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L'alerte et la prévention des limites et dangers d'Instagram


par Maëlle De Coninck
Université Lille - Infocom Roubaix - Master Communication Interne et Externe  2020
  

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2020 - Université de Lille, département Infocom

Mémoire de recherche de Master 2

Présenté par Maëlle De Coninck
Sous la direction de Stéphane Benassi

L'alerte et la prévention des limites et dangers d'Instagram

Remerciements

A l'issue de la réalisation de ce mémoire et de la réflexion menée autour de mon sujet, il me tient à coeur de remercier mon professeur Monsieur Stéphane Benassi pour son accompagnement, ses explications claires concernant les attentes universitaires, ainsi que sa gentillesse et sa disponibilité. Je tiens également à remercier Madame Renata Varga pour ses interventions durant les séminaires de recherche « Images et Représentations » et son apport en tant qu'enseignante chercheuse en sciences de l'infor-mation et de la communication.

Je remercie les enseignants d'Infocom pour les cours et enseignements dispensés qui m'ont permis l'acquisition de connaissances solides, de savoirs et savoir-faire qui m'ont été utiles dans la réalisation de ce mémoire et qui le seront dans le monde professionnel.

Je tiens également à témoigner ma reconnaissance aux personnes qui ont accepté de répondre à mes questions et de partager leur expérience relative à l'utilisation d'Insta-gram.

En n'oubliant pas mes amis d'Infocom pour le soutien et l'entraide au sein de notre groupe, et notamment Imane et Louanne membres du même séminaire de recherche que moi. Ainsi que ma maman, Anne Lavallart pour la relecture de ce mémoire de recherche et sa bienveillance.

Table des matières

Introduction 1

Préambule 1

Questionnements et problématique 4

Hypothèses et articulation du travail de recherche 5

Corpus 6

Réseau social Instagram et comptes Instagram 6

Les quatre comptes sélectionnés 6

Méthodes et approches 10

Analyse sémio-pragmatique 10

Analyse du discours 12

Confrontation et rapport texte/image 13

Chapitre 1 : contextualisation générale 15

L'avènement des réseaux sociaux 15

Historique des réseaux sociaux 15

Définition du terme « réseau social » 19

Question de la liberté d'expression 20

Contextualisation Instagram 23

Histoire et temps fort du réseau social 23

Caractéristiques et fonctionnalités d'un réseau social basé sur l'image 25

Typologie des utilisateurs 32

Analyse sémio-pragmatique 35

Discours critique et manipulation des images 38

Chapitre 2 : l'origine de la prévention sur les dangers et limites d'Instagram . 40 L'appropriation de la plateforme par les utilisateurs : une activité détournée de celle

originairement pensée par le créateur. 40

La création d'un étudiant passionné et la sortie du schéma traditionnel de la

photographie 40

Un succès rapide et une appropriation des codes de l'application par les utilisateurs 41

Instagram et les réseaux sociaux, reflets des problématiques contemporaines 43

Un terrain publicitaire et ses dérives 43

La question de l'image du corps et la démarche d'esthétisation de la vie 48

L'engagement ou l'addiction et la modification du comportement 50

L'angoisse du temps vide et « The Fear of Missing Out» 53

L'anxiété sociale et la manipulation des émotions 55

Un outil de partage, d'exposition, et d'affirmation de soi ? 56

2

Les actions réalisées par Instagram 58

Chapitre 3 : l'alerte et la prévention effectuées par les instagrammeurs 61

Les différents modes de prévention 61

La prévention par le détournement du rapport texte/image 61

La prévention comparative « Instagram » versus « Réalité » 67

La prévention par l'ironie et la publication de posts dits non « conventionnels » 73

La prévention par la création d'un mouvement 79

Caractéristiques et résultats de la prévention 86

Les échecs et difficultés de la prévention 86

L'apparition d'un paradoxe général 91

Conclusion : évaluation de la démarche 92

Conclusion : résultats 93

Annexes 95

Références bibliographies 105

1

Introduction

Préambule

Mon mémoire de recherche a été réalisé durant mes deux années de master en Information Communication parcours Communication Interne et Externe à l'Université de Lille. Il s'inscrit dans le séminaire « Images et Représentations » et s'appuie sur la prévention effectuée par certains instagrammeurs concernant les limites et les dangers du réseau social Instagram.

Cet attrait pour ce sujet réside dans plusieurs facteurs. Appartenant à la génération Y, les réseaux sociaux font partie de mon quotidien depuis quelques années.

Je me suis inscrite sur Facebook en 2012, j'avais alors 14 ans. L'amie avec qui j'étais, me guidait dans les démarches à réaliser. Il était tout d'abord important de mettre une photo de soi puis de demander les personnes plus ou moins proches en ami. Un nouveau monde s'était ouvert à moi, un univers virtuel et sans frontière. Je me souviens du sentiment que j'ai éprouvé face à mon arrivée sur ce réseau social, de l'excitation mais aussi de l'appréhension.

Tout au long de mes années d'adolescence, j'ai constaté une corrélation entre l'évo-lution de mon humeur, de la perception que j'avais d'autrui, ou encore de ma propre perception, et cette plateforme. J'étais à un âge où je me comparais beaucoup aux autres, et Facebook a particulièrement contribué à ce phénomène. J'ai très vite pensé que ce n'était pas tant le réseau social en lui-même qui pouvait avoir un impact sur mes perceptions, mais sa communauté et le contenu qu'elle crée, c'est-à-dire nos « amis », leurs publications, leurs partages, et le contenu qu'ils aiment. Facebook sans en être directement à l'origine, avait tout de même sa part de responsabilité en donnant un cadre de publication et en engendrant des codes. L'apparition des réseaux sociaux dans notre quotidien n'est pas sans influence sur notre pensée, nos émotions et notre ressenti. Je crois que tout le monde peut être amené à un moment de sa vie, à se questionner, à ressentir une modification de l'image qu'il a de lui-même ou des autres, en rapport à un réseau social quel qu'il soit.

2

Je réfléchissais quant à l'impact de ces derniers dans notre quotidien, c'était un sujet qui me passionnait et m'interpellait. Mes camarades de classe s'en servaient comme une vitrine de leur vie et exposaient à la vue de tous, les événements les plus excitants qu'ils vivaient. Leurs photographies étaient esthétiques et parfois mises en scène. Ils exprimaient leur opinion à travers des statuts divers et variés. Je me demandais ainsi s'ils avaient conscience de cette mise en scène. J'aimais ainsi me perdre sur Face-book, et dans mes réflexions.

En 2013, j'ai rejoint Instagram, plateforme de partage de photographies et vidéos, créée en 2010 et disponible sur Smartphone et ordinateur. L'âge minimum requis pour en devenir membre est de 13 ans, j'en avais 15.

J'ai tout de suite apprécié cette nouvelle application sur laquelle je me sentais libre. Libre de poster des clichés de mon quotidien, de mes amis, de mes animaux et des paysages que j'admirais. Je publiais pour me faire plaisir et partager du contenu qui me plaisait, et qui me ressemblait, sans aucune arrière-pensée.

J'adorais particulièrement ce concept, jusqu'à ce qu'il évolue. Au fil de la popularité croissante de l'application, les marques ont vu en elle un moyen incontournable pour effectuer leur communication et se mettre en avant sous un format inédit, tandis que les influenceurs1 ont fait leur apparition.

De nouvelles problématiques communicationnelles ont fait leur apparition. Le réseau social est devenu un outil, et ne permet plus un partage « innocent » de photographies. Il y a maintenant un travail important de préparation, et de mise en scène, qui enlève toute spontanéité. En utilisant et « surfant » sur cette application devenue commerciale, de nombreux questionnements et observations me sont alors venus en tête, tout comme quand je me rendais sur Facebook autrefois. Instagram présentait maintenant des effets « secondaires » similaires à cet autre réseau social. Je ressentais ces derniers à la fois en tant que créatrice de contenu, mais aussi en tant que réceptrice. En effet, les publications de certains changeaient la perception que j'avais d'eux, et surtout, en me poussant à la comparaison, avait un impact sur la perception que j'avais

1 Le terme influenceur fait référence aux « leaders d'opinion digitaux qui, à travers un post d'Insta-gram ou une vidéo sur YouTube, peuvent affecter les comportements d'achat de plus de gens qu'une dizaine de magazines réunis. Le mot est une arme à double tranchant, tour à tour brandi comme une clef pour ouvrir la porte -souvent verrouillée- de la planète mode, ou énoncé sur un ton moqueur, voire méprisant. » (Marta Represa, 2016, paragr. 3).

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de moi-même, et ainsi sur le rapport à soi. Quant à ce que je publiais, je pouvais m'in-quiéter par exemple de n'avoir aucune réaction ou très peu de la part de mes abonnés.

Aujourd'hui je suis toujours présente sur Instagram et m'y rends quotidiennement, davantage dans une posture de réceptrice plutôt qu'émettrice de contenu (j'ai par ailleurs supprimé la majorité des photographies que j'avais postées étant plus jeune).

Je suis abonnée à mes proches mais aussi à des personnalités publiques que j'appré-cie, qui me font rire, réfléchir et m'inspirent. Je suis abonnée également à de nombreux comptes engagés envers différentes causes : le féminisme, la lutte contre le sexisme et l'acceptation de soi. Je sens grâce à ces comptes dont l'activité est dédiée à une cause en particulier que je m'ouvre à la réflexion, sors de mes idées reçues et m'enri-chis intellectuellement. C'est ce que je préfère sur Instagram aujourd'hui et ce qui pourrait me manquer si un jour je décidais de ne plus être présente sur le réseau social.

En échangeant avec mon entourage et des tierces personnes sur la thématique de mon mémoire, j'ai remarqué que je n'étais pas la seule à me questionner et à ressentir des effets sur mon humeur et ma perception en me rendant sur ce réseau social. Ce dernier renvoie une réalité qui ne nous plaît pas forcément. Constater que ses proches se voient sans nous, que certains sont en vacances au soleil alors que nous n'avons pas cette chance, sont des exemples déplaisants parmi tant d'autres qui peuvent entraîner des émotions négatives et pousser à la comparaison.

Il m'arrive fréquemment d'être avec des amies qui prennent des photos de leur quotidien afin d'alimenter leurs stories2 Instagram. Il faut les prendre en photo ou les attendre quand elles le font. Le naturel s'efface pour laisser place à une mise en scène de l'instant présent. Mon choix de sujet de mémoire s'est ainsi porté sur ce réseau social car il est davantage porté sur l'image que Facebook. Je trouve le phénomène d'autant plus intéressant à étudier qu'il présente une multitude de facettes et d'aspects, entre mises en scène et interprétations, émetteurs et récepteurs.

2 « Les stories sont des contenus mobiles mêlant à la fois des photos et des vidéos éphémères disponibles en ligne pendant 24h seulement après leur diffusion sur les réseaux sociaux. Un savant mélange de « rich media » façon blog et de post éphémère façon Snapchat. En anglais, le mot « story » était associé à des histoires courtes, des récits fictionnels. Mais l'ensemble des internautes internationaux se sont rapidement appropriés ce terme. » (La mobylette jaune, 2018, paragr.1)

4

Questionnements et problématique

En écho aux questions venues durant l'adolescence vis-à-vis des réseaux sociaux, et qui sont encore d'actualité, nous nous sommes d'abord questionnés sur le ressenti des utilisateurs d'Instagram (qu'ils soient en position d'émetteurs et/ou de récepteurs), et l'impact de ce réseau social sur l'humeur. Nous nous sommes ensuite interrogés sur la question du rapport à soi et du rapport aux autres véhiculés et entretenus par le média social. Nous avons identifié un certain nombre de phénomènes3 et d'effets sur la santé mentale engendrés par le réseau social. En constatant qu'il s'agissait d'effets ressentis et partagés par une grande majorité des utilisateurs de la plateforme, ainsi qu'un sujet débattu dans l'espace public, nous nous sommes demandés s'il s'agissait de phénomènes préexistants ou qui ont fait leur apparition avec Instagram et plus largement la création des réseaux sociaux.

Nous avons alors orienté dans un premier temps le sujet de ce mémoire de recherche sur l'influence d'Instagram sur l'image que les jeunes ont d'eux même. Puis, dans un deuxième temps sur la thématique d'Instagram en tant que monde de l'illusion4.

Au cours de nos recherches, nous avons découvert des comptes Instagram qui critiquent son utilisation telle qu'elle est aujourd'hui. Ces derniers, chacun à leur manière, invitent les utilisateurs à cesser de se comparer aux autres, à s'aimer tels qu'ils sont et expliquent que nous disposons d'une certaine image qui n'est pas forcément la « réalité ». D'autres comptes décident de se monter sans filtre, sans retouche, tels qu'ils sont dans « la vraie vie » en dehors de leur identité virtuelle.

A ce niveau-là, les axes d'orientation de ce mémoire de recherche étaient encore très larges et difficilement traitables. Par intérêt pour le sujet et souci de structuration, nous avons donc fait le choix de nous concentrer sur ces comptes qui effectuent de la prévention vis-à-vis des dangers et limites d'Instagram auprès des autres utilisateurs de la plateforme.

3 Ici nous entendons la standardisation des critères de publication, la recherche de la validation d'autrui, la démarche d'esthétisation de la vie et autres phénomènes discutés dans le chapitre 2.

4 L'illusion ici entendue comme une interprétation tronquée : ce que l'on perçoit est faux, nous pouvons ainsi être « victime d'une illusion ». Deuxièmement comme une « apparence dépourvue de réalité ».

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Nous avons constaté un paradoxe, les utilisateurs d'Instagram que nous allons mettre en évidence utilisent ces mêmes réseaux sociaux pour dénoncer et prévenir de ses limites.

Nous avons ainsi dirigé la problématique de ce travail de recherche autour de ce paradoxe avant de nous rendre compte qu'il était plus judicieux de l'articuler directement autour de la prévention effectuée par les comptes mis en évidence.

Un long parcours de cheminement et de réflexion nous a ainsi mené vers la problématique suivante : « Comment les instagrammeurs alertent les autres utilisateurs sur les limites et dangers d'Instagram ? »

Une problématique bien centrée et structurée qui permet toutefois d'aborder tous les points cités et questionnements situés ci-dessus.

Hypothèses et articulation du travail de recherche

Au travers de ce mémoire de recherche, nous répondrons à l'hypothèse que les effets sur la santé mentale provoqués par les réseaux sociaux et plus précisément Insta-gram, sont à l'origine de la prévention effectuée par quelques utilisateurs. Il ne s'agit pas de discuter et de questionner la véracité de ces effets, mais de montrer qu'ils sont à l'origine d'un travail d'alerte et de prévention. Nous chercherons à montrer que certains utilisateurs au travers de leur compte personnel ou d'un compte dédié, mènent des activités de prévention sur le réseau social lui-même et prennent d'eux même ce rôle qui leur tient à coeur. Nous chercherons à en comprendre l'objectif et à étudier la manière utilisée pour alerter.

Ainsi, afin de mener à bien notre réflexion, nous effectuerons dans un premier temps une contextualisation générale des réseaux sociaux avec un point précis sur Instagram et ses particularités. Ce cadrage argumenté d'une réflexion sur la manipulation des images nous permettra d'ancrer notre réflexion et d'effectuer un cheminement naturel vers notre deuxième partie consacrée à l'origine de la prévention. Il s'agira dans ce second temps de mener une réflexion sur le dispositif Instagram, son appropriation par les utilisateurs et son reflet des problématiques contemporaines, mais aussi d'évoquer les actions réalisées par Instagram pour lutter contre ses effets indésirables sur la santé mentale de ses utilisateurs. Nous montrerons que les points abordés ci-dessus sont à l'origine de ce besoin de prévention.

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Enfin, nous analyserons la prévention effectuée par les comptes sélectionnés, et les différentes manières employées pour alerter. Nous en étudierons les caractéristiques et les résultats.

Corpus

Réseau social Instagram et comptes Instagram

Au début de notre réflexion vis-à-vis de ce travail de recherche, nous nous étions dans un premier temps orientés vers le réseau social Facebook. Nous avons finalement choisi de nous concentrer sur Instagram, média social et service de partage de photographies et vidéos. Pour cause, ce géant à plus d'un milliard d'utilisateurs à travers le monde est basé sur l'image et correspond davantage à la thématique de notre séminaire « Images et Représentations ». Par ses spécificités, il nous paraît intéressant à étudier. Notre étude se base sur des recherches menées au travers de la lecture d'ar-ticles scientifiques et d'ouvrages, mais aussi sur une navigation quotidienne permettant une observation davantage interprétative. Des échanges et des entretiens avec des utilisateurs du réseau social viennent également enrichir notre réflexion.

Les quatre comptes sélectionnés

Nous avons sélectionné quatre comptes Instagram qui effectuent une alerte sur les limites du réseau social auprès des autres utilisateurs. Par leurs différences et diverses manières d'effectuer la prévention, ils sont très enrichissants pour notre travail de recherche.

Le premier compte sélectionné est en réalité un compte qui n'existe plus mais dont les publications ont été repostées à l'identique par d'autres comptes.

En 2015, Essena O'Neill est une jeune femme de 19 ans avec plus d'un demi-million5 d'abonnés, star d'Instagram. L'instagrammeuse véritable influenceuse a des contrats avec des grandes marques qui la paient pour promouvoir leurs produits ou leurs services. Elle travaille également avec des agences de mannequins prestigieuses à Los Angeles.

5 720 000 abonnés selon le journal madamefigaro.fr

Une vie parfaite en apparence qui fait rêver ses nombreux abonnés auprès desquels elle partage son quotidien depuis quelques années.

Le 27 octobre 2015, la jeune femme supprime subitement 2000 photos de son mur Instagram. Puis, elle annonce quelques jours plus tard dans une vidéo YouTube6 et sur les réseaux sociaux qu'elle souffre de dépression et va quitter YouTube, Tumblr et Instagram. Elle raconte les coulisses d'un quotidien aux apparences trompeuses « J'ai passé des heures à observer des filles parfaites sur Internet, en rêvant d'être l'une d'entre elles. Puis je suis enfin devenue l'une d'entre elles, et j'ai réalisé que je n'étais toujours pas heureuse ni en paix avec moi-même. »

L'influenceuse change les légendes de certaines publications toujours présentes sur son compte. Elle y écrit des phrases qui correspondent davantage à son quotidien tel qu'elle le vivait et non tel qu'elle le montrait, afin d'évoquer le malheur causé par une vie centrée sur sa propre image.

Aujourd'hui, son compte n'existe plus mais de nombreux utilisateurs ont reposté les publications d'origine. Nous nous baserons notamment sur celui intitulé « es-sena.oneiil ».

Figure 1 Compte reprenant les publications détournées d'Essena O'Neil

7

Nous avons choisi de travailler sur l'histoire de cette jeune femme bien qu'elle ait supprimé son compte car son témoignage est en concordance avec notre travail de recherche et notre réflexion. Il nous paraît intéressant de travailler sur cet exemple de « burn-out numérique » et la prévention qui a suivi qui est d'autant plus percutante qu'elle confronte le rapport texte/image et la manipulation des images par un changement de discours.

6 «Essena o'neill - why i really am quitting social media» https://www.youtube.com/watch?v=heHBcUOf sA

Le deuxième compte sélectionné est celui de la finlandaise Sara Puhto alias « saggysara » qui compte en 2020 plus de 350 000 abonnés. La jeune femme de 23 ans dédie ce compte qui n'est pas son compte personnel7 à la prévention des limites et dangers d'Instagram.

Figure 2 Compte de "saggysara" alias Sara Puhto

8

La jeune femme montre au travers de ses publications combien il est facile de mettre en avant son corps en jouant avec l'angle de la photo, l'éclairage ou encore la posture. Elle démontre au travers de comparaison « Instagram » versus « réalité », « bonne photo de corps » versus « mauvaise photo de corps », ou encore « posée » versus « au naturel », comment chacun peut donner l'image qu'il souhaite sur les réseaux sociaux par un processus de sublimation de la réalité. Sa méthode de prévention principale a pour objectif de montrer la mise en scène derrière les publications mais aussi les méthodes de retouche et de filtres que certains utilisent pour obtenir des clichés dits esthétiques selon les normes de la société.

Saggysara prône le « self love »8 et partage ainsi sa conviction de la nécessité d'ap-prendre à s'aimer sans artifice et à ne pas se comparer. La prévention passe par ses photos et ses légendes qui se veulent informatives, éducatives, bienveillantes et qui poussent à la réflexion.

Nous avons choisi ce compte pour son originalité et la remise en question qu'il effectue sur le rapport à l'image.

7 Son compte personnel « Sarapuhto » compte un peu plus de 3 900 abonnés. Dessus elle y partage des photos de son quotidien sans effectuer de prévention sur les limites et dangers d'Instagram.

8 Mouvement qui incite à s'aimer soi-même.

Le troisième compte choisi est celui de Juliette Katz, chanteuse, Youtubeuse, actrice et autrice française, sur son compte « coucoulesgirls » suivi par plus de 529 000 abonnés.

Figure 3 Compte de "coucoulesgirls" alias Juliette Katz

9

La Youtubeuse détourne le dispositif en publiant des photos non conventionnelles qui sortent des critères de publication. L'ancienne chanteuse casse ainsi les codes esthétiques mais emploie également l'ironie et l'auto dérision au travers de ses légendes qui sont ainsi parfois en total décalage avec les photographies associées.

En 2020, elle se met au nu artistique et poste régulièrement des photos d'elle dénudée, régulièrement censurées par Instagram. Elle dénonce alors la suppression de nus par le réseau social sous prétexte que l'on y voit des attributs féminins. L'instagram-meuse dénonce aussi la grossophobie9 qu'elle-même subit dans son quotidien en tant que femme en surpoids. Nous avons choisi ce compte Instagram car il effectue de la prévention indirecte sur les dangers et limites du réseau social en passant par l'humour et l'ironie. Ce qui nous interpelle surtout est que les publications de Juliette Katz sont en totale rupture avec les codes de publication conventionnels, et le rapport texte/image est souvent décalé. La Youtubeuse utilise ce média social également pour traiter des sujets forts tels le féminisme, la grossophobie, la censure du corps féminin.

Le quatrième et dernier compte sélectionné est le compte « onveut du vrai » créé en mai 2019 par les deux Youtubeuses « Mybetterself » alias Louise Aubery et « Douzefévrier » alias Julie Bourges.

9 « Hostilité envers les personnes grosses ou obèses, position qui se manifeste par des comportements stigmatisant et discriminant à l'égard des personnes ne surpoids » ( linternaute.fr)

Figure 4 Compte "On veut du vrai" tenu par Louise Aubery et Julie Bourges

10

Face à la standardisation et la banalisation des publications sur Instagram, les deux jeunes femmes dédient une partie de leur activité à des fins de prévention sur le média social. « onveutduvrai » est suivi par plus de 35 000 abonnés et vient contrer les diktats du parfait sur Instagram. On y trouve des photos envoyées par les abonnés, de nombreuses réflexions, et les initiatives de personnalités10 sur le réseau social.

Louise et Julie s'expriment d'un ton éducatif et sensibilisateur au travers de leurs publications.

Nous avons choisi ce compte car il est clairement spécialisé sur la prévention des dangers et limites des réseaux sociaux et en particulier Instagram. La légende du premier post est d'ailleurs la suivante : « Sur ce compte, on vous partagera uniquement des photos qui nous font sentir BIEN. » L'alerte se fait ici par la sensibilisation directe.

Méthodes et approches

Tout au long de ce travail de recherche, nous avons mobilisé les approches qui nous paraissaient les plus pertinentes vis-à-vis de l'analyse du réseau social Instagram et de certains de ses comptes.

Analyse sémio-pragmatique

Dans un premier temps afin de réaliser une approche générale et globale des réseaux sociaux et en particulier de ce média social, nous nous sommes servis de l'analyse sémio-pragmatique.

10 Pour exemple les posts de la Youtubeuse Jujufitcats en juin 2019, et Demi Lovato en septembre 2019 ont été partagés car les photos des deux femmes étaient sans retouche et laissaient apparaître leur cellulite.

11

L'approche pragmatique est développée en même temps que la sémiologie classique entre les années 1950 et 1970 dans le cadre des « cultural studies ». Elle consiste à montrer que les messages ont une infinité de sens possibles, et qu'au-delà du contenu des dispositifs, il est judicieux de s'intéresser à la façon dont ces derniers sont perçus. Pour exemple, dans « La culture du pauvre », Hogardt montre que les classes populaires ont eu malgré le dispositif dans lequel elles étaient impliquées, une interprétation différente de ce que ces derniers auraient voulu leur imposer. Elles se sont appropriées les produits culturels et médiatiques.

L'approche pragmatique se centre sur le sens donné par le public, mais ne tient pas compte du dispositif. L'analyse sémio-pragmatique va donc plus loin en étudiant les dispositifs et leur contenu en contexte. Elle a été pensée et largement développée par le professeur et chercheur Roger Odin11. Ce dernier part de l'hypothèse qu'un acte de communication ne se fait pas dans un seul espace communicationnel mais deux espaces distants. Il effectue ainsi une distinction entre l'émetteur (E) et le récepteur (R) que constituent les actants, et le texte (T), et identifie une séparation entre « l'espace d'émission » et « l'espace de réception ». Selon cette approche, le sens d'un élément de communication ne dépend ni essentiellement du texte, ni des lecteurs, mais tire son origine des facteurs extérieurs12 qui exercent une influence sur les actants, et notamment sur leur mode de production de sens. Ces facteurs extérieurs ou « contraintes contextuelles » seraient ainsi à l'origine de différentes interprétations de lecture et de compréhension. Roger Odin va plus loin en introduisant la notion de « mode13 » qui peuvent être de différentes natures : artistique, documentarisant, moralisant, specta-cularisant etc.

Cette analyse nous a paru essentielle et pertinente dans le cadre de ce mémoire de recherche. En effet sur les réseaux sociaux et notamment Instagram, différents acteurs interagissent entre eux tour à tour en tant qu'émetteurs, récepteurs, et produisent du

11 Professeur à l'université Sorbonne Nouvelle Paris 3 et chercheur à l'Institut de recherche sur le cinéma et l'audiovisuel, reconnu pour ses travaux sur le film de famille et l'approche sémio-pragmatique du cinéma.

12 Les facteurs extérieurs ici entendus comme les contraintes « qui régissent la construction des actants de la communication et la façon dont ils sont conduits à produire du sens » (Odin, 2011, p.21)

13 Construction théorique visant à structurer en « ensembles fonctionnels les processus de production de sens » (Odin, 2011, p.46)

12

texte et des images qui engendrent du sens auprès des autres utilisateurs. L'analyse sémio-pragmatique s'avère ainsi un élément clé pour analyser les espaces de communication qui y sont présents et la communication effectuée par les instagrammeurs. Cette méthode nous permettra de nous interroger sur les éléments composants Insta-gram, ses contraintes et son fonctionnement, et ainsi de contextualiser et ancrer le réseau social dans un cadrage théorique. Puis dans un deuxième temps, nous réutiliserons cette approche en la centrant sur les quatre comptes de notre corpus choisis dans le cadre de ce mémoire de recherche. Cette approche sera un outil précieux afin d'analyser leur méthode de communication sur le réseau social et d'en étudier tous les aspects et l'interprétation qu'en font les autres utilisateurs. Il s'agira également de se questionner sur les différents modes employés par les comptes au travers de leurs publications sur le réseau social.

Analyse du discours

« Narrativiser sa vie privée et en marquer des épisodes par des commentaires et des changements de statut, ou plus généralement entrer puis quitter un monde « virtuel », apparaissent désormais comme des pratiques banales pour beaucoup » (Burger, Thornborrow, Fitzgerald, 2017, p.7)

Comme l'ont écrit ces trois chercheurs dans leur ouvrage « Discours des réseaux sociaux, enjeux publics, politiques et médiatiques », les réseaux sociaux sont des nouveaux environnements interactifs qui permettent de nouvelles rencontres et types d'échanges. Ces derniers sont entrés dans la routine d'une grande majorité d'entre nous, qui s'exprime et produit du contenu. Les usagers d'Instagram sont à l'origine de la production d'un discours14 écrit et oral (production de contenus audiovisuels), qu'ils diffusent aux autres utilisateurs et qui va les impacter.

Adopter une démarche d'analyse du discours dans le cadre de ce travail de recherche nous paraît ainsi indispensable afin de comprendre les enjeux du discours produit par les instagrammeurs, et se pencher sur la complexe relation sujet (l'individu qui élabore la représentation), objet (la réalité représentée), contexte15 (la réalité sociale où le sujet

14 Le discours comprend une dimension performative qui a pour objectif d'agir sur autrui.

15 Le contexte est déterminant et à prendre en compte pour comprendre la situation de communication et l'énoncé.

13

vit et où la représentation se forme)16. Nous entendons ici la représentation que les utilisateurs ont d'eux même, la représentation qu'ils ont des autres et sur le monde au travers du réseau social Instagram, et du contexte dans lequel les utilisateurs se trouvent.

Le discours a donc une dimension informative avec pour objectif de transmettre un message mais il comprend également une dimension persuasive, « La fonction argumentative a des marques dans la structure même de l'énoncé [...] : la phrase peut comporter divers morphèmes, expressions ou tournures qui, en plus de leur contenu informatif, servent à donner une orientation argumentative à l'énoncé, à l'entraîner dans telle ou telle direction. » (Ducrot,1980, p. 56)

Nous analyserons la production de discours des instagrammeurs et notamment des comptes sélectionnés, à l'aide d'une grille de lecture.

Nous nous inspirerons de la méthode d'analyse proposée par Amélie Seignour17 dans la Revue française de gestion édition 2011/2 (n°211). Nous nous baserons en particulier sur une analyse du système d'énonciation auprès des deux actants, qui consiste à observer comment l'émetteur se définit, et inscrit le récepteur. Nous analyserons également la dimension référentielle du discours en analysant les représentations conscientes ou inconscientes que construisent les usagers en publiant sur Instagram, et qui vont avoir une influence sur le destinataire. Nous adopterons enfin une analyse globale du discours en reprenant les éléments identifiés grâce aux méthodes ci-dessus et entrerons dans une phase davantage interprétative.

Confrontation et rapport texte/image

Au-delà des mots et du langage écrit, les réseaux sociaux et Instagram en particulier sont basés sur le visuel. L'apparence y joue un rôle majeur. Les utilisateurs se construisent leur identité virtuelle par l'image, en disposant d'un « mur »18 qu'ils sont libres de personnaliser en fonction de leurs envies.

16 Reprise et inspiration de certains éléments de cours « Situations de communication - représentation » dispensé par l'enseignante chercheuse en sciences de l'information et de la communication Renata Varga, appliqué ici aux réseaux sociaux et notamment Instagram.

17 Amélie Seignour est maître de conférences en sciences Humaines et Sociales à l'université de Montpellier II.

18 Soit une page personnelle sur le réseau social sur laquelle est affichée l'ensemble de leurs photos et vidéos postées.

14

Les utilisateurs ont la possibilité de pouvoir accompagner leurs photographies de légendes et de s'y exprimer en 2200 caractères. Ces dernières sont généralement utilisées afin de donner du contexte à l'image postée et viennent donc en complémentarité.

Internet regorge de conseils à destination des entreprises mais également des particuliers qui souhaitent adopter la meilleure stratégie de communication sur ce média social. En matière d'image, il est par exemple recommandé d'appliquer la règle de photographie des 1/3, d'utiliser les filtres proposés par l'application et d'autres règles appartenant au registre du code de la photographie.

En matière de légende, il est conseillé de mettre en avant un style de vie19, de travailler la mise en forme de son texte avec l'utilisation de smileys et d'adopter la bonne longueur pour ne pas décourager la lecture, de poser des questions pour encourager le « feedback » et l'engagement, et d'utiliser les bons hashtags20. De nombreux conseils qui montrent toute la stratégie autour d'une publication sur Instagram, tant pour les entreprises qui ont un objectif commercial et/ou un enjeu d'image de marque, que pour certains utilisateurs qui souhaitent se faire une place sur le réseau social. Il s'agit tout au long de ce mémoire de recherche d'analyser les contenus postés par les instagram-meurs, c'est-à-dire leurs photos mais aussi les textes qui les accompagnent, et de confronter le rapport texte/image. Une image et sa légende peuvent permettre une interprétation différente si on ne regarde que l'une des deux. Ainsi, adopter une telle approche nous paraît judicieux afin d'observer le mécanisme de publication conscients ou inconscients des usagers, et notamment effectuer une analyse auprès des comptes sélectionnés.

19 Aussi appelé « lifestyle » il s'agit de montrer et mettre en avant son mode de vie et « art de vivre ».

20 « Mot-clé précédé du symbole # que les internautes utilisent dans leurs publications sur les réseaux sociaux. Ils permettent aux autres utilisateurs d'accéder au contenu qui contient ledit mot-clé, sans nécessairement être « ami » ou « follower de la personne qui en fait usage » ( solocal.com)

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera