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Le patrimoine ouvrier: entre affirmation et oubli, enjeux d'une reconnaissance


par Agnès GHONIM
Université Sorbonne-Nouvelle - Paris III - Master Musées et Nouveaux Médias 2020
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITÉ SORBONNE NOUVELLE - PARIS 3 UFR Arts & Médias

Département de Médiation culturelle

LE PATRIMOINE OUVRIER

Entre affirmation et oubli, enjeux d'une reconnaissance GHONIM Agnès

Mémoire de M2 dirigé par Fabien VAN GEERT
Soutenu à la session de juillet 2020

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Déclaration sur l'honneur

Je, soussigné(e) GHONIM Agnès, déclare avoir rédigé ce mémoire sans aides extérieures ni sources autres que celles qui sont citées. Toutes les utilisations de textes préexistants, publiés ou non, y compris en version électronique, sont signalées comme telles. Ce travail n'a été soumis à aucun autre jury d'examen sous une forme identique ou similaire, que ce soit en France ou à l'étranger, à l'université ou dans une autre institution, par moi-même ou par autrui.

Fait à Paris, le 28 juin 2020

Signature de l'étudiant

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Remerciements :

Je remercie toutes les personnes qui m'ont accompagnées dans la préparation de ce mémoire. Plus spécifiquement mon directeur de recherche, monsieur Fabien Van Geert, qui en confiance m'a laissé libre d'emprunter tous les chemins de recherche qui s'offraient à moi. Je remercie également monsieur François Mairesse qui nous a soutenu mes camarades de promotion et moi-même dans l'accomplissement de cette dernière année de master.

Plus particulièrement, je remercie Cristiana Pace, Fanny Bertho et Madeline West pour leur amitié qui m'a fait passer toutes les difficultés des plus aisées au plus difficiles depuis 5 ans.

Je remercie également Louise Vigner, qui m'encourage dans tout ce que j'entreprends, et sans qui je n'aurai certainement pas réussi à m'épanouir autant dans la rédaction de ce mémoire.

Une très forte pensée à mes camarades et amis, Sarah, Emeline, Dune, Noémie, Hannah, Camille, Florine, Mathilde T&R, Benjamin, Manon, Agathe, qui m'ont soutenue avec une réelle complicité et une profonde bienveillance.

Sans oublier Camille Gavois qui m'a appris à ne pas avoir peur d'une rédaction de mémoire.

Je remercie Maximilien Pelletier pour son soutien et sa sagesse.

Je remercie ma mère, Rozenn Fernandez, bien qu'elle ait souhaité s'échapper à certain moment, a toujours su revenir vers ma recherche. Je la remercie, sans elle, je n'aurai pu écrire ce mémoire.

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Liste des Abréviations

AFP Agence France Presse

CILAC Comité d'Information et de liaison pour l'archéologie, l'étude et la mise en valeur du patrimoine industriel

EPV Entreprise du Patrimoine Vivant

FACE Fondation Agir Contre l'Exclusion

ICOM International Council of Museum

INA Institut National de l'Audiovisuel

PCF Parti Communiste Français

TICCIH The International Committee for the Conservation of the Industrial Heritage

UNESCO Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture WORKLAB International Association of Labour Museums

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Résumé :

Le patrimoine ouvrier dans son appellation possède une dimension politique qui empêche son affirmation. Il est pourtant présent et s'inscrit dans les patrimoines industriels, urbains et des sciences et techniques. Une analyse de ces différents patrimoines est proposée pour comprendre la manière dont il est réapproprié. Une présentation de lieux et d'événements vient préciser sa présentation et son utilisation. En comprenant les obligations auxquelles doit se soumettre tout objet dans le but d'un qualificatif de patrimoine nous montrerons que le patrimoine ouvrier s'oppose à certaines étapes, ce qui peut freiner sa reconnaissance. De plus, la mémoire mise en scène dans les musées vient nous éclairer quant à la difficulté de présentation de ce patrimoine. C'est dans cette continuité que le musée de l'Histoire Vivante à Montreuil s'inscrit, seul musée à se revendiquer d'une histoire politique du mouvement ouvrier en France. Aussi, l'Arbejdermuseet à Copenhague constitue un bon élément de comparaison et fait surgir le modèle en recherche d'un musée de patrimoine ouvrier. La valeur économique qui fait surface lors d'une patrimonialisation encourage le tourisme ce qui fait inscrire le patrimoine ouvrier dans une nouvelle pratique.

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Sommaire

Introduction 7

Chapitre 1 - Les fondations d'un patrimoine ouvrier . 17

a- Ouvrier, un groupe particulier . 17

i- Etude de la catégorie socioprofessionnelle 17

ii- La disparition des ouvriers ... 19

iii- Un objet politique 21

b- Le patrimoine et l'ouvrier ... 24

i- Le patrimoine industriel, relation à l'ouvrier . 25

ii- Le patrimoine urbain, zone d'application . 29

iii- Les sciences et techniques, outils théoriques du patrimoine ouvrier .... 34

Chapitre 2 - Cas Concrets . 43

a- Les réhabilitations des lieux ouvriers .. 43

i- Réhabilitation lucrative (non touristique) : Station F, magasin Uniqlo .. 44

ii- Réhabilitation lucrative dans un but touristique : Le Lieu Unique ....... 46

iii- Réhabilitation non lucrative, affirmation du patrimoine ouvrier . 47

b- Les destructions .. 49

i- Le cas de l'usine de Javel .. 49

ii- Les raisons historiques des destructions ... 51

iii- Détruire pour ne pas affirmer de propriété .. 53

Chapitre 3 - Histoire d'une notion, description théorique . 55

a- Une construction culturelle . 55

i- Au prisme politique du patrimoine 55

ii- Les nouveaux patrimoines 57

iii- Une affirmation symbolique de la détention du pouvoir . 58

iv- L'Unesco et la valeur universelle, rôle économique et global product . 59

b- Un schéma appliqué 62

i- Le processus de patrimonialisation 62

ii- 6

Une application au patrimoine ouvrier, points de convergence et limites

65

iii- Le bassin minier du Nord-Pas-De Calais : raisons d'un classement 68

c - Entre mémoire et esthétique, le difficile consensus ... 73

i- Fonction du musée et esthétisation du patrimoine ouvrier 73

ii- Le paradoxe de la mémoire .. 79

iii- L'absence ou la disparition 84

Chapitre 4 - Les musées de patrimoine ouvrier, limite et compréhension de leur objet 88

a- Un objet en recherche . 88

i- Une culture vivante 88

ii- Un musée de patrimoine ouvrier en mouvement .. 91

iii- Le Workers Museum - Arbejdermuseet (Copenhague), un confrère

européen 95

b- Architecture d'une structure muséale . 99

i- Une similarité des origines 99

ii- La recherche d'un modèle .. 102

iii- La difficile présentation des collections, perception et discours ....... 106

Chapitre 5 - Un impact touristique et économique 109

Préambule 109

a- Les nouvelles qualifications du patrimoine ouvrier .. 110

i- Label d'Entreprise du Patrimoine Vivant 110

ii- Le tourisme industriel . 112

b- Tourisme industriel, visite d'entreprise : limites et obstacles 114

i-Les rapports d'échanges touristique et économique . 114

ii- Tourisme et territoire : Authenticité et identification . 119

Conclusion .. 124

Annexes . 130

Bibliographie 168

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Introduction

« C'est un vaisseau rouillé surgit du fleuve. Un monstre en sommeil, à moins qu'il ne soit mort. Depuis qu'elle ne produit plus rien l'usine de

1

Boulogne-Billancourt attend patiemment sa renaissance. », c'est avec ces mots que s'ouvre le reportage du soir du journal télévisé de France 3. Nous sommes en 2002 et cela fait maintenant dix ans que l'île Seguin s'est vidée de ses petites mains. C'est sur ce petit bout de terre à la limite de Paris que l'ancienne usine de Renault a accueilli jusqu'à 38 000 ouvriers, de jour comme de nuit. En ce vendredi matin du 27 mars 1992, une Supercinq sort de l'usine. C'est la dernière. Plus une voiture ne sortira, plus aucun ouvrier n'entrera. Il est 11h20, l'usine n'est plus. Comment va-t-elle alors renaître ? Plusieurs projets font surface. Forte d'un passé important, elle est un des hauts lieux de contestation de mai 1968, symbole des ouvriers ayant rejoint le mouvement étudiant. C'est aussi dans cette usine que les syndicats d'alors, ayant négocié avec le tout jeune secrétaire d'état à l'emploi, encore inconnu, Jacques Chirac, font les annonces des négociations ayant menées aux accords de Grenelle. En arrivant dans l'usine de Billancourt la fleur au fusil, ils avaient fièrement annoncé l'augmentation des salaires de 35%, la reconnaissance des sections syndicales et une quatrième semaine de congés payés. Réaction inattendue, ils se font huer par les ouvriers. La grève continuera. Que reste-t-il de ce passé lorsque l'usine ferme ses portes en 1992 ? Un projet de musée d'art moderne, et finalement la création d'un espace de concert. La « Seine Musicale » se construira en lieu et place de l'usine. C'était sans compter sur les ouvriers, qui se battent alors pour que soit encore présentes sur cette île leur mémoire et leur vie. Quand l'usine est finalement rasée, on leur confie un container dans lequel ils présentent des objets, des photographies, quelques outils aussi. Ce bâti de tôle sera la dernière présence des ouvriers de l'Usine de Billancourt. Présent durant toute la durée des travaux, ce petit espace sera enlevé,

1 France 3, 28 mars 2002, Institut National de l'Audiovisuel (INA), disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=vrl9WZattko , consulté le 14 décembre 2018

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et plus rien aujourd'hui sur l'Île Seguin ne raconte l'histoire de l'usine de Renault et de ses ouvriers.

Pourtant, les mémoires restent vives. En 1998 les anciens ouvriers ont créé l'ATRIS, l'Association des Anciens Travailleurs de l'Ile Seguin. Leur but est de collecter des témoignages vidéos, photographiques, audios, dans le but de faire vivre les mémoires ouvrières qui ont accompagné ce lieu. Partant du constat qu'après la destruction de l'usine plus aucun témoignage du passé n'est resté visible, entretenir ces mémoires et les collecter apparaissait comme le seul moyen de faire vivre ce lieu et plus généralement de rendre hommage aux Hommes y ayant travaillé. Aujourd'hui, le travail sur les mémoires ouvrières constitue une discipline d'étude assez répandue. De nombreux livres ou articles portent sur le sujet. Pourtant, il y a quelques années j'avais été frappée par le principe d'immatérialité que les mémoires ouvrières soulevaient. Au détour de lectures je comprenais que la dimension matérielle s'établissait dans le patrimoine industriel. Comprenant que l'industrie possédait son appellation de patrimoine, je me posais la question de l'établissement de ce même type de nom pour les ouvriers. Partant du constat que les mémoires ouvrières était un champ établi, la question du patrimoine ouvrier s'ouvrait alors. Pourquoi n'était-il pas nommé ? Un article d'Anne-Françoise Garçon nous met sur la voie : « L'ouvrier ne fait pas patrimoine... De la difficulté en France de faire se rejoindre mémoire du travail et

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archéologie industrielle » . Plusieurs pistes sont alors évoquées, la première repose sur le fait que parler d'un patrimoine ouvrier enfermerait une seule vision, vision qui ne pourrait être globale. Cette vision particulière soulèverait en symétrie la question d'une vision patronale, qui ne pourrait être prise en compte en ce qui concerne l'appellation de « patrimoine ouvrier ». Une autre raison soulevée dans cet article repose sur le fait que traditionnellement le patrimoine est associé à un monument. Le patrimoine ouvrier ne contient pas dans son

2 Anne-Françoise Garçon, L'ouvrier ne fait pas patrimoine... De la difficulté en France de faire se rejoindre mémoire du travail et archéologie industrielle , L'archéologie industrielle en France, Revue du CILAC n°36, p.48-59, 2000

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appellation de référence à du bâti. Finalement, pas assez englobant, trop particulier, le patrimoine ouvrier ne saurait faire rassembler. De ce rassemblement naît l'appellation d'un patrimoine. De fait, dans son essence le patrimoine porte en haut lieu la reconnaissance d'une spécificité. Il ne saurait être enfermé. Un patrimoine, pour être qualifié, accueille toutes les visions afin que chacun puisse se l'approprier. L'appellation de patrimoine ouvrier ne répondant pas à ces critères, il ne peut être établi.

Pourtant, les revendications se font de plus en plus forte comme en témoigne une

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proposition de loi déposée en 2017 sous l'appellation « patrimoine ouvrier ». Cet exemple peut nous interroger quant à l'article d'Anne Françoise Garçon : peut-être que les raisons d'une non qualification de « patrimoine ouvrier » sont révélatrices d'une volonté politique de ne pas le nommer ? A ce titre, Laurajane Smith met en avant l'idée qu'un patrimoine est patrimoine s'il répond à un

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discours officiellement admis : authorized heritage discourse (AHD). Cela montre le caractère politique sous-jacent quant à la notion et à l'établissement d'un patrimoine. Par ailleurs, Laurajane Smith, en examinant la liste du patrimoine mondial, explique que le patrimoine relevant des « lieux de la douleur et de la honte» (Logan et Reeves 2008) ou de « dissonance » sont en fait présentés comme un ajout primaire aux merveilles du patrimoine. Le fait est que le patrimoine consacré relève selon Laura Jane Smith, de considérations sociales et culturelles propres à une seule classe. Le patrimoine devient alors un outil de distinction sociale. Il conforte et répond aux exigences de la classe dominante.

Le patrimoine industriel s'inscrit en lien avec le patrimoine ouvrier. Les ouvriers et l'industrie s'étant développés en même temps. En ce sens, il nous faut comprendre précisément ce qu'il qualifie dans le but d'établir des convergences et des divergences. Un état des lieux est présenté par Jean-Yves Andrieux dans son

3« Réhabilitation de l'histoire populaire, ouvrière et révolutionnaire en tant que patrimoine culturel » , Alexis Corbière, le 20 septembre 2017

4 Laurajane Smith, Heritage, Labour and the Working Classes, Routledge, 2011

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5

ouvrage « Le patrimoine industriel » . On comprend que sa discipline l'archéologie industrielle a favorisé son émergence et sa reconnaissance. Nous développerons précisément ce que définit le patrimoine industriel par la suite. En ce sens, Laurent Bazin propose dans son ouvrage « Anthropologie, patrimoine

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industriel et mémoire ouvrière, vers une recontextualisation critique » une vision d'ensemble. Nous apprenons que l'anthropologie industrielle est très développée au Royaume-Uni avec l'école de Manchester et aux Etats-Unis avec l'école de Chicago, cependant, en France, son champ d'étude reste à définir clairement. Cet ouvrage nous permet d'appréhender la question des mémoires en lien avec le patrimoine bâti, ce qui pourrait constituer le sens du patrimoine ouvrier. L'ouvrage

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« La mémoire de l'industrie » nous permet de préciser ce lien conflictuel qu'entretiennent mémoires ouvrières et patrimoine industriel. De nombreux exemples sont avancés comme le cas de la grue Gusto, qui devait pour les uns être patrimonialisée car présentant de manière emblématique les chantiers navals de Saint-Nazaire, et pour d'autres être éliminée car soulevant des problématiques financières et posant aussi la question du « beau » qui doit émaner d'un objet de patrimoine.

Aussi, cette question mémorielle autour de sites pose des regards conflictuels. Comme précédemment énoncé par Anne-Françoise Garçon, une patrimonialisation s'accompagne d'un discours. Or, en ce qui concerne notre objet d'étude, ce discours est très difficile à appréhender. De fait, le patrimoine ouvrier propose avant toute chose une manière de voir et donc une manière de dire . En ce sens, Patrice Béghain précise que « Le patrimoine peut-être un instrument de

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manipulation ou du moins une source de confusion mémorielle. ». La fonction du

5 Jean-Yves Andrieux, Le patrimoine industriel , Paris, Presses Universitaires de France, « Que-sais-je ? » , 1992

6 Bazin Laurent, « Anthropologie, patrimoine industriel et mémoire ouvrière. Vers une recontextualisation critique », L'Homme & la Société , 2014/2 (n° 192), p. 143-166.

7 Jean-Claude Daumas, La mémoire de l'industrie, Introduction - l'Usine, la mémoire et l'histoire, Les cahiers de la MSH Ledoux, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2011

8 Patrice Béghain, Patrimoine, politique et société , La bibliothèque du citoyen, Presses de Sciences Po, p.136, 2012

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discours s'accompagne donc nécessairement d'analyses historiques mais aussi

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sociales. Maurice Halbwachs dans Les cadres sociaux de la mémoire précise même :

« Insistons sur ce point. La porte de l'usine représente assez exactement aux yeux de l'ouvrier la ligne de séparation entre les deux parties de sa vie quotidienne. Si elle reste entr'ouverte, c'est plutôt après la journée de travail qu'avant : une partie des habitudes de penser ou de ne pas penser, qu'entraîne le contact exclusif avec la matière, reflue dans la zone de la société où vit l'ouvrier hors de l'atelier. Quand il retourne dans les locaux de travail, il sent bien qu'il laisse derrière lui un monde pour entrer dans un autre, et qu'il n'y a entre les deux aucune communication. Mais, lorsqu'il entre au Palais, le juge ou l'avocat ne se sent point exclu et séparé, même pendant les audiences, pendant toutes les heures directement consacrées à sa fonction, des groupes au sein desquels se passe le reste de ses journées. Leur présence réelle n'est pas en effet nécessaire pour qu'il pense et se comporte encore, même loin d'eux, comme membre de ces groupes, pour qu'il évoque les jugements qu'on y porte, les qualités qu'on y apprécie, les personnes, les actes et les faits auxquels on s'y intéresse. Ainsi, invisiblement, la fonction, envisagée comme un ensemble d'activités et de pensées techniques, baigne dans un milieu d'activités et de

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pensées non techniques, mais purement sociales. »

Cela confirme ce que Julien Bondaz, Cyril Isnart et Anaïs Leblon développent dans leur article « Au-delà du consensus patrimonial- Résistances et usages

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contestataires du patrimoine » . Les questions que soulèvent les mémoires sont en

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effet à usage politique .

9 Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Albin Michel, 2011 [première édition 1925]

10 Ibid. p.246

11 Julien Bondaz, Cyril Isnart et Anaïs Leblon, « Au-delà du consensus patrimonial-Résistances et usages contestataires du patrimoine » , Civilisations, Revue Internationale d'anthropologie et de sciences humaines, pp. 9-22, 2012

12 « Toutefois, c'est bien la combinaison entre patrimoine, identité et territoire comme miroir des enjeux politiques présents qui fait de ces processus mémoriels des objets de luttes et de conflits. Depuis quelques décennies déjà, les collectivités territoriales, les producteurs agricoles, les comités de tourisme, les acteurs des territoires frontaliers, les communautés transnationales et certains médias se transforment en entrepreneurs

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En considérant ces différentes recherches et analyse, nous pouvons nous demander s'il existe un patrimoine ouvrier aujourd'hui en France. Au regard de cette question, comment se constitue-t-il au sein d'autres sphères patrimoniales ? Dans le but d'y répondre nous émettons les hypothèses suivantes :

- Le patrimoine ouvrier existe mais n'est pas conceptualisé tel quel.

- Le patrimoine ouvrier se retrouve dans différentes sphères patrimoniales, et peut donc être qualifié de patrimoine diffus.

Pour avancer les premiers éléments de réponse, nous développerons les éléments officiels de ce qui fait l'ouvrier. Mais aussi le caractère politique qui se dégage de cette dénomination. Nous proposerons également un état des lieux des patrimoines où il est accueilli. Le deuxième chapitre nous permettra la présentation de cas existant. Cela nous permettra l'analyse des discours qu'ils soient clairs ou symboliques. Un accent particulier sera proposé en ce qui concerne les réhabilitations et destruction des lieux du travail ouvrier. Cela pour permettre une analyse autour de la propriété que sous-tend la notion de patrimoine, et les usages qui en sont faits.

Par les patrimoines industriel, urbain, et ceux des sciences et techniques nous proposerons de premiers éléments de réponses, tenant à la diffusion du patrimoine ouvrier. Pour cela, nous nous appuierons sur des ouvrages traitant de manière globale du patrimoine, mais aussi des articles de presse relatant des faits d'actualité qui nous permettront de mettre en lumière le caractère actuel que peut constituer cette recherche. Au travers de différents lieux institués : La Station F à Paris, le magasin Uniqlo du Marais, le Lieu Unique à Nantes, le musée de la Métallurgie Ardennaise à Bogny-sur-Meuse ou encore la station de métro Javel André-Citroën à Paris, nous proposerons une description de l'utilisation qui est

culturels susceptibles de proposer eux-mêmes des contenus patrimoniaux ou d'en contester les versions officielles. », Ibid.

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faite du patrimoine ouvrier, cela dans le but d'apprécier ou non la manière dont il est présenté.

Nous remarquons que les patrimoines dit difficiles sont la plupart du temps source de conflit, conflit dont la reconnaissance patrimoniale opère quasiment comme excuse historique que les pouvoirs publics doivent fournir dans le but d'une paix sociale. C'est pourquoi, nous analyserons les ressorts politiques dans la constitution du patrimoine. Un rapide historique des politiques patrimoniales en France permettra la compréhension du patrimoine ouvrier dans ce nouveau paradigme. De plus, l'étude du processus de patrimonialisation que nous appliquerons au patrimoine ouvrier nous permettra d'en saisir les points de convergences et de divergences. Le Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais inscrit sur la liste du patrimoine mondial nous donnera également un bon aperçu du seul patrimoine ouvrier admis mondialement, il nous permettra d'observer les limites de cette inscription à la vue de sa présentation et des critères de sélection qui ont été retenus pour son classement.

Toujours dans le but d'une analyse globale nous questionnerons l'esthétique présente dans les musées qui exposent le patrimoine ouvrier. Cela pour nous permettre d'interroger la notion du beau , qui, dans notre cas se substitue à la mémoire applicable aux objets. Cet effacement au profit de l'intérêt visuel semble problématique dans l'exposition du patrimoine ouvrier.

C'est dans cette continuité que nous poserons le cadre d'analyse de l'utilisation de la mémoire dans les musées de façon global, puis dans les musées de patrimoine ouvrier plus particulièrement. Cela nous permettra d'affirmer la notion de patrimoine vivant, nous en expliquerons la notion et son application.

Nous poursuivrons avec une analyse plus spécifique des musées où le patrimoine ouvrier est affirmé et revendiqué. Pour ce faire, nous étudierons le musée de l'Histoire Vivante à Montreuil et le Workers Museum - Arberjetmuseet de

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Copenhague. Nous y exposerons une similarité des origines et interrogerons l'idée des prémisses de ces collections comme génératrice d'une identité muséale. Cela nous permettra d'évoquer la recherche d'un modèle de patrimoine ouvrier, nous développerons les deux types qui s'y opposent.

Ces musées s'inscrivent dans une volonté d'affirmation des territoires dans lesquels ils prennent place, nous exposerons donc pour finir, l'impact du tourisme qui traduit l'expression de l'utilisation économique du patrimoine ouvrier. Nous aborderons le tourisme comme ressource pour les territoires et l'exploitation du patrimoine ouvrier dans ce domaine, ce qui nous conduira à aborder l'utilisation du patrimoine dans un but commercial.

Qu'entend-t-on par patrimoine ouvrier ?

Le patrimoine ouvrier, si l'on s'en tient aux objets matériels, correspond aux biens ayant été détenus ou utilisés par les ouvriers. Nous pourrions y inclure les objets matériels dont ils ont eu l'usage, sans forcément la propriété, mais aussi les coutumes et l'art de vivre qui correspondent à cette classe sociale. Et pourquoi pas, l'objet fini, fruit d'un processus de production industrielle ayant été façonné et construit par des ouvriers. Nous pourrions également y faire figurer la littérature, les chants, les films, ayant pour sujet les ouvriers, sans qu'ils en soient les concepteurs ou créateurs. Nous proposons une liste, non exhaustive, des biens culturels que nous considérerons constitutifs du patrimoine ouvrier pour la poursuite de cet écrit.

Biens matériels et immatériels culturels du patrimoine ouvrier

-les outils intégrés dans le processus de production industrielle

-les lieux ayant trait à la vie ouvrière : usines, locaux syndicaux, habitats, jardins ouvriers, cités ouvrières, mines...

-les objets issus de la production culturelle ayant pour sujet le monde ouvrier : littérature, films, chants...

-les biens immatériels représentatifs du monde ouvrier : les mémoires ouvrières, les techniques de production, les luttes sociales, les habitudes alimentaires, les

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vêtements, les paysages culturels , les coutumes, les gestes, les savoirs-faire...

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Certes, nous n'avons pas pour but dans ce mémoire d'analyser les biens culturels matériels ou immatériels constitutifs du patrimoine ouvrier. Ce que nous abordons vise à analyser et comprendre les tensions qui accompagne la notion, et de ce fait, la narration du patrimoine ouvrier. Nous souhaitons, au travers de la relation politique-patrimoine, établir et présenter les obstacles à une reconnaissance pleine et entière du patrimoine ouvrier en France..

Dans cette continuité et considérant les critères que nous venons d'exposer, nous proposons de retenir la définition d'un musée de patrimoine ouvrier faite par l' International Association of Labour museums (Worklab), seule référence internationale en matière de musée ayant pour objet le patrimoine ouvrier, qui agit auprès d'institutions reconnues : Union-Européenne, ICOM, TICCIH notamment. Dans la démarche de pouvoir s'ouvrir et généraliser la place du patrimoine ouvrier et de l'histoire ouvrière dans le monde, l'International Association of Labour Museums (Worklab) essaient de regrouper tous les musées en lien avec le patrimoine ouvrier dans le but de construction d'un véritable réseau international. Ce réseau vise à créer une entraide sur les contenus, et souhaite impliquer les chercheurs en organisant un symposium par an. En plus d'être une journée spécifique de ce réseau, ce symposium agit comme lieu de rencontre annuelle des professionnels du patrimoine ouvrier. En intervenant auprès de différentes

13Le bassin minier du Nord-Pas-De-Calais a été classé patrimoine mondial de l'Unesco sur le critère de «paysage culturel évolutif vivant» : « Le Bassin minier est un paysage industriel témoignant de la façon dont l'homme a façonné son environnement en exploitant une ressource naturelle, le charbon. C'est en ce sens, qu'il est « culturel » selon la catégorie en vigueur au Comité du patrimoine mondial.» , site internet de l'Unesco,

http://www.bassinminier-patrimoinemondial.org/un-paysage-culturel-evolutif-et-vivant/ ,
[consulté le 16 mars 2020]

16

instances reconnues du patrimoine, le Worklab constitue un lobby en faveur de la reconnaissance et de l'entretien du patrimoine ouvrier.

Le Worklab estime musée ouvrier , tout musée qui :

- adhère aux exigences de l'ICOM (International Council of Museums)

- est entièrement (ou possède au minimum) 1 département traitant de l'histoire ouvrière, du travail ou/et de l'histoire industrielle 14

Est donc patrimoine ouvrier ce qui englobe le patrimoine industriel et les mémoires ouvrières. Le patrimoine industriel s'attachant principalement au bâti décrit une architecture particulière et, dans une moindre mesure, aux outils qui y prennent place. Les mémoires ouvrières agissent, quant à elles, comme l'incarnation des objets, elles sont leur signifiant. Aussi, les mémoires ouvrières ne prennent pas uniquement place à l'intérieur de l'usine mais s'inscrivent dans la vie pleine et entière d'un ouvrier. En considérant tous ces éléments, tant dans leur diversité que dans leur complexité, nous sommes en présence de ce qu'incarne le patrimoine ouvrier.

14 The International Associations of Labour Museums (WorkLab), Statuts : « 1. meets the requirements of the International Council of Museums (ICOM) 1, and

2. is wholly or has at least one department devoted to one or more subjects in the fields of history of workers, labour and industrial work. , disponible en ligne : http://worklab.info/constitution/ , [consulté le 9 avril 2020]

17

Chapitre 1 - Les fondations d'un patrimoine ouvrier

a- Ouvrier, un groupe particulier

i- Etude de la catégorie socioprofessionnelle

Le « patrimoine ouvrier » revêt dans son appellation une dimension

sociale et économique. Le patrimoine dit « ouvrier » désigne une condition et signifie que nous sommes au point de rencontre entre le travail et sa patrimonialisation. Loin d'être évident, ce patrimoine suppose des points de crispation car il relève d'une appréciation officielle de ce qu'est un « ouvrier ». Pour pouvoir l'étudier nous pouvons nous référer à la catégorie socioprofessionnelle à laquelle il renvoie. La définition de l'Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) précise :

« Le groupe ouvrier est structuré par une série d'oppositions. La qualification instituée dans les conventions collectives, est en étroite corrélation avec de nombreuses variables, comme le sexe, l'origine sociale, la formation ou le salaire. Toutes ces variables permettent d'établir une gradation des métiers ouvriers, des professionnels d'entretien aux ouvriers non qualifiés des industries légères et aux ouvriers agricoles.

Deuxième clivage, l'opposition entre travail industriel et travail de type artisanal, qui a été introduite dans la nouvelle nomenclature. La gestion réglée du travail industriel se traduit par une plus grande stabilité de l'emploi et un alignement des horaires sur la durée légale.

Si la différence entre ouvriers et employés parait évidente parce qu'on a en tête les positions extrêmes, la frontière entre les deux groupes n'est pas facile à tracer. Ainsi les chauffeurs et les cuisiniers sont aux limites du groupe ouvrier, et s'opposent aux ouvriers de production de la grande industrie ou aux ouvriers du bâtiment qui en constituent le noyau.

15

»

15 Institut National de la Statistiques et des Etudes Economiques, Professions et Catégories Socioprofessionnelles,n°6

, https://www.insee.fr/fr/metadonnees/pcs2003/categorieSocioprofessionnelleAgregee/6?c hampRecherche=false , consulté le 23 janvier 2019

18

Cette définition interroge à la fois la manière dont est pratiqué le travail et les rapprochements entre différents critères sociaux qui permettent l'établissement de groupes précis d'ouvriers, mais aussi le type de structure dans lequel le travail prend place. Aussi, l'appartenance au groupe « ouvrier » est en réalité régi et signifié par la position hiérarchique la plus basse au sein de l'entreprise. Un ouvrier ne représente donc pas seulement une manière de travailler, mais une place dans la gradation des métiers d'une entreprise. C'est d'ailleurs de cette position que découle la manière d'exercer le travail. Dans cette définition, l'INSEE propose une répartition plus nette qui se décompose en trois sous-parties. On y trouve les ouvriers qualifiés , les ouvriers non qualifiés et les ouvriers

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agricoles . Nous qualifions l'ouvrier plus communément comme celui exerçant une tâche physique répétitive moyennant salaire. L'ouvrier vend donc sa force de travail, l'entreprise possède les moyens de production et l'ouvrier les exploite physiquement.

17

Les ouvriers représentent aujourd'hui 20,4% de la population active (Annexe 1). A priori, ils seraient actuellement moins nombreux que dans les années 70. Durant

18

ces années ils totalisaient 40% de la population active . Néanmoins, les groupes des « ouvriers » et des « employés » sont très poreux et leurs définitions respectives ne sont pas assez claires. L'Insee précise même : « Si la différence entre ouvriers et employés parait évidente parce qu'on a en tête les positions

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extrêmes, la frontière entre les deux groupes n'est pas facile à tracer. » L'exemple le plus commun consiste à souligner le fait qu'une caissière opère des gestes physiques répétés, en dépit de cela, elle est considérée par l'Insee comme une employée.

16 Ces catégories d'ouvriers sont elles même décomposés en plusieurs sous-parties. INSEE, catégories socio professionnelles https://www.insee.fr/fr/metadonnees/pcs2003/categorieSocioprofessionnelleAgregee/6?ch ampRecherche=false , consulté le 27 février 2019

17 Insee, Catégorie socio-professionnel selon le sexe et l'âge, 2018, https://www.insee.fr/fr/statistiques/2489546#tableau-Donnes , consulté le 11 mars 2019

18 Perrine Mouterde, Qui sont les ouvriers d'aujourd'hui ? , Le Monde, 23 mai 2016

19 Insee, op. cit.

19

ii- La disparition des ouvriers

Cette dualité qui s'opère en catégorisant différemment un travail, qui peut être considéré comme similaire à un autre, participe à une diminution des chiffres d'ouvriers par l'Insee. Cette diminution des chiffres n'est pas anodine car elle justifie la disparition du paysage médiatique de cette classe sociale. A ce sujet, une récente étude du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA), montre que le temps de passage des ouvriers à la télévision ne représente que 4% du temps global de l'antenne, comparativement aux cadres qui eux totalisent 60% du temps

20

de passage à cette même antenne (Annexe 2).

Cet effacement du paysage audiovisuel montre l'absence plus générale des ouvriers de la société. Cette disparition pose un problème car elle ne reflète pas la réalité sociétale : rappelons que les ouvriers représentent encore 20,4% de la

21

population active . Cette absence fait planer l'oubli de cette classe par ceux-là

20 CSA, baromètre de la diversité de la société française, vague 2018, consulté le 11 mars 2019

21 A ce sujet, Stéphane Beaud et Michel Pialoux dans leur ouvrage Retour sur la condition ouvrière (2012, première édition : 1999) , raconte p.27 : « Une belle illustration de ce phénomène est la sous-estimation de leur nombre [des ouvriers] notamment par les « jeunes ». L'Histoire suivante, qui se passe dans une faculté parisienne de sociologie, est, à nos yeux, très significative. Lors d'un cours de licence, au mois de janvier 1997, après trois mois de cours où l'on a beaucoup parlé du travail ouvrier, on éprouve le besoin de faire une petite mise au point statistique. On pose la question : « Combien y'a-t-il d'ouvriers en France, au sens statistique, à votre avis ? » Après un long silence, une étudiante, courageuse, se lance : « 200 000. » Plusieurs étudiants protestent : « Non, ce n'est pas assez. » Un autre renchérit à 2 millions. Discussion générale. On rappelle qu'on inclut les chômeurs dans les chiffres de la population active. Après quelques moments de brouhaha, on transige à 1,5 million. Trois jours plus tard, dans un enseignement de magistère de sciences sociales (un niveau plus élevé, plusieurs étudiants ont fait deux ou trois ans de khâgne ou Science Po), on indique les chiffres recueillis en licence. On ne cache pas notre étonnement. Lorsqu'on leur demande : « Mais vous, que diriez-vous ? » Plus assurés, ils répondent plus vite et aisément. Une étudiante avance le chiffre de 300 000. La discussion s'ouvre, un autre étudiant monte à 3 millions. La discussion est confuse mais le chiffre final tourne autours de 2,5 millions. Ils ont une idée relativement précise de la population totale de la France et du nombre d'actifs qu'ils situent entre 20 et 25 millions. C'est lorsqu'on leur fait prendre conscience de ces chiffres qu'ils sont tentés de remonter le nombre d'ouvriers. Ils minimisent donc systématiquement. Ils se sentent confus lorsqu'on leur donne les « vrais » chiffres, ceux du recensement de 1990 (environ 6,5 millions) en les invitant à réfléchir sur la

20

même qui la composent. Aussi, cela peut en partie expliquer qu'aujourd'hui un ouvrier ne se reconnaît pas comme tel. Un article de Perrine Mouterde paru dans Le Monde du 23 mai 2016 et intitulé « Qui sont les ouvriers d'aujourd'hui ? » explique :

« Lorsque Martin Thibault, sociologue du travail à l'université de Limoges, a entamé son enquête, Ouvriers malgré tout (Raison d'agir éditions, 2013), auprès des agents de maintenance de la RATP, l'entreprise lui a répondu qu'il n'y avait pas d'ouvrier chez elle. Souvent, les agents eux-mêmes ne se disaient pas ouvriers, jusqu'à ce qu'ils soient rattrapés par la réalité de leur métier - physique, répétitif, très encadré et exercé dans des hangars où il fait trop chaud ou trop froid. Dans les entrepôts de la grande distribution, même constat : ni les préparateurs de commandes ni les caristes ne se disent ouvriers. Et chez Amazon, les salariés sont des « associates » » 22

Cette non représentation a pour résultat que les ouvriers eux-mêmes oublient la classe sociale dont ils sont issus. De ce fait, la mémoire associée à cette classe tend à disparaître. C'est au travers de cette mémoire que l'on se considère comme appartenant à un groupe social. Cela apparaît d'autant plus problématique que, comme l'a montré Maurice Halbwachs :

« Il n'est pas de grande administration où, à côté de la technique, il n'y ait aussi des traditions, et tout homme qui entre dans une profession doit, en même temps qu'il apprend à appliquer certaines règles pratiques, se pénétrer de cet esprit qu'on peut appeler corporatif, et qui est comme la mémoire collective du groupe professionnel. Qu'un tel esprit se forme, et se fortifie d'âge en âge, cela résulte de ce que la fonction qui en est le support dure elle-même depuis longtemps, et que les hommes qui l'exercent sont en rapports fréquents, de ce qu'ils accomplissent les mêmes opérations, ou en tout cas des opérations de

signification sociologique de cette sous-estimations et notamment sur les discours qui ont été tenus, depuis quinze ou vingt ans, sur la disqualification du groupe ouvrier et sa relégation à l'état de survivance, sur la dévalorisation symbolique dont le groupe a été l'objet et sur la façon dont cette dévalorisation a été vécue, ressentie. »

22 Perrine Mouterde, op.cit.

21

même nature, et de ce qu'ils ont le sentiment continu que leurs activités se

23

combinent en vue d'une oeuvre commune. ».

En se reconnaissant comme partie d'un groupe et en entretenant la mémoire de ce dernier, on dépasse sa stature individuelle, ce qui permet de s'affirmer en tant que membre d'une société. Cet oubli de classe pose donc la question de l'inscription sociale : en ne sachant plus que l'on est ouvrier, il est difficile de revendiquer un héritage qui pourrait constituer un patrimoine.

iii- Un objet politique

En effet, ce n'est pas seulement l'oubli de la fonction mais bien toutes les associations faites avec le terme d' « ouvrier » qui sont niées. Comme montré par

24

Perrine Mouterde dans son article , lorsque les salariés d'Amazon sont nommés « associates » on leur retire toute une culture qu'ils pourraient revendiquer. Le terme d' ouvrier porte avec lui une série de représentation qui sont aussi ce pourquoi on ne le destine plus aux métiers actuels. A ce sujet, une simple recherche d'image sur le sujet permet de se rendre compte du changement de perception (Annexe 3). Nous y voyons des hommes empreints d'une forte érotisation, laissant voir une masculinité exacerbée. Ce qui frappe sont les sourires exagérés, les pouces levés qui font mine d'une certaine joie, comme si les représentations devaient convaincre d'un bonheur au travail, bien loin de l'image que l'on a en tête. Pour s'en assurer, en tapant le mot clé « ouvrier » et en y ajoutant une année, en l'occurrence 1950 (Annexe 4), on découvre des images d'ouvriers à l'opposé de celles vues juste auparavant. Il est intéressant de constater qu'une unique photo est commune à ces deux recherches, une

25

photographie de Lewis Hine prise en 1920 où l'on voit un ouvrier resserrer les

23 Halbwachs, op.cit., p. 242- 243

24 Ibid.

25 Lewis Hine (1874-1940) est un sociologue et photographe américain s'étant illustré dans la photographie dite « sociale »

22

boulons d'une machine à vapeur. Comme si, malgré tous les efforts faits pour changer la représentation de l'ouvrier, il restait l'image de travail laborieux.

Dans la première recherche, on remarque une solitude dans la manière de voir l'ouvrier. A part une seule image où nous voyons 3 personnes, toutes les photos montrent des individus seuls. Cela est en total opposition avec la deuxième recherche où les images sont majoritairement composées de plusieurs personnes, ce qui laisse voir une vie sociale. Cette vie sociale est inexistante quand on tape « ouvrier ». Dans le panel « ouvrier 1950 » on distingue également des images de manifestations, cela prouve l'objet politique qui se cache derrière les représentations. Les associations que l'on fait quand on pense à l'ouvrier sont absolument opposées à celles que l'ont fait en pensant à un« associate ». Le terme « ouvrier » renferme donc un objet politique considérable, difficile à contenir et qui pousse aujourd'hui à ce qu'on ne le nomme plus ainsi. En ce sens, un récent manifeste (Annexe 5) rédigé à l'occasion de l'exposition L'Usine Extraordinaire 26 , permet de mieux comprendre toutes les tensions que sous-tend le terme « ouvrier », mais aussi celui d'usine, auquel nous l'associons. Le terme de « manifeste » pourrait d'ailleurs, aussi être commenté. Sous l'égide de la Fondation Agir Contre l'Exclusion (FACE), ce manifeste publié dans Le Monde déclare :

« L'enjeu primordial est de redonner du sens au travail. L'industrie d'aujourd'hui et de demain, ce sont des usines, des ateliers, des centres de

recherche et de design, peuplés de machines et maillés par de multiples réseaux. Mais avant tout, ce sont des communautés de femmes et d'hommes qui coopèrent en vue d'oeuvres utiles et communes. Partout, les modèles de discipline à

l'ancienne et de division du travail entre ceux qui pensent et ceux qui font deviennent contre-productifs, insupportables. La recherche d'autonomie,

l'exigence de sens et la volonté de « faire », d'agir dans le concret, sont les valeurs montantes, notamment pour les jeunes générations. L'usine, c'est

27

d'abord un monde social en réinvention, inclusif et porteur de sens. »

26 L'Usine Extraordinaire, Grand-Palais, Paris, du 22 au 25 novembre 2018

27 Manifeste, Cinq défis pour les usines de demain , Fage, 2018

23

Pour mieux comprendre la volonté politique de ce manifeste et la teneur militante de son propos il convient de comprendre les missions de la FACE qui se présente ainsi :

« La Fondation reconnue d'utilité publique a été créée afin de rassembler le plus grand nombre de parties prenantes (industriel.le.s, partenaires sociaux, enseignant.e.s, formateur-ice-s...) et faire changer le regard des

28

Français et surtout celui des jeunes générations sur l'industrie. »

Le but de cette fondation est clairement énoncé « [...] faire changer le regard des

29

français et surtout celui des jeunes générations sur l'industrie » et soulève un grand nombre d'interrogations. Car changer le regard sur l'industrie constitue aussi une manière de changer l'Histoire. Non pas que l'Histoire soit manipulée pour servir le but de cette fondation, mais que ce changement de vision qui est prôné est dans la droite ligne d'un oubli des ouvriers pour eux-mêmes. Pour cela, les mots utilisés revêtent un sens particulier et nous assistons à des changements de vocables de plus en plus prégnants. Outre les « associates » d'Amazon, on

30 31

retrouve en bonne et due place les « opérateurs », « les techniciens », les «

32

salariés de la production ». On pourrait aisément nous indiquer qu'il ne s'agit pas des mêmes emplois, les changements de dénomination prendraient alors tout leur sens. Pourtant, un document disponible lors de cette manifestation « Mutations

33

industrielles et évolution des compétences » associe le terme « opérateur » au « travail à la chaîne » ce qui laisse peu de doute quant à la nature du travail exercé, absolument synonyme de celui d'ouvrier :

« Franck Naro, directeur de l'usine Renault-Douai, renchérit en indiquant qu'« au-delà de la polyvalence, les opérateurs devront être capables

28 Fondation Agir Contre l'Exclusion, https://www.usineextraordinaire.com/la-fondation/ , consulté le 27 mars 2019

29 Ibid.

30Mutations industrielles et évolution des compétences , Les synthèses de la Fabrique, Avril 2016

31 Ibid.

32 Ibid.

33 Ibid.

24

d'alterner des phases de travail manuel, à la chaîne, et des phases plus en amont

34

de la fabrication des véhicules (développement et industrialisation). »

Cette politisation qui naît de l'idée d'ouvrier est, de fait, affirmée et reconnue si on lui donne le nom d'un patrimoine. Cela constitue un des premiers obstacles à la reconnaissance générale du patrimoine ouvrier. Néanmoins, cela ne saurait être la seule frontière à sa reconnaissance.

b- Le patrimoine et l'ouvrier

Le patrimoine est depuis de nombreuses années un champ d'action majeur des politiques culturelles. Il s'établit dans la définition que propose l'Icom sur les

musées :

« Un musée est une institution permanente sans but lucratif au service de la société et de son développement ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l'humanité et

35

de son environnement à des fins d'études, d'éducation et de délectation. »

Le patrimoine se définit aussi juridiquement au travers de la loi relative à la

36

protection du patrimoine . Du point de vue légal, il est constitué de biens culturels qui comprend : les biens culturels immobiliers ; les biens culturels

37

mobiliers ; et, les biens culturels immatériels . Se définissant à l'origine comme représentant des « Biens de familles, biens que l'on a hérités de ses ascendants . 38 », il se veut un héritage de ses aïeuls. En ce sens il renvoie étymologiquement au pater , le père qui à l'origine transmet. Cette notion d'héritage est d'autant plus importante qu'elle suppose une définition de temps, c'est une chose du passé que l'on donne au présent. Il est une sorte de donation matériel de mémoire. Au fil des

34 Ibid. , p.5, 2016

35« Définition du musée- ICOM ». Consulté le 6 mars 2018. http://icom.museum/la-vision/definition-du-musee/L/2/

36 Unesco, loi 98-04 relative à la protection du patrimoine du 15 juin 1998, consulté le 13 mars 2019.

37 Ibid.

38 Petit Robert, 2016, « patrimoine »

25

siècles, le terme « patrimoine » est devenu de plus en plus élastique et peut aujourd'hui qualifier de nombreuses choses. Les possibilités de sens qui en résultent sont aussi source de controverses. C'est ainsi que Françoise Choay explique dans les premières pages de son livre « L'allégorie du patrimoine » :

« Ce très beau et très ancien mot était, à l'origine, lié aux structures

familiales, économiques et juridiques d'une société stable, enracinée dans l'espace et le temps. Requalifié par divers adjectifs (génétique, naturel, historique...) qui en ont fait un concept « nomade », il poursuit aujourd'hui une carrière autre et retentissante. » 39

i- Le patrimoine industriel, relation à l'ouvrier

Cet élargissement des désignations que prend le patrimoine a vu se développer, au cours du XXème siècle, la notion de patrimoine industriel. Le patrimoine ouvrier peut, à raison, être confondu avec celui-ci, tant leurs objets sont liés. L'industrie étant le domaine dans lequel les ouvriers ont pris place, il apparaît logique de les associer. Cependant, les dualités sont dans leurs appellations même. Sans parler pour l'instant de l'objet architectural qu'il désigne, le patrimoine industriel s'attache à une période ou en tout cas à un mode de production. Le patrimoine ouvrier, lui, s'attache à l'être et à une condition. On pourrait presque associer le patrimoine industriel à un patrimoine de pierre et le patrimoine ouvrier à un patrimoine de vivant ce qui change considérablement leur objet. Le patrimoine industriel étant aujourd'hui un sujet reconnu et un domaine de recherche établi, nous pouvons y trouver des descriptions précises. Le TICCIH

40

- Comité international pour la conservation du patrimoine industriel , définit le patrimoine industriel comme suit, s'appuyant sur la Charte Nizhny Tagil :

39 Françoise Choay, L'allégorie du patrimoine , Seuil, 1996, p.9

40 The International Committee For The Conservation Of The Industrial Heritage, est l'organisation mondiale pour la protection du patrimoine industriel. Cette organisation est reconnue par l'ICOMOS qu'elle conseille pour ses recherches autour du patrimoine industriel. « Its goals are to promote international cooperation in preserving, conserving, investigating, documenting, researching, interpreting, and advancing education of the industrial heritage . » , site TICCIH, http://ticcih.org/about/ ,consulté le 25 mars 2019

26

« Le patrimoine industriel comprend les vestiges de la culture industrielle qui sont de valeur historique, sociale, architecturale ou scientifique. Ces vestiges englobent : des bâtiments et des machines, des ateliers, des moulins et des usines, des mines et des sites de traitement et de raffinage, des entrepôts et des magasins, des centres de production, de transmission et d'utilisation de l'énergie, des structures et infrastructures de transport aussi bien que des lieux utilisés pour des activités sociales en rapport avec l'industrie (habitations, lieux

41

de culte ou d'éducation). »

Cette définition établit en premier lieu l'idée de « vestige », soit ce qui demeure (d'une chose détruite, disparue) , ou, ce qui reste (d'une chose abstraite : idée,

42

sentiment..., d'un caractère) , donc l'idée de trace. Or, le « vestige » suppose quelque chose de terminé. Voilà une différence majeure avec l'idée de « patrimoine ouvrier ». Comme nous l'avons vu précédemment, les ouvriers représentent encore 20,4% de la population active française. Loin d'être du « fini », l'idée de « patrimoine ouvrier » est toujours du « présent ». Aussi, une description très précise de ce qui compose le patrimoine industriel est énoncé :« [...] des bâtiments et des machines, des ateliers, des moulins et des usines, des mines et des sites de traitement et de raffinage, des entrepôts et des magasins, des centres de production, de transmission et d'utilisation de l'énergie, des structures et infrastructures de transport aussi bien que des lieux utilisés pour des activités sociales en rapport avec l'industrie (habitations, lieux de culte ou d'éducation) 43 » , ce qui y est référencé s'attache aux objets, structure et lieux composant l'industrie. Il ne s'agit donc pas de personnes en soit, les ouvriers ne sont pas compris dans cette définition de patrimoine industriel. La mention concernant les habitations, les lieux de cultes ou d'éducation, est précédée par l'inscription du lieu. On s'attache donc à un caractère géographique précis, à une matérialité,

41 Le patrimoine industriel, Charte Nizhny Tagil pour le Patrimoine industriel, Juillet 2003, TICCIH, http://ticcih.org/wp-content/uploads/2013/04/NTagilFrench.pdf , consulté le 25 mars 2019

42 Petit Robert, « vestige », 2016

43 Charte Nizhny Tagil, op.cit.

27

quand il s'agit de définir le patrimoine industriel. Aussi, le patrimoine industriel en France est étudié par le CILAC - Comité d'information et de liaison pour l'archéologie, l'étude et la mise en valeur du patrimoine industriel. Cette association est l'organe de publication scientifique reconnu portant sur les recherches en ce qui concerne le patrimoine industriel et son appellation scientifique dite « de l'archéologie industrielle ».

Aussi le CILAC propose en plus de la Charte Nizhny Tagil pour le Patrimoine une autre définition qui complète sa qualification et son objet d'étude en ce qui concerne les territoires. Adopté en 2011, le document final des Principes conjoints ICOMOS-TICCIH pour la conservation des sites, constructions, aires et paysages du patrimoine industrie ( dits « Principes de Dublin ») par l'ICOMOS et le TICCIH expose :

« Le patrimoine industriel comprend les sites, les constructions, les complexes, les territoires et les paysages ainsi que les équipements, les objets ou

les documents qui témoignent des procédés industriels anciens ou courants de production par l'extraction et la transformation des matières premières ainsi que

des infrastructures énergétiques ou de transport qui y sont associées. Il exprime une relation étroite entre l'environnement culturel et naturel puisque les procédés industriels - anciens ou modernes - dépendent de ressources naturelles, d'énergie et de voies de communication pour produire et distribuer des biens sur

les marchés. Ce patrimoine comporte des dimensions immatérielles comme les savoir- faire techniques, l'organisation du travail et des travailleurs ou un

héritage complexe de pratiques sociales et culturelles résultant de l'influence de l'industrie sur la vie des communautés et sur la mutation des sociétés et du

44

monde en général. »

Nous précisons avant toute chose que cette charte repose sur la conservation des sites, constructions, aires et paysages du patrimoine industriel. On comprend

44 Principes conjoints ICOMOS-TICCIH pour la conservation des sites, constructions, aires et paysages du patrimoine industriel, 2011, disponible en ligne : https://www.icomos.org/newsicomos/news1991/july_2011_Vol18-No1/Icomos_18_FR_N OIR_OK_web.pdf

28

donc que le patrimoine industriel revêt une dimension spatiale importante. Cette définition complète la précédente et fait nous interroger sur le lien très fort entre les lieux d'industrie et leur environnement mais aussi sur le rapport à la production qui apparaît comme une spécificité à mettre en avant en ce qui concerne le patrimoine industriel. Aussi, cette définition est intéressante car, pour la première fois la dimension immatérielle est prise en compte. À travers son établissement et la qualification faite de « travailleur » on peut imaginer qu'il s'agit d'une reconnaissance des ouvriers à la construction du patrimoine industriel. Pour autant, on remarque l'inscription de la technique et des moyens pour y arriver bien avant la reconnaissance ayant pour seul but la mise en avant des hommes y ayant contribué. Ces principes de Dublin adoptés en 2011 constituent une première reconnaissance des travailleurs de l'industrie et de la création de mode de vie particulier qui s'influence d'un côté comme de l'autre. Il est remarquable que toutes les références faites au travailleurs de l'industrie sont dirigées exclusivement vers de l'immatérialité. On ne laisse pas posséder, ce qui de facto élimine le patrimoine ouvrier construit et consacre, en quelque sorte, les mémoires ouvrières.

ii- Le patrimoine urbain, zone d'application

Au commencement de mes recherches, à travers les mots clés « patrimoine ouvrier », je suis dirigée vers un article du Parisien intitulé « Montreuil : Stéphane

45

Bern à la rescousse du patrimoine ouvrier ». L'article (Annexe 6) relate la visite de Stéphane Bern, accompagné du député Alexis Corbière, au Musée de l'Histoire Vivante de Montreuil. Cette visite visait à faire la promotion de ce musée, à mettre en avant le patrimoine ouvrier. Stéphane Bern venait alors d'être chargé de la dénommée « Mission Stéphane Bern » par Emmanuel Macron. Cette mission a pour but la protection du patrimoine financé au travers des désormais célèbres Loto du Patrimoine (Française des jeux). Dans cet article en date du 13 novembre

45 Aurélie Sipos, Montreuil : Stéphane Bern à la rescousse du patrimoine ouvrier , Le Parisien, 17 novembre 2017

29

2017, la journaliste Aurélie Sipos fait état de l' « Unique musée en France dédié au patrimoine ouvrier » ;pour autant, quand il s'agit de nommer ce patrimoine, Stéphane Bern utilise le terme choisi de« Patrimoine urbain » :

« Unique musée en France dédié au patrimoine ouvrier, il est financé à plus de 60 % par la ville. « Le patrimoine du peuple est merveilleux, mais il est aussi rare, fragile et menacé », a ainsi rappelé Frédérick Génevée, président de l'association pour l'histoire vivante. « L'entretien de cette maison dans laquelle la municipalité investit tant est vital », renchérit-il, espérant ouvrir un débat sur la conception de l'histoire « celle des grands hommes, ou celle d'en bas, du peuple et de ses luttes ». Même si Stéphane Bern le rappelle, « le patrimoine urbain » ne fait normalement pas partie des attributions de sa mission, le royaliste devrait se souvenir de sa visite, reparti du musée, avec, en cadeau... un

46

buste de Robespierre. »

Il est vrai que Stéphane Bern ne représente pas une source universitaire, cependant, en étant nommé « Monsieur Patrimoine » du quinquennat de l'actuel président de la République, il devient l'incarnation de la légitimité du patrimoine par l'État. En ce sens, et quand on intègre cette donnée fondamentale, l'utilisation du terme « Patrimoine urbain » - pour ne pas qualifier le « patrimoine ouvrier » - prend une connotation majeure. Il convient donc de comprendre et interpréter le glissement du patrimoine ouvrier ver le patrimoine urbain.

Le terme de « patrimoine urbain » semble plutôt aisé à appréhender, l'urbain renvoyant à un territoire géographique, à la ville. La première utilisation de ce

47

terme est attribuée à Gustavo Giovannoni dans « Vecchie città ed edilizia nuova » L'urbanisme face aux villes anciennes , paru en 1931. La volonté de Giovannoni était de montrer que la ville et l'histoire de l'art était mêlées, dans un contexte d'entre-deux-guerres où les questions de reconstruction se posent. Alliant, pour la première fois, le patrimoine et la ville comme un ensemble cohérent, cette vision

46 Ibid.

47 Architecte et urbaniste italien, 1873-1947

30

influence les nouvelles dispositions encore en vigueur aujourd'hui, et marqué par la notion d'un espace délimité comme patrimoine. Cette idée est, à cette époque, innovante, et révolutionne la notion de patrimoine. Cela a pour impact historique d'associer le patrimoine à des frontières, il en découle notamment les « secteurs sauvegardés » imaginé par Malraux, qui ont permis l'expansion et la reconnaissance du patrimoine industriel. L'utilisation de ce terme par Stéphane Bern pourrait venir du simple rapport entre l'industrialisation et l'urbanisation des territoires. En ce sens, le lien entre patrimoine ouvrier et patrimoine urbain peut se faire sur des principes économiques. Le développement de l'industrie a fait grandir considérablement des zones et ainsi urbanisé des ensembles. Un problème se pose néanmoins quand on parle de patrimoine urbain, le terme « urbain » renvoyant à la ville, son utilisation officielle est régie par des règles strictes disponibles sur le site de l'Insee. On remarque un changement de désignation

48

depuis 2010, auparavant on distinguait un « espace urbain », aujourd'hui

49

requalifié en « Zonage en aires urbaines » (ZAU). L'Observatoire des territoires , affilié au Ministère de la Cohésion des Territoires précise même que le qualificatif d'urbain ne peut être employé qu'en définissant l'espace des « Grandes Aires Urbaines », ces aires sont-elles-mêmes composées de trois types, les grands pôles , les couronnes des grands pôles et les communes multipolarisées des grandes aires

50

urbaines. Les critères institués correspondent à :

48 Espace Urbain, Insee, « L'espace urbain est l'ensemble, d'un seul tenant, de plusieurs aires urbaines et des communes multipolarisées qui s'y rattachent. Dans l'espace urbain multipolaire, les aires urbaines sont soit contiguës, soit reliées entre elles par des communes multipolarisées. Cet espace forme un ensemble connexe. Un espace urbain composé d'une seule aire urbaine est dit monopolaire. La France compte actuellement 96 espaces urbains. Les aires urbaines n'étant pas définies dans les départements d'outre-mer (Dom), les espaces urbains ne le sont pas non plus. » , consulté le 25 avril 2019, https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1074

49 Observatoire des territoires, Ministère de la cohésion des territoires : « L'Observatoire des Territoires du CGET est à la disposition des acteurs de l'aménagement, des élus et des citoyens : il donne des clés pour comprendre nos territoires, et construire leur développement. Il met à leur disposition une sélection d'indicateurs cartographiés, de données et de documents d'analyse. »

50 Ibid.

31

Grands Pôles

Couronnes des Grands Pôles

Communes

Multipolarisées des Grandes Aires Urbaines

10 000 emplois et plus

Au moins 40 % des

« Communes situées

 

actifs travaillent « hors

hors des grandes aires

 

de leur commune de

urbaines dont au moins

 

résidence dans un grand

40% des actifs occupés

 

pôle ou dans des

résidents travaillent dans

 

communes de sa

plusieurs grandes aires

 

couronne »

urbaines sans atteindre ce seuil avec une seule d'entre elles et qui forment un ensemble d'un seul tenant. »

Une carte de France a pu être tirée de cette nomenclature (Annexe 7). Cette carte ne regroupe pas seulement les grandes aires urbaines, elle représente tous les foyers d'influence des villes françaises. Les foyers rouges, oranges et jaunes peuvent utiliser le qualificatif d'urbain. Les autres en revanche ne sont pas concernées. Le principe d'urbanité n'est donc pas l'apanage de tout le territoire. Parler de patrimoine urbain en revient donc à une partie seulement. Cette vision correspond à une interprétation géographique du patrimoine urbain. On distingue également un nombre important d'aires ne pouvant correspondre à la délimitation que l'on fait à l'urbain. La prochaine carte distingue les aires considéré comme non urbaines :

32

Comment, dans ce cas, penser le patrimoine urbain en lien avec le patrimoine ouvrier ? Toutes ces zones n'étant pas prise en compte, on enlève une part importante de ce que constitue aussi le patrimoine ouvrier. En exemple, le Musée

51

du textile et de la vie sociale (MTVS) se trouve à Fourmies, ville qui n'est pas considéré comme prenant place sur un territoire urbain. Cet exemple est tout de même assez rare et les musées, places, lieux, que l'on pourrait considérer comme appartenant au patrimoine ouvrier restent dans des zones dites urbaines. Nous

51 Le Musée du textile et de la vie sociale est installé dans une ancienne filature de laine datant du XIXème siècle. Un lien particulier est mis sur la technicité du travail du textile et sur la vie des ouvriers et ouvrières d'alors. Ce musée est regroupé avec d'autres lieux autour de l'écomusée de l'avesnois.

33

pouvons donc soulever deux réflexions en ce qui concerne lien entre patrimoine ouvrier et patrimoine urbain. La première est qu'il est plutôt logique de retrouver du patrimoine ouvrier principalement en zone urbaine. Je rappelle que l'industrialisation et le développement de la condition ouvrière a conditionné la création de pôle urbanisé, sujet à une extension croissante entre le XIXème et le XXème siècle. Il est donc de ce point de vue tout à fait logique et cohérent de parler de patrimoine urbain pour qualifier le patrimoine ouvrier. Ceci dit,, la question de la désindustrialisation et ce, en sens de la désurbanisation de ces territoires, interroge quant à la pérennité du patrimoine urbain. Ces zones désindustrialisées en étant vidées de leurs activités sont vouées sur un temps plus ou moins long à réduire les conditions d'une zone industrialisée : moins d'activités, moins de travails, moins d'habitants. Cela prouve qu'un patrimoine peut être considéré comme urbain à un instant « t » et disparaître progressivement. Comment est-il alors nommé ? Cette question soulève, à mon sens, le fait que plusieurs appellations de patrimoine coexistent, se complètent et se substituent. Le patrimoine urbain peut donc aussi être industriel ou minier par exemple.

Il est toutefois aussi possible d'appréhender le patrimoine urbain sous d'autres angles, celui de l'histoire de l'art par exemple. De ce point de vue, le patrimoine urbain renverrait sans doute à un bâti, un type de construction, une méthode propre à une ville ou une zone urbanisée. Car finalement le patrimoine urbain appelle un objet qui s'articule dans un ensemble, renvoie à une histoire, une technique, ou tout autre dénomination qui l'inscrit dans la globalité d'un espace. Le patrimoine urbain est sans doute une notion générale prête à accueillir des choses, objets qui s'inscrivent chacune dans des spécificités.

La question reste donc ouverte : Stéphane Bern, en nommant le patrimoine urbain, interroge presque plus le patrimoine ouvrier que s'il l'avait nommé. En ayant étudié la spécificité du patrimoine urbain on comprend que le patrimoine ouvrier en s'inscrivant dans une dimension politique ferme les portes de sa

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reconnaissance, tant le patrimoine doit s'inscrire dans une certaine neutralité. Le patrimoine ouvrier, en distinguant une catégorie sociale précise, pose les problème, sous-jacent, à tout ce qui est considéré comme légitime ou non et interroge d'autant plus les personnes qui choisissent ce qui est patrimoine ou non. C'est pour cela que qualifier de patrimoine urbain un patrimoine ouvrier n'est pas tellement surprenant. En utilisant une notion dénuée d'engagement politique ou en tout cas de reconnaissance historique, il devient plus aisé d'en parler et de l'appréhender car on le vide de son contenu sujet à tension.

iii- Les sciences et techniques, outils théoriques du patrimoine

ouvrier

Le patrimoine ouvrier concerne en partie, comme nous l'avons vu, le patrimoine bâti. Il ne faudrait cependant pas le cantonner aux lieux et y intégrer également l'objet : les machines. Elles constituent une forme importante du patrimoine ouvrier, et sont le symbole à l'exercice ouvrier. Ces machines sont depuis longtemps un enjeu de crispation quant à leur devenir. Elles cristallisent aussi la contradiction de l'idée d'ouvrier : A la fois outils qui permettent d'exercer le travail de manière moins laborieuse, elles sont aussi rejetées car induisent la disparition des emplois.

Ce lien ouvrier - machine a évolué au fur et à mesure de l'histoire. On pense notamment au luddisme qui au début du XIXème siècle a profondément bouleversé le rapport à la machine. Tout commence dans une usine du Lancashire quand il est décidé de privilégier l'achat de machines à l'emploie d'ouvriers. Un mouvement clandestin se crée alors et décide de casser les machines. Ce conflit

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violent fera naître le terme de « briseur de machine » . Cependant,, ce n'est pas la seule conception, Karl Marx théorise et préconise un rapport à la machine tout autre. Il évoque l'idée selon laquelle les travailleurs doivent au contraire se réapproprier les machines. Une évolution du rapport ouvrier-machine est en

52 Pour aller plus loin, BOURDEAU V., JARRIGE F., VINCENT J. : Le passé d'une désillusion : les luddites et la critique de la machine, 2006, Actuel Marx 2006/1 (n° 39)

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marche et, pour beaucoup, cela explique que les luddites soient restés assez marginalisés du point de vue historique, tant la conception marxiste du rapport à la machine à fait autorité. Aujourd'hui on observe encore un rapport différent, un rapport presque intime à la machine. Rappelons-nous de ces ouvriers de GM&S qui avaient eux-mêmes détruit leurs machines pour ne pas qu'elles puissent être exploitées ailleurs et ainsi pesés dans les négociations à propos de la pérennité de leurs emplois (Annexe 8). France Bleu rapporte les mots d'un ouvrier d'alors : « « Ça fait mal au coeur, mais on n'a plus le choix pour faire pression, si on ne veut

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pas disparaître comme ça ! » . On place alors dans la machine ce qu'Halbwachs nommait « valeur émotionnelle ». A travers ces exemples on comprends qu'elles occupent un espace fondamental dans la fonction ouvrière. Elles peuvent être considérées comme l'extension inanimé du bras de l'ouvrier. Ces événements sont d'autant plus intéressants que les ouvriers revendiquent une certaine propriété sur leurs outils de travails dont ils ne possèdent pas la propriété du point de vue légal. Le lien entre machine et ouvrier est évident pourtant, quand il s'agit de présenter les machines lors d'exposition notamment, l'ouvrier y est complètement absent, plus récemment nous assistons plutôt à la création d'un nouveau rôle pour l'ouvrier, dont la première règle est de ne plus le nommer. La machine et l'ouvrier sont à ces fins montrés et mis en valeur du point de vue des sciences et techniques. Cette vision de la destruction des machines pose paradoxalement les jalons d'une certaine réappropriation par les ouvriers de ce qui constitue leur patrimoine. À travers la destruction ils pourraient en quelque sorte affirmer une possession de leur capital historique, leur capital du travail. Cet événement peut effectivement à première vue laisser perplexe, même s'il est aussi l'avènement d'un patrimoine ouvrier. Cela peut paraître étrange, car ils détruisent leur outil de travail et par conséquent ce qui pourrait être patrimonialisé. Cette considération s'entend d'un point de vue pratique, pour autant d'un point de vue théorique on

53 Audrey Tiso, Olivier Estran, Les salariés du sous-traitant automobile GM&S prêts à faire sauter l'usines, France Bleue, 11 mai 2017, consulté le 9 avril 2019 : https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/les-salaries-de-gms-bloquent-le-site-et-d etruisent-des-machines-1494498073

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peut aussi penser qu'à ce moment précis, les destructions font exister le patrimoine ouvrier. Car, en détruisant l'outil de travail, on l'empêche d'être réapproprié et réutilisé et pourquoi pas in fine patrimonialisé selon le point de vue des sciences et techniques notamment.

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En ce sens, la récente exposition « L'Usine Extraordinaire » témoigne de ce type de réappropriation. Nous l'avons déjà abordé rapidement mais nous allons nous y consacrer un peu plus longuement. En novembre 2018 a eu lieu la première édition de l'Usine Extraordinaire au Grand-Palais ;cette présentation accueillait de grands groupes de l'industrie, dont le parti pris était de présenter l'usine de demain et son évolution depuis le XIXème siècle. Cette manifestation sur trois jours possédait une communication assez importante, en raison notamment à la présence de membres du gouvernement actuel. Ce ne seront pas moins de 13 ministres qui se succéderont pendant ces 3 jours de présentation. Le premier ministre actuel y a même fait un discours d'une trentaine de minutes présentant les enjeux à venir de l'usine, et de l'industrie plus généralement. Cette manifestation occupe donc une place légitime, elle est en ce sens une représentation accepté de ce qui fait l'usine. Aussi, un grand effort a été fait sur la scénographie : construite comme une usine et dans lequel on retrouve les codes plus classiques d'une exposition. Dès l'entrée dans le Grand-Palais se trouve une chronologie des événements liée à l'essor de l'usine et de l'industrie. La faisant débuter en 1851 et prolongée jusqu'à nos jours, un panneau explicatif (texte reproduit en Annexe 9) nous indique que la frise retrace aussi les événements sociaux qui ont accompagnés l'essor de l'industrie : « Elle replace l'histoire récente de l'industrie dans un contexte plus large d'innovations, de découvertes

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scientifiques, d'événements politiques et sociaux, d'évolutions de la société. ». Cette première étape, celle du contexte et plus généralement de vue global dans laquelle va évoluer le visiteur, est caractéristique des expositions. Cette frise permet aussi de situer le sujet d'un point de vue historique, ce qui place

54 Le terme d'exposition peut d'ailleurs être discuté, certains préféreront l'idée de salon .

55 Panneau à l'entrée dont un écrit plus clair est proposé en Annexe 9

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automatiquement le visiteur en récepteur, et en autorité ce qui y est écrit. Une certaine affirmation historique est donc à l'oeuvre sans qu'on en ait nécessairement conscience. Une réserve est cependant émise, il est précisé que la frise ne saurait retracer tous les événements mais est seulement pensée dans le but

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de « proposer des lignes diverses ». Aussi, n'importe quelle présentation de ce type est quoi qu'il arrive le fruit de choix et de compromis. Ces « choix » offre une compréhension dans la manière de se réapproprier le patrimoine ouvrier et, de l'exposer.

Cette frise chronologique est axée sur les sciences et techniques, on y voit de grandes bandes de couleurs parsemées de points faisant penser à un plan de métro. Chacun de ces points renvoient à une information, accompagnée le plus souvent d'images. A hauteur d'yeux, cette ligne directrice se voit facilement, construite autour d'un échafaudage et de manière cylindrique ce qui ajoute à la mise en espace tout à fait cohérente avec le sujet. Voici une image générale qui permet de mieux comprendre l'aménagement de l'espace autour de la frise :

56 Ibid.

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Crédit photo : L'Usine Extraordinaire, Novembre 2018, Paris

Nous choisissons de montrer cette image, car on y constate l'échelle générale de la frise par rapport à une taille moyenne, le regard est en parfaite alignement avec les éléments inscrits. De plus près nous pouvons y lire les grandes avancées techniques, allant de l'invention de matériaux aux premiers grands événements à portée industrielle comme les reportages télévisuels par exemple. On remarque également que les événements inscrits sont souvent cités avec une « marque », ce qui laisse voir la volonté de replacer l'objet décrit à un concepteur. Voici un exemple d'une partie de la frise :

Source : Agnès Ghonim, L'usine extraordinaire, novembre 2018, Paris

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Après la lecture du panneau explicatif nous aurions pu nous attendre à voir apparaître les personnes physiques ayant pris place dans l'avènement industriel : les ouvriers. Après plusieurs tours, où il était commun de jouer des coudes pour lire ce qui était présenté, nous ne trouvons aucune mention des ouvriers. Cela laisse songeur d'autant que la frise, nous le rappelons, était censée présenter « l'histoire récente de l'industrie dans un contexte plus large d'innovations, de découvertes scientifiques, d'événements politiques et sociaux, d'évolutions de la

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société. » . En cherchant attentivement on finit par distinguer quelques références aux « événements politiques et sociaux » et aux « évolutions de la société ». Reprenons la photo précédente, ces événements, en lien direct avec les ouvriers étaient en fait ici :

Source : Agnès Ghonim, L'Usine Extraordinaire, novembre 2018, Paris

57 Panneau à l'entrée, Annexe 9

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Nous choisissons dans ces photographies (Annexe 10) de ne pas modifier la lumière ou l'exposition afin d'avoir un rendu le plus brut possible de ce que l'on pouvait voir. Pour mieux appréhender cette manière d'inscrire ce qui relève directement du patrimoine ouvrier, nous pouvons nous référer de manière plus globale à notre première image reproduite ci-après et où est entouré chaque ligne de textes en lien avec une conquête ouvrière. Le fait est que cette exposition étant présentée autour de grands noms de l'industrie, la volonté de ne pas faire figurer les avancées arrachées par les ouvriers paraît logique, ces acquis ont été le fruit de luttes menées bien souvent contre les directeurs d'usines, ou plus généralement, contre les patrons des grandes entreprises d'alors :

Source : L'Usine Extraordinaire, novembre 2018, Paris

Les choix fait dans la façon d'exposer les conquêtes sociales qui ont accompagnées l'évolution des usines et de l'industrie mais aussi de la société en générale nous laisse songeur. Les exposer de cette manière nous fait nous interroger sur la volonté des organisateurs et le message qui s'échappe d'une telle présentation. Ces photos ne montrent pas bien le rapport au sol qu'occupent ces quelques lignes, elles sont pourtant au niveau des pieds des visiteurs.

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Symboliquement, le visiteur pourrait piétiner ces informations. Et, s'il souhaite les voir il doit se baisser. Aussi, aucune couleur, aucune photographie n'est présente pour accompagner ces lignes, une typographie simple, noire, ce qui explique encore plus que le visiteur ne les observe pas. Cela pourrait montrer la volonté des organisateurs de ne pas faire voir ces conquêtes. Cela nous invite à deux remarques, la première : comme nous l'avons vu le texte explicatif (Annexe 9), celui qui intervient avant que le visiteur découvre la frise (Annexe 10), nous laisse entendre qu'il sera fait état des conquêtes sociales ayant accompagnées l'essor de l'industrie, ce qui place ces revendications d'un point de vue historique (tout du moins dans la gradation de ce qui est considéré comme essentiel dans cette exposition) aussi importante que la découverte du caoutchouc par exemple. Pourtant, la manière d'exposer est en complète contradiction avec ces quelques mots de présentation, les placer en dehors du regard du visiteur amène de facto une non présentation. On peut néanmoins s'interroger : pourquoi avoir tout de même fait figurer ces événements historiques ? Peut-être que cela est en réponse à ce que fait la fondation qui organise l'exposition. La FACE nous le rappelons souhaite faire « changer » le regard des Français sur l'industrie, en ce sens pour faire changer ce regard il doit tout de même faire apparaître les référentiels communs en lien avec l'usine et l'industrie. Ne pas présenter ces conquêtes sociales qui constituent aussi un patrimoine ouvrier aurait pu rendre méfiants les visiteurs. En effet, l'usine est pensée comme un lieu ou s'exerce le travail laborieux, ne pas faire figurer ce qui est en lien direct avec cela aurait, on peut supposer, amené à une réticence des visiteurs vis-à-vis de ce qui serait montré plus tard au cours de l'exposition. A ce sujet, une étude statistique avait été mené en amont de l'Usine Extraordinaire par YouGov (Annexe 11). Cette enquête commandée par la FACE nous en apprend beaucoup sur le parti pris qui se dessine dans la conception de cette manifestation. D'ailleurs, le titre et sous-titre de l'enquête fait déjà comprendre les enjeux qui amènent les manières de représenter lors de l'Usine Extraordinaire : « Les Français sont-ils prêts à changer d'idée sur

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l'Usine ? » , le compte rendu est guidé autour de deux parties, la première ; «

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Les préjugés sur l'usine et l'industrie sont tenaces... » , la seconde : « ... mais

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un vent de renouveau est en train de souffler ! » . Cette enquête montre que « 3

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Français sur 4 n'ont jamais entendus parler de l'usine du futur » ; l'usine du futur s'oppose donc nécessairement au principe d'une usine du passé, or ce passé peut éventuellement être raccroché à la recherche d'images faite précédemment, en tapant « ouvrier 1950 », par exemple. A priori, c'est bien cette image que la FACE par le biais de sa manifestation l'Usine Extraordinaire cherche à modifier. On comprend donc mieux pourquoi ces avancées sociales amené par des luttes importantes ne sont montrées que très partiellement.

L'exposition l'Usine extraordinaire qui s'est déroulée au Grand Palais laisse donc apparaître la réappropriation du patrimoine ouvrier sous le couvert des sciences et techniques. Les conquêtes des ouvriers acquises au sein de leurs usines y sont montrées très sporadiquement et quand les hommes y travaillant sont mis en avant il s'agit avant tout de faire la promotion d'emplois à pourvoir ou, dans l'autre cas, de faire publicité de nouveaux noms de métiers, le tout au service de la machine qui constitue le coeur d'un patrimoine de science et technique. Aussi, le rapport de l'ouvrier à la machine, comme outil de travail n'est pas abordé, pourtant cela constitue aussi le coeur du patrimoine ouvrier. Cette manifestation construite comme une exposition mais présentant les caractéristiques d'un salon laisse songeur quant à la finalité recherchée (Remarques et images sur l'Usine Extraordinaire, Annexe 12).

58 Enquête pour la fondation usine extraordinaire YouGov, sur un échantillon de 2000 personnes, sondage en ligne réalisé du 9 au 13 novembre 2018

59 Ibid.

60 Ibid.

61 Ibid.

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Chapitre 2 - Cas Concrets

a- Les réhabilitations des lieux ouvriers

Préambule

Le patrimoine ouvrier se diffuse dans d'autres sphères patrimoniales où est même très présent. Comme nous l'avons vu auparavant, le patrimoine industriel porte le plus communément cette considération. S'attachant principalement à un type d'architecture, il est très intéressant de constater les différentes réhabilitations du bâti industriel. Quand il est protégé et sauvegardé, une dénaturalisation se fait presque automatiquement. Cela montre finalement que le bâtit est protégé mais que son contenu et presque son identité et son histoire ont disparu tant on en change sa fonction et sa destination. Le patrimoine ouvrier si l'on s'en tient à la pierre est sauvegardé mais ce qui fait sa spécificité et quelque part ce qui fait sa patrimonialisation a disparu. Un bâtiment de type industriel n'est finalement apprécié que pour ses qualités esthétiques, ce qui le coupe d'une part importante de ce qui fait sa portée. On relève plusieurs manières de les réhabiliter,

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Jean-Claude Daumas dans son ouvrage « La mémoire de l'industrie » en dénombre trois. Il distingue premièrement le bâtiment réhabilité dans le but d'y reconstruire une activité industrielle ( la question de la patrimonialisation devient alors plus compliquée à appréhender, car en activité), deuxièmement l a création de logement et troisièmement une réhabilitation dans le but d'un aménagement

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d'espaces de services et de loisirs . Les deuxième et troisième cas nous intéressent plus particulièrement car pouvant soulever le principe de patrimonialisation. Ces manières de réhabiliter peuvent aussi être appréciées sous un autre angle, du point de vue lucratif ou non. La question économique est d'autant plus importante qu'elle intervient avant même la manière dont va être réhabilité tels ou tels bâtiments. Nous constatons également les destructions

62 Jean-Claude Daumas, op.cit.

63 Ibid.

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comme faisant partie intégrante d'une certaine négation du patrimoine ouvrier, nous le développerons plus tard.

i- Réhabilitation lucrative (non touristique) : Station F, magasin

Uniqlo

Le principe de réhabilitation pourrait se constituer en fonction d'un avenir que l'on décidera lucratif ou non. Cela est primordiale car il conditionnera l'aspect et le contenu final du bâtiment. Pour s'en rendre compte on peut analyser l'utilisation faite de la mémoire attachée au lieu. Elle peut être complètement disparue et inexistante comme à la Station F à Paris, situé dans les anciennes Halles Freyssinet. Cette halle, attaché à la gare d'Austerlitz était un bâtiment ferroviaire, utilisé jusqu'à son rachat d'abord par la ville de Paris, puis par Xavier Niel, qui le renomme Station F. Ce lieu abrite aujourd'hui des start-ups et ne porte plus de trace de son activité passée. La mémoire qui lui est associée qui passe des conditions de travail des ouvriers du fret au service tardif de messageries y est complètement absent. La seule mise en valeur que l'on constate rentre dans une logique économique en étant nommé le plus grand incubateur de start up du monde. Cette réhabilitation, qui a suivi des logiques économiques, enlève l'origine et la fonction initiale du lieu. Menacé de destruction par la SNCF et la ville de Paris elle-même, cette réhabilitation est apparue comme la seule possibilité de sauvegarde pérenne.

Un autre exemple de réhabilitation d'un point de vue lucratif se trouve dans l'affirmation de la mémoire du lieu pouvant servir un intérêt marchand. Le magasin Uniqlo, situé au 39 rue des Franc-Bourgeois à Paris, est un exemple frappant de ce type de réhabilitation. Ce magasin a élu domicile dans ce qui fut la dernière usine de vêtement du Marais. On assiste là à une vision intéressante car les choix de l'architecte et de la marque ont voulu laisser ce qui faisait cette usine, à savoir une grande cheminé au centre, et à en garder les attributs : les machines y sont encore présentes. On assiste là à la mise en valeur architecturale de la

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spécificité d'une usine dans le but de promotion esthétique de l'enseigne. Une plaque est disposée à l'entrée du magasin qui rappelle le caractère singulier du bâtiment, elle n'est cependant pas du tout visible. Un problème se pose, les personnes entrant dans ce magasin ne cherche pas l'histoire du lieu : ils entrent dans un magasin, pas dans une ancienne usine. Cette méthode de présentation et de mise en valeur du lieu appelle l'idée d'une réhabilitation dans un but de consommation. Aussi, lors de ma première visite, sur la plaque était inscrite la présence des anciennes machines. Pour les trouver, il fallait encore faire preuve de patience. Elles étaient en fait reléguées en bas du bâtiment à l'écart du reste et visibles au travers de vitre. La conception de cet espace est telle que les machines ne sont pas visibles à moins d'être à deux mètres des vitres. Un jeu de lumière autours de cet endroit rend impossible leur visualisation que l'on pourrait dire « spontanée ». Un fois trouvé, les machines sont là, toutes au même endroit, presque parqué dans deux rectangles de quelques mètres carrés. Ce magasin Uniqlo nous apprend beaucoup quant à la mise en valeur d'une usine dans un but lucratif : ce qui peut être considéré comme esthétique, les pierres, la grande cheminée, les verrières sont mises en avant car valorisante, en revanche le sort réservé aux éléments relayant la fonction du travailleur sont cachés et surtout écartés spatialement du reste, au sous-sol du magasin Uniqlo. Nous pouvons tout de même nous demander pourquoi ne pas les avoir complètement enlevés ? Il est probable que la mise en valeur sert des intérêts de communication, puisque dans

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un article du Monde en date du 3 décembre 2013, le journaliste explique même : « Ouverture prévue en avril 2014. Sur place, le géant japonais de l'habillement prend soin de garder bien visibles les traces du passé. « On ne touche surtout pas à l'atmosphère de ce lieu, confirme-t-on chez Uniqlo. C'est ce

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qui nous a attirés ici ! » »

L'enveloppe de l'usine est encore visible, on peut tout de même douter d'une protection de ce bâtiment dû seulement à ce qui s'en dégage. Le fait est que son

64 Denis Cosnard, Uniqlo transforme la dernière usine du Marais en temple du vêtement, Le Monde, 3 décembre 2013

65 Ibid.

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implantation en plein centre du Marais génère une manne foncière importante, aussi, le marais est un secteur sauvegardé ce qui rend difficile les démolitions et reconstruction.

ii- Réhabilitation lucrative dans un but touristique : Le Lieu Unique

Un autre type de réhabilitation est constitué dans la mise en valeur du lieu, l'affirmation de son identité, dans un but de promotion touristique. Le Lieu Unique à Nantes se situe dans les anciennes usines Lu du nom de son fondateur Lefèvre-Utile. Usine importante par sa taille elle favorisera les emplois de Nantes et sa région en employant jusqu'à 2 000 ouvriers. Dans les années 70 sont décidés de grands travaux qui l'ampute d'une partie de ses deux tours caractéristiques de l'architecture d'Auguste Bluysen. L'entreprise LU est particulière car elle partage, jusqu'à son premier rachat en 1968, ses bénéfices avec ses ouvriers, met en place des caisses en cas de maladie, et imagine au début du XXème siècle l'élaboration de caisses de retraite. Cette usine en centre-ville de Nantes est dans un premier temps le lieu de projet d'un nouveau centre d'affaires. Finalement abandonné, la ville rachète l'espace dans le but d'y abriter des actions associatives. Aujourd'hui réhabilité, le site est devenu scène nationale et accueille de nombreux artistes en résidences, ou des manifestations à portée internationale. Haut lieu de Nantes et de ses environs, un accent particulier est mis sur la présentation du passé industriel. On retrouve une mise en valeur esthétique, où est fait la promotion d'une certaine authenticité. En revanche,, rien n'est présenté concernant l'ancienne vie de l'entreprise, les congés maladies, le système social particulier de cette ancienne usine n'est pas du tout mis en avant. Le Lieu Unique est un lieu touristique par excellence en promotion dans la plupart des guides touristiques et jouissant d'une réputation artistique considérable. En revanche, l'histoire sociale y est absente, au profit de valorisation esthétique dans le but de promotion d'authenticité. Cette réhabilitation met en avant la sauvegarde d'un lieu menacé de destruction dans un but culturel et artistique. Cette sauvegarde ayant été initiée par

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la ville, cela permet de mettre en exergue le bénéfice qu'elle en retire d'un point de vue économique, communicationnelle, touristique.

iii- Réhabilitation non lucrative, affirmation du patrimoine ouvrier

Très peu de réhabilitations ont conduit à une affirmation claire de patrimoine ouvrier. A chaque fois mené dans un but non lucratif, le musée de la Métallurgie Ardennaise qui s'est installé dans l'ancienne usine du même nom en est un des exemples. Ce musée met en avant l'histoire du travail du fer avec un accent particulier sur les ouvriers, leur histoire et les luttes sociales qui ont accompagnées la vie de ce lieu. Sauvé grâce au président de la Communauté de Communes Meuse et Semoy, elle fut un temps menacé de destruction. Ce sont les anciens métallurgistes, accompagnés de l'ethnologue Marc André, qui ont favorisé sa pérennité. On assiste à une réhabilitation prenant la forme d'un musée, on remarque que la volonté des décideurs politiques des communes concernées a joué un rôle essentiel. Sans leur aval et soutien financier, cette ancienne usine aurait -on peut le supposer- été détruite ou au mieux laissée à l'abandon. Situé dans un territoire où la manne foncière n'est pas la plus importante, on remarque que les réhabilitations à l'oeuvre comme au Lieu Unique de Nantes sont beaucoup plus compliquées à mettre en place dans des territoires reculés. La seule possibilité pour ces territoires de faire perdurer leur patrimoine ouvrier se résume aux instances dirigeantes. Cela dit, le fait qu'un bénéfice économique paraisse difficile à dégager, permet aussi de pouvoir affirmer un patrimoine ouvrier. La difficulté qui résulte de l'affirmation politique de ce qui fait ce patrimoine, est beaucoup plus simple à mettre en avant car non régi à une nécessité de consensus dans le but d'affirmation d'une neutralité. Pour autant, en même temps que l'on affirme un patrimoine ouvrier, l'importance des villes dans ces sauvegardes posent de nombreux problèmes. La pérennité de protection de ces lieux n'est pas acquise car leurs financements dépendent aussi de la couleur politique dominante dans ces territoires. D'une année sur l'autre, ces municipalités peuvent affirmer

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leurs soutiens mais aussi le renier, ce qui fait demeurer ces endroits dans une certaine précarité d'avenir.

Ces réhabilitations montrent que la mémoire des lieux est très souvent absente, nous retiendrons ce que Jean-Claude Daumas dit à ce sujet :

« L'action patrimoniale n'est pas davantage uniforme qu'elle n'est générale. (...) Surtout, elle évolue avec la situation socio-économique et politique locale, si bien que le moment où on mobilise le geste héroïque de la classe ouvrière et les qualités exemplaires des travailleurs (savoir-faire, courage solidarité...) n'est pas celui de la requalification qui valorise les lieux et le bâti. 66

»

De ce constat, nous proposons un plan qui instaure le lieu ouvrier en lien avec les réaffectations en fonction d'un but lucratif ou non, en précisant qu'une seule flèche part du bas vers le haut, cela pour représenter l'utilisation de la mémoire du lieu dans un but lucratif :

Source : Agnès Ghonim, 2019

66 Jean-Claude Daumas, op. cit. p.13

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b- Les destructions

i- Le cas de l'usine de Javel

Ces différentes réhabilitations ne sauraient faire oublier les destructions massives auxquelles nous assistons depuis le début de la désindustrialisation. De nombreux lieux comme les anciennes usines de Javel, André Citroën, dans le XVème arrondissement ont été rayé de la carte. Haut lieu de l'automobile française, cette usine était alors une véritable ruche ouvrière. Racheté par la Ville de Paris elle fût détruite pour laisser place à un parc, et un important programme immobilier. Les traces de ce passé sont dans la station qui porte le nom de son fondateur Javel-André Citroën, mis en avant par la ville comme un hommage au passé industriel de ce quartier. Pour autant, cette destruction et la mémoire qui est entretenue aujourd'hui peut-être sujette à controverse. Sur le site de la mairie de Paris, on prône la seule station au nom d'un industriel. Et sur le site officiel de l'office du tourisme de la Mairie de Paris, le seul descriptif s'appuie sur le parc André Citroën, en lieu et place de l'ancienne usine :

« Le parc André Citroën est situé à l'emplacement de l'ancienne usine parisienne de Citroën. Inauguré en 1992, d'une superficie de 14 hectares, il est l'un des parcs les plus récents de la capitale. Cette oeuvre futuriste, réalisée par des paysagistes et des architectes de renom (Alain Provost, Gilles Clément, Patrick Berger, Jean-Paul Viguier et François Jodry), offre une très belle perspective sur la Seine et, est le seul espace vert parisien directement ouvert sur le fleuve. Le parc se divise en trois parties thématiques : le jardin Blanc, le jardin Noir et un grand parc central. Le visiteur découvre de nombreux arbres exotiques et des plantes rares, deux serres monumentales et bien d'autres surprises. Les divers équipements du parc sont propices à la détente ou à la distraction. Les enfants profitent d'une aire de jeux de ballon, de tables de ping-pong, de jeux à ressorts et de toboggans. Sans oublier le ballon captif à gaz proposant une ascension de 150 mètres de hauteur pour petits et grands (selon les conditions climatiques). »

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La station de métro est particulièrement intéressante. Elle a été rénovée en 2018 et inaugurée en grande pompe par les représentants de la RATP et de Citroën (Annexe 13). La création d'un musée virtuel et un accent sur le passé de l'usine est mis en avant. Les supports apparaissent comme un visuel publicitaire. La chronologie de l'évolution des voitures fait place à quelque interrogation d'autant plus que l'usine qui y était présente n'a fabriqué que jusqu'en 1975 ce qui n'empêche pas d'y trouver des photographies de modèles récents. Aussi, trois écrans tactiles parsèment les murs de la station, la RATP faisant ainsi la promotion

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d'un musée virtuel qui retrace l'histoire de la marque, les modèles phares, et, avant toute chose l'histoire de son fondateur. Ceci est l'exemple commun touchant au patrimoine ouvrier. Aucune mention n'est faite des 30 000 ouvriers y ayant travaillé, aucune mention non plus des grèves de 1936, par lesquelles les ouvriers de Citroën ont promu un changement social partout en France. C'était une des premières entreprises de cette taille à céder aux grèves ouvrières en accordant notamment des augmentations de salaires, une revalorisation du salaire minimum et des congés payés. Rien, pas un mot sur ces hommes et ces femmes ayant profondément fait changer l'aspect social français, dont nous pouvons encore en partie jouir aujourd'hui. La Une de l'Humanité en date du 31 mai 1936 résume les avantages arrachés des grèves de 1936 notamment par les ouvriers de l'Usine de Javel (Annexe 14). Au regard de ces événements, ne pas présenter cette histoire sur les quais de la station Javel-André Citroën montre comment le patrimoine ouvrier est réapproprié sous deux aspects. Le premier du point de vue des sciences et techniques, à travers l'évolution des automobiles par exemple. Le deuxième consiste en une sorte d'adoration du concepteur. Pour aller plus loin on peut aisément imaginer que l'affirmation d'un patrimoine ouvrier devrait en symétrie

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appuyer l'affirmation d'un patrimoine dit patronal . Cet exemple de valorisation de la figure d'André Citroën au détriment des ouvriers ayant eux largement contribué à la réussite de cette entreprise prouve cet état de fait : le patrimoine

67 Musée virtuel André Citroën, Citroën Origins, http://www.citroenorigins.fr/fr

68 Voir à ce sujet l'article d'Anne-Françoise Garçon « L'ouvrier ne fait pas patrimoine... De la difficulté en France de faire se rejoindre mémoire du travail et archéologie industrielle » , L'archéologie industrielle en France, Revue du CILAC n°36, p.48-59, 2000

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s'apparentant au patronal existe bel et bien, cela justifie d'autant plus l'existence d'un patrimoine ouvrier.

ii- Les raisons historiques des destructions

Du point de vue historique, cette absence de reconnaissance peut amener à la destruction des lieux en rapport avec l'industrie et donc des ouvriers. Cela s'explique notamment par l'échec qu'a constitué la fermeture des usines. Dans les années 80 la désindustrialisation massive (même si la constitution d'un patrimoine industriel a débuté dès les années 50) qu'a connue la France a fait perdre leurs emplois à des milliers d'ouvriers et a constitué un traumatisme important dans la société française. L'industrie est depuis associée à des souvenirs douloureux car, en même temps qu'elle fut un levier d'évolution sur le plan technologique, et sociale par les luttes qu'elle a fait surgir, elle a fini par sceller au travers de son décroissement la mise à l'écart des ouvriers. A ce sujet, Jean-Claude Daumas explique :

« Il existe en matière de patrimoine industriel une forte demande de

mémoire car, après une période où on a beaucoup détruit avec le désir plus ou moins conscient d'effacer jusqu'au souvenir d'une aventure qui s'est achevée sur

un échec douloureux, on fait aujourd'hui le rêve impossible de tout conserver, sans souci de tri et de hiérarchie, parce que les vestiges matériels laissés derrière

elle par l'industrie sont de plus en plus perçus comme des éléments constitutifs d'identités professionnelles ou locales qui méritent d'être respectées, confortées, valorisées, et que la commémoration pieuse du passé est vécue comme une sorte de compensation au déclin de l'industrie et à l'effacement des groupes ouvriers

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qui lui étaient liés. »

Il s'agit donc de comprendre que les mémoires ouvrières que décrit Jean-Claude Daumas sont depuis quelques temps un moteur de patrimonialisation en dépit de critérisations qui sont nécessaires à l'élaboration d'un patrimoine. Choix qui

69 Jean-Claude Daumas, op.cit., p.23

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amène à ne pas patrimonialiser ce qui n'aura su répondre à différents critères. Bien souvent, la non patrimonialisation, qui englobe dans notre propos aussi bien les réhabilitations que les rénovations, mènent bien souvent à la destruction. Nous pouvons, en ce sens, avancer une interrogation quant à ces destructions. En effet, si la seule manière de considérer ces endroits est constituée par du patrimoine industriel il n'est pas tellement surprenant que les municipalités, qui ont bien souvent in fine la responsabilité du devenir de ces lieux, les détruisent. En effet, bien que de nombreuses réhabilitations aient lieu, les matériaux utilisés à l'époque et les nouvelles réglementations aujourd'hui en vigueur exigent un vaste investissement financier des municipalités si elles se donnent pour mission de les protéger. Or, les municipalités sont elles-mêmes soumise à une perte grandissante de leur moyen. Aussi, le fétichisme que peut entraîner l'idée de patrimoine soulève aussi le principe d'espace unique. En effet, pour qu'un bâtiment puisse obtenir la stature patrimoniale qui le protégerait il convient qu'il ne soit pas commun. Si un type d'architecture ou de bâtiment est présent de manière très importante sur le territoire cela lui enlève sa rareté. L'industrie s'étant répandue sur tout le territoire, de nombreuses usines y ont fleuri. Si elles sont aujourd'hui menacées de destruction, certaines seront, paradoxalement, grâce à ces menaces protégées. Cette réflexion est à considérer si l'on parle de patrimoine industriel, en revanche si la manière de les mettre en valeur était vue sous l'aspect du patrimoine ouvrier, il serait beaucoup plus difficile de les détruire car chacune abriterait une histoire ouvrière différente, ce qui entrerait dans des critères de lieu unique, principale source de protection donc de patrimonialisation. Pour cela, une affirmation d'histoire ouvrière propre à chacune de ces usines serait nécessaire, on protégerait alors l'histoire ouvrière passé de ces endroits, véritable mémoire de ces lieux. Cela montre que la rareté est une condition incontournable de la patrimonialisation.

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iii- Détruire pour ne pas affirmer de propriété

Finalement, le patrimoine ouvrier serait-il non affirmé car impliquant une propriété ? Ce qui distingue le chef d'entreprise, le patron, est la possession du

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capital économique . Affirmer un patrimoine ouvrier viendrait à reconnaître un capital économique, culturel et historique à la classe sociale qui en est habituellement dépossédée. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le seul qualificatif d'ouvrier reconnu du point de vue patrimonial sont les mémoires ouvrières. Comme si, le patrimoine ouvrier ne concernait que de l'immatérialité. On dépossède de la pierre par le patrimoine industriel, des outils de travails par un patrimoine de sciences et techniques, des lieux et places par le patrimoine urbain, tout ce dont ils pourraient affirmer une origine de création. Etablir une propriété à l'ouvrier remettrait en question les fondements de notre société, de répartition des richesses et du système de classes sociales. Cela est peut-être une des raisons de la non existence du patrimoine ouvrier. Le lien entre patrimoine et propriété doit donc être défini. La définition littéraire du patrimoine est assez parlante à ce sujet. Comme nous l'avons vu auparavant il désigne un héritage, or un héritage suppose de facto une propriété. On ne peut pas en effet hériter de quelque chose qui ne nous appartient pas. Cela semble logique, mais peut paraître plus compliqué à aborder en ce qui concerne le patrimoine sous le prisme du culturel, pourtant, là aussi, une affirmation de la propriété pourrait être posée. Comme André Chastel le

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rappelle « le patrimoine est moins une possession qu'une propriété » . Je précise que nous abordons ce que soulève le patrimoine d'un point de vue purement économique, nous n'abordons pas dans cette partie les qualités esthétiques ou le besoin historique de protection. Prenons en exemple plusieurs types de patrimoines : Le patrimoine mondiale par exemple pourrait désigner la propriété symbolique d'un bien culturel par toute l'humanité. Le patrimoine de type

70 Insee, catégorie socio professionnelle, PCS 2003, nomenclature des Professions et Catégories Socioprofessionnelles, Artisans, commerçants et chefs d'entreprise

71 Chastel André, « Patrimoine », Encyclopédia Universalis, Supplément, Paris, 1980.

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artisanal, pourrait affirmer une propriété symbolique dans la possession de savoir-faire à un groupe d'individus particulier.

Or, la propriété générée dans la qualification de patrimoine bâtit induit un caractère pécunier. Le fait est que le patrimoine, sous sa forme matérielle, génère une fonction économique, au profit de son bâtit et de son environnement. L'article d'Alfonso Álvarez Mora, « Le concept de patrimoine bâti, alibi des modèles

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urbains soumis à la rente foncière en Europe » , va même plus loin en expliquant que la manne foncière qu'opère une patrimonialisation est en fait le moteur principal à toute reconnaissance. Il évoque même l' alibi que constitue le culturel dans toute patrimonialisation du bâti. La rente foncière opère alors une »

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dépossession de classe » , où la valeur portée au bâtiment change de contenu émotionnel. Une réappropriation est en cours qui porte tant sur la possession de l'espace que sur la « valeur d'estime » (Halbwachs, 1928) . C'est au travers de ce processus qu'est réapproprier le patrimoine ouvrier dans d'autres patrimoines : urbain, industriel, technologique.

72 Alfonso Álvarez Mora, Le concept de patrimoine bâti, alibi des modèles urbains soumis à la rente foncière en Europe, Espaces et sociétés (n° 152-153), pages 19 à 33, 2013

73 Ibid .

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Chapitre 3 - Histoire d'une notion, description théorique

a- Une construction culturelle

i- Au prisme politique du patrimoine

Après avoir analysé ce qu'incarne le patrimoine ouvrier et son intégration dans d'autres sphères patrimoniales reconnues, nous devons interroger le chemin de construction politique du patrimoine. Par quelles instances et quels processus un objet doit-il passer pour être consacré patrimoine ? Cette question nous intéresse car elle nous permet in fin e de tenter d'établir les raisons d'une reconnaissance encore rare du patrimoine ouvrier. Loin de prétendre retracer toute l'histoire de la notion, nous nous attacherons à décrire ici les évolutions qui font date. Plus particulièrement, nous faisons démarrer cette tentative d'analyse à 1789, date de la Révolution Française -charnière dans la compréhension de la construction du patrimoine moderne-. La Révolution Française fait intégrer l'idée de patrimoine nationale ce qui permet de poser les jalons d'une histoire commune, le patrimoine sert donc des volontés politique. C'est la création du Louvre en 1793 qui a favorisé l'idée de bien commun, véritable notion du patrimoine culturel aujourd'hui. Le patrimoine devient garant d'une cohésion sociale et un enjeu de société, car il est primordial de construire une histoire nationale dans laquelle ses citoyens puissent se reconnaître. Les années 1830 correspond au moment Guizot et constitue une étape importante dans la protection du patrimoine. Guizot, ministre de l'intérieur , s'est empressé de faire voter des lois ayant pour objectif sa protection, protection subordonnée à l'état. Il affirmait alors, « C'est un désordre grave et un grand affaiblissement chez une nation que l'oubli et le dédain de son

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passé » . Il obtient la création du rôle d'Inspecteur général des monuments historiques. Par conséquent, le patrimoine conforte l'histoire et par là, celui du discours national.

74 Jacques de Crozals, Guizot , 1858, Bnf Collection, Paris, 2016, p. 336

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L'autre charnière du patrimoine en France est datée à 1913 avec la loi relative au monuments historiques, votée en pleine nuit, qui synthétise les lois qui tentaient de protéger le patrimoine jusqu'alors. C'est encore aujourd'hui la loi qui caractérise les fondations de la protection patrimoniale en France. Elle est créée dans un contexte particulier dû à la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905.

Pour faire suite, nous datons la dernière grande charnière pour le patrimoine en France à 1960 et à Malraux qui voit naître la naissance de l'inventaire.

Ces grandes étapes du patrimoine en France ont vu surgir d'autres interrogations que Loïc Vadelorge résume en trois grands domaines :

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1- Tensions en l'administration des cultes et des beaux-art s

2- Tensions entre la politique patrimoniale et la politique artistique

3- Tensions entre les conceptions scientifiques et celles des amateurs

Finalement, il s'agit de tensions idéologiques . Cela nous montre que les politiques du patrimoine occupent une place centrale dans les politiques en général, et qu'il peut conditionner l'ensemble des politiques en vigueur sur un territoire.

ii- Les nouveaux patrimoines

Le concept de patrimoine se traduit aujourd'hui par son existence légale, sont ainsi ordonnées des lois qui le protège . Des institutions chargées de l'étudier, de le protéger, de le présenter, dans le but d'une transmission aux générations futurs sont créées. La méthode d'analyse du patrimoine, qui en fait un champ particulier hermétique aux contextes sociales et politiques, n'est aujourd'hui plus la norme.

75 Dufour Stéphane. Philippe Poirrier et Loïc Vadelorge (sous la direction de), Pour une histoire des politiques du patrimoine. Comité d'Histoire du Ministère de la Culture, Fondation Maison des sciences de l'homme, 2003

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Bien au contraire, on peut penser que le patrimoine porte aujourd'hui le fardeau de devoir bien souvent apaiser ou soutenir des champs qui ne relèvent bien souvent pas de son domaine, à savoir, du culturel. Nous appliquons la transformation contemporaine du patrimoine aux années 1970-80, de nombreux ouvrages de cet époque dévoilent alors un champ critique qui interroge le patrimoine et le fait communiquer avec d'autres disciplines comme l'ethnologie ou même la philosophie (Henri-Pierre Jeudy sur le séminaire «Patrimoine»1987-1989). Derrière l'idée de monument se cache en fait un objet d'étude complexe qui fluctue selon qu'il s'agisse d'un patrimoine dit naturel , urbain , ou ouvrier par exemple. Ainsi, tous les types de patrimoines s'étudient différemment et s'attachent à de nombreux critères d'analyses. Le changement qui marque le patrimoine dans les années 80 se situe dans l'affirmation qu'il ne peut s'étudier comme un tout homogène : Il s'agit au contraire de l'addition de spécificités. Son étude et sa compréhension doivent se faire du plus particulier au plus général. L'accumulation de ces différences forme le tout « patrimoine ». L'inscription temporelle de ces nouvelles acceptions du patrimoine interroge alors le rapport à la mémoire et mets en lumière l'inégalité de traitement en fonction des territoires. Les grandes politiques de décentralisation d'alors, auxquels s'ajoute les politiques européennes, instaure un patrimoine mondialisé, en même temps qu'elles font porter la charge de ce même patrimoine à de plus petites instances, comme les villes ou les régions. C'est aussi dans les années 1980 que la volonté d'une économie sans frontière fait se développer de manière massive l'économie du tourisme, économie dans laquelle le tourisme industriel prend aujourd'hui une puissance non négligeable. A la vue de ces éléments nous comprenons que le patrimoine est bien plus une notion mouvante qu'un sens figé. Ce à quoi il renvoie fluctue et se modifie en fonction du temps dans lequel il

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s'inscrit .

76 POULOT D., Le patrimoine et les aventures de la modernité, Patrimoine et modernité, Chemins de la mémoire, L'Harmattan, 1998, p.9

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iii- Une affirmation symbolique de la détention du pouvoir

Le patrimoine est compris et interprété de nombreuses façons en fonction des époques. Véritable outil d'influence pour les pouvoirs en place, il s'est illustré dès l'Antiquité dans le but d'asseoir l'importance des puissants. Comme nous l'avons vu, à l'origine dépositaire des biens de famille dont l'on hérite, son sens a évolué pour s'incarner aujourd'hui dans une multitude d'objet. Le patrimoine, d'un point de vue culturel, désigne l'héritage du passé pour le présent que l'on préserve en

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direction des générations futures . Le patrimoine dans sa notion culturelle a toujours été source de conflit dans la mesure où il incarnait les volontés de certains sur les autres. Si le patrimoine a perduré c'est grâce à sa mouvance et à l'extrême changement de forme qu'il a su prendre. Un patrimoine polymorphe, que les puissants adaptent en fonction de l'ambiance politique du moment, voilà ce qu'il désigne. Car, avant toute disposition matérielle c'est un mouvement continue qui le définit. Ce mouvement est initié par ceux qui décident ce qui est patrimoine ou non. Daniel Elisseeff résume ce fait :

« ... pour s

'affirmer, pour durer, pour assurer la domination future de sa

descendance, le chef d'une cité-Etat a besoin de mythes, d'ancêtres, de traces pérennes d'une histoire qui liera sa personne au présent, tout en lui donnant une place dans le passé.» 78

Ce lien qui unit le patrimoine aux dirigeants d'une époque fait surgir la relation complexe qu'entretienne patrimoine et politique. Ainsi, le patrimoine sert des intérêts politiques à des échelles diverses. De ce fait, ce n'est pas l'objet qui porte le sens de sa reconnaissance, mais bien le sens que l'on choisit de lui attribuer qui fait de cet objet un objet remarquable. C'est dans l'affirmation de ce lien politique et patrimoine que l'on peut interroger d'autres sphères d'études. Par exemple, le

77 Nous précisons cependant que la vision du patrimoine allant du passé vers le présent est assez questionné, notamment par Jean Davallon dans son ouvrage, Le don du Patrimoine. L'auteur pose le regard sur l'utilisation du passé pour le présent, ce qui amènerait à repositionner le mouvement du patrimoine, non pas du passé vers le présent mais bien du présent vers le passé.

78 Daniel Elisseeff in Béghain, Patrice. « Chapitre 1. Patrimoine et politique : l'affirmation d'un couple », , Patrimoine, politique et société. sous la direction de Béghain Patrice. Presses de Sciences Po, 2012, pp. 11-28.

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terrain politique ne peut être étudié pour lui seul, il est mis en relation avec d'autres disciplines : la sociologie, l'anthropologie, ou même la philosophie. Ces disciplines font que le patrimoine est désormais aussi étudié dans d'autres sphères que l'histoire et ont fait surgir de nouveaux terrains de recherches particulièrement prolifiques. Nous observons donc le passage d'un cercle restreint, incarné par la sphère familiale, à une échelle beaucoup plus grande que représente un groupe d'individus, ou encore un pays. Ces changements d'échelles sont importants car c'est le sens du patrimoine qui est alors adapté. Ce lien très fort qu'entretiennent patrimoine et politique permet aussi d'avancer quelques explications sur la difficile présence du patrimoine ouvrier en son nom propre. Le patrimoine ouvrier porte avec lui la charge d'une histoire douloureuse, symbole dans l'actualité de vies difficiles, de désindustrialisation et de chômage. Cela paraît assez suffisant, à l'échelle locale ou encore nationale, pour faire disparaître toutes traces de ce passé. Traces qui pourraient constituer si elles étaient entretenues, les fondations d'un patrimoine ouvrier.

iv- L'Unesco et la valeur universelle, rôle économique et global product

Ce rôle politique de la constitution du patrimoine est, depuis le milieu du XXème

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siècle, organisé de manière globalisée. L'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la Culture (Unesco) fait autorité en matière de patrimoine à l'échelle mondiale. C'est au travers de sa liste que le patrimoine mondial est consacré. Son pouvoir est tel que les politiques patrimoniales françaises s'inspirent largement de ses recommandations. L'étude de son rôle et de son action permet une compréhension de ce qui fait patrimoine aujourd'hui, et de ce fait une analyse plus précise du patrimoine ouvrier en France. Ce qui émane de cette institution se traduit par une volonté universaliste des biens culturels qu'elle met en valeur. Par conséquent, nous assistons à une uniformisation du discours

79 L'Unesco a été créée le 16 novembre 1945, au sortir de la guerre à Londres, Royaume-Uni.

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attenant ces biens culturels, ayant pour finalité la mise en valeur de type précis de biens et relayant les autres à ce que l'on pourrait nommer une invisibilisation. Cette idée universaliste qu'entretient l'Unesco avec son patrimoine porte également le regard sur les intérêts économiques qu'il en découle. C'est au travers de son label de Patrimoine Mondial qu'est distingué des biens culturels dit exceptionnels. Cette labellisation n'est pas sans rappeler à l'échelle nationale celle des monuments historiques. Or, la manne financière due au tourisme que soulèvent ces labellisations semble démesuré.

Pour véritablement comprendre sa puissance nous pouvons analyser les critères d'inscriptions. Depuis sa création en 1945 l'Unesco s'est imposé comme la référence en matière de patrimoine. La puissance que confère la légitimité culturelle d'un bien reconnu par cette institution est sans égal à travers le globe. Voulue initialement par les Etats-Unis, la ratification par 188 pays de la convention de l'Unesco a imposé mondialement le patrimoine sans frontières. Pour justifier de sa puissance, des moyens financiers sont alloués à la protection de ces patrimoines. Véritable instance de puissance, les biens inscrits sur la liste du patrimoine mondiale possède un pouvoir économique. En effet, le patrimoine

80

relève alors du marché touristique, rare secteur à la croissance exponentielle . L'Unesco ne se contente pas d'inscrire ces patrimoines sur une simple liste, un véritable accompagnement est proposé aux garants de ces objets. Il ne s'agit pourtant pas de soutenir les équipes de professionnels par la formation à des métiers qui les aideraient à garantir leur entretien pour les générations futures. Ce qui est proposé vise un accompagnement économique, les boîtes à outils que propose l'Unesco est à ce titre une véritable référence. Nous apprenons les meilleurs moyens de tirer profit du bien classé, ce qui valide l'intégration de ces patrimoines dans un véritable marché économique, sans frontières et donc universelle. Le patrimoine mondial est de toute évidence un agent économique

80 L'actuelle crise du coronavirus est venue bouleverser ce marché. Les frontières des pays s'étant fermées les unes après les autres, nous pensons que le secteur touristique verra ces chiffres 2020 baissés de manière quasi certaine.

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d'une forte puissance, sans frontières. De ce fait, les objets patrimoniaux classés

81

deviennent des global product s . Les revenus financiers que le patrimoine

82

culturel mondial génère sont tellement importants qu'on ne peut les chiffrer . L'Unesco serait tout à la fois garant et créateur d'un marché, un marché mondial et sans frontière, où le patrimoine est son agent économique reconnaissable quand lui est apposé son label. Le label de patrimoine mondial et l'économie qu'il suggère se retrouve dans le même paradigme que dévoile l'idée de valeur universelle. Les petits guides, boîtes à outils de références, rédigés par les équipes de l'Unesco sont tout à fait significatives : Le guide numéro 1 et intitulé Comprendre le tourisme dans votre destination, débute de cette manière .

« Étapes du succès .

Pourquoi c'est important

Toutes les écoles de commerce du monde enseignent . « ce qui n'est pas

83

mesurable n'est pas gérable ». «

La volonté économique qui se dégage de l'inscription sur la liste du patrimoine mondial est ici clairement démontré.

Cela prouve que l'intérêt purement historique n'est pas suffisant pour une patrimonialisation, il nous faut donc en comprendre les autres ressorts qui pourraient communiquer avec le patrimoine ouvrier. Et, l'inscription sur la liste du patrimoine mondial est souvent le dernier échelon dans la reconnaissance d'un patrimoine, de ce fait une étude plus globale du processus de patrimonialisation est à observer.

81 Manale, Margaret. « Le patrimoine industriel : mémoire sociale ou produit innovant ? », L'Homme & la Société, vol. 192, no. 2, 2014, pp. 11-14.

82 Ibid.

83 Unesco, World Heritage Convention, Boîte à outils sur le tourisme durable dans les sites du patrimoine mondial de l'UNESCO, Guide 1 : Comprendre le tourisme dans votre destination, disponible en ligne : http://whc.unesco.org/sustainabletourismtoolkit/fr/guides/guide-1-comprendre-le-tourisme -dans-votre-destination , [consulté le 12 juin 2020]

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b- Un schéma appliqué

i- Le processus de patrimonialisation

Ce pouvoir que possède les politiques locales ou nationales dans la reconnaissance ou l'élévation d'un bien au rang patrimonial se réfère à un cadre symbolique. Des étapes sont alors constituées, le passage de l'une à l'autre permettra de glisser du statut d'objet au statut de patrimoine. Car, le patrimoine est une notion et non une réalité, un schéma est donc en place. Il est appliqué de manière politique, pour le consacrer de manière historique. Les biens patrimoniaux sont «l'objet d'une construction sociale, édifiée par l'usage qui les

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charge de sens » . Le patrimoine est donc un processus et non pas une nature d'objet. Alois Riegl en son temps (1903) précisait déjà les valeurs qui sont apposées aux monuments : La valeur d'ancienneté, la valeur historique et la

85

valeur commémorative . Ces valeurs ont permis l'émergence d'autres travaux qui distinguent aujourd'hui des schémas assez précis du processus de patrimonialisation. Le patrimoine constitue une ressource, ressource qui est elle-même « un processus relationnel entre un objet et un système de production 86 ». Le terme de patrimonialisation renvoie donc à ce processus et au schéma commun que les objets empruntent pour en faire partie :

84 François, Hugues, Maud Hirczak, et Nicolas Senil. « Territoire et patrimoine : la co-construction d'une dynamique et de ses ressources », Revue d'Économie Régionale & Urbaine, vol. décembre, no. 5, 2006, pp. 683-700.

85 Aloïs Riegl, « Le culte moderne des monuments », Socio-anthropologie [En ligne], 9 | 2001, mis en ligne le 15 janvier 2003, consulté le 13 juin 2020

86 Kebir, Leïla. « Ressource et développement régional, quels enjeux ? », Revue d'Économie Régionale & Urbaine, vol. décembre, no. 5, 2006, pp. 701-723.

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Source : François, Hugues, Maud Hirczak, et Nicolas Senil. « Territoire et patrimoine : la co-construction d'une dynamique et de ses ressources »

Ce schéma établit le processus de patrimonialisation en 5 étapes par lequel l'objet sera enrichie d'explication qui lui fera porter le sens de sa patrimonialisation. Nous précisons que la sélection qui s'opère avant tout le processus serait la résultante d'un choix provenant d'un moment porté comme événement, nommé «invention » (Landel 2004). Ces étapes démontrent que l'objet patrimonialisé sort de sa nature pour épouser une idée de culture. C'est pourquoi, nous supposons que les objets ayant une masse symbolique de sens, ne peuvent être appropriés. Les biens culturels du patrimoine ouvrier en font partie, selon nous. Ce schéma n'est

64

87

pas le seul, le processus de patrimonialisation est aussi théorisé par Di Méo qui détermine 4 étapes : La prise de conscience patrimoniale ; Jeux d'acteurs et contexte ; La sélection et la justification patrimoniales ; La conservation, l'exposition, la valorisation des patrimoines . Jean Davallon a lui aussi théorisé ce

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qu'il nomme les gestes de patrimonialisation , pour autant, contrairement au schéma que nous avons présenté, Jean Davallon semble décrire ce qui fait la sélection de l'objet. Par cela, ce qui fait entrer l'objet dans le processus patrimonial. Ainsi, nous remarquons l'idée de «trouvaille», idée précédemment énoncée sous la forme du moment d 'invention pour Pierre-Antoine Landel. Ce que les gestes de patrimonialisation de Jean Davallon dévoilent, sont le rapport qu'entretiennent chacune de ces phases entre elles. Elles ne sont pas hermétiques les unes aux autres et ne prennent leur sens que si ces étapes sont pensées en compléments. Pour autant, chaque phase a son existence propre et l'objet doit lui-même s'incarner pleinement dans chacune d'entre elles sans quoi il pourrait ne pas satisfaire aux exigences de ces gestes , ce qui l'exclurait de ce même processus.

87 Guy DI MEO. Processus de patrimonialisation et construction des territoires. Colloque »Patrimoine et industrie en Poitou-Charentes : connaître pour valoriser», Sep 2007, Poitiers-Châtellerault, France, pp.87-109.

88 Jean DAVALLON, Le Don du patrimoine : une approche communicationnelle de la patrimonialisation, p.126, Paris, 2006

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Source : Jean Davallon, Le Don du patrimoine : une approche
communicationnelle de la patrimonialisation, p.126

Cette rapide visualisation des étapes de patrimonialisation nous montre le processus par lequel un objet doit passer pour faire partie de la sphère patrimoniale. Cela nous permet d'établir un lien avec le patrimoine ouvrier. Car, s'il n'est pas reconnu, peut-être est-ce dû au fait que les objets qui le concernent ne parviennent pas à passer les étapes de ce schéma patrimonial. Différents chercheurs se sont penchés sur la question du processus patrimonial, nous avons choisis d'en exposer certains, ceux qui nous paraissent emblématiques de ce sujet.

ii- Une application au patrimoine ouvrier, points de convergence et

limites

Les biens culturels du patrimoine ouvrier ne semblent pas s'intégrer pleinement à ces schémas ; s'ils y parvenaient, ils passeraient alors dans la sphère patrimoniale

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de manière pleine et entière, et, surtout, ils pourraient exister en leurs noms propres. Pourtant, le patrimoine ouvrier semble répondre à ces étapes de patrimonialisation. Pour reprendre le schéma de Jean Davallon, le patrimoine ouvrier répond au premier critère (A o ), en effet la classe ouvrière est, comme nous l'avons vu, sous-représenté et tend à disparaître. Quant aux objets de la classe ouvrière, les matériaux souvent fragiles favorisent leur disparition. Le critère (B), est lui aussi applicable, la certification de l'origine de l'objet peut être assez simplement démontré dans la mesure où ces objets ont encore des sources exploitables car vivante, les ouvriers eux-mêmes. Ils peuvent donc encore en transmettre les récits et certifier leurs origines. Le critère (C) est quant à lui intrinsèquement lié au critère (B), la validation de l'origine de l'objet étant possible car les ouvriers les possédants sont encore vivants, la confirmation d'existence du monde d'origine se fait automatiquement en ce qui concerne notre objet d'étude. Le critère (E), soit l'exposition de l'objet est là aussi appliqué, nous avons pu le constater dans l'exposition des machines de la dernière usine de

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vêtement du marais par exemple .

Pour autant, les obstacles à la patrimonialisation semblent s'incarner dans les

critères (A) , (D) et (F), respectivement :

(A): Découverte de l'objet comme trouvaille

(D) : Représentation du monde d'origine par l'objet

(F) : Obligations de transmettre aux générations futures

Le critère (A) semble s'opposer à la mémoire encore vive des ouvriers, ce qui empêchent le moment de découverte. Aussi, les objets du patrimoine ouvrier sont très communs car produit en très grandes quantités. Pour autant, nous précisons que cette idée de trouvaille, pourrait intervenir dans quelques années, ces objets étant de plus en plus rares car non entretenus. Ainsi, l'invention du moment de découverte pourrait, le cas échéant, intervenir dans peu de temps. En revanche, il

89 Voir le magasin Uniqlo, p. 45

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semble que ce moment de trouvaille s'inscrit dans un type particulier de personnalité. En effet, pour les ouvriers, revendiquer la protection de leurs objets ne semble pas suffisant. Nous assistons à ce que l'on pourrait nommer un déni de trouvaille, car ce qui est mis en avant n'est pas la nouveauté mais la crainte de la disparition, ce qui change profondément la façon dont est abordée la découverte. De fait, la trouvaille est exercée par la classe ouvrière elle-même, ce qui enferme son objet dans un groupe particulier auquel la notion de patrimoine ne peut s'accoler car non représentative de l'ensemble de la population.

Pour autant, nous avons abordé précédemment le fait que l'objet de patrimoine ouvrier soit présenté et inclut dans d'autres patrimoines. Cela, s'oppose fondamentalement au critère (D), car, ce n'est pas le monde ouvrier qui est présenté à travers ces objets mais bien la volonté d'existence d'autres patrimoines que ces objets peuvent également contenir. Nous avons observé notamment les patrimoines industriels, urbains ou des sciences et techniques. Ainsi, ce n'est pas la classe ouvrière, l'histoire ouvrière, ou le monde ouvrier qui est présenté à travers ces objets mais bien d'autres patrimoines qui trouvent une adaptation de leur sujet à travers ces objets.

Le critère (F) est, quant à lui, nié voir totalement absent. Aucune obligation de transmissions aux générations futures ne semble s'appliquer. Ce que nous observons au contraire s'incarne dans les destructions communes du patrimoine ouvrier. Au mieux, nous assistons à des réhabilitations qui en font perdurer l'enveloppe mais dans lequel le patrimoine ouvrier n'est plus du tout transmis. Cette absence se reflète même dans une certaine volonté des autorités de ne pas transmettre. Comme nous l'avons abordé, la mémoire et l'histoire de ce mouvement ne fait pas consensus et peut le cas échéant suffire à faire naître des crispations qui s'opposent à l'idée de patrimoine. Par cela, la transmission aux générations futures s'en trouve extrêmement affectée. Aussi, nous nous devons de

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préciser que cela s'oppose naturellement au fait que les critères précédents, à savoir (A) et (D), n'aient pas été comblés.

Pour autant, nous le verrons dans la suite de ce mémoire, le patrimoine ouvrier est de plus en plus reconnu. La création de musée de patrimoine ouvrier, et leur succès grandissant montre l'intérêt des publics pour ces questions. Aussi, les objets proposés passent de plus en plus les étapes de patrimonialisation pour en faire partie.

iii- Le bassin minier du Nord-Pas-De Calais : raisons d'un classement

La fosse d'Arenberg, Wallers (Nord), STEVENS FREDERIC / SIP A, 2002

Dans cette continuité, le bassin minier du Nord- Pas de Calais, classé sur la liste du patrimoine mondial en 2012 semble avoir réussi ces étapes de patrimonialisation. Comme nous allons le voir, cette réussite reste relative car de nombreux points du patrimoine ouvrier font défaut à cette présentation. Classé sur la base des critères :

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(ii) , témoigner d'un échange d'influences considérable pendant une période donnée ou dans une aire culturelle déterminée, sur le développement de l'architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou de la création de paysages

(iv), offrir un exemple éminent d'un type de construction ou d'ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes significative(s) de l'histoire humaine ;

(vi), être directement ou matériellement associé à des événements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des oeuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle (Le Comité considère que ce critère doit préférablement être utilisé en conjonction avec d'autres

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critères) .

Le bassin minier de Lille peut correspondre sur différents points à la première reconnaissance du patrimoine ouvrier, qui plus est par l'instance la plus puissante, l'Unesco. Nous estimons qu'il s'agit d'un exemple de patrimoine ouvrier dans la mesure où la vie des ouvriers apparaît en tant que critère d'inscription (vi) :

«Les événements sociaux, techniques et culturels associés à l'histoire du Bassin minier eurent une portée internationale. Ils illustrent de manière unique et exceptionnelle la dangerosité du travail de la mine et l'histoire de ses grandes catastrophes (Courrières). Ils témoignent de l'évolution des conditions sociales et techniques de l'exploitation des houillères. Ils représentent un lieu symbolique majeur de la condition ouvrière et de ses solidarités, des années 1850 à 1990. Ils

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témoignent de la diffusion des idéaux du syndicalisme ouvrier et du socialisme. »

Pour autant, ce critère (vi) n'est pas considéré comme motif à part entière. Il apparaît dans la description des critères officiels qu'il correspond à un bien culturel qui doit « être directement ou matériellement associé à des événements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des oeuvres artistiques et

90 Unesco, Bassin minier du Nord-Pas de Calais, Description, Valeur universelle

exceptionnelle, Critère (vi), 2012 , https://whc.unesco.org/fr/list/1360 , [consulté le 25 mai 2020]

91 Bassin Minier du Nord Pas de Calais, valeurs et critères d'inscriptions, disponible en ligne : http://www.bassinminier-patrimoinemondial.org/les-criteres-de-selection/ [consulté le 3 avril 2020]

70

littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle (Le Comité considère que ce critère doit préférablement être utilisé en conjonction avec d'autres

92

critères ) », nous précisons que sur les dix critères de sélection (Annexe 18) le numéro (vi) est le seul à devoir être mis en relation avec au moins un autre critère pour être recevable. Par conséquent, nous observons dans ces quelques lignes toute la tension qu'opère la reconnaissance du patrimoine ouvrier. Cette dernière phrase, qui plus est, entre parenthèse : ( Le Comité considère que ce critère doit préférablement être utilisé en conjonction avec d'autres critères) incarne la position des instances de légitimation du patrimoine à l'égard du patrimoine ouvrier. La seule vie des ouvriers, finalement, ce qui fait la distinction de ces biens, n'est pas suffisante à une inscription de patrimoine mondial. Pour autant, ce qui rend ce paysage dit exceptionnel est façonné par la vie des ouvriers l'ayant occupé. Ce qui le rend remarquable par les autres critères retenus (ii) et (iv) ne l'est que par les ouvriers qui y ont travaillé, construit, habité, cela a pour conséquence d'établir cette aire comme exceptionnelle. Finalement, que représente un bassin minier s'il n'est pas question en premier lieu des ouvriers ? De ce fait, il paraissait indispensable de faire figurer ces ouvriers comme motif de patrimonialisation ; mais, pour autant, faire figurer leur vie, leurs habitudes comme critère non-autonome d'un classement, montre encore une fois l'injonction des instances dominantes du patrimoine à ce que le patrimoine ouvrier n'existe que s'il est soumis à d'autres domaines dans lesquels les ouvriers n'ont pas l'exercice d'un pouvoir plein et entier. Car finalement, c'est le rapport de domination qu'exerce le patrimoine qui est ici présenté. Ces critères et leur hiérarchie en sont l'exemple le plus probant. Ce classement au titre de « « paysage culturel évolutif vivant »» vient encore une fois minimiser voir invisibiliser le patrimoine ouvrier.

Nous remarquons que la mise en valeur de ce patrimoine ne se fait pas sur la présence des ouvriers. Bien que cela figure comme critère de classement, cette

92 UNESCO, Bassin Minier Nord-Pas-De-Calais, Critères de sélection, site de l'Unesco, https://whc.unesco.org/fr/criteres/ , [consulté le 04 avril 2020]

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mise en lumière est aujourd'hui exposée sur la base des critères (ii) et (iv). Le (vi), qui témoigne des ouvriers est pour le moins assez absent. Le site officiel du bassin minier dans sa rubrique «les raisons d'une inscription» (Annexe 15) ne l'évoque pas, ce qui est montré réside dans le statut des ouvriers, à savoir celui de «mineur» et avance rapidement à l'idée de bassin minier ayant été très peu modifié :

Source : Bassin minier du Nord-pas de Calais, Comprendre, Les raisons d'une inscriptions,

http://www.bassinminier-patrimoinemondial.org/les-raisons-dune-inscription/

Or, cela semble en total opposition à l'image que les équipes ont choisies de présenter. Nous pouvons observer des mineurs en activité qui témoigne du travail difficile et dangereux qu'ils exerçaient. Toutefois, le texte qui accompagne cette image ne correspond pas du tout au texte silencieux de cette photographie. Bien que la vie des ouvriers ait été un critère au classement du bassin, la présentation qui en est faite semble ne pas présenter les ouvriers en tant que tel, et s'attache principalement à l'idée de paysage.

Ce que nous pouvons retenir du classement au patrimoine mondial du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, c'est la mise en avant de l'histoire sociale comme critère de patrimonialisation. C'est bien la première fois en 2012 que l'Unesco consacre un objet ayant trait au patrimoine ouvrier. Le fait que le classement mette

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en exergue «sa place exceptionnelle dans l'histoire événementielle et sociale du

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monde de la mine » constitue un changement de position des organismes de patrimoine. Nous pouvons lire sur le site de l'Unesco en critère (vi) :

«Les événements sociaux, techniques et culturels associés à l'histoire du Bassin minier eurent une portée internationale. Ils illustrent de manière unique et exceptionnelle la dangerosité du travail de la mine et l'histoire de ses grandes catastrophes (Courrières). Ils témoignent de l'évolution des conditions sociales et techniques de l'exploitation des houillères. Ils représentent un lieu symbolique majeur de la condition ouvrière et de ses solidarités, des années 1850 à 1990. Ils témoignent de la diffusion des idéaux du syndicalisme ouvrier et du socialisme. 94

Cet événement constitue le premier acte d'une reconnaissance global du patrimoine ouvrier. Pour autant, nous avons souligné sa difficile présence. Le bassin Minier de Lille est donc valorisé sur la base d'autres critères que celui de la vie ouvrière. De ce fait, c'est l'idée de paysage qui est présentée, et, bien que la vie des ouvriers ait été intégrée au processus de patrimonialisation, sa présentation fait aujourd'hui défaut. D'une part le critère (vi) ne peut exister pour lui seul, ce qui montre son caractère non autonome, dans notre cas, de la vie des ouvriers, de leur travail, de leur vie sociale, comme patrimonialisation. Mais aussi, et d'un point de vue plus factuel, cela amène à la présentation d'objet sous un discours scientifique et technique traduisant le monde de la mine. Finalement, cela confirme l'effacement de la mémoire sociale du lieu. En y apposant une autre histoire que celle des ouvriers, nous assistons à un changement de paradigme de l'objet présenté. En l'occurrence, le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais pourrait davantage faire penser à un parc paysager qu'à un lieu de représentation de la vie minière et du statut de ceux qui l'ont occupé. Pour autant, on peut penser que le patrimoine ouvrier tient enfin sa place dans la hiérarchie des biens à reconnaître et à protéger. Car, même si le patrimoine ouvrier n'est pas montré dans ce

93Ibid.

94 Unesco, Bassin minier du Nord-Pas de Calais, Description, Valeur universelle

exceptionnelle, Critère (vi), 2012 , https://whc.unesco.org/fr/list/1360 , [consulté le 25 mai 2020]

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classement, l'inscription du critère (vi) qui met en avant les ouvriers eux-mêmes, démontre l'intérêt grandissant vers ce patrimoine.

c - Entre mémoire et esthétique, le difficile consensus

i- Fonction du musée et esthétisation du patrimoine ouvrier

Les collections muséales reflètent les volontés d'acquisition d'une équipe, d'un conservateur, et répondent à l'image du musée et à son sujet. Tout à la fois dépositaire du discours transmis aux visiteurs ainsi qu'à la mission scientifique qu'ils se doivent de respecter, les collections observent des règles qui leur sont propres et qui sont guidées par la typologie de musée dans lesquelles elles prennent place. C'est en analysant les manières de les présenter au public que le type de muséologie se dégage. Les musées des Beaux-arts sont le plus souvent représentatifs d'une muséologie d'objet, tandis que les musées de science développent plus régulièrement une muséologie de savoir. Dans le cas du patrimoine ouvrier qui recouvre à la fois le patrimoine industriel et les mémoires ouvrières, ce sont bien les musées de science et technique qui sont les héritiers de ce patrimoine. Pour autant, comme nous l'avons vu ce sont bien souvent l'esthétique des objets qui est présentée. L'esthétisation des collections n'est pas nouvelle et nous pouvons dater des années 60 les remises en cause de ce type de

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présentation. Certains écrits de Bourdieu ont ainsi fait émerger les missions

96

sociales des musées, donnant lieu à la création de la Nouvelle Muséologie . Celle-ci en plaçant les publics au coeur des missions des musées est venue bouleverser les représentations. De ce fait, l'esthétique n'est plus seulement le but des musées, ses adeptes consacrent la place du visiteur qui devient un nouvel objet de recherche pour de récentes disciplines comme la médiation culturelle par exemple. Cette question nous intéresse particulièrement dans la mesure où c'est

95 BOURDIEU Pierre, L'amour de l'art, Les éditions de minuit, 1966, édition augmentée en 1969

96 Desvallées, André, et François Mairesse. « L'organisation des musées : une évolution difficile », Hermès, La Revue, vol. 61, no. 3, 2011, pp. 30-37.

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bien l'esthétique qui prime en ce qui concerne les musées de sciences et techniques, musées qui sont dans la grande majorité dépositaires du patrimoine

97

ouvrier. Gaël Le Bacquer dans son article portant sur la requalification de l'usine Moulinex d'Alençon écrit à ce sujet :

«Mais préserver les bâtiments industriels n'amène pas nécessairement à

conserver la mémoire ouvrière. En fait, les spécificités de cette dernière, sur le fond (caractère ambigu de la valeur travail, question de l'évocation des luttes

sociales et des rapports sociaux) comme sur la forme (rareté et fragilité des sources, question de l'implication des anciens ouvriers eux-mêmes dans ce processus de mise en mémoire) font souvent obstacle à une inscription spatiale de cette mémoire»

L' esthétique agirait ainsi comme le mot magique permettant de consacrer l'objet à patrimonialiser, le faisant entrer dans une hiérarchie de l'exceptionnelle garantissant sa protection. La gare d'Orsay devenue le Musée d'Orsay en est l'exemple le plus probant, haut lieu représentatif du patrimoine industriel, le musée d'Orsay est devenu le temple de l'esthétique consacrant les impressionnistes et le mobilier d'art. La fonction passée est totalement absente, l'émotion du sensationnel n'est ici que la seule mémoire vive de son ancienne fonction. Pour autant, il est réducteur de penser que l'esthétique soit la seule condition d'une patrimonialisation, bien au contraire. Comprendre le musée comme lieu du beau n'est que la partie visible d'un schéma bien plus complexe.

Nous devons nous attacher à inclure le musée et ses fonctions au sein de la société pour en comprendre les enjeux et par cela les patrimonialisations. Le musée n'a pas fonction de déranger ou mettre à mal les symptômes de la société, au contraire il se présente pour unifier, rassembler et lisser les espaces rugueux de l'histoire ou de la vie sociale. De ce fait, il occupe en premier lieu une fonction politique, «Le musée a toujours et partout entretenu des liens étroits avec les

97 Le Bacquer Gaël, Détruire le patrimoine industriel pour effacer la mémoire ouvrière ? , Historiens & Géographes, n°405, Le patrimoine industriel Tome III, 2009

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entreprises de glorification politique ; leur dénonciation est d'ailleurs une banalité de la critique de l'institution, accusée de fournir une vitrine prestigieuse

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aux pouvoirs » comme le rappelle Dominique Poulot. Le musée n'est donc pas seulement un lieu de repos d'objets à protéger, mais un espace de présentation de valeurs et de pensée. Le musée comme espace de visualisation de la mémoire est régulièrement abordé, Serge Chaumier précise en ce sens : «Si nous ne fréquentons pas le musée, nous tenons à son existence, garantie de l'entretien

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d'une mémoire confiée aux spécialistes de la conservation ». Ainsi, si les musées sont des lieux d'entretiens de la mémoire, nous devrions pouvoir observer dans notre cas les mémoires ouvrières. Elles se trouvent pourtant absentes, la raison invoquée étant l'absence de collection permettant d'appuyer cette mémoire. Cette raison est pour le moins limitée dans la mesure où des conservateurs comme Jacques Hainard ont prouvé à mainte reprise que le discours primait sur les objets en tout temps et en tout lieu. Aussi, l'avènement de l'art contemporain tend lui

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aussi à remettre en question cette réflexion, le discours primant sur la forme . Ainsi, si le musée permet de faire passer des mémoires par les objets, il appartient aux professionnels d'en faire le tri, d'en organiser les récits. En ce sens, une première vision portant sur le musée comme lieu de sélection de l'histoire est à expliquer.

Une exposition est avant tout la présentation d'un choix, d'un criblage d'objets, mis en avant selon un caractère esthétique, scientifique et/ou de valeur, opéré par les professionnels de musée. Nous assistons, en ce qui concerne le patrimoine ouvrier, à une esthétisation poussée, incarnée par exemple dans la présentation de machines ou d'architecture ayant comme source l'industrie.

98 Poulot, Dominique. « Introduction. Une histoire politique des musées »,, Une histoire des musées de France. XVIIIe - XXe siècle, sous la direction de Poulot Dominique. La Découverte, 2008, pp. 5-14.

99 CHAUMIER Serge, Le retour de l'esthétique, baume de la mémoire ouvrière, Art & Fact, Université de l'Etat, 2003, pp.69-73

100 Nathalie Heinich, Le paradigme de l'art contemporain. Structures d'une révolution artistique, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Sciences Humaines », 2014

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(c) Musée des Arts et Métiers, Cnam / Photo Michèle Favareille

Le musée des Arts et Métiers en est un des exemples. Les médiations sont présentes mais nous sommes face à l'appréciation stricte de la beauté des objets. Serge Chaumier écrivait à ce sujet : « Le Conservatoire National des Arts et Métiers n'a pas su suffisamment s'arracher de son histoire, et maintient une exposition esthétisante des techniques qui prime sur la compréhension des

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utilisation s ». Nous pourrions nous arrêter à ce constat, pour autant ce qui se révèle à la lumière de cette remarque n'est pas seulement la présence difficile de médiations mais bien l'absence de récits accompagnant ces machines. Nous pouvons d'ailleurs nous demander si la présence de ces objets dans les musées n'a pas finalement vocation à en effacer leurs contextes. Peut-on imaginer les publics allant voir la Joconde pour son seul sourire ? Non, c'est le mythe qu'ils viennent

101 Ibid. , p.70

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102

observer . Qu'en est-il alors des objets du patrimoine ouvrier ? Les musées des sciences et techniques en concentrant la mise en valeur des objets du point de vue esthétique a permis de les protéger, le récit les accompagnant étant bien souvent limité à leur strict fonctionnement. Quid de leur impact dans la vie des femmes et hommes les ayant utilisés ? Quid du révélateur des vies laborieuses qu'ils incarnent ? De leurs luttes ? Des hiérarchies entre les Hommes qu'ils concentrent ? Tout cela n'est pas montré, ni expliqué, au profit de compréhension mécanique et de délectation esthétique. Il ne s'agit pas seulement d'une absence historique mais d'une occultation voulue et recherchée. Comme nous l'avons vu, le musée sert à unir et pour cela chacun doit pouvoir se saisir de ce qui est montré. Car finalement, ce qui est recherché dans ces présentations de machines, d'outils, ou tout autres objets du patrimoine ouvrier, est une valeur universelle, celle de l'esthétique. Elle est ce qui est recherchée en toute patrimonialisation. Elle est le salut d'objets destinés à la disparition, mais porte avec elle l'occultation de tout ou partie de l'histoire de ces biens. L'esthétique est donc ce qui permet l'universalisme d'objets élevés au rang de patrimoine. A ce sujet, Octave Debary dans son ouvrage La fin du Creusot ou comment arranger les restes explique que l'histoire est effacée au profit de l'esthétique :

«OEuvres d'art, l'origine de l'esthétique moderne neutralise l'histoire.

Sacralisation artistique qui détruit ce qu'elle consacre. L'atemporalité esthétique renvoie l'objet dans un universalisme (le Beau) qui le fait sortir de l'histoire ; la reconnaissance de l'universalisme devient la possibilité de la neutralisation de

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l'histoire » .

Nous pouvons à titre d'exemple rappeler la vive contestation au sujet de la présentation des oeuvres du musée du Quai Branly. Plusieurs voix s'étaient élevées

102Philippe Minard, historien et universitaire, EHESS, isole ce fait par cette formule : «En fait, en observant les visiteurs durant le bref passage devant l'oeuvre, ils ne viennent pas voir la Joconde, mais immortaliser leur rencontre avec la Joconde. Ainsi, durant les quelques secondes accordées, le face-à-face prévu se transforme souvent en «fesse» à face.» , Grosse pagaille au musée du Louvre : le fléau des selfies devant la Joconde , La

:

Dépêche, le 1er août 2019, disponible en ligne

https://www.ladepeche.fr/2019/08/01/les-selfies-de-la-joconde,8341544.php#:~:text=En% 20fait%2C%20en%20observant%20les,en%20%%ABfesse%%BB%20%C3%A0%2 0face .

103 DEBARY Octave, La fin du Creusot ou l'art d'accomoder les restes , p. 153

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contre la volonté esthétisante de la muséographie et de l'architecture de Jean Nouvel. Les collections qui découlaient directement de la fusion de celles du musée de l'Homme et du musée de la Porte Dorée avaient déjà un lourd passif,

104

héritage d'un passé colonial difficile à absoudre pour les conservateurs d'alors. Le musée du Quai Branly, voulu par Jacques Chirac devait s'inscrire comme l'écrin d'un renouveau de ces collections. Aujourd'hui musée incontournable de Paris le Quai Branly a largement réussi à trouver son public et interroge régulièrement le regard porté sur ses collections au travers de ses expositions temporaires notamment. Les critiques ne sont pas totalement muettes aujourd'hui, mais se sont largement atténuées. L'esthétisation des collections n'est donc absolument pas nouvelle, en revanche nous pouvons interroger les discours absents dans ce type de présentation. Le musée du Quai Branly est seulement un des exemples de présentation d'objet dans un souci d d'esthétisme. Elle peut cependant servir l'objet mais aussi son discours et son environnement comme le rappelle Serge Chaumier : «[...] elle s'actualise dans tous les secteurs muséaux confondus. Parfois pour le meilleur, quand l'esthétique ne vient pas en place ou contre d'autres discours, mais en complément et en juxtaposition, pour de plus

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amples valorisations, comme cela devraient être logiquement le cas » Cette esthétisation traduit le rapport à l'objet qu'entretiennent les institutions culturelles. Les musées d'Histoire Naturelle paraissent mieux aborder ce rapport complexe entre l'esthétique et la fonction (qui peut être scientifique ou encore sociologique). En 1994, lors de l'inauguration de la Grande Galerie de l'Evolution, les invités

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ont souligné la réussite de ce double processus . Nous observons donc une méthode de présentation en fonction de la typologie de musée. Les musées ayant trait au patrimoine industriel dont les collections répondent à une utilisation et une histoire, dans laquelle s'inscrivent des générations d'hommes et de femmes ne trouvent leur protection qu'à travers un discours traduisant les techniques de

104 A ce sujet, le musée du Quai Branly fut au centre d'un vol d'oeuvre dans une volonté de dénonciation politique du passé coloniale de la France. Article, Le Monde avec AFP, «Culture : jugés fin septembre pour avoir voulu « récupérer » une oeuvre africaine au musée du Quai Branly» , le 15 juin 2020

105 Chaumier Serge, op.cit. , p.70

106 Ibid.

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l'industrie et l'appréciation de leur beauté. L'absence de récits peut également traduire la volonté d'occultation de la mémoire des personnes les ayant utilisés.

ii- Le paradoxe de la mémoire

La mémoire est un concept particulier dont le sens évolutif et ses compréhensions à la fois social, scientifique et culturel ne font que complexifier sa définition. Dans notre cas, ce sont les mémoires ouvrières qu'il nous faut analyser. L'époque contemporaine place au centre de ses préoccupations la mémoire collective et a tendance à reléguer au second plan, voir à renier, la mémoire individuelle. Pour autant, cette compréhension de la mémoire collective et son étude sont des domaines assez récents, comme le rappel Maurice Halbwachs « « On n'est pas

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encore habitué à parler de la mémoire d'un groupe, même par métaphore » . Cette réflexion atteste d'une première difficulté d'étude de la mémoire. Marie-Claire Lavabre résume ainsi cette difficulté :

« La question dite de la mémoire revêt ainsi un double aspect. La «mémoire» est un concept des sciences sociales ou plus précisément une notion - largement polysémique et, en tant que telle, objet de controverses - mobilisée par

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des observateurs et analystes. »

La mémoire constitue un élément majeur des sciences sociales et, en matière de patrimoine elle peut en être le centre dans la mesure où c'est bien sous sa protection que sera déclaré tel ou tel monument à protéger. La mémoire est ainsi

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convoqué par divers acteurs, autours du «devoir de mémoire » pour les

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politiques, ou encore de «l'abus de mémoire » pour les observateurs des phénomènes sociaux. Cette deuxième tension autour de la mémoire nous interroge quant à sa pratique. Car, ces concepts et ces compréhensions amènent à des gestes inscrits spatialement. Le devoir de mémoire se comprend, à titre d'exemple, dans

107 M. Halbwachs, op.cit.

108 Marie-Claire Lavabre, « Paradigmes de la mémoire », Transcontinentales, 5 | 2007, 139-147

109 Bazin, Laurent. « Anthropologie, patrimoine industriel et mémoire ouvrière. Vers une recontextualisation critique », L'Homme & la Société, vol. 192, no. 2, 2014, pp. 143-166.

110 TODOROV Tzvetan, «Les abus de la mémoire, Paris, Arléa, 1998

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l'édification de monuments ou de plaques commémoratives. L'idée d'un abus de mémoire amène, quant à elle, à s'interroger sur la sacralité qui l'entoure, et de ce fait, l'impossibilité de l'étudier de manière pragmatique tant elle est chargée de symbolique ? Finalement, la mémoire est le sujet d'un domaine d'étude important, étant donné qu'elle incarne et conditionne des choix qui seront portés, paradoxalement, dans le futur. Elle est une interprétation du passé faite à un temps donné qui aura pour conséquence un façonnement de l'avenir. Ainsi, il n'est pas

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du tout anodin de l'étudier. C'est bien l'expérience et l'Histoire que la mémoire incarne. L'invoquer ou l'oublier relève ainsi de choix importants qu'il convient de considérer totalement. Aussi, il serait plus juste d'évoquer «les» mémoires et non «la» mémoire. «La» mémoire semblant s'inscrire dans un strict récit national, alors que «les» mémoires semblent invoqués une pluralité de regards sur l'Histoire. Pour prendre l'exemple de l'Espagne, les tensions mémorielles autours de la

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dictature de Franco sont incarnées par le «pacte d'oubli » et met en lumière ce qui peut être fait, sans forcément le nommer, en ce qui concerne les mémoires dures ou conflictuelles. Ainsi en va-t-il régulièrement de l'invocation de «l'oubli

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» de certaines mémoires. Paradoxal, à plus d'un titre, car cela suppose de s'en

souvenir. Aussi, cette résurgence de la mémoire comme objet politique est, comme le patrimoine, abordée dans tous les pays du monde, et, comme l'écri t Marie-Claire Lavabre :

«la question de la mémoire (et là encore, le vocabulaire qui lui est associé) est aujourd'hui largement internationalisée, au prix peut-être de quelques malentendus. Elle est posée quasiment partout, en Europe, en Afrique, en Asie, en Amérique latine, du fait des expériences fascistes et communistes, des dictatures, des guerres, des massacres et plus particulièrement des génocides perpétrés au XXe siècle contre les Arméniens, les Juifs d'Europe, au Rwanda et ailleurs. Elle est posée aussi du fait des déplacements contraints de populations, des séquelles de l'esclavage et du colonialisme, sans parler des fractures plus

111Fiske, Susan T, et Shelley E. Taylor. « La représentation en mémoire », , Cognition sociale. Des neurones à la culture, sous la direction de Fiske Susan T, Taylor Shelley E. Mardaga, 2011, pp. 95-125.

112 Rozenberg, Danielle. « Le « pacte d'oubli » de la transition démocratique en Espagne. Retours sur un choix politique controversé » , Politix, vol. 74, no. 2, 2006, pp. 173-188.

113 Baussant Michèle, « Penser les mémoires », Ethnologie française, 2007/3 (Vol. 37), pp. 389-394.

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invisibles mais largement partagées que sont les migrations économiques, des

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désindustrialisations ou la disparition des mondes paysans. »

Il est intéressant de constater que les exemples choisis pour illustrer les questions de mémoire sont des sujets qui évoque le nouveau courant muséal des Radical Museum. Ainsi, l'incarnation de ces sujets sensibles trouvent leur salut mémoriel dans les musées et le courant des Radical Museum prouve dans son appellation le contre-pied qu'entendent prendre certains musées. Marie-Claire Lavabre évoque très clairement la désindustrialisation comme courant mémoriel à part entière, ce qui nous amène à lier mémoire conflictuelle et patrimoine ouvrier. Ainsi, les mémoires ouvrières que l'on rattache au phénomène de désindustrialisation évoqué précédemment nous ramène à l'enjeu mémoriel qu'elles invoquent. Car, les mémoires dures ou conflictuelles interrogent des domaines variés et amène pour être pleinement présentes dans le patrimoine de manière plus global, à un consensus des politiques, de la science et du social. Il en résulte un récit unifié entre les disciplines et les instigateurs mémoriels de ces domaines. Le patrimoine ouvrier n'est donc pas un objet mémoriel accepté, tant les disparités d'opinions entre les acteurs semblent grandes. Il nous semble que plusieurs raisons peuvent expliquer ce fait. La première réside dans la pluralité de regards sur ce passé. Le patrimoine ouvrier convoque plusieurs récits sur lesquels de nombreux groupes d'individus semblent vouloir imposer leur vérité. Ainsi, les ouvriers disposent de leur récit, qui peut s'opposer à celui plus général des patrons, mais aussi à celui encore plus général des politiques, et pour finir celui de la population entière, tant ce passé fait partie d'un ensemble de vécus de manière nationale. On peut penser aussi aux descendants d'ouvriers, les uns nourris par la volonté d'honorer l'idée d'un passé glorieux et laborieux d'ancêtre oublié, les autres par la difficulté de l'ascension sociale, gravit ardemment, et qui s'oppose à l'idée de fierté de la classe ouvrière dont ils sont issus. Chacun souhaitant imposer aux autres la primeur de leur expérience, le patrimoine ouvrier se trouve dans un conflit mémoriel interne très fort, qui, tant qu'il ne sera pas totalement investi par les

114 Marie-Claire Lavabre, op. cit. , p.141

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ouvriers eux-mêmes, sera muet devant les opinions de chacun. Cette diversité d'histoires porte le regard sur les contenus qui semblent s'opposer, et prouve que la qualification de patrimoine est régie par l'idée d'un consensus mémoriel. Ce qui nous paraît important en ce qui concerne les mémoires ouvrières est qu'elles constituent, non seulement l'histoire d'un groupe identifié, mais aussi qu'elle dispose en son sein d'un caractère social encore actualisé. Ainsi, pour prendre l'exemple de patrimoine douloureux tel que le massacre des juifs durant la seconde guerre mondiale, le consensus peut se faire dans la mesure où il est inscrit dans le temps et l'espace et est désormais terminé. Ainsi, les regards portés ne sont pas à discuter à l'orée d'un présent qui en changeraient leur objet. Les ouvriers, eux, bien que devenus moins nombreux, existent bel et bien. Ainsi, comment parler de mémoire qui suppose un passé fini et dont les mémoires seraient le récit, quand cette classe sociale existe toujours ? Maurice Halbwachs

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écrivait, «Toute pensée sociale est une mémoire », ce qui justifie son existence bien que les ouvriers soient encore en activité. Ainsi, les mémoires ouvrières

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devraient constituer le «tableau des ressemblances entre le passé et le présent », cela pour amener ce que Marie-Claire Lavabre nomme «les mémoires

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«collectives» ou socialement partagées ». Les mémoires ouvrières sont, selon nous, un élément majeur dans la reconnaissance du patrimoine ouvrier dans la mesure où il s'agit de la justification de son existence passé et présent, participant ainsi à une reconnaissance globale, car elles en deviennent l'incarnation des bâtis, se transformant ainsi en lieux de mémoire .

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Le principe des lieux de mémoire de Pierre Nora constitue l'un des trois piliers d'analyse de la mémoire aujourd'hui. Les deux autres s'incarnent dans le travail de

115 M. Halbwachs,in Lavabre Marie-Claire. Maurice Halbwachs et la sociologie de la mémoire. In: Raison présente, n°128, 4e trimestre 1998. Mémoire et histoire. pp. 47-56., op.cit.

116 M. Halbwachs, La mémoire collective, op.cit.

117 Marie-Claire Lavabre, op.cit. , p.142

118 Pierre Nora (Sous la direction de), Les lieux de mémoire, t. II, La nation, 3 vols, Paris, Gallimard, « Bibliothèque illustrée des histoires », 1986

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mémoire119 décrit par Paul Ricoeur, et le dans l'idée de mémoire collective120 de Maurice Halbwachs. Ces trois axes d'analyses s'identifient individuellement, relevant de chronologies et de thèmes différents, mais ils peuvent aussi s'ajouter ou se compléter dans une même recherche. Les recherches scientifiques en matière de mémoire sont cependant à distinguer de l'histoire, dans la mesure où, en France, la distinction entre ces deux disciplines semble inscrite dans le marbre. Nous nous permettons ce développement car notre analyse a pour l'instant évoqué la mémoire comme incarnation de l'histoire. Cela est à plus d'un titre remis en cause, on pense notamment aux mots de Marie-Claire Lavabre « La mémoire renvoie aux formes de la présence du passé qui ne relèvent pas de l'histoire

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(entendue comme savoir-faire, méthodes et exigences du métier d'historien) » , ainsi, si les uns sont historiens il n'existe pas de mémoire qui pourrait en analyser le contenu et justifier ainsi son étude en tant que telle. C'est peut-être pour cela que les mémoires ouvrières ne peuvent faire partie d'un sujet scientifique à proprement parler, il s'agit donc d'un axe d'étude dont le contenu sera influencé en fonction de la discipline dans laquelle s'inscrit plus globalement la recherche. Pour autant, cette reconnaissance de la mémoire comme domaine absolument extérieur à l'histoire fait apparaître des limites, Pierre Nora convoque dans les années 70 le « divorce libérateur entre l'histoire et la mémoire122 » , ainsi la mémoire peut devenir un sujet en soit, plus seulement décrit comme de la non-histoire . Pour conclure, les mémoires ouvrières, sont souvent le terme général qui distingue des inventaires fait dans des lieux au passé ouvrier. Cependant, pour en comprendre véritablement l'objet et la teneur politique qui empêche de l'intégrer au nom d'un patrimoine (patrimoine ouvrier). Il nous faut en comprendre le sujet, qui parle ? Qui sont ceux habilités à parler de la mémoire ouvrière ? Qui sont ceux qui légitimement en produisent le contenu ? A quelle échelle devons-nous nous

119 Dosse, François. « Travail et devoir de mémoire chez Paul Ricoeur », Inflexions, vol. 25, no. 1, 2014, pp. 61-70.

120 Halbwachs, La mémoire collective, Bibliothèque De L'évolution De L'humanité, Albin Michel, première édition 1950, Paris, 1997

121 Lavabre Marie-Claire, op.cit. p. 144

122 P. Nora, « la mémoire collective » in J. Le Goff, La nouvelle histoire, Paris, Retz-CEPL, 1978, pp.398-401

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référer pour en affirmer la pertinence ? Locale, régionale, nationale, internationale ? Par quels moyens, et quelles sont les exigences pour qu'un passé mémoriel soit instruit par les chercheurs et puissent ainsi être érigé sur la place éventuelle du patrimoine ? Comment unifier des récits souvent conflictuels pour en apaiser le récit national ? Toutes ces questions sont à mobiliser en ce qui concerne les mémoires ouvrières. Car, les mémoires ouvrières sont-elles peut-être insuffisamment reconnues pour pouvoir en faire un sujet générateur d'identité collective qui pourrait produire le patrimoine ouvrier. Le simple fait de la qualifier « ouvrière » créer une discordance avec l'idée régulièrement invoquée de « La mémoire » au sens strict. Ainsi, d'un point de vue politique se distingue une classe sociale précise, qui peut s'opposer au récit plein et entier qu'est censé recouvrir la mémoire nationale.

iii- L'absence ou la disparition

Le patrimoine ouvrier représente tout à la fois le patrimoine industriel et les mémoires ouvrières qui ne sont autres que l'esprit des lieux. Comme nous l'avons vu, les bâtis protégés sont vidés de leur substance pour ne faire apparaître que leur qualité esthétique. Les lieux architecturaux avant d'être patrimonialisés sont d'ailleurs souvent renvoyés au simple terme de «friches» qui qualifie ni plus ni moins ces lieux de désordre . Volonté est donc de remettre de l'ordre quand les autorités décident de protéger. Les investissements fait dans les friches industrielles apparaissent d'ailleurs comme concluants du point de vue économique, et se trouvent salués par les instances décisionnelles en matière de patrimoine. L'effacement des mémoires devient alors un motif de sauvegarde des anciens lieux ouvriers. Nous pouvons finalement nous demander si ce phénomène ne participe pas à la patrimonialisation de ces lieux. La mémoire sociale est ainsi

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remplacée au profit d'une mémoire muséifiée (Davallon, 2000), dans le meilleur des cas, effacée dans la plupart des cas. Pour autant, de nombreux

123 Mémoire muséifiée développé par Jean Davallon dans Le patrimoine : "une filiation inversée" ?, https://www.persee.fr/doc/espat 0339-3267 2000 num 74 1 4083

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travaux portant sur l'histoire des ouvriers dans les usines ont été publiés. Il s'agit de replacer dans ces lieux une mémoire sensible. Nombreuses sont les initiatives qui concentrent les sens au sein de parcours urbains cherchant à donner à voir aux publics l'expérience industrielle. Pour autant, la mémoire sociale est occultée de

124

ces initiatives voulant porter le regard sur les ouvriers . On pense notamment à l'application Armeville , qui favorise une visite de la ville de Saint-Etienne

125

accompagner des anciens bruits industriels . Ou encore au magasin Uniqlo dans le Marais, comme nous l'avons expliqué précédemment les anciennes machines sont exposés, mais c'est le bruit de leur utilisation qui est diffusé autour de leur exposition. Ce mirage de mémoire permet alors d'authentifier les bâtis devenus

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muets, et leur «donne du sens » (Manale, 2014). La mise en scène de la mémoire ouvrière, dans les musées, interroge. Le musée observe un jeu dangereux qui occulte l'autre face de cette mémoire et de ce fait, son histoire. Ainsi, le musée dans ses mises en exposition permet-il l'effacement de la mémoire absente. Serge Chaumier précise d'ailleurs que : «Ce qui est présenté vise à occulter ce qui est

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absent ». Nous remarquons que les associations d'anciens travailleurs jouent un rôle essentiel à la valorisation et à l'entretien de cette mémoire. Pour reprendre le cas de l'Usine d'Alençon, site historique et maison mère de l'entreprise Moulinex, ce sont les anciens travailleurs organisés en association qui ont fait la demande de la préservation d'un des bâtiments en un «espace mémoire». L'association Moulinex - Jean Mantelet se présente dans ses statuts comme ayant :

«plusieurs objectifs d'utilité publique à caractère social ou culturel : entretenir des liens entre membres d'une même entreprise, valoriser le site témoin de l'histoire industrielle d'Alençon et y installer un musée vivant, développer le patrimoine touristique de la ville et de sa région, transmettre des savoir-faire professionnels au sein des ateliers d'insertion,

124 Simonnot Nathalie, Siret Daniel, « Héritage industriel et mémoire sensible : observations sur la constitution d'un « patrimoine sensoriel » », L'Homme & la Société, 2014/2 (n° 192)

125 Armeville : une découverte sonore du passé industriel de Saint-Etienne, France 3 Auvergne Rhône-Alpes, le 30 octobre 2015, disponible en ligne : https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/loire/saint-etienne/armeville-d ecouverte-sonore-du-passe-industriel-saint-etienne-841003.html [consulté le 18 juin 2020]

126 MANALE MARGARET, Le patrimoine industriel : mémoire sociale ou produit innovant ? ; L'homme & la société, 2014, n° 192, pp.11 à 14

127 Chaumier Serge, Op cit , p.69

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promouvoir la mémoire de l'entreprise vers toutes organisations d'utilité

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publique à des fins éducatives. »

L'Association, créée à la fermeture de l'Usine, a immédiatement demandé à la municipalité un lieu pouvant accueillir la mémoire des ouvriers de Moulinex, et plus généralement, de l'industrialisation de la région. A l'épreuve d'un premier investissement par la communauté urbaine visant à réveiller la ville économiquement et démographiquement, l'ancien site fait face à de nombreuses destructions. La municipalité d'alors semblait entendre les revendications des anciens ouvriers mais n'a pour autant pas investi de bâtiment pouvant accueillir leur musée. Suite à cela et après une succession de dirigeants de ville et de région, certain en faisant même un argument de campagne, aucun «espace mémoire» n'a encore vu le jour. Récemment, à l'occasion des élections municipales de cette année 2020, une lettre ouverte à été rédigée à l'attention des candidats à la mairie d'Alençon, rappelant la volonté des anciens ouvriers, et qui souligne la nécessité d'un tel espace. Un constat est également fait : celui de la volonté « d'effacer les

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traces de l'activité industrielle » des municipalités successives. Nous sommes donc bien face à un enjeu politique. Les musées sont aujourd'hui moteurs dans le renouveau économique de ville ou de région. Pour autant, il est concluant s'il s'inscrit dans une démarche globale et que d'autres projets ne portant pas forcément de lien avec la culture sont menés. Et dans le cas de la ville de Bilbao, son succès n'est pas seulement dû au musée Guggenheim mais aussi à la construction d'immeubles d'habitation sur les anciennes friches au bord de la Ria, à la réhabilitation de nombreux espaces industriels et portuaires et à la volonté de la ville d'implanter des entreprises secondaires et tertiaires. Le musée fait donc partie d'un tout et ne peut redynamiser à lui seul les espaces ; l'exemple du

128 Objectifs de l'Association Moulinex Jean Mantelet, publié au Journal Officiel, 2002 https://www.gralon.net/mairies-france/orne/association-association-moulinex-jean-mantel et-alencon W611000625.htm , consulté le 4 avril 2020.

129 Lettre ouverte au candidats des élections municipales d'Alençon, février 2020, et article Ouest France à ce sujet : https://www.ouest-france.fr/elections/municipales/municipales-alencon-les-anciens-moulin ex-interpellent-les-candidats-6742941 , consulté le 4 avril 2020

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Louvre Lens est parlant à ce sujet . Pour quelle raison, alors que la ville d'Alençon avait prévu un programme de reconversion du site et accompagnait une nouvelle politique économique, pour quelle raison les autorités ne se sont-elles pas saisies de l'opportunité de la création d'un musée, portant sur l'histoire industrielle ? Nous remarquons qu'il s'agit là d'un phénomène assez classique en ce qui concerne le patrimoine ouvrier. Pour rappel, au moment de la fermeture des usines Renault de l'Ile Seguin, Serge Chaumier énonçait déjà cette interrogation, alors que le programme de réhabilitation d'alors avait consacré la Fondation

Pinault pour y implanter son musée d'art contemporain :

«N'est-il pas emblématique que la France - qui aurait pu faire le choix d'un grand musée de référence sur la question industrielle et de la mémoire ouvrière, dans le lieu le mieux placé pour cela, l'Ile Seguin, à Boulogne-Billancourt -, ait fait le choix de la destruction de ce patrimoine pour lui préférer une architecture d'exception, financée par la fondation privée d'un

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des capitalistes les plus puissants du pays ? »

Cet événement nous rappelle avec justesse que c'est bien souvent la destruction qui est préférée dans les lieux à l'histoire sociale puissante, emblématique et reconnue. La volonté d'alors de vouloir y implanter un musée dans un bâtiment neuf sonne d'ailleurs assez étrangement quand on sait que les ouvriers s'étant regroupé en association se sont battus, comme les anciens ouvriers de Moulinex, pour faire subsister un bâti qui abriterait leur mémoire. L'histoire nous permet de raconter la suite de l'histoire, comme vu précédemment. Ce musée ne se fera pas, non parce que les ouvriers auraient finalement eu gain de cause et se seraient vu reconnaître la légitimité par la justice ou les instances gouvernantes, mais bien pour un problème de bruit dû aux travaux, et qui dérangeait le voisinage. Pinault devant les recours incessant devant la justice, abandonne finalement. La Seine Musicale est aujourd'hui sur les traces de l'ancienne usine, mais il ne subsiste

130 A ce sujet, Jean-Michel Tobelem a publié dans Le Monde une tribune où selon lui : «on peut évoquer la possibilité d'un échec», Tribune, Le Louvre-Lens n'aura pas « l'effet Bilbao » escompté , le 21 août 2016, disponible en ligne : https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/08/21/le-louvre-lens-a-t-il-echoue 4985662 32 32.html

131 Chaumier Serge, Op. Cit. , p.72

rien. François Pinault, pour sa part, a finalement investi en cette année 2020, l'ancien musée des Arts et Traditions Populaires pour y monter sa fondation, sans aucune trace, bien sûr, des coiffes bretonnes. Ces exemples nous montrent à quel point les destructions sont monnaie courante en ce qui concerne le patrimoine ouvrier. Nous avons évoqué précédemment la volonté politique d'effacement de l'histoire/ la mémoire sociale. Pour autant, nous remarquons pour les associations d'anciens ouvriers, que cette volonté d'implantation de musées retraçant leur histoire, est mue par un désir de deuil du passé, le musée agirait ainsi comme le mausolée de leur recueillement. Finalement, c'est peut-être faire porter au musée une charge trop lourde que celle de récolter la peine d'une histoire tragique. Peut-être que le musée n'a pas à exister s'il n'a comme seul but d'être la stèle de vies bousculés. Bien que l'on puisse trouver le musée cimetière des objets, il vit au rythme des changements politiques et sociaux du temps dans lequel il s'inscrit. Ainsi peut-être comprenons nous pourquoi l'initiative d'une fermeture d'usine pour une ouverture de musée n'est pas suffisante. La charge émotionnelle qui en découle place le bâti comme récepteur d'une histoire dure et tragique à propos d'un groupe particulier, loin de la volonté unificatrice de la reconnaissance d'un patrimoine.

Néanmoins, il existe en France un musée de patrimoine ouvrier. A travers une analyse de son histoire nous verrons les ressorts qui distinguent les musées de patrimoine ouvrier aujourd'hui.

Chapitre 4 - Les musées de patrimoine ouvrier, limite et compréhension de leur objet

a- Un objet en recherche

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i- Une culture vivante

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Nous avons soulevé le fait d'une classe sociale vivante, ce qui s'oppose à une présence dans les musées lorsqu'ils sont considérés comme lieu de deuil. Nous avons remarqué au cours de nos recherches que le qualificatif vivant apparaissait à de nombreuses reprises quand il s'agissait du patrimoine ouvrier. On pense notamment au Label d'Entreprise du Patrimoine Vivant, au Paysage

132

Culturel Évolutif Vivant , au Tourisme d'Entreprise Vivante, et pour finir au musée qui a vocation à devenir la référence nationale en matière de patrimoine ouvrier en France, le Musée de l'Histoire Vivante. Mais que cache ce qualificatif pour qu'il soit employé de la sorte par des institutions aux objectifs aussi différents ? D'un point de vue strictement factuel, l'idée de vivant renvoie à quelque chose en activité, qui n'est pas, par opposition, mort. Du côté patrimonial il semble s'inscrire dans le patrimoine dit immatériel qui est selon l'Unesco : «Traditionnel, contemporain et vivant à la fois : le patrimoine culturel immatériel ne comprend pas seulement les traditions héritées du passé, mais aussi les pratiques rurales et urbaines contemporaines, propres à divers groupes culturels.

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» . Le qualificatif de «vivant» renvoie donc à une immatérialité, ce qui s'oppose

au patrimoine ouvrier car, une matérialité s'y incarne également. Mais, ce qualificatif semble important car il désigne des individus, or, le patrimoine ouvrier est distinctif d'un groupe précis. Peut-être est-ce une des raisons qui pousse le Musée de l'Histoire Vivante, situé à Montreuil, à vouloir changer son nom. Il devrait être renommé Musée d'Histoire du Mouvement Ouvrier . En décidant de supprimer l'idée de vivant , l'affirmation matériel d'objet ouvrier peut se faire. D'ailleurs, nous lisons dans les premières lignes justifiant ce futur nom et intitulé « Le projet : Vers un grand musée d'histoire du mouvement ouvrier» que :

132 Pour rappel nous avons vu que le Bassin Minier de Lille a été classé notamment sur la base du critère (iv) Paysage Culturel Évolutif Vivant : «Les paysages miniers évolutifs et vivants du Bassin du Nord-Pas de Calais offrent un exemple éminent du développement à grande échelle de la mine de houille, aux XIXe et XXe siècles, par les grandes compagnies industrielles et leurs masses ouvrières. Il s'agit d'un espace structuré par un urbanisme, des constructions industrielles spécifiques et les reliquats physiques de cette exploitation (terrils, affaissements). », op.cit.

133 Unesco, Patrimoine culturel immatériel, Qu'est-ce que le patrimoine culturel immatériel

? , https://ich.unesco.org/fr/qu-est-ce-que-le-patrimoine-culturel-immateriel-00003 ,
[consulté le 26 mai 2020]

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«Nous travaillons à un projet de Musée d'Histoire du Mouvement Ouvrier car à la différence d'autres pays européens, il n'y a pas en France de musée pour exposer et mettre en valeur les documents et objets de l'histoire ouvrière.

Les collections actuelles du musée de l'Histoire vivante pourraient être le fondement d'un musée plus grand, plus moderne, plus accessible. Si les organisations du mouvement ouvrier conservent dans de bonnes conditions leurs archives, il en va tout autrement pour les objets. Et pourtant, les objets sous toutes leurs formes sont au coeur du militantisme. Nous nous sommes adressés à toutes les organisations héritières du mouvement ouvrier : partisanes, syndicales, mutualistes, coopératives, associatives, pour rassembler ces objets et leur donner toute la place muséographique qu'ils méritent. La plupart d'entre elles soutient ce

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projet et a répondu positivement à notre invitation à réfléchir ensemble. »

Ainsi, c'est bien l'idée d'affirmation d'objet matériel qui est un des moteurs de cette refonte du musée. Le fait que l'immatérialité soit aujourd'hui la seule forme de patrimoine reconnu aux ouvriers amène à des limites, notamment en matière de musée. Certes, les musées traitant de patrimoine immatériel sont aujourd'hui légion, mais en ce qui concerne le patrimoine ouvrier l'immatérialité est la norme. Ainsi, le seul patrimoine reconnu des ouvriers se situe dans les mémoires ouvrières . Le fait de se séparer pour le Musée de l'Histoire Vivante de son qualificatif affirme la présence d'un patrimoine matériel à reconnaître. Pour autant, il ne s'agit pas d'affirmer pour le futur musée que cette histoire ne soit pas encore en mouvement. Ainsi, il est spécifié que :

«Nous sommes au début de cette réflexion qui, au-delà du fond scientifique, nécessitera de construire le lien et la transition entre l'actuel musée - notamment son bâtiment - et l'espace nouveau. La programmation actuelle doit être vue comme une préfiguration de ce que nous voulons faire. Et symétriquement ce grand musée d'histoire sociale et ouvrière devra conserver ce qui fait l'identité de l'actuel musée c'est-à-dire « l'Histoire vivante ». Une

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approche de l'Histoire qui se veut accessible à toutes et tous. »

L'idée de vivant se base donc sur une volonté d'identification du lieu. Ce qui prouve que le musée s'inscrit dans un présent toujours en mouvement. Au-delà de ce nouveau nom, c'est bien la forme d'un musée concernant le patrimoine ouvrier

134 Musée de l'Histoire Vivante, Le projet : Vers un grand musée d'Histoire du mouvement ouvrier , 2016, http://www.museehistoirevivante.fr/le-musee/le-projet-vers-un-grand-musee-d-histoire-du-mouvement-ouvrier , [consulté le 22 avril 2020]

135 Ibid.

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qui est discutée. Bien que des musées portant sur les ouvriers soient présents en France, un obstacle se caractérise dans le contenu et le récit qui les accompagnent. Cela peut justifier la volonté de l'équipe du musée de l'Histoire Vivante à la refonte de son objet. Ainsi, les musées mettant en scène le patrimoine ouvrier semblent guidés, comme déjà observé, par une histoire des sciences et techniques, et non pas vers la vie de ces hommes et femmes. L'histoire du Musée de l'Histoire Vivante nous semble d'ailleurs significative de cette difficulté. Car, affirmer et développer des propos ayant pour sujet les luttes du mouvement ouvrier pourrait se confondre avec une idée de propagande, qui constituerait alors un potentiel

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frein à leur développement .

ii- Un musée de patrimoine ouvrier en mouvement

Pour continuer, nous nous devons d'interroger le terme «d'histoire vivante »qui paraît difficile à définir. Dans le cas du musée de l'Histoire Vivante, un rapide historique permet de comprendre l'inscription fondamentale de cette notion dans sa création. Ouvert en 1939, le musée de l'Histoire Vivante doit sa création à trois personnalités communistes de l'époque, Jacques Duclos, député, Fernand Soupé, maire de Montreuil et Daniel Renoult, conseiller général de Montreuil. Son origine se forge dans la création un an auparavant de la Société pour l'Histoire Vivante. Le musée avait alors pour sujet «l'histoire du mouvement populaire et

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des révolutions » . L'omniprésence du Parti Communiste Français (PCF) démontre le caractère politique d'une telle institution qui peut alors être vu comme lieu de propagande. Ainsi «Le musée se donne pour mission de diffuser auprès des couches populaires une histoire en mouvement, une histoire des luttes

138

sociales qu'il inscrit dans le registre d'une histoire nationale et républicaine ».

136 Sylvain Antichan, Sarah Gensburger et Jeanne Teboul, « Dépolitiser le passé, politiser le musée ? À la rencontre des visiteurs d'expositions historiques sur la première guerre mon diale », Culture & Musées, 28 | 2016, 73-92.

137 Musée de l'Histoire Vivante, Histoire du Musée,

http://www.museehistoirevivante.fr/le-musee/histoire-du-musee , [consulté le 27 mai 2020]

138 Ibid.

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Sa direction est confiée à Jean Bruhat, historien et spécialiste du mouvement ouvrier. Nous soulignons également l'absence de conservateur en tant que tel. A l'époque, le musée est visité par le président de la chambre des députés, Edouard Herriot, en plus de nombreuses autres personnalités politiques du moment. Cela témoigne de la légitimité politique donnée à cette époque au musée. Rappelons que nous sommes en 1939 et que le Front Populaire est à la tête du mouvement politique en France, donc il n'est pas anodin que ce musée ait alors été au centre de visite de personnages publics de premier plan. Nous assistons aujourd'hui encore au même phénomène :un musée recherche souvent une légitimé pour valoriser son objet. Cette légitimité est souvent donnée grâce à des visites officielles de politiques. Cela montre le rapport très fort entre les musées et le pouvoir. Nous pouvons d'ailleurs prendre comme exemple récent de ce phénomène l'inauguration du Musée National de l'Histoire de l'Immigration, qui, en 2007, avait été boudée par le président d'alors, Nicolas Sarkozy. Cette absence s'est fait défavorablement remarquer car, au-delà de la non venu d'un homme, c'est bien la légitimité de son objet qui est questionnée, à savoir l'immigration. D'ailleurs, la présence du président suivant François Hollande et son inauguration

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officielle en 2014 montre l'importance politique d'une telle pratique. A la fois pour le musée qui assoit son importance dans le paysage muséal, pour son objet qui devient reconnu au plus haut sommet de l'état, mais aussi pour ces personnalités qui montre clairement leur orientation politique. Dans notre cas, il convient de souligner que le musée, même à l'époque des visites des membres important du PCF, n'a jamais été nationalisé. Il n'a ainsi jamais été sous la tutelle de l'état bien que les visites d'alors légitimaient son existence et son objet. La deuxième Guerre Mondiale marque un coup d'arrêt à l'expansion du musée et, au lendemain de la libération il est ouvert au public sous un autre nom «Musée de l'Histoire de France», sa direction est alors confiée à Anne Leroux, et marque l'arrivé du statut de conservateur occupé par Jean Bruhat. Ainsi, le musée se définit clairement comme un musée d'histoire et son objet change car il ne s'agit

139 BERNARD Marie-Violette, Pourquoi il a fallu attendre sept ans avant d'inaugurer la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, Franceinfo, 2014

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plus de tracer les contours du mouvement ouvrier mais d'y mêler dans le discours l'histoire du parti communiste : «L'approche de l'histoire populaire liée

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étroitement à l'histoire du PC domine la trame muséographique » . Les publics changent et c'est un ballet de délégations politiques qui s'ensuit. De ce fait, le musée donne l'impression d'un lieu de rassemblement politique, d'une section du parti communiste :

«Dès lors, délégations de l'Union des femmes françaises, des jeunesses communistes, ou des délégués communistes au congrès du PC croisent les délégations étrangères en provenance des pays du bloc soviétique. Des visites guidées sont organisées et des membres du Conseil d'administration, agrégés d'histoire, président des conférences populaires tantôt sur la République de 1848,

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tantôt sur la Commune de Paris de 1871 »

La légitimité scientifique que le musée confère est ici clairement remis en cause. Les années 1950 marquent un tournant pour le musée, qui désormais s'ouvre aux chercheurs et se détache progressivement de l'influence du parti communiste. Dans cette continuité Daniel Tamanini, résistant et déporté, remplace Anne Leroux à la tête du musée. Marcel Auclair y fait des recherches pour sa biographie sur Jean Jaurès et Jean Maitron y fait également des recherches pour son livre « Le mouvement anarchiste en France». Pour autant, cette nouvelle activité marque également une baisse importante de la fréquentation du musée. Fermé partiellement dans les années 1960 et 70, Jacques Duclos un des fondateurs du musée décède en 1975 et c'est le maire d'alors qui prend la tête de l'association, Marcel Dufriche. Un autre personnage important, Jean-Luc Barré décide de sensibiliser les personnalités politiques de la ville à la mise en valeur des collections du musée mais aussi à sa nécessaire rénovation. Surtout, Jean-Luc Barré tente de convaincre les autorités de l'informatisation de l'inventaire. Ainsi, nous remarquons la volonté pour Jean-Luc Barré de repositionner le lieu comme musée. La volonté d'un inventaire démontre le nouvel engagement muséal des professionnels de ce musée. De ce fait, «Des travaux d'aménagement des salles,

140 Musée de l'Histoire Vivante, Histoire du musée , op.cit.

141 Ibid.

94

la création d'une réserve et la mise en place d'une nouvelle présentation de

142

l'exposition permanente sont entrepris » .

En 1988 le nouveau musée ouvre ses portes avec une exposition Jean Jaurès et la Révolution française . Aussi, le musée acquiert le statut de Musée de France. De nouveaux projets sont entrepris comme la création d'une cafétéria ou d'un atelier de restauration. Pour autant, ces éléments ne verront pas le jour et s'ensuit une période assez calme pour le musée. L'année 1992 marque un nouveau tournant, une programmation est votée par le conseil d'administration jusqu'en 1998 et la volonté d'un musée pérenne s'affirme. En 1993 est montée une exposition portant sur le jouet à Paris et son succès confirme la renaissance du musée. Jusqu'en 2015, des expositions viendront ponctuellement relancer le musée comme la rétrospective sur le cinéma russe.

Mais c'est bien l'année 2015 qui marque un réel renouveau pour le musée. Lors d'une assemblée générale extraordinaire est affirmée l'implication des équipes dans le développement du musée ainsi qu'un nouvel objet, celui d'un musée d'histoire sociale et ouvrière. Depuis, de nombreuses expositions rencontrent le succès, on pense notamment à 1948 et l'espoir d'une République universelle, démocratique et sociale , ou encore à la dernière exposition en date : Ouvrier.e au musée (#OUVRIER.E.SAUMUSEE).

A travers cet historique nous remarquons que le musée de l'histoire vivante possède un parcours distinctif des musées de patrimoine ouvrier. De plus, l'inscription spatiale du Musée de l'Histoire Vivante paraît fondamentale et dépositaire de son identité. Par conséquent, le lien avec la ville de Montreuil guide sa création et le musée se veut reconnaissable dans son environnement. Dans le but d'éclairer les quelques points qui nous semblent propre à un musée de patrimoine ouvrier, à savoir :

142 Ibid.

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? Une initiative de création politique

? Un fort impact sur le territoire dans lequel il est implanté

? La volonté de conserver une identité vivante tout en affirmant une dimension matérielle

Nous poursuivrons avec la description d'un autre musée de patrimoine ouvrier, le Workers Museum - Arbejdermuseet à Copenhague.

iii- Le Workers Museum - Arbejdermuseet (Copenhague), un confrère européen

Nous effectuerons dans ces prochaines pages un comparatif entre le musée de l'Histoire Vivante et le musée de Copenhague, le Workers Museum - Arbejdermuseet. Nous analysons ce musée dans le but d'éclairer la position du musée de l'Histoire Vivante en rapport à son confrère européen. Notre choix se porte sur ce musée dans la mesure où, il est au nationalisé, au Danemark. Le fait que l'équipe du musée de l'Histoire Vivante souhaite le voir nationalisé nous offre une opportunité de comparaison. Aussi, le musée de l'Histoire Vivante et le Workers Museum font tous deux partis de l' International Association of Labour Museum . Nous souhaitons grâce à cela une compréhension plus globale d'un musée de patrimoine ouvrier en France.

Inauguré en 1982 dans le lieu historique des travailleurs danois, Workers' Assembly Hall à Romersgade. A l'origine le musée était sous la gouvernance de plusieurs institutions : Le National Museum, Le musée de Copenhague, La bibliothèques et les archives du parti des travailleurs danois, L'Université de Copenhague, le National College of the Danish Confederation of Trade Unions (LO), Les amis du musée, et le conseil général de la fédération des syndicats. Cette gouvernance démontre un musée reconnu et une direction pour le moins exceptionnelle. Il n'existe pas d'autre musée de patrimoine ouvrier sous la gouvernance d'aussi nombreuses institutions. Cela montre aussi la volonté de ne

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pas seulement inscrire le musée comme emblème politique mais y affirme également la place des chercheurs et de la science. Néanmoins, la création de ce musée est à l'origine initiée et voulue par les ouvriers du quartier de N0r Rebo, par des chercheurs du Trade Unions' Training College ainsi que par des membres du National Museum et du Musée de la ville de Copenhague. Cela montre, comme nous l'avons déjà souligné, l'importance dans la constitution d'un musée de patrimoine ouvrier, de ses premiers initiateurs, à savoir les ouvriers eux-mêmes. Cela marque une différence de taille avec le Musée de l'Histoire Vivante, car, il était quant à lui souhaité par des élus politique de la ville de

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Montreuil, des élus communistes . Le fait que ce musée ait été initié non pas seulement par des représentants politiques mais par les premiers concernés à savoir, les ouvriers, constitue une importante place dans l'espace muséal. En effet, nous avons mentionné en première partie l'impossibilité pour les seuls initiateurs ouvriers d'obtenir cette consécration muséale. Nous rappelons le cas des anciens ouvriers de l'usine Moulinex, qui réclament depuis maintenant plus de 20 ans la constitution d'un musée. Nous pouvons d'ailleurs souligner l'absence des organisations syndicales dans le soutien de ce type d'initiative. Ce qui n'est pas le cas pour le Workers Museum de Copenhague, qui dès l'origine est, en plus des ouvriers, soutenu par des chercheurs et des organisations syndicales nationales. Le point de départ dans la revendication du musée était un musée sur l'habitat ouvrier et la vie quotidienne. Il n'y avait pas à l'origine d'affirmation politique dans l'objet traité par le musée. Ce qui semble avoir poussé les autorités à la création de ce musée réside dans l'élément dit remarquable constitué par l'Assembly Hall, et son architecture. Comme nous l'avons mentionné au cours de ce mémoire, ce qui a guidé en premier lieu la création de ce musée est la volonté de protection architecturale voulu pour des raisons esthétiques. Aussi, les équipes du musée font aujourd'hui remarquer avec fierté que ce Hall constitue le tout

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premier élément du patrimoine ouvrier protégé et reconnu en Europe :

143 A cette époque, de nombreux élus communistes étaient eux-mêmes ouvriers.

144 Ludvigsen, P. (2009). History of the Workers' Museum in Denmark. International Labor and Working-Class History, 76(1), 44-53

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(c) Workers' Assembly Hall, The - Workers Museum Arbejdermuseet

Classé en 1983, soit près d'un an après l'ouverture du musée, c'est bien ce lieu qui a lancé le point de départ de la constitution effective de ce musée. Bien que le musée soit ouvert en 1982, il est encore à cette époque à la recherche d'une reconnaissance officielle des autorité, fondamentale pour traiter et faire reconnaître le statut de musée. Ainsi, nous assistons dans le cas des musées de patrimoine ouvrier à un geste politique fort, nécessaire à leur survie. Bien que la gouvernance du musée ait été assurée par des institutions reconnues, l'importance des Ministères de la Culture des pays dans lesquelles prennent place ces musées semble fondamentale à leur reconnaissance et leur pérennité. Le Workers Museum de Copenhague nous offre ainsi un exemple distinctif du processus de reconnaissance d'un musée de patrimoine ouvrier. Alors que les professionnels de musées poussaient pour sa reconnaissance, le ministre de la Culture Libéral-Conservateur, prenant la place d'un ministre de la Culture démocrate, décidait de ne pas reconnaître le musée et de ce fait de ne pas suivre les recommandations de l'autorité nationale en la matière. Mais, un événement

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exceptionnel et politique eut lieu : Deux politiciens réussissaient à constituer une majorité parlementaire de centre gauche et parvinrent à faire reconnaître le musée car soutenu par une majorité de parlementaire. L'inscription du musée dans le budget de 1984 a ainsi permis de le faire reconnaître et protéger de façon pérenne. «Le Workers Museum était maintenant une réalité, avec un parlement majoritaire

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derrière lui et son bâtiment officiellement protégé », nous observons dans cet exemple la dualité qui s'opère en matière de patrimoine ouvrier. Car, bien que des institutions reconnues puissent souhaiter la création d'un musée de patrimoine ouvrier, elle peut s'opposer à des volontés politique car non pas reconnu comme objet de patrimoine à part entière mais bien comme objet politique, guidé par des considérations démocrate ou conservatrice dans ce cas. Cela démontre encore une fois la signification politique d'un musée de patrimoine ouvrier. Les années suivantes ont permis d'asseoir la légitimité de ce musée, grâce en particulier à ses expositions où de très nombreux publics se sont rendus. Le Workers Museum compte dans les années 80, jusqu'à 100 000 visiteurs par an, synonyme du succès de l'institution. Le musée explique ce succès, « Nous créons des expositions qui touchent les gens, parlent à leur souvenir, et qui leur permettent de s'identifier au

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musée ». La première exposition montée en 1983 montre le caractère très proche que le musée a entretenu avec son public dès l'ouverture. Ainsi, le musée propose une exposition sur la vie quotidienne dans les années 50 ce qui permet au visiteur d'alors de pouvoir s'identifier au sujet de l'exposition. Le musée expose des objets donnés par ces visiteurs, ce qui favorise la venue des publics d'alors. Néanmoins, il ne s'agissait pas seulement pour les équipes du musée d'une volonté de lien avec ses visiteurs, en fait, le musée n'ayant pas de collection, faire une exposition sur les années 50 permettait de rassembler des objets que les gens possédaient

145 «The Workers' Museum was now a reality, with a parliamentary majority behind it and its buildings officially protected», Ibid.

146 «We created exhibitions that touched people, spoke to their memories, and led them to identify with the museum», Ibid.

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147

encore . Cela montre donc une autre réalité, la difficile constitution d'une collection, dans le cas des musées de patrimoine ouvrier.

b- Architecture d'une structure muséale

i- Une similarité des origines

La difficulté des musées de patrimoine ouvrier réside dans la constitution d'une collection. Des campagnes de dons sont régulièrement menées, de façon ponctuelle ou permanente. Dès la création du musée de l'histoire vivante, le lien très fort avec le parti communiste français fait que le musée a possédé une collection dès son origine. En revanche, le Workers Museum de Copenhague, lui,

148

n'avait aucun objet à présenter, «Il n'y avait pas de collection ! » . La première mission fut donc de réunir des artefacts. Nous remarquons que les prémisses des collections de ces musées sont incarnées dans la donation d'archive des partis politiques, représentatives des ouvriers. Ainsi, en France, c'est le parti communiste qui alimente les débuts de la collection du musée de l'Histoire Vivante. Cela démontre une participation des parties politiques, assez fondamentale dans leur création et la constitution de leurs collections. Bien que leurs objectifs d'origine constituent le point commun de ces deux institutions (Musée de l'Histoire Vivante et Arbejdermuseet), à savoir, le traitement et l'exposition du mouvement ouvrier, ils paraissent, depuis avoir changés d'objectifs.

Le musée de Copenhague présente effectivement le mouvement ouvrier au Danemark, mais, il affirme son objet dans l'exposition de la vie quotidienne : «Nous collectons, préservons, explorons, communiquons et mettons à jour le

147 «Since we had no collection, we had to locate and acquire everything. There was a good reason for us to have selected the 1950s: Many people had kept things from this decade, things that were suitable for exhibition and things we could actually get hold of.», Ibid.

148 «There were no collections!« , Ibid.

100

patrimoine culturel du mouvement ouvrier et l'histoire des conditions de travail et

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de la vie quotidienne au Danemark. » .

Au travers de ces deux musées nous remarquons l'importance de la constitution d'une collection. Nous le savons, nombreux sont les musées qui aujourd'hui décident de ne plus posséder d'objet et préfèrent accueillir des prêts. Car, une collection, en plus de constituer une matière première pour les musées, que ce soit en termes de recherche ou pour la préparation d'exposition, permet d'asseoir son sujet. Toutefois, une collection constitue un pôle de restauration pour prendre soin des objets montré. Ces raisons éclairent l'absence de collections de certains musées qui accueillent, à ce titre, des prêts d'objets ou des expositions temporaires par exemple. Cela vient d'ailleurs questionner la définition que fait l'ICOM d'un musée qui «(...) acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l'humanité et de son environnement à des

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fins d'études, d'éducation et de délectation ». Dans le cas des musées de patrimoine ouvrier, la constitution d'une collection semble primordiale, en effet, ils agissent comme les seules institutions qui protègent et entretiennent les objets en lien avec la vie ouvrière. Ces collections sont d'ailleurs en premier lieu le fait des organisations syndicales et ouvrières elles-mêmes. Les archives qu'elles ont constituées sont souvent la matière première de ces collections. Ainsi, si la recherche et l'acquisition d'objets semble primordiale pour conférer le titre de musée, elle s'incarne tout aussi justement dans les musées de patrimoine ouvrier. Car, se sont bien les objets qui permettent d'illustrer leur propos, et par cela, qui justifie l'existence des musées portant sur les ouvriers. Après avoir expliqué la création de ces musées, nous soulignons que leur origine n'est pas due à une donation, comme cela peut être le cas d'autres musées.

149 «We collect, preserve, explore, communicate and update the cultural heritage of the workers movement and the history of working conditions and everyday life in Denmark.» , About us, Arbejdermuseet- The Workers Museum, disponible en ligne : https://www.arbejdermuseet.dk/en/about-us/ , [consulté le 18 juin 2020]

150 Définition musée Icom, op.cit.

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Ce que nous remarquons est le point commun dans leurs créations : la volonté politique de reconnaissance de l'histoire ouvrière. Si ces musées dès l'origine ont la possession d'un lieu pour les accueillir, les collections qu'ils abritent font défaut. Dans le but d'affirmer leur existence muséal et non pas seulement militante, ces musées sont dans l'obligation de créer leur propre collection.

Les équipes du Workers Museum de Copenhague ont très vite compris l'enjeu primordiale de cette question. Leur première exposition, en 1984, portait sur la vie quotidienne des ouvriers dans les années 50. Cette exposition a permis de combler plusieurs objectifs, dont le principal, celui de la constitution d'une première collection. Bien que des archives leur aient été fournies par les partis politiques d'alors, une collection créée et portée par les équipes du musée était à concevoir. Or, les habitants de Manchester étaient susceptibles de posséder des objets datant des années 50, cela permettait aux premiers publics du musée de pouvoir s'identifier au thème exposé. De ce fait, cette première exposition fut un véritable succès. Elle constitue aujourd'hui encore, une des expositions permanentes du Workers Museum. Ce schéma ayant satisfait aux premières exigences du musée, les équipes décidèrent de procéder de la même manière pour l'exposition suivante portant sur la grande dépression de 1930. Cette technique d'acquisition a permis de faire surgir un moyen de communication efficace, en plus de la constitution d'une collection nécessaire à l'institution. Lors de cette deuxième exposition, les professionnels des musées ont remis en cause ce procédé : «Cette campagne d'acquisition fut ardemment questionnée par les professionnels de musées - mais

151

un vrai succès auprès de la population » . Cette deuxième campagne a également permis au musée de se détacher du caractère politique et militant que possédait le musée à son ouverture. Cela a facilité, pour les publics, le fait de se sentir partie prenante du musée, ce n'est d'ailleurs pas sans rappeler le modèle des écomusées. Aussi, ces expositions ont permis d'affirmer le champ muséal de l'institution :

151 «The campaign was heavily questioned by museum professional - but very successful with the rest of population» , Peter Ludvigsen, History of the Workers Museum in Denmark, International Labor and Working-Class History, No. 76, Public History And Labor History, 2009, pp. 44-53

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C'est bien la vie quotidienne que le musée expose de façon permanente. Depuis, l'exposition permanente du musée s'est vu enrichir d'une donation portant sur un intérieur entier d'habitat ouvrier datant de 1915. Cela confirme d'autant plus la volonté d'inscription de ce musée dans la vie quotidienne des ouvriers. Depuis, le musée a notamment fait l'acquisition de nombreuses photographies et en possède une collection importante.

ii- La recherche d'un modèle

Ce que ces deux exemples emblématiques démontrent est le modèle mouvant d'un musée de patrimoine ouvrier. Ils interrogent la façon dont le patrimoine ouvrier est présenté et font poser un regard sur le rôle primordial des équipes de ces musées. Car, ces musées ne sont pas des écomusées bien que certaines pratiques s'en inspire directement, comme dans la constitution des collections notamment. Ce ne sont pas non plus des musées communautaires bien que leur objet favorise une identification spécifique des publics qui le visitent. Ils ne sont pas non, plus des musées de science, car le discours porté ne porte pas spécifiquement sur les techniques. Il nous semble que les musées de patrimoine ouvrier sont définis par un ensemble polymorphe, qui cherche encore un modèle précis. Aussi, leur gouvernance interroge les discours qui seront transmis aux visiteurs. D'ailleurs la refonte du musée de l'Histoire Vivante vise à interroger et mettre en pratique un nouveau modèle possible, encore loin d'être arrêté.

A la lumière de l'histoire de ces deux musées nous pouvons tenter d'établir un premier schéma correspondant aux étapes de construction d'un musée de patrimoine ouvrier :

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Nous distinguons cinq étapes dans la constitution d'un musée de patrimoine ouvrier :

- Premièrement, la création de ces musées se fonde sur des volontés politiques. Comme nous l'avons souligné ce sont trois élus communistes qui ont initié le Musée de l'Histoire Vivante à Montreuil. En ce qui concerne le Workers Museum ce sont les ouvriers habitant autours du hall ainsi que les organisations syndicales d'alors qui ont initié et émit la demande d'un musée portant sur les ouvriers.

- Deuxièmement, une fois la revendication d'un musée traitant des ouvriers exprimée nous assistons à la recherche de légitimation du musée. Dans le cas du musée de l'Histoire Vivante à Montreuil la légitimité du musée s'est faite assez

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rapidement, le Front Populaire étant alors au pouvoir en France (1939), le musée a très rapidement accueilli des personnalités politique de premier plan comme le président de la chambre des députés. Dans le cas du Workers Museum la légitimité politique s'est faite plus difficile à acquérir. Mais, comme nous l'avons vu, la volonté de trois députés à réussi à créer une majorité parlementaire a fait inscrire le musée dans le budget danois de 1984. Cette recherche de légitimité est fondamentale en matière de musée traitant de patrimoine ouvrier en ce qu'elle permet de reconnaître l'objet qui y est traité, et par là-même assure la reconnaissance de cette classe sociale, de manière plus générale. Plus globalement, les objets du patrimoine ouvriers sont assez volatiles et sujets à une disparition facile. En effet, que ce soit les matériaux utilisés pour les confectionner, qui ne sont pas forcément d'une très bonne qualité ou encore, de manière plus insidieuse, ces objets n'ayant pas de valeur historique, ils sont facilement jetés ou détruits. Les musées de patrimoine ouvrier cherchent cette reconnaissance politique car ils sont également les institutions qui se chargent de les collecter et de les protéger, or, pour qu'un bien soit unanimement reconnus comme ayant de la valeur, la légitimité politique devient majeure.

- Troisièmement, nous assistons dans le cas de ces musées à l'importance de la constitution d'une collection. Bien que cela soit la norme en matière de musée, dans le cas du patrimoine ouvrier cela devient un enjeu majeur dans le but de reconnaissance de l'établissement et qui permet de le détacher d'une vision militante. De fait, ces musées étant créés sur des volontés politiques, il convient pour leur pérennité de constituer une collection qui leur permettent d'affirmer leur rôle. Aussi, et d'un tout autre point de vue, nous assistons à la volonté de création de ces collections dans un but historique. Le fait que les objets ayant attrait aux ouvriers semblent disparaître et ne pas être entretenus encourage ces musées à les collecter de manière active. De ce fait, le rôle historique de ces objets est mis en valeur. Dans le cas du Workers Museum nous avons vu la méthode consistant à inciter les ouvriers aux dons, et, dans le cas du Musée de l'Histoire Vivante, à

105

proposer directement à ces visiteurs d'investir dans l'acquisition de certains objets

152

.

- Quatrièmement, nous remarquons l'importance des premières expositions de ces musées dans l'affirmation de leur objet. Cela leur permet, en plus de s'ouvrir aux publics, de pouvoir affirmer leur place dans l'espace muséal. Ainsi, les premières expositions du Workers Museum constituent aujourd'hui leur exposition permanente. Cela leur a permis d'ancrer plus spécifiquement leur collection portant sur la vie quotidienne des ouvriers en premier lieu. Nous assistons dans le cas du musée de l'Histoire Vivante à un tout autre processus. Le musée ayant changé de nom et de forme plusieurs fois au cours de son histoire, la première exposition ne reflète plus la forme actuelle du musée. En revanche, les premières expositions depuis 2015, démontrent un musée traitant de sujet historique varié et d'un regard critique sur ces anciennes expositions. A titre d'exemple , «1914-2014, l'impossible oubli» ; «Grandir après la shoah» ; «Femmes en métiers d'hommes» ; «1936 : nouvelles images, nouveaux regards sur le front populaire» , sont les expositions (Annexe 17) qui affirment les contenus nouveaux du musée. Ces présentations démontrent la volonté pour le musée de traiter des sujets de société, des sujets d'histoire mais aussi de poser un regard sur son engagement politique. Ainsi, les premières expositions constituent véritablement un important ressort au positionnement du musée, et de façon plus générale à la manière dont il sera appréhendé par le public.

C'est pourquoi, en dernière étape de légitimation d'un musée de patrimoine ouvrier, nous avons choisi de présenter la légitimation des publics. Il s'agit selon nous de l'ultime étape de validation du musée et cela permet son inscription pleine et entière dans le paysage muséal mais aussi du territoire dans lequel il s'inscrit. Dans le cas de l'histoire vivante à Montreuil, le succès de ces

152 Actuellement le musée cherche à réunir des dons pour l'acquisition de bustes de Lafargue, Marx et Jean Longuet. En plus d'inviter la municipalité ou la région à réunir les fonds nécessaires, il propose à son public d'investir.

106

153

expositions et l'influence grandissante de ce musée sur le territoire . Le Workers Museum - Arbejdermuseet a, quant à lui, assit définitivement son importance dans le paysage muséal danois. La première exposition portant sur la vie quotidienne dans les années 50 a permis aux publics de se sentir investi dans le musée. Par-delà de comprendre le propos, ils se sont sentis partie prenante et cela a favorisé le nombre de visites très importants pour le musée (Ludvigsen 2009). A cette époque pas moins de 100 000 entrées ont été dénombrées dans le musée. Les publics ont donc fini de le faire compter parmi les musées importants du Danemark.

iii- La difficile présentation des collections, perception et discours

Cette analyse du musée de l'Histoire vivante et plus généralement d'un musée de patrimoine ouvrier, grâce à la présentation de l'Arbejdermuseet, nous montre le champ d'application d'un musée de patrimoine ouvrier aujourd'hui. Bien que ces deux musées se situent dans deux pays différents, leur points communs ne font aucun doute : leur origine de création, la recherche de légitimation de leur objet, l'importante volonté d'acquisition. Ils mettent également en exergue la difficulté d'un musée de patrimoine ouvrier : Comment montrer sans être partisan ? Comment politiser ses collections sans se voir attribuer une notion de propagande ? Ces deux questions constituent selon nous la principale difficulté d'un musée de patrimoine ouvrier aujourd'hui. Cependant, ces remarques s'attachent aux musées d'histoire plus généralement. Elles prennent une tournure particulière dans les musées de patrimoine ouvrier car se situant en lien direct avec l'objet qui font leur existence, à savoir les ouvriers. Ces questions, bien que communes aux musées

153 On pense notamment aux journées d'étude régulièrement organisé par le musée et qui impliquent des acteurs locaux. Nous avons assisté à ce sujet à la journée d'étude organisé par le musée et portant sur la désindustrialisation à Montreuil , qui s'est tenue en octobre 2019, nous avons ainsi constaté l'importance du musée pour le territoire montreuillois. AInsi, le maire de Montreuil lui-même est venu ouvrir la journée et à mis la salle des fêtes de la mairie à la disposition des équipes du musée. Aussi, les intervenants qui mêlait à la fois des professionnels, ou des chercheurs, a vu se succéder des habitants de montreuils, ce qui inscrit le musée dans son territoire et montre l'importance des publics qui le composent comme «tant parti prenante de la vie de la ville.

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d'histoire ne semblent pour l'instant pas avoir obtenu de réponse admise par tous les membres de la communauté muséale. Nous avons soulevé les points communs de ces deux musées, mais dans l'application de ces questions, leurs réponses semblent fondamentalement opposées. Le Workers Museum trouve sa légitimité scientifique en proposant l'exposition de la vie quotidienne, ce qui lui permet de pouvoir justifier son propos quand son objet est plus engagé politiquement, à savoir les conditions de travail par exemple. Le Musée de l'Histoire vivante quant à lui, semble prendre le contrepied de ce type de présentation. En effet, il affirme dans ces statuts le caractère militant de l'institution «le musée poursuit sa démarche de livrer au public une histoire engagée mais indépendante d'objectifs

154

politiques qu'auparavant on lui fixait » et l'association pour l'Histoire vivante de confirmer «rester fidèle à une histoire du peuple et des dominés, une histoire des dominations, une histoire aussi des combats pour l'émancipation humaine. 155 ». Cela nous paraît la véritable exposition du patrimoine ouvrier. Car, bien que les objets de ces deux musées soient similaires, leurs présentations et les propos qui les accompagnent sont complètement différents. Non pas qu'ils se contredisent, mais que l'objet de ces musées ne soient finalement pas les mêmes. Cela nous prouve la recherche nécessaire d'un modèle muséal dans l'exposition du patrimoine ouvrier. Ces deux modèles, celle de l'affirmation militante de l'objet du musée, et, celle de l'affirmation de l'histoire du mouvement ouvrier dans la vie

156

quotidienne semble être les deux visions qui s'opposent aujourd'hui en matière de modèle muséal. Car, cette idée de vie quotidienne cache, selon nous, l'idée de musée des gens du communs, auxquels les ouvriers sont évidemment associés. Mais, il ne s'agit pas pour autant d'un musée de patrimoine ouvrier. Cela constitue selon nous la véritable remarque à la vue de cette analyse des musées de patrimoine ouvrier. Ces deux modèles nous semblent en confrontation car ne traitant pas de la même chose. Aussi, l'idée d'exposition des gens du communs

154 Musée de l'Histoire Vivante, Histoire du musée, op.cit.

155 Musée de l'Histoire Vivante, L'association, disponible en ligne : http://www.museehistoirevivante.fr/le-musee/l-association [consulté le 15 juin 2020]

156 Un autre exemple se situe dans le musée de Manchester, People's History Museum, étant auparavant le musée du labour et a changé son objet pour épouser l'idée de l'exposition de la vie quotidienne.

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semblent prendre le pas sur les musées de patrimoine ouvrier, dans la mesure où le Workers Museum notamment, est à l'initiative d'une proposition de classement de

157

plusieurs monuments en Europe portant sur le patrimoine ouvrier . Cette initiative prouve bien l'avance que prend le Workers Museum dans la représentation du modèle d'un musée de patrimoine ouvrier. Car, là où le musée de l'Histoire vivante peine encore à faire reconnaître son sujet dans son propre pays, le Workers Museum est lui complètement reconnu et nationalisé.

Cela fait changer le sujet d'échelle dans la mesure où c'est bien sur la liste du patrimoine mondial que le musée souhaite aujourd'hui affirmer sa légitimité. Mais, pourtant, comme nous l'avons vu précédemment à travers l'inscription du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, la vision française du patrimoine ouvrier peut s'affirmer, bien qu'elle soit encore assez silencieuse. Ce qui le prouve est constitué dans les éléments présentés par le Workers Museum pour une inscription, qui étaient constituée dans les bourses du travail de plusieurs pays européens ne s'est pas faite contrairement au bassin minier du Nord. Or, la vision du patrimoine ouvrier que propose le Workers Museum nous paraît beaucoup plus facilement acceptable, car en présentant la vie quotidienne, elle répond aux objectifs du patrimoine : Rassembler et unir. La vision militante du patrimoine ouvrier du musée de l'histoire vivante qui revendique l'inscription militante de son propos nous paraît particulièrement intéressante car elle n'empêche pas un travail scientifique rigoureux .

157 Peter Ludvigsen (2013) Workers' Assembly Halls as a Proposition for

UNESCO's World Heritage, International Journal of Heritage Studies, 19:5, 408-438, DOI: 10.1080/13527258.2012.675509

109

Chapitre 5 - Un impact touristique et économique

Préambule

La présence de plus en plus grande du patrimoine ouvrier sur le territoire fait surgir une nouvelle manière de le présenter. Comme nous avons pu l'observer, le tourisme agit véritablement comme une ressource pour les territoires. Le patrimoine y occupe une place non négligeable. Le tourisme, au-delà du champ culturel important qu'il occupe, se révèle un agent économique de premier ordre. Leïla Kebir propose d'ailleurs un schéma permettant de comprendre la création d'une ressource de point de vue touristique :

Source : Ressources, patrimoine, territoires et développement durable, Kebir, 2004, p.72

L'objet qui se mêlent au système de production, incarné dans notre cas par les territoires deviennent devient alors une ressource touristique. C'est pourquoi, le patrimoine occupe aujourd'hui un champ majeur du développement touristique. Le patrimoine ouvrier est d'ailleurs particulièrement concerné dans la mesure où les bâtiments notamment, aux caractéristiques souvent gigantesques peuvent constituer un espace touristique particulièrement attractif. Le patrimoine ouvrier,

110

d'un point de vue touristique et économique s'incarne dans trois domaines particuliers : 1- Le label d'Entreprise du patrimoine vivant ; 2- Le tourisme industrie l ; 3- La visite d'entreprise . C'est de ces trois domaines constitutifs d'une économie particulière du patrimoine ouvrier dont il sera question dans cette dernière partie. Car, étant un domaine à la croissance grandissante il nous paraît opportun d'en étudier les dynamiques et les attributions que chacun de ces domaines se donne afin d'y faire apercevoir les ressorts liés au patrimoine ouvrier.

a- Les nouvelles qualifications du patrimoine ouvrier i- Label d'Entreprise du Patrimoine Vivant

Le label d'Entreprise du Patrimoine Vivant s'inscrit dans une volonté pour les autorités de reconnaissance des entreprises, dans la même démarche, le tourisme industriel fait se rencontrer touriste de passage et industrie, à la découverte de sites majeurs en France. L'inscription du travail dans la sphère patrimoniale se

158

développe de plus en plus . C'est dans cette lignée que le label EPV - Entreprise du Patrimoine Vivant a été créé en 2005, dépendant du Ministère de l'Economie et des Finances. Il s'agit d'un label d'état qui récompense les entreprises aux savoir-faire artisanaux ou industriels distinctifs : «Le label Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV) est une marque de reconnaissance de l'Etat mise en place pour distinguer des entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux et industriels d'excellence.» L'idée d'une «reconnaissance» de la part des services d'état est donc avancée comme le premier argument pour les entreprises qui souhaitent en être créditées. Ce label est décerné pour une durée de cinq ans et s'accompagne d'avantage économique et d'une forte communication sur tout le territoire. Ainsi, nous pouvons lire dans la présentation officielle de ce label : « Ce label peut apporter une médiatisation nationale voire internationale à votre

158 Nous pouvons notamment penser en 2012 à l'inscription des compagnons du devoir au patrimoine mondial de l'Unesco. Bien que cette inscription soit aussi dû aux rites qui accompagnent ces corporations, c'est bien à l'origine, le travail qu'ils effectuent qui relève de la création de ces organisations et qui les distinguent entre-elles.

111

activité, favoriser son développement et peut s'accompagner d'un régime fiscal

159

avantageux. ». De ce fait, la reconnaissance qu'apporte ce label amène des avantages économiques et communicationnelles, avantages que donne également une reconnaissance patrimoniale. Aussi, nous remarquons que l'utilisation du terme «Label d'entreprise vivant» semble plutôt un label des «métiers vivant», car ce sont bien les métiers qui sont distingués, le site du Ministère de l'Economie et des Finances au-delà du type d'entreprise, précise bien «les métiers» qui peuvent relever de ce label. Ainsi, l'idée d'entreprise n'est pas ce qui guide l'attribution de ce label, ce sont les métiers qui y prennent place qui sont affirmés, sur le site du Ministère de l'économie, avant même le descriptif des intérêts communicationnels ou fiscaux, sont présentés dans une rubrique «Quels sont les

160

métiers concernés par le label EPV ? » , plus précisément les métiers en lien à

161

l'art, la gastronomie ou l'industrie . Or, les métiers de l'industrie concernent, entre autres, les ouvriers, ce qui justifie d'autant plus que ce label communique de manière privilégiée avec le patrimoine ouvrier. Être ouvrier n'est pas seulement un statut comme il est courant de le penser où de le percevoir, c'est aussi une catégorie de métier comme le confirme l'INSEE.

159 Site du Ministère de l'Economie et des Finances, Quels sont les métiers concernés par le label EPV ?, https://www.economie.gouv.fr/entreprises/label-entreprise-patrimoine-vivant-avantage-vot re-entreprise , [consulté le 19 mars 2020]

160 Ibid.

161 « Les métiers liés à l'art et à la culture, en raison de leurs méthodes de travail

avancées, de la rareté de leurs équipements et de leur portée culturelle. Baccarat,

Chaumet ou Hermès figurent notamment parmi les entreprises récompensées.

Les métiers de la gastronomie, pour la reconnaissance des tables de prestige comme Dalloyau, Biscuits Fossier, Chocolaterie de Puyricard, Caviar Petrossian ou encore Champagne Bollinger, les terroirs et les spécialités.

Les métiers de l'industrie qui développent et utilisent des technologies de pointe, de la propriété intellectuelle à très haute valeur ajoutée et qui sauvegardent des fabrications traditionnelles. Des entreprises de secteurs aussi divers que l'optique (Thales Angenieux) et la fabrication de gants de sécurité (Espuna) sont ainsi distinguées.», Site du Ministère de l'Economie et des Finances, «Quels sont les métiers concernés par le label EPV ?» , https://www.economie.gouv.fr/entreprises/label-entreprise-patrimoine-vivant-avantage-vo tre-entreprise, [consulté le 19 mars 2020]

112

Aussi, le motif économique occupe une place majeure, ce qui nous l'indique en premier lieu est le ministère qui guide ces attributions. Les entreprises représentées occupent une place prestigieuse dans chacun de leurs domaines. Plus spécifiquement, les entreprises peuvent prétendre à ce label si elles possèdent un patrimoine économique spécifique . Les critères répondant à cette distinction sont présentés comme suit :

1. Critères indiquant la détention d'un patrimoine économique spécifique :

- L'entreprise possède des équipements, outillages, machines, modèles,

documentations techniques rares.

Et/ou

- L'entreprise détient des droits de propriété industrielle liés à ses produits, à ses

services ou à ses équipements de production ;

Et/ou

- L'entreprise met en oeuvre une démarche active de création ou d'innovation

pouvant générer un réseau de clientèle significatif. 162

Ce label est surtout un outil de communication phénoménal pour les entreprises qui le décroche. Elles font ainsi partis d'un véritable réseau qui couvre l'ensemble du territoire et relayé par les plus hautes instances politiques françaises. Cela leur permet notamment de s'inscrire dans la nouvelle tendance du Tourisme Industriel . Véritable outil de mise en valeur, ce label leur apporte une reconnaissance des instances dirigeantes et les valorisent. La publicité qui découle d'une telle labellisation représente des milliers d'euros que beaucoup ne peuvent pas se permettre d'investir. Il s'agit donc d'un véritable outil de puissance pour ces entreprises qui se distinguent ainsi de la concurrence qui peut avoir lieu dans chacun de leurs domaines.

ii- Le tourisme industriel

Le tourisme industriel a été la première mission de l'Agence de Développement de la Visite d'Entreprise (ADEVE) conçue comme le lobby des industriels

162 Critères d'appréciation d'un patrimoine économique spécifique, site officiel EPV - Entreprise du Patrimoine Vivant, http://www.patrimoine-vivant.com/fr/criteria , [consulté le 20 mars 2020]

113

français à la rencontre du marché de l'économie du tourisme. L'ADEVE s'est beaucoup transformé et se nomme désormais «Entreprise et Découverte» avec ce

163

slogan «A la rencontre de nos savoir-faire ». Or, un savoir-faire ne se rencontre pas, c'est une personne qui le met en application et le possède. Cette tournure de phrase laisse imaginer que le savoir-faire pourrait exister sans artisan ou ouvrier, ce qui est bien sûr impossible. Ainsi, pour observer des savoir-faire, il faut, observer les personnes le possédant. Dans l'industrie, cette possession se traduit par les ouvriers. Ainsi, il ne s'agit pas de rencontrer nos savoir-faire mais bien de rencontrer les personnes qui l'appliquent. Agissant comme la référence du tourisme industriel en France, Entreprise et Découverte a lié de nombreux partenariats et se présente comme suit «Entreprise et Découverte est l'association nationale de la visite d'entreprise, qui a pour objet la valorisation et la promotion

164

de la filière visite d'entreprise (ou tourisme de savoir-faire). » Nous remarquons l'utilisation du terme «filière visite d'entreprise» (ou tourisme de savoir-faire)» cette manière de présenter le tourisme industriel nous éclaire à bien des égards. D'une part, le tourisme d'entreprise est considéré comme une «filière» ce qui justifie le fait qu'il fasse partie d'un marché plus global dans lequel il occupe une position en expansion. Pensé comme un véritable outil du développement territorial le tourisme industriel à vocation à dynamiser les régions. Le très fort pouvoir économique qu'il en ressort montre que ces entreprises ne sont plus parties de l'économie uniquement avec les produits qu'elles conçoivent, produisent et vendent, mais bien avec l'entièreté de ce qui les compose : allant du bâtiment, à son personnel, en passant par ses machines. Le tourisme industriel fait devenir agent économique dans un même ensemble : le bâtiment, les ouvriers, les dirigeants, les produits, les techniques et les machines. Ainsi les entreprises qui souhaitent s'inscrire dans les démarches de tourisme industriel deviennent d'une certaine manière des global au même titre que le patrimoine classé à l'Unesco. La réussite et l'expansion de ce modèle est incarné par la sortie récente d'un Guide du

163 Site internet Entreprise et découverte , https://www.entrepriseetdecouverte.fr/ , consulté le 2 avril 2020,

164 Entreprise et découverte , op.cit , page d'accueil

114

Routard sur la visite d'entreprise. Débutée en 2016, cette édition du routard est une réussite car rééditée tous les ans depuis son lancement. Nous remarquons également l'utilisation de nombreux termes pour ne pas qualifier outre mesure le tourisme industriel, nous retrouvons le «tourisme de savoir-faire», la «visite d'entreprise», «le tourisme d'entreprise vivante» etc. Nous pouvons également notifier que le label d' Entreprise du Patrimoine Vivant et le développement du tourisme industriel s'inscrivent dans la même démarche : Les EPV valorisent le produit à la sortie, le tourisme industriel en valorise le mode de production (par les visites qui y sont organisées et la valeur de transparence qu'elle insinue).

b- Tourisme industriel, visite d'entreprise : limites et obstacles

i-Les rapports d'échanges touristique et économique

Essaie de visualisation des rapports d'échange du tourisme industriel :

Source : Agnès Ghonim, 2020

Aussi, nous remarquons que de nombreuses entreprises possédant le label EPV

165

sont également partie du guide du Routard sur les visites d'entreprises, cela montre la corrélation et le lien très fort qu'il existe entre ces deux manières de présenter les entreprises aujourd'hui.

165 Guide du Routard, Visite d'entreprise en France, Hachette, Paris, 2019

115

(c) Manufacture Bohin , La visite d'entreprise en France avec le Routard,

routard.com

Cette photographie choisie par les équipes du Guide du routard pour illustrer les visites d'entreprises montre la mise en scène des ouvriers qui se pratique. Ils sont alors vu comme des pièces de musées, nous assistons à la théâtralisation du travail.

D'un point de vue strictement économique, il s'agit là d'une véritable plus-value agissant comme un outil de communication, le tourisme industriel permet de faire connaître des produits et augmente les possibilités de vente en construisant par

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ailleurs, une image plus que positive dans le regard du consommateur . Le

166 Assemblée des chambres de commerces et d'industrie, La Visite d'entreprise un projet de territoire , : «Pour l'entreprise, s'ouvrir au public, dans le cadre d'un circuit de visite programmé, permet de communiquer « autrement », de valoriser son image, de se différencier, de motiver son personnel, ou encore de fidéliser sa clientèle. L'entreprise y gagne ainsi en termes de notoriété et d'attractivité. En outre, dans la plupart des cas, la vente de produits sur place permet de développer un chiffre d'affaires parfois non négligeable. », pp.5-6, 2012

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simple fait que le visiteur passe par le canal du tourisme, révèle qu'il pense être est vu comme un touriste et non comme un client, bien que cela ne corresponde pas à la réalité ; en effet, la plupart des entreprises, soit 69%, disposent d'un espace de vente par lequel le visiteur termine sa visite, et où plus de la moitié des visiteurs repartent en ayant consommé un produit.

Comportement d'achat des visiteurs selon le type de visite (payante ou gratuite) :

Enquête TDE 2006 - ACFCI / Direction du Tourisme - Août 2007

Par cela, un modèle en B to C se développe et est très favorable aux entreprises. Ainsi, le consommateur se rend directement dans les entreprises qui n'ont pas à chercher cette clientèle dans la mesure où les guides touristiques agissent pour eux comme de véritables intermédiaires. L'entreprise vend ses produits ou un «souvenir» de la visite et s'offre un formidable outil de communication. L'enquête réalisé en 2006 par l' Assemblée des chambres françaises de commerces et d'industrie ainsi que la Direction du tourisme rapporte que la visite d'entreprise est à la fois « un produit ou une prestation touristique , un outil de communication

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événementielle , un outil de développement économique » . Nous apprenons également dans cette enquête que 8,2 millions de personnes ont visité une entreprise en activité en 2006. D'un point de vue patrimonial, cela nous semble tout à fait significatif, nous assistons à une sorte d'inversion du processus patrimonial. D ans la visite d'entreprise ce sont des produits qui deviennent patrimoine, alors que le schéma habituel veut que ce soit des patrimoines qui deviennent économique.

167 Enquête, Assemblée des Chambres françaises de commerce et d'industrie en partenariat avec la Direction du tourisme, Le tourisme de découverte économique en France en 2006 , 2007

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La visite d'entreprise est en lien très privilégié avec le patrimoine ouvrier, Entreprise et découverte annonce ainsi dans son à propos : «Découvrir les savoir-faire, les hommes derrière les machines, comprendre comment ça marche, valoriser le made in France ... autant de valeurs qui nous sont chères et que nous

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défendons à travers cette pratique de la visite d'entreprise ! » . Les savoir-faire mis en avant et les ouvriers qui les produisent montrent que la société leur reconnaît un patrimoine. Pour autant, ce qui est reconnue est la technicité qu'ils possèdent dans le mode de production. L'histoire sociale n'est pas du tout exposée, cela ne peut pour autant pas agir comme une critique dans la mesure où est mis en avant l'industrie et la visite d'entreprise, il n'est à aucun moment question dans la publicité que l'on fait à ce type de visite des ouvriers et de leur histoire.

L'assemblée des chambres de commerce et d'industrie a publié un petit

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guide intitulé «La visite d'entreprise, un projet de territoire ! » en 2012. Le préambule écrit par André Marcon est parlant quant au lien très fort avec le patrimoine ouvrier :

« En 1999, le rapport sur le « Tourisme de Découverte Économique » publié par l'ACFCI pour le Conseil National du Tourisme, marquait une étape importante en conférant à la visite d'entreprise une légitimité en tant que pratique touristique, au même titre que la visite des musées techniques et

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scientifiques, des éco-musées ou des sites industriels patrimoniaux. »

Le tourisme industriel est donc aussi nommé «Tourisme de Découverte économique» ce qui appuie l'intérêt financier qu'il ressort de ce type de pratique. Aussi, nous remarquons un point commun au patrimoine ouvrier : la recherche de légitimation. En ce cas précis nous comprenons que l'écriture de ce rapport en 1999 a encouragé cette pratique par de très hautes instances ce qui a favorisé que

168 Site Entreprise et découverte, Qui sommes nous ? ,

https://www.entrepriseetdecouverte.fr/qui-sommes-nous/ , [consulté le 7 avril 2020]

169 La visite d'entreprise un projet de territoire !, op.cit.

170 Ibid. , p.1

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ce tourisme perdure et se légitimise. Aussi nous remarquons dans ces quelques lignes la volonté pour l'auteur de justifier la place qu'occupe de manière patrimoniale cette pratique. Ce n'est pas un hasard si la justification de cette pratique est mise en parallèle des musée techniques et scientifiques , des éco-musées et des sites industriels patrimoniaux . Il s'agit donc d'un tourisme à la recherche de justification patrimoniale, pour cela un comparatif est exprimé afin d'asseoir la place de cette nouvelle pratique, dans le but, il nous semble, de se détacher de l'idée très lucrative que l'on peut se faire de ce type de pratique. De manière plus générale, le secteur du tourisme représente une manne financière assez considérable, pour en attester nous pouvons nous référer à la part croissante qu'occupe ce secteur dans le PI3 français qui représente 7,4% en 2018.

Ministère de l'économie et des finances, Direction Générale des Entreprises, Le 4 pages N°91 - La croissance de la consommation touristique en France se confirme en 2018, Tableau n°2, Poids de la consommation touristique dans le PI3 en 2018

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:

Cette place non négligeable dans le PI3 français n'avait pas été aussi élevé depuis 2014, nous précisons néanmoins que la crise sanitaire du Covid -19 a mis à l'arrêt

171 Ministère de l'Economie et des Finances, Le 4 pages de la DGE, Études Économiques, N°91, Décembre 2019

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complet et total les entreprises du secteur, les chiffres pour 2020 seront donc nettement en baisse, l'évolution touristique sera à analyser dans la mesure où les visiteurs étrangers par leur consommation prenait part à la présence importante de ce secteur dans le produit intérieur brut. Les habitudes touristiques vont être très certainement bouleversées et nous assistons à ce jour (5 mai 2020) à une importante campagne d'encouragement, voire d'impossibilité d'autres choix, pour les français, de voyage et de tourisme sur le territoire. Il sera intéressant d'observer les chiffres du tourisme industriel à la fin de cette période.

ii- Tourisme et territoire : Authenticité et identification

Au-delà du territoire français le tourisme est un élément majeur de l'économie

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mondiale . Le patrimoine représente un élément clé du secteur touristique, le tourisme industriel quant à lui permet la mise en valeur du patrimoine industriel

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notamment. Sa croissance fait porter en bonne place ce nouveau tourisme . Pour autant, le tourisme industriel ne s'intègre dans le paysage touristique d'une région que s'il répond à plusieurs critères, notamment celui d'un partenariat aigu avec les instances de villes et de régions. En effet, sans l'appui de ces acteurs locaux les éléments du tourisme industriel ne trouvent pas de légitimité patrimoniale, dans un paysage bien souvent façonné par l'absence de patrimoine en dehors des

172 Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Poids économique du tourisme , «Le secteur des services joue un rôle de moteur dans la croissance de la plupart des pays de l'OCDE ; sa part dans l'activité économique ne cesse de progresser. Secteur d'activités vaste, complexe et morcelé, le tourisme reste très difficile à définir et à mesurer et constitue une composante majeure de l'économie de services (30 % des échanges internationaux de services dans la zone OCDE). En termes de recettes, les pays de l'OCDE génèrent environ 70 % de l'activité touristique mondiale. Après avoir connu un essor spectaculaire depuis une trentaine d'années, le tourisme devrait continuer à se développer parallèlement à l'accroissement du degré de prospérité et de mobilité de la société.» ,

https://www.oecd.org/fr/cfe/tourisme/poidseconomiquedutourisme.htm , [consulté le 4 avril 2020]

173 Ministère de l'Economie et des Finances, Le tourisme industriel, «13 millions de visites ont eu lieu en 2014 dont plus d'1 million d'étrangers.» , 2017, https://www.entreprises.gouv.fr/tourisme/tourisme-industriel , [consulté le 20 avril 2020]

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habituels châteaux ou jardins. Ainsi, Franck Debos résume dans un tableau les avantages et limites du tourisme industriel :

174 Franck Debos, Le développement du tourisme : facteur de valorisation du patrimoine industriel ? Processus, Problématiques, Enjeux du patrimoine industriel , Séminaire international 21, 22, 23 et 24 juin 2012 à Baia-Maré (Roumanie) SALLE DES CONFÉRENCES Centre Des Affaires Millenium III, 2012, Roumanie. p 1-14.

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Les avantages et limites décrit par Franck Debos du tourisme industriel montre différent niveau de compréhension. Ainsi, nous remarquons que la pérennité d'un site patrimonial intégré dans un cursus de tourisme industriel ne pourra se faire que si d'autres acteurs locaux s'y consacrent également. Ainsi, l'importance des institutions locales et régionales, l'implication des habitants alentours, ou l'intégration du dit endroit dans un programme de niveau national notamment, peuvent permettre de pérenniser ce qui relève du patrimoine industriel. Pour

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autant, il nous faut souligner l'importance des récits in situ dans la réussite ou non d'un site patrimonial. S'inscrire dans une logique patrimoniale dans la seule perspective de relever du tourisme industriel nous paraît plus que limité. Certes, la patrimonialisation est sans aucun doute le remède à une disparition, cependant, à l'échelle d'un territoire, le patrimoine peut devenir uniquement une ressource, ce qui in fine , complique sa sauvegarde si elle n'est pas motivée dans une certaine quête d'authenticité, ou, dans une moindre mesure, si elle n'est motivée que par des aspects rentables, l'authenticité qui fait la valorisation d'un patrimoine peut alors s'en trouver altérée. L'échec du Parc Minier Tellure du Val d'Argent nous montre les limites et les faiblesses du tourisme industriel quand la patrimonialisation n'est pensée que dans le but d'une inscription touristique. Le rapport de la Cour des Comptes souligne les limites intrinsèques à ce type de lieu. Le rapport intitulé «Le parc minier Tellure du Val d'Argent (Haut-Rhin) : un échec annoncé», publié en 2012 ne laisse aucun doute quant au fiasco qu'a été ce parc. Ainsi, la seule volonté d'inscription dans un tourisme dit industriel comme moteur de patrimonialisation et de pérennité de lieux ne peut se produire : «Porté par la communauté de communes du Val d'Argent, le projet devait contribuer à redynamiser la vallée, en favorisant le développement touristique sur un territoire

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économiquement sinistré à la suite du déclin de l'industrie textile. ». Aussi, cela n'est pas sans rappeler l'importance géographique que prend le patrimoine ouvrier. Le patrimoine, en devenant comme nous l'avons vu, une ressource pour les territoires, vient se confronter à des intérêts qu'il ne peut supporter en son seul nom. Cet échec laisse envisager, comme nous l'avons remarqué précédemment, la recherche d'un modèle de présentation et d'intégration dans un projet de territoire du patrimoine ouvrier. Finalement, nous aurions tort de penser que le tourisme que soulève le patrimoine ouvrier ne se produise que par l'intérêt économique qu'il en ressort. En fait, le tourisme permet une identification des territoires. Cela génère

175 Rapport public annuel 2012, Le parc minier Tellure du Val d'Argent (Haut-Rhin) : un échec annoncé , disponible en ligne : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/Parc minier tellure val d argent.pd f , consulté le 6 mai 2020

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alors une identité, et c'est bien cette identité qui sera facteur de visite touristique. Nous ne sommes donc pas seulement face à un intérêt économique, nous sommes face à la défense d'une identité collective. Or, le tourisme industriel dans cette continuité prend un sens nouveau. Le territoire et ses acteurs pouvant se référer à ce qui fait l'attractivité de leur région, à savoir ses industries. Les ouvriers occupent donc un rôle majeur dans la valorisation de ce tourisme, ils influent sur le mode de perception des touristes et occupe une place non négligeable dans la projection d'une identité commune.

Que ce soit les EPV, ou la visite d'entreprise, toute deux composante essentielles du tourisme industriel, l'intérêt financier que soulève ces pratiques n'est pas a négliger. Ainsi, comme le souligne Di Méo :

«On connaît l'importance des valorisations touristiques du patrimoine. D'autres formules s'attachent à la livraison de produits d'origine certifiée, parfois organisés et vendus en « paniers ». Il s'agit de véritables bouquets de biens de consommation, enrichis d'une valeur patrimoniale (idéologie) et constituant une sorte de réseau territorial de production. Ainsi, la fonction patrimoniale confère une plus-value incontestable aux ressources territoriales qu'elle tend à constituer. Elle contribue d'ailleurs, plus largement, à l'édification

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de territoires qui, à leur tour, génèrent de la justification patrimoniale. »

De ce fait, la valorisation qu'apporte ce type de tourisme nourrit un véritable maillage économique, en plus de crédibiliser une identité territoriale nécessaire au discernement des régions et lieux pour les futurs visiteurs. Or, les ouvriers occupent une place majeure dans ce type de pratique, bien qu'ils ne soient pas nommés en tant que tel, leur travail est sur-représenté. Que ce soit dans le slogan de l'ADEVE « À la rencontre de nos savoir-faire ». Dans le Guide du routard portant sur la visite d'entreprise, ou encore dans le label EPV, dont la distinction dépend des métiers exercés dans l'entreprise qui la demande. Par conséquent, le patrimoine ouvrier «en activité» est approprié par les dirigeants de ces entreprises et utilisé à des fins économiques.

176 Guy Di Méo. Processus de patrimonialisation et construction des territoires. Colloque »Patrimoine et industrie en Poitou-Charentes : connaître pour valoriser», Sep 2007, Poitiers-Châtellerault, France. pp.87-109

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Conclusion

Nous avons tenté dans cet écrit de proposer une vision du patrimoine ouvrier. Les relations qui le sous-tendent avec d'autres sphères patrimoniales nous semblaient primordiales à aborder car constitutives d'un cadre théorique général. Le patrimoine ouvrier, s'il n'est pas nommé, pose question quant à son devenir propre. Au travers de plusieurs analyses nous avons constaté son absence autour de trois axes principaux :

. Le premier axe est que le patrimoine ouvrier, dans son appellation, relève d'attributs politiques. Cette politisation du terme entre en conflit avec la manière dont est compris et consacré le patrimoine. Il y a donc collision entre le patrimoine ouvrier et les prérequis à la qualification de patrimoine.

. Le deuxième axe repose sur des considérations historiques. Renvoyant à un échec industriel, la volonté des services d'autorités est de ne pas mettre en valeur ce qui est considéré comme un traumatisme sociétal. Aussi, détruire et ne pas nommer invite à l'oubli, ce qui est le maître mot pour beaucoup d'épisodes traumatiques. Affirmer le patrimoine ouvrier peut être considéré comme une acceptation générale de l'échec. A contrario le détruire ou ne pas le nommer ne fait surgir aucun débat dans la société.

. Le troisième axe repose sur la valeur monétaire que soulève les patrimonialisations. Le patrimoine ouvrier, s'il était affirmé, amènerait avec lui une série de changements. Les valeurs économiques et foncières que relève la patrimonialisation enlèveraient une manne financière extrêmement importante dû à la surface souvent gigantesque des anciens bâtis ou lieux de vie. Et, s'il était nommé, on donnerait la qualité de possédant à un groupe dont la construction sociale est faite sur l'absence de capital. Cela remettrait en cause les fondements

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de notre société contemporaine, consacrant certainement des conflits bien plus vastes.

Ces trois axes constituent les obstacles à la reconnaissance du patrimoine ouvrier. Pourtant, ce patrimoine est, comme nous avons tenté de le montrer, bien présent. Au travers du patrimoine industriel, urbain ou des sciences et techniques, il est utilisé et montré pour servir l'idée de ces patrimoines. La réappropriation du patrimoine ouvrier change les discours, jusqu'à présent existants au travers d'un patrimoine déjà reconnu et dont les spécificités sont elles aussi déjà consacrées. Il convient donc pour le patrimoine ouvrier d'être transformé afin de se fondre dans l'essence idéologiques (rareté, prestige) de ces différents patrimoines.

Partant du constat qu'il est de façon générale le support de la mémoire, il est la trace matérielle de ce qui est et de ce qui fut . Le patrimoine ouvrier relevant d'une histoire particulière, son support est absolument nécessaire, car comme montré précédemment, il a tendance à disparaître et à être oublié. L'histoire des ouvriers a besoin d'un support légitime qui la fasse exister. Pour citer Sartre : «On ne met pas son passé dans sa poche, il faut avoir une maison pour l'y ranger. Je ne possède que mon corps, un homme tout seul, avec son seul corps, ne peut pas

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arrêter les souvenirs ».

Les pouvoirs publics, quand il s'agit de faire renaître cette histoire sous le prisme du patrimoine urbain ou industriel, peuvent consacrer et défendre les bâtis qui apparaissent alors au travers de leurs qualités architecturales en particulier. Cela permet de les protéger. Pourtant, nous assistons dans ces réhabilitations à des changements de destination où seules les qualités esthétiques sont reconnues. Aussi, nous avons émis l'idée selon laquelle ces réhabilitations sont principalement pensées en fonction d'intérêts lucratifs ou politiques.

177 Jean Paul Sartre, p.21 J-P. Sartre, la nausée, Paris, Gallimard, (l938), 1979, p. 97.

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Nous sommes revenus sur les ressorts politiques que soulèvent une patrimonialisation. Pour cela, nous avons retracé l'histoire de l'inscription patrimoniale en France, et celui de l'UNESCO dont l'instance représente le patrimoine à l'échelle mondiale. Cela nous a permis des points de comparaisons qui ont fait émerger le marché économique qui se révèle d'une telle pratique.

Aussi, le processus de patrimonialisation, théorisé par Guy Di Méo, Nicolas Senil et Jean Davallon, notamment, nous a permis une approche théorique du schéma par lequel un objet se retrouve intégré à la hiérarchie des biens dits exceptionnels. De ce fait, nous avons appliqué les étapes constitutives d'une patrimonialisation élaborées par Jean Davallon à l'analyse du patrimoine ouvrier, et nous avons ainsi fait émerger les obstacles à sa reconnaissance pleine et entière.

De plus, cette attente du «beau» que soulève les biens culturels se révèle un obstacle pour le patrimoine ouvrier, car sa mémoire s'en retrouve disparu. Cela a pour conséquence une invisibilisation du patrimoine ouvrier. Cela explique l'utilisation politique de la mémoire et la volonté d'effacement appliquée à ce patrimoine.

Nous avons également remarqué l'utilisation du patrimoine dans les nouvelles dynamiques de développements territoriaux. Le patrimoine ouvrier y occupe une place de choix car il y est très présent. Cela nous a permis d'établir la difficulté de création de musée de patrimoine ouvrier car souvent vu par la population locale comme refuge de leur tristesse. Le musée, comme récepteur de mémoire douloureuse, nous a semblé être considéré insuffisant à la création de musée de patrimoine ouvrier.

Cette analyse nous permit de discuter des musées de patrimoine ouvrier plus généralement. Après avons établi la difficile présentation des collections, la question qui se pose est la suivante : Comment montrer sans être partisan ?

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D'après nous, la présentation du patrimoine ouvrier relève d'un véritable engagement politique, ce qui n'empêche pas une rigueur scientifique. Il s'agit d'une question finalement posée depuis longtemps en ce qui concerne les musées d'Histoire, néanmoins, cette question semble très importante concernant le patrimoine ouvrier, son objet relevant d'attribut politique. Quand on le dépolitise, les musées de patrimoine ouvrier se retrouvent à porter un modèle d'exposition centré sur la vie quotidienne. Cela nous amène à établir la non-présence d'un modèle arrêté en ce qui concerne le patrimoine ouvrier. Pour autant, deux schémas de musées de patrimoine ouvrier ont émergé, ils nous paraissent s'opposer :

1 ? L'affirmation de la teneur politique des musées de patrimoines ouvriers. Le regard porté sur les collections est alors beaucoup plus engagé.

2 ? L'affirmation d'une histoire quotidienne populaire et du travail

Les ouvriers y prennent place mais le regard politique porté sur les collections est bien plus diffus, la vie quotidienne prend le pas sur l'histoire politique que leurs sujets convoquent.

Nous avons également tenté d'établir un schéma de constitution d'étapes de création d'un musée de patrimoine ouvrier, constitué autour de cinq étapes : la volonté politique ; la recherche de légitimation ; la constitution d'une collection ; les premières exposition qui affirment le sujet du musée, et pour finir la légitimation du musée par les publics.

Cette analyse des musées de patrimoine ouvrier a permis de mettre en lumière leur inscription territoriale. De ce fait, nous avons étudié l'impact touristique du patrimoine ouvrier. Il est exploité de manière importante à travers l'utilisation commerciale du patrimoine. Nous l'avons établi autour de trois habitudes touristiques :

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Le Label d'entreprise du patrimoine vivant Consacre le patrimoine ouvrier encore en activité

Le tourisme industriel

Favorise la reconnaissance d'un tourisme dans lequel on développe les visites d'entreprises. Entreprises qui sont elles-mêmes distinguées des autres par le label des EPV

La visite d'entreprise

Censée consacrer la visite d'espace qui aurait une valeur patrimoniale, alors qu'il agit selon d'une volonté de consommation et non sur une idée historique ou politique. C'est une logique de profit de la part des dirigeants d'entreprise qui se dégage.

Néanmoins, nous remarquons que les Régions profitent de cette niche et cela permet de faire reconnaître des éléments du patrimoine ouvrier. Malgré tout, il résulte de nos analyses qu'une patrimonialisation dans le seul but économique ne fonctionne pas.

C'est au discours politique que revient le devoir de hisser le patrimoine ouvrier à la place éminente qui lui revient au centre des biens culturels de chaque nation.

Pour finir, nous nous permettons d'évoquer ce qui de notre avis peut relever de la véritable barrière à la reconnaissance du patrimoine ouvrier. Finalement, l'héritage des ouvriers qui constitue un patrimoine ne serait-il pas incarné par les acquis sociaux ?

Car, le patrimoine ouvrier lui, ne possède pas uniquement de dimension technique ou productive, ce n'est alors pas seulement l'importance historique qui est reconnu en affirmant un patrimoine dit ouvrier , mais bien tous les acquis sociaux qui découlent de la lutte inhérente à cette classe sociale, et qui s'incarne dans :

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les congés payés ; la sécurité sociale ; la création du code du travail ; la médecine du travail ; le droit syndical ou la réduction du temps de travail par exemple. Par conséquent, il ne s'agirait plus seulement de reconnaître une classe sociale, mais bien de porter ces acquis sociaux sur l'autel de l'exception et par cela de la protection nationale, entretenue et conservé pour les générations futures.

Ne pas aborder les acquis sociaux comme potentiel source de tension entre reconnaissance du patrimoine ouvrier et choix politique, serait se priver d'une possible explication des forts enjeux qui amènent à la narration aujourd'hui présente en ce qui concerne ce patrimoine, notamment dans les musées.

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Annexes

Annexe 1 : Catégorie socioprofessionnelle selon le sexe et l'âge en 2018, paru le 9 mars 2019, Insee, enquête Emploi

Annexe 2 : CSA, baromètre de la diversité de la société française, vague 2018

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Annexe 3 : Recherche Google Image « ouvrier » , le 14 janvier 2019

Annexe 4 : Recherche Google Image « ouvrier 1950 » , le 14 janvier 2019

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Annexe 5 : Manifeste du comité de la Fondation Agir Contre l'exclusion (FACE), Le Monde, 22 septembre 2018

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Annexe 6 : Article, « Montreuil : Stéphane Bern à la rescousse du patrimoine ouvrier », Le Parisien, 13 novembre 2017

A l'invitation du député FI Alexis Corbière, le nouveau chargé de mission patrimoine du président a visité le Musée de l'histoire vivante, dédié à l'histoire du mouvement ouvrier.

L'affiche peut étonner. Stéphane Bern et Alexis Corbière, côte à côte, le temps d'un après-midi. Pourtant, lundi, le nouveau chargé de mission patrimoine d'Emmanuel Macron, s'est rendu au musée de l'histoire vivante de Montreuil, à l'invitation du député de la France Insoumise.

Dans les allées de ce musée dédié à l'histoire du mouvement ouvrier au XXe siècle, Stéphane Bern est à l'aise. Le présentateur de « Secrets d'histoires » questionne, relance, feuillette les pages d'un livre de caricatures. « Je ne suis pas un aristocrate, je suis aussi un homme de rien », se défend-il.

Attaqué par le passé par son voisin de visite, Alexis Corbière, et Jean-Luc Mélenchon , sur ses choix d'émissions, trop dédiées « aux rois », et pas assez aux « républicains », Stéphane Bern essuie les plâtres. « C'est vrai que Louis XVI et Napoléon font plus d'audience que Danton », reconnaît-il, avant de rétorquer. « Je veux servir le patrimoine au sens le plus large ».

Car ce n'est pas en sa seule qualité d'homme d'histoire que Stéphane Bern est invité, mais également avec sa nouvelle casquette de chargé de mission patrimoine d'Emmanuel Macron. L'enjeu est important pour les responsables de ce musée : convaincre Stéphane Bern de la nécessité de faire figurer l'établissement dans le recensement du patrimoine fragilisé, que le Président lui a demandé de dresser. Et ainsi débloquer des fonds supplémentaires pour faire vivre ce lieu.

Unique musée en France dédié au patrimoine ouvrier, il est financé à plus de 60 % par la ville. « Le patrimoine du peuple est merveilleux, mais il est aussi rare, fragile et menacé », a ainsi rappelé Frédérick Génevée, président de l'association pour l'histoire vivante. « L'entretien de cette maison dans laquelle la municipalité investit tant est vital », renchérit-il, espérant ouvrir un débat sur la conception de l'histoire « celle des grands hommes, ou celle d'en bas, du peuple et de ses luttes ».

Même si Stéphane Bern le rappelle, « le patrimoine urbain » ne fait normalement pas partie des attributions de sa mission, le royaliste devrait se souvenir de sa visite, reparti du musée, avec, en cadeau... un buste de Robespierre.

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Annexe 7 : Observatoire des Territoires, Typologie du zonage en aire urbaine (ZAU), Insee - CGET, 2010

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Annexe 8 : Article, Vice, « Avec les ouvriers français qui menacent de faire sauter leur usine « , Alexandre Vella et Thomas Leger, 15 mai 2017

Avec les ouvriers français qui menacent de faire sauter leur usine

En Creuse, 283 salariés de l'entreprise GM&S, un équipementier automobile, ont piégé leur usine. Ils promettent de la faire sauter si PSA et Renault, leurs principaux clients, ne renouvellent pas leurs commandes.

« On va tout péter ! » Sur l'énorme colonne estampillée Air Liquide, deux bonbonnes de gaz pendant à un fil surplombent l'inscription en lettres capitales. Ce jeudi 11 mai, après un combat de plusieurs mois pour sauvegarder leurs emplois, les salariés de GM&S, un équipementier automobile basé à la Souterraine (Creuse), sont passés à la vitesse supérieure. Las, ils ont décidé de piéger leur usine. « Ça fait six mois qu'on lutte et personne ne nous entend » , plaide Xavier, 55 ans et plus de 20 ans de boîte. En s'inspirant de ce qu'il a vu à la télé, il a proposé ce mode d'action, voté à huis clos en assemblée générale. « Il y a des trucs qui marchent dans les usines en difficulté comme la grève de la faim, la séquestration, ou le sabotage des outils », poursuit-il, en concédant que les salariés n'étaient « pas très chauds » pour les deux premières options. Un dispositif constitué de bonbonnes de gaz, de bidons d'essence et de détonateurs cerne désormais le site. Stratégiquement, les explosifs ont d'abord été déposés sous les outils de fabrication, propriété des constructeurs automobiles.

Car ce sont bien les constructeurs automobiles français qui sont dans le collimateur des salariés de GM&S. En tête, PSA et Renault, principaux clients de l'entreprise, qui concentrent à eux seuls 80 % de l'activité selon une note d'un cabinet d'experts-comptables daté de février 2017 et rendue publique par la CGT, le syndicat majoritaire. Alors que l'industrie automobile hexagonale sort enfin la tête de l'eau , les commandes passées par les constructeurs n'ont cessé de baisser depuis fin 2016. Un phénomène incompréhensible pour les salariés autant que pour l'expert-comptable, qui

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constate « un appauvrissement continu (et volontaire) de [la] base d'activité, quand la filière a bénéficié d'un fort rebond ».

Deux bonbonnes de gaz installées sur une cuve

M. Le Youdec, le directeur de transition, se dit quant à lui « désabusé » par le comportement des constructeurs. Depuis le mercredi 10 mai, avec son aval, l'usine a stoppé la production et refuse désormais de livrer les pièces à PSA et Renault. À ce bras de fer se superpose la gestion catastrophique des repreneurs du site de production creusois - on en dénombre quatre depuis 2006. Dernier en date, le groupe italien GM&S a pris possession de l'usine en décembre 2014 pour la somme symbolique de trois euros, imposant au passage cinq puis six jours de chômage partiel par mois aux salariés. En 10 ans, le nombre d'emplois a été divisé par deux. Si aucun repreneur sérieux

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n'est trouvé d'ici le 23 mai prochain, date de l'audience au tribunal de commerce de Poitiers, la liquidation sera prononcée.

« La moyenne d'âge au sein de l'entreprise est de 49 ans. Dans un territoire aussi peu industrialisé que la Creuse, il n'y a aucune chance pour nous de retrouver du travail », explique Franck Carrière, délégué syndical de la CGT. Afin d'éviter le désastre social dont découlerait la disparition du deuxième employeur privé du département et de laisser le temps à de potentiels repreneurs de se manifester, l'État et la région Nouvelle-Aquitaine se sont engagés à hauteur de 1,7 million d'euros. Alors qu'ils étaient destinés au paiement des salaires d'avril et mai, les employés affirment qu'une partie de ces fonds a été détournée par la direction. « On s'est aperçu que nos cotisations à la mutuelle n'avaient pas été versées depuis deux mois, précise le syndicaliste. On a tous porté plainte contre X à la gendarmerie. Le procureur a jugé la plainte recevable et attend désormais la déposition de la mutuelle pour donner suite. »

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Les salariés de GM&S détruisent une machine de l'usine

Michel Vergnier, député de la Creuse, dénonce pour sa part ce qu'il nomme « une non-assistance à département en danger ». Et l'élu socialiste de poursuivre : « On ne demande pas d'argent à PSA et Renault, on demande simplement qu'ils donnent du travail à des salariés qui disposent des machines pour le faire, qui savent le faire et qui, nous dit-on, le font à des prix raisonnables », a-t-il déclaré lors d'un rassemblement devant la gare de La Souterraine ce samedi 13 mai.

Aujourd'hui, lundi 15 mai, une réunion cruciale doit se tenir à Guéret, préfecture du département, entre la délégation syndicale, le potentiel repreneur GMD - un groupe d'équipementier français - et les constructeurs. Toutefois, M. Vergnier reste sceptique quant à l'issue de ces négociations et rappelle que l'ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, venu sur le site en février dernier , a échoué à faire pression sur les constructeurs. Réitérant son soutien sans réserve aux ouvriers de sa circonscription, le député a demandé aux salariés « d'être prudents avec leur santé et de ne pas se mettre physiquement en danger ». « Pour le reste, qu'ils y aillent, il faut que ça plie », a-t-il conclu.

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Un salarié de GM&S transporte une machine détruite

D'ici là, la fédération CGT de la métallurgie a d'ores et déjà appelé l'ensemble des syndicats et salariés de la branche à un rassemblement de solidarité devant l'usine mardi 16 mai. Une action sur Paris est également prévue pour mercredi et la tension ne devrait pas redescendre d'ici l'audience de Poitiers, qui fixera définitivement le sort des 283 salariés de GM&S. En attendant, les ouvriers creusois rappellent qu'ils iront « jusqu'au bout », et promettent de détruire de nouvelles machines dès aujourd'hui si les négociations n'avancent pas suffisamment. Ils envisagent également d'autres actions, comme le blocage des sites de production des constructeurs, et n'excluent pas le chantage écologique. « Si rien ne bouge, on enverra une lettre au préfet et aux constructeurs en menaçant balancer des produits chimiques dans l'étang voisin », a promis Franck Carrière.

Le dossier de l'équipementier creusois s'annonce déjà comme l'un des plus brûlants du futur gouvernement. De passage à l'usine samedi soir,

140

Jean-Baptiste Moreau, candidat REM aux élections législatives en Creuse, s'est entretenu quelques minutes avec les délégués syndicaux de GM&S. « J'en ai personnellement informé Ismaël Emelien, un des plus proches conseillers d'Emmanuel Macron, et le dossier est déjà sur le dessus de la pile du prochain ministre de l'Économie », a-t-il assuré, en concédant ne pas pouvoir en dire plus tant que le nouveau gouvernement n'a pas pris ses fonctions. Alors que les syndicats refusent « tout soutien qui ne serait que du spectacle », ils ont tenu à répéter face au candidat qu'ils étaient plus que jamais déterminés. « Nous restons mobilisés et si le site explose, tous les pompiers de La Souterraine ne suffiront pas à éteindre le feu », a calmement prévenu Franck Carrière.

Annexe 9 : Texte du panneau explicatif de la frise chronologique de L'Usine Extraordinaire, novembre 2018, Paris

« L'Extraordinaire Voyage

Cette frise chronologique propose un certain nombre de repères qui témoignent des grandes étapes de l'industrie, de 1851 à aujourd'hui. Elle replace l'histoire récente de l'industrie dans un contexte plus large d'innovations, de découvertes scientifiques, d'événements politiques et sociaux, d'évolutions de la société. Elle est une photographie non exhaustive et n'entend pas représenter la totalité des évènements, mais proposer des lignes de lecture diverses. Quels liens entre recherche scientifique et industrialisation ? Comment l'industrie noue-t-elle des relations avec le territoire ? Quels changements majeurs l'industrie a-t-elle accompagnés ou est-elle en train de susciter ? Au travers de 7 prismes (gérer les matériaux et l'énergie, transporter le monde, se déplacer, conquérir l'air et l'espace, connecter et communiquer, prévenir et soigner, automatiser et faire travailler), 14 parcours proposent des étapes d'évolution de technologies aujourd'hui « ordinaires » ... et d'objets encore extraordinaires. Loin d'un regard nostalgique, il s'agit de révéler des dynamiques et des trajectoires, de comprendre

141

le passé pour se projeter. Chaque visiteur est invité à créer ses propres panoramas, à tisser ses propres liens, à raconter ses propres histoires, à choisir le zoom et l'approche en fonction de ses goûts et intérêts. Dossier de presse de L'Usine Extraordinaire (Grand Palais, 22-25 novembre 2018) C'est une invitation au survol, à l'étude, à la déambulation, voire à la flânerie au coeur de ce parcours où la petite anecdote croise l'Histoire. A chacun de livrer sa lecture personnelle de ces 170 ans d'ingéniosité et de passion, toujours, de confrontation et de questions, inévitablement, de changements de direction, parfois. »

142

Annexe 10 : Photographies frise chronologique, l'Usine Extraordinaire, novembre 2018, Paris

Crédit photo : Agnès Ghonim, L'usine extraordinaire, novembre 2018, Paris

Crédit photo : Agnès Ghonim, L'usine extraordinaire, novembre 2018, Paris

« L'âge minimum du travail : 12 ans en France »

143

Crédit photo : Agnès Ghonim, L'usine extraordinaire, novembre 2018, Paris

144

Crédit photo : Agnès Ghonim, L'usine extraordinaire, novembre 2018, Paris

« Décret instaurant le droit de vote des femmes » « Mise en place du système de protection sociale » « Création de l'ONU »

145

Annexe 11 : Enquête YouGov pour la Fondation Usine Extraordinaire auprès d'un échantillon de 2000 personnes. Sondage en ligne réalisé du 9 au 13 novembre 2018.

(associées à la menace de chômage pour 2970

Les délocalisation

sont une peur ancrée dans les esprits de 44% des Français


·

,

r
·

a ,


·

146

a

0 0

0

0

o

o

Seul 1 Français sur 3 estime 1111 que l'usine est {i suffisamment

I tournée vers les femmes »,

et 2 sur 5

qu'elle est synonyme de;{ travail collaboratif

et d'épanouissement professionnel ».

...mais un vent de renouveau

est en train de souffler I

Les 1B-24 ans sont pris

dl sur

â juger que ('industrie

est un vecteur d'exportations et un levier de compétitivité

Ys, 1 Sur 5 pour la moyenne des Français)

1#A

T

147


·

L'usine d'aujourd'hui est synonyme de « dynamisme territorial » pour 2 Français sur 3,

4

et de « création d'emplois » pour 1 Français sur 2

-44

La capacité de l'industrie â

« donner sa chance »

accueillir toutes les composantes de la société,

est une idée partagée

par plus de la moitié des Français.

*inclusion

r

148

Pour s'ancrer dans le futur,

i l'usine d'aujourd'hui

doit faire rêver les jeunes...

et s'ouvrir davantage aux filles.

1 parent sur 3
aimerait que son enfant
se tourne vers l'industrie.

Cette propension â it projeter une carriére dans l'industrie pur son enfant, est cependant sensiblement supérieure (-s )a ntsi chez les parents de

que de .

149

Les hommes /11/11

sont 2 fois plus nombreux nies

que les femmes

considérer avoir été

{i bien informés »

sur les métiers de l'industrie

durant leur scolarité.

0411.0

150

151

Annexe 12 : Remarques et photographies, l'Usine Extraordinaire

Une fois le tour de la frise fait, on se retrouve entre plusieurs machines monumentales, un concert au fond de la nef finit de placer cette manifestation en haut lieu du renouveau de l'image de l'usine. Un grand stand de la FACE explique à chaque visiteur qui le souhaite les enjeux des nouvelles usines et ses missions, dans laquelle elle place son label « d'intérêt général » en bonne et due place. Ce stand est tenu par une salariée de la fondation qui présente ces actions au sein d'école dont le but est toujours réaffirmé, faire changer d'idée les français sur l'industrie. La Face est, pour cela, présente au niveau des écoles, collège, lycée, et y fait la promotion de l'industrie en amenant directement devant les classes des personnes qui y travaillent. Nous assistons aussi à ce que nous avons décrit plus haut, aucune mention des ouvriers, leur absence soulève un silence assourdissant. La dame qui accueille les visiteurs nous présente alors une série de carte où des métiers sont inscrits, accompagnée de photographies que nous replaçons ici :

On nous explique que ce sont des cartes que la FACE amène lors de rencontres dans les écoles afin de présenter les métiers de l'industrie. En retournant la carte on peut lire « technicien.ne », les mêmes exemples sont constatés plusieurs fois :

Source : Agnès Ghonim, l'Usine Extraordinaire, novembre 2018, Paris

152

153

Source : Agnès Ghonim, L'Usine Extraordinaire, novembre 2018, Paris

On y voit une personne devant une chaîne roulante disposer ce qui ressemble à des sablés dans un bac. Cela rappelle le principe de travail à la chaîne, pourtant, en retournant la carte on voit que le terme de « Responsable de production alimentaire » est préféré à celui d'ouvrier. Ces changements de perception pourraient paraître désuets, pourtant ils contribuent à l'oubli de la condition ouvrière, à ce qui y est attaché pouvant à terme et en étant revendiqué constituer un patrimoine. Ces nouveaux termes sont finalement présentés un peu plus tard au détour d'un stand, comme suit :

C'est à croire que pour les industriels les ouvriers n'existent plus. En changeant les termes de leur métier on les qualifie en fonction de compétences, ce qui enferme chaque individu dans sa tâche. Maurice Halbwachs confirme l'association de mot avec un système de pensée :

« Il faut donc renoncer à l'idée que le passé se conserve tel quel dans les mémoires individuelles, comme s'il en avait été tiré autant d'épreuves distinctes qu'il y a d'individus. Les hommes vivant en société usent de mots dont ils comprennent le sens : c'est la condition de la pensée collective. Or chaque mot compris, s'accompagne de souvenirs, et il n'y a pas de souvenirs auxquels nous ne puissions faire correspondre des mots. Nous parlons nos souvenirs avant de les évoquer ; c'est le langage, et c'est tout le système des conventions sociales qui en sont solidaires, qui nous permet à chaque instant de reconstruire notre

178

passé »

Il est donc essentiel de comprendre ce cheminement qui, en oubliant le qualificatif d'ouvrier peut mettre un terme à la possibilité d'un patrimoine ouvrier. Avec ces nouvelles dispositions on comprend que le patrimoine ouvrier est utilisé dans le but de servir les entreprises. Tout au long des stands se dévoile les performances

178 op. cit .

154

des nouvelles machines, grandes, et impressionnante elles finissent de marquer le visiteur. Les technologies de pointe son présentées, la technique s'illustre là où les ouvriers ne servent plus que d'outil à la machine. A ce sujet, une des grandes lignes qui dirige le parcours de visite est celui de l'emploi. Agissant comme une sorte de salon de recherche d'emploi il n'est pas rare de croiser des visiteurs CV en main à la recherche de responsables des ressources humaines présent sur les différents stands. Les exposants en ont d'ailleurs fait un outil qui sert leur mise en valeur et leur communication. Le stand de Michelin par exemple s'illustre dans ce type de pratique :

Le visiteur se balade sur des écrans tactiles à la recherche d'emploi, jamais il n'est proposé un emploi d'ouvrier. Avant de se trouver dans les espaces qui y sont consacrés un important affichage fait apparaître l'état d'esprit de l'entreprise sur ses équipes :

155

Cette manière de présenter les Hommes qui constituent le poumon d'une usine est assez surprenante. On y voit en quelque sorte des injonctions à la responsabilisation, cela place l'entreprise dans une attitude presque paternaliste qui nie aussi la possibilité pour ses équipes de pouvoir s'organiser par elle-même. Cette organisation de groupes sociaux au centre de l'usine est l'essence du mouvement ouvrier qui mène aujourd'hui à l'affirmation d'un patrimoine ouvrier.

Crédit photo : Agnès Ghonim, L'usine extraordinaire, novembre 2018, Paris

156

157

Crédit photo : Agnès Ghonim, L'usine extraordinaire, novembre 2018, Paris

Crédit photo : Agnès Ghonim, L'usine extraordinaire, novembre 2018, Paris

158

Crédit photo : Agnès Ghonim, L'usine extraordinaire, novembre 2018, Paris

159

Annexe 13 : Photographie de la station de métro parisienne Javel André-Citroën, photographies prises d'articles de presses :

« Un nouveau décor pour le métro Javel - André Citroën » , Le Parisien, 10 juin

2018 :

160

« Citroën investit la station de métro Javel« , Automoto, 15 juin 2018

161

Annexe 14 : Une de l'Humanité en date du 31 mai 1936, Gallica, BNF

162

Annexe 15 : Les raisons d'une inscription, Bassin Minier du Nord pas de Calais, Patrimoine Mondial

163

Annexe 16 : La filiation du patrimoine, parallèle au patrimoine ouvrier

Cette image du patron subsiste encore aujourd'hui et on peut penser au ouvriers Moulinex dont l'association d'anciens travailleurs qui perdure se nomme du nom de son fondateur. Cela interroge beaucoup sur la filiation intrinsèque à la notion de patrimoine car il s'agissait à l'origine des biens du père. Cela montre également que lorsque que les ouvriers cherchent à se désolidariser de la figure du patron pour n'exister et former un patrimoine sur leur seule existence, cela devient extrêmement compliqué. En fait, c'est comme si on refusait aux ouvriers la reconnaissance de leur existence propre en dehors de tout carcan de domination qui s'incarne aujourd'hui notamment dans la non reconnaissance d'un patrimoine qui leur est propre. Est reconnue : la figure du patron, on pense notamment à l'exemple cité précédemment de l'ancienne usine de Citroën, à l'image de la station de métro qui porte son nom et dont l'exposition du génie semble sans limite. D'autant plus ironique et cruelle que Monsieur André Citroën, créateur de voiture était le moins susceptible d'emprunter les couloirs des transports en commun, contrairement aux ouvriers qui travaillaient pour lui. Comme si là aussi, les travailleurs devaient remercier et admirer le travail d'un seul et unique homme, comme si finalement, ils devaient, même en se déplacant, admirer le patronat. C'est bien en se libérant de la figure patronale que le patrimoine ouvrier s'affirme. Il n'est ainsi pas régi à l'accord symbolique ou à la propriété symbolique de leurs existences.

164

Annexe 17 : Nous proposons dans le tableau suivant un récapitulatif des expositions menées par le musée de l'Histoire Vivante depuis 2001 :

PRÉNOM : LOUISE ; NOM : MICHEL - 1830-1905

31 mars - 29 juillet 2001

LES FEMMES S'AFFICHENT

mars - juillet 2003

OCTOBRE 1937 LE MÉTRO ARRIVE À MONTREUIL

20 septembre - 9 novembre 2003

L'ALGÉRIE

septembre 2003 - mars 2004

DE L'INDOCHINE AU VIETNAM

12 mai - 14 novembre 2004

« TOUS AUX BARRICADES » 60ÈME ANNIVERSAIRE DE LA LIBÉRATION 1944-2004

26 septembre 2004 - 21 mars 2005

RÉSIDENCITÉ

18 mars 2006 - 14 janvier 2007

HÔ CHI MINH À PARIS

13 octobre 2007 - 13 janvier 2008

MAI 68 À LA UNE

17 mai 2008 - 11 janvier 2009

LES EXCLU(E)S DU SUFFRAGE - 1789-2007

28 avril 2007 - 13 janvier 2008

JAURÈS ET LA CLASSE OUVRIÈRE

17 octobre - 22 novembre 2009

LA PAROLE CAPTIVE - LA DÉTENTION POLITIQUE EN FRANCE

29 mars 2008 - 11 janvier 2009

LE DON DES MILITANTS

28 mars 2009 - 18 juillet 2010

MENSONGES ET VÉRITÉ : HISTOIRE D'UN INNOCENT

18 novembre 2006 - 19 février 2007

FIGURES DE MONTREUIL

15 octobre 2010 - 17 juillet 2011

NAPOLÉON : AIGLE OU OGRE ?

11 décembre 2004 - 2 décembre 2005

OUVRIER, PATRON

15 octobre 2011 - 16 décembre 2012

INDOCHINE-FRANCE-VIETNAM

Mai 2013 - juillet 2014

165

Depuis 2015 :

DÉ-COUVRONS L'INOUBLIABLE

12 décembre 2015 - 28 février 2016

1914-2014, L'IMPOSSIBLE OUBLI

14 juin - 31 décembre 2014

GRANDIR APRÈS LA SHOAH

8 avril - 30 juin 2015

FEMMES EN MÉTIERS D'HOMMES

17 janvier - 31 décembre 2015

1936 : NOUVELLES IMAGES, NOUVEAUX REGARDS SUR LE FRONT POPULAIRE

9 avril - 31 décembre 2016

L'HISTOIRE DES SOLDATS RUSSES EN FRANCE ET LA MUTINERIE DU CAMP DE LA COURTINE

X

LES RÉVOLUTIONS RUSSES VUES DE FRANCE 1917-1967

29 avril - 31 décembre 2017

1848 ET L'ESPOIR D'UNE RÉPUBLIQUE UNIVERSELLE, DÉMOCRATIQUE ET SOCIALE

24 mars - 30 décembre 2018

LE CAMP D'INTERNEMENT DES TOURELLES 1940-1944

5 octobre 2019 - 26 janvier 2020

VIE ET COMBATS DE JULES DURAND, DOCKER CHARBONNIER 1880-1926

18 mai - 28 juillet 2019

#OUVRIER.E.SAUMUSÉE

23 mars 2019 - 26 janvier 2020

A venir :

Exposition consacré au Congrès de Tours

automne 2020

Exposition sur le Commune de Paris

mars 2021

166

Annexe 18 : Critères de sélection, patrimoine mondial, Unesco

(i) représenter un chef-d'oeuvre du génie créateur humain ;

(ii) témoigner d'un échange d'influences considérable pendant une période donnée ou dans une aire culturelle déterminée, sur le développement de l'architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou de la création de paysages ;

(iii) apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue ;

(iv) offrir un exemple éminent d'un type de construction ou d'ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une ou des périodes significative(s) de l'histoire humaine ;

(v) être un exemple éminent d'établissement humain traditionnel, de l'utilisation traditionnelle du territoire ou de la mer, qui soit représentatif d'une culture (ou de cultures), ou de l'interaction humaine avec l'environnement, spécialement quand celui-ci est devenu vulnérable sous l'impact d'une mutation irréversible ;

(vi) être directement ou matériellement associé à des événements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des oeuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle (Le Comité considère que ce critère doit préférablement être utilisé en conjonction avec d'autres critères) ;

(vii) représenter des phénomènes naturels ou des aires d'une beauté naturelle et d'une importance esthétique exceptionnelles ;

(viii)

167

être des exemples éminemment représentatifs des grands stades de l'histoire de la terre, y compris le témoignage de la vie, de processus géologiques en cours dans le développement des formes terrestres ou d'éléments géomorphiques ou physiographiques ayant une grande signification ;

(ix) être des exemples éminemment représentatifs de processus écologiques et biologiques en cours dans l'évolution et le développement des écosystèmes et communautés de plantes et d'animaux terrestres, aquatiques, côtiers et marins ;

(x) contenir les habitats naturels les plus représentatifs et les plus importants pour la conservation in situ de la diversité biologique, y compris ceux où survivent des espèces menacées ayant une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science ou de la conservation.

168

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Cilac - Le Comité d'information et de liaison pour l'archéologie, l'étude et la mise en valeur du patrimoine industriel : https://www.cilac.com/

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Face - Fondation Agir Contre l'Exclusion : https://www.fondationface.org/

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http://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/observatoire-des-territoires/fr/node

Ministère de l'Economie et des Finances : https://www.economie.gouv.fr/

Musée de l'Histoire vivante : http://www.museehistoirevivante.fr/

OCDE : http://www.oecd.org/fr/

Ticcih - The International Committee for the Conservation of the Industrial

Heritage : http://ticcih.org/

Unesco : https://fr.unesco.org/

Emission radiophonique :

« Droit de cité pour le patrimoine » par Jean-Michel LENIAUD, France Culture, France Culture Plus, première version 2013, mis à jour le 22 janvier 2016, https://www.franceculture.fr/histoire/droit-de-cite-pour-le-patrimoine-par-jean-mi chel-leniaud






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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard