WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

De quoi l'auto-gynécologie est-elle le nom ?


par Lolane Dentand
Université Lumière Lyon 2 - Master Psychologie Sociale 2017
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

UNIVERSITE LUMIERE LYON II - Institut de Psychologie

Note de recherche Psychologie Sociale, du Travail et des Organisations - Juin 2018

_____________________________________

DE QUOI L'AUTO·GYNECOLOGIE
EST-ELLE LE NOM ?

Le regard des représentations sociales
sur une pratique sanitaire émancipée

_____________________________________

Lolane DENTAND DUCROT - 2101781

Sous la direction de Marie Préau, professeure de psychologie sociale de la santé

Soutenu le 22 juin 2018, TB

Membres du jury : Marie Préau, professeure et Christine Morin-Messabel, maîtresse de conférences.

Note de rédaction - de l'utilisation de l'écriture inclusive.

A des fins d'égalité (Houdebine, 1998, Viennot, 2008) et au vu du sujet choisi, cette note de recherche a été rédigée en écriture inclusive.Certaines règles1(*)ont été retenues:

-lorsque le sujet concerne exclusivement ou presque des femmes, le féminin est utilisé.

-lorsque le sujet ne concerne pas seulement les femmes, trois formes ont été sélectionnées :

-pour les formes simples, le point médian est utilisé (ex : patient·e·s)

-pour les formes plus complexes, les noms sont dédoublés (ex : chercheurs et chercheuses)

-pour les pronoms, l'écriture de « ils et elles » est retenue.

Par ailleurs, la règle de proximité, selon laquelle l'accord de l'adjectif ou du participe passé se fait avec le nom le plus proche, a été appliquée.

INTRODUCTION 3

THÉORIE 3

I. LA SANTÉ À L'AUNE DE LA PSYCHOLOGIE SOCIALE, UNE APPROCHE HOLISTE 3

A. La santé, de la médecine aux sciences sociales 3

B. L'ancrage social de l'objet santé en psychologie : l'intégration de la culture 5

C. La théorie des représentations sociales appliquée aux phénomènes et comportements de santé 7

II. LE REGARD DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES 9

A. Les représentations sociales, une théorie, des approches 9

B. L'ancrage et l'objectivation, deux mécanismes de formation des représentations sociales 11

C. Les représentations sociales, lien entre pensée et pratique sociales 12

III. DE LA GYNÉCOLOGIE À L'AUTO·GYNÉCOLOGIE 14

A. La femme, un patient comme les autres ? 14

B. La crise de la gynécologie et l'auto-gynécologie 14

PROBLÉMATISATION 17

MÉTHODOLOGIE 19

I. DE LA MÉTHODOLOGIE QUALITATIVE 19

II. L'OUTIL MÉTHODOLOGIQUE DE L'ENTRETIEN 19

A. La méthode de l'entretien 19

B. Le guide d'entretien 20

III. L'APPROCHE DU TERRAIN DE L'AUTO-GYNÉCOLOGIE 21

A. Prise de contact et recrutement 21

B. Caractéristiques et rencontre de la population 22

RÉSULTATS 23

I. PRÉSENTATION DE L'ÉCHANTILLON 23

II. CONSTRUCTION DE LA GRILLE D'ANALYSE 24

III. PRÉSENTATION ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS 26

A. Le regard des RS sur l'auto-gynécologie, les rapports de l'individu au social 26

1. Rapports à l'institution médicale 27

2. Rapports à la gynécologie 27

3. Rapports au soin 28

4. Rapports au savoir 29

5. Rapports à la communauté auto-gynécologique 31

6. Rapports au corps, à l'intimité et à la féminité 32

7. Rapports au monde 33

B. L'inscription des représentations autour de l'auto-gynécologie dans des cadres psychosociaux préexistants : la pensée et la pratique 34

L'auto-gynécologie, une pratique cristallisée par un ancrage dans un système de valeurs 35

L'auto-gynécologie comme pratique sanitaire alternative naturelle 35

L'auto-gynécologie comme outil militant féministe 36

L'auto-gynécologie comme remise en question de l'institution médicale 37

C. Interprétation au regard des mécanismes d'ancrage et d'objectivation 38

1. Le savoir gynécologique représenté autour de la consultation gynécologique ; un protocole observation-diagnostic-soin, et une figure experte 38

2. Le savoir gynécologique comme attention portée à l'appareil génital féminin. 39

3. Le savoir gynécologique comme sagesse populaire féminine 41

DISCUSSION 43

SYNTHÈSE ET LIENS ENTRE LES RÉSULTATS 43

Une compétence des patientes 43

Une mise en pratique de la théorie 43

Une instrumentalisation du savoir scientifique gynécologique 43

Un rapport à l'ordre social établi 44

RETOURS ET OUVERTURES SUR LA THÉORIE 45

L'auto-gynécologie, une forme d'automédication 45

Internet, outil privilégié de diffusion du savoir auto-gynécologique 46

L'auto-gynécologie à l'aune de l'empowerment 46

LIMITES 47

CONCLUSION 49

BIBLIOGRAPHIE 2

Introduction

Depuis les années 1970, et grâce aux impulsions des organisations militantes de malades, le champ de la santé est profondément marqué par l'émergence de la « démocratie sanitaire ». Alors que la médecine était jusqu'alors centrée sur la maladie et le symptôme et appliquée dans une relation asymétrique où le malade est incapable, on reconnaît désormais auxpatient·e·s des droits, mais aussi des compétences. Elles et ils deviennent à la fois acteurs du système de santé, à travers l'arrivée des représentant·e·s des usager·e·s dans les instances, mais aussi acteurs de leur santé, à travers la participation à leurs propres soins. D'un point de vue juridique, les lois du 4 mars 2002 -avec la reconnaissance de la notion de consentement éclairé, du 9 août 2004 -avec la participation des usager·e·s aux politiques publiques de santé, du 21 juillet 2009, HPST -relative à de nouveaux droits pour les patient·e·s, ou la loi de modernisation du système de santé de janvier 2016 témoignent de ces évolutions.Parmi les différentes sciences humaines et sociales de la santé, la psychologie critique de la santé propose notamment de faire l'évaluation de l'impact réel de ces perspectives théoriques.

Les interrogations quant à la mise en application de la démocratie sanitaire et plus généralement de la place des patient·e·s dans la relation médecin-patient·e continuent de se poser au sein des diverses disciplines médicales. L'une d'elles, la gynécologie, est depuis quelques années invitée sur le devant de la scène par des actualités polémiques. Les associations de patientes se multiplient pour dénoncer les « violences obstétricales et gynécologiques » comme l'épisiotomie, acte chirurgical consistant à ouvrir le périnée au moment de l'accouchement, qui serait pratiquée à outrance et en l'absence de consentement. La controverse fait tant de bruit que la secrétaire d'Etat chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, en fait son cheval de bataille lors de son entrée au gouvernement. Ellecommande un rapport au Haut conseil à l'égalité à propos des violences obstétricales en dénonçant « un taux d'épisiotomie de 75% en France alors que l'OMS préconise 20 à 25 % », ce que dément aussitôt le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) en évoquant 20 %.

Enjeu politique et médical, donc, les controverses autour de la gynécologie sont également un enjeu social, en ce qu'elles traduisent un malaise des patientes et un possible défaut du système de santé. A l'heure où l'autonomie est érigée en norme sociale (Ehrenberg, 2005) et valorisée dans la prise en charge de la maladie dans le domaine de la santé (au sein de l'éducation thérapeutique par exemple), la conception du rôle des patientes en gynécologie est un élément clé. Le comportement sanitaire de l'auto-gynécologie, en ce qu'il mêle participation aux soins, autonomie et changement de place des patientes, parait particulièrement adapté à l'étude de cette conception. Encore peu explorée, cette pratique de soin ne peut être clairement définie mais se présente comme un investissement fort et une attention toute particulière portée à sa santé gynécologique en parallèle de la médecine institutionnalisée.

L'objet de cette recherche porte donc sur l'auto-gynécologie, non pas en tant que pratique médicale thérapeutique, mais en tant que conduite sociale. Il s'agira de tenter de s'en saisir à l'aide la psychologie sociale de la santé et des approches qu'elle propose, notamment la théorie des représentations sociales. De quoi l'auto-gynécologie est-elle le nom ?

Théorie

I. La santé à l'aune de la psychologie sociale, une approche holiste

Dans un premier temps sera abordé l'objet santé à travers le prisme des sciences humaines et sociales ; il s'agira de le situer dans un contexte et une histoire (A), dans une discipline et ses paradigmes (B), puis dans une approche théorique et épistémologique (C).

A. La santé, de la médecine aux sciences sociales

Premièrement, il conviendra de présenter l'objet santé à travers les apports des sciences sociales ; leur intérêt pour la santé a permis de faire évoluer son appréhension et sa définition ainsi que de proposer de nouveaux objets de recherche.

L'apparition de la médecine expérimentale, le développement des sciences et des techniques médicales font naître jusqu'au XXème siècle une tendance à la réification du corps, réduit à une somme de symptômes. Cette conception s'accompagne d'un modèle biomédical, où la prise en charge n'est dirigée que vers la maladie et efface la personne malade derrière elle. Un mouvement d'humanisation se dessine à partir des années 1970 (Jodelet, 2013) et le modèle bio-psycho-social, prenant en compte l'individu dans son environnement global, pallie le réductionnisme de l'approche purement biomédicale. Ce modèle, officialisé par le psychiatre Engel (1977) peut être représenté par l'imbrication des systèmes sociaux, psychologiques et biologiques (voir figure 1) impliqués dans la santé et la maladie.

Figure 1.Les systèmes du monde et de l'individu pris en compte dans l'approche de la santé (Morin, 2004, p.13)

En outre, cette approche davantage holiste permet d'appréhender plus justement la santé comme la définit l'OMS, à savoir, plus qu'une simple absence de maladie, un état complet de bien-être physique, mental, social. De même, la psychologie de la santé pense une conception élargie de la notion de santé. Elle ne connait pas seulement un contenu biologique, mais aussi un bien-être et une qualité de vie influencée par les différents systèmes psychosociaux dont fait partie l'individu. Elle est système et processus, état mesurable ou expérience sensible et vécue, mais aussi construction, devenir et projet. Plus qu'une absence de maladie, la santé se définit d'après la psychologie de la santé sur un continuum entre bien-être et mal-être (Morin, 2004).

Par ailleurs, l'invitation des sciences humaines et sociales dans ces domaines a permis l'amélioration des conceptions autour de la santé et de la maladie, mais a également ouvert les perspectives de recherches. De ce fait, de nouveaux objets comme les inégalités sociales de santé, le soutien social face à la maladie, la prévention des risques sanitaires, la qualité de vie oula relation médecin-patient·evoient le jour. Ainsi, pour Morin et Apostolidis, « les variations biomédicalement inexpliquées par les indicateurs de mortalité, de morbidité, d'insatisfaction, de dysfonctionnements organisationnels, d'inefficacité thérapeutique que décrivent démographes, épidémiologistes, économistes et sociologues renvoient de manière convergente à des hypothèses de détermination sociale » (2002, p. 473).

Enfin, parmi les différentes disciplines s'intéressant à la santé, la psychologie se distingue par l'intégration des facteurs contextuels (milieu socioculturel, caractéristiques sociodémographiques...), des antécédents dispositionnels (représentations, personnalité...), des caractéristiques physiques et de santé antérieure, et des processus transactionnels « actuels » (perceptions, cognitions, émotions...) (Bruchon-Schweitzer, Siksou, 2008). Depuis quelques années, une psychologie sociale de la santé rejoint le champ des sciences sociales de la santé (Morin, Apostolidis, 2002). Appliquée à la santé, il s'agit d'une « pratique de recherche et d'intervention dans le domaine de la santé qui se caractérise par l'utilisation de concepts et d'outils relevant de la psychologie sociale » (Morin, Apostolidis, 2002, p. 488-489). Petrillodépasse la neutralité de cette définition et propose d'en définir le social comme « un système d'interprétation général du monde » (Petrillo, 2000, p. 14) au-delà de la simple intégration de l'environnement comme déterminant des comportements. Il s'agit ici de considérer cette appréhension du social dans la psychologie sociale de la santé comme pertinente et déterminante dans la construction de cette étude.

B. L'ancrage social de l'objet santé en psychologie : l'intégration de la culture

La simple mention de la psychologie sociale de la santé ne suffit pas seule à délimiter l'ancrage théorique dans lequel s'inscrit cette recherche. En effet, cette discipline couvre des épistémologies variées et des enjeux différents. Il s'agira ici de tenter de présenter le cadre conceptuel retenu et son développement.

Bien qu'il soit envisageable -voire tentant- de s'intéresser à la santé à travers la psychologie sociale pour développer des modèles prédictifs, nous faisons ici un autre choix épistémologique. A l'instar de nombreux·sesauteur·e·s, nous pensons qu'une telle approche comporte des limites qui risqueraient de nuire à une appréhension globale de l'objet.Ainsi, Apostolidis et Dany déplorent l'aporie des conceptualisations des modèles de comportements de santé issus de la psychologie sociale comme le HealthBelief Model ou la Theory of PlannedBehavior (2012). Ils arguent d'une part de la nécessité de la prise en compte de la dimension symbolique et partagée de la connaissance humaine pour pallier les incohérences de ces modèles, et proposent d'autre part de développer une problématisation plus holistique des comportements de santé.

De même, Santiago Delefosse regrette l'insuffisance des approches unidimensionnelles, et l'illusion d'un individu solipsiste (2002). Elle propose un paradigme « subjectiviste-constructiviste » en opposition au « positiviste et néopositiviste », qui se distinguent à travers huit caractéristiques, la nature de la réalité des faits, le but de la recherche, la position du chercheur, l'observateur et les phénomènes observés, la nature du savoir produit, les méthodes de mise en évidence du savoir, les valeurs du chercheur et les conflits de paradigme2(*) (2017). Les premiers courants paradigmatiques subjectiviste et constructiviste conçoivent notamment une co-construction de la réalité par l'expérience et la culture, un objectif compréhensif de la recherche, une approche phénoménologique de la réalité du sujet et du savoir co-construit, ainsi qu'une utilisation majoritaire d'outils méthodologiques qualitatifs. Ces différents éléments permettent alors de considérer que tout sujet concret est toujours situé à la fois dans son histoire et dans un monde social, et ainsi d'éviter le solipsisme redouté par l'auteure.

De la même manière, Jodelet s'est attachée à proposer une posture critique de la psychologie de la santé en relevant sa curieuse cécité aux dimensions collectives pourtant déterminantes dans la gestion de la santé et de la maladie (2006). Pour elle, le rapport à la santé recouvre une complexité de processus et une diversité d'expériences que seule une approche multidimensionnelle permet d'appréhender. Cette approche pluridimensionnelle permet alors d'intégrer la culture comme prisme d'analyse des phénomènes sanitaires et de l'ériger en garde-fou d'un réductionnisme tentant. Néanmoins, il reste important de préciser que l'intégration de la culture et du social ne peut se satisfaire d'une seule approche sociologique.

« La culture devrait être intégrée dans une telle approche, mais dans des conditions qui préservent la subjectivité, donc le psychologique. »

Jodelet, 2006, p. 225

Ces premières réflexions quant à la posture à adopter pour étudier la gestion de la santé et de la maladie nous renseignent également sur la manière de concevoir les pratiques sanitaires. Pour Jodelet (2013), elles sont le fruit de la culture et des représentations, qui s'articulent à travers l'expérience, elle-même définie comme la rencontre des différentes dimensions sociales, interactives, cognitives, psychiques et émotionnelles (voir figure 2).

CULTURE

EXPERIENCE
= rencontre des différentes dimensions sociales, interactives, cognitives, psychiques, émotionnelles

PRATIQUES SANITAIRES

REPRESENTATIONS

Figure 2. Appréhension des pratiques sanitaires d'après Jodelet, 2013

Ces premières réflexions quant à la posture

En définitive, la présente étude tentera de s'inscrire dans ce paradigme et cette approche pluridimensionnelle compréhensive des phénomènes de santé, où les pratiques et comportements sanitaires sont envisagés comme la rencontre de l'individu et du social. Ces aspects de l'approche théorico-méthodologique choisie ne sont pas sans rappeler ceux du regard psychosocial de Moscovici (1984) et de la théorie des représentations sociales qu'il a mis en application pour la première fois lors de son ouvrage sur La psychanalyse, son image et son public (1961).

C. La théorie des représentations sociales appliquée aux phénomènes et comportements de santé

Après avoir développédans les précédentes parties l'objet santé à travers le prisme des sciences sociales et les choix épistémologiques dans son appréhension, il convient désormais de présenter le regard des représentations sociales appliqué à l'étude des phénomènes sanitaires.

Dans un premier temps, il s'agit de rappeler les liens entre les domaines de la santé et des représentations sociales. En effet, qu'il s'agisse de la psychanalyse (Moscovici, 1961), de la santé et de la maladie (Herzlich, 1969), ou de la santé mentale et de la folie (Jodelet, 1989), les études princeps issues de la théorie des représentations sociales ont relation avec la santé. Jodelet rajoute qu'une deuxième vague d'études s'est concentrée sur des maladies ou pratiques spécifiques, sur la promotion de la santé et la prévention de la maladie, avant de voir naître dans un troisième temps une attention portée sur les représentations dont font l'objet les personnes faisant l'expérience de la maladie ou du handicap, leur stigmatisation ou les relations développées avec elles (2013).

A titre d'exemple, il convient de présenter l'ouvrage devenu référence de Herzlich pour illustrer ce que peuvent apporter les représentations sociales à l'étude de l'objet santé. En appliquant la nouvelle théorie développée par Moscovici quelques années plus tôt (1961), elle propose « une conception pluraliste de la santé » (Herzlich, 1996, p. 79-80), idée selon laquelle il n'existe pas une, mais des santés. Trois conceptions principales en sont proposées ;la santé comme vide, pensée comme l'absence de maladie, la santé comme capital ou réserve, et la santé comme équilibre, qui se présente comme une valeur comprenant un bien-être psychologique, physique, un ressenti. De même, la maladie est représentée selon trois modèles, la maladie destructrice, la maladie libératrice et la maladie métier. Ainsi, au gré de l'expérience, de la culture, l'individu juge de son état de santé et en développe une représentation active, c'est-à-dire directement impliquée dans l'interprétation et l'action.

Cette étude permet de rappeler le constat qu'avait fait Moscovici quelques années plus tôt ; ce qui importe n'est pas tant la réalité que le rapport qu'entretient l'individu avec elle, notamment pour les questions de maladie et de santé. Elle permet également de souligner que la santé et la maladie ne sont pas l'affaire des seul·e·sexpert·e·s de la santé, mais bien de tout·e individu en tant que concerné·e par l'expérience. En somme, la santé est aussi l'« objet profane d'une pensée sociale » (Morin, 2004, p 39).

Au-delà du contenu des représentations autour de la santé et de la maladie, de leur dimension symbolique et de leur finalité profane, un élément reste à traiter, celui du social. Le social, c'est aussi la dimension symbolique de la connaissance, ce qui construit et donne du sens aux vécus de santé et de maladie, ce qui en fait un savoir partagé (Morin, Apostolidis, 2002). De plus, les cognitions et comportements relatifs à la santé et à la maladie sont des lieux « éminemment chauds, [c'est à dire] imprégnés de processus affectifs faits de préférences et de répulsions témoignant ainsi de leur caractère sensible teinté d'enjeux sociaux », d'interaction entre l'individuel et le social (Dany, Apostolidis, 2012, p.69). C'est également de cette perspective-là que peut être éclairée la mise en relation entre ordre biologique et ordre social qu'illustre la maladie en tant que réalité représentée.

« Nos représentations ne nous renseignent pas seulement sur la relation que nous entretenons avec les phénomènes corporels et notre propre état de santé, mais sur les relations qu'à travers eux, nous entretenons avec les autres, avec le monde et l'ordre social. »

Herzlich, 2001, p.198.

En définitive, l'étude des représentations sociales permet de prendre en considération le rôle de la culture et des valeurs, l'articulation entre connaissances savantes et profanes, l'implication des facteurs sociaux et culturels dans la construction des savoirs et de leurs objets. C'est cette approche multidimensionnelle et holistique qui confère sa pertinence à la théorie des représentations sociales pour appréhender l'objet santé ''(Jodelet, 2013). Une deuxième partie sera donc consacrée à l'approfondissement et au développement de celle-ci.

II. Le regard des représentations sociales

Cadre fécond pour analyser les facteurs psychologiques, relationnels et sociaux de la pensée sociale (Dany, Apostolidis, 2012), les représentations sociales seront présentées ici à travers leur définition et opérationnalisation (A), les mécanismes de leur formation, l'ancrage et l'objectivation (B), ainsi que leur lien avec la pensée et les pratiques sociales (C).

A. Les représentations sociales, une théorie, des approches

Héritée du concept de représentation collective de Durkheim, et inspirée de Piaget et de Freud, (Moscovici, 2003), la théorie des représentations sociales occupe une place certaine dans le champ de recherches sur la connaissance en psychologie sociale. Moscovici les décrit comme un « corpus organisé de connaissances et une des activités psychiques grâce auxquelles les hommes rendent la réalité physique et sociale intelligible, s'insèrent dans un groupe ou un rapport quotidien d'échanges, libèrent les pouvoirs de leur imagination » (1976, p. 27). Sa fonction première est ainsi d'interpréter la réalité en entretenant avec elle des rapports
de symbolisation et en lui attribuant des significations. La représentation sociale permet l'élaboration des comportements et la communication entre individus ou groupes ; elle est dirigée vers la maitrise de l'environnement et évolue à travers les interactions et les échanges.

En somme, le concept de représentation sociale renvoie aux produits et processus caractérisant la pensée de sens commun, forme de pensée pratique, socialement élaborée, marquée par un style et une logique qui lui sont propres et partagée par les membre d'un même ensemble social ou culturel (Jodelet, 1997). Elles sont sociales par leur mode d'élaboration, à savoir les interactions et expériences communes, et par leur objet, social.

En tant que théorie, elle est une voie privilégiée d'accès au sens commun, elle permet d'interpréter les comportements, les conduites et les actions, de se saisir de l'histoire en train de se faire. Théorie paradigmatique, sa portée est compréhensive et explicative, prédictive seulement locale. (Apostolidis, 2005). Appliquée à la santé, elle présente plusieurs intérêts ; d'une part elle propose un modèle d'analyse de la pensée sociale, en considérant les facteurs psychosociaux de sa production et de sa fonction, l'individu comme sujet-acteur compris dans un contexte culturel, et sa logique de maitrise de l'environnement. D'autre part, elle se propose modèle d'articulation entre « systèmes de pensée et systèmes de comportements, des relations (orientation, légitimation) entre pratiques et représentations sociales, dans et par la considération de la correspondance entre « situations sociales » et « modalités de connaissance et d'action » » (Apostolidis, Dany, 2012, p. 71).

En outre, il existe trois approches pour appréhender les représentations sociales, inspirées de l'ouvrage sur la psychanalyse de Moscovici (1961), à laquelle se rajoute une quatrième d'après la classification de Molinier et Guimelli(2015). La première, l'approche structurale -ou théorie du noyau central, proposée par Abric (1976), est axée sur la structure et l'organisation des représentations sociales. La deuxième, l'approche dynamique -ou positionnelle- a été développée par Doise (1990) et s'intéresse à l'insertion sociale de l'individu ou de sa relation avec l'alter. La troisième, l'approche socio-génétique -ou anthropologique, mise en évidence par Jodelet (Kalampalikis, Apostolidis, 2016), met l'accent sur les conditions et processus en jeu dans l'émergence des représentations sociales. Enfin, l'approche dialogique, explorée par Marková (2007), porte son attention sur le rôle du langage et de la communication. Il conviendra ici de ne développer que l'approche socio-génétique, dont sera inspirée cette étude.

Héritée de la psychologie collective et inspirée de la phénoménologie sociale, deux spécificités caractérisent principalement cette approche et la distinguent des autres. D'une part, les objets choisis doivent être situés, holistes, complexes et systèmes, selon le postulat « tout objet représentationnel est tensionnel ». D'autre part, l'accent est mis sur la posture méthodologique, ouverte et compréhensive, et le « polythéisme méthodologique » est de mise. En définitive, l'approche socio-génétiques'applique à « saisir l'objet représentationnel comme phénomène dynamique, sa génèse comme une trajectoire dans le temps présent et l'histoire, son expression en tant que connaissance sociale et pratique, fruit des conjonctures historiques, politiques et culturelles et de la communication sociale » (Kalampalikis, Apostolidis, 2016, p.70). Ici, la représentation sociale est une pensée sociale de nature constituée et constituante, et est appréhendée tant comme produit que comme processus.

En définitive, il convient de garder à l'esprit la définition du concept des représentations sociales de Jodelet, de convoquer les fonctions de sa théorie selon Apostolidis et Dany et de s'inspirer de l'approche socio-génétique pour construire et poursuivre la réflexion de cette recherche.

B. L'ancrage et l'objectivation, deux mécanismes de formation des représentations sociales

En étudiant la manière dont une science pénètre la société et donc le sens commun, Moscovici a mis en évidence deux processus majeurs impliqués dans la formation d'une représentation sociale (voir figure 3). D'après Jodelet, ils témoignent de la façon dont le social transforme une connaissance en représentation, et de celle dont cette représentation transforme le social ;

« Comment le social intervient-il dans l'élaboration psychologique que constitue la représentation sociale, comment cette élaboration psychologique intervient-elle dans le social ? »

Jodelet, 1997, p370.

Ainsi, pour l'auteure, l'intervention du social dans l'objectivation se traduit dans l'agencement et la forme des connaissances relatives à l'objet. Elle a pour fonction de rendre concret l'abstrait, et se définit comme une opération imageante et structurante. En pratique, elle permet de réduire la complexité de l'environnement social au moyen de trois étapes (Moscovici, 1961). La première est la transformation iconique, c'est-à-dire la sélection et décontextualisation. Il s'agit de trierles informations en fonction de critères culturels et normatifs pour ne conserver que celles en accord avec notre système de valeurs. La deuxième étape, la schématisation, consiste à former un noyau figuratif qui organise et rend concrètes les informations. Enfin, pour accorder à ce noyau un statut d'évidence et un rôle de constitution de la réalité, la troisième et dernière étape est la naturalisation.

Quant à l'ancrage, il est l'enracinement social de la représentation et de son objet. Ce mécanisme rend familier l'étrange, en intégrant la nouveauté dans un cadre de pensées préexistant. Pour cela, le nouvel objet est comparé à ceux d'une catégorie familière, il est classifié, nommé. Il s'agit de lui assigner du sens, de l'intégrer cognitivement dans un système d'interprétations et un réseau de significations. A noter que les deux processus ne sont pas indépendants et fonctionnent ensemble, de manière dialogique. Leur distinction opère également dans le rapport qu'ils entretiennent avec l'existant. Alors que l'ancrage est dirigé vers l'intérieur et la stabilité, l'objectivation est elle dirigée vers l'extérieur, le changement.

Figure 3. Schematic depiction of the sociogenesis of social representations. Schématisation de la sociogénèse des représentations sociales. (Wagner et al. 1999.)

C. Les représentations sociales, lien entre pensée et pratique sociales

Comme développé dans les parties précédentes, les représentations sociales sont une forme de pensée sociale, caractérisée par le savoir de sens commun, ayant une visée pratique. Selon l'approche socio-génétique, ces deux éléments, la connaissance sociale et la pratique, sont les deux faces d'une même pièce qu'il convient ici d'approfondir.

D'une part, l'objet de la théorie des représentations sociales -voire de la psychologie sociale (Moscovici, 2001), est le sens commun. Il s'agit de savoir comment la science, en pénétrant la société, se transforme en connaissance ordinaire, en sens commun. Ce dernier s'oppose au savoir scientifique, et revêt une assise sociale et culturelle ; en ce sens, elle fait consensus au sein d'un groupe, elle est collective et partagée. Dirigé vers la maîtrise de l'environnement et caractérisé par l'oralité, il précède la science et l'éducation pour former ce que Moscovici appelle les « protosciences populaires » (Moscovici, 2001, p.25). La communication et la diffusion de la science peuvent contribuer au développement de la science en la transformant en un nouveau sens commun, qu'il nomme post-sciences populaires. Cette considération pour le savoir populaire n'est pas sans rappeler une évolution des paradigmes en santé ; depuis les années 1970, l'approche paternaliste des sciences médicales s'est effacée suite aux insuffisances du modèle biomédical et aux mobilisations des associations de malades, conférant une nouvelle place aux patient·e·s et le développement de la démocratie sanitaire. L'attention est désormais portée sur les savoirs et connaissances, non pas vers les producteurs·ices de la science, mais vers ses utilisateurs·ices. Comme le modèle des représentations sociales, cette vision rompt avec une approche asymétrique et hiérarchique de la transmission du savoir, outil de pouvoir.

D'autre part, les représentations sont des guides pour l'action, elles orientent les pratiques. Abric, qui s'est notamment attaché à les étudier, en propose la définition suivante ; « elles sont des systèmes d'action socialement structurés et institués en relation avec des rôles » (1994, p.263). En 1971, il en propose une illustration à travers une situation expérimentale. Deux tâches sont proposées à des groupes d'individus, soit de résolution de problème, soit de créativité. En fonction de la présentation de la tâche à réaliser, congruente ou non, les performances ne sont pas les mêmes, ce qui montre ainsi que les représentations influent sur les comportements sociaux. En fait, les représentations et les pratiques entretiennent une relation dialectique, et l'analyse de toute pratique sociale nécessite la prise en compte du contexte socioculturel et matériel dans lequel elle se développe, ainsi que son mode d'appropriation par l'individu ou le groupe concerné. De plus, pour qu'elle continue d'exister et qu'elle se maintienne, une pratique doit nécessairement s'inscrire et s'intégrer dans un cadre de pensées préexistant, un « système de valeurs, de croyances et de normes » (Abric, 1994, p. 288).

En définitive, la théorie des représentations socialespropose une approche contextuelle, compréhensive et phénoménologique des comportements et pratiques sanitaires, eten tant que concept, une double fonction de perception et de guide d'action ; en ce sens, elle se présente comme cadre théorique pertinent pour l'analyse des phénomènes de santé. Une dernière partie sera alors consacrée à la présentation d'un phénomène sanitaire et de son contexte sociopolitique, l'auto-gynécologie.

III. De la gynécologie à l'auto·gynécologie

Il s'agira dans une dernière partie de présenter le phénomène de santé étudié, l'auto-gynécologie. Encore peu connu, il sera présenté à travers le contexte sociohistorique de sa naissance et de son évolution, en passant par la gynécologie (A) et le self-help (B).

A. La femme, un patient comme les autres ?

Premièrement, il parait intéressant de relever les particularités du rapport du système de santé aux femmes et à leur corps. Historiquement considérée comme un « homme manqué », dont les parties génitales sont celles d'un homme, mais à l'intérieur, la médecine -et la société- reconnaît ensuite à la femme une « nature féminine » basée sur la faiblesse et la prédestination à la reproduction (Laqueur, 1992). Deuxièmement, la médicalisation de la sexualité et de tous les phénomènes qui entourent la maternité conduit au XIXème siècle à la naissance de la gynécologie et de l'obstétrique comme disciplines médicales à part entière. Cela contribue à améliorer la prise en charge de la santé des femmes, puisque le taux de mortalité maternelle passe de 1% à 1 pour 10 000 (Vidal&Salle, 2017).

Toutefois, la naissance de la gynécologie n'est pas seulement liée à l'amélioration de la santé, mais s'inscrit également dans un contexte politique. En effet, malgré l'objectivité et la neutralité associées à la science et donc à la science médicale, les conceptions de la sexualité et de la santé publique entrainent une politique de contrôle des comportements et des populations à travers la santé sexuelle (Adam et al., 2016). C'est ce que Foucault (2004) nomme la biopolitique, lorsque l'exercice du pouvoir ne porte non plus sur le territoire mais sur la vie des individus. C'est dans cette perspective que se développe la médecine gynécologique.

« Fruit de la bicatégorisation sexuée, elle se distingue, parmi les spécialités médicales actuelles, par sa focalisation sur une catégorie dont on n'est pas censé·e pouvoir sortir, le sexe. Son pendant, qui n'a d'existence qu'anecdotique, serait l'andrologie. Ainsi, le rendez-vous périodique chez la ou le gynécologue perpétue et renforce une asymétrie fondamentale dans la surveillance sociale et le traitement médical des classes de sexe. »

Ruault, 2015, p. 35.

B. La crise de la gynécologie et l'auto-gynécologie

En dehors des caractéristiques historico-politiques de sa création, la discipline gynécologique est aussi traversée d'actualités et d'enjeux qui conditionnent son application et son évolution. Particularité française, elle se divise entre la gynécologie obstétrique et la gynécologie médicale, créée en 1963 pour la promotion de la contraception, la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles, la diminution des actes chirurgicaux et la prise en charge des troubles de la ménopause (Terris, 2016). Le nombre de gynécologues médicaux a baissé de 41,6 % de 2007 à 2017 en raison de l'harmonisation des lois européennes au sujet des spécialités médicales. En décembre 2017, un dossier du journal Le Monde titre ainsi « Consulter un gynécologue : la grande galère ». Enfin, la gynécologie est traversée depuis quelques années par des actualités polémiques, notamment avec l'épisiotomie, le « point du mari », les violences obstétricales ou les touchers vaginaux enseignés à l'université sur des patientes endormies3(*). Face à ces controverses, le Collège National des Gynécologues Français regrette un « gyneco-bashing », qui ne correspondrait pas à la réalité.

Dans un deuxième temps, il parait inévitable de situer l'auto-gynécologie au regard du self-help, qui fait le lien entre pratiques gynécologiques controversées et auto-gynécologie. Ainsi, on peut lire sur le site internet « gynandco », qui propose une liste de praticien·nessafe, que l'auto-gynécologie est une pratique qui était enseignée dans les années 1970 lors des luttes féministes pour l'avortement. Le MLAC, Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et de la Contraception, ou le Women'sHealth Collective de Boston, se battent la santé des femmes, et s'élèvent contre la médicalisation de la naissance, et les discours paternalistes et moralisateurs des gynécologues (injonction à la procréation, stigmatisation des sexualités...). Le self-help gynécologique, ou auto-gynécologie, est promu et se développe comme pratique politique de la santé à travers l'échange de savoirs et d'expériences, en dehors de l'institution médicale qui représente un frein à l'autonomie et à la liberté de choix.

« Le mouvement self-help est né aux États-Unis au sein du mouvement féministe de la fin des années 1960 (Women'sLiberationMovement). Ce mot self-help n'a jamais eu de traduction satisfaisante en français : s'aider soi-même, auto-assistance, entraide entre femmes... Il s'agit d'un mouvement de réappropriation du corps qui a commencé par la pratique de l'auto-examen gynécologique avec l'aide d'un spéculum et d'un miroir. Cette découverte, pratiquée en groupe, délie les langues et ouvre des discussions favorisant les prises de conscience sur notre relation au corps, à la sexualité, sur la santé et sur les rapports de pouvoir entre hommes et femmes ou encore avec le monde médical »


Rina Nissim,2014, introduction

Enfin, il conviendra de présenter l'auto-gynécologie actuelle, à travers des pistes de réflexion autour de la documentation profane disponible. Aujourd'hui en France, le phénomène de l'auto-gynécologie semble être porté par Martin Winckler, médecin et écrivain critique à l'égard de la prise en charge médicale actuelle, et PoussyDrahma, militante se définissant comme une « alter-gynécologue » parcourant la France dans un camion où sont organisés des ateliers d'auto-gynécologie. A la lueur de l'histoire de la gynécologie et de celle du self-help, l'auto-gynécologie se présente comme une pratique sanitaire avec des enjeux de réappropriation de son corps, du savoir, et d'émancipation de l'institution médicale, décrite comme paternaliste et potentiellement violente. Elle amène également des questionnements sur la promotion de la santé, la place des patientes et donc la démocratie sanitaire. En définitive, dans une perspective de santé publique, l'auto-gynécologie parait aussi intéressante que peu étudiée.

Problématisation

Il s'agira donc de mobiliser l'outil des représentations sociales (RS), en ce qu'il permet de s'inscrire dans un paradigme compréhensif et holiste, pour étudier un phénomène sanitaire encore peu exploré, l'auto-gynécologie. En dehors de toute considération médicale, même si la personne n'a pas raison sur le plan sanitaire, elle peut avoir ses raisons sur le plan social.

Toute représentation n'est pas sociale, et cette étude n'a pas tout à fait vocation à s'intéresser aux RS de l'auto-gynécologie. Il s'agit davantage de tenter de se saisir du phénomène de l'auto-gynécologie, et de partir à sa rencontre à l'aide du regard des représentations sociales. Approche multi-niveaux d'un phénomène de perception et d'action, la théorie des RS permet alors d'envisager l'auto-gynécologie comme un monde social à la rencontre de la connaissance de sens commun, fruit de l'expérience et des modèles de pensée transmis à travers l'éducation, la tradition, la communication sociale.

En définitive, il s'agit de s'intéresser à l'auto-gynécologie en tant que comportement de santé ; en tant que phénomène social dans son ensemble, grâce à une approche holiste, multi-niveaux ; en tant que pratique sociale, à la rencontre de la culture, des représentations, et de l'expérience ; en tant que représentations, sanctionnées par la pratique, influencées et influençant le cadre de pensée préexistant ; en tant que savoir de sens commun, à la rencontre du profane et du scientifique ; en tant que pensée sociale inscrite dans le champ psychosocial de la personne et des groupes ; en tant que représentations, dans ce qu'elles disent du rapport de l'individu au social.

Méthodologie

Afin de répondre au mieux à la problématique du sujet et de s'inscrire de manière cohérente avec l'ancrage théorique, il conviendra de présenter la méthodologie utilisée. Ses principaux points sont l'orientation qualitative (I), la méthode de l'entretien (II) etl'approche du terrain (III).

I. De la méthodologie qualitative

Le positionnement méthodologique qualitatif parait indubitablement le plus approprié à cette étude ; d'une part, il répond à ses objectifs de prise en compte de la complexité du monde social étudié ainsi que de la co-construction des significations et des réalités par l'individu et son contexte. De plus, les caractéristiques du terrain (contexte peu connu, complexe, ancré dans un réseau de significations) sont peu compatibles avec une méthodologie quantitative (Santiago Delefosse&Carral Del Rio, 2017).

D'autre part, compte tenu de la problématique et des caractéristiques du terrain présentées ci-dessus, le positionnement qualitatif semble s'imposer pour garantir la cohérence de la posture théorico-méthodologique. Il existe deux principales raisons de s'y attarder d'après Jodelet (2003), une volonté d'approche holistique, et une épistémologie socio-compréhensive -« le monde social comme monde interpersonnel et expériencé comme signification, le rôle des significations et la nécessité d'une démarche compréhensive » (Dany, 2016, p. 87).

II. L'outil méthodologique de l'entretien

A. La méthode de l'entretien

Le recueil des données autour de l'auto-gynécologie est réalisé grâce la méthodologie de l'entretien individuel.D'une part, l'entretien qualitatif a été choisi pour restituer la pratique de l'auto-gynécologie dans son contexte. En effet, cet outil permet de rendre compte des systèmes de valeurs, de normes, de représentations, de symboles propres à une culture ou sous-culture. D'autre part, la théorie des représentations sociales est caractérisée par l'étude de la tension entre l'individu et la société, à travers une appréhension ternaire des faits sociaux : une relation entre le sujet individuel, le sujet social, et l'objet (Moscovici, 1984). C'est dans cette approche dialogique que sont réalisés les entretiens.

Par ailleurs, l'objet de recherche, l'auto-gynécologie, est encore peu connu. L'entretien semble être l'outil idéal pour se saisir d'un monde social non exploré, dont on ne veut pas présumer à priori (Blanchet&Gotman, 2007). Afin de produire un discours autour d'un objet pouvant être complexe, tout en respectant le caractère exploratoire de la recherche, la méthode choisie se trouve entre l'entretien semi-directif et l'entretien non-directif. Une seule question explicite est posée en début d'entretien, et les relances qui viennent alimenter le discours de l'interrogée n'existent qu'en fonction de son propre discours. Ainsi, aucun thème n'est abordé par l'intervieweur·se sans que le sujet ne l'ait initié au préalable bien qu'un guide d'entretien constitué de questions de relances soit élaboré à partir de différents thèmes (voir annexeII.1).

Enfin, le choix de la méthode a également été conditionné par la modestie de ce projet de recherche ; sa visée exploratoire ne saurait satisfaire la rigueur et l'exigence que suppose la théorie des représentations sociales. Ainsi, malgré l'intérêt de la multi-méthodologie ou « triangulation » (« stratégie alternative de recherche pour fonder une démarche épistémologique et empirique contextualisée dans les études en psychologie », Apostolidis, 2005, p.15), il sera ici question de se concentrer autour d'un unique outil méthodologique.

B. Le guide d'entretien

Un guide d'entretien (voir tableau I) a été élaboré autour de thématiques semblant saillantes pour le sujet de l'auto-gynécologie. Après une phase de test à l'aide d'un entretien exploratoire, il s'est avéré que tous les thèmes avaient été abordés spontanément, et très rapidement. Par la suite, les entretiens ont alors été envisagés avec un regard plus ouvert et un rôle moins directif.

La question inaugurale, « j'aimerais que l'on parle d'auto-gynécologie. Que pouvez-vous m'en dire, qu'évoque pour vous l'auto-gynécologie ? » a été inspirée du protocole d'Apostolidis (1994) lors de son enquête sur les représentations sociales de la sexualité et du lien affectif. A la suite de l'entretien, une fiche signalétique4(*) a été distribuée, à laquelle ont été ajoutées des questions au sujet du suivi et des expériences gynécologiques des participantes. Les différentes réponses proposées à la question des raisons du suivi gynécologique ont été basées sur les divers motifs de consultation gynécologique prévus par la profession et recensés par le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français.

Tableau I. Guide d'entretien

Composition du guide d'entretien

Illustrations

Consigne de départ

« J'aimerais que l'on parle d'auto·gynécologie. Que pouvez-vous m'en dire ? Qu'évoque pour vous l'auto·gynécologie ? »

Les thèmes du guide - relances seulement si abordés spontanément :

-Le rapport à l'institution médicale (expériences et perceptions)

-Le rapport à la gynécologie (différence avec d'autres domaines de santé)

-Le savoir (expertise, connaissances ou expériences)

-La biographie auto-gynécologique (porte d'entrée, pratiques, valeurs)

-Pensez-vous que ... de quelle manière ?

-Selon vous... ?

-A votre avis ... ?

-Que pouvez-vous me dire par rapport à ... ?

-Qu'évoque pour vous... ?

-Pouvez-vous développer au sujet de... ?

Passation d'un questionnaire pour identification socio·démographique et informations supplémentaires

-Âge, niveau scolaire, profession, engagements militants, caractéristiques et régularité du suivi, grossesse, contraception, pathologie gynécologique

III. L'approche du terrain de l'auto-gynécologie

A. Prise de contact et recrutement

La phase de recrutement s'est avérée complexe, relativement aux particularités et spécificités de l'auto-gynécologie. En effet, le phénomène de l'auto-gynécologie n'a de réalité matérielle qu'en certaines occasions particulières, comme par exemple lors d'organisations d'ateliers ou de débats sur le sujet. Les personnes ou collectifs intervenant lors de ces événements n'existent que de manière ad hoc, et les associations organisant ces événements ne sont pas directement impliquées dans l'auto-gynécologie. En outre, l'ancrage virtuel de l'auto-gynécologie, s'il permet à ce mouvement de se développer en accord avec ses valeurs d'accès démocratique au savoir, le rend difficile à appréhender en pratique.

Le recrutement des participantes a été réalisé à travers deux méthodes. La première méthode a consisté à intégrer des groupes sur les réseaux sociaux spécialisés dans les sujets de l'auto-gynécologie (DIY gynéco&co, gynécologie naturelle) et de publier un appel à témoignages. La deuxième méthode comprenait le contact par mail d'associations ou collectifs engagés dans la promotion de la santé gynécologique et susceptibles de promouvoir l'auto-gynécologie. Pour chacune de ces approches, trois phases ont été respectées ; la demande explicite de participation, suivie de la demande de partage, puis dans un dernier temps la demande de suggestion d'autres contacts - la méthode dite « boule de neige ». Pour respecter la confidentialité des participantes invitées à répondre à la recherche via Facebook, une adresse mail a été créée ( temoignages.autogyn@gmail.com).

Cette méthode ne vise pas à recruter un échantillon statistiquement représentatif, mais bien à découvrir les caractéristiques de ce monde social sans en présumer a priori.

B. Caractéristiques et rencontre de la population

A l'instar du choix de l'outil méthodologique, le recrutement de la population s'est fait en accord avec la visée exploratoire de cette étude. Aucun critère socio-démographique n'a été discriminé, exception faite du lieu principal d'habitation ; pour pallier le biais que pourrait constituer le manque d'accessibilité au système de soins dans la pratique de l'auto-gynécologie, seules des femmes habitant des moyennes à grandes villes ont été interrogées, soit dans des conditions approximativement identiques d'accès aux soins.

Par ailleurs, les entretiens ont été réalisés de deux manières différentes, en face à face ou via un logiciel de communication audio et vidéo, Skype. Ce choix a été motivé par deux raisons. La première tient aux caractéristiques du terrain évoquées plus haut, mal connu, difficile d'accès et potentiellement infiniment étendu. Il s'est en effet avéré plus productif de recruter des sujets qui ne pouvaient pas être rencontrés effectivement, particulièrement au vu du mode de recrutement, lui-même virtuel. La seconde motivation tient à la cohérence de la démarche exploratoire de l'étude. Réaliser des entretiens virtuels a permis d'élargir les critères géographiques de l'étude, ainsi que de saisir des opportunités de diversifier les profils rencontrés.

Résultats

Après avoir présenté dans un premier temps les caractéristiques de l'échantillon interrogé (I), il conviendra de s'attarder sur l'élaboration de la grille d'analyse (II). Enfin, les principaux résultats seront abordés à travers trois sous-parties pour répondre au mieux aux problématiques de recherche (III).

I. Présentation de l'échantillon

Au total, après six désistements, seize personnes ont été interrogées. Exclusivement composé de femmes cisgenres5(*), l'échantillon couvre une tranche d'âge de 19 à 39 ans. Les participantes sont réparties sur neuf villes françaises.

Au niveau gynécologique, seules quatre participantes n'ont pas recours à la gynécologie institutionnalisée. Treize sont nullipares, une a accouché et deux ont un projet actuel de grossesse. Sur cinq participantes concernées par une pathologie gynécologique, une seule est décrite comme non bénigne, l'endométriose.

Enfin, quant au contexte de l'entretien, la moitié (huit sur seize) a été interrogée via le logiciel Skype, l'autre moitié a été rencontrée chez la participante ou dans un espace de co-working. Ils auront duré de 35 minutes à 1h34, avec une moyenne d'1h08 par entretien.

Toutes les caractéristiques sociodémographiques ainsi que les fiches signalétiques contenant les informations complémentaires sont disponibles en annexesIII.1 et III.2.

II. Construction de la grille d'analyse

Deux des seize entretiens n'ont pas pu être réalisés dans des conditions normales de production (interruption de l'entretien au milieu de la discussion et absence de volonté de témoigner réalisée tardivement). Ne pouvant être comparés aux autres, ils ont été écartés du corpus de données analysées.

Conformément au choix théorico-méthodologique de cette recherche, la constitution des codes et catégories dérive de l'étude attentive des données produites. Ainsi, un processus itératif de familiarisation avec les données et de révisions du système de catégories émergées a permis l'élaboration d'une grille d'analyse. Cette grille a ensuite servi à la catégorisation systématique des entretiens6(*).

Chaque entretien a été l'objet d'un codage sur Atlas.ti, logiciel d'étiquetage réflexif permettant les itérations nécessaires au développement de la grille d'analyse, à la catégorisation des données et à sa conceptualisation (Lejeune, 2016).

A la suite de ce processus de construction des catégories, sept thèmes se sont révélés pertinents pour l'analyse systématique du corpus (voir tableau II) ; le rapport à l'institution médicale rend compte des perceptions, représentations, expériences de l'individu avec le corps médical.Le rapport à la gynécologie comporte également les expériences, perceptions et représentations de l'individu de l'institution médicale gynécologique, ainsi que les différences avec le reste des corps médicaux, et les problématiques d'ordre gynécologique. Le rapport au soin rend compte des pratiques et expériences de soins de l'individu, mais aussi de son rapport à la santé et à la maladie. Le rapport au savoir met en évidence la place du savoir, scientifique ou profane, dans le discours, qu'il s'agisse de ses sources, de sa conception, des formes de sa transmission. La catégorie du rapport à la communauté auto-gynécologique comporte les liens avec le groupe des personnes concernées par l'auto-gynécologie, ses apports, les références et figures de l'auto-gynécologie. Le rapport au corps et à l'intimité met en évidence la relation que les participantes entretiennent avec elles-mêmes, avec leur féminité, leur corps et en particulier la sphère gynécologique. Enfin, la dernière catégorie, le rapport au monde, comporte les valeurs, convictions, normes, croyances plus générales des participantes, leur application et leurs liens avec l'auto-gynécologie.

Tableau II. Les sept catégories émergées de l'analyse thématique

LE RAPPORT A L'INSTITUTION MEDICALE

Perceptions, représentations, expériences de l'individu avec le corps médical

LE RAPPORT A LA GYNECOLOGIE

Expériences, perceptions et représentations de l'individu de l'institution médicale gynécologique, différences avec le reste des corps médicaux, et les problématiques d'ordre gynécologique

LE RAPPORT AU SOIN

Pratiques et expériences de soins de l'individu, rapport à la santé et à la maladie

LE RAPPORT AU SAVOIR

Place du savoir, sources, conception, formes de sa transmission

LE RAPPORT A LA COMMUNAUTE

AUTO-GYNECOLOGIQUE

Liens avec le groupe des personnes concernées par l'auto-gynécologie, apports, références et figures de l'auto-gynécologie

LE RAPPORT AU CORPS

Relation avec soi, sa féminité, son corps et en particulier la sphère gynécologique

LE RAPPORT AU MONDE

Valeurs, convictions, normes, croyances, leur application et leur lien avec l'auto-gynécologie

III. Présentation et interprétation des résultats

Afin de répondre aux objectifs de recherche, il conviendra de présenter l'analyse des résultats au sein de trois parties. La première, directement issue de grille d'analyse, rendra compte, à travers le regard des RS sur l'auto-gynécologie, du rapport entre l'individu et le social (A). Le deuxième point explicitera leur inscription dans le cadre psychologique et social préexistant (B). Enfin, le dernier point sera centré autour des processus de formation des RS, c'est-à-dire de la manière dont pénètre le savoir gynécologique dans le sens commun des personnes concernées (C). A noter que la séparation de ces parties ne tient qu'à une facilitation de présentation des résultats, puisque leurs contenus ne peuvent exister les uns sans les autres.

A. Le regard des RS sur l'auto-gynécologie, les rapports de l'individu au social

Au-delà de la distribution d'opinions au sujet de l'auto-gynécologie, l'analyse des résultats propose de s'intéresser au rapport au monde des personnes concernées par l'auto-gynécologie.Ainsi, la démarche inductive de l'analyse a permis d'organiser l'ensemble du contenu des discours au sujet de l'auto-gynécologie autour de sept thématiques, chacune traduisant un rapport intra-individuel, inter-individuel, positionnel ou idéologique au monde (voir figure 4). Pour chaque idée développée seront présentés simultanément des extraits, choisis pour leur typicité, ainsi que leur analyse et interprétation.

1. UN RAPPORT A L'INSTITUTION MEDICALE


2. UN RAPPORT A LA GYNECOLOGIE

7. UN RAPPORT AU MONDE (SYSTEME DE VALEURS)

L'AUTO-GYNECOLOGIE, UN RAPPORT A L'ORDRE SOCIAL


3. UN RAPPORT AU SOIN

6. UN RAPPORT AU CORPS, A LA FEMINITE ET A L'INTIMITE


4. UN RAPPORT AU SAVOIR

5. UN RAPPORT A LACOMMUNAUTE AUTO-GYNECOLOGIQUE

Figure 4. L'auto-gynécologie comme rapport à l'ordre social

1. Rapports à l'institution médicale

Le rapport à l'institution médicale est un des thèmes les plus présents dans le discours des sujets. Il ne s'agit pas ici de décrire quelle relation chaque interrogée entretient avec son médecin et quelles ont été les expériences bonnes ou mauvaises avec l'institution médicale ; l'intérêt se situe davantage dans le fait de relever le rapport à l'institution médicale dans un discours sur l'auto-gynécologie.

On retrouve ainsi différentes perceptions, représentations et expériences avec le corps médical.De manière significative, les interrogées abordent une posture théorique critique face à l'institution médicale. Elle est associée à un « business » (Florence), à un outil de « contrôle social » (Alice), ou au « patriarcat » (Maud), dont les pratiques sont teintées de sexisme, d'homophobie, de transphobie, d'infantilisation, de jugements et de paternalisme. Les consultations sont trop expéditives, manquent de bienveillance et de considération pour la personne qu'est la patiente en dehors de ses pathologies. Le savoir possédé par la ou le médecin est gardé jalousement et est associé au pouvoir ; en ce sens, le fait de ne pas consulter est vu comme une forme d'émancipation.

Par ailleurs, quant aux expériences vécues, elles ne reflètent pas parfaitement les représentations de l'institution médicale. Ainsi, les personnes interrogées décrivent de bonnes relations médecin-patiente, et à l'exception d'une participante (Prune), pas de réticence particulière à la consultation.

2. Rapports à la gynécologie

Ensuite, le rapport à la gynécologie nous renseigne quant aux expériences, aux perceptions et représentations de l'individu de l'institution médicale gynécologique, mais aussi des différences avec le reste des corps médicaux, et les problématiques d'ordre gynécologique.

D'une part, les discours relatent de mauvaises expériences avec un·e gynécologue, à travers de la brutalité (Lola, Eve, Prune, Magali), du sexisme, de l'homophobie, du jugement (Florence, Melissa, Lola, Prune, Amandine), des erreurs de diagnostic (Lola, Maud), une absence d'écoute et de respect des choix (Clara, Charlotte, Magali, Morgane, Florence), du slut-shaming7(*) (Caroline), des humiliations, de la psychophobie (Charlotte).

La représentation de la consultation gynécologique est donc très négative ; en ce qu'elle peut faire subir aux femmes, elle représente un danger potentiel. Avoir un suivi gynécologique serait le fruit d'une pression normative, et peut être remis en question. C'est ici que se trouve la différence avec le reste de l'institution médicale, car la gynécologie est en lien avec l'intimité, et place la patiente dans une position de vulnérabilité plus qu'une autre spécialité.

D'autre part, le rapport à la gynécologie est intéressant car il permet de déconstruire des idées préconçues sur l'auto-gynécologie. En effet, à la lueur des données, et malgré les mauvaises expériences et perceptions de l'institution gynécologique, elle n'est pas une pratique sanitaire qui s'exerce en dehors d'elle.En fait, plus qu'un renoncement ou un non-recours à la gynécologie institutionnalisée, l'auto-gynécologie permet de redéfinir la relation médecin-patiente. Tant sur la forme que sur le fond : les femmes interrogées expriment des attentes précises d'une consultation gynécologique et de son déroulement, comme demander la permission avant d'effectuer un acte,ne pas demander de se déshabiller entièrement, prévenir avant d'effectuer un acte, l'expliquer. Par ailleurs, la relation tend à être plus horizontale, moins asymétrique, grâce à un intérêt pour le savoir gynécologique, le recours à plusieurs avis, afin de se sentir légitime pour finalement avoir le choix ou même refuser. La ou le gynécologue est perçu non plus comme l'unique référence ou l'unique recours en termes de santé gynécologique, mais une possibilité, une aide envisageable.

Alice : « Maintenant je me laisserais plus, plus traiter pareil dans un entretien, quoi. Parce que, parce que je saurais pourquoi j'y vais, [...] j'ai quand même besoin de la compétence de l'autre, mais en tout cas si ça contredit mon propre ressenti et ma propre analyse je crois que ça me questionnera, je vais peut-être plus facilement remettre en question ce que dit le professionnel. Avant ouais, je me serais plus sentie moi en doute, ah mince je comprends pas comment je fonctionne. Moi il m'est pas arrivé des trucs de fou, mais par exemple, juste, bah que, qu'on prévienne quand on introduit un spéculum dans mon vagin, juste ça c'est le minimum, quoi ! Et qu'on m'explique ce qu'on est en train de me faire. Juste maintenant je crois que j'arrive à le demander, et dire maintenant je me sens pas très bien, est-ce que vous pouvez m'avertir, enfin voilà. »

3. Rapports au soin

Le rapport au soin nous renseigne quant aux pratiques et expériences de soins de l'individu, ainsi que sur son rapport à la santé et à la maladie. Les pratiques et les représentations des soins sont très variées selon les participantes, qu'il s'agisse du recours à l'homéopathie, à la gemmothérapie, à une médicamentation chimique, aux antibiotiques ou à la phytothérapie. Malgré ces variations dans les pratiques, on retrouve des perceptions communes avec une valorisation des traitements naturels en théorie, mais un recours aux traitements médicamenteux lorsque le problème rencontré est « urgent », « grave », « douloureux », ou lorsqu'on ne peut « pas faire autrement ». Pour la sphère gynécologique, le soin est particulièrement tourné vers la promotion de la santé, avec de l'auto-observation et surtout la capacité de s'auto-diagnostiquer. Cela représente du « self-care » (Charlotte), de la « sérénité » (Magali), ou de manière plus générale, une « réappropriation de sa santé » (Florence). On retrouve un schéma typique de soin gynécologique autour de l'auto-observation (visuelle ou tactile, régulière ou ponctuelle), l'auto-diagnostic (via des échanges entre profanes ou par reproduction d'un diagnostic déjà rencontré), et l'auto-soin (huiles essentielles, huiles végétales, yaourt, vinaigre, ail, plantes...).

Le discours des participantes sur le recours aux soins est en fait tourné autour du pouvoir que permet le savoir sur sa santé. Il s'agit de savoir, de comprendre, pour avoir le choix sur la manière d'envisager le soin, et ne pas se « donne[r] l'entière responsabilité de [s]e soigner » (Clara), et « connaître [s]es limites » d'autosoin (Alice). C'est ainsi que s'expliquent les pratiques variées ; malgré les choix différents que font les participantes face aux possibilités de soin, leur point commun est d'être au courant de ce panel de choix et d'être consciente d'en faire un.

Magali : « s'autonomiser c'est aussi pouvoir dire non en fait, c'est aussi pouvoir... pouvoir savoir ce dont on a besoin »

4. Rapports au savoir

Le rapport au savoir traite de la place du savoir, de ses sources, de sa conception, de ses formes ainsi que de sa transmission. Il s'agit d'une catégorie importante dans le discours des participantes, qui est assimilée à une véritable pratique de l'auto-gynécologie à part entière.

En effet, les fondements de l'auto-gynécologie semblent résider dans le savoir autour de la gynécologie. Les interrogées évoquent un réel intérêt, voire une « passion » (Prune, Lola, Mélissa) pour la gynécologie, l'anatomie, les cycles menstruels. Elles décrivent une « réappropriation du savoir gynécologique » (Charlotte, Amandine, Alice, Eve, Clara, Magali, Maud, Mélissa) et regrettent un cruel manque d'informations à ce sujet de manière générale. Ce savoir est souvent décrit comme appartenant autrefois aux femmes non-professionnelles, qui le transmettaient aux femmes de leur entourage. Cette représentation du savoir gynécologique est alors associée à la figure de la sage-femme, de la sorcière, de la guérisseuse ancestrale, dont le savoir a été récupéré par l'institution médicale.

Ces premières considérations sont également liées à un pan important du savoir, le savoir expérientiel. Être concernée, ressentir, expérimenter un vécu apporte une légitimité dans le savoir, que le ou la professionnelle de santé ne peut pas remettre en question.

Eve : « C'est la réappropriation du pouvoir. De son pouvoir. De la connaissance de soi, et de bah voilà on gère, et on a pas besoin d'écouter quelqu'un extérieur à soi qui, qui nous fait croire qu'il sait mieux que nous. »

Caroline : « ouais puis `y a ce côté aussi `fin c'est mon corps, je le vis tous les jours alors je veux bien que `y ait des personnes qui connaissent un grand spectre des symptômes, qui ont un savoir plus élargi, mais mon corps c'est quand même moi qui le vis, quoi. »

Dans certains discours, cette légitimité à savoir tend à un naturalisme et un essentialisme des capacités de « la » femme à gérer la sphère gynécologique.

Eve : « Moi j'ai vraiment cette confiance que le corps de la femme est fait pour enfanter etc., et plus on lui laisse faire sa vie tranquillement, à partir du moment où on laisse la femme, où elle est détendue, où on lui fait confiance où on l'encourage à se faire confiance, à s'écouter, et euh... voilà quoi, le corps il a tout ce qu'il faut là où il faut pour que ça fonctionne bien »

Les sources de savoir sont variées, sur un continuum de profane à scientifique. Ainsi, des participantes reconnaissent avoir recours à des livres de médecines (Eve : « des bouquins de médecins, des trucs un peu costauds quoi »), d'articles scientifiques (Lola : « j'essaie de chercher en anglais, et puis j'essaie de passer par Google Scholar et des sites un peu scientifiques des fois pour trouver vraiment des articles »), de vulgarisation scientifique (Prune : « Et après j'ai plein d'ouvrages de vulgarisation, sur la gynéco, sur la contraception »), mais également beaucoup d'échanges de conseils entre personnes concernées (Charlotte : « l'échange, c'est vraiment pour moi une encyclopédie, c'est mon Wikipédia à moi, [rires], `y a toujours des gens plein de bon sens et plein de bons conseils »). Il est intéressant de noter que les professionnel.les de santé peuvent également constituer une source de savoir -ce qui n'est plus tout à fait surprenant compte tenu de la collaboration possible évoquée dans le rapport à la gynécologie. Ainsi, poser des questions à sa gynécologue et échanger davantage avec elle permet aussi de développer des connaissances en gynécologie, et favorise donc la pratique de l'auto-gynécologie.

De même, la transmission du savoirgynécologiquese développe autourdes échanges et des conseils entre personnes concernées, dans des groupes spécialisés (virtuels ou des ateliers ponctuels) ou entre proches. Les femmes interrogées mettent l'accent sur l'importance de transmettre ces savoirs aux plus jeunes, via l'éducation, et de le démocratiser.

En définitive, le savoir est un élément clé de l'auto-gynécologie, puisqu'il est compris comme outil de pouvoir -face à sa santé, face à son corps, face à l'institution médicale- et reconnu comme une forme de « self-empowering » (Florence).

5. Rapports à la communauté auto-gynécologique

Le rapport à la « communauté auto-gynécologique », virtuelle au sein de groupes consacrés, ou réelle à l'occasion de rencontres ponctuelles, rend compte de ses apports et des liens entretenus avec elle, ainsi que des figures de références évoquées. Premièrement, certains noms de personnes ou de collectifs sont systématiquement cités, comme les sitesGynandco et Paye ton Gyneco, le collectif Gynepunk, la naturopathe et écrivaine Rina Nissim, le médecin et écrivain Martin Winckler, ou l'autodésignée alter-gynécologue PoussyDraama. Cela montre qu'une certaine culture se construit autour de l'auto-gynécologie, et que les bases de références sont communes.

Deuxièmement, la communauté auto-gynécologique constitue un ensemble d'apports pour les interrogées. Elles évoquent ainsi un regard déculpabilisant, de la bienveillance, du respect, une liberté de parole, du réconfort, du soutien face aux pratiques abusives, une solidarité voire une sororité, une démystification du savoir gynécologique. En fait, les apports de la communauté auto-gynécologique semblent se construire comme les qualités faisant défaut à la gynécologie institutionnalisée.

Charlotte : « tes choix sont pas remis en question en fait, et tu trouves justement dans ces groupes d'auto-gynécologie, on prend le package, quoi. On te prend tout entier toute entière avec ce que tu es qui tu es avec tes aspirations tes croyances ce que tu veux, ce que tu veux pas etc. Or en médecine tu deviens un vagin, tu deviens une vulve, t'es pas toi »

Les liens avec cette communauté dépendent principalement de la source de l'auto-gynécologie ; si la personne concernée a découvert les pratiques de l'auto-gynécologie et continue de s'instruire au sein de groupes consacrés, le lien avec la communauté auto-gynécologique sera de toute évidence plus fort qu'une personne qui fait vivre sa pratique de l'auto-gynécologie de manière plus personnelle ou parmi des groupes de proches réunis par autre chose que l'auto-gynécologie.

6. Rapports au corps, à l'intimité et à la féminité

Le rapport au corps, à l'intimité, à la féminité est une thématique particulièrement importante pour les personnes interrogées. En effet, il semble être la fonction même de l'auto-gynécologie : renouer une relation positive avec soi (voir figure 5page 34). De fait, bon nombre de participantes racontent pratiquer l'auto-gynécologie alors qu'elles ne sont jamais malades, donc en dehors de tout soin (Prune, Eve, Lola, Clara, Caroline, Amandine), ou pratiquer la symptothermie en dehors de toute volonté contraceptive (Caroline, Prune, Amandine, Florence). Ce qui peut sembler a priori incohérent trouve en en fait son explication dans la dimension symbolique du soin : prendre soin de soi, de son corps, y être attentive et l'aider.

Le discours est construit autour de deux pôles antagonistes, le positif et le négatif, l'amour de son corps et le rejet de son corps. Ainsi, les participantes décrivent des relations parfois problématiques avec leur corps, leur sexe ou leur féminité, dues à des violences concrètes, comme des violences sexuelles, ou des violences symboliques, comme le poids des normes et des stéréotypes. Elles évoquent la difficulté d'être une femme dans une société patriarcale, les complexes, les tabous autour du corps, du sexe féminin. Ces difficultés rencontrées sont combattues à travers une démarche d'empowerment présente chez l'ensemble des participantes, pour lesquelles il s'agit d'oser se regarder, d'être curieuse de soi, de démystifier son corps et son sexe, de ne plus être dans la culpabilité, la honte ou le dégout, pour avoir confiance en soi et apprendre à se connaître et à s'aimer.

Caroline : « Oui, par exemple les auto-prélèvements, et... ouais les auto-prélèvements, et pour les glaires, bah ça m'a permis de mieux me connaitre, et aussi avoir moins honte de mon corps, de me dire en fait c'est nat..., `fin de me le dire tous les jours c'est naturel, c'est normal de le faire, c'est ton corps, c'est pour voir comment il fonctionne, au fur et à mesure c'est rentré, pour contrer justement le « ooh le sexe des femmes c'est sale », voilà »

Prune : « Euh, ça m'apporte un regard bienveillant sur moi-même, une meilleure compréhension de mes humeurs, des choses qui fluctuent, que je comprenais pas avant, vraiment. Donc ça m'apporte ça, je sais pas si c'est une force, une fierté, une fierté, ouais, je suis assez fière en fait »

Ainsi, l'auto-gynécologie est une pratique qui permet de mettre en application cette volonté d'instaurer une relation positive à soi, au regard de ce qu'elle constitue une manière de prendre soin de soi et particulièrement des parties les plus intimes de son corps.

7. Rapports au monde

Enfin, la dernière catégorie, le rapport au monde, nous renseigne sur les principes, les croyances, les convictions, les normes des participantes, ainsi que leur application et lien avec l'auto-gynécologie. Cette thématique est intéressante car elle met en évidence l'ancrage de l'auto-gynécologie dans d'autres valeurs plus larges. Aucune question du guide d'entretien n'étant prévue à ce sujet, leur récurrence n'est pas anodine.

Sur l'ensemble des discours des participantes interrogées, la grande majorité (seules trois participantes ne l'évoquent pas explicitement) est emprunte de féminisme explicite. Les participantes évoquant le féminisme indiquent qu'elles ont découvert l'auto-gynécologie grâce à leur militantisme, et que cette pratique leur permet de mettre en application leurs croyances et valeurs.

Maud : « Et puis peut-être le côté féministe aussi de l'auto-gynécologie, `y avait vachement ce côté féministe... moi c'est par ce biais-là que je me suis sentie encore plus féministe, c'est peut-être lié au fait que la gynécologie institutionnelle ça marchait pas et qu'on savait pas grand-chose sur notre corps, « ah, un truc du patriarcat ! » [rires]. C'est aussi le fait d'être plus féministe qui me fait aller vers l'automédication bizarrem', `fin... tu vois ? »

On retrouve également des valeurs écologistes, et un intérêt pour l'environnement chez la grande majorité des participantes (Eve, Mélissa, Maud, Florence, Morgane, Lola, Caroline, Charlotte, Louise, Amandine). L'auto-gynécologie est alors une alternative possible, une pratique éthique en accord avec ces valeurs.

Mélissa : « on va se retrouver avec plein de gros problèmes sanitaires mondiaux en Occident à cause d'antibiotiques, et je pense que c'est une manière de contrôler un peu mieux ce qu'on prend »

B.L'inscription des représentations autour de l'auto-gynécologie dans des cadres psychosociaux préexistants : la pensée et la pratique

Ces premiers résultats nous permettent d'appréhender de manière plus concrète les représentations de l'auto-gynécologie et leur inscription dans d'autres cadres de références préexistants. Un développement en est proposé à travers la figure 5, qui matérialise la génèsede l'auto-gynécologie en fonction de ses ancrages culturels.

Figure 5. Génèse et fonction de l'auto-gynécologie

CULTURE + REPRESENTATIONS + EXPERIENCES = OPERATIONNALISATION DE
L'AUTO-GYNECOLOGIE

En définitive, la pratique de l'auto-gynécologie naît d'une combinaison de l'expérience, en tant que rencontre entre les dimensions sociales, interactives, cognitives, psychiques ou émotionnelles du sujet, de sa culture et de ses représentations. L'analyse des données fait état de facteurs déterminants, le premier lié à des problématiques autour du corps, de l'intimité et de la féminité, et le deuxième lié aux ancrages dans des valeurs, qu'il s'agisse de l'intérêt pour la nature, du féminisme, et/ou de la remise en cause de l'institution médicale. Ainsi, en fonction de la position d'une participante sur le continuum des valeurs représenté par les bulles à gauche du schéma, l'opérationnalisation de l'auto-gynécologie se retrouvera au même endroit sur le continuum des représentations de l'auto-gynécologie situé à droite du schéma.

Enfin, l'implication du sujet dans l'auto-gynécologie est liée à sa fonction, qui vient nourrir et apporter une valence positive à la relation à soi. Les différentes pratiques de l'auto-gynécologie en fonction de leur inscription dans des systèmes de valeurs, croyances et normes seront présentées et développées à l'aide d'exemples.

L'auto-gynécologie, une pratique cristallisée par un ancrage dans un système de valeurs

Les représentations de l'auto-gynécologie semblent se cristalliser autour de trois idées principales, qui peuvent être liées et imbriquées entre elles ou non. Caractérisées par une visée pratique, elles renvoient chacune à une mise en application de l'auto-gynécologie différente.

L'auto-gynécologie comme pratique sanitaire alternative naturelle

La première représentation, autour des soins et de la santé naturelle, est issue de représentations préexistantes autour des valeurs du "naturel". Le discours des participantes concernées par cette représentation se développe autour d'une valorisation des médecines et traitements alternatifs naturels, ainsi qu'une dévalorisation et d'un rejet des médications traditionnelles chimiques. Les pratiques d'auto-gynécologie, comme pour les soins dans d'autres domaines de santé, se développent autour de soins naturels, pour éviter d'avoir recours à des traitements médicamenteux. Cette représentation se développe et évolue autour de la tension« naturel-artificiel ».

Maud : « les antibio ça finit par abimer la flore intestinale, `fin ça fait pas trop le tri entre les bonnes et les mauvaises bactéries quand ça attaque euh... du coup j'essaie d'éviter au maximum les médicaments forts, quand je peux faire autrement, je fais même les plantes euh... les huiles essentielles... des trucs doux » ; « Euh... ça a été jusqu'à me mettre une gousse d'ail dans le vagin, pour soigner une mycose, [rires] »

Morgane : « Bah... pour faire simple, j'ai quasiment jamais pris d'aspirine, de Spasfon, euh... en gros les médicaments génériques je connais que de nom, les antibiotiques je connais que de nom c'est... quand je suis malade, alors j'ai jamais été très malade, genre j'ai fait des gastros quoi ou des petits trucs classiques, mais généralement je suis malade, `fin j'ai un rhume une fois par an en gros, et, et après ben quand je suis enrhumée `fin je mets de l'huile essentielle de Ravinstara sur le torse, et je prends des capsules à l'origan, je dors beaucoup, et puis euh... alors c'est sûr que ça met trois, quatre jours contre un ou deux jours pour des médocs plus costauds, mais je sais que j'ai pas de répercussion sur le foie, sur l'état général quoi, je préfère ça. » ;
« Donc ouais j'essaie aussi de faire ça de manière naturelle, quand... pour tout mon corps. » ;
« j'avais des rapports avec mon mec après quand ça me brûlait je mettais de l'huile de nigelle, bien efficace. Euh j'utilisais l'huile de coco comme lubrifiant, après j'ai eu, à un moment j'avais eu je sais plus un petit bouton je sais plus ce que c'était, genre une petite verrue, enfin je sais pas si c'était vraiment une verrue, enfin bon j'avais un bouton quoi sur les grandes lèvres il me semble, et je sais plus ce que j'avais mis dessus... mais il me semble que c'était une huile à appliquer... »

Eve : « c'est être à l'écoute de cette partie-là du corps ou de ce qu'elle peut avoir à dire, c'est de faire des choix qui ne vont pas contre sa nature, je dirais, c'est-à-dire que par exemple pendant un moment, j'ai pris la pilule, et puis je me suis vite rendue compte que ça n'allait pas du tout, donc j'ai arrêté ça, donc pas de molécules chimiques » ;
« Quand je sais pas comment faire au naturel, ou quand je suis pressée, ou quoi, il m'arrive de prendre de la chimie, mais c'est rare. Mais j'ai été élevée aussi dans un contexte de famille qui utilise quasiment pas de médicaments, et on fait par soi-même, ouais. »

L'auto-gynécologie comme outil militant féministe

En outre, l'auto-gynécologie peut également être considérée et appréhendée comme un outil de militantisme, issu des valeurs féministes des participantes. La découverte de l'auto-gynécologie s'est faite grâce à des milieux féministes, sa pratique est vécue comme une mise en application des valeurs et revendications, et elle vient ainsi nourrir dans une dynamique réciproque le féminisme.Les pratiques liées à l'auto-gynécologie comme outil militant, contrairement à sa conception comme pratique sanitaire, sont davantage abstraites et théoriques. Plus que de prendre soin de sa santé et de lutter contre la maladie, elles se situent davantage autour de la réflexion, du soutien des pairs, de la dénonciation et de la revendication. Ici, la dichotomie à élucider semble être le rapport « soumission-émancipation ».

Miléna : « Donc j'ai commencé à lire des choses, sur la pilule, sur les règles, et puis ensuite, j'ai trouvé les groupes Facebook qui parlaient de ça plus précisément, d'abord c'était plutôt les groupes féministes, et après plus les groupes axés vraiment gynécologie » ;

« Et c'est particulier la gynécologie, parce que c'est quelque chose qui est spécifique, je pense que déjà on y connaît encore moins de choses, qu'il y a encore un tabou dessus, et puis c'est spécifique aux femmes, ou en tout cas aux personnes qui ont des utérus quoi, et c'est un moyen de domination comme un autre, de garder le pouvoir sur le corps des femmes, et voilà » ;

« alors pour moi y a un énorme pouvoir qui oppresse les femmes là-dessus quoi, `fin quand je dis les femmes, je dis les personnes avec utérus, et ouais, je suis pas encore hyper au point là-dessus. Mais... voilà, `fin c'est un truc qui au quotidien, je sais que moi je veux faire ça dans ma vie quoi, dans tous les cas même si je deviens pas, `fin j'ai pas fait d'études de médecines, peut-être que je travaillerai pas au planning, je sais pas comment va se dérouler ma vie, mais dans tous les cas je ferai au moins une permanence, une fois par semaine, et je pense y aura des personnes, et on parlera et je dirai ce que je sais moi et on partagera nos savoirs »

Caroline : « Toutes les alternatives, nature, tout ça... j'ai aussi d'autres valeurs qui sont importantes à ce niveau-là, comme mon féminisme... » (exemple militantisme + nature) ;

« Oui pour moi en fait ça a été les deux, ça a été le féminisme qui a apporté l'auto-gynécologie, parce que bah ça a été le féminisme qui m'a fait connaître Gynandco, ça a été quand j'ai commencé à rentrer dans la réflexion féministe, que je suis allée sur un lien de Gynandco, et euh du coup ouais, l'évolution entre les deux correspond, j'essaie d'être plus indépendante, j'essaie de ne pas culpabiliser de mon corps, j'ai moins, j'ai pas honte de mon corps. Ça a été, ouais, auto-gynécologie et féminisme, pour moi ça se complète »

Léna : « On est dans une société tellement sexiste que... Je pense que je suis tombée sur des... des `fin sur le groupe ou sur des articles qui traitent de l'auto-gynécologie j'ai trouvé ça vraiment intéressant, que les femmes elles puissent, `fin se soigner elles-mêmes, et justement pas avoir, à passer `fin à être obligées d'aller chez des médecins qui vont éventuellement être sexistes etc. et c'est peut-être aussi reprendre contrôle de son corps, je trouve que c'est vraiment militant, voilà »

L'auto-gynécologie comme remise en question de l'institution médicale

Enfin, une troisième conception de l'auto-gynécologie se développe autour de la remise en cause de l'institution médicale et se construit comme moyen d'accéder à l'autonomie. Dans le discours des participantes, cette représentation s'articule autour d'une méfiance face à la figure toute-puissante du médecin et à son savoir unique, une redistribution des rôles médecin-patient·e pour tendre à plus d'horizontalité. De plus, l'évocation de vécus directs ou indirects de violences ou maltraitances médicales influence également la conception et la pratique de l'auto-gynécologie, amenant quelques fois jusqu'au renoncement au recours à la gynécologie institutionnalisée. De ces appréhensions découlent une pratique de l'auto-gynécologie en parfaite autonomie, pour se libérer de la consultation, ou une pratique en collaboration avec la ou le professionnel de santé, pour se réapproprier la consultation. Là encore, la représentation se développe autour d'un duel, « actif-passif ».

Prune : « je dirais l'auto-gynécologie c'est une façon de... de bien connaître son corps, d'être active finalement sur... alors, si on utilise l'auto-gynécologie comme un moyen de contraception, pour moi c'est vraiment un moyen d'être très active, de contrôler. »

Florence : « Bah pour moi c'est le fait de reprendre mon pouvoir dans la mesure où je considère que euh... aujourd'hui, enfin... l'humain en général, en particulier aujourd'hui et en plus en particulier les femmes, on a tendance à s'en remettre à quelqu'un d'autre pour plein de choses, et à pas assumer nos propres responsabilités dans plein de domaines »

Eve : « gérer soi-même cette relation, et savoir si de temps en temps il y a un truc qui, qui déconne ou quoi, savoir être à même, en fait, de, de, de répondre soi-même à ça, sans avoir besoin d'aide extérieure. »

Melissa : « Pour moi ça évoque le fait de, de reprendre un pouvoir de connaissances, c'est de, de pas toujours être dans une position où on est toujours complètement dépendant du corps médical, ouais, c'est de pouvoir se soigner soi-même »

Maud : « Euh ouais ! `fin d'arriver à me diagnostiquer ce qui nous gêne ou ce qu'on veut améliorer, sans l'avis d'un médecin extérieur... euh euh, et savoir quelle réponse on donne à ça, sans l'avis de UNE personne référente enfin on peut avoir l'avis même de plusieurs personnes référentes mais on se fait un jugement, à la fin on tranche soi-même »

Alice : « Et que le but, c'est, pour moi, de l'auto-gynéco, c'est plus de s'approprier des trucs, et de connaître ses limites, et en fait les limites moi j'en ai plein, j'ai juste la mycose où je gère à peu près parce que je sais ce qui m'arrive, mais voilà c'est aussi le truc de si un jour c'est un peu différent, je saurai aller dire ce que je veux, dans un entretien gynécologique, et je pourrais poser mes limites, et aussi j'aurais analysé c'est quoi un bon entretien gynéco »

Charlotte : « Je dirais aussi que ces groupes d'auto-gynécologie sont un vrai soutien, pour moi, qui me permet de mettre peut-être de côté tu vois certaines... approches, certaines pratiques »

Amandine : « C'est un peu beaucoup d'énergie vu que je vais pas mal chez le médecin en ce moment pour d'autres trucs, j'en peux plus. Autant le faire moi-même quoi »

C. Interprétation au regard des mécanismes d'ancrage et d'objectivation

Comme présenté lors de la partie théorique, les mécanismes d'ancrage et d'objectivation servent à expliciter le processus de formation d'une représentation sociale. Ici, leur analyse permet de répondre à un des questionnements principaux de cette étude, l'instrumentalisation et la transformation du savoir gynécologique dans le sens commun qui permet la pratique de l'auto-gynécologie. Comment le savoir gynécologique devient-il auto-gynécologie ? De quelles manières l'ancrage et l'objectivation permettent l'intégration du savoir gynécologique ?

L'interprétation des résultats au regard de ces deux mécanismes ont mis en lumière trois manières d'objectiver et d'ancrer le savoir scientifique autour de la gynécologie. Il conviendra de les présenter et de les illustrer à l'aide de schémas.

1. Le savoir gynécologique représenté autour de la consultation gynécologique ; un protocole observation-diagnostic-soin, et une figure experte

En premier lieu, le savoir gynécologique est mis en parallèle avec la consultation gynécologique. Il semble s'objectiver et s'ancrer d'une part autour de la figure experte et d'autre part autour du protocole thérapeutique. L'objectivation s'opère autour de figures sélectionnées et décontextualisées comme le spéculum ou la figure savante, et l'ancrage intervient alors respectivement en faisant le lien avec les significations associées au protocole thérapeutique observation-diagnostic-soin (voir figure 6).

Amandine : « ça m'évoque des spéculums pour faire des... Ouais, de l'autoexamen, j'allais dire auto consultation » ;

« [l'auto-gynécologie peut être adaptée à toute les situations], oui, mais si tu connais des gens vraiment assez informés sur le sujet »

On retrouve ici l'image du spéculum et de l'examen de consultation, ainsi que la présence d'un·eexpert·e, qui n'est pas nécessairement un·e gynécologue, dans la deuxième citation.

Deux constats peuvent ainsi être faits dans l'opérationnalisation de l'auto-gynécologie. Premièrement, sa pratique est donc une sorte de reproduction, matérielle ou symbolique, de la consultation sur la base des trois étapes d'observation de diagnostic et de soin. Ensuite, elle se construit dans un rapport à l'autre, reconnu comme détenteur de savoir. Cet autre, figure savante,peut être une personne concernée, mais aussi une personne professionnelle. Dans ce cas, la consultation est alors envisagée comme une collaboration en dehors de la relation asymétrique traditionnelle rejetée.

Caroline : « la première sage-femme qui nous mettait à disposition un miroir, pour qu'on puisse, `fin du mieux possible quoi, pour voir en même temps ce qu'elle, ce que elleelle pouvait voir, nous expliquer ce qui allait se passer, donc `fin pour l'instant ça a été un peu, `y a certaines choses ça a été l'auto-gynécologie accompagnée »

Figure 6. L'ancrage et l'objectivation du savoir gynécologique autour de la consultation gynécologique

2. Le savoir gynécologique comme attention portée à l'appareil génital féminin.

Par ailleurs, le savoir gynécologique semble pénétrer le sens commun des femmes concernées par l'auto-gynécologie en se construisant autour de l'appareil génital féminin. Il est objectivé sous l'image du vagin et de la vulve, se trouvant ainsi décontextualisé des facteurs de risques, des pathologies, des liens entre les organes de l'appareil génital. L'ancrage se fait alors autour des valeurs antinomiquesassociées au sexe féminin, le tabou, le caché, l'intime, la honte, l'inconnu, l'interdit en opposition à ce qu'il faut assumer, voir, autoriser, jouir, revendiquer (voir figure 7).

Caroline : « Oui, par exemple les auto-prélèvements, et... ouais les auto-prélèvements, et pour les glaires, bah ça m'a permis de mieux me connaitre, et aussi avoir moins honte de mon corps, de me dire en fait c'est nat..., `fin de me le dire tous les jours c'est naturel, c'est normal de le faire, c'est ton corps, c'est pour voir comment il fonctionne, au fur et à mesure c'est rentré, pour contrer justement le « ooh le sexe des femmes c'est sale », voilà »

Alice : « ça a plus ou moins un rapport avec l'auto-gynéco, mais un peu, j`avais trop envie de faire une exposition de... de vulves en fait, mais des nôtres ! et qu'on s'auto prenne en photo, de faire des autoportraits de vulves, parce que je me suis rendue compte déjà qu'on était un peu, qu'on avait toutes un peu honte, déjà, de notre sexe, on l'avait jamais trop regardé, voilà pour moi c'était un peu ça, ce truc d'oser se regarder, oser se prendre en photo, oser l'exposer aussi »

Ici, l'opérationnalisation de l'auto-gynécologie se fait dans la nouvelle relation construite avec son sexe, de manière matérielle ou symbolique. Il semble par ailleurs intéressant de relever que cette manière de former une représentation de l'objet scientifique rappelle la fonction de l'auto-gynécologie explicitée à travers la figure5 p 34. Ici, la représentation du savoir gynécologique autour du sexe féminin permet de tisser cette nouvelle relation à soi et à son corps.

Eve : « c'est aussi avoir un rapport à soi dans la non culpabilité plaisir, donc c'est voilà, c'est lâcher de ce côté-là, et s'autoriser à bah à se masturber, et à être ok avec ça, voilà, par exemple »

Figure 7. L'ancrage et l'objectivation du savoir gynécologique autour de l'appareil génital féminin

3. Le savoir gynécologique comme sagesse populaire féminine

Enfin, le savoir gynécologique est représenté comme un savoir autrefois possédé et transmis entre femmes, volé ensuite par l'institution médicale. L'objectivation de ce savoir se matérialise à travers des figures de femmes savantes comme la guérisseuse, la sorcière ou la sage-femme au Moyen-Âge.

Magali : « y avait l'utilisation des plantes, y avait aussi, plus une transmission, de, mettons la guérisseuse ou la sorcière comme on peut dire, qui existe plus, en fait. »

Mélissa : « c'est un savoir en fait, qui avant était détenu par les sages-femmes, les sorcières quoi, et qu'on a perdu »

L'ancrage se fait quant à lui dans la légitimation à savoir, et à se servir de ce savoir. Le savoir gynécologique est la propriété des femmes et des profanes, donc en tant que profane mais en tant que femme, je deviens experte. Les conclusions tirées de cette intégration du savoir gynécologique dans le sens commun se rassemblent autour de cet adage : qui mieux que moi peut me connaître et connaître mes besoins ?

Charlotte : « Je trouve que dans les avancées scientifiques et médicales, on est arrivé.es où c'était vachement bien [...] ça a facilité la vie à plein de gens c'est super chouette, je dirais que du coup la contrepartie de ces avancées, c'est qu'on s'est un petit peu perdu.es sur euh... nos connaissances profondes, et je trouve que, alors, c'est un discours un peu ciscentré, mais sur la connaissance de la femme qui peut mieux maitriser le savoir de la femme, que des femmes ? »

En pratique, l'auto-gynécologie née de cette représentation du savoir gynécologique se matérialise à travers un intérêt pour le savoir gynécologique comme une fin en soi, et une volonté de transmission entre profanes.

Figure 8. L'ancrage et l'objectivation du savoir gynécologique comme sagesse populaire féminine

Discussion

Synthèse et liens entre les résultats

Une compétence des patientes

Ces différents résultats permettent d'apporter des éléments de réponses quant aux interrogations sur l'auto-gynécologie.Premièrement, en tant que comportement de santé, elle se dessine sur un continuum de l'auto-observation-au sens d'attention portée à sa santé gynécologique- à l'auto-soin -au sens de traitement face à un symptôme. Ces compétences sont le fruit de savoirs théorique et expérientiel, développés et transmis entre personnes concernées, et conservés au sein de la communauté auto-gynécologique.

Une mise en pratique de la théorie

Il s'agit d'une pratique sociale qui, comme l'écrit Abric, ne peut exister que parce qu'elle s'ancre dans un système de valeurs, de normes et de croyances préexistant. Ainsi, la pratique de l'auto-gynécologie s'inscrit dans trois cadres principaux, la valorisation du soin naturel, le militantisme féministe et la remise en question de l'institution médicale. Ces représentations guident et orientent la pratique auto-gynécologique, qui devient une façon de se soigner naturellement, de mettre en application une forme d'émancipation et d'être active de sa santé. Elles se développent autour de couples d'idées antinomiques qui ne sont pas sans rappeler le concept de thémâta de Moscovici et Vignaux (1994). On retrouve ainsi les dichotomies naturel/artificiel, émancipation/soumission et passif/actif, qui nous renseignent sur la genèse et l'évolution des connaissances autour de l'auto-gynécologie.

Une instrumentalisation du savoir scientifique gynécologique

L'auto-gynécologie, c'est aussi une forme d'intégration du savoir scientifique gynécologique, afin de s'en servir. Les mécanismes d'ancrage et d'objectivation de Moscovici ont mis en lumière les façons dont pénétrait ce savoir gynécologique dans le sens commun, principalement autour de trois voies différentes ; autour de la consultation gynécologique, avec une reproduction du protocole de soin et une relation à une figure experte ; autour de l'attention portée à l'appareil génital féminin, avec une démarche d'empowerment ; autour de la sagesse féminine populaire, avec des figures de sorcières et de guérisseuses, et la légitimité de l'expertise en tant que femme profane.

Un rapport à l'ordre social établi

Au-delà de la distribution d'opinions et de l'état des lieux des différentes pratiques à propos de l'auto-gynécologie, le regard des RS nous proposent d'analyser ce que nous disent ces représentations du rapport au monde, comme le relève Herzlich, que l'on peut classer avec les quatre niveaux d'analyse de Doise (1982).Dans un premier temps, au niveau intra-individuel, qui s'intéresse à la perception et à l'organisation des expériences de l'individu en dehors des interactions, l'auto-gynécologie fait état d'un certain rapport au corps, à l'intimité et à la féminité. On y retrouve l'importance de la dimension symbolique du soin afin de développer une relation positive à soi et à son corps, face aux agressions extérieures.

Au niveau inter-individuel, qui s'appuie sur la dynamique des relations entre les individus en dehors de leurs positions dans la société, l'auto-gynécologie met en évidence un lien avec la communauté auto-gynécologique. Cette dernière connaît une série de qualités qui viennent palier les défauts de l'institution médicale.

Troisièmement, le niveau positionnel s'intéresse quant à lui au statut et à la position des individus en interaction. Dans le domaine de l'auto-gynécologie, le rapport à l'institution médicale et à la l'institution gynécologique, qui expose une posture critique face aux professionnel·le·s de santé, s'inscrit dans ce niveau d'analyse.

Enfin, le niveau représentationnel ou idéologique rend compte d'une vision plus globale, à propos des croyances et valeurs plus générales de l'individu. Au sein de l'auto-gynécologie, il se retrouve à travers trois points ; le rapport au soin, qui met en lumière les représentations de la santé et de la maladie ainsi que les croyances autour des soins ; le rapport au savoir, qui présente son importance pour les individus, sa place au sein de la communauté auto-gynécologique et sa représentation ; le rapport au monde, qui fait état des systèmes de valeurs, normes et croyances plus générales.

En définitive, l'auto-gynécologie nous renseigne donc sur un certain rapport au monde, et tend à se présenter comme une forme d'émancipation de l'ordre social établi.

Retours et ouvertures sur la théorie

Bien que le phénomène de l'auto-gynécologie soit un objet peu exploré, d'autres concepts théoriques peuvent être mis en lien avec la présente étude. Il s'agira notamment de la situer au regard de l'automédication, de la diffusion du savoir sur internet, et de l'empowerment.

L'auto-gynécologie, une forme d'automédication

Premièrement, l'auto-gynécologie peut être appréhendée au regard de l'automédication -ce que rappellent d'ailleurs la majorité des personnes interrogées.Dans son ouvrage l'automédication ou les mirages de l'autonomie, Fainzang (2012) définit ce concept comme l'attitude qui consiste à faire, devant la perception d'un trouble de santé, un auto-diagnostic et à se traiter sans avis médical. D'après une enquête CSA-CECOP de 2006, 55% des personnes interrogées voient l'automédication comme une gestion autonome de sa santé, qui serait un moyen d'éviter de passer par la médiation d'un·epraticien·ne ou de s'émanciper de son autorité. Les résultats de son étude montrent quatre modèles de raisons et raisonnements de l'automédication ; on retrouve le modèle empirique, où face à des symptômes familiers, l'individu répète le diagnostic professionnel, le modèle moral, où le rapport intime au corps (comme des hémorroïdes ou de l'herpès) entraine une préférence pour un auto-soin, le modèle substitutif, où l'automédication se présente comme un choix défensif face à des consultations infructueuses ou décevantes, et le modèle cognitif, où le symptôme va être non reconnu par les médecins, interprété ou connu personnellement par le sujet.

L'auto-gynécologie peut tout à fait être appréhendée à travers ces quatre modèles, puisqu'elle relève d'un rapport au corps et à l'intime, à l'institution gynécologique et au soin. Alors que Fainzangfait état d'un « mirage de l'autonomie » dans le système de santé, qui serait confondue avec un simple consentement et donc réduite au choix d'accepter ou non un traitement, l'automédication, et ici l'auto-gynécologie, se présentent comme des phénomènes traduisant une contestation de l'autorité médicale mais aussi et surtout de la compétence médicale. Ils conduisent inévitablement à repenser le rôle des (non-)patient·e·s et à envisager un développement des partenariats de soin.

Internet, outil privilégié de diffusion du savoir auto-gynécologique

Cité comme principale source d'informations et de savoir, le média Internet occupe une place stratégique dans l'auto-gynécologie. La diffusion du savoir autour de la santé sur Internet permet une forme de réappropriation des connaissances et de l'expertise par les profanes ;

« Cet outil contribue à libérer le patient de la domination biomédicale, parce qu'il démocratise l'accès au savoir, permet l'émergence d'une expertise individuelle et collective et surtout basée sur un savoir expérientiel, différente de celles des cliniciens, et l'ouvre à des modalités alternatives de soins favorisant l'empowerment des individus à l'égard de leur santé»

Thoër et al.,2008, p. 39

Les personnes concernées par l'auto-gynécologie semblent en effet utiliser Internet comme outil de démocratisation du savoir. Son utilisation recouvre des pratiques variées, comme le suivi ou la publication sur des groupes spécialisés sur les réseaux sociaux, la consultation de sites scientifiques médicaux ou vulgarisés, de promotion de la santé ou de recommandations. Ces sources sont diversifiées afin de pouvoir permettre un cumul et une confrontation des informations pour se donner la possibilité -ou le pouvoir- de critiquer et de choisir.

L'auto-gynécologie à l'aune de l'empowerment

De plus, les résultats de cette étude ne sont pas sans rappeler l'approche de l'empowermentdeNinacs (2008), processus par lequel les individus et les collectivités acquièrent la capacité d'exercer un pouvoir, état d'avoir la capacité de l'exercer et de façon autonome. Il propose plusieurs instances d'empowerment, individuel, organisationnel et communautaire, liées et interdépendantes. L'empowerment individuel est caractérisé par la participation, c'est-à-dire les droits de parole, de consentement, les compétences, acquisition progressive et connaissances, habiletés techniques et pratiques, l'estime de soi ainsi que la conscience critique, collective, sociale et politique (voir figure 9). Ces aspects sont également interdépendants, et sont la condition à l'émergence de l'empowerment communautaire.

COMPETENCES

Connaissances et habiletés pratiques, techniques requises

PARTICIPATION

Assistance, droit de parole, droit d'être entendu·e, droit décisionnel

CONSCIENCE CRITIQUE

Conscience individuelle, collective,
sociale, politique

ESTIME DE SOI

Amour de soi (légitimité),
vision de soi (compétences),
confiance en soi (reconnaissance)

Figure 9. Les caractéristiques de l'empowerment individuel selon Ninacs, 2008

Ces quatre caractéristiques se retrouvent dans le phénomène de l'auto-gynécologie ; ainsi, dans une démarched'interventions en promotion de la santé pourrait être envisagéel'application du modèle de Ninacs, notamment pour approfondir l'empowerment communautaire. Il permettrait d'imaginer de nouvelles perspectives de coopérations en santé gynécologique.

Limites

Malgré l'attention portée à la réalisation de cette recherche, certains points auraient permis d'en améliorer la qualité. D'une part, il aurait été intéressant de profiter des perspectives de la triangulation, comme le rappellent la théorie des représentations sociales et notamment l'approche socio-génétique. Au-delà d'une vérification empirique de validité, la triangulation se propose comme véritable « stratégie alternative de recherche pour fonder une démarche épistémologique et empirique contextualisée dans les études en psychologie » (Apostolidis, 2005, p.17). Ainsi, il aurait été intéressant de mettre en place d'autres méthodologies de recueil de données et d'envisager des outils interdisciplinaires ; l'analyse de presse, l'analyse d'un corpus documentaire ou la méthode de l'observationlors d'un atelier auto-gynécologique permettraient de s'intéresser à l'évolution de la pensée sociale autour de l'auto-gynécologie, ainsi que de se saisir davantage du rôle de la communication sociale, essentiel dans la théorie des RS.

D'autre part, outre l'intérêt de la triangulation pour le perfectionnement de l'étude de l'auto-gynécologie en tant que phénomène social, cette recherche aurait pu être améliorée au sein de deux points. Premièrement, il est à noter que le recrutement des participantes s'est principalement fait au travers de groupes ou pages Facebook consacrées. Or, l'implication dans des mouvements d'auto-gynécologie sur les réseaux sociaux témoigne déjà d'un intérêt et d'un investissement particuliers. Il est possible d'imaginer une pratique de l'auto-gynécologie plus personnelle et moins militante, en dehors de ces réseaux explorés. Par ailleurs, les conditions de réalisation des entretiens n'ont pas été les mêmes ; en dehors du fantasme de neutralité et de parfaite reproduction du contexte entre les différents entretiens, ils ont ici été réalisés via deux canaux, Skype ou en face à face. Cela n'a semble-t-il pas impactéle fond du discours des interrogées, mais une particularité naît quant à la forme, puisque les entretiens réalisés virtuellement ont duré en moyenne plus longtemps que les autres, et les participantes ont évoqué plus aisément des sujets parfois très sensibles.

Conclusion

En définitive, cette recherche sur l'auto-gynécologie s'est proposée de se pencher sur la pratique sanitaire de l'auto-gynécologie grâce au regard holiste des représentations sociales. Ce dernier a permis de mettre en lumière les manières dont pénètre le savoir gynécologique dans le sens commun, les façons sont se mêlent pratiques de l'auto-gynécologie et pensée sociale autour de la santé, du féminisme ou de l'institution médicale. Au-delà de la finalité sanitaire, le comportement auto-gynécologique, en ce qu'il représente une émancipation de l'ordre social établi, nous renseigne sur un rapport au monde.

Ces différents éléments nous permettent de proposer une définition de l'auto-gynécologie. Il s'agit d'une pratique sanitaire qui consiste à promouvoir la santé gynécologique de manière plus naturelle, plus active et émancipée. Au-delà de la dimension de la santé, cette pratique trouve sa pérennité dans sa fonction de nourrir une relation à soi positive.

Par ailleurs, le phénomène de l'auto-gynécologie semble traduire un malaise dans la relation médecin-patient·e et propose d'élargir les perspectives de coopérations en santé gynécologique. Démarche d'empowerment et pratique d'auto-gestion, il redéfinit le rôle des patientes et ouvre la voie à la reconnaissance de leur parole et de leurs compétences. Ces considérations invitent à réfléchir, au-delà des constatations empiriques, aux possibilités de mise en application de ces compétences ; comment imaginer un partenariat de soin, nécessaire à l'évolution vers une réelle démocratie sanitaire ? Comment valoriser la réflexivité, essentielle dans un modèle de promotion de la santé pensé comme un ensemble de coopérations entre personnes capables de réfléchir et disposant de leur libre arbitre (Jouet, Las Vergnas& Noël-Hureaux, 2014) ?

Bibliographie

Abric, J-C. (1971).Experimental Study of Group Creativity: Task Representation, Group Structure, and Performance. European Journal of Social Psychology, 1, 311-326.

Abric J-C., (1976).Jeux, conflits et représentations sociales(thèse d'état, Université de Provence). Aix-en-Provence

Abric J-C., (1994).Pratiques sociales et représentations. Paris : Presses Universitaires de France.

Adam, A., Duplan, K., Gallot, F., Gonzalez-Quijano, L., Roucoux, G. &Valzema, M. (2016). Le sexe sous contrôle médical: Introduction. Cahiers du Genre, 60,(1), 5-14.

Fainzang, S. (2012). L'automédication ou les mirages de l'autonomie. Paris: Presses Universitaires de France.

Apostolidis, T. (1994). Représentations sociales de la sexualité et du lien affectif : la logique relationnelle des comportements sexuels et la prévention du sida. In : Calvez, M., Paicheler, G., Souteyrand Y. (Eds.), Connaissances, représentations, comportements : sciences sociales et prévention du SIDA. ANRS, Paris, pp. 77-85.

Apostolidis, T. (2005). Représentations sociales et triangulation : enjeux théorico-méthodologiques. Méthodes d'étude des représentations sociales (pp. 13-35). Toulouse : ERES

Apostolidis, T., Dany, L.(2012).Social Thought and Risks in the Health Field: The

Social Representations Perspective.Psychologie Française(57). 67-81.

Blanchet, A.,Gotman, A. (2007). Série « L'enquête et ses méthodes » : L'entretien. Paris : Armand Colin.

Bruchon-Schweitzer, M., &Siksou, M. (2008). La psychologie de la santé. Le Journal des psychologues, (260), 28-32.

Dany, L. (2016). Analyse qualitative du contenu des représentations sociales. Dans G. Lo Monaco, S. Delouvée& P. Rateau (Eds.), Les représentations sociales (pp. 85-102). Bruxelles : de Boeck.

Doise, W. (1982). L'explication en psychologie sociale. Sociologies. Paris : Presses Universitaires de France.

Doise, W. (1990). Les représentations sociales, dans R. Ghiglione, C. Bonnet, et J.F. Richard (sous la direction de), Traité de psychologie cognitive, t. 3. Paris : Dunod.

Ehrenberg, A., Mingasson, L. etVulbeau, A. (2005). L'autonomie, nouvelle règle sociale: Entretien avec Alain Ehrenberg. Informationssociales, 126,(6), 112-115.

Engel, G. L. (1977). The need for a new medical model: a challenge for biomedicine. Science (New York, N.Y.), 196(4286), 129-136.

Foucault, M. (2004). Naissance de la biopolitique, Cours au collège de France 1978-1979, Hautes études, Gallimard-Seuil.

Haddad, R. (2017). Manuel d'écriture inclusive. Paris : Mots-Clés.

Herzlich, C. (1969, rééd. 1996). Santé et maladie. Analyse d'une représentation sociale, Paris : École des hautes études en sciences sociales.

Herzlich, C., (2001). Les représentations sociales de la santé et la santé en mutation : un regard rétrospectif et prospectif sur la fécondité d'un concept. DansBuschini, F., Kalampalikis, N. (Eds.), Penser la vie, le social, la nature. Mélanges en l'honneur de S. Moscovici. Paris : Editions de la MSH, pp. 189-200.

Houdebine, A-M.,(1998).La féminisation des noms de métiers. En français et dans d'autres langues.Paris : L'Harmattan.

Jodelet, D., & Moscovici, S. (1989). Folies et représentations sociales. Paris: Presses universitaires de France.

Jodelet, D. (1997). Représentation sociale : phénomènes, concept et théorie, dans Serge Moscovici (dir.), Psychologie sociale, Paris : Presses Universitaires de France,pp. 361-382

Jodelet, D. (2003). Aperçus sur les méthodologies qualitatives. Dans S. Moscovici & F. Buschini (Eds.).Les méthodes des sciences humaines (pp. 139-162). Paris : Presses Universitaires de France

Jodelet, D. (2006). Culture et pratiques de santé. Nouvelle revue de psychosociologie, 1,(1), 219-239.

Jodelet, D. (2013). La place des représentations sociales dans l'éducation thérapeutique. Éducation Permanente, Paris, (195), 37-46.

Jouet, E., Las Vergnas, O., et Noël-Hureaux, E. (2014). Nouvelles coopérations réflexives en santé : De l'expérience des malades et des professionnels aux partenariats de soins, de formation et de recherche. Archives contemporaines.

Kalampalikis, N., Apostolidis T., (2016). La perspective sociogénétique des représentations sociales. Dans Lo Monaco G, Delouvée S and Rateau P (eds) Les représentations sociales: Théories, méthodes et applications.Paris : De Boeck, pp. 69-83.

Laqueur, T., (1992). La fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en Occident.Paris : Gallimard.

Lejeune, C., (2016). Logiciels d'analyse de données qualitatives ou d'analyse qualitative ? Pièges, limites et questions liminaires. Dans J. Kivits, F. Balard, C. Fournier, et M. Winance (éd.), Les recherches qualitatives en santé. Paris : Armand Colin.

Marková, I., (2007).Dialogicity and social representation, Cambridge, Cambridge universitypress,; trad. fr., Dialogicité et représentations sociales, Paris : Presses universitaires de France.

Moliner, P.,Guimelli, C. (2015).Les représentations sociales. Fondements historiques et développements récents. Grenoble : Presses universitaires de Grenoble

Morin, M. (2004). Parcours de santé. Armand Colin.

Morin, M., & Apostolidis, T. (2002). Contexte social et santé. Traité de psychologie de la santé, 463-489. Paris : Dunod.

Moscovici, S., (1961, réed. 1976). La psychanalyse, son image et son public. Paris : Presses Universitaires de France.

Moscovici, S., (1984).Psychologie sociale. Paris :Presses Universitaires de France.

Moscovici, S. (2003). Des représentations collectives aux représentations sociales : éléments pour une histoire. Dans Les représentations sociales (pp. 79-103). Paris: Presses Universitaires de France.

Moscovici, S., (2001), Why a theory of social representations ?, in K. Deaux& G. Philogène (eds.), Representations of the Social : Bridging Theoretical Traditions, Oxford, Blackwell, p. 18-61, traduit in Moscovici, Serge. Le scandale de la pensée sociale : Textes inédits sur les représentations sociales réunis et préfacés par Nikos Kalampalikis. Nouvelle édition. Paris : Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales, 2013

Moscovici, S., Vignaux, G. (1994). Le concept de Thêmata, dans C. Guimelli. (sous la direction de), Structure et transformations des représentations sociales, Neuchâtel/Paris : Delachaux et Niestlé, pp. 25-72.

Ninacs, W. A. (2008). Empowerment et intervention : Développement de la capacité d'agir et de la solidarité. Québec : Les presses de l'Université Laval.

Nissim, R. (2014). Une sorcière des temps modernes. Le self-help et le mouvement femmes et santé, Genève : Mamamélis

Ruault, L. (2015). La force de l'âge du sexe faible. Gynécologie médicale et construction d'une vie féminine. Nouvelles Questions Féministes, vol. 34,(1), 35-50.

Terris, C. (2016). Quels sont les déterminants et les freins de la consultation gynécologique en cabinet de médecine générale ? Etude qualitative auprès des patientes (Thèse d'exercice en médecine, Université Claude Bernard). Lyon

Thoër, C., Pierret, J., & Lévy, J. (2008). Quelques réflexions sur des pratiques d'utilisation des médicaments hors cadre médical. Drogues, santé et société, 7(1), 19-54.

Petrillo, G. (2000). « La psychologie sociale dans le cadre des sciences sociales de la santé : questions et perspectives », dans G. Petrillo, Santé et société. La santé et la maladie comme phénomènes sociaux, Lausanne, Delachaux et Niestlé, p. 13-44.

Santiago Delefosse, M. (2002). Psychologie de la santé. Perspectives qualitatives et cliniques. Liège : Mardaga.

Santiago Delefosse M. & Carral Del Rio M. (2017). Les méthodes qualitatives en psychologie et sciences humaines de la santé. Paris : Dunod.

Thoër C., Pierret J., Lévy J.-J., (2008).Quelques réflexions sur des pratiques d'utilisation des médicaments hors cadre médical, Drogues, santé et société, 7, 1, p. 19-54.

Viennot, E. (2008). La querelle des langues. In E. Viennot, La France, les femmes et le pouvoir, 2. Les résistances de la société (17ème-18ème siècle) (pp. 78-84). Paris : Perrin.

Vidal, C., Salle, M. (2017). Femmes et santé, encore une affaire d'hommes ?Paris : Belin.

Wagner, W., Farr, R., Jovchelovitch, S., Lorenzi-Cioldi, F., Marková, I., Duveen, G., & Rose, D. (1999). Theory and Method of Social Representations. Asian Journal of Social Psychology, 2.

Résumé

Phénomène sanitaire peu exploré, l'auto-gynécologie présente des enjeux certains pour la psychologie sociale de la santé. A l'heure du paradigme de la démocratie sanitaire et des actualités controverses qui traversent l'institution gynécologique, cette pratique impose la reconnaissance du savoir et des compétences des patientes. Cette recherche se propose, grâce au regard holiste et situé des représentations sociales, de découvrir cette pratique sociale multi-déterminée et pluri-raisonnable. L'analyse de seize entretiens individuels met alors en lumière la façon dont se développe l'auto-gynécologie comme intégration du savoir scientifique gynécologique, mise en application d'un système de croyances et valeurs préexistant, et outil symbolique de l'émancipation de l'ordre social établi.

Mots-clés : auto-gynécologie ; phénomène social de santé ; expertise profane ; représentations sociales

Abstract

Self-gynaecology, as an unknown health practice,presents specific issues for social health psychology. Considering the paradigmatic change to sanitary democracy and the actual controversies about gynaecologist practices, self-gynaecology requires the recognition of the patients' knowledge and expertise. Thanks to the social representations theory, this research discusses this multidetermined phenomenon in a holist and contextualized way. The analysis of sixteen interviews brings to light the way self-gynaecology is developing, by integrating scientific gynaecologist knowledge, applying a beliefs and values system, and allowing a symbolic emancipation of the existing social order.

Key-words: self-gynaecology ; social health phenomenon ; lay-experts ; social representations

Resumen

Fenómeno sanitario poco estudiado, el autoginecología tiene un claro interés para la psicología social de la salud. En la era de la democracia sanitaria y en vista de las controversias actuales sobre la ginecología, esa práctica requiere el reconocimiento del saber y de las competencias de las pacientes. Ese estudio propone, gracias a la perspectiva holística de la teoría de las representaciones sociales, una investigación de esapráctica multifactorial. El análisis de dieciséis entrevistas individuales pone de relieve cómo se desarrolla el autoginecología como integración del saber científico ginecológico, aplicación de un sistema de creencias y valores preexistente e instrumento simbólico de la emancipación del orden social existente.

Palabras clave: autoginecología; fenómeno social sanitaria ; conocimiento profano ; representaciones sociales

* 1 Les règles d'écriture inclusive sont disponibles dans le Manuel d'écriture inclusive proposé par le Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes (HCE), notamment consultable sur le site du gouvernement.

* 2 Le tableau comparatif récapitulatif complet est disponible en annexe I.1.

* 3 Voir à ce sujet les articles du Monde « Derrière le point du mari, le traumatisme de l'épisiotomie » du 18 avril 2014, de Libération « Episiotomie, derrière la polémique, une vraie violence » du 25 juillet 2017 ou du Figaro « Toucher vaginal sans consentement, une pratique bien réelle » du 28 octobre 2015.

* 4 Voir annexe II.2.

* 5 Le terme cisgenre s'oppose à celui de transgenre, caractéristique de la transidentité. S'il n'est pas directement question de transidentité ici, il nous est néanmoins apparu important de le relever pour deux raisons. La première est qu'il s'agit d'une donnée sociodémographique significative dans un sujet concernant le rapport au corps et à l'institution médicale. La seconde explication tient à la cohérence épistémologique de cette étude, qui tend à se développer au plus près du monde social interrogé ; la majorité des participantes ayant évoqué leur identité cisgenre, il convient de ne pas l'ignorer dans la restitution des résultats.

* 6 Un tableau complet des analyses des entretiens est disponible en annexe III.3.

* 7 Le slut-shaming se définit comme la stigmatisation ou la culpabilisation des femmes au regard d'attitudes ou d'aspects physiques jugés provocants ou trop ouvertement sexuels.






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite