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L'Albanie, histoire de langue(s) : pour une approche sociodidactique de l'enseignement apprentissage du français en contexte universitaire albanais


par Amélie GICQUEL
Université Paris 3 La Sorbonne Nouvelle - Master 2 professionnel Sciences du Langage mention Didactique du Français et des Langues Etrangères 2014
  

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Annexe 8 - Chiffres de l'APFA (2013)

Classe et

équivalent français

Nb élèves :

français 1ère

LE

Zones rurales

Nb d'élèves :

français 2ème

LE

Zones rurales

III / CE2

4143

1962

 
 

IV / CM1

4380

2096

 
 

V / CM2

4308

2010

 
 

VI / 6ème

5471

3512

7943

432

VII / 5ème

5160

3444

7620

1609

VIII / 4ème

5246

3374

7306

1469

IX / 3ème

6136

3894

6635

1453

Situation du français dans l'enseignement primaire en Albanie

Classe et

équivalent français

Nb élèves :

français 1ère LE

Zones rurales

Nb d'élèves :

français 2ème LE

Zones rurales

X / 2nde

4620

1910

3844

991

XI / 1ère

4695

2104

4020

835

XII / Tle

4723

2253

2854

665

Situation du français dans l'enseignement secondaire général en Albanie

Classe et

équivalent français

Nb élèves :

français 1ère LE

Zones rurales

Nb d'élèves :

français 2ème LE

Zones rurales

X / 2nde

5093

0

1255

0

XI / 1ère

439

0

879

70

XII / Tle

426

0

686

0

XIII (dernière classe à la fin de l'année scolaire 2012-3)

390

0

412

0

Situation du français dans l'enseignement secondaire professionnel en Albanie

XIV

Annexe 9- Interview informateur 01-H

Note de lecture : 1 personne interviewée. Les questions posées par l'enquêteur sont en italique et les réponses formulées par l'informateur en caractères standards.

Profil de l'informateur :

Profession : enseignant masculin

Lieu d'activité : enseignement public universitaire et réseau associatif

Expérience à l'étranger : en France, M1 DFLE avec bourse

Formation initiale : sous le communisme

Contexte d'entretien : j'étais initialement partie de l'hypothèse qu'il y avait une baisse d'intérêt pour les langues étrangères avant de déporter mon attention sur ce qui est fait des langues étrangères et la conséquence de la vision projetée sur les langues étrangères par les institutions albanaises et la conséquence de ces représentations sur celles des locuteurs.

Cet entretien a été retenu parce qu'il est le plus représentatif vis-à-vis de la place des langues étrangères sous le communisme.

Interviewer : Amélie Gicquel

Prise de notes avant enregistrement :

1. « A l'époque, la seule école des langues étrangères était à Tirana. »

2. « Seuls les enfants des familles aisées avaient accès à cette école, cela signifie que leurs parents devaient occuper des postes importants ».

3. « Les langues étrangères ne sont plus vues comme un ornement ».

4. « Il faut voir les disciplines universitaires selon le travail qu'elles offrent ensuite. Et l'anglais domine parce que c'est une langue qui est largement demandée par les entreprises albanaises ».

5. « Après la chute du communisme, les profs étaient très mal payés. Pour subvenir aux besoins de leur famille, les hommes changeaient de travail. Ca a provoqué une dévalorisation de la profession d'enseignant, il n'y avait plus aucun intérêt à devenir prof ».

6. « Connaître une langue n'est pas une profession ».

7. « On trouve dans les lycées généraux des élèves qui sont meilleurs qu'au lycée des langues ».

8. « Maintenant, on peut trouver des jeunes qui parlent très bien français ».

9. « En tant que profs, on attend des jeunes qui sont motivés, mais ils ne sont pas bêtes ! Ils savent que leurs connaissances linguistiques et langagières, bonnes ou mauvaises, ne leur donneront aucun avenir, alors pourquoi se fatiguer ? »

10. « Va dans une école et demande à un prof de français de donner leur avis vis à vis de la promotion et de la diffusion des langues, ils diront que c'est à cause de la politique. Mais demande-leur ensuite s'ils préfèrent si leur enfant étudie le français ou la médecine. Ils vont tous répondre médecine ! »

11. « S'il y avait plus de postes d'enseignants, il y aura un plus grand intérêt ».

12.

XV

« Objectivement, on apprend le français pour avoir un travail, lequel ? Ca peut être prof, interprète, dans une association, dans une entreprise. Mais il y a très peu de travail dans ces domaines là avec la langue française. »

13. « Les étudiants étudient le français pour avoir un diplôme, c'est tout ».

14. « Il y a peu de demandes pour le français pour des raisons économiques ».

15. « L'Italie, c'est différent, parce que c'est comme un second pays, surtout pour des raisons d'émigration. Après, le nombre de demandes d'études pour l'Italie a certainement dégringolé depuis la libre circulation. Avant, on demandait à aller étudier en Italie pour émigrer, et on allait en cours que les deux premiers jours. Maintenant, on peut légalement rester 3 mois en Italie sans papier particulier. »

16. « Quelle différence entre l'Italie et la France, il y a plus de familles en Italie. Pour quelles raisons les étudiants choisissent telle ou telle université ? Raisons économiques et proximité familiale, que ça soit en Albanie ou à l'étranger ».

17. « L'Albanie, c'est un petit pays. C'est l'économie du marché qui dicte le choix de ses études supérieures maintenant ».

Entretien enregistré :

18. Et où est-ce que tu pouvais apprendre le français tout seul à l'époque ?

19. Je ne sais pas. Ils lisaient des livres en cachette. De toute façon, ce n'était pas la langue parlée qu'on apprenait. C'était la langue des livres...

20. Oui j'ai entendu une interview d'Edi Rama sur France Inter et il parle très bien français ! Très bon francophone.

21. Ah oui oui, il parle très bien italien, anglais, français. Comme personne, il est super.

22. Comme linguiste ?

23. Non non, mais même comme artiste, c'est la personne qui parle le mieux.

24. Le meilleur orateur ?

25. Le meilleur orateur. Donc c'est vraiment quelqu'un. Après, au niveau... En tant que Premier Ministre, moi je ne sais pas.

26. C'est une autre question.

27. On va voir.

28. Mais justement, dans cette interview où Edi Rama passe sur France Inter, il disait qu'il avait appris le français en lisant.

29. Tout le monde faisait ça. A l'école aussi ! Qu'est-ce qu'on faisait ? On lisait un texte, on apprenait les mots nouveaux. Voilà, on expliquait les mots. Voilà, mais après, on ne pouvait pas construire une phrase exacte ! A propos du texte, tu pouvais répondre très bien. A propos des personnages...

« Qu'est-ce que Monsieur Dupont fait ? » « Monsieur Dupont monte dans sa voiture. »

« Est-ce qu'il a des enfants ? » « Oui, il a deux enfants »

« Comment il s'appelle ? » « Il s'appelle... »

XVI

Mais après, au moment où on se mettait en face d'un Français, c'était autre chose. On ne pouvait pas ! C'était interdit. Ne pas parler à un étranger.

30. Ouais, j'ai lu un livre là dessus. Des Français qui vivaient en Albanie en 1976 et qui étaient constamment suivis par la police secrète, pas du tout discrète.

31. En plus, c'est une période, vraiment, de transition. On ne peut pas vraiment créer d'idée...

32. Oui, c'est ce que je pense aussi, ce qui me provoque certaines difficultés.

33. On peut faire des hypothèses, mais on ne peut pas... Je pense que c'est instable.

34. Après, j'avais aussi une hypothèse, c'était qu'avant, on apprenait une langue étrangère... après la chute du communisme, je veux dire. On apprenait une langue étrangère pour se donner la chance d'aller à l'étranger, ou de se permettre de rêver qu'on irait à l'étranger. Alors que maintenant, est-ce qu'on n'en est pas à un moment donné où les Albanais se disent « Développons un peu l'Albanie ». « Permettons à nos enfants d'étudier des sciences comme l'économie, comme la médecine, comme le droit. Laissons les développer notre pays plutôt de laisser fuir nos jeunes. »

35. Non, je ne pense pas. Nos jeunes n'étudient pas l'économie pour changer l'économie, mais parce que c'est ce qu'ils veulent faire. Tu vois, tu as mon exemple. Mon fils pouvait très bien venir faire des études de français à Elbasan. Pourquoi il n'est pas venu ? Là, il avait toutes les facilités ! J'étais là, je pouvais l'aider, je pouvais lui faire ses devoirs, ses essais. Lui mettre des 10 partout. Pourquoi il fait ça ? Il est à Tirana et il fait de l'économie parce que je pense qu'il a de l'avenir et lui, il pense que c'est la profession qu'il veut faire.

36. Ouais, mais prof, tu ne serais pas un cas particulier ? Tu as eu la chance de faire des hautes études, tu es quand même intéressé par un certain niveau intellectuel, je veux dire. La classe à laquelle tu appartiens est finalement assez réduite en Albanie, non ?

37. Même les plus...

38. Les plus modestes ?

39. Les meilleurs étudiants ne viennent pas des familles aisées.

40. Non, c'est vrai, mais je ne pensais pas à l'argent, je pensais plutôt au niveau intellectuel.

41. Etre intellectuel, c'est un peu par hasard. Tout commence... Parce que moi, je suis intellectuel de l'époque d'Enver Hoxha. Il fallait être brave à l'âge de 14 - 18 ans. C'est là. Si tu ne travailles pas à cet âge-là, tu ne pouvais pas devenir intellectuel, parce qu'à partir de la moyenne, on choisissait d'abord si on voulait faire des études supérieures ou pas.

42. Des études à l'université, je comprends bien ?

43. Oui.

44. Mais alors juste une question, un détail... L'école était obligatoire jusqu'à la fin du lycée ?

45. Non, c'est l'école de huit ans qui était obligatoire. Et la plupart des gens allaient au lycée. Pour pouvoir aller à l'université, il fallait avoir une bonne moyenne.

XVII

Mais c'était à l'âge de l'adolescence. Pas tout le monde, pour des raisons de famille, des raisons psychologiques, voilà... Mais si tu ne pouvais pas faire des études supérieures, tu allais travailler dans une fabrique, dans une usine, ou ailleurs. Un hasard. Parce que par hasard, moi j'étais appliqué, psychologiquement, j'étais capable de faire des études et d'apprendre bien. Dans une famille, s'il y avait plusieurs enfants qui avaient fait des études supérieures... donc si mon frère avait fait ingénieur, moi, je n'avais pas le droit de faire des études, d'avoir une bourse d'études.

46. C'est le gouvernement qui décidait de ça ?

47. Oui oui ! Enfin, ce n'était pas une loi écrite comme ça, mais si pour devenir médecin, à l'Université de Tirana, il y avait 5 places, admettons. Il y avait 10 demandes, alors, si moi j'avais un frère qui avait fait des études, moi j'aurais été le premier exclu. Parce que les autres n'avaient pas cette situation. Il y avait ceux qui n'avaient pas une bonne biographie. Mon frère, ou mon père avait fait 5 ans de prison, alors moi, j'aurais été exclu. Donc, la différence que j'ai avec un autre...

48. / L'interviewé répond au téléphone/

49. ...Donc voilà. Le désir, la capacité de transmettre aux enfants la volonté d'aller à l'école est la même. Si j'envoie mon fils à Tirana, il fera la même chose avec ses enfants. Donc, il ne faut pas être intellectuel pour comprendre que c'est mieux de devenir ingénieur...

50. Non, c'est sûr ! Certes !

51. C'est mieux que de devenir prof de français dans un village. Mais je dis prof de français, mais prof d'autre chose...

52. Ou prof de quoique ce soit... Moi je ne décroche pas, quand même... Je garde toutefois l'idée qu'il y a un désintérêt grandissant pour les langues étrangères.

53. Non. Tu me dis les langues étrangères... ?

54. C'est ce que tu disais avant, un « ornement ». Celui qui allait à l'Université des Facultés Etrangères, c'était un ornement.

55. Il y a 20 ans, celui qui est allé à l'étranger, c'était un extraterrestre. Même s'il y allait deux jours. Les chauffeurs des camions, parce qu'il faisait l'import / export des produits albanais, ils avaient plus de prestige que les professeurs, parce qu'il allait à l'étranger ! Le fait d'aller à l'étranger, c'était quelque chose, donc c'était pareil pour les langues étrangères. Ca n'existe plus. Quelquefois, ça prend des connotations négatives. « Lui, il est allé en Grèce... » La Grèce, tout le monde va en Grèce. Donc personne ne peut se vanter, même si tu es avec des villageois... « Bah, je suis allé à Paris pendant trois mois... » Aujourd'hui, passer un séjour à l'étranger, ce n'est pas quelque chose d'exceptionnel. Maintenant, parler une langue étrangère, c'est quelque chose de très normal. Est-ce que tu sais combien de centres de langues il y a à Elbasan ?

56. Non, mais je me suis posé la question !

57. On ne peut pas les compter. Enormément. Tout le monde prend des cours privés. Qu'est-ce que ça montre ? Qu'il y a une baisse d'intérêt pour les langues étrangères ? Non. Tout le monde apprend les langues étrangères dans des cours

XVIII

privés, pas à l'école ! A partir de la quatrième classe, à partir de 10 ans. Moi, mes enfants, ils ont fait 5 ans d'anglais, 3 ans de français. Mais tout le monde fait ça, pas que moi ! Parce que les gens savent aujourd'hui qu'une langue étrangère est indispensable. Je ne dis pas que le français est indispensable... une langue étrangère ! Parce que pour travailler, il faut une langue étrangère, les annonces qui proposent du français disent qu'il faut telle ou telle langue. L'ordinateur, tel programme va être en langue étrangère.

58. Donc, moi, je suis contre. J'entends des choses parfois, je ne peux pas parler, mais souvent, je suis contre tout le monde, mais je ne dis rien. J'entends que les jeunes d'aujourd'hui, ils n'apprennent pas.

59. C'est ce que j'entends !

60. Pour moi, c'est le contraire.

61. Ils apprennent différemment...

62. Le meilleur à mon époque, il est moins bon que le meilleur d'aujourd'hui. ***

63. Oui, c'est ce que tu me disais tout à l'heure. A l'époque, les élèves étaient limités à des livres, à des textes, alors qu'aujourd'hui, ils ont la liberté de se renseigner par eux-mêmes. Il n'y avait pas de possibilité d'accès à des supports qui auraient permis aux élèves de l'époque d'en apprendre plus.

64. Non. A l'époque, on travaillait avec Mauger, qui était déjà désuet. Maintenant, on trouve des livres albanais, où les gens ne s'appellent pas Pierre et Paul, mais Sokol, Arben, etc. Donc, une langue française pour les Albanais. Donc voilà, je ne sais pas... Moi, je ne comprends pas. Personne n'apprend les langues étrangères à l'école, en Albanie. Et ça, je ne comprends pas, vraiment. Donc c'est, c'est nul.

65. Est-ce que ce n'est pas parce qu'aujourd'hui, on sait tous, plus ou moins, que les profs de langues étrangères dans les écoles sont mauvais ?

66. Bah c'est pour beaucoup de raisons, pas uniquement... A cause du nombre d'élèves dans les classes, les méthodes qui ne sont pas appropriées...

67. Oui, non, c'est sûr qu'on ne peut pas rejeter toute la faute sur les enseignants !

68. S'il y a un peuple qui veut s'ouvrir sur l'étranger, c'est le peuple albanais ! C'est normal, le peuple le plus isolé a le plus grand désir de s'ouvrir ! Et alors ? Pour aller vers l'étranger, il faut une langue étrangère. Et les langues étrangères pour les Albanais le français, l'anglais, l'italien... Le grec, bon, pas besoin de l'apprendre parce qu'on va travailler, on ne va pas faire des études, déjà, il y a une communauté albanaise en Grèce qui est importante.

69. / L'interviewé répond au téléphone/

70. ... Donc voilà, c'est facile, mais c'est difficile en même temps ! Et puis si tu vas imposer le français dans une école où les gens ne sont pas du tout intéressés, ça ne sert à rien, donc on fait le français dans cette école-là. C'est ça la politique, on fait le français, mais ils n'ont pas réfléchi à quoi ça sert le français. Par contre, si on associe deux langues, qu'à côté de l'anglais, on fait du français, ça, c'est de la politique, tu vois ? Parce que, qu'est-ce qu'ils vont faire ? Tu sais ce que les gens ont fait ? Je te montre aussi une chose, ça peut être intéressant. Ils changent d'école parce qu'il n'y a pas l'anglais. Voilà, mécontents de ce seul fait, ils vont dans une autre école. La

XIX

politique doit aider, doit suivre l'intérêt des gens, un peu. Mais pas imposer, parce que ça va entraîner de la résistance. On se disputait, moitié anglais, moitié français. Mais c'était fou, ce n'était pas juste, parce que tout le monde voulait apprendre l'anglais. Quand je dis moitié, moitié, c'est que sur 6 classes en première, par exemple, il y avait 3 qui faisaient le français et 3 qui faisaient l'anglais, pour garder un équilibre entre les langues et ce n'est pas juste. Ceux qui faisaient anglais étaient contents et ceux qui faisaient français, ils étaient mécontents.

71. C'était complètement arbitraire.

72. Arbitraire, parce que ça allait contre le désir. Alors une bonne politique, c'est quoi, c'est faire 3 heures anglais et 2 heures en français. Ceux qui étaient en première année, peut-être, ils savaient qu'ils allaient faire un peu plus dans les autres années. On peut résoudre la politique, les institutions peuvent résoudre le problème. Mais pour ça, il faut connaître la réalité !

73. Et tu penses qu'ils ne connaissent pas la réalité, en fait ?

74. Ils ne sont pas sincères. Nous avons toujours eu des gouvernements et des politiques qui ne sont pas sincères. Tu sais la dernière, donc la phrase qu'on répète souvent ? « On a de très bonnes lois qu'on ne respecte pas ».

75. C'est quelque chose que tu entends ?

76. Tout le temps ! C'est un leitmotiv. Pourquoi ? Parce qu'au moment où ils ont fait la loi, ils n'étaient pas sincères. Ils ont fait une loi qu'on ne pouvait pas appliquer. Tu sais ? Ils ont dit pour avoir un Master, il faut avoir le B2. Tous les étudiants, pour avoir le Master, il faut qu'il ait un niveau... même pour avoir accès à un Master, il faut le niveau B2 en anglais.

77. N'importe quel Master ?

78. N'importe quel Master. Obligatoire. Pour avoir un doctorat, il faut avoir . Qu'est-ce que ça veut dire ? Qui est celui qui a dit ça ? Est-ce qu'il est sincère ? Est-ce que c'est vrai, est-ce que c'est juste ? C'est ça qui manque. Parce que moi, je peux dire, en tant que prof, parce que moi, je sais quelle est la meilleure chose à faire. Donc si je dis « demain, je veux que vous lisiez tous les romans de Balzac. » 100 romans. Ce n'est pas faisable ! Même si je dis « vous allez lire un roman par semaine ». Je ne le dis pas parce que je sais qu'ils ne le font pas, et ils ne sont pas capables. Alors, c'est mieux pour le moment de faire une loi qui soit applicable. Ils ne sont pas sincères !

79. Mais alors, en fait, j'ai pensé à quelque chose entre temps. Tu me dis qu'il y a cette loi qui exige des étudiants d'avoir un niveau 82 en Master. Mais quand tu regardes les lois européennes, les élèves à la sortie du lycée, normalement, doivent avoir le niveau 82 en langues étrangères.

80. Oui, mais c'est pareil en Albanie.

81. Eh bien, est-ce que ce n'est pas une volonté des politiques d'essayer de se mettre à niveau des lois européennes ?

82. Oui, sûrement. Mais regarde, l'examen pour les langues étrangères cette année au BAC, ça sera de niveau A2.

83. Oui, j'ai entendu, A. me l'a dit.

84.

XX

Mais quoi ? Les programmes institutionnels, faits par les grands-pères de la méthodologie et de la didactique albanaises demandent un niveau B2 au lycée. Qu'est-ce qui a changé d'une année à une autre ? Parce qu'ils ne sont pas sincères par rapport à la réalité. Ce n'est pas possible. On ne peut pas demander à nos étudiants de faire des choses qu'ils ne peuvent pas ou qu'ils ne savent pas faire. Tu sais comment le problème des langues étrangères à l'école a été divisé, à Elbasan ? Je te raconte. Tu sais que le boulevard coupe Elbasan en deux ?

85. Oui, oui.

86. Toutes les écoles qui se trouvent au Nord du boulevard font anglais, et toutes les écoles qui se trouvent au Sud du boulevard font du français.

87. C'est vérifié, ça ?

88. Non, mais à 80% ça peut se vérifier. Ca a été fait comme ça. Une décision, voilà... On n'a jamais eu de politiques, voilà... Même à l'époque du communisme, le français était appris comme première ou deuxième langue, ça ne correspondait pas vraiment au désir de tout le monde d'apprendre le français. C'était une obligation. Si tu veux voir vraiment l'intérêt pour le français, il faut regarder le système privé. Combien il y a d'élèves qui apprennent le français à Elbasan, à l'Alliance ? Je te le dis, je connais. L'allemand : 40, grand maximum ; français : 70 ; italien : pareil, comme le français, même un peu moins, peut-être, anglais, 10 fois plus. Parce que moi, je connais les centres de langues. Il y en a une quinzaine, à Elbasan. Parce que c'est aussi politique, l'ambassade demande auprès du Ministère que le français soit la langue apprise dans les écoles. Mais pareil font les Allemands, et pareil font les Italiens.

89. C'est au meilleur offrant.

90. Oui.

91. C'est naturel, c'est humain. Dans l'importe quelle situation, tu as plusieurs offres, tu vas prendre ce qui te rapporte le plus. C'est un jeu d'influence.

92. Le système scolaire ne montre pas vraiment, la réalité, le désir.

93. Parce que donc je suis divisée entre deux choses. Soit je parle des stratégies et des identités plurilingues en Albanie...

94. Mais tu as raison, c'est intéressant cette idée de fragmentation, il faut bien le... Mais quand tu regardes l'histoire des langues étrangères en Albanie, c'est un peu comme ça. /L'interviewé mime avec ses mains des blocs distincts les uns des autres/. Français, anglais, italien... Ne parle pas de l'italien, personne ne l'apprend à l'école ! On apprend très peu l'italien à l'école, tu sais ? Voilà, donc c'est vraiment fragmenté. Donc le russe disparaît, ensuite c'est l'anglais qui sort. C'est l'italien qui est la langue la plus parlée, mais qu'on n'apprend le moins à l'école. Il n'y a pas de suivi. Il y a toujours des blocs, des étapes. Et dans ce sens, on peut peut-être parler après de transition, donc d'une étape à une autre.

95. Non, moi, je ne pensais pas au niveau historique, mais plutôt en synchronie. C'est à dire entre le niveau micro et le niveau macro, et puis vous entre les deux...

96. Oui, mais d'où vient cette fracture ? Ca vient aussi un peu de l'histoire. Comment on a traité les langues étrangères, avant...

97.

XXI

Mais c'était ça mon sujet au début, tu te rappelles, la première fois que je t'en ai parlé. Le rapport de l'Albanie aux langues étrangères.

98. Si la langue étrangère est une nourriture, donc on va donner au peuple ce qu'il a envie de manger. Tu vois, c'est ça qui crée la fracture. Ils nous imposent de manger du pain, et moi je veux manger des chocolats. C'est ça ! Parce qu'il y a A. qui va voir le Ministre, ils boivent un verre. Le Ministère va dire oui. Ensuite, il y a l'Allemand qui va arriver avec des bouteilles de schnaps, le Ministre va dire : « l'allemand aussi ». Après, il y a l'Italien avec du Limonccello, et le Ministre va dire « on apprend l'italien ».

99. Mais c'est aussi pour ça que j'ai abandonné mon idée de politiques linguistiques. Pour tout, les choses se décident...

100. Nous ne sommes pas un pays normal.

101. Vous n'êtes pas un pays normal ?

102. Non.

103. Mais moi j'aime bien l'Albanie I (rires)

104. Oui, mais ça c'est une chose. L'autre jour, il y a un étudiant de deuxième année, il se plaignait de MS parce qu'il n'arrivait pas à avoir le code, tu sais le code pour voir les notes. Il s'était énervé : « MS ne me les donne pas à chaque fois, j'ai le droit de faire ça. » Je lui ai dit « Tranquillise toi, nous ne sommes pas dans un pays normal. Je t'explique, si on était dans un pays normal, tu ne serais pas devant moi en ce moment, parce que tu ne mérites pas de passer en deuxième année. Donc tu n'aurais pas besoin du code pour aller chez MS. Donc, tranquille ! » (rires). On ne peut pas raisonner.

105. Mais qu'est-ce que je fais là ? Je te jure I Moi ce pays me fascine.

106. Mais oui, nous sommes le pays le plus heureux !

107. Ouais, oh le peuple le plus heureux, je ne sais pas...

108. Eh le peuple le plus heureux, je ne sais pas. Mais nos étudiants sont les plus heureux du monde.

XXII

Annexe 10 - Interview informateur 02-I Interviewer : Amélie Gicquel

Note de lecture : Une personne interviewée. Les questions posées par l'enquêteur sont en italique et les réponses en caractères standards. Certains extraits ont été retirés de l'interview reportée ici car pas en aucune adéquation avec le thème traité.

Profil de l'informateur :

Profession : masculin, ancien étudiant au moment de l'entretien, Master en enseignement du français terminé non obtenu, pas de projet de passer le niveau B2 en anglais et le stage obligatoire

Expérience à l'étranger : migration vers la Grèce pendant l'adolescence / en France, stage FLE en université française grâce à un programme d'échange d'étudiant Formation initiale : post-communisme

1. Voilà. Alors, pour commencer, je voudrais savoir quelles langues tu parles ?

2. Ok, je parle français, grec, italien, espagnol, anglais, allemand, portugais.

3. Est-ce que tu peux me dire comment est-ce que tu appris chacune de ces langues ?

4. Oui bien sûr. Alors la première langue que j'ai apprise, c'est l'italien. J'avais 6 ans et je l'ai apprise par la télé, en regardant des dessins animés, parce que quand j'étais petit, on avait beaucoup de chaînes italiennes et elles n'étaient pas en sous-titres albanais, toutes les séries et tous les films ! Et en demandant des mots que je ne connaissais pas à ma mère, parce qu'elle parlait elle-même aussi italien, parce qu'elle avait appris de la même façon. L'italien, c'est donc la première langue que j'ai apprise.

5. Mais tu parles aussi italien avec ta mère, ou quand tu étais petit, vous parliez italien ?

6. Oui, un peu. Un peu, mais tu vois on regardait des films et on comprenait tout. Et après à l'école, j'ai commencé un peu l'anglais. J'étais en quatrième, euh, en cinquième classe. Après, je suis parti en Grèce.

7. Et alors l'anglais, tu en avais combien d'heures par semaine ?

8. Pas beaucoup, trois ou quatre heures. Mais le prof, il était un peu différent des autres, parce qu'il nous expliquait les mots nouveaux, euh, les nouveaux mots, il ne les écrivait pas, mais il dessinait le mot. Et donc on lui disait qu'est-ce que c'était.

9. Pourquoi tu es parti en Grèce ?

10. Emigration avec ma famille, parce que ma tante aussi, elle vivait en Grèce, elle est mariée avec un Grec. Je ne savais pas du tout le grec, tu vois ? Je suis parti en août et en septembre, je me suis inscrit en sixième. En un mois, j'ai appris le grec.

11. Est-ce qu'il y avait d'autres Albanais dans l'école où tu étais ?

12.

XXIII

Dans l'école, oui, il y avait aussi des Albanais qui ne voulaient pas parler albanais. Ils se considéraient comme des Grecs, je ne sais pas pourquoi. Mais dans mon quartier, j'avais un ami d'Himara. Il était un an plus grand que moi. Mais c'est très bien allé... Tous les cours c'était en grec, voilà.

13. Tu continuais à parler albanais avec ta famille ?

14. Oui, bien sûr.

15. Mais tu ne parlais pas albanais en dehors ?

16. Rarement... Quand il y avait des Albanais, avec ma soeur.

17. Mais avec les autres Albanais, non. Il y en a qui refusaient complètement de parler albanais...

18. Oui ! Parce qu'une minorité, qui s'appelle de l'Epire, du Nord de la Grèce, mais il y a des Albanais qui se considèrent Grecs. Je ne sais pas pas, pour les papiers peut-être. Les Grecs, ils n'aiment pas beaucoup les Albanais.

L...]

19. Donc tu as aussi appris le français en Grèce ?

20. Oui, mais je n'apprenais pas beaucoup.

21. Pourquoi ?

22. Je n'étais pas motivé parce qu'avec mes amis, on se moquait des mots en français.

23. Et comment tu voyais le français à cette époque ?

24. L'évaluation à l'école, c'était de 0 à 20. Et en français, j'avais 15 ! Non ! 14. Sur 20. Mais en anglais, j'avais plus. Ouais, j'avais 16 ou 17.

25. Et tu étais plus motivé à apprendre l'anglais ?

26. Non, même pas l'anglais ! En Grèce, je n'apprenais pas du tout. Dès que je terminais l'école, j'allais chez moi. Je n'ouvrais pas les livres. Le matin, je changeais les livres pour les cours de la journée.

27. Et pourquoi tu n'étais pas motivé ? Tu sais le dire ?

28. Parce que j'avais beaucoup d'amis, on faisait n'importe quoi. En plus, j'avais 13 ans, 14 ans, tu vois ? On voulait jouer, on voulait faire n'importe quoi !

29. Hum, hum. Tu rentrais en Albanie quelques fois sur tes quelques années en Grèce ?

30. Oui, on rentrait, on rentrait... Mais. Ca me manquait, parce qu'en Grèce, quand je suis allé la première fois, ils étaient très méchants avec moi et ma soeur. Comme on était des Albanais, on s'est disputé avec beaucoup de Grecs. Le temps qu'on s'adapte, qu'ils nous acceptent. Après, on a appris la langue, et on n'a pas eu de problèmes.

31. Tu t'es senti accepté à partir du moment où tu as commencé à communiquer en grec.

32. Oui.

33.

XXIV

Suffisamment bien ?

34. Mais même en Grèce j'avais des problèmes dans la classe. Parce qu'il y avait beaucoup de filles, des filles surtout. Des garçons qui nous disaient chaque jour « vous êtes des esclaves, vous êtes nuls, on vous nourrit, si on n'était pas là, vous seriez morts ! ». Et je les tapais. Mais taper, vraiment ! Il y avait aussi des psychologues à l'école et une fois, je me souviens... Parce qu'en Grèce, des fois, ils font des élections, pour le président de l'école et tout ça. Pour les étudiants, voilà. Et en maths, une fois, j'ai eu une meilleure note qu'un Grec. Et lui, il a fait n'importe quoi ! « Pourquoi le prof... ». Il a fait des grèves, il a tout fait contre moi. « Le prof a mis une meilleure note à l'Albanais. » Ah, c'était comme ça. Au début, c'était difficile pour moi, mais après j'ai connu mon ami albanais, et plus personne ne me disait plus rien.

35. (rires).

36. Oh ouais... Oui, mais il fallait se battre chaque jour ! En plus, je me suis inscrit en boxe, parce que je ne les supportais plus. Chaque jour, la même chose. Seulement « vous êtes ça, vous êtes ça ». Après, ils ne disaient plus rien.

37. J'imagine ! Donc quand ta famille t'a dit « On rentre à la maison, on rentre en Albanie », d'un côté, tu te sentais bien, c'est ce que tu disais...

38. D'un côté oui, mais de l'autre côté, j'avais mes amis là, j'étais habitué à la vie en Grèce, à Athènes. Et on est rentré, mais ici ça s'est passé pire qu'en Grèce, quand je suis rentré à l'école. J'avais des difficultés à parler en albanais, à m'exprimer, parce qu'imagine, quatre ans, en Grèce ! Les connards, ici à l'école, à la place de m'aider, ils se moquaient de moi. Parce que je m'habillais différemment, j'avais un sac à dos, mais ici, il y avait tout changé ! C'était pas comme j'avais laissé, le temps avant que je parte. Ils étaient très sérieux, ils s'habillaient avec des vêtements sérieux, des chemises, sans sac, tout ça... Avec un petit dossier ou ils laissaient les livres sous le banc. Ils ne prenaient pas avec eux. Moi, je m'habillais avec des vêtements de sport, c'était différent. Et je me sentais... Je me sentais mal, un peu, tu vois ? Je me sentais un étranger dans mon pays, voilà. Et ça m'a beaucoup influencé sur mon caractère. Pendant le cours, je savais la réponse, mais je ne répondais pas, parce que j'avais de la honte à parler. Je parlais avec l'accent grec... Mais quand c'était l'examen, je parlais beaucoup ! Le prof, il était surpris. Il disait « Il parle jamais, mais quand il écrit, c'est le meilleur ! ». Mais après ça a changé... Et en plus quand je me suis inscrit, j'ai perdu un an. Je devais m'inscrire ici en première année de lycée, mais je me suis inscrit ici en huitième, parce que de mon temps, l'école primaire, c'était 8 ans et 4 ans pour le lycée. Après, j'ai choisi d'étudier le français, parce que.

39. Qu'est-ce qui a fait que tu t'es inscrit dans le lycée des langues ? C'est toi qui as choisi ? Ce sont tes parents ?

40. Les deux, moi et mes parents aussi, on a décidé ça.

41. Qu'est-ce qui vous a fait décider ça ?

42. Parce que moi l'italien, déjà, je parlais. L'anglais un petit peu, je parlais aussi. Le grec, oui ! Et le français, comme j'avais fait en Grèce, j'avais quelques connaissances. Et j'ai dit en plus... Oui, j'avais des cousins en France, d'espérer, tu vois ? Qu'ils m'aident après.

43. Et à aucun moment donné la question d'aller dans un lycée général s'est posée ?

44.

XXV

Non ça a été le lycée des langues.

45. Tes deux parents étaient d'accord ?

46. Oui.

47. Et toi aussi ? Donc tout le monde était content.

48. Oui !

49. Donc tu as commencé au lycée des langues. Comment tu voyais ça, toi, aussi ? Tu avais déjà toutes ces langues que tu connaissais bien ou très bien, et apprendre encore en plus le français, tu le sentais comment ? Rappelle-toi ton premier jour au lycée I Comment tu te sentais ? C'était quoi le premier jour ?

50. Ah, j'étais stressé, beaucoup, j'étais timide. Parce que la première fois au lycée, tu vois ? Il y avait aussi les quatrième années, les plus grands là, je les regardais.

51. Et alors petit à petit, au fil de ta première année, comment tu voyais l'école ? Et comment tu voyais le français, en fait ?

52. Ah c'est... Ouais j'ai beaucoup aimé et ça m'a beaucoup aidé la Grèce. La méthode qu'ils utilisaient en Grèce, c'était mieux. Ca m'a beaucoup aidé, aussi la langue.

53. La méthode qu'ils utilisaient en Grèce, et ils faisaient comment en Grèce ?

54. Bah, c'est pas comme ici en Albanie, par exemple. Nous, on n'apprenait pas par coeur, là. Les profs nous expliquaient et on apprenait l'essentiel. Et tu vois, moi, en Grèce, même si je ne lisais pas à la maison, je pouvais faire un examen et avoir une bonne note. Mais j'étais attentif, pendant les cours, en classe, voilà. Je ne sais pas, ils avaient une autre manière didactique, c'était différent. Ca m'a beaucoup aidé, je pense.

55. Tu penses que la méthode qu'on a utilisée en Grèce pour enseigner le français et l'anglais, tu l'as prise et tu l'as utilisée ici.

56. Oui, c'est ça et je l'ai utilisée ici.

57. Et les profs en Albanie, alors, ils font comment pour enseigner les langues étrangères ?

58. Les profs se basent beaucoup sur le livre, c'est vrai ! Mais il y a aussi des bons profs qui donnent des choses extra, en dehors du livre. Mais ça, au lycée, j'ai pas eu de problèmes par rapport à l'apprentissage, mais dans l'évaluation. Elle me mettait jamais 10. Elle ne voulait pas accepter que j'étais le meilleur.

59. Pourquoi, d'après toi ?

60. Parce qu'il y avait aussi 5 autres filles dans ma classe et on était en concurrence. Moi, contre 5 filles. Et... Chaque fois, elle nous disait, elle nous donnait des devoirs, donc elle nous disait « Trouvez les nouveaux mots du texte ». Moi, je ne travaillais jamais avec le dictionnaire. Et quand j'allais à l'école, dans la classe, les filles elles avaient dans le cahier écrit. Moi, sans cahier, sans rien. Et elle me dit « mais pourquoi tu n'as pas fait ? » « Vous pouvez me demander, je vais vous répondre ! Si je ne vous réponds pas, vous me mettez 4 ! » Et il y avait un mot d'origine grecque en plus ! Et c'était le mot « xénophobe » en plus, ou je ne sais pas. Quelque chose à faire avec cela, tu vois ? Et elle m'a dit « Qu'est-ce que ça veut dire ça ? » Mais j'avais pas écrit et elle pensait que je n'allais pas répondre !

XXVI

Elle ne savait pas que je parlais grec, que j'avais vécu en Grèce ! Et je lui dit ça, ça, ça, je lui donne la définition, et elle me dit « Non, ce n'est pas ça ! Tu n'as pas trouvé. » Je lui dit « Ah ok, vous pouvez chercher dans le dictionnaire ! » Même les filles, elles étaient contre moi, parce qu'elles n'avaient pas trouvé ce mot, parce que, je ne sais pas, je pense que c'était dans un autre texte qu'elle a lu. (rires) Et ensuite dans l'autre séance, on se réunit avec l'autre groupe, parce qu'on était séparé en deux groupes. Et la prof a pris le dictionnaire et en lisant, sa couleur de peau a changé, elle était toute rouge. Et après elle a dit, pas à moi, aux filles, il a raison (rires).

61. Et à partir de ce jour-là, elle a changé, elle a porté un autre regard sur toi ?

62. Non, elle m'a toujours mis 8, pendant trois ans, plus que ça.

63. Et finalement, tu penses que tu as appris le français par l'école, ou par un autre moyen ? Ou les deux ?

64. Les deux, mais à part l'école, j'ai appris surtout sur la grammaire et sur les choses comme ça, sur la syntaxe, la structure des phrases. Mais par Internet j'ai appris le reste. Donc à l'école, j'ai appris 30%, sur Internet, 70%.

65. Qu'est-ce qui t'a amené à faire ces efforts-là ? Qu'est-ce qui t'a amené à apprendre plus sur la langue française ? Est-ce qu'il y a quelque chose en particulier ?

66. Bah, je sais pas, d'un coup, j'ai beaucoup aimé la langue française et je voulais apprendre plus de choses sur la France, pas seulement la langue. Parce que quand on apprend la langue, on n'apprend pas seulement la langue, mais on apprend sur la culture, l'histoire du pays, sur les peuples. Tout. Internet, c'était le moyen, donc, où il y a les nouveautés récentes, sur ce qui se passe en France.

67. A l'école, tu avais le sentiment qu'ils n'abordaient pas du tout cet aspect-là ?

68. Non. Même on avait des méthodes très anciennes, des années 80 : Le Nouveau Sans Frontières.

69. Et tu avais une stagiaire au lycée ?

70. Non, pas de stagiaire. Mais à chaque fois qu'il y avait un français, ou des activités francophones, on était toujours présent. Seulement quand il y avait Mélanie, je me souviens.

71. Mais ça, tu étais à l'université ?

72. Non. J'étais au lycée. Seulement, on a... Elle faisait une soirée, on prenait un café et elle parlait des livres, je ne sais plus quoi... Mais même là quand je suis allé, il y avait un garçon de ma classe et les autres, c'était des étudiants. On est allé là, et tous on parlait et moi j'étais le dernier. Seulement j'écoutais, j'écoutais, j'écoutais et à la fin, quand je parlais, elle restait comme ça : « Oooh ! ». Elle ne s'attendait pas à ça.

73. Et il y avait beaucoup de gens qui venaient à ces réunions ?

74. Oui, à ce temps-là, il y en avait. On était 12, 15 !

75. Et tout le monde participait, tout le monde parlait ?

76.

XXVII

Oui, tout le monde ! Et je me souviens bien, le thème qu'on discutait « Est-ce que les livres électroniques vont remplacer les livres en papier ? » Et tout le monde participait.

77. Et après, c'était naturel de continuer le français à l'université, est-ce que c'était une suite logique ? Ou est-ce qu'à un moment donné, tu as eu envie de faire autre chose ?

78. Ouais, non, c'est que moi qui a choisi le français comme premier choix.

79. Tu voulais continuer le français ?

80. Oui.

81. Pourquoi ?

82. Pour aller en France !

83. Et tu pensais que faire une licence de français à l'université, ça t'aurait permis, ça t'aurait aidé pour aller en France ?

84. Oui, bien sûr.

85. Dans quelle mesure ? Comment tu imaginais ça ?

86. Je sais pas... Regarder, voir Paris, d'autres villes, les Français, connaître du monde.

87. Tu pensais que toi, tu serais parti comme ça en France, ou ?

88. Bah comme ça, non, mais je sais que, je croyais que je pouvais y aller...

89. D'accord, est-ce qu'à l'université, comment ça s'est passé ensuite ?

90. A l'université, c'était différent. C'était mieux, je pense.

91. Pourquoi ?

92. Parce qu'on avait toutes les matières en français. Grammaire, phonétique, histoire de France, beaucoup de matières, culture, tout.

93. Et le niveau dans la classe, il était comment, à ton époque, comment est-ce que tu trouvais les autres étudiants ?

94. En général, nous, on était six, on parlait plus, le reste, il dormait.

95. Et est-ce qu'il y a des gens comme ça qui sont passés d'une année à l'autre sans parler un mot, sans comprendre ?

96. Bien sûr ! Ils ont même un Master maintenant !

97. Et qu'est-ce que tu penses de ça ? Là, c'est le moment de te lâcher !

98. C'est pas bien, parce que ces gens-là, ils peuvent trouver un travail avant moi. Et qu'ils sont pas du tout capables de faire le travail.

99. Qu'est-ce que tu penses qu'il faudrait faire pour changer ça ?

100. Je pense qu'il faut être, qu'il faut pas... Parce que même les professeurs ils ne
sont pas libres de les faire passer d'une année à l'autre. Ils ont peur que le français disparaisse, comme branche. Ca, c'est pas mieux comme raison, d'avoir 10 étudiants, que de faire passer 30 ou 40 qui sont nuls, ils ont aucune valeur. Il y

XXVIII

a beaucoup d'étudiants qui ne viennent pas du tout en cours, et ils ont le diplôme à la fin.

101. Et pourquoi tu penses que les profs font ça, malheureusement, d'année en année ?

102. Bah, je t'ai dit, ils ont peur qu'ils restent sans travail, ils veulent continuer leur
travail. Moi, je ne peux rien faire, je n'ai pas le pouvoir de changer quelque chose. Je ne sais pas pourquoi ils ne donnent pas d'importance au français, ils donnent plus d'importance à l'anglais.

103. Pourquoi tu penses que c'est important de parler français ?

104. C'est important parce que c'est une langue qu'on utilise beaucoup dans le
monde.

L...]

105. Est-ce que tu parles français avec d'autres gens ici en Albanie ?

106. Bah je parlais avec un ami à moi, il est de Cerrik. Mais il m'a abandonné, il avait des problèmes avec sa famille, on ne se parle plus. On ne se parle plus, donc... Des fois, avec EB, mais pas beaucoup. Mais ils veulent pas, ils disent « On est en Albanie, pourquoi parler français ? »

107. Mais quand tu regardes la télévision en Albanie, c'est ce que me disait EB hier soir : « Moi, zysh, je comprends pas, parce que quand tu regardes la télévision, il y a des Albanais qui mettent des mots en italien, comme ça, complètement par hasard dans leurs phrases, pour se donner un style, un genre »...

108. Oui, c'est vrai, on utilise beaucoup des mots des autres langues. Mais ce n'est pas bien, ça parce que les jeunes, les enfants, ils écoutent ça, et ils n'apprennent pas bien leur langue maternelle.

109. Mais une langue, ça évolue ?

110. Oui, ça évolue, la langue, mais pas prendre des mots de l'italien. Ca, c'est pas évolution.

111. Tu penses que c'est une espèce de trahison à la langue, que c'est ne pas respecter la langue ?

112. Ils ne savent pas respecter la langue, ici.

113. Pourquoi ?

114. Parce que même quand j'ai fait mon stage, j'ai fait une petite dictée à la sixième classe, et c'était bizarre, beaucoup de fautes en albanais, beaucoup, beaucoup...

115. Ah tu as fait une dictée en albanais ?

116. Ils ne savaient pas écrire en albanais.

117. Je trouve pourtant que l'albanais, c'est une langue qui est très facile à écrire.

118. C'est très facile, parce que c'est comme on l'écrit, on le lit, voilà. Mais il y a d'autres raisons, je pense. Parce que les familles, quand j'ai fait mon stage, aucun parent n'est venu se renseigner pour son enfant, comment il va avec ses études, avec la langue, comment il avance. Et comme ils le savent déjà, les enfants, que

XXIX

leurs parents ne vont jamais venir, ils s'en fouttent, ils sèchent, ils n'apprennent pas, ils disent « nan, je m'en fous ». En plus, ils ont une mentalité un peu, je sais pas. Ils ne pensent pas à ce qu'ils vont devenir, leur futur, mais je pense que c'est la famille, en plus le pays. Les hommes politiques ici, ils sont tous des voleurs. C'est très dur. Il y a d'autres facteurs, je pense, qui influencent sur l'enseignement. Parce que la langue, on peut l'apprendre facilement, c'est facile. Même la grammaire, oui, c'est difficile, mais ton cerveau, il est fait pour apprendre. Mais je te dis, c'est la génération d'aujourd'hui (rires). Mais c'est la technologie, aussi, je pense.

119. Et qu'est-ce qu'elle fait la technologie ?

120. Bah tu vois, tous les enfants, ils ont un I-Phone maintenant. Et les dessins animés aussi, maintenant, ils sont tous en albanais, doublés. Et dans mon temps, à la fin, il y avait un message. Mais maintenant, je regarde, c'est nul, il n'y a rien à apprendre. Il y a seulement pour rigoler, ils veulent que rigoler. Ils ne veulent pas apprendre. Et pour les langues, ils ne sont pas motivés à l'école. Et le français, c'est difficile. Premièrement, je pense, pour la prononciation, les nasales et tout ça. Mais, malgré ça, je pense que ce n'est pas une langue à détester, à ne pas apprendre. Mais. Je pense qu'il faut étudier une autre langue. Moi, par exemple, comme deuxième langue, j'ai pris allemand, parce que je connaissais déjà l'anglais. Au lycée et à l'université, ça fait 7 ans. L'espagnol, je l'ai appris aussi à la télé, en regardant les téléfilms mexicains. Le portugais, je te dis, parce que je joue à un jeu. Je ne le parle pas très bien, mais pour l'écrire, je parle avec eux, ce n'est pas un problème.

121. La musique française, est-ce qu'on entend de la musique française, en Albanie ?

122. Non ! (rires). Quelques chansons, comme Garou, comme Lara Fabian, Céline Dion. Stromae, un petit peu, mais on ne l'écoute pas, parce que c'est en français et parce que c'est le rythme, la musique, c'est pour ça, Stromae. Et en ce qui concerne l'apprentissage des langues étrangères, quand il y a un étranger, ils sont timides, ils ne veulent pas parler avec eux. Parce qu'à chaque fois qu'il y a des étrangers, des amis à moi, ils me disent « Oh, il y a un étranger ». Ils ne vont pas lui demander s'il sait parler, je ne sais pas pourquoi. Et c'est peut-être pour ça que ça ne les intéresse pas d'apprendre la langue. Mais moi, je suis un cas particulier, parce que j'ai vécu en Grèce, déjà. Moi j'aime beaucoup la langue grecque, parce que ça m'a beaucoup aidé. Mais ici, si tu dis à un Albanais, « Je vais t'apprendre le grec, gratuit, tu ne vas rien payer ». Ils ne veulent pas.

123. Pourquoi ?

124. Parce qu'ils disent « Oh, je déteste les Grecs ! ». Voilà.

125. Est-ce qu'il y a une montée d'identité nationale ?

126. Oui, ça aussi, mais... Apprendre une langue, ça ne veut pas dire trahir ton pays. Parce que tu vois, moi, j'ai passé mon adolescence, c'est à dire le moment où un enfant crée son caractère, et tout, en Grèce, c'était différent ! Et l'Albanie est trop petite dans le monde, il y a beaucoup d'autres pays dans le monde qu'il faut aller visiter, des choses qu'il faut voir, regarder... En plus, c'est une facilité pour entrer en contact avec d'autres pays, avec d'autres gens. Je ne sais pas pourquoi ils ne sont pas motivés. Quand on a fait une matière, traduction, je pense, il y a un prof qui nous a dit « les langues sont comme des armes pour

XXX

l'être humain ». Ca aide beaucoup comme un as caché dans sa manche. Peut-être pour le moment, je n'ai pas trouvé un travail, mais, ça sera plus facile pour moi que pour un autre qui ne parle pas la langue. Par exemple, si je vais dans un autre pays, ça sera plus facile pour moi, que pour un autre. Et si tu connais la culture, c'est un plus, pas seulement, la langue, tu vois ? Quand je parle français, c'est mieux pour moi de parler français chaque jour, que de parler en albanais.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire