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L'Albanie, histoire de langue(s) : pour une approche sociodidactique de l'enseignement apprentissage du français en contexte universitaire albanais


par Amélie GICQUEL
Université Paris 3 La Sorbonne Nouvelle - Master 2 professionnel Sciences du Langage mention Didactique du Français et des Langues Etrangères 2014
  

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Chapitre 3 : La Francophonie en Albanie

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« La poire mûrit en regardant l'autre poire ».

Proverbe albanais

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Introduction

Nous avons vu dans la partie précédente que les structures organisationnelle et éducative de l'enseignement supérieur albanais ont subi de profonds changements nécessaires dans un premier temps à la démocratisation du pays, puis que ces réformes étaient couplées à cette première intention et directement orientées pour favoriser l'adhésion à l'Union Européenne. Nous avons également vu qu'un certain nombre de changements était encore nécessaire pour permettre à l'institution éducative et universitaire d'être effective. Du point de vue des langues, l'offre linguistique proposée dans les écoles primaires et secondaires n'est pas toujours à considérer comme une « offre » quand le choix de l'étude de la première langue étrangère n'est pas libre mais arbitraire, à supposer que l'enseignant soit formé dans la langue étrangère cible, rigidité d'offre qui sera par ailleurs renforcée dès la rentrée 2014-15 quand le gouvernement annonce réduire les effectifs d'enseignants de langues de 350 personnes (en particulier le français et l'italien). La difficulté de trouver un emploi, les représentations négatives qui circulent autour de l'Ecole en tant qu'institution, pour l'utilité qu'elle devrait avoir mais dont les fonctions ne sont pas remplies à cause d'un nombre important de dysfonctionnements, et le manque de valorisation du métier d'enseignant représentent autant de facteurs qui rendent difficiles la concrétisation des tâches didactiques et le rôle social des enseignants. En partant du postulat que le développement du plurilinguisme chez les individus d'aujourd'hui est une nécessité pour s'ouvrir au monde extérieur (énoncé déjà par le Conseil de l'Europe dans Legendre, 1998), il est intéressant de voir comment les langues étrangères sont inscrites par les Etats dans leurs institutions scolaire et universitaire. La qualité de l'enseignement des langues étrangères et une définition élaborée des politiques linguistiques et éducatives par les gouvernements concernés (Coste et al. 2009 [1997]) pourraient permettre cette ouverture à l'Autre déclinée dans les textes officiels promulgués en Europe et que l'Albanie a officiellement ratifiés. Cependant, cette ouverture à l'Autre semble compromise ou être portée sur le développement d'une vision tout autre de l'utilité des langues étrangères, si l'image diffusée à propos de ces dernières par le gouvernement d'un pays est celle d'instruments, d'outils, désincarnés de leurs valeurs, ce qui jure par ailleurs avec l'idée que les langues sont porteuses de valeurs, comme mentionné par Charandeau 2006 (voir supra, chapitre 1). Canut & Duchêne (2011) précisent en dernier lieu de leur publication qu'il est nécessaire de se dissocier de toute vision romantique pour pouvoir considérer la question concernant les concepts qui découlent

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du paradigme « langue, pouvoir et inégalités sociales », et l'on admettra qu'il y a des clarifications à effectuer vis-à-vis de la posture à adopter quant à l'utilité d'une langue, ou tout du moins à celle qu'on veut bien lui donner. J'ai fait le choix de ne pas prendre position mais de relever les débats qui s'attachent à cette nécessité.

Pour quelle définition du plurilinguisme effectif comme passeport à la scène extérieure, de la nécessité d'assimiler un code linguistique étranger, et comment le ranger à côté de son premier code linguistique, celui qui forme précisément à la capacité de langage. J'ajouterai à cette remarque une autre que l'on m'a souvent faite, et que je rapporterai de manière neutre car pas en mesure de la juger, à savoir que de plus en plus, « les jeunes Albanais ne savent pas parler leur propre langue ». Il s'agit évidemment d'une prise de parti clairement subjective et aucune donnée ne saurait justifier cela. On retiendra dans ce cas-là que les Albanais en général déplorent profondément les compétences des jeunes vis-à-vis de leur langue maternelle même. A ce propos, il faut savoir que l'albanais est une langue qui se transcrit de la même manière qu'on la prononce et que l'on peut imaginer que la grammaire de cette langue (bien que difficile pour un étranger) ne devrait pas poser de difficulté majeure à un locuteur natif25. Ce constat semble à première vue encore plus alarmant.

Le français est une langue en perte de vitesse et pas seulement en Albanie, ce qui constitue l'une des priorités d'instances telles que l'Organisation Internationale de la Francophonie pour ne nécessiter que la plus grande, positionnée comme en sérieuse concurrence avec l'anglais, langue du business, de l'économie, des finances, des échanges de capitaux monnayables. Nous verrons de quelle manière le français s'ancre dans le paysage albanais, du point de vue institutionnel, puis didactique en voyant ces points de contact entre ressources langagières et contextes dans lesquels ces ressources sont observées et les significations qui lui sont accordées, tel que cela a été annoncé en chapitre 1 (voir supra p. 44).

I/ La Francophonie : définitions et statut 1.1. Pour quelle F/francophonie ?

Il convient de faire une rapide précision quant à ce terme. On désigne la francophonie comme étant la communauté des locuteurs de la langue française à travers le monde, sans distinction d'origines, que le français soit la première langue acquise par ceux-ci ou qu'elle ait

25 Voir Domi (1966 : 19-32) pour une présentation de la structure grammaticale de l'albanais moderne.

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été assimilée ultérieurement. La première désignation est apparue pour la première fois au XIXème siècle par Onesime Reclus. D'après lui, « la langue fait le peuple » (1917 : 114-6), et c'est à travers l'ancrage d'une langue sur un territoire, sa « coagulation », que le peuple développe ses valeurs et « se subordonnent » à celle-ci. La Francophonie désigne quant à elle, l'ensemble supranational surtout incarné par l'OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) de réseaux institutionnels, organisant les relations de natures diverses, entre les Etats membres de cet ensemble. Cependant l'OIF est récente comparée à la volonté de réunir les individus sous la connaissance et le partage de cette langue.

C'est à partir de 1926 que la langue française réunit des professions d'abord littéraires (création de l'Association des Ecrivains de Langue Française), puis politiques dans les années 1950. C'est d'ailleurs à cette période que ceux qu'on appelle « les pères de la Francophonie » proposent la création d'une instance intergouvernementale réunissant les pays où la langue française est pratiquée, sous l'impulsion de Léopold Sédar Senghor et Habib Bourguiba. En 1970, l'Agence de Coopération Culturelle et Technique voit le jour à Niamey au Niger et prévoit de permettre la coopération entre pays où la langue française y est vivante. L'ACCT est devenue plus tard l'OIF. Son action s'étend aujourd'hui dans divers domaines (sports, littérature, l'enseignement, éducation universitaire et recherche scientifique avec l'AUF, différentes professions, et politique) pour permettre la solidarisation des Etats et des peuples officiellement membres de son réseau francophone sous l'adoption et le respect de valeurs universelles (comme le prévoit le préambule de la Charte de la Francophonie, 2005), en respect de la diversité linguistique et culturelle. En ces termes, l'OIF, d'après son site Internet officiel, prévoit de permettre :

- « l'instauration et le développement de la démocratie

- la prévention, la gestion et le règlement des conflits, et le soutien à l'État de droit et
aux droits de l'Homme

- l'intensification du dialogue des cultures et des civilisations

- le rapprochement des peuples par leur connaissance mutuelle

- le renforcement de leur solidarité par des actions de coopération multilatérale en vue

de favoriser l'essor de leurs économies

- la promotion de l'éducation et de la formation ».

Ces objectifs se concrétisent à travers les missions suivantes, prévues dans un cadre stratégique :

- « Promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique

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- Promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l'Homme

- Appuyer l'éducation, la formation, l'enseignement supérieur et la recherche - Développer la coopération au service du développement durable ».

L'OIF institutionnelle prévoit à travers ces termes de promouvoir le développement et la protection des Etats membres qui ont adhéré à cette large fédération d'Etats où la langue française est observée et pratiquée, au nombre aujourd'hui de 57 pays membres et de 20 autres observateurs. La langue française à travers l'expansion coloniale de la France ces derniers siècles a permis de donner naissance à cet ensemble d'espaces officiellement francophones ou non (d'après le statut de la langue française dans ces pays).

C'est précisément à cet endroit que naît la critique de l'intégration de nouveaux membres et de la place accordée à la francophonie, qu'est-ce qui fait qu'un pays est francophone ? Son Etat, son passé, son peuple et son goût avéré pour la langue française ? La Bulgarie n'a pas le passé de colonisé du Sénégal, mais on dit encore « merci » (en bulgare dans le texte). Le bien-fondé de l'institutionnalisation de la francophonie, plus ancienne que sa petite soeur au F majuscule que l'on voit pourtant beaucoup plus que l'autre qui s'avance en termes de connaissances linguistiques et culturelles et auxquels s'adjoignent les francophiles. C'est dans ce sens que s'érige Provenzano en qualifiant la Francophonie de « projet d'expansion » (2006 : 96). L'espace sur lequel l'OIF existe, à travers l'adhésion de pays à tradition plus ou moins forte ou connue du large public, est également sujet à débat.

Il est reconnu que ce n'est pas l'adhésion à cette organisation qui rend un pays francophone ou non (exemple des Etats-Unis ou plus complexe, de l'Algérie). La notion d'espace est donc assez diffuse quand il s'agit de déterminer qui est francophone ou non, dépassant des réalités culturelles et sociales pourtant bien réelles et observables. On pourra dire pourtant que les Etats qui ont été acceptés au sein de cette organisation se réunissent tout du moins autour des valeurs, des objectifs et des missions prônées et statuées dans des textes constitutifs et lors des sommets de ce réseau fédérateur. Cependant, dans la mesure où l'OIF est une organisation supranationale (sans compter ses bureaux de représentations décentralisés et dotés d'une autonomie relative), il faut également savoir se tourner vers des données quantitatives qui sauront faire parler les nations plus que les accords de coopération politique, et économique, pour définir correctement la notion de « francophonie », car rappelons-le, ce sont les locuteurs qui construisent l'utilité qu'ils ont d'une langue, qu'elle soit premièrement ou ultérieurement acquise. La grille d'analyse des situations linguistiques de Chaudenson & Rakotomalala (2004) et ses travaux sur les moyens d'analyse des situations

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sociolinguistiques nationales permet justement de prendre en compte deux paramètres complémentaires pour obtenir un résultat d'analyse plus contrasté, mais plus à même de permettre une réflexion plus proche de la réalité sociale, politique et culturelle d'une communauté linguistique et de ses pratiques. La seule prise en compte des initiatives politiques et politiciennes (telles qu'elles sont décrites dans le statut d'adhésion à l'OIF) ne prennent pas en compte les `représentations' des locuteurs pour déterminer si la francophonie y est installée, au même titre que leurs pratiques pour pouvoir mesurer l'avenir que la connaissance et la pratique de cette langue se forgent en fonction des locuteurs et de leurs choix et besoins sociolinguistiques (Porcher, 2012). L'OIF accorde effectivement un regard aux aspects suivants :

- Du point de vue linguistique (statut du français, nombre de locuteurs, présence de structures planifiant la promotion et la diffusion du français)

- Du point de vue pédagogique

- Du point de vue culturel

- En termes de communication

- Des points de vue économique, politique et juridique

- Du point de vue associatif

- Au plan international et multilatéral.

On peut imaginer que la mise en place de structures oeuvrant pour l'un ou l'autre de ces aspects visera l'adresse et l'utilité que les locuteurs peuvent avoir d'une langue, cependant, la charte de l'OIF ne prévoit d'accorder un regard à la façon dont les locuteurs d'un pays concerné vivent la langue française, à travers leurs pratiques, leurs représentations et leurs discours, ce qui laisse penser qu'il manque un maillon à la chaîne de l'observation des pratiques réelles des citoyens de ces Etats membres. C'est en cela que l'Observatoire de la langue française devenu Observatoire du français et des langues nationales, dirigé par Chaudenson, émet des données intéressantes sur la situation des pays membres de l'OIF.

Alors qu'on s'intéresse aux effets que peuvent avoir le développement de compétences plurilingues et pluriculturelles et sur la façon dont il est géré par les acteurs concernés aux effets du développement de compétences plurilingues, et en particulier pour le français, nous regarderons premièrement dans quelle mesure l'Albanie peut être Francophone, avant de regarder sa francophonie dans un second temps.

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1.2. Zoom sur les Balkans : pour quelle francophonie ?

A partir des années 1990, l'OIF commence à ouvrir ses portes et à introduire les ex pays du bloc communiste d'Europe de l'Est. Les réticences émises quant à l'admission de ces nouveaux pays ont nourri le débat de la question de l'identité de l'OIF et des principes fondamentaux qui soutiennent son existence. Les souteneurs de l'argument de la suprématie linguistique sur un territoire ont alors vu l'attention se déporter des anciennes colonies françaises vers une région où le français n'a jamais été langue officielle. Le recentrement de la question de l'appartenance à la Francophonie sur des justifications linguistiques désarme cyniquement les défenseurs de la diversité culturelle. A partir de 2002 avec la Déclaration de Beyrouth et plus encore en 2006 avec le XIème Sommet de la Francophonie organisé à Bucarest, les représentants de l'OIF ont clairement tenté de définir la tournure que prenait la définition de la F/francophonie : en quoi l'installation de la Francophonie institutionnelle est-elle justifiée quand on n'observe pas de massifs pourcentages de locuteurs francophones, en Europe de l'Est (quand ils ne dépassent pas 28% de la population totale, seul cas de la Roumanie) ?

Le simple fait de réunir les membres de l'OIF dans un de ces pays tentera de soutenir la volonté avancée par Abou Diouf de voir tout le sens des missions de l'OIF se concrétiser dans des régions comme celles-ci, ayant vécu avec des oeillères sur la diversité du monde tout au long d'un large pan du XXème siècle. A travers son discours tenu lors du XIème Sommet de la Francophonie en 2006, le Secrétaire Général de la Francophonie propose que la seule connaissance du français ne doit plus être le seul critère d'admissibilité, la diversité linguistique et culturelle étant une nécessité pour permettre le dialogue entre les peuples, et lance que l'OIF soutient la diversité culturelle avec le français en partage : « Soyez fiers d'être francophones. Vous avez tant de choses à nous offrir. Tant de choses à apporter à cette Europe forte et riche de sa diversité dont nous avons besoin » (2006 : §4). . La francophonie ne se replie plus sur son passé de colonisatrice, mais s'étend à des zones où la langue française, pour ce qu'elle a souvent permis par le passé, peut prendre un nouveau sens en ce début de XXIème siècle où les frontières linguistiques et culturelles sont de plus en plus fines. Le français, langue de démocratie à travers le monde, peut incarner un rôle qu'on ne sait donner à personne depuis que les Grandes Puissances ont disloqué les territoires ethniques balkaniques. La langue française pourrait rendre ses particularités à chacun pour ce qu'il incarne fondamentalement, autant qu'elle fédère par les valeurs qu'elle incarne, toujours d'après le discours d'Abou Diouf. Cependant, cette synergie identitaire fait débat et amène à se poser la question si les aspirations de la Francophonie ne relèverait pas plutôt d'une utopie

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(Marie : 2009), autant que la perte de vitesse de la francophonie provoque des inquiétudes (dans le débat contre l'hégémonie de l'anglais), ou de nécessaires questionnements pour une meilleure définition du concept même de la pluriculturalité.

Comme une entière conférence a été consacrée à la méthodologie de l'appréhension et de la compréhension des situations linguistiques dans l'espace francophone (OIF, 2008), au sens entendu par Chaudenson pour la majeure partie, on rappellera ici l'importance distinction qui doit être faite entre les raisons pour lesquelles la francophonie s'installa dans différentes zones du monde :

- français langue d'occupation violant la pérennité de codes linguistiques plus anciennement ancrés sur leurs territoires respectifs (du seul point de vue de la langue),

- le français langue d'apprentissage dans les zones où le français est appris comme une
langue étrangère

- et certainement encore d'autres classifications qui offrent un rayon large de

représentations propres à chacun et difficile à modéliser, mais qui peut certainement très bien s'adjoindre aux quatre sens donnés à la francophonie par Deniau (1983 in Marie 2009) à savoir les sens linguistique, géographique, mystique et spirituel, ou encore institutionnel.

Faut-il trouver un consensus sur ce que la francophonie fait résonner en chacun des peuples, des locuteurs de l'espace francophone pour que la définition de ce concept ne marginalise personne quand les valeurs accordées à la langue française font elles-mêmes débat (Dumont, 1990) ? Et si la francophonie permettait à chacun de catalyser une identité en mouvement, au sens où les grands textes défenseurs du plurilinguisme le prévoient ?

1.3. Origines de la Francophonie en Albanie

Du point de vue extérieur, l'Albanie fait tantôt partie de l'Europe de l'Est par opposition au bloc occidental où l'Europe politique dotée d'anciennes traditions démocratiques est née, tantôt à l'Europe centrale et orientale (PECO) pour réunir les différentes instances de cette région du monde sous un assemblement téméraire et pourtant nécessaire (en référence aux tensions ethniques et politiques dans les Balkans principalement depuis la fin du XIXème siècle), tantôt à l'Europe du Sud par les pays d'Europe de l'Est. Nous préfèrerons l'appellation « Europe orientale », dans le sens où assimiler l'Albanie à l'Europe de l'Est fait moyennement sens tant par sa position géographique que par le fait qu'elle n'a pas été géopolitiquement absorbée par l'URSS, et que l'Europe du Sud est également

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moyennement identifiable ; bien que soumettre l'Albanie à l'Orient ne joue pas en sa faveur, en rappel des frissons que provoquent la proximité musulmane d'une Europe à tradition chrétienne. La géographie, en fonction de son instrumentalisation, détermine différentes appartenances (Chanoir, 2009). Pays majoritairement musulman d'après des données quantitatives qui ne reflètent pas la réalité vécue des Albanais mais dont on aura mal à défaire les cordages, et par son ancienne annexion sous l'Empire Ottoman rendu maître de l'orientisme, la figure d'une société patriarcale telle qu'elle est décrite par Doja (2000) et certaines pratiques observables en Albanie que l'on accorde volontairement à cet Orient modélisé de l'extérieur parachèveront la classification rédhibitoire de l'Albanie dans la moitié du monde où le soleil apparaît plus tôt qu'ailleurs. Ce déterminisme primaire entérine toute possibilité de dialogue intéressé et intéressant, mais il fait l'état des idées reçues dont l'Albanie, à titre d'exemple, est tributaire encore en plus quand un phénomène de « déni des cultures » est observé par ce sociologue français qui déclare la multiculturalité comme incontournable de nos jours (Lagrange, 2014). Doit-on rappeler que l'installation de pareil régime totalitaire par Enver Hoxha fut motivée par la ferme intention de se dissocier enfin de cet Orient qui aura envahi les rues (par l'architecture souvent rasées), les croyances (par les vagues d'islamisation imposées dont les conséquences auront été supprimées dès 1967 et l'interdiction de cultiver un culte religieux), le vocabulaire et les valeurs des Albanais ? A ce sujet, l'oeuvre Problèmes de la formation du peuple albanais, de sa langue et de sa culture: choix de documents (1985) composé de contributions de plusieurs intellectuels albanais de référence (sous le régime communiste) propose un grand nombre d'informations à ce sujet, à condition qu'on sache dissocier l'information du cadre idéologisé dans lequel elle inscrit.

Plus officiellement, c'est précisément dans le cadre de la redéfinition des missions de l'OIF que la progressive admission de l'Albanie au sein de cet ensemble a été proposée :

- Au VIIème Sommet de l'OIF à Hanoi (1997), l'Albanie est invitée pour la première fois en

tant qu'observatrice des activités tenues lors de cette réunion particulière où l'attention est portée sur la prévention des conflits entre les Etats membres. La volonté des représentants des pays à ce Sommet est clairement de s'adjoindre aux efforts de paix déjà entrepris par la communauté internationale. Rappelons que la même année, la guerre civile éclate dans ce pays.

- Au VIIIème Sommet à Moncton (Canada, 1999) : la Francophonie s'apprête à asseoir ses objectifs politiques au service de la communication multi et pluriculturelle. L'Albanie obtient le titre de membre associé en même temps que la Macédoine, ce qui est

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officiellement vu comme un succès dans la constitution d'un espace francophone dans l'ex bloc de l'Est et officieusement pointé du doigt par ses opposants.

- Au XIème Sommet à Bucarest (Roumanie, 2006) : l'Albanie obtient le titre de membre de plein droit au sein de l'OIF, en même temps que la Grèce, la Macédoine et la principauté d'Andorre. Lors de ce même sommet, les membres de l'OIF ratifient la Charte de l'UNESCO visant à protéger la diversité culturelle et linguistique au sein des pays membres de l'OIF.

C'est lors de ce dernier sommet que l'on rigidifie l'admission de nouveaux membres : elle se fera désormais à partir du vote unanime de la Conférence des Etats et des gouvernements ayant le français comme langue de partage. C'est précisément dans le cadre de la politisation de l'OIF et de la définition de ses objectifs en termes de défense de la paix et de la protection des droits fondamentaux des citoyens des Etats membres que l'Albanie est admise au sein de ce grand ensemble. L'admission d'un nouveau membre dans l'OIF doit cependant toujours se faire d'après la promotion de la langue française si elle n'est pas déjà langue (co-)officielle de l'Etat concerné.

La francophonie en terre est vue comme une tentative stratégique de se rapprocher de l'UE et de l'OTAN, ouvrant une voie royale sur la scène politique et économique internationale (Leclerc, 2014 §7.1 ; Perrot, 2009), ce qui inviterait à réfléchir plus concrètement aux raisons qui invitent l'Albanie à se rapprocher de l'OIF. Nous laisserons momentanément la francophonie institutionnalisée et ses soubassements conceptuels pour justement revenir à ce qui peut justifier en partie cette question, en s'intéressant à la présence linguistique française en Albanie. On peut se rappeler du français, langue des élites ottomanes, à travers la stratégie de la France de s'imposer dans cette région (Popescu, 2004 : 24) quand un certain nombre d'Albanais ont intégré la haute administration de l'Empire, ou bien quand la France et sa culture permettaient de se battre, parfois au sens propre, contre des influences étrangères près de soixante ans avant la création de l'OIF (Robert, 1998). C'est grandement attachée à la France que l'Albanie a vécu la première moitié du XXème siècle. Voyons donc quel oiseau a pris le français au sein de ses frontières d'origine pour l'emporter dans le pays des aigles et de quelle manière cette langue y fit son nid.

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II/ La francophonie en terres albanaises 2.1. Les Albanais, têtes de Turcs

Déterminer l'espace géographique qu'a occupé l'Albanie permet primairement de répondre à la question de l'origine de la francophonie dans cette région. Au même titre qu'un grand nombre de régions des Balkans autrefois annexées par l'Empire Ottoman, au sein duquel le français était langue d'élite et d'exception (Besse, 2007 ; Aksoy, 2007 ; Thobie, 2007). L'Albanie vit quelques-uns de ses citoyens intégrer les hautes écoles de l'Empire puis la haute administration de la Sublime Porte, avant de revenir défendre la cause de l'Albanie quand l'opportunité se présentait (en réaction à la présence ottomane ou par voie d'élection politique).

Dans la synthèse sur la complexité d'identifier le sentiment d'appartenance nationale albanais et au sein de quelles frontières géopolitiques (voir supra, chapitre 2) , on aura déjà eu le temps d'apprendre que ce sont des valeurs attribuées à l'Histoire de la France plus qu'à celle de la Francophonie qui auront permis à l'albanais et au français et à leurs valeurs respectives, de rayonner, comme ça a pu être le cas dans un grand nombre de pays (les valeurs démocratiques attribuées à la France ont contribué à la naissance de certaines révolutions sociales en Amérique du Sud notamment). Ces intellectuels ont ensuite presque tous eu l'occasion de côtoyer personnellement la France et ses sphères intellectuelles, avaient lié des amitiés avec d'éminents personnages des mondes de l'intellect philosophique, scientifique ou politique (Faik Konitza et Apollinaire, Fan Noli et son travail pour l'intégration de l'Albanie dans la SDN, Ismail Qemal et sa participation à la Conférence de Paris, le roi Zog et sa francophilie qui lui offriront le droit d'asile...). Ces représentations auront d'ailleurs perduré plus tard et au-delà des valeurs attribuées aux philosophes des Lumières qui auront inspiré les intellectuels albanais de la fin du XIXème siècle puisqu'Enver Hoxha lui-même a été vecteur de transmission de ces valeurs à travers sa propre expérience du monde français et francophone. Après l'obtention de son baccalauréat auprès du lycée français de Korça, ses études supérieures amorcées à la Faculté de Médecine de Montpellier et à la Sorbonne en droit, ses quelques années rue Monsieur le Prince à Paris, et un emploi de courte durée à Bruxelles, il revient en Albanie au début des années 1940, armé d'enseignements directement tirés des discours de Léon Blum dans ses réunions du Front populaire des années 1930 à Paris (pratiquement au sens propre puisqu'il s'apprête à créer des forces armées qui lutteront contre l'occupation italienne). L'apprentissage du français intégra ensuite l'offre linguistique proposée au sein des écoles de l'Albanie communiste avec cette petite lucarne sur le monde francophone que l'utilisation des Cours de Mauger et de la lecture d'oeuvres littéraires

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autorisées ou non ont pu proposer, et ce que ça a pu répandre en lumière et en oxygène auxiliaire de survie mentale et intellectuelle.

Le rayonnement de ces personnalités dans l'Histoire albanaise (bien qu'elle eut été instrumentalisée au profit de l'instauration du régime communiste) aura contribué à orienter les représentations du peuple albanais concernant les valeurs transmises à travers la langue française. Seulement une francophonie plénipotentiaire reste encore un horizon d'avenir lointain aux yeux d'une communauté de locuteurs francophones toujours plus restreinte (Kumbaro, 2009)26. Proposons alors un panorama de la présence du français avant de pouvoir déterminer la situation linguistique de l'Albanie vis-à-vis du français.

2.2. Facteurs de promotion et de diffusion du français en Albanie

La présence de la France est reconnue comme étant ancienne et productive, en particulier depuis ces dernières années où, à travers le Ministère des Affaires Etrangères et la délégation diplomatique française sur place, a soutenu l'Albanie dans ses démarches de développement (France Diplomatie, 2014). Cependant, les liens d'union entre ces deux pays ne reposent pas uniquement sur l'accompagnement proposé par la France dans les démarches de l'Albanie pour intégrer l'Union Européenne, bien que cela devrait être encourageant au regard de l'Albanie.

2.2.1. Facteurs historiques et culturels

Les premiers contacts entre la France et l'Albanie remontent au XIème siècle quand les Normands envahissent près de la moitié de l'Europe. La bataille pour l'occupation de l'Albanie entre les Normands et les Vénitiens fera changer l'étendard qui flotte au-dessus des villes de la côte albanaise un certain nombre de fois jusqu'en 1272 où le roi Charles Ier de Naples propose l'autonomie de la ville de Durrës, sous le royaume d'Anjou. En 1285, il meurt et les grandes familles albanaises n'admettent plus aucune suprématie française sur leurs terres. On attend ensuite le XIVème siècle pour revoir une famille française avoir un pied de l'autre côté de l'Adriatique. Tanush Topia, Comte de Durrës, rencontre Hélène d'Anjou, fille de Robert Ier Roi de Naples, de Sicile et d'Albanie alors qu'elle se destinait à rejoindre son futur époux de naissance française en Grèce. Lors d'une escale à Durrës, elle rencontre le comte

26 Cette ancienne enseignante de français auprès de la Faculté des Langues Etrangères de Tirana est aujourd'hui Ministre de la Culture et intervient dans un grand nombre de colloques et de conférences oeuvrant pour la défense de la langue française en territoire albanais et pour la promotion de la culture francophone.

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Topia, tombe amoureuse et rompt ses engagements précédents. Ce couple donnera naissance à Charles d'Anjou que la bonne fortune écartera d'un voyage de ses parents vers la maison du Roi Robert Ier duquel ils ne reviendront pas, assassinés par ce dernier qui n'a pas supporté l'injure faite à ses engagements. En réponse de ça, Charles qui n'est autre qu'un descendant du frère de Saint Louis, ne reconnaîtra pas les revendications de sa famille maternelle sur le comté de Durrës.

La France a également souvent soutenu les prétentions à l'indépendance de l'Albanie au fil des siècles. Ali Pasha de Tepelena, installé à Janina (Ioannina en Grèce) aura entretenu des relations diplomatiques avec l'Empire de Napoléon Bonaparte à travers François Poucqueville, reconnu consul de France à Janina. A cette époque, la place accordée aux pouvoirs français n'est pas moindre, bien que le pouvoir d'Ali Pasha ne soit pas apprécié par tous (Bonaparte compris). Un bastion albanais rejoint l'armée de Bonaparte en 1807 pour servir l'Empereur et aider à la libération de plusieurs villes albanaises tombées aux mains des Russes. Cependant, Bonaparte n'honore pas cette démarche et garde ses nouvelles possessions de la Mer Ionienne. En 1814, il abdique, attribuant ses terres aux Anglais. En 1822, Ali Pasha tombe, il est décapité, Poucqueville, avec qui il aura entretenu de belles périodes d'amitié rentre en France. Toutefois, ses recherches ont contribué à la constitution d'une certaine ethnographie albanaise. Elles seront rejointes 60 ans plus tard entre autres par celles du sénateur d'Estournelle, envoyé par la France en Albanie pour aider à déterminer les frontières avec le Monténégro. En 1920, de retour de mission et en conférence devant la Société de Géographie en Sorbonne, il déclare :

« L'Albanie serait aujourd'hui une nation peut-être aussi respectée, aussi éclairée et rayonnante que la Suisse car elle a un climat, un sol et des habitants excellents... Je souhaite que la Société des Nations s'intéresse au sort de l'Albanie pour qu'elle fasse comprendre ce qu'on pourrait faire de l'Albanie, pour l'Albanie, par l'Albanie, il faut que l'Albanie soit heureuse, libre, prospère, pour que nous vivions en paix » (cité par L. Rama, 2005 : 182).

C'est pourtant dans les régions les plus inhospitalières du point de vue du relief, en voyage dans les villages de Vermosh et de Hani i Hotit, là même où le Kanun de Dukagjin (loi coutumière du Nord qui dit depuis de longs siècles que l'Albanais doit avoir un respect inconditionnel pour l'ami et pour l'étranger), que le sénateur d'Estournelle base ses propos. Ami Boué, géographe et ethnologue français, autant que Marguerite Youcenar auront pu témoigner de l'extrême hospitalité et bravoure des habitants des montagnes albanaises.

Au XIXème siècle, et peu de temps après que la Première Guerre Mondiale éclate, le Commandant Sarrail détache un bastion français dans le Sud-Est de l'Albanie alors que la ville

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de Korça est occupée par les forces grecques. Le 16 novembre, le Capitaine Henri Descoins à la tête de ces soldats, repousse la Grèce derrière ses frontières. Les Albanais dressent les Français en héros, leur demandant de les aider à se constituer indépendants. En une année, les hommes de Descoins auront aidé Themistokli Gërmenji, à la tête du conseil de gestion de la région de Korça, à établir un certain nombre de lois permettant d'améliorer la vie des Albanais sur place. Cela ne manque pas d'étonner les Grandes Puissances qui demandent des comptes à la France. Le Commandant Sarrail laisse faire momentanément, avec la justification que la position est stratégique, jusqu'en 1918 où le protocole qui aura fait naître la République indépendante de Korça est abrogé. En mai 1920, on demande la démobilisation de l'armée française de Korça et la signature d'un protocole de paix (protocole de Kapshticë) entre la Grèce et l'Albanie qui permet d'attendre des frontières entre les deux pays soient définies. Cependant, Gërmenji ne verra pas plus loin que cette année-là, jugé et condamné à mort (le dossier traitant de ce jugement est classé secret défense dans les archives du Ministère de la Défense à Vincennes jusqu'en 2017, date à laquelle ce dossier sera ensuite accessible). Les soldats français ne se doutaient certainement pas que le lycée créé en collaboration avec des enseignants albanais en octobre 1917 allait durer jusqu'en 1939 avec M. Xavier de Courville (ancien directeur de théâtre de marionnettes parisien) à sa direction, et qu'il formerait quelques-unes des figures politiques et littéraires albanaises les plus importantes du XXème siècle, dont les dirigeants du PCA. Cet épisode bref mais profond aura décerné le surnom de « Petite Paris » à la ville de Korça pour ses avenues propres pavées et bordées d'arbres. La région protège toujours son patrimoine français pour les 640 tombes françaises qui sont restées à Korça, et celle du médecin de l'armée à Voskopoja, mort d'une fièvre alors qu'il était parti y soigner des habitants.

Des figures littéraires telles que celles de Ronsard, Lamartine, Hugo, Loti, Dumas ou Apollinaire auront décrit leur admiration pour le peuple albanais décrivant tantôt des chants à la gloire de Skanderbeg, des hymnes au respect de ce peuple pour sa bravoure au combat ou sa passion de la liberté, allant jusqu'à romancer la fin d'Ali Pasha de Tepelena dans le Comte de Monte Cristo, ou pleurer une amour perdue dans les rues de Thessalonique ou de Londres. Finalement, au nom de l'admiration pour la France, Said Toptani, étudiant en philologie à la Sorbonne sera monté au sommet du Panthéon, faisant flotter le drapeau français sur Paris un jour de février 1848 quand toute la ville s'insurgeait contre le règne de Louis-Philippe. Et ce grand geste pour la patrie de l'un est rendu à la patrie de l'autre sous les mots de Lamartine quand il dit que « la chose immuable sans égal chez les Albanais est la passion de la liberté et

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de la gloire » (in L. Rama27, 2005 : 61). Les expertises d'Albert Kahn en 191328 (photographe et voyageur) et de Léon Rey en 1924 (archéologue) auront rendu une partie de leur Histoire aux Albanais en ayant créé les seules photographies de l'Albanie du début du XXème siècle pour le premier, et en mettant à jouer la cité antique d'Apollonia pour le second.

Le roi Zog a également cultivé une francophilie certaine, bien que principalement tourné vers l'Italie par proximité géographique de son pays avec le pays du Duce à l'époque, et aura même trouvé refuge en France de 1939 (quand les Italiens envahissent l'Albanie) à 1961, date de son décès en région parisienne. La famille royale albanaise garde un lien certain pour la francophonie, bien que les descendants d'Ahmet Zogu ont grandi en Afrique du Sud. Le Prince Leka II marié à une française d'origine albanaise, est l'héritier légitime du trône albanais, pour l'instant, conseiller permanent à la Présidence d'Albanie. Du point de vue politique formel, l'Albanie se sera fermée à l'extérieur pendant de nombreuses années mais les représentations qui circulent à propos de la France et de son peuple (par la classe politique albanaise) restent valorisantes et se détachent du reste du monde impérialiste débéqueté par Enver Hoxha quand il dit en première page de son autobiographie publiée post mortem : « J'admirais la France et son peuple pour ce qui appartenait d'eux : l'histoire, mais j'admirais et respectais aussi ses gens pour leur fierté de leurs prédécesseurs, pour leur sensibilité au destin de leur pays » (1988 : 7). Après les années 1990, l'Albanie a soif d'autre chose, voyons comment les pays d'Europe et la France répondent à ce besoin exprimé.

2.2.2. Facteurs politiques et économiques

La France est la première à réinstaller son équipe diplomatique en Albanie au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. L'ensemble des traités et conventions bilatéraux signés entre ces deux pays vont ensuite dans le sens du développement de l'Albanie, que ce soit dans le domaine de la Justice, de l'Education, ou plus largement en faveur de l'amélioration des conditions de vie des Albanais et de la préservation de leur voix dans les processus démocratiques (d'après les archives du MAE français, voir bibliographie France Diplomatie, 2014). On voit apparaître de plus en plus de grandes multi succursales françaises en Albanie mais le Ministère des Affaires Etrangères (MAE) reconnaît que la France est relativement peu engagée économiquement, à hauteur de 86 millions d'euros d'importation

27 Luan Rama a été ambassadeur de l'Albanie (1997-2001),a représenté l'Albanie au Conseil permanent de l'OIF diplomate pour la culture albanaise (1997-2002) et a été nommé expert à la Délégation Permanente de l'Albanie auprès de l'UNESCO (2002-5).

28 Le Musée Albert Kahn à Boulogne Billancourt présente une grande partie de son oeuvre en exposition permanente.

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de produits albanais (textile, alimentaire, industrie et métallurgie) tandis que les exportations vers l'Albanie représentent 37 millions d'euros (aéronautique, automobile, produits informatiques et pharmaceutiques). Les gros contrats de la France sur le marché de l'Albanie se situent précisément dans ces domaines et leur concrétisation s'inscrit dans le temps et la durée, avec des projets de formation (dans l'aéronautique avec la formation de pilotes dans l'Armée de l'Air et la présence permanente d'un coopérant technique français), ou de développement du pays (confection des passeports albanais dont le contrat a été renouvelé jusqu'en 2024, construction d'une centrale hydraulique). En 2012 encore, Ubifrance a organisé une journée dédiée à l'Albanie pour permettre de développer de nouveaux partenariats et échanges commerciaux et économiques.

La toute récente création de la Chambre du Commerce et de l'Industrie France-Albanie en 2011, dont l'initiative a été soutenue par l'Ambassade de France permet d'informer, de mettre en relation et d'assister les initiatives d'investissements entre les deux pays. On voit apparaître de plus en plus de grandes multi succursales françaises en Albanie mais le Ministère des Affaires Etrangères (MAE) reconnaît que la France est relativement peu engagée économiquement, à hauteur de 86 millions d'euros d'importation de produits albanais (textile, alimentaire, industrie et métallurgie) tandis que les exportations vers l'Albanie représentent 37 millions d'euros (aéronautique, automobile, produits informatiques et pharmaceutiques). Les gros contrats de la France sur le marché de l'Albanie se situent précisément dans ces domaines et leur concrétisation s'inscrit dans le temps et la durée, avec des projets de formation (dans l'aéronautique avec la formation de pilotes dans l'Armée de l'Air avec la présence permanente d'un coopérant technique français), ou de développement du pays (confection des passeports albanais dont le contrat a été renouvelé jusqu'en 2024, construction d'une centrale hydraulique). En 2012 à Paris, la société Ubifrance, spécialisée dans l'export et l'installation de sociétés française à l'étranger, a organisé une journée dédiée à l'Albanie pour permettre de développer de nouveaux partenariats et échanges commerciaux et économiques.

Les visites officielles bilatérales sont finalement de plus en plus nombreuses et saluent les initiatives de différents Ministères des deux pays pour différentes raisons, que cela motive le jumelage entre des institutions de nature similaire, les stages d'observation et de formation. On saluera finalement les efforts de politiciens et diplomates albanais et leur présence lors de trois journées de sensibilisation à la langue française et à son utilité pour inscrire l'Albanie sur la scène de la diplomatie internationale. Ce projet mené en octobre 2013 a justement été financé par l'OIF.

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2.2.3. Facteurs linguistiques et éducatifs29

4 Réseau de l'enseignement public et privé :

Les chiffres 2010 de l'Observatoire de la Langue Française prétendent que 10% de la population albanaise est francophone, soit 317 000 personnes (incluant les francophones partiels) pour une population totale de 3.2 millions30. Notons que ce chiffre est encourageant considérant la moyenne d'Europe centrale et orientale qui se situe autour de 5% (avec les exceptions sur 12 pays, de la Moldavie et de la Roumanie qui dépassent les 20%). Le Bureau International de l'Edition Française d'après une prospection auprès de l'Ambassade de France et l'Association des Professeurs de Français en Albanie proposent les chiffres suivants respectivement pour l'année 2007 et 2012 :

 

BIEF, chiffres 2007)=

(BIEF, 2008)

APFA (2012)

Apprenants de français,

total estimé

77100

138310

Primaire

50000

89603

Secondaire

25000

48707

Supérieur (français langue d'apprentissage)

600

n.c.

Supérieur (français langue étrangère) - chiffre MASH 2014

25000

n.c.

CCF & Alliances Françaises

1500

n.c.

Locuteurs de français sur la population totale

10%

 

Professeurs de français

500

500

Tableau 3 - Nombres d'apprenants de la langue française en Albanie

La différence entre les chiffres communiqués par les deux instances est énorme, ce qui amènerait à réfléchir à ce qui constitue ou non un locuteur de français d'après les

29 Pour une carte qui reprenne la situation géographique des différents institutions mentionnées, consulter Annexe 7

30 Ces données sont antérieures à 2010 et certainement à 2006, en absence de nouvelles données communiquées.

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personnes responsables de communiquer les chiffres nécessaires à l'Ambassade de France en Albanie et à l'APFA, mais nous ne sommes pas en mesure de pouvoir fournir une explication. Comme il l'a été mentionné dans la deuxième partie de ce travail, les apprenants ne choisissent pas toujours leurs langues étrangères à l'école. Lorsque l'on observe les chiffres de l'APFA (annexe 6), on peut voir que le saut entre le nombre d'apprenants Français 1ère langue en Xème année de lycée professionnel : 5093 et la classe de XIème année : 439 montre une perte de plus de 90% des élèves choisissant le français 1ère langue dans les lycées professionnels, l'intérêt ou l'offre proposée par ces écoles ne répond pas à une promotion adaptée du français.

Rappelons également que l'enseignement professionnel n'est pas valorisé et représente aux yeux des élèves des « sections garage sans avenir », pour preuve, la grande majorité des étudiants de première année de Français à l'Université d'Elbasan sortaient des lycées professionnels (couture, menuiserie, électricité) et avaient été admis en français à cause de leurs notes basses aux épreuves du baccalauréat et du mauvais pourcentage de réussite de leurs établissements. Ce taux est encore plus alarmant quand on considère que moins d'1% des apprenants ayant choisi le français comme langue première ou seconde au lycée poursuivent leur apprentissage de cette langue dans l'enseignement supérieur.

Le français est ensuite enseigné de manière renforcée dans les 7 sections bilingues de l'Albanie (5 sections bilingues d'enseignement général et 2 sections bilingues d'enseignement professionnel en hôtellerie-restauration soutenues par l'OIF), officialisées progressivement depuis 2005 par la signature d'un Traité avec la France. Ces sections bilingues existaient pourtant auparavant et ont été partiellement initiées par les efforts de l'association NECAL (Nouer des Echanges Culturels avec l'Albanie), et financées par les services de coopération linguistique de l'Ambassade de France en Albanie. Un nombre approximatif de 350 apprenants fréquentent ces sections bilingues (MAE, 2014), à savoir que ce chiffre est délicat à prendre en compte depuis quelques années où ces classes ne sont plus (assidûment) fréquentées, provoquant la mort lente de ces sections initialement créées dans le but d'attirer les bons élèves et leur proposer un tremplin vers les universités et écoles de l'enseignement supérieur français. Ces sections bilingues sont peu à peu désertées à cause du manque d'intérêt pour la langue française qui se généralise en Albanie, du manque de formation adaptée du personnel enseignant, du manque de valorisation salariale et statutaire de la spécificité de leur profession, et du manque de financement en dehors de celui de l'Ambassade de France (Xega, 2004), quand d'après l'ancien directeur de l'Alliance Française de Korça dans cet article, toutes les autres sections diffusant et enseignant deux langues dont

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l'albanais sont aussi financées par des ONG, provoquant l'intérêt particulier de personnes civiles ne dépendant pas exclusivement du domaine de la politique, de la diplomatie et de la coopération. Cependant l'implantation mal pensée de ces sections dans des établissements linguistiques ne permettra pas la visibilité méritée de ces sections d'enseignement spécialisé. A la rentrée scolaire 2008, le gouvernement albanais a également supprimé l'année zéro prévue à l'usage des lycéens se préparant à entrer dans ces sections pour mettre le nombre d'années de formation de ces élèves au même rang que tous les autres (formation à orientation générale ou professionnelle). Les derniers lycéens qui auront bénéficié de cette année zéro sont sortis du lycée en 2012. On déplore ce fait car cette année permettait de se former intensivement au français avant d'être en mesure de suivre les enseignements de DNL en langue d'apprentissage étrangère ; cela servait également à repérer quels élèves avaient les compétences pour continuer leur formation dans ces sections. Ensuite, si l'on observe la potentialité de ces sections de l'enseignement secondaire pour l'accession à l'enseignement supérieur, envoyer son enfant dans une section bilingue peut augmenter ses chances d'intégrer une bonne filière universitaire, quand les résultats et le taux de réussite aux épreuves de la matura (BAC albanais) sont souvent meilleurs dans ces sections que dans les autres établissements de l'enseignement secondaire public albanais. C'est ici que l'on peut amorcer l'idée qu'il est entendu pour un albanais de parler une langue étrangère, à tel point que depuis de très récentes années, se spécialiser dans l'apprentissage d'une ou de plusieurs d'entre elles ne constituent pas une orientation d'avenir pour les familles autant que pour les élèves, jusqu'à émettre des regrets vis-à-vis de son choix d'étude, tout aussi enrichissant puisse-t-il avoir été. Les enseignants ne voient pas toujours l'intérêt de suivre cette voie quand leurs étudiants n'ont pas reçu une certaine formation préalable...

10. H - « Va dans une école et demande à un prof de français de donner leur avis vis à vis de la promotion et de la diffusion des langues, ils diront que c'est à cause de la politique. Mais demande-leur ensuite s'ils préfèrent si leur enfant étudie le français ou la médecine. Ils vont tous répondre

médecine ! » CF ANNEXE 9 ? 01-H

27. G - Mais le marché des langues est complètement détruit aujourd'hui. On prend les

traducteurs dans des entreprises sans tester leurs connaissances linguistiques. Les postes d'enseignants étaient de plus en plus rares, donc le nombre de gens qui se prétendaient traducteurs a augmenté. C'est une question de business, c'était mal payé, donc les gens n'y mettaient pas du leur. Les traductions étaient mal faites pour faire de la pression.

CF ANNEXE 12 04-GE

11. Eh alors, prof, à ton avis, qu'est-ce qu'on apporte à nos étudiants de langues
étrangères ?

12. F - Rien en grande partie, j'imagine une ouverture d'esprit pour ceux qui s'intéressent
un tant soit peu à ce qui se passe en classe. Ca peut leur permettre de s'identifier, tu vois « où est-

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ce que je suis dans cette gamme d'informations que je reçois ? Est-ce que ça m'aide à connaître l'autre et moi-même ? »

CF ANNEXE 13 ? 05-F

Je n'ai pas intégré les classes que me mentionne H en 10 (cf p 105) car le contact avec la direction de ces établissements s'était révélé peu cordial lors d'autres expériences de prospection, et que la nécessaire bonne connaissance préalable de son interlocuteur permet d'avoir des informations personnelles honnêtes (par opposition à « fabriquées ») et que le temps ne me permettait pas d'engager de telles relations avec les enseignants et les apprenants de ces classes. Cependant, l'expérience me montra à travers des cours particuliers que j'ai adonnés à quelques élèves de ces classes que les élèves prouvant un bon niveau de français ne se situent effectivement pas dans les filières linguistiques mais dans les classes générales. Cette information est confirmée par un autre enseignant de français auprès de qui je me suis entretenue31, qui diversifie son activité avec des cours privés adressés à des enfants de plus en plus jeunes (d'après le relevé de l'âge de ses apprenants), qu'il s'agisse d'une initiation précoce au français autant qu'à des cours de renforcement linguistique, ou quand l'école dans laquelle son apprenant est scolarisé ne propose pas d'enseignement du français. Autre parallèle de poids dans le cadre de la compréhension de la formation des représentations linguistiques des locuteurs albanais, les cours privés de langue sont souvent investis par les enseignants des élèves dans le cadre scolaire, ce qui n'offre pas une grande variation à la langue et la culture, autant qu'à la méthodologie mises à disposition de l'apprenant (quand déjà même un enseignant de langue reste le même tout au long de l'éducation d'un élève et de sa classe).

Pour finir sur ce point, nous rajouterons qu'il y a de la demande pour le français, mais pas là où on le penserait et on ne voit pas apparaître ces étudiants et ces élèves dans les activités culturelles organisées par les instances francophones officielles d'Albanie, quand leurs professeurs particuliers sont eux-mêmes connaisseurs du planning culturel de ces institutions. La langue française dans l'enseignement public n'est pas très populaire et ne semble pas engager l'affection de ses apprenants s'il y a un taux de déperdition aussi important, à supposer que les représentations concernant la langue française soient appuyées par les initiatives du MASH pour répondre aux demandes de son public d'élèves scolarisés, autant que selon la nécessité de répondre aux critères de l'OIF en ce qu'un Etat membre doit promouvoir et diffuser le français dans son pays.

31 Entretien non enregistré à la demande de l'informateur.

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Au niveau universitaire, on relèvera l'existence de l'Institut Français de Gestion (IFG) créé avec le concours de différentes instances institutionnelles dont l'Ambassade de France en Albanie et l'Université Bordeaux IV Montesquieu, qui forme des étudiants dans le domaine de l'administration et de la gestion, proposant également des programmes d'échanges avec des écoles en France. Dans l'autre sens, comptons que 600 albanais sont étudiants en France en 2014 classant ce pays comme sixième destination estudiantine derrière l'Italie, la Grèce, les Etats-Unis, la Turquie et l'Allemagne. A ce titre, l'Ambassade de France offre l'opportunité de remporter une trentaine de bourses pour les étudiants en doctorat et en filière scientifique.

4 Réseau de l'enseignement privé et associatif :

Sachons que 4 Alliances Françaises et leurs 4 antennes (avec la possibilité d'ouverture de deux nouvelles AF à venir) se partagent les 1500 élèves proposés dans le tableau quantitatif proposé ci-dessus (supra p. 104). A cela doit être rajoutée la toute fraîche création d'une Ecole Française de Tirana créée en 2011 (EFT) et homologuée par l'Agence pour l'Enseignement Français à l'Etranger (AEFE) en 2013, qui a accueilli une trentaine d'élèves à la rentrée 2013. L'EFT est également dotée de son magazine rédigé sur le concours des enseignants et des élèves de l'école, et a organisé dès sa première année un nombre remarquable d'activités dans le cadre du Printemps de la Francophonie, et des activités pédagogiques en extérieur de l'école (classe verte sur le site archéologique d'Apollonia). Rappelons que cette école a été créée d'après un projet de l'Association des Amis du Lycée français de Korça ! Le nombre cependant tout relatif d'élèves pour cette école est expliqué par la très faible présence de ressortissants français en Albanie, au nombre de 172 en 2011. Ce chiffre bien que très restreint est en augmentation de 20% chaque année (Sénat, 2007). L'EFT propose finalement un accord avec l'Alliance Française de Tirana avec un prix mensuel préférentiel pour suivre des cours de français à 280 euros / mois, quand le salaire moyen en Albanie tourne autour de 260 euros / mois, chiffre de l'Ambassade d'Albanie en France (2014), laissant comprendre que l'inscription d'un enfant albanais a un coût très important pour un foyer albanais moyen.

La coopération universitaire et scientifique est finalement le plan sur lequel le MAE consacre la majorité de ses efforts en termes de coopération avec l'Albanie, d'après les informations transmises sur le site Internet du Ministère (2014). Une présence française est observée depuis longtemps dans les écoles albanaises, dont les postes étaient occupées par des volontaires retraités de l'Education Nationale française avant que des stagiaires soient envoyés dans ces écoles (parfois au nombre de deux, comme à Tirana jusque récemment), ou

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quand un détaché de l'Ambassade de France en Albanie officiait sur les plans éducatifs, associatifs et culturels à Korça jusqu'en 2002. Depuis 2005, quatre stagiaires comme je l'ai été, sont envoyés dans cinq villes du pays pour dispenser un enseignement du FLE au sein des départements universitaires de français et des sections bilingues de ces mêmes villes. Ces stagiaires sont aujourd'hui d'importants relais de la promotion du français en ce qu'ils en sont presque les seuls responsables en collaboration étroite et indispensable avec les Alliances Françaises et les directoires des écoles concernées de l'organisation d'activités linguistiques et culturelles tout au long de l'année (selon la convention de stage en vigueur), cependant une (trop) grande latitude d'organisation leur est accordée, provoquant une variation importante dans l'implication de ces dernières sur le plan de la promotion linguistique et culturelle. A ce titre, des émissions de radio locales ont été montées, des pages Internet sur des réseaux sociaux et des journaux à tirage national ont été créés, des activités extrascolaires et des échanges de spectacles entre étudiants de différentes villes ont été mis en place (simulation globale sur terrain, pièces de théâtre et projets de présentation à thèmes sur la France), sans oublier une médiatisation importante pour la majorité des activités mises en place : affichages publics, presse écrite, émissions et journaux télévisés. On regrettera toutefois que certains projets aient été récupérés par les pouvoirs locaux, quand l'initiative et la réalisation avaient été conçues pour promouvoir le français et participer au développement de la ville d'accueil (tableau d'indication des sites culturels et touristiques de la ville d'Elbasan).

4 Albanie / France :

Nous remarquons donc que du point de vue officiel, les relations entre ces deux pays ne sont pas bilatérales mais que la nature de leurs échanges promeut en particulier le développement économique, l'accompagnement et le soutien de la France dans des projets visant à proposer des structures tutorielles pour élaborer la société albanaise de demain. L'Ambassade d'Albanie en France n'est pas très expansive sur son site Internet quant aux projets qu'elle développe sur le sol français, et on sait trop bien que l'Albanie n'est pas très présente (pour ne pas dire absente) des scènes médiatiques françaises ; les inondations noyant une grande partie des Balkans auront été largement suivies sur les chaînes de télévision française, quand au même moment, des tremblements de terre de magnitude 7 sur l'échelle de Riechter secouaient le pays entier, et il n'en fut fait aucune mention...

C'est là que le monde de l'intellect héberge ou permet la publication d'oeuvres de grands écrivains albanais tels qu'Ismail Kadaré, installé en France depuis la chute du communisme, Bessa Myftiu installée en Suisse et que quelques oeuvres de Fatos Kongoli sont

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également disponibles dans les librairies françaises ouvertes sur la littérature étrangère. Cependant, écrire dans la langue de l'Autre peut aussi revêtir des aspects duels tout aussi bien que complémentaires, comme Gazmend Kapllani le décrit à propos de sa « rencontre » avec la langue grecque (Dorkofikis, 2013).Sur le plan universitaire, il est possible de s'initier à l'albanais à l'INALCO, et des ressources bibliographiques concernant l'Albanie sont préservées dans sa bibliothèque (BULAC), autant qu'à la bibliothèque Mazarine à Paris ou dans les archives de la BNF. L'Albanie est donc présente en France, mais pour celui qui veut s'y intéresser, n'étant pas en évidence.

III / Politique d'action extérieure de la France en Albanie 3.1. La France et de la Francophonie en Albanie

Des accords entre les deux pays ont été signés pendant la période du régime communiste mais permettaient une meilleure coopération politique plutôt que linguistique et culturelle. De manière plus globale, l'action extérieure de la France se traduit surtout par des initiatives privées et publiques et se concrétise grâce à la présence et aux actions organisées par les instances suivantes et leurs représentants sur place :

L'Ambassade de France en Albanie, installée à Tirana depuis 1922 avec une fermeture pendant la Seconde Guerre Mondiale, n'aura pas permis une présence continue de diplomates français sur le territoire albanais, dans la nouvelle capitale de l'Albanie à l'époque, mais elle est présente depuis le début du XIXème siècle avec des consuls français placés au Sud du pays. La mission principale de l'Ambassade est d'appliquer la politique extérieure de la France sur place en Albanie. Le service du SCAC (Service de Coopération et d'Action Culturelle) est précisément chargé de prospecter le terrain albanais et de mettre en place des activités de promotion linguistique et culturelle. Le nombre et la diversité des activités organisées ces cinq dernières années sont notables. Ces événements organisés sont souvent en dehors des attentes d'un public albanais peu connaisseur de ce que la culture française peut avoir de classique (musique classique majoritairement), autant que d'original (spectacle de rue, musique et théâtre expérimental). Nous noterons deux événements majeurs qui ont pourtant un impact tout relatif avec la participation de l'Ambassade au Salon du Livre de Tirana, la création en 2011 d'un Salon de l'Enseignement Supérieur visant à promouvoir des institutions de l'enseignement supérieur français aux lycéens albanais, la présence de ces écoles étant sur concours libre, laissant majoritairement à des écoles privées, et les bourses étant en fait des

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crédits (proposés par des banques françaises présentes sur place). Le SCAC emploie des attachés de coopération culturelle, linguistique, institutionnelle avec la présence d'un chargé de mission culturelle employé sous un programme de Volontariat International de l'OIF, ainsi qu'un attaché à la défense. La Belgique n'a pas d'ambassade en Albanie mais un consulat honoraire dans une ville à proximité de la capitale (Durrës) et l'Ambassade de Suisse participe aux activités de la Francophonie, mais ses activités consulaires ont été attribuées à l'Ambassade de Suisse au Kosovo.

Campus France - Albanie : installé au sein de l'Alliance Française de Tirana depuis 2005, cette institution est responsable d'orienter et d'aider les élèves albanais désireux de poursuivre des études supérieures en France. A travers Campus France, l'Albanie s'est ouverte à l'Office Méditerranéen de la Jeunesse qui propose des bourses de mobilité et propose une aide à l'insertion professionnelle pour les jeunes de 16 pays de la zone Méditerranée. Les horaires d'ouverture (deux heures deux fois par semaine) sont restrictifs du point de vue de l'accessibilité à cet espace censé accompagner les jeunes Albanais dans leur éventuelle formation dans l'enseignement supérieur en France. Finalement, la presque inexistence de bourses et la grande difficulté d'obtenir un visa sont pratiquement légendaires et décourageantes (même pour les candidats avec un bon dossier, expérience personnelle).

Jusque 2005, seul l'Institut de Culture Italien de Tirana proposait un centre ouvert sur une culture et une langue étrangère. Au nombre de quatre Alliances Françaises et de quatre antennes, avec le projet de créer deux autres AF dans les villes de Fier à l'Ouest et de Saranda au Sud, le réseau des AF est étendu en Albanie, présent dans pratiquement l'ensemble des plus grandes villes du pays. Le réseau des AF est placé sous la tutelle de la Fondation Alliance Française depuis 2007, les activités qu'elles organisent et les financements attribués sont quant à eux placés sous l'égide du SCAC et du MAE français. Pour la partie enseignement, des partenariats ont d'ailleurs été proposés entre les départements de français des différentes villes et les AF pour permettre aux étudiants des départements de français de renforcer leurs connaissances en langue, à prix préférentiel. Les Alliances Françaises n'ayant pas toujours leurs locaux propres, les cours ont souvent lieu dans ces universités et sont assurés par les mêmes enseignants de l'université. Les activités culturelles organisées par leurs soins sont souvent concentrées en mars pendant la semaine de la Francophonie (en dehors de la ville de Tirana qui finance un certain nombre d'événements culturels dans l'année). Pour le reste du pays, les activités organisées dépendent grandement de la disponibilité des stagiaires et de leurs engagements vis-à-vis de cet aspect de leurs activités. Finalement, le projet d'ouvrir des

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classes de sensibilisation au français en périscolaire a eu un franc succès à l'Alliance Française de Tirana, celle d'Elbasan devrait suivre le pas d'ici peu de temps.

L'Agence Universitaire pour la Francophonie (AUF) a également une représentation à Tirana à travers la salle numérique mise à disposition des étudiants et des enseignants chercheurs. Avec pour mission de fournir un accès à l'information et à la formation aux TICE à l'adresse de ce public (en accord avec les missions fixées par l'OIF), le Campus Numérique de l'AUF à Tirana est un pôle d'accès à des ressources en rapport à son domaine d'études et ses ambitions de formation universitaire à travers une offre de différentes formations à distance et des ressources bibliographiques. A l'heure actuelle, l'Université de Tirana et l'Université Polytechnique de Tirana sont les deux seules membres de l'AUF, permettant ainsi à leurs étudiants de participer à des programmes d'échange et de mobilité internationale, et aux enseignants de français de bénéficier de programmes de formation et de participer à des conférences universitaires dans différentes universités du monde de l'AUF.

L'Association des Professeurs de Français d'Albanie (APFA) : membre de la Fédération Internationale des Professeurs de Français, cette association semble avoir milité seule pour la promotion du français et l'enseignement de cette langue dans les écoles albanaises avant les années 2000. Depuis l'accession de sa nouvelle directrice, Lindita Trashani, cette association semble regagner en énergie et a organisé plusieurs événements en association avec les autres instances associatives ou institutionnelles du pays.

Le CREFECO (Centre Régional Francophone pour l'Europe Centrale et Orientale) a pour mission d'améliorer la formation proposée dans le domaine de l'enseignement du français en proposant régulièrement des stages de formation à l'adresse des enseignants de français de l'Europe Centrale et Orientale. Ce centre créé en 1994 par l'OIF et installé à Sofia en Bulgarie, est largement reconnu en Albanie pour les formations qu'il organise, particulièrement contextualisées car le contenu de ces formations est discuté avec les Ministères de l'Education des pays membres. La participation d'une représentante du CREFECO lors du 1er Congrès du Département de français de l'Université de Tirana fut d'ailleurs particulièrement saluée, quand son discours attirait l'attention des acteurs de la francophonie à ne pas relâcher leurs efforts pour continuer à promouvoir cette langue de partage.

L'Albanie est ensuite dotée d'un grand nombre de centres linguistiques privés. Toutes ne proposent pas des cours de langues en français et ces écoles sont absentes des activités organisées dans le cadre du Printemps de la Francophonie mais toutes font la promotion de leurs préparations à différents diplômes de langues françaises (TCF, DELF/DALF & TEFAQ pour

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le Canada). L'émigration vers le Canada étant relativement importante, les Albanais sont plus facilement disposés à envisager un déplacement vers l'Amérique du Nord que vers la France.

3.2. Ressources matérielles mises à disposition des Albanais francophones en Albanie

Ces récentes années, de plus nombreux efforts ont été réalisés dans ce sens de mettre à disposition du matériel en langue française, cependant ces efforts ne vivent pas toujours les effets attendus. Les AF ne sont pas toutes dotées de médiathèques et les bibliothèques sont souvent installées dans des salles dépourvues de permanence, ce qui empêche l'accès aux ressources existantes. Dans ce sens, le chargé de mission culturelle de l'Alliance Française de Tirana, en coopération étroite avec le SCAC de l'Ambassade a permis la création d'une plateforme Culturethèque Albanie (troisième pays au monde à avoir le privilège après la Chine et le Maroc), plateforme en ligne de consultation de différents supports numériques et interactifs, proposé à tous et inclus dans les frais d'inscription aux cours des AF. Lancée en mars 2013, il est désormais possible d'avoir accès à cette plateforme à partir de son téléphone portable, ce qui est d'autant plus accessible et possible pour les jeunes Albanais qui n'échappent pas aux Smartphone et à une couverture Internet large. L'Ambassade de France a également grandement incité les AF à s'abonner à quelques magazines et / ou journaux, permettant de pouvoir alimenter la littérature disponible dans les locaux des AF. Cependant, l'organisation spatiale des locaux des AF ne permet pas toujours aux apprenants de pouvoir consulter librement ces ouvrages.

La chaîne télévisée TV5 Monde est accessible gratuitement mais son rayon de transmission est très restreint, ou la qualité de réception n'étant pas toujours optimale. Cependant, cela reste une chaîne télévisée, suivie de son site Internet proposant des sources très intéressantes exploitables par les enseignants dans leurs classes. La nécessité fréquente d'avoir accès à Internet pour pouvoir exploiter pleinement les fiches pédagogiques de TV5 Monde rendent la majorité de ses ressources inaccessibles, mais néanmoins réalisables.

Le SCAC de l'Ambassade de France en collaboration avec celui de l'Ambassade de France en Macédoine, l'Institut Français de Skopje et l'Université de Montpellier III ont créé et mis en place un plan de formation visant à sensibiliser les enseignants d'Albanie et de Macédoine à l'usage des TICE et à promouvoir leur utilisation en contexte didactique. En 2011, la plateforme numérique Almaktice (Fischer & Olivry, 2012) est lancée, après avoir réuni les enseignants de français des deux pays pour qu'ils mettent en commun les ressources qu'ils utilisent.

114

Les programmes de mobilité ont été créés et mis à disposition des étudiants albanais, cependant, un nombre encore trop restreint d'étudiants peuvent bénéficier de ces programmes. En ce qui concerne le programme Erasmus Mundus, l'année la plus importante en termes d'obtention d'une bourse fut 2007 avec 26 étudiants de Master ayant obtenu une bourse pour étudier à l'étranger quand en 2013, seuls 10 étudiants partirent. Pour les recherches doctorales, 4 bourses de ce programme furent attribuées à des doctorants albanais (Conseil de l'Europe, 2013). Peu d'Universités disposent de partenariats effectifs avec des universités étrangères ou les universités albanaises ne sont pas en mesure de pouvoir rendre la même somme d'efforts que ceux produits par leurs confrères, en particulier à cause de l'impossibilité encore actuelle de pouvoir concilier son métier d'enseignant et de chercheur pour les universitaires. Ainsi, pour pouvoir partir à l'étranger, on se repose encore beaucoup sur des programmes humanitaires ou impliquant que l'étudiant ne dépense que le minimum des frais nécessaires. Pour la langue française, nous pouvons saluer le Lion's Club qui a reçu des étudiants albanais dans ses différents centres en France chaque année, grâce à l'appui de Mme Basin-Gourgon, présidente de l'association NECAL et fervente défenseure de la francophonie en Albanie.

IV/ L'offre en formation initiale en langues étrangères dans le système universitaire albanais

4.1. Données générales, formation et marché du travail

Il est admis de pouvoir entrer dans une filière linguistique à l'université sans avoir étudié la langue au préalable. Certains étudiants sont donc au niveau 0 en L1, ce qui ne permet pas de considérer tous ces francophones en contexte universitaire comme des francophiles avérés dès le début de leur formation universitaire, si l'on se place du point de l'intérêt porté à la langue, ou comme envisageant une orientation professionnelle où il est entendu que le français leur permettra d'avoir un emploi qui leur donne « facilement » un emploi si on rejoint la visée utilitariste de l'Ecole. Voyons à présent la représentativité du français à l'Université de Tirana et à l'Université d'Elbasan, quand ce sont des acteurs de ces deux établissements que j'ai pu rencontrer et interroger dans le cadre de mon étude (n'étant pas aux faits des villes de Korça et Shkodra, je ne préfère pas m'entreprendre sur des analyses qui pourraient être erronées). Pour note de lecture, les chiffres verts indiquent ceux qui sont supérieur à la moyenne, les rouges représentent les chiffres inférieurs.

115

Ville et
université

 

Diplôme
L3

Année

TOTAL
sur
quatre
années

Année la
plus
importante
en nombre
d'étudiants

Année la
moins
importante
en nombre
d'étudiants

Variation
max. /
moyenne

2005

2006

2007

2008

2009

Université
d'Elbasan,
Faculté
SHS

Français

24

48

28

39

24

163

2006 - 48

2005 &

2009 - 24

24 - 32

 

Anglais

57

94

76

52

35

314

2006 - 94

1998 &

1999 - 18

76 - 62

Allemand

16

28

41

20

10

115

2007 - 41

2000 &

2008 - 10

31 - 23

Italien

22

70

60

61

25

238

2007 - 70

2005 - 22
(année de
creation)

52 - 47

Université
de Tirana,

Faculté

des LE

Français

47

60

87

62

22

278

2002 - 94

2009 - 22

72 - 55

 

Anglais

98

96

162

156

143

655

2007 - 162

1997 - 66

96 - 131

Italien

53

62

52

124

34

325

2008 - 124

1998 - 18

106 - 65

Allemand

62

51

56

64

21

254

2008 - 64

1997 - 12

52 - 50

Turc

10

15

7

10

0

42

2006 - 15

2003 - 4

11 - 8

Grec

14

19

36

37

0

106

2008 - 37

2003 - 8

29 - 21

Russe et
langues
slaves

7

13

11

13

0

44

2002 - 22

1998 - 2

20 - 8

Tableau 4 - Nombre d'étudiants diplômés au niveau BAC + 3 par année, par langue et par
université (2005-2009) - Source : INSTAT, 2012

Nous pouvons voir d'après ces données que le nombre d'étudiants oscillent considérablement d'une année à l'autre, et ceci peu importe la langue étrangère étudiée. La variation maximum indique également pour certaines langues que les besoins en enseignants oscillent considérablement d'une année à l'autre, provoquant des déséquilibres concernant le recrutement d'enseignants, leur éventuelle titularisation, et l'instabilité, la précarité caractérisant cet emploi. De l'intérêt porté par les étudiants aux filières linguistiques universitaires évoquées dans ce tableau, nous voyons que l'anglais obtient la première place si l'on regarde le nombre d'étudiants diplômés, suivi par l'italien. Le français obtient la troisième

116

place, suivi de près par l'allemand dans les deux universités. Concernant les langues turque, grecque et russe, le nombre réduit d'étudiants doit s'explique par le fait que ce sont des langues qui ne sont pas ou peu enseignées au secondaire ; elles ont également des alphabets différents, ce qui peut éventuellement faire naître des représentations comme quoi ce sont des langues difficiles. Notons tout de même qu'un nombre important d'Albanais vivent en Grèce (comme vu en chapitre 2), ce qui amène à considérer l'apprentissage de cette langue lorsque l'on y vit plutôt que de suivre une formation universitaire. On remarque également qu'en 2009, des données sont inférieures à la moyenne, peu importe la langue, ce qui semblerait indiquer un désintérêt généralisé des LE. C'est d'ailleurs dans cette colonne que l'on voit apparaître des données nulles pour trois langues, ce qui correspond à une absence de transmission de données de la part de l'institution car après croisement des informations avec un étudiant concerné par ces données, il s'est révélé qu'il y avait bien des étudiants en L3 dans ces trois filières.

Depuis la ratification par l'Albanie de la Charte de Bologne et jusqu'à ce que la réforme prévue en 2014 change la structure de l'enseignement supérieur, une licence universitaire s'effectue en trois ans, sur le système européen LMD (Licence Master Doctorat) divisés en six semestres. A l'issu de la licence, un étudiant doit soutenir un mini-mémoire sur le thème de son choix, relatif au domaine qu'il aura étudié. Au niveau du Master, et pour les étudiants qui se destinent à l'enseignement, un master scientifique s'effectue en deux années et le master professionnel en un an. Puis, à partir de 2012, le master professionnel s'effectue en un an et demi impliquant la nécessité de faire une année de stage non rémunéré par la suite, et d'obtenir obligatoirement un diplôme de connaissance de l'anglais (niveau B2), quelle que soit la langue étrangère de spécialité ou la deuxième langue étudiée lors de son cursus universitaire. La réforme de 2012 passée en cours d'année et à effet immédiat de prouver son niveau B2 en anglais a provoqué un certain nombre de protestations rapidement étouffé quand les étudiants ont été menacés de représailles et de poursuites. Basé sur le modèle universitaire italien concernant la nécessité de soutenir un mémoire en fin de licence, la structure universitaire albanaise impose un certain nombre de contraintes aux étudiants en langues étrangères, qui confortent le gouvernement dans ses volontés de s'aligner sur des standards qui sont difficilement réalisables ou en accord avec la réalité sociale albanaise (en référence au stage long non rémunéré), ni à leurs compétences quand il leur est demandé en cours d'année de passer un test certificateur en anglais, quand la plupart d'entre eux choisissent l'italien comme deuxième langue obligatoire. Cette nouvelle loi peut prétendre à promouvoir le plurilinguisme, sauf quand on remarque des dysfonctionnements tels que le fait

117

que certains étudiants n'ont pas étudié l'anglais depuis la fin de leurs études secondaires, ou que le diplôme qu'il faut passer est un diplôme de connaissance de langue proposé par une université privée américaine.

L'offre de formation au niveau Master n'offre pas une grande égalité dans le sens où seule la Faculté des Langues Etrangères de Tirana forme les enseignants qui se destinent à opérer au niveau secondaire, laissant les universités de province former les futurs enseignants du niveau primaire (et collège, ces deux niveaux étant réunis en Albanie), comme c'était le cas déjà sous le régime communiste avec les instituts pédagogiques qui formaient les enseignants du niveau primaire et collège, tandis qu'à Tirana, on pouvait suivre une formation permettant d'enseigner aux niveaux supérieur, comme c'est le cas pour nos informateurs qui ont reçu une formation sous le temps du communisme. Etre autorisé à se déplacer pour étudier succédait à une étude de dossier minutieuse et profonde de l'adéquation du candidat avec l'idéologie du PTA et de sa bonne conduite. Les enseignants ayant reçu leur formation initiale sous le régime communiste devait donc faire preuve d'exemplarité.

On trouve également des Masters en communication et en tourisme, ouverts aux étudiants de LE, ainsi que des Masters en traduction et interprétariat. Le manque de valorisation attribué au travail d'enseignant attire souvent les étudiants dont les compétences linguistiques sont les plus faibles vers l'enseignement. Cependant, le peu de formations professionnalisantes, sans compter le coût important qu'engage le rapprochement d'un étudiant de son lieu de formation peut également inciter plus volontairement les étudiants à se diriger vers les seuls Masters proposés dans la ville où ils ont déjà effectué leur premier cursus universitaire. On n'oublie pas les tarifs importants d'admission en Master qui s'apprêtent à être appliqués prochainement. Les réalités économiques restreignent donc les possibilités de formation professionnelle, quand l'université est conçue aujourd'hui comme la fabrique des futurs professionnels, destituant cette place aux instituts de formation spécialisée.

Sans devoir se spécialiser en français, on remarque que le français n'est pas présent dans de nombreuses universités albanaises, même en tant que deuxième langue d'apprentissage. Dans le domaine de l'enseignement supérieur public, seules trois universités disposent d'un département de français : Elbasan, Tirana et Shkodra. Les autres universités ne déclarent pas disposer d'un tel département, laissant penser qu'il n'existe pas d'enseignement du français en tant que deuxième langue dans la majorité des universités publiques albanaises, ce qui réduit le champ de diffusion de cette langue étrangère au profit de l'anglais et de l'italien, largement connu des Albanais par leur précoce exposition de cette langue à

118

travers les médias, en particulier les dessins animés pour les enfants. Cependant, cette tendance pourrait bien changer quand les programmes télévisuels pour la jeunesse sont maintenant doublés en albanais et que les séries (« telenovelas ») d'Amérique du Sud ont récemment intégré les programmes de plusieurs chaînes nationales. Les Albanais reconnaissent eux-mêmes que leurs enfants parlent de moins en moins italien, quand c'est presque considéré comme une évidence par les plus âgés. Le bilinguisme précoce des jeunes Albanais, est donc remis en question par l'évolution des médias albanais et de leur développement pour promouvoir la langue albanaise.

Concernant la lecture de ce tableau et l'intérêt porté aux langues étrangères, nous préciserons quelques informations. Du point de vue du domaine de l'enseignement et des étudiants qui se destinent à cette formation professionnelle, et pour pallier au manque d'enseignants formés en français en particulier pour les zones rurales reculées, certaines universités ont pris l'initiative de créer des diplômes spécifiques qui proposent de former les étudiants en français et en albanais. A l'issu de cette formation, les étudiants provenant de zones rurales reculées doivent s'être dotés d'un bagage minimum en français et en grammaire albanaise pour pouvoir l'enseigner, ces données sont absentes de ce tableau, autant que le nombre d'étudiants entrant en L1, permettant de constater quel taux de déperdition est observé pour le français et les autres langues étrangères proposées, car ce chiffre n'a pu être trouvé. Finalement, de nouvelles disciplines alliant l'apprentissage d'un domaine non linguistique à celui d'une langue étrangère (informatique et anglais, ou techniques de communication et anglais, plus rarement l'allemand, mais cela existe). Cependant, aucune discipline scientifique ne se couple actuellement avec le français au niveau Licence.

4.2. Regards vers l'Ouest, de la théorie en pratique

Les universités de l'ex bloc de l'Est ont relativement rapidement essayé d'adopter des mesures permettant d'aligner leurs institutions sur des standards européens, quand certaines hypothèses soutiennent que c'est dans le cadre d'une stratégie de rapprochement économique et politique de ces pays avec l'UE. La signature de la Charte de Bologne32 a réorganisé dès 2006 le fonctionnement des universités dans leurs dimensions structurelles, curriculaires, pédagogiques et socio-éducatives, autant que l'adoption de ce texte et sa mise en pratique a tenté de démocratiser l'accès à l'université et a contribué à dépolitiser ses

32 Il était initialement question de traiter de la Charte de Bologne en chapitre 2 mais cela a été mis de côté par l'annonce d'une nouvelle réforme remettant fondamentalement en question l'application de certains principes de ce premier texte

119

contenus et sa hiérarchie. Cela n'aura pas été complètement achevé que huit années plus tard, le gouvernement déplore officiellement des manoeuvres frauduleuses, illégales et contraires aux principes fondamentaux de l'éducation.

L'alignement des enseignants de LE et de français pour notre contexte, sur les principes du CECR que l'on retrouve dans les articles de recherche dont il a été fait mention en introduction de cette étude renforce l'idée selon laquelle le standard européen et globalisé a été adopté et intégré aux curricula universitaires et aux programmes de formation. Cependant, cette volonté d'ajustement théorique n'aura pas pu être appliquée à la pratique dans toutes les institutions, souvent par manque de financement : voyons certaines méthodes anciennes encore employées dans les départements de français, à Elbasan, Le Nouveau Sans Frontières 1 & 2, respectivement 1998 & 199133. Pour les autres matières, axées sur un point de connaissance non linguistiques (culture, littérature, histoire, droit, etc.), les enseignants disent se constituer leurs propres supports de cours, incluant l'utilisation de méthodes anciennes (comme le « Mauger »), en particulier quand le contenu culturel est accessible aux étudiants en difficulté de compréhension et de production linguistique (orale comme écrite), par sa présentation sous une méthodologie traditionnelle, plus familière des apprenants en particulier quand ils viennent des zones rurales où les écoles sont rarement équipées du matériel adéquat pour l'utilisation d'une méthode récente (en particulier pour celles où la compréhension orale est sur un CD-ROM). Il m'est souvent arrivé que des enseignants me demandent de leur trouver des méthodes qui leur permettent de réunir le contenu de leurs programmes dans des livres « tous faits ». Quand aucune librairie ne propose de méthode auxiliaire, et que l'achat sur Internet n'est pas encore popularisé, on peut tout à fait comprendre qu'il soit difficile de trouver ces méthodes, il y a donc une réelle demande pour une littérature méthodologique neuve et / ou innovante (en référence à la date des méthodes utilisées et des méthodologies qui y sont prescrites), ou de l'équipement des écoles avec le matériel au moins de base, pour travailler sur toutes les compétences. Cependant, nous savons qu'en réalité, la revendication des quatre compétences ne fait appel à un travail effectif sur ces dernières, en particulier quand on en vient à la production orale. Nous verrons ceci dans le chapitre prochain.

33 Quand j'ai voulu proposer une nouvelle méthode, j'ai rencontré la reluctance de ma hiérarchie à l'époque sous prétexte qu'il n'y a pas de librairie francophone, quand les apprenants utilisent des photocopies de méthodes.

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