la seule cause de ce fait.

En outre, ce panel, bien qu'exploitable dans le cadre de ce mémoire, reste réduit vis-à-vis de la population étudiée et contient certains angles morts. Bien que cela n'invalide pas l'intégralité de ces recherches, il est nécessaire de replacer cette étude dans son contexte. Soulever ses limites permettra de clarifier l'interprétation de ces données tout en offrant un cadre de réflexion clair et explicite.

Trois angles morts sont discernables dans cette enquête. L'un étant lié à l'âge des enquêtés (se regroupant entre 25 et 47 ans), l'autre à leur race8 (quasi exclusivement caucasienne) l'autre à leur orientation sexuelle (majoritairement hétérosexuelle ou bisexuelle). Au cours de

8 L'utilisation ici de la notion de race n'est bien évidemment pas liée au sens biologique du terme, mais comme étant une construction sociale ayant des effets sociaux, notamment en termes d'inégalités sociales et de discriminations (Fassin D., Fassin E.).

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mon enquête, j'eu beaucoup de difficultés à contacter des polyamoureux sortants de ces différents cadres, la situation sanitaire n'ayant pas facilité les choses, m'obligeant à ne prendre contact que par le biais des réseaux sociaux. Pour autant, la tenue de «cafés poly racisés» ainsi que d'une littérature consacrée à l'aspect intersectionnel du polyamour et la racisation (Patterson, 2018) montre bien l'existence de ce fait :

Camille : «Je comprends très bien pourquoi il y a des groupes non mixtes hein, c'est pas un mystère. C'est le même racisme systémique qui s'implique, j'imagine que ça évite aussi d'être

objectifié. [...]. Après j'imagine que les gens qui ressentent ça sont probablement les gens qui auront pas particulièrement envie de parler à une chercheuse blanche (rire) !»

Bien que selon Lévesque (2019) la communauté polyamoureuse soit décrite comme regroupant une majorité d'individus « white, well-educated, and middle to upper-middle class » (Sheff, 2014), en plus de n'être que faiblement représentée par ceux « in exclusive/y same-sex relationships » et les « working-class people » -ce qui pourrait en soi expliquer la récurrence de certains profils- l'étude des parcours de vie polyamoureux sera donc nécessairement à confronter à ces différentes limites.

Des événements déclencheurs de la non-exclusivité

L'apparition du polyamour s'inscrit dans une époque marquée par de nombreux bouleversements : «la désynchronisation entre le début de la vie sexuelle, celui de la vie en couple et l'arrivée d'enfants [ne cesse] de se renforcer depuis plusieurs décennies au profit de l'apparition de relations plus ou moins inédites : cohabitations de courtes durées, relations amoureuses non cohabitantes, polyamour, déclaration croissante de rapports avec des personnes de même sexe, etc.» (Rault et Régnier-Loilier, 2019). Pourtant si les nouvelles générations semblent plus mouvantes et moins déterminées dans la réalisation de leur identité (amoureuse, sexuelle, relationnelle), elles évoluent néanmoins dans une société encore très fortement marquée par des normes hétéronormatives et mononormatives, que ce soit via les anciennes générations ou d'autres instances de socialisation comme la familles, les médias ou l'école (on remarquera d'ailleurs que dans deux entretiens Benjamin et Soan citeront les dessins animés (et notamment les Walt Diney) comme étant vecteurs de normes). Le contexte actuel français invite à penser et construire son avenir amoureux à travers ces normes :

Soan : «Que ce soit conscient ou inconscient ça reste compliqué, et de toute façon culturellement tu peux le voir. Le truc c'est que même en ayant pas connu mes parents ensemble, bah j'ai regardé les Walt Disney comme beaucoup. J'ai grandi avec « Quand Harry rencontre Sally », les comédies romantiques et tout ça qui idéalisent beaucoup le... «Ouais c'est cette personne avec qui on est destiné». Donc j'ai grandi avec ces idées en tête.»

Benjamin : «Ily a 10 ans je découvrais le couple. Y'a 10 ans j'étais en couple depuis 2 ans. J'avais appris ce que papa maman m'avait dit, ce qu'on m'a appris dans les films à l'école et

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c'est tout. Mais je connaissais rien du couple en fait. [...] Moi on m'a dit «un couple c'est deux personnes c'est comme ça», bon bah je me suis dit «ben c'est comme ça, je vais faire ça»

Pourtant, c'est aussi au cours de l'enfance que se posent pour la première fois des questions sur la pertinence de certaines normes qui pouvaient, parfois, entrer en contradiction avec certaines réalités vécues :

Soan : «Quand j'étais petit, donc c'était un peu avant d'être adolescent, dans les années 80, j'avais vu une émission à la télé sur les couples, et j'avais entendu un témoignage qui m'avait vachement marqué. Le gars racontait qu'il n'avait plus de désir pour sa femme, et qu'il était allé voir ailleurs, et quand il est allé voir ailleurs en fait son désir pour sa femme est revenu. Et ça, ça m'est arrivé ce truc, et franchement... je ne comprends pas. Mais c'est une réalité.»

Pour Agathe, il s'agissait surtout de ne pas croire à «l'amour éternel, à une relation qui restera toujours la même jusqu'au mariage, jusqu'aux enfants, jusqu'à la retraite». Bien que ses parents soient mariés et qu'il n'y ait «quasiment aucun divorce dans la famille», elle ne s'est jamais sentie proche de cette orientation relationnelle.

La construction de cette morale polyamoureuse semble prendre racine jusque dans l'enfance. Pourtant, c'est à la suite d'un événement bien défini que va se définir le «nouveau couple». Un des points communs existant chez un part des enquêtés (7 profils sur les 12 interrogés), c'est que leur polyamour s'est construit alors qu'ils étaient en situation de couple. Ces couples, auparavant définit comme étant une relation «classique» (c'est-à-dire monoamoureuse exclusive : être en relation avec un seul partenaire) vont connaître plusieurs événements majeurs qui vont transformer leur relation et impacter durablement leur vision des relations amoureuses, voire des relations en général.

Pour Soan et Léna, l'ouverture du couple va arriver à un moment bien précis de leur relation, à savoir l'arrivée d'un enfant.

Soan : «Notre sexualité après l'accouchement a vraiment chuté. C'est quelque chose qui est assez répandu, mais elle le vivait pas bien. Et donc c'est elle qui a amené le sujet. Il était pas évident à amener, mais c'est aussi parce qu'on a pu en parler avant qu'elle m'a dit «ça peut pas continuer comme ça, j'ai besoin d'air, j'aimerais qu'on puisse être libre d'aller voir où on veut»... Et puis j'ai dit oui !»

Léna : «Quand j'ai été enceinte, j'ai éprouvé un besoin de ouf de me sentir désirée, de me

sentir aimée de bla-bla-bla. J'avais un copain qui me disait «hey ça peut-être cool qu'on ouvre ensemble» et moi je me disais «ah bah ouais ça serait franchement cool que je découvre quelqu'un d'autre».

Ici, c'est la paternité et la maternité qui a été le moteur de l'ouverture. Dans les deux cas, il s'agit dans un premier temps d'ouvrir son couple à une non-exclusivité sexuelle uniquement, afin de pallier un besoin ou un manque affectif et sexuel.

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L'ouverture du couple peut également être liée à la mise en place (volontaire ou non) d'une relation à distance, liée au travail ou aux études. Pour Benjamin9, Alex et Antoine, l'ouverture du couple s'est faite avec la mise à distance du couple. Commencer cette ouverture à distance a «facilité» la non-exclusivité pour Antoine. Le fait que de nombreux étudiants entretiennent des liens avec des partenaires amoureux ne vivant pas dans la même zone géographique (Waterman, 2017) pourrait également corréler avec le fait que la plupart des personnes polyamoureuses interrogées aient fait de longues études. Cette «obligation» de la relation à distance se retrouve également au niveau professionnel, notamment au niveau académique :

Jérémy : «Au niveau académique c'est assez fréquent les relations à distance parce qu'il a des problèmes de trouver du travail et ne pas avoir de postes permanents forcément et de ne pas choisir forcément où il sera, si tu l'as un jour.»

Privilégier la relation à distance est également une première expression d'une volonté d'autonomie, mettant en avant la carrière plutôt que le couple, en ne faisant «jamais de concessions [...] surtout pour les études» (Agathe). Pour elle, la construction d'une relation non-exclusive s'est également faite à distance, mais cette fois-ci à travers la rencontre par son partenaire d'une tierce personne. De la même manière, la rencontre d'une nouvelle relation pour un des membres du couple «toucha à l'essor du polyamour» pour Camille, car cela l'a ammené à se questionner sur la notion d'infidélité :

Camille : «J'avais fini par lui dire «mais écoute finalement ça fait plus d'un an qu'on est ensemble que ça marche bien et que en fait tu flirtes avec d'autres personnes quoi donc si tu veux on dit que c'est ok. On décide qu'est-ce que c'est la limite pour nous et puis on dit que c'est ok parce que de toute façon c'est ça qu'on fait! Finalement pour moi ce sera moins de stress de savoir que c'est ok.»

Ainsi, on remarque qu'il y a toujours pour les couples une raison, un élément déclencheur -la parentalité, la relation à distance ou la rencontre d'un autre partenaire- justifiant cette décision, sans que pour autant le couple soit obligatoirement dans une mauvaise passe, car comme l'a précisé Benjamin, son libertinage a été pensé alors que «tout allait bien dans [son] couple».

Selon Conley et Moors (2014), cette configuration relationnelle permettrait d'alléger le couple, puisque la responsabilité de combler les besoins sexuels et affectifs d'une personne n'incomberait plus seulement à un·e partenaire. Pour Roxane, cette réflexion s'est posée avant sa rencontre avec Antoine, car cela «faisait un petit moment que d'un point de vue sexuel [elle] ne s'y retrouvait pas» avec son partenaire. Elle a donc commencé par lui parler de «relations libres d'un point de vue sexuel». Pour Soan, accepter l'ouverture du couple était un moyen pour sa partenaire de «chercher ailleurs ce qu'elle n'avait pas avec [lui]».

9 Le fait «d'avoir une vie sexuelle avec d'autres gens» a d'ailleurs été pour Benjamin le début de ce qu'il nomme le «libertinage».

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Lilou : «J'ai un peu déconstruit ce truc de «je dois être absolument parfaite pour cette personne, lui apporter tout». Donc là du coup je pense que tout ça m'a un peu libéré. Je ne peux pas lui apporter tout, mais en fait je peux lui apporter «moi», et c'est bien moi en fait !»

D'ailleurs dans le cas de Soan, la décision du couple libre vient d'une réflexion assez profonde qu'il a pu mener bien avant cette prise de décision, à la fois personnellement, mais aussi avec sa partenaire :

Soan : «Donc en fait quand j'ai rencontré ma compagne, assez rapidement -je pensais que j'étais discret, que ça se voyait pas- mais elle me disait «ouais tu mattes beaucoup quand même». Je me suis dit «oh merde! Pourtant je fais beaucoup d'effort», et bah du coup je lui ai dit «je vais être sincère avec toi», on était pas du tout encore en mode couple libre mais je lui ai dit: «je trouve que c'est normal de mater et en fait tu devrais faire pareil». Parce que si t'y réfléchi bien est-ce que tu crois que quand tu te mets avec quelqu'un toutes les autres personnes vont devenir moches ? [...] le fait que je trouve d'autres personnes belles, mais que je sois avec toi, c'est aussi ça qui te donne ta valeur.»

Les premières réflexions amorçant le polyamour peuvent donc se réaliser en couple. Mais ce n'est pas pour autant une constante. Il peut s'agir également de rencontrer un autre partenaire qui, lui, est déjà polyamoureux. Lorsque Jérémy, puis plus tard Lilou, feront la connaissance de Camille, celui-ci se présentera à eux «très tôt» comme étant non-exclusif (en «gardant ses amants») ou polyamoureux. Pour Jérémy la mise en place du couple libre n'a «pas posé de problème» et n'a «jamais vraiment [été] remis en cause», bien qu'il désirait «rapidement une relation qui était romantique». Lilou s'est aussi rapidement «sentie à l'aise avec ça». La mise en place d'une relation ouverte peut également être le fruit d'une réflexion théorique, en accédant à un certain «savoir» qui permettra de construire une relation «en expérimentant et en se donnant beaucoup de marges et en réadaptant les normes» (Vincent). Si sa construction se fait à contre-courant des normes et valeurs «dominantes», elle est également le fruit de rencontres qui vont amener l'individu à repenser son système de normes et de valeurs, ainsi que les règles construisant au préalable sa relation ouverte. Pour Benjamin, cela se fera par la rencontre avec des «filles avec qui ça a collé beaucoup beaucoup plus», ce qui lui fera comprendre qu'il n'y a «pas de barrières strictes» entre l'amitié et l'amour et «qu'il n'y a que des curseurs». Cette réflexion fera également prendre conscience à Soan qu'il agissait contre sa façon de penser :

Soan : «J'ai effectivement rencontré une personne, et ça a été assez perturbant pour moi parce que ça a changé beaucoup de choses dans ma vision d'amitié. Bon je vais être un peu cru là mais au début j'étais dans le délire «je vais tirer mon coup ouais yes !» (rire). Mais en fait quand j'ai rencontré la personne je me suis rendu compte que c'était impossible pour moi. Je me suis dis... je suis pas comme ça en fait.»

Ainsi, ici le polyamour est le fruit d'une déconstruction par étape. Tout d'abord, avec la mise en place d'une relation libre, faisant généralement suite à un événement ou rencontre venant bouleverser le couple et/ou les normes de l'individu. Puis, suite à cette remise en question de l'exclusivité sexuelle, s'impose petit à petit l'idée d'une non-exclusivité relationnelle, en ne

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cherchant pas ou plus à «essayer de décider ce qui est romantique et ce qui n'est pas romantique» (Camille). Ici la pensée «polyamoureuse» succède à la pensée «libre». :

Agathe : «J'ai l'impression qu'à chaque fois le début du polyamour c'est un peu un truc un peu bouleversant. [...] Le polyamour, ça arrive très tard je trouve dans l'expression d'un type relation. On va toujours dire au début que c'est genre un couple ouvert.»

Le premier pas en dehors de la boîte

Une étude guida une partie de mes recherches sur le polyamour et alimentera même l'une de mes hypothèses. Réalisée par Elisabeth Sheff et publiée en 2014, cette recherche affirme la chose suivante : «polyamory is not the first step outside of the box». En effet, il existe à ce jour plusieurs analyses liant les communautés polyamoureuses à d'autres identités, notamment BDSM, asexuelles, transgenres, queer, anarchistes ou féministes (Bauer, 2010). Cette «affinité» pour les modes de vie, relations et orientations «hors normes» semble ici complètement se retrouver à travers le discours des enquêtés.

Ainsi, pour Léna, la déconstruction des différentes normes liées au genre, à la sexualité et au couple a commencé très tôt au lycée. La découverte de sa bisexualité en «tombant amoureux d'une fille» a été «une espèce de bouleversement» et a «peut-être marqué la première réflexion». Pour Lilou, le hors norme serait la norme dans le polyamour : les véganes et bisexuels étant «plutôt majoritaires». L'influence du véganisme dans le choix de vie polyamoureux est «assez clair» pour Camille, car pour lui «le végétarisme a été la première grosse sortie de la norme» en l'invitant à «repenser [sa] relation à la norme en général» et à se «politiser». Il renchérit d'ailleurs en expliquant avec ironie que c'est «peut-être aujourd'hui le truc le moins bizarre chez [lui]» : «C'est le végétarisme qui m'a fait me poser des questions sur le féminisme, aussi bizarre que ce soit dit comme ça.»

Pour Agathe, les premières déconstructions furent liées à son rapport à son corps et à sa féminité. Ayant «fait du vaginisme10 pendant des années», elle apprit à «construire la relation sans forcément penser à la sexualité». Cette «sorte d'asexualité» l'a fait délier «très tôt» sexe et amour. Pour autant, le polyamour est arrivé «un peu plus tard après ces démarches de déconstruction». Il s'agissait, là aussi, d'une «réflexion sur [elle-même]». Les réflexions féministes sont également vectrices de nouvelles normes pour Camille, en cela qu'elles engagent «une réflexion et un processus pour essayer de changer et de mieux comprendre les choses», ce qui impactera de fait «toutes [les] relations amoureuses et amicales, et donc

10 Le vaginisme est une contraction involontaire des muscles qui entourent l'orifice vaginal chez la femme ne présentant aucune malformation des organes génitaux. La contraction des muscles rend le rapport sexuel ou toute activité sexuelle impliquant une pénétration douloureuse ou impossible. ( msdmanuals.com)

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forcément aussi les relations polyamoureuses». Nicolas, lui, inscrit comme premier palier dans ses étapes de déconstruction le «moment où [il a] fait sauter cette première relation normée», «dynamitant» l'idée de construire une relation «en couple standard".

En suivant cette logique, la remise en question d'une norme revient alors pour Léna à mettre le doigt dans l'engrenage et à «se questionner sur ces normes là, au fur et à mesure». Son questionnement sur son «genre» est très «lié à [son] polyamour et au fait [qu'iel] soit bisexuel, car «tout s'imbrique quand tu questionnes toutes les normes sociétales qui sont là de base. Tu finis par te questionner sur tout». Ce qui d'ailleurs amène pour Camille à un «cumul» de l'hors-norme : «je me dis «mais il peut pas y avoir un truc où je rentre bien dans la norme quoi !» [...] la personne trans, végan avec deux +1 !» :

Camille: «En fait, une fois que tu as remis en cause un truc des grosses normes de la société et que tu as fait tout ce boulot, tu es vachement plus enclin à envisager de remettre en question d'autres trucs. Et donc tu peux prendre plein de choses dans ta vie, peut-être des choses qui te contraignent ou des choses où tu ressens de la dissonance cognitive, ou des choses dont tu as l'impression que ça mérite réexamen.»

Cette déconstruction est perçue d'ailleurs comme étant «de plus en plus facile» pour Agathe. Même s'il ne semble pas y avoir pour elle de «cause primordiale" venant se placer avant toutes les autres :

Agathe: «Par exemple moi je suis pas spécialement végétarienne, j'ai découvert le BDSM après le polyamour. Ce que je veux dire c'est que c'est pas forcément des causes qui m'ont amenée là, mais plus une déconstruction de notre société.»

Pourtant, bien qu'il ne soit perçu pour beaucoup comme étant le premier engrenage de cette chaine de déconstruction, Roxane et Lilou perçoivent le polyamour comme un espace privilégié d'exploration des normes, qu'elles soient sexuelles ou de genres. Pour Roxane, son attirance pour les femmes s'est toujours vécue «de manière assez ténue et refoulée» du fait de son éducation. Mais le fait de n'être plus coincée «dans une relation monogame exclusive hétérosexuelle» l'invite à penser que «c'est quelque chose [qu'elle va] pouvoir explorer par la suite». Lilou décrit ses questionnements sur son «expression de genre» comme «une révolution dans [son] cerveau», expliquant que le polyamour a eu «un énorme rôle à jouer» du fait qu'une «relation à trois est souvent une relation bisexuelle».

Toutefois, ces réflexions semblent avoir certaines exigences en termes de temps et de motivation notamment. Pour Roxane, il est primordial d'avoir des «convictions fortes pour pouvoir s'assumer et se lancer dans ce schéma du polyamour qui n'est pas du tout cautionné par notre société actuelle». Il y aurait donc «un lien», «pas forcément direct», avec les autres idéologies et convictions, comme le fait «d'avoir une sexualité qui est justement aussi hors norme». Nicolas insiste, lui, sur la notion de «temps» et de «motivation» pour «développer toutes ces idées floues qui traînent dans la tête».

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Ainsi, la remise en question de certaines normes -que ce soit sur les pratiques alimentaires, l'hétéronormativité, les normes de genres ou de cisnormativité- peuvent rendre plus facile la remise en question de la monogamie obligatoire (Bauer, 2010). De plus, l'existence d'un certain nombre de valeurs culturelles partagées entre ces différentes communautés conduisent plus facilement à repenser cette norme.

L'influence des groupes

L'existence de groupes de socialisation «alternatifs» dans lesquels s'inscrivent les individus a une réelle influence sur leur orientation relationnelle. Barker (2005) et Bauer (2010) ont ainsi suggéré que les communautés polyamoureuses et BDSM partagent des valeurs similaires de consensualité, de communication et de sécurité, ainsi que des transgressions similaires des modes de relation standard. Carlström et Andersson (2019) nous le résument ainsi : «cela constitue des espaces queer -des pratiques de création de lieux et de communautés étroitement liées aux sujets queer- mais pas de manière essentielle». Dans une culture fortement marquée par les normes monogames, ces communautés peuvent signifier une plus grande liberté car leurs activités ne sont pas considérées comme de la monogamie (Carlström, Andersson, 2019). Nicolas précise également que de par sa rencontre avec les communautés féministes, gays et BDSM, il commencera à «avoir accès à un savoir» qui lui permettra de «commencer une relation avec une personne qui est ok [...] pour une relation ouverte».

En outre, la métaphore de Benjamin liant polyamour et végétarisme est particulièrement intéressante, puisqu'il en vient à lier deux normes différentes qui pourtant disposent des mêmes contradictions (avoir de l'affection pour un animal mais pourtant manger de la viande; devoir exprimer ses sentiments et être honnête avec soi même mais se forcer à n'avoir de désir que pour une seule et même personne) :

Benjamin : Pour le végétarisme y'a pas d'expérience particulière qui m'ont poussé à être végétarien, si ce n'est que quand j'étais petit je regardais des Disney et que j'avais du mal à me dire qu'on pouvait aimer «Rox et Rouky» et qu'en fait Rox et Rouky on les a peut-être bouffé à midi quoi. Et c'est pareil en fait, moi dans la vie on m'a appris que c'était bien d'aimer les gens, que il faut pas se cacher des choses et enfouir des choses tout au fond de soi, et bien ces principes de base m'ont amené à devenir polyamoureux.

Pour Lilou, l'arrivée du végétarisme est d'ailleurs directement liée à son arrivée dans un «groupe de potes où tout le monde était végétarien, où il y avait plein de trucs en dehors de la norme». La présence d'un «fond écologique très très fort» et le fait de partager des repas ensemble -«c'est un truc très social»- l'ont conduite à changer ses normes :

D'autres fois, l'influence vient directement de la rencontre avec une personne qui sera porteuse de nouvelles normes et de nouveaux mots. C'est par exemple l'amie d'enfance de Camille qui lui a introduit de nouvelles idées «improbables» dans lesquelles il se «retrouvait bien». C'est elle qui lui parla en premier du végétarisme et de la non-exclusivité :

Camille : «On a une dynamique un peu comme ça où elle a toujours une idée à la con, et après moi ça me tombe dessus et au début je me dis «c'est quoi ce truc, n'importe quoi !» et

trois ans plus tard je suis à fond dedans six fois plus qu'elle ne l'a jamais été.»

Ces rencontres vectrices de nouvelles normes sont également rassurantes pour les personnes car elles rendent tangibles et valides leurs ressenties et leurs expériences. Agathe décrit ainsi son premier pas dans le «milieu des relations libres» grâce à une discussion avec un ami et son «copain». Ce fut pour elle une prise de conscience qu'il «existait vraiment une communauté dans les relations libres, dans le libertinage», et que «la sexualité n'était effectivement pas forcément liée à l'amour et [qu'elle] n'était pas la seule à le penser»: « En fait il y avait vraiment une histoire du «tu n'es pas seule».

Pour Léna, ce fut sa relation avec son conjoint (mari et père de son enfant) qui lui a permis de «beaucoup grandir» en «déconstruisant plein de choses tous les deux en même temps», comme «le couple, les relations, les rapports hétéronormés, le genre».

Léna : «En l'accompagnant dans ce mouvement-là moi aussi je me fluidifie; du coup y'a vraiment ce truc où on se renvoie en miroir assez facilement. Je pense que ma construction

elle s'est beaucoup faite avec lui en fait.»

Lilou quant à elle, soutient que le fait de sortir avec deux hommes «qui sortaient déjà ensemble» l'a «complètement libéré au niveau de la déconstruction de genre».

L'influence des groupes pourrait également être étendue à un niveau plus large. Ainsi, l'arrivée dans la ville de Paris a progressivement permis à Agathe de se créer un réseau polyamoureux. Elle voit la capitale comme étant le foyer des luttes «tous milieux militants confondus», permettant une grande mixité sociale et culturelle, notamment du fait de la multitude de sites de rencontres : «alors que quand il n'y a que des petits bourgs à des centaines de kilomètres à la ronde bah pour date c'est pas facile». Sa première approche du terme «polyamour» se fit d'ailleurs à Paris, au travers de discussions.

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B. Trajectoires et diffusions des valeurs

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Diffusion du polyamour : Internet et La salope Ethique

Ce n'est un secret pour personne, l'influence d'internet sur notre quotidien et notre rapport au monde est colossale. «Internet a bouleversé la vie quotidienne et la gestion des entreprises, a transformé les relations économiques et sociales, a modifié les rapports entre les pays et les hommes, il est devenu le média qui a connu la plus forte croissance de l'histoire de tous les moyens de communication» (Niel, Roux, 2012). En outre, il changea profondément notre accès à l'information, au savoir et à notre rapport aux autres. L'analyse de Sheff fait écho à ce phénomène en arguant que «The Internet has revolutionised things for sexual minorities in general. It offers people a way to find out about it, and it offers people a way to find partners.» (citation dans Pappas, 2013).

Ainsi, si avant le début des années 90, le manque de repères polyamoureux pouvait mener des individus non-monogames à se revendiquer sous une pluralité de termes11, ce manque semble aujourd'hui comblé «avec le développement d'Internet ainsi que l'émergence d'une multitude de plateformes d'échange (sites, blogs, groupes de discussion, etc.) ayant contribué à la consolidation de l'identité et de la communauté polyamoureuse». (Lévesque, 2019).

Au cours de notre enquête, au-delà de l'usage d'internet, la moitié des personnes interrogées citèrent également au cours de leur entretien, le nom de «La Salope Éthique». Co-écrit par Dossie Easton et Catherine A. Liszt, l'ouvrage parut en anglais en 1997 sous le nom «The Ethical Slut: A Guide to Infinite Sexual Possibilities» et ne fit son entré en France qu'en 2013, sous le titre «La Salope Éthique : Guide pratique pour des relations libres sereines». L'ouvrage, destiné aux néophytes, explique comment fonctionnent les relations non exclusives à long terme, tout en donnant des conseils pour les mettre en pratique. Décrit comme étant «le» livre de référence (Noël, 2006), ou tout du moins, la première étape vers la découverte et la théorisation du polyamour, son utilisation s'observe de différentes manières à travers les témoignages des répondants.

Pour Léna par exemple, la lecture de «La Salope Éthique» fut une mine d'information, leur permettant d'apprendre l'existence de différents mots de l'univers polyamoureux, tels que la «compersion12». C'est aussi ce livre qui amorça la mise en place d'un nouveau mode de relation, passant du «libertinage»13 et de «l'échangisme» à l'expérimentation de relations «chacun de [son] côté». Nicolas s'intéressa au polyamour «à force de discussions politiques» et de côtoyer les milieux BDSM, gays et féministes. La combinaison de cet ouvrage et de forums de discussions polyamoureux a constitué les bases de sa documentation. Pour Océane,

11 Tels que «utopian swinging», «modern polygamy», «waterbrotherhood» (Alan, 2007) ou «camaraderie amoureuse» pour citer un exemple francophone.

12 La communauté «Compersion» présente sur le site internet «Livejournal» définit cette émotion comme étant: «Le sentiment de ressentir de la joie dans la joie que les personnes que vous aimez partagent entre elles. Surtout le fait d'apprécier savoir que vos bien-aimés expriment leur amour les uns pour les autres» (modérateurs, Livejournal, 2003)

13 Le mot «polyamour» lui fut révélé pour la première fois par des amis avec lesquels iel et son conjoint avaient libertiné.

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l'apprentissage de la non-exclusivité se construisit à travers la lecture et les discussions qu'elle avait sur le sujet avec une de ses relations :

Océane: «On avait un peu un fantasme, on lisait un peu trop de Simone de Beauvoir et du coup il y avait des histoires d'amour multiples, des relations transatlantiques et des trucs comme ça qui flottaient dans l'air. C'est elle qui m'a parlé de «La Salope Éthique» par exemple, en disant qu'il y avait des ressources et qu'on pouvait réfléchir dessus.»

Pour Antoine, l'ouvrage a également eu un usage pratique pour diffuser et faire connaître le polyamour à ses proches. Transmis d'abord par une amie ouverte sur le couple libre, il en fit la lecture avant de le transmettre à son tour à Roxane pour lui faire connaître l'existence de ce type de relation. Plus tard, il partagea aussi ce livre à sa famille, notamment à sa mère, afin qu'elle puisse le comprendre, même si selon ses mots, «elle n'est pas du tout dans le délire». Dans le cas d'Alex, c'est son colocataire qui apporta ce livre pour pouvoir «entre autres parler de relations amoureuses autres qu'exclusives». Le livre fait alors ici figure de point d'accroche pour ne pas aborder le sujet de but en blanc. Il est d'ailleurs amusant de noter que cet entretien lui-même a servi d'amorce pour de potentielles futures discussions.

Alex: «J'ai aussi fait : «bon alors j'ai mon entretien c'est sur le polyamour !». Du coup ça va aussi lancer des conversations (rire) !»

Alex utilisa également ce savoir théorique pour construire son rapport à la sexualité et aux relations. C'est par l'intermédiaire d'un «blogs BD» qu'il se rendit compte qu'il y avait un mot pour dire «je suis non binaire» et qu'il n'était pas «anormale par rapport à tout ce qu'on dit». La lecture des différents articles et témoignages où l'auteur expliquait comment iel vivait le polyamour, la non-binarité et l'exploration dans le genre et dans les relations, lui a fait prendre conscience de l'existence de ces termes et de ces normes alternatives :

Alex : «Je ne savais pas que pour d'autres personnes j'existais. Quand je me suis rendu compte de ça, je n'avais pas de relation amoureuse car je n'avais pas le droit, je me suis dit que c'était le modèle relationnel qui me correspondait le mieux. Je ne comprenais pas la manie de l'exclusivité alors que pour moi l'amour il est très communicatif et vraiment ça ne s'arrête pas à une seule personne.»

Comment se rencontrer ?

Au cours de mes recherches, très peu d'études faisaient l'analyse des modes de rencontre polyamoureux. De fait, ceux-ci sont assez variés et les besoins en termes de rencontre sont également divers. L'usage des outils numériques semble néanmoins très poussé pour organiser des rencontres, que ce soit via les sites de rencontre, les réseaux sociaux (comme facebook) ou les forums de discussions. Des myriades de sites deviennent le point de

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rassemblement de communautés diverses et contribuent à asseoir la reconnaissance sociale d'orientations sexuelles et relationnelles alternatives et réprouvées (Combessie, Mayer, 2013). Même si il est assez difficile de mesurer l'évolution de la pratique polyamoureuse (restant très marginale), le développement de ces sites permet aux individus -souvent isolés- de se faire connaître, de se découvrir, voire d'organiser des rencontres collectives ou individuelles. Internet permet ainsi le développement de «pratiques marginales qui peinent à asseoir leur légitimité» (Combessie, Mayer, 2013).

Parmi les réseaux sociaux utilisés, un site de rencontre semble avoir une prépondérance chez les enquêtés désirant faire des rencontres polyamoureuses : Ok Cupid. Bien que ce site soit également celui qui a servi à contacter plusieurs enquêtés, force est de constater que quasiment tous les enquêtés (10 sur tous les entretiens) connaissent voir utilisent ce site. L'utilisation privilégiée de ce site est due pour Camille à la grande diversité «d'options», ce qui permet de facilement préciser ses préférences ainsi que son identité. Parmi les répondants, Antoine, Océane et Agathe en sont les utilisateurs les plus assidus. Antoine voit dans ce site de rencontre un moyen d'avoir «des conversations de ouf avec des gens», même si cela a «très rarement concrétisé» sur des relations «qu'elles soient sexuelles ou juste romantiques». Océane, elle, a «beaucoup de relations rencontrées sur Ok Cupid», tout en multipliant les autres formes de réseaux en ligne tels que l'application de messagerie instantanée Discord ou les groupes sur Facebook. Agathe utilisa ce site de rencontre «pour voir»: «des fois ça passait pour le sexe et y'a juste des fois c'est juste comme ça entre potes». Elle se constitua ainsi petit à petit un groupe d'amis sur Paris. Jérémy considère de la même manière Ok Cupid avec un «côté plus social qu'un côté date». L'utilisation d'Ok Cupid peut même avoir un but «pédagogique», comme pour Roxane, qui y chercha avant tout un moyen de «discuter avec des personnes, plutôt que pour rencontrer des gens». Il s'agissait d'assouvir une «curiosité personnelle», mais également de recueillir des informations, des «best practice» : «comment je dois faire moi, comment vous faites avec tous vos partenaires, est-ce qu'il y a des choses à éviter...».

Un autre lieu est également cité pour rencontrer et discuter avec des personnes polyamoureuses : les cafés poly. Beaucoup moins cités cette fois-ci14 dans les entretiens, les cafés poly sont des espaces de rencontres et de discussions organisés dans différents lieux publics (restaurant, bar, local associatif). Pour Léna, il s'agit également d'une activité militante, étant donné qu'iel est l'organisateur de différents cafés poly ou des «collectifs sex-positive». Cela lui a permis de «côtoyer des personnes qui avaient les mêmes problématiques» et «avec qui iel pouvait communiquer en toute bienveillance», ce qui l'a «beaucoup aidé». Selon Daniel Welzer-Lang (2018) ce ne serait donc pas un hasard «si des multiples groupes polyamoureux ou « cafés poly » sont apparus. Ils assurent une interface

14 La crise sanitaire due au Covid 19 a très certainement eu un impact considérable sur l'utilisation de ce moyen de rencontre, même si depuis les premiers confinements liés au Covid 19, ces rencontres se font généralement en ligne.

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publique permettant que tout-e un-e chacun-e puisse se renseigner, intégrer ses expériences dans une possible problématique polyamoureuse».

Cependant, beaucoup de critiques se sont fait entendre vis-à-vis d'Ok Cupid et des sites de rencontres en général. Tout d'abord, du fait de ne pas avoir d'affinités particulières avec les réseaux de discussions en ligne, comme l'avoue Nicolas :

Nicolas: «Déjà je suis pas très bon en internet. Genre j'ai pas facebook, les applis et sites de rencontre genre Ok Cupid tout ça... je suis pas très bon. Je suis quand même vachement plus à l'aise avec un concert, un café poly, un «munch BDSM», mon groupe d'amis qui faisaient des soirées S+. Et du coup ça ça sort, l'internet n'était pas une bonne ressource pour moi.»

Cette difficulté à utiliser les réseaux sociaux comme vecteur de rencontres et de discussions est également partagée par Alex. Expliquant qu'il a «du mal» pour rencontrer des gens sur Ok Cupid, il lui préfère «le hasard et l'aléatoire» : «Je vais sur une appli pour aller rencontrer des gens alors que des gens il y en a de l'autre côté de ma porte du coup je peux aller les rencontrer en direct». Pour Camille, Ok Cupid est «pas mal pour les trucs poly», mais il «n'arrivait pas à rencontrer des gens avec qui [il] pouvait avoir des atomes crochus». A cette difficulté de se lier avec de nouvelles personnes s'ajoute parfois les échecs cuisants de certaines rencontres :

Camille: «Il y a une relation que j'ai un peu essayé quelques mois et ça a été une cata en fait parce que tu peux dire tout ce que tu veux dans ton profil Ok Cupid, tu vends tout ce que tu aimerais être, mais ça veut pas du tout dire que tu vis tes relations comme ça.»

Les cafés poly ne sont également pas exempts de critiques. Ici c'est la difficulté à exprimer sa parole au sein d'un groupe qui fait défaut. Agathe souligne par exemple la complexité des dispositifs mis en place pour générer un espace «de communication non violente», un «safe space» qu'elle trouve «très chargé et très lourd». Pour elle qui «aime bien avoir des discussions spontanées», ces dispositifs ont été «beaucoup d'infos d'un coup», car elle «n'avait pas l'éducation qui venait avec» du fait que dans son précédent lieu de résidence (qui n'était pas Paris) «on a pas du tout la culture poly». Alex est également peu enclin à fréquenter les cafés poly car il a «un peu de mal à parler en public de base».

Ainsi, même si l'utilisation d'Ok Cupid est très marquée parmi les enquêtés15, ce sont majoritairement les rencontres via les réseaux d'amis qui sont avant tout privilégiées. Cette conception des rencontres polyamoureuses ressemble d'ailleurs à celle valorisée par Veaux et Rickert (2017) qui semble suivre les schémas du développement des relations amicales.

15 Ce qui peut également être due à leur âge, La tranche d'âge la plus représentée sur le site étant celle des 25-34 ans, suivis par les 18-25 ans, selon le site stat-rencontres.fr.

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Léna : «Ce sont toujours des personnes de mon entourage en fait. Tu as toujours un poly qui connaît un poly qui connaît un poly... 1...] Typiquement Nicolas c'est le meilleur pote de toute ma bande de potes.

Pour Camille, de son expérience, rencontrer une personne via un site de rencontre «ce n'est pas du tout pareil que de construire une relation avec quelqu'un que tu connais déjà un peu». Pour lui, «tous les trucs qui ont marché c'étaient toujours des gens [qu'il connaissait] déjà un peu, qui étaient déjà des amis et avec qui [il se rendait] compte qu'il y avait une attirance ou un truc un peu plus fort». Lilou, elle, n'a jamais cherché à «rencontrer des gens» et ne s'est jamais «mise sur une appli de rencontre». Pour Alex, les rencontres polyamoureuses ne sont d'ailleurs «pas forcément conscientes". Elles se font au fil des discussions à travers des réseaux de relations :

Alex : «Ouais en fait j'ai des potes dont une était l'une de mes relations amie/amour entre mes deux relations longues, qui elles sont en couple fixe depuis des années mais avec des amants/amantes autour. 1...] Du coup ça fait aussi rencontrer pas mal de personnes dans le milieu polyamoureux et qui connaissent au moins le polyamour. Et du coup on devient tous potes et on a de plus en plus de potes qui se connaissent et qui sont déjà dedans.»

Ainsi, les rencontres polyamoureuses se font surtout via des réseaux de relations plus ou moins fermés. Ce qui est privilégié ici, c'est avant tout d'avoir d'un niveau minimal d'entente mutuelle et de partage de valeurs et de normes, polyamoureuses ou non (d'où le fait d'utiliser Ok Cupid, réseau privilégié par les communautés polyamoureuses pour la potentielle précision de ses profils de rencontre).

C. L'apprentissage des codes et des valeurs

Comprendre ses limites

Les normes polyamoureuses sont plurielles. Elles regroupent la non-exclusivité (alliée avec la notion de «compersion») (Barker, 2005), la liberté (Pieper and Bauer, 2005), l'engagement sur le long terme (Klesse, 2006), la transparence et l'honnêteté (Klesse, 2006). L'apprentissage de ces normes dépend des besoins du couple ainsi que de l'évolution des valeurs polyamoureuses. Néanmoins, elles requièrent toutes un travail introspectif constant, ainsi qu'une réelle remise en question de ses codes et de ses agissements. De cette manière, «les partisans du polyamour parviennent à représenter une éthique supérieure qui remplace l'hédonisme banal de la simple recherche du plaisir» (Klesse, 2006).

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Soan : «On a toujours eu la volonté de communiquer, mais on ne se comprend pas toujours. Donc y'a un travail sur ça. Moi depuis que je suis sur mon projet je m'affirme vraiment en tant que personne. Je prends plus conscience de mes responsabilités en tant que personne sur plein de plans. Et elle, dans ses introspections, elle part à la rencontre d'elle-même.»

Cette introspection est d'autant plus nécessaire qu'un des obstacles internes majeurs à la réalisation du polyamour réside dans le sentiment de jalousie. Car loin d'étouffer ce sentiment, l'expérience de la non-exclusivité met les individus face à leurs failles, leurs peurs de l'abandon, leurs possessivités, etc.

Benjamin : «Oui, et ça m'arrive encore d'être jaloux. En fait j'ai déjà entendu le truc du «c'est quoi un polyamoureux ? C'est quelqu'un qui est pas jaloux.» Déjà j'aime pas parce qu'on revient à l'aspect biologique de la chose, et en plus c'est faux.»

Dans une étude parue en 1993, le psychologue Paul Stenner remet par ailleurs en question la notion d'une jalousie qui proviendrait d'une «pré-programmation génétique». Pour les constructivistes sociaux (Ritchie & Barker, 2006) les émotions comme la jalousie sont générées dans un «espace interactif» et fonctionnent comme une «monnaie culturelle» permettant une compréhension sociale partagée.

Les émotions ont de ce fait une fonction sociale, elles peuvent opérer une forme de contrôle sociale sur les individus (Harré, Parrott 1996). Ainsi, représenter la jalousie comme étant une émotion négative tout en la décrivant comme une réponse «naturelle» à l'infidélité servirait à «maintenir la domination de la monogamie, qui à son tour a été argumentée pour maintenir des systèmes de patriarcat» (Ritchie & Barker, 2006). Et comme notre capacité à décrire et ressentir une émotion peut être accrue ou limitée par notre vocabulaire culturel (Gergen, 1999), déconstruire la jalousie revient à en déconstruire le sens et à déconstruire la monogamie.

Antoine : «Au niveau de la gestion de la jalousie, c'est un mot-valise un peu j'ai l'impression de découvrir que le dedans y'a plusieurs trucs. Je suis en train de le décomposer là. Qu'est-ce qui compose cette petite boule qu'il y a un an j'aurais appelé «jalousie» sans réfléchir. Déjà un peu d'anxiété, et peut-être de la peur. J'essaie un peu d'apprivoiser ça.»

La gestion de la jalousie est un des points primordiaux abordés dans l'apprentissage du «mode de vie polyamoureux». Sa déconstruction est une des pierres angulaires sur lesquelles se fonde la stabilité relationnelle. Pour Camille, se décrivant comme étant «hyper jaloux» lorsqu'il était dans «des relations monogames», le mot jalousie «recoupe plein de choses différentes» : «je pense que c'est pas mal de découper qu'est-ce que c'est vraiment le machin en dessous». Ainsi, selon son analyse, plusieurs formes de jalousie peuvent être décortiquées. Parfois cela peut-être «l'envie, c'est-à-dire qu'on voit quelqu'un avoir quelque chose et on voudrait avoir pareil, ou bien on voudrait quelque chose d'aussi bien. On veut pas particulièrement que cette personne n'ai pas ça, on est juste triste de pas l'avoir». Cela peut-être aussi lié à une forme «d'insécurité» :

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Camille : «Je pense que c'était ça la jalousie que j'avais mais hyper forte dans les relations monogames. C'est-à-dire que n'importe qui qui plaisait à mon partenaire ça voulait dire

potentiellement une menace pour notre couple. Et donc forcément c'était inquiétant puisque c'était structurel que si jamais il s'intéressait à quelqu'un c'était mauvais pour moi.»

Cependant, même si cette forme de jalousie a été ressentie «vraiment très fort» dans ses précédentes relations, cela «s'est complètement évaporé juste avec la structure de la relation [polyamoureuse]». L'insécurité peut également être ressentie lorsqu'il «y a de la nouveauté». Ainsi le commencement ou la transformation d'une relation entre des partenaires peut «être inquiétant» pour lui, du fait que les relations fonctionnent «en réseau» et que «n'importe quel changement dans ce réseau [...] a des effets secondaires». Le fait de n'avoir en plus «aucun contrôle» lorsque cette relation n'est pas directement liée à la personne peut alors susciter un sentiment d'insécurité. Enfin la dernière forme de jalousie énoncée consiste à «vouloir voler quelque chose à quelqu'un» :

Camille : «c'est vraiment un sentiment assez laid, et je pense pas avoir eu vraiment ce sentiment là dans des relations amoureuses. C'est quasiment vouloir du mal à quelqu'un.»

De façon assez similaire, Agathe exposa aussi lors de l'entretien les différents ressorts et les différentes formes de jalousies exprimables. Elle liste plus ou moins de la même manière la jalousie liée à «un sentiment d'insécurité [...] due à la peur que l'autre nous remplace»16, ainsi que la jalousie due à «l'envie», qu'elle juge être une forme de «jalousie toxique beaucoup liée à l'aspect qu'on a des relations, où une personne est un objet». Dans son ouvrage «Polysecure», Fern décrit ainsi 4 «styles d'attachements» envers ses partenaires (générant différentes formes de jalousie), dont les origines prennent racine jusque dans l'enfance: «the avoidant/dismissive attachment style» (évitant et dédaigneux), «the anxious/preoccupied attachment style» (anxieux et préoccupé), «the disorganised/fearful-avoidant attachment style» (désorganisé et peureux-évitant), «the secure attachment» (sécurisé).

Derrière le mot jalousie se cachent donc de multiples facettes et diverses origines. Pour Léna par exemple, sa jalousie s'exprimait dans ce que son partenaire «pouvait vivre émotionnellement avec d'autres personnes», alors qu'au contraire «lui est très heurté par la sexualité [qu'elle peut] avoir avec d'autres personnes». Lilou, elle, dissocie la jalousie à une «peur de l'exclusion» : «On est trois et dès qu'il y en a deux qui sont ensemble faut avoir une grosse confiance sur le fait que c'est juste qu'on n'a pas tous les mêmes activités et qu'on ne veut pas tous les faire au même moment».

Pour Antoine, le mode de vie polyamoureux fonctionne comme un catalyseur. Citant le livre «Polysecure», il explique que «tous les problèmes que l'on peut avoir dans une relation monogame» ne vont pas être «forcément ressentis» du fait d'être «dans un contexte de

16 La peur de l'abandon semble être partagée par de nombreux enquêtés, Roxane décrivant ce sentiment comme étant «intrinsèque à toutes les personnes, que ce soit des hommes ou des femmes ou quel que soit le genre».

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sécurité». Tandis que le polyamour, lui, au contraire, n'aura pas cette «sécurité imposée par le fait de dire «on est en couple», ce qui fait que les peurs vont venir».

Cette mise à nue des peurs et anxiétés refoulées va cependant s'appréhender différemment au sein des relations. La jalousie, prenant un nouveau sens, perd le statut de honte et de tabou qui lui était associé et ne se condamne plus. Océane a choisi de se détacher du sens culturel très fort lié au mot «jalousie» pour lui préférer le terme de «détresse». «Faire ce pas de côté» vis-à-vis de son ressenti lui permet de ne plus être "heurtée" que son ou sa partenaire «ressente de la jalousie».

Océane : «Ce qui me gêne le plus c'est quand mes partenaires n'arrivent pas à comprendre qu'il puisse y avoir de la jalousie, et que ça les inquiète. Parce que pour moi c'est pas en soi un problème. Ce qui est un problème c'est qu'on ne prenne pas en compte les choses qui nourrissent le sentiment de jalousie.»

Lutter contre la jalousie se fait donc via la discussion. Même si cela peut parfois rendre la communication difficile lorsque les ressentis ne sont pas similaires.

Antoine : «Roxane n'en a pas [de jalousie] tu vois, et je pense que c'est un peu pour ça qu'elle comprend pas tout ce que je traverse et qu'elle est un peu perdue. C'est pour ça qu'il y a un peu ce discours dissonant entre nous et qu'il n'y avait pas avant. Parce que je pense qu'elle n'a pas compris ce que j'ai ressenti et j'ai pas su lui exprimer correctement.»

La communication devient également un véritable «jeu d'équilibriste» pour Agathe, tentant de jongler entre l'envie d'avoir des informations sur les relations de ses partenaires pour ne pas être «trop angoissée», et la dévalorisation de soi en craignant que «les autres soient meilleurs». Cela «commence à s'améliorer justement avec la communication» et le fait d'être entourée de «gens très bienveillants». En outre, de nouveaux systèmes de communication et d'organisation sont pensés via ces discussions, afin de limiter les «angoisses» :

Agathe: «On a un peu changé notre système pour se voir, pour pouvoir mieux prévoir. Et là par exemple le système qu'on a trouvé c'est juste que quand on se voit on définit à la fin la prochaine fois où on va se voir. Et ça permet d'éviter les angoisses de «nan, mais il faut que je te demande, mais d'un côté j'ai peur de demander parce que j'ai peur d'être trop relou...»

Au-delà de la communication, trois différents facteurs permettent, selon les enquêtés, de mieux gérer ces angoisses. Pour Océane, il est primordial de ne pas gérer ses problèmes de jalousie en s'isolant. Elle dénonce les méthodes de gestion de jalousie visant à «isoler une personne jusqu'à ce qu'elle ait résolu son problème», les jugeant «hyper carcérales» en plus «d'aggraver» le problème. Cette vision très individualiste de la gestion de la jalousie n'est pas en accord avec «sa politique», car «dans les milieux anarchistes de solidarité mutuelle c'est pas ça qu'on fait». La gestion du sentiment de jalousie se fait alors via la création d'un «réseau communautaire». Ceci est un aspect important de ce que Fern (2021) nomme «secure attachment» (que l'on traduira ici «attachement sécurisé»). Ainsi, dans un système

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d'attachement sécurisé, une personne peut, lorsqu'elle est en détresse, à la fois s'autoréguler émotionnellement, et se co-réguler en recevant le soutien de ses partenaires. Pour Agathe, un des moteurs lui permettant de gérer sa jalousie vient aussi des réactions positives de son partenaire. En constatant qu'il «avait beaucoup de compersion envers [elle]», elle commença petit à petit à «exprimer la même chose, par mimétisme» ce qu'elle juge beaucoup plus «sain». Alex partage la même idée en expliquant que «la jalousie, ça s'accompagne et ça se formule pour se désenclencher» : «Si ça vient envenimer quelque chose dans la relation, pour moi il y a un besoin qui est d'avoir de la communication là-dessus pour qu'on puisse travailler ensemble et se soutenir».

Alex : Méditer pour ne plus jalouser.

Avec mon coloc et cette meuf, j'ai fait ce travail sur moi sur la compersion et sur la jalousie très très récemment. Sur les deux semaines qu'on est là je l'ai travaillé sur les deux semaines. Je me suis mis en méditation pendant 2h30 pour justement aller travailler le mécanisme de réaction de les voir les deux ensemble. Parce qu'au début ça me faisait du mal et franchement j'ai pas envie que ça me fasse du mal parce que je les kiffe tous les deux et du coup si ils se kiffent et ils sont contents, j'ai envie d'être content pour eux. Et du coup je suis allé travailler ça en mode « alors, c'est quoi qui fait que ça me fait mal ? On va aller explorer tout ça, mettre tout à plat, débrancher les trucs qui ont besoin d'être débranchés ». Et vraiment j'ai vu ça comme les prises Ethernet avec un petit clips ce qui se plug/unplug. Et je suis allé unplug plein de trucs et me dire "j'ai plein de câbles maintenant qu'est-ce que je vais faire de tous ces câbles ? Ça pourrait être pratique pour plus tard ? Non. Je suis dans ma tête, je peux en créer d'autres. Je vais juste les brûler pour signifier à mon inconscient que ces liens ne sont plus là et que je suis OK avec la situation telle qu'elle est». Et ça m'a libéré mais d'une force.»

Enfin, pour Alex, la déconstruction des «réflexes de jalousie enseignés par une représentation normative d'hétéro-patriarcat exclusif» est un processus qui prend du temps. Même si cela est «encore en travail» pour lui, il se sent malgré tout «bien dans sa peau et dans sa façon d'aimer».

Construire ses relations

Nous l'avons vu, le polyamour demande certaines exigences dans sa réalisation, et implique de se confronter à diverses limites. L'engagement polyamoureux réside avant tout dans la mise en place «d'accords» entre les partenaires (accords qu'ils choisiront librement en

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fonction de leur besoin) (Wosik-Correa, 2010). Cependant, les accords et les règles imposent de fait des lignes de conduite, voire des «restrictions» (Klesse, 2011). L'accent est mis sur la négociation entre les partenaires, ainsi que sur le «travail» fait autour de cette négociation. Cette notion revient d'ailleurs dans pratiquement tous les guides de polyamour (Petrella, 2007). Cette «éthique du travail» peut être interprétée comme une stratégie «d'auto-responsabilisation» (Petrella, 2007) : une relation polyamoureuse ne peut fonctionner que s'il y a un travail entre les partenaires, ainsi qu'un travail sur soi. Très souvent le terme de «travail» et «d'effort» est revenu dans les entretiens, se mêlant à celui de «liberté :

Soan : «Prôner «ouais la liberté la liberté !» c'est bien, mais elle a quand même un prix. Dans ta liberté, qu'est-ce que tu es prêt à sacrifier pour l'avoir, parce que ça se fait pas sans sacrifice.»

Pour Léna le fait d'être «dans la même équipe» permet de souligner à l'autre que la volonté de construire une relation est commune et qu'elle implique dans un même temps les partenaires concernés :

Léna : «Petit à petit on a appris à poser le truc, à se dire «qu'est-ce qui est difficile pour toi ?», «comment je peux faire pour que ça aille bien ?», «tu as du mal avec un truc, donc OKje vais pas le faire, mais j'aimerais bien que tu travailles dessus parce que pour moi c'est important». [...] C'est pas évident, mais on est tous les deux dans la même équipe et on veut prendre le temps de faire.»

De plus, selon Kesse (2011) en démontrant qu'ils entreprennent tout ce travail dans le but de maintenir des relations complexes et émotionnellement exigeantes, les personnes polyamoureuses sont en mesure de prouver leur dévouement, que ce soit envers leurs partenaires ou leur «mode de vie». Cette équation «amour = travail» se retrouve aussi dans le pragmatisme affiché par les enquêtés pour justifier leurs décisions et leurs choix de vie polyamoureux. Pour Roxane, le fait que son partenaire (avec lequel elle était dans une relation monogame) ait choisi le polyamour est à la fois un choix rationnel et une preuve d'amour :

Roxane: «C'est quelqu'un de très rationnel et très factuel donc d'un point de vue conceptuel il a vu tout de suite tous les avantages du polyamour. Et c'est aussi parce qu'il m'aime beaucoup et c'est vraiment une très belle preuve d'amour qu'il m'a fait, il m'a dit «je sais pas si ça me correspond, mais je vais tenter cette aventure avec toi.»

Cette vision pragmatique et utilitariste du polyamour se retrouve aussi chez Océane, dans son choix de «fabriquer des relations polyamoureuses» résultant de sa volonté de travailler sur «la jalousie», afin de ne plus construire de codépendance vis-à-vis de ses partenaires. Antoine y voit aussi «un moyen» dual «d'être avec une personne [qu'il] aime beaucoup» et de se «pousser hors de [sa] zone de confort» et de travailler sur «ses problèmes d'attachement». Le polyamour «l'oblige» à «faire attention» à lui pour ne pas faire «qu'attention à l'autre». Choisir rationnellement de devenir polyamoureux est d'autant plus important que ce choix de

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vie peut sembler «gratifiant» (Agathe), avec une «belle théorie» (Lilou). Pour Agathe, il ne faut pas oublier que «derrière ce côté gratifiant on est juste des humains avec des sentiments qui ne veulent pas se faire briser en deux par un manque d'implication» : «Mine de rien c'est sérieux !» :

Lilou : «J'ai attendu que Jérémy revienne, parce que je le connaissais pas et donc je trouve ça vachement facile d'être d'accord «en théorie», mais c'était bien de voir si j'étais d'accord en pratique. Pour voir si le soir si Camille rentrait avec Jérémy est ce que ça me mettait mal à l'aise ou pas. Parce que je trouvais que la théorie elle était belle, y'a plein de gens qui aiment cette théorie, mais après est-ce que les gens sont confortables avec en pratique, je pense que ça vaut le coup de vérifier.»

Ainsi, le polyamour n'engage pas qu'une simple recherche du plaisir personnel, c'est un choix relationnel murement réfléchi impliquant diverses réflexions, un apprentissage sur le long terme, voire quelquefois, des échecs.

Apprendre par l'erreur est un point commun que partagent de nombreux enquêtés. Mais derrière ce mot «erreurs» se cachent de nombreuses interprétations. Que ce soit par les maladresses, les difficultés à communiquer, les incompréhensions, l'ignorance de certaines normes, l'exploration de ses propres limites ou les mauvaises expériences, le polyamour n'est pas toujours facile à mettre en place et de nombreuses situations polyamoureuses ont des débuts plus ou moins chaotiques.

L'échec n'est cependant pas péjoratif pour Antoine, car pour lui, l'apprentissage se fait aussi et surtout sur le tard : «de mes expériences le meilleur apprentissage que j'ai pu avoir c'est malheureusement quand je me suis cassé la gueule». Les premiers pas sont également difficiles pour Nicolas : «Ça se politise, ça se conscientise, mais c'était les premiers pas et du coup j'ai fait des conneries. C'était une relation qui n'a pas été très correcte et du coup qui s'est arrêtée». Pour Roxane, l'exploration empirique du polyamour se fait sous la forme d'une courbe d'apprentissage. Son ouverture au polyamour étant assez récente, elle voit dans ces difficultés une «phase» à surmonter :

Roxane: «Parfois tu te dis que c'est compliqué. Parfois tu te dis «je me suis lancée dans le polyamour pour me simplifier la vie et en fait ça fait que la compliquer la compliquer la compliquer !». Enfin après c'est peut-être mon ressenti actuel parce que je dois gérer les insécurités de mes trois partenaires, et trois partenaires ça fait beaucoup.»

Pour Alex, ces insécurités font «partie de l'exploration» et «de la confiance qu'on peut accorder dans une relation non exclusive, surtout avec un partenaire principal et d'autres partenaires occasionnels autour». Quelquefois cependant, ces difficultés deviennent trop importantes et coupent court à la relation, notamment lorsque la personne se rend compte que le polyamour «ne lui convient pas» ou «qu'elle n'a pas tous les codes» (Nicolas). Pour lui, ces échecs se «font à deux», car il juge de son côté n'avoir «pas été assez clair, donné suffisamment de billes et protégé [ses] autres relations»: «Du coup il y a un peu ce truc du «ah ouais tu as rencontré quelqu'un. Alors niveau polyamour sa ceinture c'est quel niveau ?»

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(rire)». Ces échecs ne sont pour autant pas l'apanage du polyamour, Alex ayant vécu ce genre d'exploration au cours de relations monogames :

Alex : «C'était de l'exploration, il fallait bien que j'apprenne ce dans quoi je ne veux pas retomber. C'est bien de commencer pas trop haut, trop bas. C'était pas non plus le pire des beaufs, il n'était pas violent, juste un peu con. Ça m'a fait apprendre que finalement l'exclusivité... bof, et surtout l'exclusivité avec un gros beauf comme ça, non.»

Ainsi, les notions «d'erreur» ou «d'échec» ne sont pas à considérer dans une dimension purement négative, car cette démarche d'exploration empirique permet de reconsidérer ses propres limites et de trouver son équilibre. C'est à travers ces différentes rencontres qu'Agathe s'est «formée et forgée un avis» sur les «types» de relations dans lesquelles elle se sentait à l'aise. Ces différentes explorations sont également le terreau des futurs «accords» qui organiseront les relations. En ce sens, le polyamour est en construction permanente et évolue au fil des réflexions et des déconstructions des normes. Apprendre de ses «erreurs» est possible précisément parce que les normes sont flexibles et sans cesse redéfinies.

Des règles strictes aux «accords»

Dans le cas où un couple choisit de devenir «ouvert» ou «libertin» (comme pour Soan, Benjamin ou Aurélie), la mise en place d'un certain nombre de règles explicites est souvent réalisée, ceci afin de consolider le retrait de l'ancienne règle implicite structurant la vie de couple : l'exclusivité. L'acceptation de partager son partenaire est un processus long et demande au préalable de répondre à différentes normes, afin de s'assurer de la fidélité de son ou sa partenaire, au-delà de l'exclusivité :

Agathe : «C'est arrivé à des potes à moi, c'est arrivé à plein de gens. Surtout en fait des

couples qui commencent à s'ouvrir aux relations multiples et qui commencent toujours avec des règles très strictes qui sont pas forcément très très juste des fois aussi pour la troisième personne.»

Ces «règles», peuvent aller de l'interdiction d'avoir certains agissements avec ses partenaires17, à ce que Cook (2005) nomme le «don't ask don't tell». Souvent, les partenaires qui ont ces types d'ententes adoptent le principe du « ce qu'on ne sait pas ne fait pas de mal », en vertu duquel les partenaires ne se divulguent pas tous les détails de leurs aventures (Cook, 2005). Sur ce point Soan semble avoir adopté ce mode de communication, même si cela n'engage pas pour autant une fermeture hermétique à la discussion :

Soan : «On est pas supposé mentir, si par exemple un soir [...] je vais au cinéma avec un pote, c'est que je vais vraiment au cinéma avec un pote. Ça c'est une règle. Mais par contre on est dans une situation où la personne est pas supposée être au courant on en parle pas.»

17 Antoine : «On avait pas encore eu l'accord de Mattéo pour dormir ensemble.»

Soan : «dans les règles qu'on a on ne ramène personne à la maison. Parce qu'on a quand même une fille tu vois ce que je veux dire.»

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Ici pourtant, on voit à travers ce discours la dimension paradoxale et encore en construction du polyamour vécu par Soan : on ne doit pas mentir, mais on peut ne pas dire. Cela est peut-être dû au fait que Soan et sa partenaire se sont mis en relation libre il y a peu de temps («à peu près 4 ans») et que leur relation polyamoureuse est toujours en construction, étant avant tout un couple libre avec des tendances polyamoureuses :

Soan : «oui c'est toujours en train d'être processé, en plus il se passe beaucoup de choses dans nos vies qui sont difficiles à gérer dans le cadre de ce mode polyamoureux. Parce qu'elle aussi elle se pose la question si elle est polyamoureuse ou pas.»

Pour autant, en écoutant le point de vue de Benjamin, on s'aperçoit que ces normes visant à renforcer ou conserver la stabilité du couple libre deviennent petit à petit obsolètes et supprimées par les partenaires :

Benjamin : Alors ça ce sont des choses que j'ai créé à l'époque où j'étais libertin, où j'étais en couple et que dans notre couple on s'autorisait à aller voir ailleurs. [...] Toutes ces règles ont été déconstruites petit à petit. Au début on a toutes ces règles, et puis finalement on se dit «ben pourquoi en fait», et on les fait sauter une part une. C'est des règles qui sont plus rassurantes qu'autre chose, pour être sûr que la personne va pas se barrer avec quelqu'un d'autre, bah voilà il faut que ça reste «protocolaire».

Pour Antoine, ce processus de déconstruction des règles est encore à venir, du fait de la «nouveauté» de leur relation. L'existence de ces règles «ajoute une petite sécurité au début», même s'il ne doute pas «qu'un jour [il] n'aura plus besoin de règles ou que les règles deviendront autre chose». C'est d'ailleurs pour cette raison aussi que Roxane préfère utiliser le terme «accord» que «règle», car «ce sont des choses qui sont amenées à évoluer» alors que «les règles c'est vraiment quelque chose de très dur».

S'adapter à chaque partenaire

En plus d'être évolutifs, les accords édictés sont également adaptables entre les différents partenaires. Dans le cas de Roxane par exemple l'accord concernant la transparence dans la communication n'est pas le même pour deux de ses partenaires, l'un voulant tout savoir, tandis que l'autre non. La manière dont va s'exprimer la relation dans la vie publique n'est également pas la même, notamment du fait qu'un de ses partenaires préfère ne pas annoncer sa situation polyamoureuse à sa famille: «Pour l'instant il est pas prêt en fait, il y va petit à petit, il dit qu'il met à jour son logiciel en fait et que pour l'instant il tâtonne». Pour Nicolas, cet ajustement des accords se règle comme une forme de «curseur», entre ceux voulant une communication «supra exhaustive" pour «être rassurés» et ceux que l'abondance de données «met mal à l'aise». Au-delà de la communication, certaines règles peuvent être liées à la vie sexuelle des partenaires :

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Agathe: «Des fois c'est pas forcément moi qui mets des règles. J'ai une de mes relations, de mes amireux, qui fait en sexualité aucune pénétration, pour des raisons personnelles. C'est une limite qu'il a mis, c'est pas un truc qui me dérange, c'est une communication de ses besoins.»

La sexualité positive

Une des règles les plus importantes et les plus «formelles» énoncées dans les relations polyamoureuses concerne la sexualité de ses membres. Très fortement inspirée du mouvement sexpositif18, la sexualité des partenaires semble répondre à plusieurs exigences liées à la sécurité, à la communication et à la prophylaxie, bref à ce que l'on appelle «safe sex». Pour Léna par exemple, la gestion de la sexualité au sein du polycule19 est une véritable organisation au quotidien : «dans un polycule ça devient vite monstrueux [...] tous ces gens-là il suffit qu'il y ait une MST dans l'histoire et tout le monde la chope quoi». Multiplication des partenaires sous-entend multiplication des risques. Camille explique que l'ouverture à une sexualité sans protection se fait par étape et à travers des discussions :

Camille : «Donc l'idée c'est que quand t'as un amant ça va être protection pour tous. Si jamais ça dure depuis longtemps et que c'est un truc dont vous avez envie bon bah... vous avez la discussion sur ce sujet puisque le fait de se protéger surtout ça permet de ne pas demander à des personnes avec qui tu es peut-être moins en lien de respecter tes propres règles. Et donc si la personne dit «ok moi ça me va de faire ça aussi avec mes partenaires» et bah vous vous faites tester tous les deux et puis ensuite ça permet de pouvoir poser ça.»

La gestion de la prophylaxie n'est cependant pas forcément facile à gérer, voir «un peu pénible» pour Léna, très sensibilisé à ce sujet, car «tous les partenaires n'ont pas forcément la même rigueur» sur le sujet : «La prophylaxie ça me saoule, faut toujours une énergie folle en fait pour poser les bails, c'est quelque chose sur lequel j'aimerais être inflexible, et j'ai pas toujours l'énergie de pouvoir le faire.»

Avec qui relationner

Une autre règle formulée entre les différents membres du polycule s'enquiert des relations pouvant être tissées (ou non) avec de nouveaux partenaires. Ici, une règle est notamment présente chez le trouple interrogé : celle de ne pas relationner avec des personnes monogames ou dans une relation de type «don't ask, don't tell».

Lilou : «La seule règle explicite dont Camille m'avait parlé c'était le fait qu'on ne crée pas de relations avec des gens qui sont pas ouvertement polyamoureux, ou qui n'en parlent pas à leurs partenaires. Pas de relations adultères. Enfin on n'a pas envie c'est bizarre, tu es caché tu sais pas... Ça se répercuterait et puis même y'a une importance morale quand même.»

18 Le mouvement sexpositif est un mouvement social et philosophique promouvant la sexualité et l'expression sexuelle, en portant une attention toute particulière sur les rapports protégés et le consentement.

19 Toutes les personnes liées par une relation, habituellement romantique et/ou sexuelle, avec un ou plusieurs membres d'un groupe polyamoureux. ( wiktionary.org)

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Quoi qu'il en soit, la règle est généralement de prévenir la ou les relations lorsqu'une rencontre se profile. Cela peut être fait avant qu'elle se concrétise comme pour Antoine: «si on a un date ça sera rien le premier date». Mais cela peut également être plus flexible comme pour Léna : «s'il y a quelqu'un d'autre qui débarque dans le polycule [...] l'idée c'est de se tenir au courant quand même. C'est pas grave si ça ne se fait pas «au moment», ça peut se faire après, mais juste prendre le temps de se checker dans notre vie».

La place de l'enfant

Dans le cas où un enfant entre dans l'équation, sa place au sein des dynamiques polyamoureuses est primordiale. Pour Léna, mère d'une enfant de 4 ans, le message est clair: «si tu veux m'aimer il faut que tu aimes ma fille». La dimension familiale liant ses différentes relations polyamoureuses lui «plaît énormément» car elle permet à sa fille d'être «toujours prise en compte» dans tous les choix de vie des membres du polycule.

Léna : J'ai des personnes qui ne peuvent pas saquer les enfants et c'est hyper compliqué pour moi d'être en relation avec ces personnes-là. Moi je vis avec une enfant et... ben elle est

là en fait.

Nos répondants semblent ainsi suivre les observations rapportées par Sheff (2012) concernant les parents polyamoureux : «multiple adults provide children with more attention and meet more of their needs than in two or fewer parents families» (Lévesque, 2019), bien qu'il ne faille pas pour autant édifier ce contexte en un fait absolu. Taormino (2008) indique pour sa part que dans le contexte familial, la chose la plus importante pour l'enfant est d'avoir accès à une certaine stabilité de vie, et pour les parents, d'être honnête avec eux à propos de leurs relations.

La segmentation du temps

La segmentation du temps est également une dimension essentielle du vécu polyamoureux. Savoir trouver sa limite souligne la difficulté qu'ont les personnes à partager et organiser leur temps en fonction de chaque partenaire. Pour Antoine, si dans le polyamour «l'amour est inépuisable, le temps, lui, l'est». Cette difficulté à gérer le temps passé entre chaque partenaire peut d'ailleurs être source d'insécurité et de «gêne» pour Antoine : «Je me suis senti un petit peu lésé et je n'ai pas trop su lui expliquer cette boule de jalousie».

Cette segmentation va cependant différer en fonction des besoins des partenaires et de leurs «bails relationnels». Pour Alex, le fait d'avoir des «amants et amours qui sont loin» rend ses «amours très ponctuels dans l'espace-temps» et annule toute problématique de «codépendance».

Cette problématique ne semble pour autant pas si éloignée des «problématiques d'amitié» selon Léna : «Si tu veux moi je me sens pas plus différent parce que j'aime plusieurs personnes en fait. Parce que finalement c'est les mêmes problématiques avec tes potes

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qu'avec tes proches». Cette problématique prit d'autant plus d'importance avec l'arrivée du Covid-19. Car en plus d'imposer des relations à distance entre les partenaires, la crise sanitaire força les individus à «couper» leur cercle de relation (Léna), les amenant à «privilégier» certaines personnes plutôt que d'autres, afin de limiter les risques de transmission du virus.

Polysaturé

Les difficultés liées à partager son temps entre chaque partenaire nous amènent à la limite extrème du polyamour : la polysaturation. Multiplier les partenaires peut rapidement déborder la personne. Pour Roxane par exemple, son plus gros «challenge» consiste aujourd'hui à donner «100% de son attention et de son énergie à chacun de [ses] partenaires». Cette «charge mentale» peut être difficile à gérer et lui demande parfois «d'avoir du temps pour [elle]». La limite à partir de laquelle une personne est polysaturée dépend de différents facteurs liés à l'individu ainsi qu'au contexte dans lequel il relationne. Ainsi, pour Océane, les conditions spécifiques de temps liées à ses études lui ont permis de fréquenter jusqu'à 5 ou 6 personnes sans que cela ne lui «mette la pression»; à elle, mais aussi à ses partenaires. Aujourd'hui cependant cette configuration serait totalement impossible à tenir avec son activité professionnelle :

Océane : «Je me dis que 3 relations vraiment importantes pour moi ça fonctionne relativement bien. Ca permet de faire de la place, ça permet de me sentir reliée, de savoir qu'il ya des choses supers belles que je peux cultiver, que j'ai pas besoin de me mettre la pression, de mettre la pression aux partenaires, où je mets la pression quand j'ai vraiment envie de ça à certains moments.»

Le pilier du polyamour : l'hypercommunication

D'une façon générale, la communication est l'élément majeur permettant une connaissance et une proximité intime mutuelle (Klesse, 2011). C'est également cet engagement à l'honnêteté et à la transparence qui permet au polyamour de sortir des cadres mononormatifs (Mint, 2004). L'éloge de l'hypercommunication est à la base de tous les entretiens de ce mémoire. Il se retrouve dans le discours de Benjamin, expliquant que pour «pouvoir vivre une relation polyamoureuse ou libertine sainement», la norme «la plus importante» est celle de la «sincérité», voire de la transparence. Cette norme, qu'il décrit comme étant primordial dans les autres types de relation, est tout simplement nécessaire pour toutes personnes se disant polyamoureuses :

Benjamin : «Déjà je pense que c'est ultra malsain d'avoir une relation monoamoureuse si

t'es pas sincère avec la personne, mais alors dans une relation polyamoureuse je pense que c'est même pas possible. A partir du moment où tu brises cette norme et que tu as plusieurs

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relations avec plusieurs personnes, faut que tu sois sincère dans tes sentiments et dans ce que tu transmets aux gens, sinon ça va pas bien finir.»

Le fait que la communication soit plus «nécessaire» (Benjamin) pour les relations polyamoureuses que monoamoureuses est justifié de la manière suivante par Léna :

Léna : «Quand on est dans un schéma monogame souvent tu communiques pas donc en fait tu poses pas les limites, et là si il y a bien un truc dont on n'a pas le choix en tant que polyamoureux c'est de poser des limites.»

Cette emphase sur la communication se retrouve aussi dans tous les ouvrages et «guides» sur le polyamour. Des chapitres entiers livrent des conseils sur la façon de parvenir à des accords et à communiquer en cas de conflit entre partenaires (par exemple Easton, Liszt, 1997). Ainsi, la mise en pratique d'une communication claire et efficace permet d'arriver à différents objectifs pour les enquêtés. Pour Lilou, elle permet de faire évoluer la relation et de pouvoir avancer au même rythme :

Lilou : «Maintenant on est sur une relation à 3 et on a équilibré un peu la relation. Et ça je pense que si on n'avait pas fait ce travail j'aurais pu me sentir longtemps en décalage en me disant jusqu'où je peux aller, qu'est ce que je peux construire et à quel moment.»

Ce qui a permis à cette relation de «vraiment bien marcher» pour elle, c'est aussi cette volonté commune «d'appuyer là où ça fait mal», et de «ne pas laisser de zones sombres dans la relation». Cette communication relève parfois de «l'effort» car elle doit s'imposer «même quand c'est pas agréable» : «parce que des fois t'as pas envie parce que ça te met mal à l'aise et ça te met dans l'angoisse». Ensuite, à ces phases de communications intensives où «on essaye vraiment de comprendre les points de vue et de comprendre ce qui fait le malaise», se succèdent toujours des «moments de bienveillance» afin de signifier aux autres et à soi «qu'on est heureux d'être ensemble».

Pour Océane, la communication est un élément essentiel de la construction de ses relations, notamment du fait de sa neuroatypie :

Océane : «Je suis neuroatypique et ce n'est pas facile pour moi d'interpréter exactement ce que les gens ressentent. Je le fais beaucoup par inférence et j'arrive à m'en sortir avec des verbalisations très riches et complexes de ce qu'il se passe et de ce que je peux vivre.»

La création d'un «espace d'intimité où il est possible de communiquer» permet de «savoir quels sont les ressentis de l'autre» et de ne pas ressentir de la «détresse». La règle «implicite» de l'hypercommunication est aussi pour Agathe ce qui lui permet «d'éviter d'avoir des moments d'insécurité ou de jalousie». Selon l'adage «l'inconnu fait plus peur que ce qu'on connaît», la possibilité pour elle de pouvoir «analyser» et «comprendre ses émotions» et de n'avoir «aucun tabou» est «plus simple» que de «projeter ses angoisses sur quelque chose

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qu'on ne connaît pas». Pour Antoine, la transparence et le fait de «tout dire» lui permet d'être «rassuré» car cela permet d'être «inclus dans l'expérience de l'autre».

La communication est aussi un apprentissage. Pour Léna, il est essentiel d'apprendre à bien communiquer plutôt que beaucoup :

Léna : «Ça, on a appris à le poser: on a toujours été très transparents donc on se dit tout, mais on a appris à se dire les choses au bon moment. À pas arriver avec ses gros sabots, à cracher son bonheur à l'autre, mais aussi de sonder quand l'autre est en capacité de recevoir les choses.»

La sincérité et la communication peuvent aussi se retrouver vis-à-vis de son enfant :

Léna : «On a souvent ces questions-là, comment se gère le polyamour avec des enfants. Nous on en fait on le fait le plus naturellement possible, c'est-à-dire que Elie elle sait qu'on a des amoureux et des amoureuses. Elle a pas vraiment besoin de poser la question parce qu'en fait c'est clair et net que moi je me cache pas pour embrasser son père devant elle, donc bah je me cache pas non plus pour embrasser Nicolas ou autre devant elle, ou donner la main quand on se balade dans la rue.»

Avec certaines limites cependant :

Nicolas: «C'est un peu délicat dans le sens ou si tu donnes les termes il y a un peu de peur

que l'enfant se balade avec des termes d'adulte et qu'il les balance comme ça et du coup que ça soit compliqué pour lui. C'est plutôt que la réflexion sur le couple et la famille a déjà été bien poussée.»

Selon les termes de Nicolas, il est essentiel de pouvoir «donner les mêmes outils» de communication à un enfant, «pour qu'il puisse mener lui-même ses désirs et qu'il puisse dire s'il y a un problème» : «C'est incroyable là, la petite elle s'appelle Elie et elle fait des trucs de connexion, de communication, d'exprimer ses sentiments de façon vraiment très claire quoi.»

La volonté de travailler à la résolution des conflits et l'accent mis sur la communication sont autant de démonstrations d'un profond engagement dans les relations en question (Klesse, 2011). Pour Agathe, ne pas communiquer revient donc à tromper et à «une espèce d'immense manque de respect» :

Agathe: «La communication c'est simplement la chose que je demande le plus, et ça n'a pas

été fait [...]. On dit que quand on est poly on ne peut pas tromper, mais moi je pense que si parce que pour moi il m'a trompé en fait, c'est vraiment le même feeling que s'il m'avait trompé.»

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Polycule et métamour : construire son nouveau cercle de relation

L'application d'une communication claire et transparente s'étend au-delà de la relation intime, en se mettant en place entre tous les membres d'une relation polyamoureuse, ou «polycule». Cette communication se fait tout d'abord par la volonté de faire se rencontrer les différents partenaires (appelés aussi métamours) d'une relation. Cette décision peut même être à l'initiative des métamours eux-mêmes :

Roxane: «En fait c'est pas moi qui l'ai demandé du tout, mais c'est eux qui l'ont décidé pour essayer de désamorcer un peu la gêne qui pourrait s'installer sinon. Donc comment mieux connaître l'autre, comment apprendre à connaître l'autre en ayant en commun une personne.»

La construction d'un polycule peut également se passer en ligne via les applications de messagerie instannée comme Signal (pour Camille) ou Discord (pour Agathe) :

Agathe: «On a un espèce de serveur Discorde où on a un peu ce groupe-là. Ce qui fait que maintenant mon mec les connaît tous et il s'entend très bien avec eux. C'est vraiment un espèce de groupe d'amis soudés avec lequel on a des relations, quoi tout simplement. Les affinités sont plus ou moins fortes, des fois c'est juste on se connaît, et des fois c'est genre pur potes, ça dépend vraiment des gens et des affinités.»

La volonté que tous les partenaires «se connaissent et aient un certain degré de lien» et de construire un polycule fonctionnant «de manière très très intense» est un idéal relationnel» pour Océane. Même si cette cohésion peut être difficile à mettre en place lorsque les «dynamiques sont très différentes» entre les partenaires. Cette volonté d'avoir «sa» communauté polyamoureuse est d'ailleurs un sentiment partagé par beaucoup de personnes selon Agathe :

Agathe : «Je devais mettre un euro à chaque fois qu'il y a un nouveau poly qui me dit «j'aimerais trop ouvrir un village poly en France en mode éco quartier, éco village où tout le monde a ses maisons»... Ils ont tous la même idée (rire) !»

Le polycule ne s'arrête d'ailleurs pas aux relations intimes et proches entre partenaires, mais peut s'élargir à différents membres éloignés du polycule, faisant partie de la «famille étendue»

:

Léna : «Elie considère Nicolas comme un membre de sa famille qu'elle chérit plus que tout, et Caroline, la maman de Nicolas qui désespère de ne jamais avoir de petits-enfants, voit Elie comme une petite fille de substitution.»

Le polycule souligne donc l'aspect communautaire que peuvent avoir certaines relations polyamoureuses. Pour Océane, «l'amour intracommunautaire a une force remarquable» car il génère des dynamiques de solidarité, de «soins mutuels, d'attention, de réflexion», permettant de «faire croître les personnes dans leur relation». La forte proximité de chacun des

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partenaires investis dans le polycule peut générer des bienfaits, mais aussi de l'insécurité lors de la survenue de conflits :

Camille : «Finalement tu vois la rupture entre Ethan et Ria, qui sont deux personnes avec qui j'étais pas du tout, a eu un impact sur ma relation à moi. Quand tu dis à quelqu'un que tu es poly les gens te demandent «ah bon mais vous êtes pas jaloux ?», ils te demandent pas «ah bon mais comment vous gérez quand il y a quelqu'un qui se sépare ?»

Ce qui nous fait revenir à la notion suivante: dans le polyamour, il vaut mieux savoir «bien» communiquer que «beaucoup». Il est tout aussi primordial d'être transparent et honnête vis-à-vis de ses partenaires que de connaître le potentiel impact de ses paroles ainsi que la situation et le ressenti de la personne en face : «il m'a dit ça comme tu en parles à un pote tu vois [...] je pense qu'à ce moment-là il était dans un truc où il se confiait tu vois, il a pas du tout pensé à ce qu'il était en train de me dire.» (Camille).

Garder ses amours, quitter ses amis

La renégociation permanente au sein des relations polyamoureuses puise ses racines dans la volonté de ses membres de conserver durablement leurs relations. Léna par exemple, nous explique que le polyamour lui a appris à poser ses «bails émotionnels» afin de «ne plus rompre». Il lui semble par exemple «aberrant de rompre» du fait de la distance. Poser ses besoins est donc un moyen de garder une certaine stabilité relationnelle, que ce soit pour iel ou pour ses proches :

Léna : «Avant j'avais peur pour Elie, que ce soit difficile pour elle si jamais on rompait avec nos relations amoureuses. Et en fait c'est quelque chose pour laquelle j'ai plus peur. Parce qu'en fait maintenant on sait qu'on est capable de communiquer et que finalement rompre une amitié c'est pareil que pour rompre en amour si jamais ça arrive.»

Cette volonté d'inscrire une relation amoureuse dans le temps long «s'éloigne beaucoup de l'idée de ce que c'est que de relationner» pour Océane: «un jour ça s'arrête, et après je suis censée me sentir moins confortable et maladroite à chaque fois que je reparle ou que je recroise la personne». Elle utilise souvent d'ailleurs la métaphore de l'arbre et du jardin pour penser dans le temps :

Océane : «J'emploie pas mal, quand j'essaie de penser à mes relations, l'idée de faire

«croître» ou de «nourrir», comme si je parlais d'un jardin, et je le vois beaucoup comme ça. Un jardin avec ces différents arbres, ces différents végétaux, ces différentes plantes. L'arbre c'est une bonne image parce que tu peux voir des arbres croître l'un à côté de l'autre et durer pendant très très longtemps et mêler leurs branchages et il y a plein d'espèces d'animaux qui vont habiter entre les deux. Ça permet de penser dans le temps.»

Pour Nicolas, ce n'est «pas la peine de vouloir dynamiter une relation parce que untel aura décidé de changer de vie». Ces relations ne sont donc pas «un grand adieu à jamais». L'éloignement géographique ou le changement de situation d'une personne n'empêche pas de

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tenir «toujours beaucoup l'un à l'autre» pour Camille, sans pour autant considérer ces relations comme des «ex». Cette «potentielle évolution» des relations permet à Agathe de «ne pas revenir à zéro» si «ça casse», brisant ainsi ce qu'elle nomme «l'escalator relationnel» lui indiquant «vers où elle doit aller»: «c'est pas parce que tu ne veux plus d'un type de relation avec une personne que tu peux pas te dire que cette personne elle va devenir une amie ou un proche».

A l'inverse, questionner le lien que l'on peut garder avec ses partenaires amène aussi à remettre en question la durabilité des relations amicales. Léna par exemple, a appris à «rompre avec des amis» car le polyamour lui a aussi appris à «poser des amitiés».

Léna : «Avec les amis on ne rompt pas parce que voilà c'est des amis depuis toujours. Mais en fait on a vraiment appris nous à rompre avec des amis et à dire «On va se faire du mal parce que je suis pas dans tes valeurs et t'es plus dans les miennes, et du coup bah viens on arrête de se voir en fait». Donc on a appris à rompre nos relations d'amitié, et à changer l'intensité de nos relations amoureuses.»

Les questionnements sur l'amour déteignent ainsi sur l'amitié, et questionnent sur la priorité de fait d'un type de relation sur un autre. Certains polyamoureux, selon Ferne (2020), cherchent à démanteler les hiérarchies sociales dictant comment les relations sexuelles et romantiques sont prioritaires sur les autres formes d'amour. «En exprimant la possibilité d'aimer plus d'un individu simultanément, le polyamour peut atténuer cette dichotomie apparente entre amour et amitié, effriter cette distinction conceptuelle conventionnelle, la rendre, pour le dire avec Barker (2005), plus floue» (Lévesque, 2019).

Océane: «il y a eu une période très heureuse dans ma vie où ma relation la plus importante c'était une amie. Et souvent je considère que dans ma constellation polyamoureuse la personne principale c'était ma meilleure amie. Ça a été un aspect important parce que souvent ces amitiés là elles montraient des aspects de qui j'étais, bien plus que mes relations amoureuses en fait. C'était les relations les plus fusionnelles ou les plus nues, qui faisaient le plus grandir.»

D. Polyamour et stigmates

Une déconstruction parfois conflictuelle et fragilisante

Encore aujourd'hui, le fait de prendre de la distance vis-à-vis de la normativité relative au mode de vie relationnel peut-être source de préoccupations (Lévesque, 2019). Les répercussions potentiellement stigmatisantes occasionnées par cette remise en question de la norme peuvent être source de préoccupations et fragiliser les individus stigmatisés.

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Le stigmate tel qu'il est défini par Goffman (2007), revient à subir le «discrédit profond» des «normaux» lorsque l'on diverge de ces normes et attentes particulières, ce qui semble bien cerner le «sentiment de déviance expérimenté par plusieurs polys» (Lévesque, 2019). Le type de stigmate associé aux polyamoureux «constituerait plus précisément une «tare de caractère», pouvant apparaître comme une forme de malhonnêteté ou encore de passions irrépressibles ou antinaturelles» (Lévesque, 2019). La neuroatypie ainsi que l'homosexualité ou la bisexualité sont également inscrites dans cette catégorie. Pour Agathe, parler de ses soucis à des «gens monos et hétéros» n'est pas forcément possible car «ils ne sont pas forcément capables de l'entendre. Les jugements liés au polyamour - «ce sont des gros pervers !» (Agathe) - ne sont pas dénués de performativité. Lorsqu'en plus y sont amalgamés des comportements d'infidélités et/ou de tromperie, ces stéréotypes permettent de dénaturer ou d'altérer la signification propre du polyamour. Il devient donc de fait plus ardu de s'identifier et de se revendiquer comme polyamoureux.

Se découvrir et surtout se revendiquer polyamoureux prend donc généralement du temps. En plus de cela, s'additionnent au polyamour d'autres questionnements liés aux genres et à la sexualité qui fragilisent d'autant plus le vécu des individus. Ces premiers écarts à la norme (ici, la bisexualité) engendrent des «dynamiques un peu compliquées» pour Océane.

Océane: «C'est pas évident de clarifier ce qui se passe pour toi, ce qui fait ton expérience. D'une part dans l'adolescence je pensais même pas que ça existait vraiment. C'était simple et évident d'être amoureuse d'un garçon et d'une fille quand j'étais petite et dans l'adolescence ça n'avait plus aucun sens. C'était tellement pas avouable que j'aurais pas pu le dire.»

Parfois ces prises de conscience engendrent des conflits très violents vis-à-vis des proches et de la famille, même si le polyamour n'est pas encore consciemment dans l'équation. Pour Léna, qui se décrit comme ayant été élevé «par une famille bourgeoise catholique puritaine», la prise de conscience de ne pas partager les mêmes normes a été très brutale :

Léna : «Alors en fait j'ai eu un déclic assez tard, car quand on a une éducation comme ça on ne se rend pas forcément compte de ces valeurs-là, car on baigne dedans. Le moment où je me suis rendu compte que c'était pas normal j'avais 17-18 ans; quand j'ai eu mon premier partenaire j'ai capté que c'était pas normal ce qu'il se passait. Quand j'ai commencé à partir de la maison on a rompu les liens quasi direct et j'ai repris contact quand j'ai eu ma fille.»

Un des autres obstacles pouvant entraver l'évolution du couple polyamoureux est qu'en contrepartie de ce rejet, les individus polyamoureux se construisent souvent sans avoir de figure de référence à laquelle ils pourraient se rattacher. Le fait que le polyamour soit peu connu encore aujourd'hui rend son exploration laborieuse et chaotique.

Benjamin: «Des exemples de couple monoamoureux tout ce que tu veux j'en ai plein, mais à côté de ça, des exemples de couple polyamoureux j'en ai zéro. Donc je sais pas comment ça fonctionne.»

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Cette pauvreté dans les représentations de mode de vie polyamoureux se retrouve aussi dans les médias. Il est «vraiment très rare» pour Jérémy de tomber sur des représentations «plus ou moins poly» dans les «séries ou les films». Et lorsqu'elles sont montrées, ces représentations sont assez «frustrantes» parce qu'elles ne sont «pas forcément bien amenées". Il est difficile pour Agathe de diffuser «l'image du polyamour» car cela reviendrait à parler de «sexualité» pour les gens conservateurs. En outre, ces représentations sont souvent stéréotypées à travers l'image type du «triangle amoureux» où «ça se passe toujours mal pour les couples poly». Le fait de ne pas avoir d'exemple de «relations poly sur le long terme» engendre même la «peur de ne pas avoir de repères» :

Agathe : «Là en fait j'ai l'impression de naviguer sans radar. [...] L'avantage des relations mono c'est qu'on a un espèce de phare qui fait qu'on sait où on va. Et on sait ce qui est une

réussite et ce qui est un échec. Dans une relation poly on sait pas trop ce qui est réussi ou un échec. C'est un peu le côté effrayant de la liberté.»

La découverte du polyamour est également très déstabilisante lorsqu'un couple est déjà dans l'équation. Pour Agathe, certains voit dans le polyamour une «espèce de rustine, d'alternative sur un couple qui fonctionne mal» alors qu'à l'inverse le polyamour «exacerbe tout» et «met une énorme loupe sur tous tes problèmes de couple», d'où l'idée d'avoir un couple «solide». Le fait de se retrouver confronté à ses «insécurités» - « je ne pensais pas être jaloux à ce point là en fait», «est-ce que c'est pour me remplacer ?» - demande d'avoir une «sacré stabilité de vie pour se lancer». Sa construction est d'ailleurs souvent étalée sur plusieurs relations, avec une remise en question progressive au fur et à mesure des relations et des échecs notamment.

Nicolas : première relation et première désillusion

Ma première relation c'est à 22 ans et du coup avant ça il y avait vraiment pas grand-chose, peut-être des enfantillages à l'école quoi mais pas plus que ça. Du coup j'ai eu première relation où très rapidement on s'est installé en couple pendant deux ans et à cette période-là j'étais encore un petit peu dans l'idée de... genre c'est super tu es technicien du spectacle, tu rencontres quelqu'un à 22 ans c'est bon tu as l'intermittence, la maison, les gamins tout ! Donc j'y ai cru, et puis j'ai rencontré sur mon temps de travail quelqu'un d'autre et du coup je voyais bien que j'étais coincé parce que cette personne avait plus le style de vie qui me plaisait et que j'avais plus envie de vivre un peu comme cette personne vivait, quitte à vivre un peu avec cette personne. Et du coup c'était dur et ça ne m'empêchait d'avoir autant de sentiments pour la personne avec qui j'étais à ce moment-là. C'était la première fois que j'étais confronté à ce truc genre «mais en fait il y a les deux qui me plaisent et je peux pas vraiment faire un choix» du coup je me suis barré de la relation avec qui j'étais et ça a pas plus accroché avec la relation qui me donnait envie. Mais au moins ça cassait tout le truc du «22 ans je faisais des gamins et clac».

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Le témoignage de Nicolas pourrait faire référence à ce fameux «escalator relationnel» décrit par Agathe. À l'inverse des cadres solides et strictes de l'exclusivité amoureuse donnant une trajectoire prédéfinie par la forme même du couple, le polyamour se délimite par des contours «flexibles et poreux» (Lévesque, 2019), qui imposent inévitablement une reconfiguration des frontières de la relation qui étaient auparavant mises en place «par défaut». Cette reprogrammation, bien que déstabilisante et fragilisante pour les relations établies, se fait idéalement par le biais d'une «dynamique communicationnelle réciproque sans cesse renouvelée par les partenaires et favorisant l'agencement de leurs désirs respectifs» (Lévesque, 2019). Pour Nicolas, l'apprentissage concret du polyamour a d'abord été le fruit d'un «travail» à deux avec la rencontre d'une relation «d'accord pour partir là-dessus» : «si en face de toi tu as une personne qui est pas tout à fait chaude c'est vraiment casse-gueule». Dans le cas de Jérémy, le fait de ne pas avoir de normes mises d'emblée à déconstruire a rendu plus facile la mise ne place du mode de vie polyamoureux :

Jérémy : «Je pense qu'avant d'avoir rencontré Camille je savais pas si je voulais dans ma vie un couple exclusif standard. Le prototype du couple. C'était quelque chose qui était vraiment très agréable dans la rencontre avec Camille, c'est que y'avait pas les schémas classiques d'emblée et du coup c'était vraiment très facile de construire autre chose.»

La déconstruction des normes associées à l'exclusivité et au couple change également la compréhension du «normal». La prise de conscience qu'il existe «plusieurs normatifs, parfois contradictoires» permet de comprendre et d'accepter que son vécu (et même celui des autres) «peut-être différent» (Océane).

Nicolas : «Ça m'a aussi permis de pardonner à mon père d'avoir quitté ma mère. En me disant que «ah oui la vie c'est un peu plus compliqué que ce que tu penses» parce que jusqu'à présent je pense que je m'étais un peu mis sur ce rail en me disant que je ne ferai pas vivre une séparation à mes gamins ou un truc dans le genre.»

Le vocabulaire polyamoureux

À nouvelles normes, nouveaux mots. Le vocabulaire polyamoureux ne cesse de s'enrichir et beaucoup de termes furent inventés pour désigner son «vécu poly» depuis les années 90 et l'utilisation massive d'internet (Ritchie, Barker, 2006). Comme nous l'avons vu précédemment, la culture dans laquelle nous vivons façonne les relations, les émotions, les désirs et l'identité des individus (Ritchie, Barker, 2006). La compréhension que nous avons de notre identité sexuelle dépend de la richesse du langage de la sexualité à laquelle nous avons accès (Week, 2014). Cela est visible par exemple chez les personnes non hétérosexuelles qui développèrent leurs propres langages pour exprimer leurs identités, revendiquer leurs communautés et légitimer leurs droits et leurs reconnaissances (Ritchie, Barker, 2006). Cette construction d'un nouveau langage pour se désigner est également visible chez les polyamoureux et notamment dans les discours des enquêtés.

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En outre, le fait d'avoir eu accès aux vocabulaires polyamoureux permit la théorisation et surtout la réalisation de ce mode de vie. Pour Lilou, le mot «polyamour» lui a permis de «se poser les bonnes questions», de voir «ce qu'il existait» en ayant accès à «d'autres expériences d'autres personnes». De plus, il y a pour Océane «une forme de sécurité dans le fait de se sentir la possibilité de nommer les choses complexes». Ce que Nicolas appelle aussi «l'empowerment du langage». Reconnaître et repositionner une relation dans son terme à elle, permet aussi de ne pas la voir comme une menace (Ritchie, Barker, 2006).

Pourtant, ce nouveau langage contient encore de nombreuses failles, et il est parfois difficile de savoir comment nommer les choses :

Léna : «Alors c'est hyper compliqué parce qu'en fait j'ai tendance à dire «amoureux», mais je le dis parce que c'est plus le truc le plus facile. Mais maintenant j'ai arrêté de nommer en fait je dis plutôt «je suis en relation avec». Sauf qu'en fait ça veut rien dire, tu m'as déjà entendu dire «oui Nicolas a une super relation avec Elie !» du coup bah ça veut rien dire en fait. Du coup ce que je dis maintenant c'est «relation engageante et impactante.»

Pour Agathe, certains mots utilisés sonnent encore faux lorsqu'ils sont prononcés, ce qui empêche d'inscrire une relation dans un cadre explicite et nommable :

Agathe: «Yannis ça fait déjà presque six mois qu'on est ensemble et j'ai pas de mots (rire)! Et c'est terrible parce que niveau relation y'a tout pour dire que c'est mon mec, mais ça fait ultra bizarre dans la bouche de dire ça.»

Même si, selon ses mots «on a fait du chemin depuis ces dernières années», le vocabulaire polyamoureux reste «pauvre pour désigner les choses». Ce qui lui impose de prendre «des tournures de communication extrêmement compliquées» : «Par exemple si je dois parler de ma façon de vivre le polyamour j'ai l'impression que je dois en parler pendant une demi-heure avant que les gens comprennent.» Lilou, elle, n'utilise «jamais» le mot métamour car «de toute façon personne sait ce que ça veut dire».

Ainsi, la «mise en mot» du vécu polyamoureux semble être aujourd'hui davantage au bénéfice de ceux qui le vivent. Pour autant, cette incompréhension pourra finir par s'estomper graduellement à mesure que sa diffusion se fera auprès des individus. Selon les mots de Lévesque (2019), «l'élaboration d'un cadre commun d'appartenance et de référence permettra ainsi de favoriser leur reconnaissance sur le plan sociétal, minimisant ainsi les risques de stigmatisation relatifs à la revendication d'une identité relationnelle minoritaire». Il est d'ailleurs, pour Océane, assez frappant de constater que les générations les plus jeunes utilisent et ont accès beaucoup plus facilement à ce nouveau langage, construisant et revendiquant un vécu de façon bien plus précoce qu'elle :

Océane: «C'est intéressant parce que j'ai deux petites soeurs et j'en est une qui a quinze ans d'écart avec moi -et qui maintenant du coup à 15 ans- et qui lesbienne agenre, qui utilise des prénoms féminins et des pronoms neutres et a un rapport d'intelligence à la complexité de ses

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ressentis que j'aurais vraiment aimé voir comme une possibilité quoi. Quinze ans ça fait une énorme différence culturellement sur ce qu'il s'est passé et sur ce qui est devenu acceptable et possible.»

Polyamour et intersectionnalité

L'intimité au sein des relations amoureuses sous-tend encore aujourd'hui la coexistence d'inégalités et de rapports de domination structurellement déterminés (classe, race, identité de genre, orientation sexuelle, etc.) (Jamieson, 1999). La volonté de s'orienter vers une «relation pure»20, telle que conceptualisée par Giddens, se fait toutefois en négligeant les rapports de domination qui transcendent l'individu et le contraignent dans sa liberté de décision (Belleau, 2012). La non prise en compte de ces discriminations se retrouve également dans la construction des relations polyamoureuses, ce qui amènent à reconsidérer ces relations en termes de privilège et d'intersectionnalité :

Léna : «T'as beau penser qu'entre polyamoureux ça va le faire parce qu'on est poly, y'a toujours ces problématiques de privilège en fait. Typiquement dans mes cafés poly j'ai des personnes qui sont des hommes cis et des femmes cis, et quand au milieu y'a des personnes queer qui arrivent, ou des personnes neuroatypiques, il faut faire attention quoi. Les personnes sont pas forcément déconstruites là-dessus en fait. C'est pas parce que t'es déconstruit sur un sujet que t'es déconstruit sur tous les sujets.»

Ainsi, nous observerons au sein de cette partie les différentes manières dont peut se vivre le polyamour en fonction de ces identités. Bien que l'étude de l'intersectionnalité au sein du polyamour ne soit pas le sujet de ce mémoire (et qu'il pourrait faire à lui tout seul l'objet d'une étude approfondie), l'existence de ces différents rapports de domination s'ancre profondément dans les parcours de vie des personnes polyamoureuses et structure le discours des différents enquêtés.

Ainsi, à la question «pensez-vous que le polyamour se vit différemment selon le genre ?» Camille répondit :

Camille : «D'une façon triviale oui, parce que toutes les relations romantiques forcément se vivent différemment selon le genre, parce qu'on n'est pas dans une société où le genre n'existe pas, donc on est tous élevés avec plein de choses liées au genre. Donc ce serait assez illusoire d'imaginer que être une femme, être un homme ou même être une personne agenrée ou non binaire c'est la même chose.»

20 Une «relation pure» est une relation dans laquelle les critères externes se sont dissous : la relation n'existe que pour les récompenses qu'elle peut apporter. Dans le cadre de la relation pure, la confiance ne peut être mobilisée que par un processus de divulgation mutuelle. (Giddens, 1991)

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Certains aspects des relations amoureuses se vivent différemment en fonction du genre. Pour Léna, la charge mentale semble se partager inéquitablement dans ses relations en fonction de ses partenaires féminins ou masculins : «typiquement si je te dis là que j'en ai ras le cul de relationner avec des hommes, c'est qu'en fait j'en ai ras le cul de faire le boulot émotionnel de la relation en fait». Iel dénonce également les relations qu'iel a pu avoir avec des hommes hétérosexuels lors de ses premières expériences polyamoureuses :

Léna : «J'ai commencé à coucher avec mes potes, et comme j'ai eu une éducation hétéronormée c'est beaucoup plus facile de sortir avec mes copains hommes. Donc ça c'est cassé la gueule comme pas possible parce c'était franchement nul et que j'étais vu en général comme la super pote avec qui tu baises et du coup ben c'était pas OK parce que j'avais des sentiments avec ces personnes là donc ça m'a fait du mal.»

Des «patterns» de jalousie semblent aussi, pour Roxane, se retrouver chez ses trois partenaires masculins: «le fait que je couche avec des femmes ça les dérange absolument pas, le fait que je couche avec des hommes ça les titille...». Agathe dénonce également le «slutshaming» qui peut être présent lorsqu'une femme polyamoureuse «revendique» le fait d'avoir des relations : «Là où les gars vont plus pouvoir passer pour des champions s'ils pêchos, ben les nanas c'est des salopes évidemment». Pour Alex, il est certain que «les mecs ont pas les mêmes trucs à déconstruire que les meufs». Les façons «d'aimer» et «d'exprimer de l'amour» diffèrent en fonction des «genres assignés» et de «l'éducation stéréotypée et genrée féminine et masculine».

Alex : «Du coup le complexe de dominant/dominé il n'est pas le même, le contexte d'expression/non-expression il n'est pas le même, et il y a vraiment un truc pour moi très marqué car les mecs ont pas les mêmes trucs à déconstruire que les meufs. Ça se voit dans la vie de tous les jours et du coup pour le polyamour c'est pas forcément les mêmes référentiels de trucs à explorer et à travailler.»

Invisibilisation et privilège

L'étude de la non-monogamie consensuelle est un domaine relativement récent. Aujourd'hui encore, selon Noël (2006) une grande majorité des écrits basent leurs analyses sur l'étude d'un «certain type» de polyamoureux (blancs, issus de la classe moyenne, ayant fait des études supérieures, cisgenres, neurotypiques). Toujours selon l'auteure, «cette tendance à ne pas prendre en compte ces privilèges culturels fait probablement du polyamour un choix plus réalisable pour certains que pour d'autres». Cela conduit à fractionner le parcours de vie polyamoureux en invisibilisant certains types de vécu, mais aussi à empêcher une connexion et une collaboration significative avec d'autres personnes ayant un intérêt commun :

Océane: «Les ressources sur le polyamour sont souvent très hétérocentrées et cisgenres. Ces ressources ne sont pas mauvaises, mais leur utilité est limitée. [...] Parce qu'en termes de

ressources, en termes de dépendance économique mutuelle, en termes de dépendance interpersonnelle, le registre est complètement différent en fait.»

Pour Océane, femme trans, bisexuelle et neuroatypique, il est très difficile de s'y «retrouver» lorsqu'elle «essaye de lire des bouquins sur le polyamour» : «ça parle beaucoup de couples monogames qui s'ouvrent, et j'ai pas du tout cette expérience là». Les façons et les raisons de relationner vont être totalement différentes également, une des raisons pour lesquelles Océane a choisi le polyamour étant liée à la volonté de «se sentir beaucoup plus en sécurité dans [ses] relations avec des hommes», ou de construire des relations sécurisantes, détachées des mécanismes de codépendance et d'exclusivité.

Les communautés asexuelles ou aromantiques sont aussi en dehors de l'équation, alors que pour Océane ce sont des communautés dans lesquelles le polyamour est un thème très important, «entre autres parce que tu peux avoir un ou une partenaire qui n'est pas sexuel et qui a envie d'avoir des partenaires pour vivre sa sexualité». D'un point de vue inverse, les représentations médiatiques du polyamour dépeignent généralement son concept en termes d'intimité sexuelle et/ou romantique, ce qui exclue les personnes s'identifiant comme aromantiques ou asexuelles cherchant des «attachements interpersonnels ou sécurisés à travers des formes d'intimité émotionnelle plutôt que romantiques ou érotiques» (Ansara, 2020).

Pour Agathe aussi, le polyamour se pense et s'expérimente différemment selon la «transidentité et la cisidentité», et selon la «neuroatypie» et la «neurotypie». Pour elle, le fait d'avoir toujours «pensé différemment des gens autour de toi» rend peut-être «plus facile» le fait de «pouvoir remettre en question les questions de société» :

Agathe: «Dans mon cercle de poly y'a énormément de gens neuroatypiques. [...] je connais plusieurs personnes sur le spectre autistique qui se disent non binaires ou agenrées et aussi qui sont poly parce que justement ils gèrent leur relation de façon beaucoup plus en phase avec leurs troubles.»

Ainsi, il sera intéressant dans les futures études de s'intéresser davantage à l'intersectionnalité au sein du polyamour; en posant les bases d'une réflexion sur les rapports de domination et d'oppression systémique présents au sein des relations polyamoureuses. La visibilisation de ces vécus permettra d'inscrire le polyamour dans une perspective globale de mutation relationnelle, et non plus comme un privilège de classe, réservé à une frange très réduite de la population (Noël, 2006).

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Le coming out

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C'est un fait, les communautés polyamoureuses sont stigmatisées (Sheff, 2005) et évoluer en temps que polyamoureux entraîne des réactions plus ou moins virulentes de la part des proches. C'est d'ailleurs une des difficultés à laquelle a pu pallier l'usage des sites de rencontre et les réunions types «cafés poly» : rencontrer et discuter avec des personnes polyamoureuses dans un cadre anonymisé et distancié permet de rassurer et de mettre en confiance. Mais lorsque la divulgation de son identité, le «coming out», se fait auprès de ses proches, les réactions peuvent-être très diverses, pour le meilleur et pour le pire.

Pour plusieurs enquêtés par exemple, parler de son polyamour à ses proches a été plutôt bien accepté. Benjamin n'a «jamais eu de rejet» en en parlant autour de lui, Antoine aussi «n'a pas eu trop de problèmes à leur expliquer» - « Je pense que ma mère elle est un brin hippie sur les bords !» - malgré le fait qu'ils ne soient «pas si proches» : «Quand je découvre un truc j'ai besoin d'en parler à tout le monde !». Pour Lilou aussi, l'annonce d'être en trouple polyamoureux a été «vraiment super simple» pour ses «potes». Cela engendra même des «discussions sur le polyamour» très «bienveillantes» avec «plein de gens», même si parfois «un peu malhabiles» avec «un peu d'incompréhension». Pour Nicolas, l'annonce de son polyamour fut très bien acceptée par sa mère, mais un peu plus «délicat» avec son père: «ça a été pris à moitié sur la blague du genre «ah elle te dit ça mais c'est pour te quitter dans pas longtemps !». En ce qui concerne Camille, le coming out a aussi été très facile «dans le sens où pour [son] père ce n'était pas le premier». Ayant déjà fait son coming out bi, trans et même végan auparavant, «il a déterminé que bon je serai pas dans la norme et que finalement j'étais heureux comme ça». Faire plusieurs coming out est quelque chose d'assez fréquent, la plupart des enquêtés étant également bisexuels et/ou pansexuels et/ou trans et/ou non binaire. C'est d'ailleurs le vécu de Alex, qui fit trois coming out -non binaire, pansexuel et polyamoureux-en même temps :

Alex : «Je pense que le premier truc que je leur ai dit c'est que j'étais non binaire, et que je préfère qu'on me genre au masculin. Ensuite je me dis que j'étais pansexuel et que c'était un peu lié à la nonbinarité car si je ne me ressens pas d'un genre en particulier, les attirances ne sont pas d'un genre particulier non plus. Ensuite je suis polyamoureux, parce qu'en plus que mes attirances ne soient pas spécifiques à un genre, elles ne sont pas spécifiques à une seule personne (rires). C'était un peu les trois trucs qui allaient ensemble pour moi, c'est une triade dans la perception du monde très présent très important pour moi.»

Faire son coming out peut avoir différents impacts sur la dynamique des relations vis-à-vis de ses proches. Pour Lilou par exemple, le coming out polyamoureux a changé sa position de «petite dernière» au sein de sa fratrie - «Je me suis retrouvée dans une position où c'était moi qui avais un peu des choses à leur partager que eux n'avaient pas vécu.» - mais a généré aussi des discussions «au sein de couples de [son] entourage» sur «ce dont ils avaient envie» :

Lilou : «Ils ont pris le temps de réfléchir à pourquoi ils avaient envie d'être monogame, ce que ça leur apportait. Donc ça a permis de discuter de choses qui étaient un peu implicites et dont personne ne se rendait compte parce que c'était pas discuté tout simplement.»

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Faire son coming out trans, bi et polyamoureux a permis pour Océane de créer de nouveaux liens avec sa famille :

Océane : les nouveaux liens

J'étais celle qui a introduit ça dans ma famille sous différents angles. Dans ma relation avec ma plus jeune petite soeur parce que toutes les deux on parle de diversité de genres et d'expériences non hétérosexuelles comme étant notre normalité. Mais par exemple de plus en plus comprendre des choses sur mon expérience des troubles psy, je finis par comprendre des choses que ma mère n'avait jamais comprise sur elle-même. Et j'ai fini par réaliser qu'en fait je peux avoir une relation d'intimité et de compréhension mutuelle avec ma mère sur ça. Réparer des choses pour moi et réparer des choses pour elles, ou au moins être là à côté d'elle quand elle apprend des choses pour elle. Et c'est vachement intéressant en fait. Et ça pour moi ça intervient après dix ans de thérapie et pour ma mère quelque chose comme 25 ans de thérapie. J'ai vu des vulnérabilités émerger quand j'ai commencé à faire mon coming out dans ma famille. En particulier mon père, j'ai vu des trucs de vulnérabilité super intenses et je me suis dit «OK. Là il y a un rapport au genre qui est super fragile et compliqué». Je suis très triste qu'il soit pas capable de le travailler, qu'il ait pas les ressources, qu'il ait vécu telle et telle chose dans son milieu familial qui faisaient que c'était tellement pas une option de commencer à envisager certaines choses. Ça me rend très triste, mais en même temps je sais qu'il y a un type de lien qui ne peut pas être proprement parlé, nommé, partagé, mais il existe.

Parler de son orientation relationnelle à ses proches n'a pas pour autant été facile pour tous les enquêtés, pouvant être très bien accepté chez les uns, mais source de confrontation chez les autres :

Lilou : «Par contre c'était compliqué pour ma maman. Y'a eu vraiment beaucoup de trucs très durs, on se parle un petit peu maintenant, mais pas beaucoup. [...] Mais c'est hyper dur pour elle, ça a été super dur pour moi, on n'a pas parlé pendant deux mois. Elle m'a vraiment dit des choses très dures, c'était beaucoup sur la bisexualité parce que pour elle la bisexualité c'est pas possible.»

La confrontation de son mode de vie à ses proches a été également difficile pour Soan, qui «n'ose plus en parler» avec un de ses «amis les plus proches» suite à sa réaction: «il m'a fait «ah ouais ok... bon bah chacun sa vie hein...». Les réactions à l'annonce de l'ouverture du couple ont été difficiles pour sa conjointe aussi :

Soan : «Elle avait commencé à en parler à sa meilleure amie, et là ouais c'était chaud quoi. Elle s'est sentie ultra jugée et sa pote lui disait «ouais Soan le pauvre quand même !» [...]. Et franchement ça m'a fait de la peine, ça m'a fait chier pour elle.»

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Selon la psychologue Meg Barker (2005), plusieurs phénomènes peuvent expliquer ce rejet, notamment la remise en question des catégories «ami» et «amant» qui, si elles sont bien définies en situation monoamoureuse, sont brouillées par l'arrivée du polyamour. Les normes pesant sur l'infidélité et les normes définissant la binarité «mâle/femelle» et «homo/hétéro» sont aux racines de l'obligation de la monogamie exclusive hétérosexuelle. Selon une enquête de Table (2017), le polyamour serait davantage stigmatisé que l'infidélité, du fait que la notion d'infidélité sous-entend une volonté d'adhérer à la monogamie. Le seul langage possible à utiliser serait donc binaire : monogame ou infidèle. Et alors que la vision de l'infidélité comme forme de non-monogamie (non consensuelle) est possible au sein de l'Occident, le polyamour, lui, ne l'est pas (Ritchie, Barker, 2006).

Cette difficulté à s'exposer fut également présente lors des entretiens, le fait que les entretiens soient anonymisés et non filmés a pu singulièrement rassurer (pour Soan notamment) : il y a une peur de l'exposition et des conséquences de cette exposition (auprès de ses proches, ses amis, ses collègues de travail). Les personnes polyamoureuses doivent donc jongler entre l'envie de parler et le besoin de se protéger des éventuelles conséquences de leur parole. Pour Roxane par exemple, l'idée de faire son coming out «a longuement mûri» dans le sens où elle a attendu d'être «sûr [d'elle]» et d'être «vraiment certaine et stable» : «en sondant le terrain avec ma mère je me suis dis qu'il y a pas de raisons que ça se passe mal quoi». Alex n'avait lui «aucune envie de faire ça» mais le «besoin de [s'exprimer] et de rendre ça visible» a pris le dessus. D'où l'utilisation de l'écriture et de la lettre comme média, afin d'éviter une «confrontation physique et orale» :

Alex : «Je leur ai écrit une lettre [...] qu'ils ont reçu très rapidement juste avant Noël. C'était

le premier Noël ou je ne voyais ni mes frères, ni mes parents, je suis loin de chez moi, j'ai plus de maison, et je viens de faire mon coming out à mes parents... wouhou ! C'était une période compliquée émotionnellement pour moi, mais j'avais vraiment besoin de leur exprimer et de mettre ça au clair.»

Ce jeu d'équilibriste trouve parfois sa finalité dans le fait de préférer cacher son mode de vie polyamoureux plutôt que de prendre le risque d'être rejeté.

Le besoin de se cacher

Selon Anapol (2010), la situation de vie des personnes polyamoureuses est caractérisée par l'invisibilité, le risque de discrimination et l'exclusion de toute protection juridique de leurs relations et de leurs familles (Carlström, 2019). La crainte de poursuites judiciaires, le harcèlement et la stigmatisation sociale de la part de la famille, des amis et des proches, font qu'une majorité des familles polyamoureuses préfèrent dissimuler leur structure familiale (Pallotta-Chiarolli, 2010). En outre, l'ignorance de l'existence des relations non exclusives

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dans le monde professionnel (écoles, soins de santé, services sociaux) précarise d'autant plus ces communautés (Carlström, 2019).

Cette crainte de la discrimination et de l'exclusion se retrouve aussi dans le discours des enquêtés à travers leurs difficultés à parler de leur situation polyamoureuse, voir, de leur ferme résolution à la dissimuler :

Agathe : «Ma famille ils le savent pas du tout parce que je viens aussi d'une famille assez assez tradi. Enfin mes parents ça va, mais par exemple du côté de mon père ce sont des catholiques traditionalistes. Disons que j'ai toujours dit que si je voulais me faire déshériter je parle de ma vie actuelle. [...] Peut-être qu'à terme j'en parlerai, mais pour l'instant disons que c'est vraiment pas le but. Parce que c'est très compliqué de devoir expliquer à mes parents.»

Le fait qu'Agathe ne se sente «pas du tout capable» de faire son coming out est très fortement lié aussi à cette «peur du jugement» et cette «anticipation» qui rend difficile le fait de parler de son mode de vie polyamoureux «en dehors du cercle poly [qu'elle s'est] créée". Jérémy lui n'a pas eu encore l'occasion d'en parler avec ses parents du fait d'une difficulté à communiquer :

Jérémy : «Mes parents ne sont pas au courant, mais c'est juste que l'on n'a pas une relation où on parle avec mes parents. Ils ont du mal à communiquer et du coup moi aussi, et du coup c'est assez rare qu'on se dise des choses personnelles. J'aimerais bien qu'ils soient au courant mais pour l'instant c'est jamais venu.»

Soan, lui, décida de ne pas parler de son mode de vie polyamoureux à sa fille, même s'il pense qu'elle «doit le sentir quand même quelque part». La prudence est également de mise dans le monde professionnel pour Nicolas : «Pendant longtemps j'ai eu tendance à faire un peu trop confiance aux gens et maintenant je le fais moins même si c'est cordial». Camille prit aussi la décision d'y aller «petit à petit» dans son travail, notamment du fait qu'il n'ait «toujours pas de poste permanent», ce qui le rend «assez précaire».

Plus que sa propre protection, la discrétion sur son identité polyamoureuse se fait aussi pour protéger l'autre. Léna par exemple, ne parle pas de son polyamour chez iel :

Léna : «En fait on est dans un village de 200 habitants, et autant je m'en foutrais de ce que

peuvent dire les gens, autant il y a quand même Elie qui est scolarisée ici et du coup j'ai pas envie que ça lui retombe dessus. Du coup je le cache pas non plus, mais je le divulgue pas quand même.»

Lilou se garde également d'en parler au travail par crainte des répercussions que pourrait avoir cette nouvelle sur ces deux partenaires étant donné qu'ils ne sont «pas si loin dans [leur] domaine de travail». D'autres fois encore, c'est à la demande de l'autre que la personne va cacher son mode de vie. Léna par exemple, ne parle pas de sa situation aux parents de son

mari, ce qu'iel trouve «un peu problématique» car «ça ne [lui] plaît pas trop d'être obligé de mentir», mais d'un autre côté iel juge qu'il ne serait pas acceptable de «lui imposer de faire un coming out».

Une des raisons avancées pour choisir de ne pas parler de son polyamour à son entourage relève du conflit générationnel :

Agathe : «C'est un peu l'expression du «on n'apprend pas au vieux singe à faire des grimaces». Je ne me verrai pas changer politiquement et socialement mes parents alors qu'ils ont passé plus de 50 ans à croire aux valeurs du mariage et de la famille.»

L'apparition et la revendication du polyamour étant relativement récente dans nos sociétés occidentales, certains enquêtés, comme Antoine, préférèrent ne pas «faire s'effondrer [le] petit château de cartes» des personnes plus âgées. Lilou, elle, profite du «flou» engendré par sa situation pour ne pas faire de coming out :

Lilou : «Dans ma famille, je me suis arrêtée à un certain cercle de proches. Et donc notamment mes grands-parents, je ne leur en parle pas. Là elle commence tout juste à accepter que je suis végétarienne, et ça m'a pris un an ! C'est vraiment une autre génération.»

Décider de ne pas faire son coming out n'est pas un choix facile car il revient à mentir (par omission ou non) à une partie de ses proches pour sa propre sécurité. Agathe trouve «ridicule» le fait que l'utilisation de certains termes, volontairement flou comme «c'est mon pote» épargne «tellement de problèmes de vie». Pour Antoine, cela revient aussi à devoir travestir ses comportements en fonction de la présence de certaines personnes : «on s'est baladé tous les trois pendant peut-être une ou deux heures et moi je pouvais pas trop la prendre dans mes bras. C'est un peu frustrant». Camille lui, ressent de la frustration de ne pas pouvoir assumer ouvertement son polyamour :

Camille : «Des fois c'est un peu tendu. [...] Donc ça je le fais mais je ne suis pas à un stade dans ma vie où je suis capable d'assumer plus que ça. Ça me fait chier, des fois je me dis que j'aimerais bien être la personne qui dit «ben voilà c'est comme ça j'en ai rien à foutre», qui est tellement sûr de lui, tellement en confiance dans le fait que c'est ok d'assumer ça socialement, que tout le monde est obligé d'aller avec. J'aimerais bien, mais j'y suis pas. Donc j'espère qu'un jour j'y serai.»

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E. L'intentionnalité du parcours de vie polyamoureux

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La cohésion avec soi-même

Si le polyamour soutient un ensemble de normes et de règles (principalement tournées justement vers une absence de «règles strictes»), il répond à des valeurs primordiales hautement valorisées au cours des entretiens : la cohésion avec soi-même et la quête de la liberté.

Benjamin : «J'ai vécu en essayant d'être en adéquation avec mes principes. [...] moi j'ai vécu comme je pensais que c'était bien de vivre, c'est-à-dire en étant sincère en ne se réfrénant pas sur ses pulsions en me disant «ah mais là je sens que je ressens quelque chose pour cette personne mais ça peut pas exister je suis déjà en couple c'est pas possible». Donc j'ai vécu ça en étant sincère, et les gens appellent ça polyamour.»

Le type d'amour traditionnel «romantique» tel qu'il peut-être théorisé dans nos sociétés actuelles (monogame, exclusif, hétéro) ne suffit plus aujourd'hui à représenter la pluralité des formes d'intimité relationnelle et amoureuse vécues concrètement par les individus (Lévesque, 2019). Selon Luhmann (1990) la vision d'un amour romantique et ascétique ne saurait être combinée avec une «tolérance croissante envers les relations sexuelles prémaritales et le nivellement considérable des différences de rôles entre les sexes». Les nouvelles attentes des partenaires sont hautement individualisées et moins propices au consensus (Giddens, 2004), faisant de «l'amour» non plus un sentiment, mais un médium ayant pour «tâche spécifique» de «permettre de cultiver et de favoriser le traitement communicationnel de l'individualité (Luhman, 1990).

La libération et l'émancipation des moeurs face aux contraintes de la tradition donnent la possibilité aux individus de négocier leurs différents désirs, de poser leurs besoins et d'exprimer leurs intérêts propres, tout en ayant cette volonté d'agir en permanence en accord avec sa morale et ses principes (Lévesque, 2019). Loin d'être un frein à leur liberté, Soan considère ces réflexions comme étant un moyen de parvenir à cette dernière. Le polyamour n'est donc pas une fin, mais un moyen de parvenir à cette cohésion, et serait alors à considérer avant tout comme étant l'application de cette quête de liberté à la sphère intime et amoureuse :

Soan : «Et donc ce dont je te parlais, c'est la quête de la liberté, et de qui tu es. Et donc au

milieu de tout ça il y a une réflexion c'est « qui tu es » et « qui se permet de décider à ta place », et c'est valable pour toi: tu n'appartiens à personne et personne ne t'appartient. Et donc c'est là où ça rejoint l'idée du polyamour, c'est que si c'est valable dans tes choix de vie, c'est valable aussi dans ta vie amoureuse dans ta vie amicale, dans les personnes avec qui t'es en partenariat pour travailler. Et donc y'a cette quête de soi.»

Cette volonté d'affirmer ses besoins et ses désirs caractérisant les relations polyamoureuses se retrouve également dans les valeurs et combats féministes. Pour Léna, «tout a été joué au moment où on a vraiment voulu me remettre à une place». Sa non-exclusivité et son féminisme sont nés alors qu'iel cherchait à se libérer de sa condition de «mère» :

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Léna : «Mon féminisme il est né -même s'il était sous-jacent depuis très longtemps- quand je suis devenue mère et quand en fait on a voulu mettre très fort ma fille dans une case, et moi on a voulu très fort me mettre dans une case de «femme de» et de «mère de»[...]. J'ai vraiment revendiqué mon féminisme, et c'est pas un hasard si c'est là où j'ai ouvert mon couple ! Y'a tout qui a joué au moment où on a vraiment voulu me remettre à une place ouais.»

Pour Roxane, le choix du polyamour s'est précisément fait pour qu'on ne lui «impose pas un choix qui ne serait pas sain pour [elle]». La déconstruction progressive des «repères» qu'elle avait construit «sur les relations amoureuses et en général» lui ont appris à «savoir dire non» et à se «placer toujours en priorité, tant que c'est dans le respect des autres». Ce jonglage entre «ce besoin de liberté» et «l'amour éprouvé pour [son] copain» ressemble pour Agathe à un «jeu d'équilibriste». En plaçant constamment une «distinction entre «[eux]» en temps qu'individus et [leur] relation», elle critique «ce que beaucoup de gens font quand ils se mettent en couple», à savoir devenir «un espèce de symbiote de deux personnes» : «C'est vraiment pas du tout une vision que j'aime parce que j'ai trop d'affects pour mon individualité et ma liberté.»

Cet impératif de ne pas «chosifier» autrui se combine ainsi avec «la subordination du relationnel par l'individuel» (Lévesque, 2019). Les liens affectifs et amoureux se construisent en congruence avec ce besoin d'autonomie, jugé nécessaire à la conduite d'une relation épanouissante et sécurisante. Un des points important pouvant souligner ce fait est la volonté pour la plupart des enquêtés de disposer de leur propre espace et de leur territoire propre, à travers la garde de leur appartement :

Roxane : «Ouais pour l'instant j'ai mon appartement, c'est vraiment quelque chose qui est important pour moi d'avoir mon espace et ma liberté. [...] Ça, c'est quelque chose dont on discute avec plusieurs de mes partenaires; de l'éventualité d'emménager ensemble. Mais pour le moment c'est pas quelque chose que je souhaite, je suis trop bien toute seule chez moi et c'est un peu mon cocon pour recharger mes batteries donc c'est vraiment super important que j'aie cet espace.»

Pour Roxane, le fait d'avoir son propre espace est quelque chose qu'elle «voulait depuis toujours», mais qu'elle s'était toujours refusée avec ses précédentes relations, ce qui ne la rendait ni «heureuse» ni «épanouie». Pour Lilou aussi, le fait «d'habiter en couple» a été «un truc plutôt compliqué» dans sa dernière relation. C'est pourquoi sa volonté première aujourd'hui est d'emménager avec ses partenaires, tout en faisant en sorte «que chacun garde sa chambre» : «Après moi je me ferme pas la porte, si jamais je me rends compte qu'en fait j'ai pas envie d'habiter ensemble». Pour Nicolas, le fait de vouloir «garder deux domiciles» est aussi antérieur à son polyamour. Cette séparation physique était pour lui «une étape» pour éviter que «ça se fusionne trop» et qu'il y ait «trop de tensions pour des petites choses» ce qui donnerait «moins de liberté».

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Selon les mots de Lévesque (2019) «l'insécurité dont est porteuse la relation - particulièrement lorsqu'elle débute - qui dépend maintenant uniquement de ressources purement individuelles est toutefois largement compensée par la promesse d'intimité et de démocratisation de la vie personnelle qu'elle laisse anticiper». Cette libération sexuelle, relationnelle et émotionnelle s'observe à travers le sentiment de complétude décrit par les enquêtés dans ce que le polyamour permet de réaliser :

Océane : «Le fait que tout ça existe dans un système de non-exclusivité et bien moi ça me donne l'impression d'arriver à faire sens de mon expérience en fait. Un exemple, ce serait qu'il y a des relations d'amitié et des relations amoureuses dans lesquelles je ne peux parler que de certains aspects de mes passions en littératures, et d'autres avec lesquelles je ne peux parler que de certains autres aspects de ma passion en littérature. Et j'ai l'impression que si j'avais pas ces différentes relations-là je serais coupée avec quelque chose qui existe en moi. J'ai même l'impression que j'oublierais que ça fait partie de moi en fait.»

Pour Alex, le polyamour lui permet de ressentir «encore plus de liberté pour aimer mes amis de la manière la plus complète et amoureuse possible» :

Alex: «Il y a des amis que j'aime comme des frères et soeurs et pour qui j'ai un amour qui est vraiment très codifié comme «familiale». Il y a des amis que j'aime avec une pointe d'érotisme. Il y a des amours romantiques que j'ai qui sont absolument platoniques et où il n'y a absolument aucune tension sexuelle. Et pour moi le polyamour il permet aussi ça, il permet aussi de chercher à ressentir différents plein de formes et plein de manières d'aimer.»

Cette quête de la liberté et de la cohésion avec soi-même demande un double effort, car cette réflexion doit nécessairement se faire entre tous les membres du couple. Remettre en question ses normes et ses valeurs est un processus nécessaire pour s'affirmer en temps que personne, mais aussi pour affirmer la légitimité et l'intégrité de son couple :

Soan : «Avec l'histoire d'ex là c'est pas passé loin. Parce que cette espèce de déni par rapport aux responsabilités qu'elle avait assumé ben je me disais qu'elle avait pas maturé le truc. Prôner «ouais la liberté la liberté !» c'est bien, mais la liberté elle a quand même un prix.»

La souveraineté nouvelle ne rend donc pas l'individu libre de faire ce qu'il veut. La notion de destin collectif pourrait avoir à priori un caractère paradoxal à la réalisation de soi, à la mise en scène de soi (Beck, 1998). Ainsi, le couple polyamoureux ne s'est pas «défait» des institutions : il le serait juste autrement. (Cavalli, 2007).

Pas d'étiquette ! Le polyamour en soi et pour soi

Être polyamoureux ne signifie pas nécessairement s'en revendiquer. Si les entretiens effectués se sont fait auprès de personnes ayant une certaine connaissance du concept, il ressort

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néanmoins une certaine distance prise par rapport à «l'étiquette polyamoureuse» pour certains enquêtés. Derrière cette distance, il y a aussi le désir de ne pas s'enfermer derrière une définition. Le fait de s'être construit sans avoir de référence polyamoureuse peut également rendre peu enclins à se donner cette étiquette :

Benjamin : «Non y'a pas eu... enfin, y'a des origines à tout, mais j'ai commencé des relations multiples sans vraiment poser des mots dessus en fait. Sans vraiment me dire «ah bah c'est du polyamour» ou quoi que ce soit. [...] D'ailleurs je me définis pas spécialement comme poly personnellement, je dis pas aux gens que je suis polyamoureux je suis... rien de spécial en fait, «normal» finalement. Et du coup c'est venu naturellement on va dire.»

Pour Jérémy, le fait que le polyamour soit «défini différemment par beaucoup de personnes» fait qu'il ne tient «pas spécialement» à cette étiquette, même s'il reconnaît l'existence «de facto» de ce «statut», étant donné qu'il est «dans une relation où il y a plus de deux personnes». Pour ces enquêtés, il n'y aurait donc pas réellement de polyamour «en soi». Cette orientation relationnelle étant issue d'une conception très individualiste de son parcours de vie fait que la volonté de s'affranchir des normes qu'ils jugent obsolètes ou inutiles symbolise à elle seule ce désir d'individualité. Ainsi, le polyamour s'inscrirait dans nos sociétés occidentales modernes de part les réponses qu'il apporte à une population en quête d'identité. Bien plus que n'être «que» l'idée d'avoir plusieurs partenaires simultanément, le polyamour semble embrasser des horizons et des définitions bien plus larges :

Soan : «Et c'est là que pour moi le terme polyamour est plus large que ça parce que poly c'est plusieurs si je me trompe pas, et c'est plusieurs amours au sens large. L'amour pour la vie, l'amour pour tes amis, l'amour pour ce que tu fais et ce que tu as envie de faire, c'est l'amour libéré en fait. C'est un terme plus puissant que couple libre.»

En ce sens, encadrer son discours derrière une étiquette polyamoureuse trop stricte reviendrait à se défaire de normes pour en suivre d'autres aveuglément. Ce qui nous amène à la deuxième critique prépondérante dans ces entretiens : la critique des étiquettes liées aux différentes formes de polyamour.

Dans les façons de vivre de polyamour, certaines personnes se définissent comme étant en situation de «hiérarchie relationnelle», soit comme son nom l'indique, de hiérarchiser les relations entre les partenaires, les classant soit en «relations principales», soit en «relations secondaires». À l'inverse, les polyamoureux en situation «d'anarchie relationnelle» se refusent à hiérarchiser leurs relations, préférant examiner ces dernières individuellement, au cas par cas. Dans ces entretiens, Agathe se ressent ouvertement «anarchiste relationnelle», car pour elle «ce n'est pas parce que j'ai une relation depuis dix ans avec quelqu'un que une personne va pas être importante dans ma vie non plus». Pour elle par exemple, «ses meilleurs potes» sont «aussi importants» que son «mec» :

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Agathe: «Mais même au-delà de ça je crée des relations et je vais pas dire «bon bah toi tu es secondaire, toi peut-être troisième, toi le quatrième». Genre vous poireautez au fond du tiroir parce que faut prendre un ticket comme chez le boucher.»

Léna, pour sa part, ne veut pas avoir à se mettre dans une case et préfère donc prioriser sans avoir à hiérarchiser ses relations, parlant plutôt de «contraintes» liées au fait qu'iel vit avec un de ses partenaires :

Léna : «Moi j'ai toujours dit «je veux pas qu'on soit prioritaire parce qu'on vie ensemble depuis 14 ans», je veux aussi pouvoir faire équipe avec des personnes qui rentrent dans ma vie aussi, qu'elles soient aussi importantes qu'elles soient prises en compte et qu'il n'y ait pas de hiérarchie, même si de fait je vis avec Raphaël donc on va avoir des priorités. [...] Tu seras pas secondaire, mais par contre je vis avec lui et ça veut dire que j'ai des contraintes.»

Cela suggère, comme l'ont affirmé Ritchie et Barker (2006) qu'il est difficile d'échapper complètement à la notion conventionnelle qu'une personne avec qui on est impliqué amoureusement et intimement sera, en fin de compte, plus importante que les autres. Ainsi, certaines expériences de l'anarchie relationnelle sont même critiquées pour leur «manque d'engagement». Lilou par exemple, ne s'est pas «reconnue» dans les expériences des anarchistes relationnelles :

Lilou : «C'est bien de faire ce qui te correspond, mais une relation, ça se construit quand même avec une autre personne. Donc je trouve que souvent ces réflexions qui sont pas trop présentes dans l'anarchie relationnelle.»

Pour autant, elle ne s'identifie pas non plus à la hiérarchie relationnelle du fait que son trouple laissa «chaque relation faire ce qu'elle voulait faire», en «équilibrant» les choses «au fur et à mesure». Pour elle, la hiérarchie était plus «de fait» étant donné que ses deux partenaires étaient déjà en couple auparavant, mais elle ne considère pas cela comme étant une réelle «hiérarchie relationnelle» dans le sens ou «il n'y a pas eu de problème» pour faire évoluer leur relation. Or, pour que la hiérarchie puisse se réaliser, il faut rigidifier certains aspects de la relation en rendant inamovibles certaines dynamiques.

L'existence même de ces étiquettes ne semble pas être du goût de tout le monde cependant. La plupart des enquêtés critiquent le fait que ces statuts polyamoureux reviennent à négliger la complexité des relations, en plaçant les individus dans des cases qui ne sont, au final, qu'une caricature de leur vécu. Pour Léna, qui se dit tendre vers l'anarchie relationnelle, cette étiquette est «un espèce d'idéal». Le fait de se «prôner» anarchiste relationnelle relève donc plus de l'utopie que de la réalité. Si pour iel il est important de pouvoir «en parler» et «savoir poser des mots», le fait de se «foutre des trucs là-dessus» ne sert à rien. Nicolas avance plus ou moins le même discours, car si le polyamour lui a fait «péter des dogmes», il est donc «complètement pété» de «fabriquer une alternative et de rajouter des dogmes par dessus».

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Plutôt que d'utiliser les étiquettes duales «polyamour anarchique» et «polyamour hiérarchique», Veaux et Rickert (2014) proposèrent de synthétiser les dynamiques polyamoureuses en les décomposant en quatre grands modèles partagés sur deux axes (voir annexe). Le premier axe aligne le modèle de «l'orientation communautaire» et celui de «l'agent libre» à ces extrémités. Le deuxième axe relie le polyamour «solo» au polyamour «entrelacé». Le premier axe se réfère au processus décisionnel sur le plan relationnel: «Alors que le poly communautaire oriente principalement sa conduite en regard de son impact sur le groupe compris dans son entièreté, l'agent libre valorise grandement l'autonomie personnelle, cette capacité à faire ses propres choix indépendamment de l'accord d'un tiers, mais aussi la responsabilisation relative aux conséquences de ses décisions qui sont individuellement assumées» (cf Lévesque, 2019). Le deuxième axe, lui, se réfère à la «forme relationnelle» : un polyamoureux «solo» s'identifiera par exemple comme étant seul, même en ayant plusieurs partenaires, et sera souvent enclin à habiter seul dans son propre lieu de résidence. (Lévesque, 2019).

Au-delà de cette illustration, force est de constater que pour beaucoup d'enquêtés, le polyamour gagne malgré tout à ne pas être résumé à ces simples étiquettes. Roxane préfère d'ailleurs définir «sa» vision du polyamour sans forcément la catégoriser, jugeant que le définition «varie beaucoup selon les personnes avec qui tu es». Pour Camille, cela reviendrait finalement à «calquer des choses de la monogamie sur des relations où c'est un peu à géométrie variable dans le polyamour». Il ajoute cependant qu'il existe bel et bien «des effets hiérarchiques qui se construisent» et souligne qu'il est «super important d'en parler» :

Camille : «Il y a eu une conversation explicite sur le fait que jusque là il y avait implicitement une hiérarchie dans notre relation qui n'était plus d'actualité et qui n'avait plus

de sens. Une hiérarchie qu'il fallait revoir et dont il fallait même faire spécifiquement attention pour qu'elle perdure pas parce qu'elle allait faire du mal sinon.»

Ainsi, il est important de reconnaître que ce n'est pas le statut qui détermine la qualité d'une relation au sein d'un polycule, mais plutôt la manière dont vont être traités et hiérarchisés les différents besoins d'attachement de tous ces membres. Selon Fern (2020), l'état de «polysécurité» ne peut être atteint que si les membres du polycule se situent dans un système de relations multipartenariales sécurisé et prenant en compte les différentes relations d'attachement.

Entre pratique et identité : regard rétrospectif sur son vécu

Le polyamour recouvre une multitude de significations et de sens variant selon les individus (Klesse, 2011). S'il semble être un comportement pour certains (Barker, 2005), il peut aussi être un style de vie et une identité, une orientation relationnelle, une position politique ou une

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philosophie relationnelle (Ansara, 2020). Pour Barker (2004), le terme «polyamour» confère aux individus une étiquette identitaire : il s'agit de quelque chose qu'on «est» plutôt que quelque chose qu'on «fait». Ce ressenti a été exprimé à de nombreuses reprises au cours des entretiens; pour Léna par exemple, le polyamour est quelque chose qu'iel a «toujours vécu» :

Léna : «Je suis pas devenu polyamoureux. Typiquement c'est quelque chose que j'ai toujours vécu, mais j'en avais pas conscience, car je savais pas que ça existait. J'ai toujours aimé plusieurs personnes en même temps.»

Faire l'expérience du polyamour sans avoir les moyens de le théoriser le mettait d'ailleurs dans une «espèce de trahison constante envers Raphaël», ce qui a été «très compliqué à gérer». Pour Roxane, la révélation du terme et du concept de polyamour - à travers la lecture de «La Salope Ethique» - a d'ailleurs été un choc:

Roxane : «C'était un peu un choc parce que les deux premières parties que j'ai lues résonnaient avec tout ce que je sentais, tout ce que je vivais depuis que j'ai commencé à avoir des relations amoureuses. Vraiment quelque chose qui était inhérent à moi. Et ça m'a fait un bien fou en fait, c'était vraiment comme un déclic de me dire que le polyamour c'est quelque chose qui existe alors que j'en avais jamais vraiment entendu parler. Et en fait c'est pas moi qui suis bizarre, il y a des gens qui sont comme moi.»

De la même manière que pour Léna, Roxane a elle aussi «ressenti plusieurs fois», au cours de ses relations amoureuses, le fait d'éprouver «des sentiments très forts pour quelqu'un» qu'elle devait «refouler parce que ça se fait pas». Pour Alex, la découverte du polyamour a aussi été une évidence. Il était «très contre-intuitif» pour lui de se dire «je vais aimer qu'une seule personne et me focaliser que sur elle» :

Alex : «Quand j'étais en troisième section de maternelle j'avais deux amoureux, deux ou trois même. Et y'avait vraiment cette liberté de « bah, je les aime tous ! Du coup pourquoi je dirais toi je t'aime et toi je n'ai pas droit de t'aimer ? ». C'était absolument naturel que j'en aime plusieurs et c'était absolument naturel pour eux car on n'avait pas encore intégré les codes de l'exclusivité dans nos façons d'aimer.»

À l'inverse, certains considèrent que le polyamour relève plus du choix et ne se définissent pas spécifiquement comme étant d'identité polyamoureuse. Pour Lilou, le polyamour n'a pas «remis en question» son identité, elle considère cela plus comme étant une «situation», «un truc auquel [elle a] réfléchi qui [lui] convient bien». Même si elle considère qu'aujourd'hui il serait plus simple pour elle d'avoir une «relation poly» qu'une «relation monogame», il s'agit avant tout d'une pratique choisie.

Pour Camille aussi, le polyamour relève d'une préférence de relation, même si elle peut être «forte et pour des raisons très élaborées». Il se sent de fait «un peu gêné» car si il considère sa bisexualité et sa transidentité comme «des faits de son identité clair». Pour lui le polyamour «n'est pas plus mon identité que si je vivais dans une ville et que c'était la ville dans laquelle

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je veux absolument vivre parce que c'est là que je me sens bien». Le fait que les gens vivent «la découverte du polyamour comme une révélation» et le fait d'en «parler à des gens comme un coming out LGBT»21 ne fait pas pour autant du polyamour une identité à part entière.

Il est aussi intéressant de noter que certains événements sont apparus comme révélateurs plusieurs années après en avoir fait l'expérience. Aborder le thème de l'enfance pour remettre en question des normes et valeurs aujourd'hui montre la dimension structurelle du couple monogame exclusif. Lorsque Soan parle de son expérience du désir retrouvé pour sa partenaire, cela lui a fait repenser à un témoignage avait entendu enfant, mais qu'il personnellement n'a expérimenté que bien plus tard :

Soan : «Et donc... des années après je me suis dis... quand même... y'a tellement de couples qui divorcent, y'a tellement de séparation, y'a un tel mal être entre l'idéalisation du couple et

le fait qu'il y ait des gens qui se trompent... y'a forcément un problème quelque part. Y'a un truc qui va pas.»

Identiquement, les premières réflexions sur la construction de la non-exclusivité se retrouvent aussi lorsque Camille revient sur la première relation amoureuse qu'il eut au lycée :

Camille : regard sur sa première relation lycéenne

Il ya un autre truc qu'il faut que je te dise sur ma relation au lycée, c'est que je suis bisexuel et en fait je pense que c'était déjà le cas dans ma première relation amoureuse; j'ai toujours durant cette période eu des relations amoureuses avec des hommes, et puis j'étais aussi amoureux de femmes. Mais en fait ça me posait pas trop de problèmes parce que j'avais pas trop réalisé que j'étais bi ou pas aussi clairement que ça, donc je me rendais pas trop compte quoi ou je pouvais me le cacher suffisamment. Et comme j'étais dans une relation hétéro bien cadrée en même temps ça me permettait de ne pas trop m'en rendre compte. Mais je pense que déjà à l'époque j'étais complètement capable d'être amoureux de plusieurs personnes en même temps et je le faisais systématiquement. Et je pense que ça s'organisait comme ça principalement parce qu'il y avait un gros tabou sur le fait de développer des sentiments amoureux pour un autre mec, mais pour une autre meuf c'était pas encore régulé.

21 Halpern (1999) nota d'ailleurs que les craintes concernant le polyamour peuvent être intériorisées d'une manière similaire à l'homophobie.

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La vision de l'avenir

La vision de l'avenir des polyamoureux est marquée par la déconstruction des deux piliers du couple traditionnel que sont le mariage et la parentalité. Cependant, déconstruction ne veut pas dire destruction, car ce qui marque le vécu polyamoureux est la volonté de se réapproprier et de faire évoluer les codes régissant les relations. D'un point de vue purement factuel, le parcours de vie de Léna s'ancre dans la plus pure tradition du couple : marié à 24 ans avec un enfant. Pour autant, l'intentionnalité et la forme de ces deux événements ont été totalement remodelées pour correspondre aux besoins et envies du couple :

Léna : «Je veux qu'on se marie et je change de nom pour vraiment arrêter d'être avec cette famille là, pour ne plus avoir le nom de mes parents. Et comme ça si jamais il m'arrive quoi que ce soit c'est toi qui prends en charge ça et pas mes parents. Du coup on a quand même ce schéma assez normatif de «on s'est marié à 24 ans», même si les raisons sont moins conventionnelles et que c'était pas du tout un mariage classique.»

Le polyamour serait pour Lévesque (2019) un concept plus «inclusif, séculier et égalitaire» dans le fait qu'il n'insinue pas nécessairement le mariage et qu'il reconnaît l'accès à de multiples partenaires. Pour ces partisans, l'existence du mariage traditionnel est à réinventer en faveur de construction et d'élaboration de communautés plus ouvertes. Le refus des rôles et de l'enfermement étant intrinsèquement liés aux aspirations individuelles contemporaines22 (de Singly, 2014). Ainsi, au mariage s'est succédé la volonté de bâtir sa propre communauté :

Océane: «Ouais ouais évidemment l'esprit communautaire et la vie collective c'est des trucs qui font parti de comment je pense mes relations c'est sûr. Mais j'ai l'impression que en fait dans le polyamour la majorité des gens avec qui j'ai relationné voulaient inventer une communauté. Mais ce sont pas les seuls, les queer parlent de la même chose, évidemment les sorcières elles sont toutes dans ce truc là aussi.»

En ce qui concerne les aspirations du trouple, Lilou, Jérémy et Camille ne désirent pas avoir d'enfant. Le mariage n'est également pas envisagé car il «instaurerait de facto une structure de plus dans une relation à trois, ce qui serait assez bizarre» (Jérémy). Camille et Jérémy étant pacsés (le pacs datant d'avant leur rencontre avec Lilou), ce dernier ne se ferme pas de porte quant à une potentielle reconnaissance juridique de leur situation polyamoureuse, ce qui pour l'instant n'est pas le cas en France :

Jérémy : «Si d'ici 30 ans il y a des pro activistes poly qui vont faire en sorte que le mariage à 3 soit autorisé. Mais s'il y avait n'importe quel statut juridique qui serait protecteur pour trois personnes au lieu de deux, ce serait très chouette. S'il y avait un mariage à 3 peut-être que se poserait la question d'ici 30 ans. S'il y avait un pacs à 3... pourquoi pas.»

22 Ce fait peut être aussi relié aux revendications du mouvement féministes : « les femmes ne veulent plus être définies d'abord en tant qu'épouses et mères» (De Singly, 2014).

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Pour Nicolas, à l'idéal du couple et de la paternité se succèdent le concubinage et la parentalité plurielle :

Nicolas: «Je crois que je suis ok avec le truc d'avoir son propre foyer et du coup de ne pas être en couple dedans. Après si le foyer est grand ben c'est un peu comme avoir des chambres séparées quoi. Ça pourrait être ok, avec plaisir même ! Même pour la paternité, même si bon là j'ai pas trop fait mes devoirs, mais la parentalité plurielle, être à plusieurs pour élever un gamin, ça c'est un truc où j'aimerais bien aller.»

Pour Neyrand (2002), les liens qui soutenaient le modèle de famille traditionnel tel que la formalise la «fiction juridique»23 sont défaits. Il s'observe aujourd'hui la «désimbrication conceptuelle entre la famille d'une part et l'organisation généalogique de la parenté d'autre part, deux sphères dotées d'une autonomie relative dont les relations réciproques ont changé.» (Ouellette, 2000, cf Neyrand, 2002). L'horizon polyamoureux semble s'ancrer dans cette évolution. L'augmentation du nombre de relations polyamoureuses exigera des changements importants qui demanderont à repenser aussi bien nos institutions sociales que nos coutumes. Cette évolution exigera de revoir la conception traditionnelle de la parentalité et de remodeler les frontières des relations entre adultes afin de déterminer les obligations et les privilèges qui devront s'appliquer (ou non) en vertu d'un cadre législatif, et de «définir leurs modalités d'application au sein d'une relation comptant plus de deux personnes» (Boyd, 2017).

Conclusion

Le polyamour, loin d'être la simple redéfinition d'une orientation relationnelle, sous-entend dans son expression et dans sa réalisation un grand nombre de dynamiques. Si l'amour non exclusif provient d'une réalité relationnelle dont les origines dépassent la période contemporaine, la conceptualisation et la diffusion du terme «polyamour» n'est que très récente (dans les années 90). Auparavant, les années 60-70 ont elles aussi été marquées par l'émergence de préoccupations éthiques de ce type. Le choix «éthique» du polyamour pourrait donc être considéré comme une réponse aux failles de l'union conjugale traditionnelle; car contrairement à la «morale», se fermant à un système établi de normes et de valeurs, la considération du polyamour en des termes «éthiques» permet d'une part de remettre en question les fondements des conventions monogames traditionnelles, et d'autre part, de justifier la reconnaissance et la légitimité de cette orientation relationnelle.

Contrairement aux pressions des diktats mononormatifs enjoignant les individus à être «tout» l'un pour l'autre, la non-exclusivité prône la complémentarité (Lévesque, 2019). Les

23 Soit une famille fondée sur le mariage, avec des enfants socialement reconnus comme issus de l'union de leur parents (Neyrand, 2002)

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différents besoins, aspirations, attentes ou désirs peuvent être davantage comblés dès lors que la satisfaction relationnelle ne se base plus sur une seule personne. En outre, ces considérations rendent obsolète l'objectif d'une adaptation relationnelle maximale. En invitant à apprécier ses différents partenaires pour ce qu'ils sont, les personnes polyamoureuses n'auraient plus à taire «certaines dimensions de leur individualité». (Lévesque, 2019).

Pensé en des termes purement pratiques (faire face à la distance, à la jalousie, au manque de désir), ou faisant écho aux désirs d'autonomie et de liberté des individus (avoir son propre espace, s'écarter des logiques de codépendence...), le polyamour tend à devenir progressivement, au fil des rencontres et des expériences, une quête profonde de son identité. En redéfinissant la notion de fidélité, d'exclusivité, puis d'amitié, cette quête mélange désir de liberté et introspection, épanouissement et désir de cohésion avec son partenaire. Dans leurs diversités, les vécus polyamoureux se réfèrent à des idéaux de liberté, d'autonomie et d'égalité étroitement liés à une éthique de la transparence, de l'honnêteté, et de l'engagement sur le long terme.

La construction du couple polyamoureux, de part son absence de normes de références et sa décrédibilisation de la part des médias et des institutions, se fait sans conscience de porter l'étiquette polyamoureuse. Si certains enquêtés prennent de la distance par rapport à cette étiquette, il s'y dissimule aussi le désir de ne pas s'enfermer derrière une définition. La tenue d'une étiquette polyamoureuse à une visée performative, les individus cherchant avant tout à construire un système de relations sécurisé permettant de prendre en compte les différentes relations d'attachement (Fern, 2020).

Pour autant, les trajectoires polyamoureuses ne sont pas moins sociales ou institutionnalisées : elles le sont autrement. En cela les relations polyamoureuses ne sont pas fondamentalement distinctes des relations monoamoureuses dans un ordre qualitatif (en termes de satisfaction sexuelle et relationnelle, d'intimité communicationnelle, de confiance) mais la réalisation de ces besoins exigent une refonte globale des manières d'envisager ses relations. Ce désir de liberté semble totalement s'inscrire dans notre conception moderne de destinée individuelle: «la notion de projet a acquis un caractère normatif: non seulement les hommes et les femmes ont le droit de choisir leur vie, mais le fait de construire son propre parcours biographique se transforme en injonction.» (Cavalli, 2007). Cet impératif de ne pas «chosifier» autrui se combine ainsi avec «la subordination du relationnel par l'individuel» (Lévesque, 2019).

Le parcours de vie des personnes polyamoureuses, marginalisé et stigmatisé, prend racine dès l'enfance, en se questionnant sur l'existence de valeurs morales entrant en contradiction avec certaines pratiques. Ces questionnements sont en quelque sorte le terreau identitaire qui permettra aux individus de faire face à des événements majeurs en renégociant les normes de leurs relations. L'existence de groupes de socialisation «alternatifs» dans lesquels s'inscrivent les personnes a également une réelle influence sur leur orientation relationnelle. Le partage

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d'un certain nombres de valeurs similaires entre différentes communautés dissidentes (polyamoureuses et BDSM, communautés homosexuelles) ainsi que les transgressions similaires des modes de relation standard, permettent une plus facile remise en question de certaines normes dominantes. Déconstruire son rapport à une norme donnée (pratique alimentaire, hétéronormativité, normes de genres, cisnormativité, mononormativité) entraîne dans son sillon la déconstruction d'autres normes. Le rapport à ce qui «devrait être» ne va, de fait, plus nécessairement de soi.

Pour autant, malgré ces déconstructions et les liens profonds tissés entre ces différentes communautés, l'intimité au sein des relations amoureuses sous-tend encore aujourd'hui la coexistence d'inégalités et de rapports de domination structurellement déterminés (classe, race, identité de genre, orientation sexuelle, etc.) (Jamieson, 1999). La négligence de ces rapports de domination transcendant les individus se retrouve dans la construction des relations polyamoureuses, ce qui amènent à reconsidérer ces relations en termes de privilège et d'intersectionnalité. Les recherches liées à l'étude des communautés polyamoureuses sont également marquées par ces inégalités : l'invisibilisation de certains types de vécu ainsi que la non prise en compte de ces privilèges culturels rendent le polyamour inaccessible ou déconnecté pour les populations marginalisées (personnes de couleur, neuroatypique, transgenre, avec un faible niveau d'étude, par exemple).

Ainsi, il ressort de notre analyse que l'orientation relationnelle polyamoureuses s'incarne dans des parcours de vie riches et complexes. Produit des volontés d'individualisation et d'autonomisation des individus, le polyamour s'incarne aujourd'hui comme le témoin et l'adjuvant d'une mouvance globale posant de nouveaux cadres et de nouvelles réflexions sur la conception idéologique des relations. Notre étude, basée sur l'expérience de 12 participants appartenant à l'univers polyamoureux, ne saurait être globalisée (ce n'était pas son but), mais permet de faire sens de l'expérience d'un certains type de vécu, et de contribuer à la vulgarisation de ce mode de vie marginal et encore méconnu. Il pourrait ainsi être intéressant d'aborder différents angles de recherches au sein de nouvelles études, en cherchant par exemple à positionner le discours polyamoureux en termes d'analyse intersectionnelle (race, genre, neurodivergence, classe sociale, etc.). En outre, la réalisation d'enquête quantitative plus large permettrait de saisir l'étendu du vécu polyamoureux aujourd'hui. La faible quantité d'études françaises s'intéressant au sujet du polyamour mérite d'être enrichie afin que se construise une analyse et une véritable connaissance du phénomène polyamoureux.

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Annexe

Présentation Sociodémographique

Soan a 47 ans et se définit comme un homme cisgenre et hétérosexuel. Anciennement infographiste dans le jeu vidéo, il s'est reconverti en travaillant en tant que musicien et professeur de piano. Il est présentement en couple marié depuis 14 ans avec une femme également mère de son enfant de 10 ans. D'abord en relation exclusive, il s'est progressivement défini comme étant en couple libre, puis polyamoureux, et n'a pour le moment pas de relation autre que sa compagne.

Benjamin a 30 ans et se définit comme un homme cisgenre et hétérosexuel. Il détient une thèse ainsi qu'un diplôme d'ingénieur informatique et travaille en tant que développeur. Après avoir été en couple monogame, puis libertin avec la même partenaire pendant 10 ans avant de se séparer, il est aujourd'hui engagé dans «deux relations sérieuses avec deux filles» entre lesquelles il n'y a pas de hiérarchie autre que celle imposée par la distance géographique. Il habite seul et n'est pas vraiment attaché à l'étiquette «polyamoureux».

Nicolas a 32 ans et se définit comme un homme cisgenre et bisexuel. Détenteur d'un BTS, il a travaillé dans le spectacle et est actuellement en pleine reconversion pour devenir charpentier de marine. Après avoir mis fin à une première relation monoamoureuse à 22 ans, il entra progressivement dans les milieux «féministes, gays, des gens du BDSM». Il est maintenant en relation avec deux partenaires, dont Léna, une des enquêtés de ce mémoire. Il ne se dit pas en couple, n'a pas d'enfant, et vit seul tout en étant très impliqué dans la vie de famille de Léna.

Agathe a 25 ans et se définit comme une femme cisgenre et bisexuelle. Diplômée d'une école d'infographie, elle exerce ce métier dans le secteur du jeu vidéo. Elle est en couple et vit avec son compagnon depuis «pratiquement 10 ans». Leur relation fut d'abord exclusive, avant de devenir libre (à l'initiative de son compagnon) puis progressivement polyamoureuse lorsqu'elle est arrivée sur Paris. Aujourd'hui elle se dit dans une situation proche de l'anarchie relationnelle avec plusieurs partenaires.

Antoine a 31 ans et se définit comme un homme cisgenre et hétérosexuel. Ingénieur et développeur à Paris, il expérimenta une relation monogame, puis plusieurs relations libres avant d'être aujourd'hui en relation polyamoureuse avec Roxane, une des répondantes de ce mémoire. La jeunesse de son orientation polyamoureuse et de sa relation fait que son discours est en pleine construction.

Océane a 29 ans et se définit comme une femme trans bisexuelle. Diplômée d'un master, elle exerce aujourd'hui les professions de travailleuse du sexe et d'éditrice en freelance. S'il est difficile pour elle de dater le début de son polyamour, elle indique que cela fait sept ans qu'elle vit des relations explicitement nommées comme polyamoureuses. Elle vit seule et a aujourd'hui trois partenaires principaux, plus d'autres relations qu'elle voit «moins fréquemment». Neurodivergente, elle est diagnostiquée autiste.

81

Léna a 30 ans et se définit comme non-binaire et bisexuel, utilisant le pronom «iel». Détenteur d'un master, iel travaille dans l'audiovisuel et est aujourd'hui en reconversion. Marié et vivant avec un partenaire avec qui iel est depuis 14 ans, ils ont également un enfant de 4 ans. Leur orientation polyamoureuse s'est construite petit à petit, passant d'une relation exclusive à libertine, puis à polyamoureuse. Iel est aujourd'hui en relation avec plusieurs partenaires dont Nicolas, un de nos répondants.

Roxane a 28 ans et se définit comme une femme cisgenre et bisexuelle. Après avoir obtenu un master, elle travaille aujourd'hui en tant que freelance dans la communication marketing. Se décrivant plus de l'anarchie relationnelle, elle habite seule et est en relation avec 3 partenaires, dont Antoine. Polyamoureuse depuis peu de temps, il s'agit de ses premières expériences polyamoureuses. Elle est le «point central» de ces différentes relations qui, pour l'instant, n'ont «qu'elle» en temps que partenaires.

Alex a 27 ans et se définit comme non-binaire et pansexuel. Disposant d'un diplôme d'animation 3D, il travailla quelque temps dans ce secteur et est aujourd'hui en pleine reconversion dans la permaculture. Il est aujourd'hui en relation avec plusieurs partenaires avec qui il considère qu'il n'a pas «un gros engagement émotionnel». Il se dit approcher un modèle de polyamour qui se réfère à l'anarchie relationnelle. Sa découverte du polyamour, de la pansexualité et de la non-binarité s'est faite de manière théorique sur internet, alors que ses parents lui avaient interdit de développer des relations amoureuses avec qui que ce soit jusqu'à ses 18 ans.

Lilou a 27 ans et se définit plutôt comme une femme cisgenre et bisexuelle. Diplômée d'un master, elle est aujourd'hui en préparation d'une thèse. Elle est en trouple avec deux autres personnes, interrogées aussi pour ce mémoire (Camille et Jérémy) et n'est en relation avec personne d'autre. Ayant d'abord débuté une relation avec Camille, elle se rapprocha petit à petit de Jérémy avant de finalement débuter une relation à trois avec ses partenaires. Elle habite pour le moment seule même si le trouple a collectivement le désir d'emménager ensemble.

Camille a 32 ans et se définit comme un homme transgenre et bisexuel. Détenteur d'une thèse, il est aujourd'hui chercheur. Après avoir eu plusieurs échecs amoureux dans des relations exclusives, il fit le choix de ne développer que des relations non exclusives. Il est actuellement en situation de trouple avec Jérémy (qu'il rencontra durant son master et avec qui il est pacsé) et Lilou (qu'il rencontra quelques années plus tard par l'intermédiaire de groupes d'amis), et a également plusieurs relations avec d'autres partenaires. Il habite aujourd'hui en concubinage avec Jérémy.

Jérémy a 33 ans et se définit comme un homme cisgenre et bisexuel. Comme Camille, il est également diplômé d'une thèse et est chercheur dans le même domaine que Camille. Il est aujourd'hui en trouple avec Lilou et Camille et ne cherche pas spécialement à rencontrer d'autres personnes en dehors. Il n'attache pas trop d'importance à l'étiquette polyamoureuse et cherche moins à le théoriser que Camille «dans la mesure où [il est] assez à l'aise avec ce qu'il se passe».

82

Enquête YouGov (tableaux)

YouGov

September 23 - 25, 2016

1. Relationships 1 Ideal Relationship

On ascale where O Is completely monogamous and h is completely non-monogamous, what would your Real relationship be?

YouGov

 

Total

 

Gender

 

Age(4 category)

 
 

Race (4 category)

 

Male

Female

Under 313

30-44

45-54

65+

White

Black

Hispanic

Other

0 - Completely

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

monogamous

61%

52%

69%

51%

58%

63%

70%

69%

43%

35%

65%

1

7%

8%

7%

8%

4%

8%

9%

8%

3%

10%

3%

2

2%

3%

1%

2%

5%

1%

2%

2%

3%

1%

--

3

9%

12%

6%

10%

9%

10%

6%

6%

21%

12%

11%

4

5%

6%

3%

9%

7%

2%

1%

4%

4%

8%

9%

5

4%

6%

2%

7%

5%

3%

1%

2%

12%

3%

4%

6 - Completely non-monogamous

7%

8%

7%

7%

9%

9%

4%

5%

9%

18%

6%

Not sum

5%

4%

5%

7%

3%

3%

8%

4%

5%

13%

2%

Totals

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

(Unweighted N)

(994)

(488)

(506)

1180)

1247)

(406)

(181)

(701)

(125)

(110)

(58)

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Party ID (3 category)

 

Family Income (3 category)

 
 

Census Region

 
 

Total

Democrat

Independent

Republican

Under $50K

$50-100K

$100K or more

Prefer not to say

Northeast

Midwest

South

West

0 - Completely monogamous

61%

48%

67%

69%

56%

69%

59%

64%

70%

61%

58%

57%

1

7%

8%

7%

8%

4%

9%

14%

8%

11%

6%

7%

6%

2

2%

2%

1%

4%

1%

1%

7%

5%

1%

2%

3%

2%

3

9%

14%

8%

3%

13°%

5%

10%

2%

2%

9%

9%

14°%

4

5%

6%

2%

6%

8%

2%

2%

1%

2%

5%

7%

3%

5

4%

6%

3%

2%

5%

4%

3%

1%

3%

3%

6%

2%

6 - Completely non-monogamous

7%

11%

5%

5%

10%

3%

4%

10%

7%

11%

6%

7%

Not sure

5%

5%

6%

2%

3%

7%

1%

9%

3%

4%

5%

8%

Totals

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

(Unweighted N)

(9941

(359)

(392)

(293)

(471)

(259)

(141)

(123)

(t87)

(213)

(366)

(220)

YouGov

September 23 - 25, 2016

2. Relationships 1 Current Relationship

On a scale where 0 is complete$ monogamous 045 6 is completely non-monogamous, how would you describe your current romantic relationship?

Asked o/thos0 currently ,r3 a romanticrounonshlp

YouGov

 

Total

 

Gender

 

Age (4 category)

 
 

Race (4 category)

 

Male

Female

Under30

30-44

45-64

65+

White

Black

Fispanic

Other

0 - Completely monogamous

71%

66%

76%

60%

67%

73%

80%

81%

50%

32%

82%

1

5%

5%

5%

2%

4%

6%

7%

4%

4%

11%

--

2

2%

3%

1%

3%

3%

1%

2%

2%

4%

2%

2%

3

6%

6%

5%

8%

5%

7%

2%

5%

1%

13%

2%

4

5%

6%

3%

14%

7%

1%

3%

3%

7%

13%

1%

5

3%

5%

1%

3%

4%

2%

1%

1%

11%

4%

8%

6 - Completely non-monogamous

6%

6%

6%

7%

8%

7%

1%

2%

19%

18%

4%

Not sum

2%

2%

3%

2%

2%

2%

4%

1%

4%

8%

0%

Totals

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

(Unweighted N)

(663)

(322)

(341)

(83)

(170)

(279)

(131)

(474)

(76)

(77)

(36)

 

Total

Party 10 (3 category)

 

Family Income (3 category)

 
 

Census Region

 

Democrat

Independent

Republican

Under $50K

$50-100K

$100K or more

Prefer not to say

Northeast

Midwest

South

West

0 - Completely

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

monogamous

71%

53%

78%

84%

65%

79%

74%

69%

79%

70%

69%

69%

1

5%

7%

4%

5%

4%

7%

3%

6%

3%

7%

6%

3%

2

2%

3%

1%

3%

1%

1%

7%

1%

1%

2%

2%

4%

3

6%

9%

5%

2%

8%

3%

7%

0%

--

9%

7%

6%

4

5%

5%

7%

2%

5%

7%

2%

5%

8%

1%

4%

7%

5

3%

5%

1%

3%

5%

1%

3%

1%

1%

1%

5%

3%

6 - Completely non-monogamous

6%

15%

2%

1%

11%

1%

1%

8%

7%

8%

4%

8%

Not sure

2%

4%

2%

1%

2%

1%

1%

10%

1%

3%

3%

2%

Totals

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

(Unweighted N)

(663)

(235)

(253)

(175)

(268)

(199)

(119)

(77)

(126)

(144)

(241)

(152)

2

YouGov

September 23 - 25, 2016

YouGov

3. Relationships I With Consent

Have you ever engaged in sexual activities with someone else, with the consent of your main romantic partner?

 

Total

 

Gender

 

Age (4 category)

 
 

Race (4 category)

 

Male

Female

Under 30

30-44

45-64

65+

White

Black

Hispanic

Other

Yes

No

Prefer not to say

11%

83%

6%

16%

80%

4%

6%

86%

8%

17%

74%

10%

17%

78%

5%

9%

85%

7%

3%

95%

1%

10%

87%

4%

14%

79%

8%

21%

67%

12%

5%

86%

9%

Totals (Unweighted N)

100%

(997)

100%

(487)

100%

(510)

100%

(161)

100%

(248)

100%

(407)

100%

(181)

100%

(702)

100%
(t25)

100%
(11 t)

100%

(59)

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Party ID (3 category)

 

Family Income (3 category)

 
 

Census Region

 
 

Total Democrat Independent Republican

Under $50K $50-100K

$100K or more

Prefer not to say

Northeast Midwest South West

Yes

11% 16% 9%

8% 13% 9%

11%

7%

13% 15% 8% 11%

No

83% 78% 86%

85% 81% 88%

81%

83%

83% 80% 85% 82%

Prefer not to say

6% 6% 5%

7% 6% 3%

8%

9%

4% 5% 6% 7%

Totals

100% 100% 100%

100% 100% 100%

100%

100%

100% 100% 100% 100%

(Unweighted N)

(997) (361) (395)

(241) (472) (259)

(142)

(124)

(185) (215) (367) (230)

 
 
 
 
 

3

YouGov

September 23 - 25,

2016

 
 
 

YouGov

4. Relationships Without Consent

 
 

Have you ever engaged in sexual activities with someone else, WITHOUT the consent of your main romantic partner?

 
 
 

Gender

Age (4 category)

 
 

Race (4 category)

 

Total Male Female

Under 30 30-44 45-64

65+

White

Black Hispanic Other

Yes

19% 25% 13%

21% 17% 19%

21%

17%

30% 26% 12%

No

75% 70% 79%

74% 77% 75%

73%

77%

62% 66% 87%

Prefer not to say

6% 4% 8%

6% 6% 6%

6%

6%

8% 8% 1%

Totals

100% 100% 100%

100% 100% 100%

100%

100%

100% 100% 100%

(Unweighted N)

(998) (487) (511)

(161) (248) (408)

(181)

(702)

(t26) (111) (59)

 
 
 
 
 
 
 

Party 113 (3 category)

Family Income (3 category)

 

Census Region

 

Total

Democrat

Independent

Republican

Under $50K

$50-100K

$100K or more

Prefer not to say

Northeast

Midwest

South

West

Yes

19%

21%

18%

18%

20%

18%

24%

13%

20%

23%

17%

19%

Na

75%

72%

76%

77%

73%

79%

68%

77%

76%

72%

76%

75%

Prefer not to say

6%

7%

6%

5%

6%

3%

8%

10%

5%

6%

7%

6%

Totals

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

100%

(Unweighted N)

(998)

(361)

(395)

(242)

(474)

(259)

(142)

(123)

(186)

(214)

(368)

(230)

83

4

84

85

The opening of American relationships

How would you react If your partner wanted to engage in sexual activities with someone else?

68

19

5

 

56

 

6o

 

74

17

4

 

78

11

3

n I would not be OK with it

n It depends on the sitaution

n I would be OK with it

n Not sure

 
 
 
 
 
 

AGE

YouGaii yougovcom September 23-25.2016

Cheating and open relationships

Have you ever engaged in sexual activities with someone eLse. [with/without] the consent of your main romantic parter? % answering 'yes'

n With consent of partner Without consent of partner

TotaL

18-2g 30-44

45-64 65+

 
 
 
 

AGE

YouGov I yaugov.com

September 23-25, 2016

86

Polyamorous Families in Canada: Early Results of New Research from CRILF

Figure 3

Educational attainment

Post-graduate degree Undergraduate degree Some university College diploma

Some college

Trade school diploma high school diploma Some high school

0 20 40 60 80 100 120 140 160

Figure 3.1

Distribution of educational attainment among respondents and general population

Post-graduate degree Undergraduate degree College diploma high school diploma or equivalent No certificate, degree or diploma

0 5 10 15 20 25 30 35 40

Percent

· Canada
· Respondents

al 25 v

a 20

15 10 5 0

Figure 2

Age

250 200 150 100 50

0

 

18 to 24 25 to 34 35 to 44 45 to 54 55 or older

Figure 2.1

Distribution of age of respondents and general population

50

45

40

35

30 C

1

87

25 to 34 35 to 44 45 to 54 55 or older

n Respondents Canada

Axe des approches relationnelles

88

89

Grille d'entretien

L'objectif de cet entretien est de répondre à la problématique suivante : quels sont les parcours de vie des personnes polyamoureuses ?

Présentation :

- Pouvez-vous vous présenter ?

- Quel âge avez-vous ?

- Où habitez-vous ?

- Que faites-vous dans la vie ?

Parcours :

- Pourriez-vous me décrire votre parcours (scolaire, pro) ?

- Dans quel environnement familial avez-vous grandi ? (travail/relation de vos parents, fratrie, situation familiale, PCS, famille religieuse)

- Et votre parcours relationnel ? (Avez vous connu d'autres configuration dans vos

relations tel que le couple exclusif, le couple libertin, échangiste (etc) ? Si le polyamour s'est construit en couple, comment as-tu discuté de ça avec ton partenaire ? Avez-vous déjà été en relation polyamoureuse avant cette relation ?) Comment se sont-elles finies ?

- Comment avez-vous compris que vous étiez polyamoureux ?

- Comment avez-vous rencontré vos partenaires ? (appli de rencontre ? Soirée...) - A quels obstacles vous êtes-vous confronté au cours de votre relation ?

- Comment s'est construit votre ménage ? Comment votre foyer en est venu à

s'organiser de cette manière ? Cette organisation est-elle définitive selon vous ?

- Comment/quand avez-vous entendu parler du mot polyamour ?

90

- Connaissez-vous d'autres personnes ayant des orientations dites «alternatives» ? (polyamoureux, libertins, échangistes ?)

Avez-vous rencontré ces personnes avant d'être polyamoureux ? Pensez-vous que ces rencontres ont pu vous amener à repenser votre orientation ?

Vision du polyamour :

- Vous décririez-vous comme étant polyamoureux ? Comment décririez-vous votre relation ?

- Quel avenir envisagez-vous dans vos relations ?

- Une étude (Sheff, 2014) démontre que le polyamour n'est généralement pas le «first step outside of the box», soit, que les personnes polyamoureuses ont généralement au préalable d'autres idéologies/modes de vies que l'on pourrait dire «hors normes» (végétarisme, bisexualité, BDSM etc), qu'en pensez-vous ?

- Avez-vous déjà expérimenté les relations à distance ?

- Qu'est-ce que le mode de vie polyamoureux a pu changer dans votre vision des relations ?

- Le polyamour a-t-il un lien avec le féminisme selon vous ? Si oui, lequel ? Etes-vous vous-même féministe ?

- Pensez-vous que le polyamour se vit différement selon le genre? (homme, femme) ou la couleur de peau ?

Organisation :

- Y a-t-il des règles et des normes précises pour articuler votre relation ?

Si oui : quelles sont-elles ? Comment les avez-vous construites ? Sont-elles formelles ? Informelles ?

- Comment se gèrent vos relations polyamoureuses au quotidien ?

- Avez-vous déjà été jaloux ? / Vos partenaires ont-ils déjà été jaloux ? Comment cela s'est manifesté ?

91

- Comment gérez-vous, envisagez-vous la jalousie dans votre couple ? - Le polyamour a-t-il déjà été source de tension ?

Regard des autres :

- Parlez-vous de votre relation avec vos proches ? Si oui comment ont-ils réagi ?

- Cachez-vous votre polyamour ? Est-ce quelque chose que vous pouvez dire facilement

?

- Le regard de vos proches sur vous a-t-il changé depuis qu'ils connaissent votre situation ?






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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus