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De la prescription à  la mise en coopération réelle: l'activité des animateurs pédagogiques de l'OCCE en situation de formation


par Rachel GIRARDIN
Université Clermont Auvergne  - Master Sciences de l'Education, parcours "formation de formateurs dans le milieu de l'enseignement" 2022
  

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2 - Cadre théorique

Le cadre théorique que nous utilisons dans ce travail est celui de la clinique de l'activité, telle que l'a définie Clot (2006). Cet article donne les repères nécessaires pour nous guider dans les aspects conceptuels de cette approche par la psychologie du travail.

2.1 Objectifs de la clinique de l'activité

Clot postule que le travail peut être un facteur de bonne santé, en cela qu'il donne, lorsque les conditions sont réunies, du « pouvoir d'agir », c'est-à-dire qu'il permet à son auteur de « créer entre les choses des rapports qui ne lui viendraient pas sans [lui] » (Ganguilhem, cité dans Clot, 2006, p.166). L'auteur a besoin d'être acteur et de « créer du contexte pour vivre », il doit trouver dans la tâche le moyen de se sentir utile. La clinique a pour objectif d'aider les acteurs à retrouver du sens et du pouvoir d'agir dans une activité qui n'en a pas ou plus, afin de leur permettre de se développer professionnellement, tandis que leur métier pourra évoluer avec eux en fonction de ce qu'ils y apporteront. Ainsi, l'analyste accorde une attention particulière aux personnes et au métier qu'elles réalisent. Pour cela, il considère donc autant l'acteur que la situation et la prescription (Clot & Leplat, 2005, p.290).

Une autre caractéristique majeure de l'approche par la clinique de l'activité est qu'elle « se distingue des stratégies classiques d'intervention débouchant sur des préconisations. [...] L'approche dont il est question ici propose la mise en oeuvre d'un dispositif méthodologique destiné à devenir un instrument pour l'action des collectifs de travail eux-mêmes. » (Clot, 2017, p.101-102) Autrement dit, l'accompagnement d'un collectif à l'aide d'une méthodologie fondée sur la clinique a pour but de créer les conditions du développement, lequel est pris en charge par les acteurs. C'est la méthode même qui provoque le développement de la pensée, pouvant éventuellement engendrer une transformation de cette pensée et de l'activité du sujet.

Enfin, dans cette approche, bien que la prescription soit présente, la focale est d'abord dirigée vers le sujet et son activité, dans un cadre éthique qui reconnait son professionnalisme et postule qu'il « a de bonnes raisons de faire ce qu'il fait ». Il y a donc légitimation de l'acteur en tant que professionnel.

2.2 L'inscription de l'acteur dans un métier

Le travail ne s'effectue pas de manière solitaire. Selon Clot, l'activité est toujours adressée à un « sur-destinataire », une instance supérieure à celle qui réalise la prescription, et à laquelle

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l'acteur est redevable car il en fait partie, en hérite et contribue à son renouvellement : le genre professionnel. Ce dernier correspond à la dimension transpersonnelle du métier, l'une des quatre définies par Clot (2007, p.86). Cette dimension porte une grande part des évolutions du métier, notamment parce qu'elle contient l'ensemble des possibles, ce qui est à faire, à dire, à penser, à éviter, à taire. Le genre est donc hautement prescriptif, même s'il est par ailleurs, pour une grande part implicite (Clot, 2017, p.104-105). Cela génère des conflits quotidiens, individuels et collectifs. La clinique vise à faire émerger ces conflits pour les mettre en discussion entre les professionnels concernés, leur permettant de retrouver, de cette manière, du pouvoir d'agir sur leur métier. Pour autant, le genre n'est pas seulement une contrainte, c'est aussi une ressource pour l'activité des sujets. En effet, il « repose sur un principe d'économie de l'action » (Clot, 2017, p.105), qui permet à l'acteur de ne pas sans cesse remettre en question tout ce qu'il fait. Il constitue un réservoir, « un répertoire d'actions et de connaissances » qui concourt à la professionnalité des acteurs (Vanhulle, S. & Lenoir, Y., 2003). Le genre est également un espace commun à l'ensemble des professionnels qui le composent. Il permet, entre autres, la reconnaissance de l'acteur au sein d'une communauté professionnelle. Cet héritage professionnel est une des raisons pour lesquelles l'approche par la clinique de l'activité doit s'inscrire dans le milieu historique et culturel dans lequel elle s'insère. Un temps préalable d'imprégnation est nécessaire à l'analyste pour être en mesure de saisir les éléments potentiellement générateurs de dilemmes professionnels, avant même de réaliser les entretiens d'auto-confrontation.

2.3 Le réel comme base de l'étude de l'activité

Afin de pouvoir faire évoluer le métier, il s'agit de donner aux acteurs les moyens de le rendre transformable. Cela se fait nécessairement à partir de ce qui existe. Pour cela, l'analyste crée les conditions d'un travail sur le travail : il engage des auto-confrontations à partir de captations de situations réelles, portes d'entrée sur la partie invisible du métier, qui permettent à l'acteur de témoigner des conflits qui se font jour en lui et d'en discuter, et à l'analyste de mieux comprendre les dilemmes, les tensions entre les différentes dimensions du métier.

Si l'auto-confrontation simple permet d'avoir une première vue de l'activité Clot (2017, p.123-127) a mis au point un instrument qui permet d'aller plus loin : l'auto-confrontation croisée. Celle-ci permet à deux acteurs de discuter de leur travail, à partir de vidéos sur leur activité, pour démultiplier la résonnance et l'impact de la discussion, sur les plans individuel et collectif, par le biais d'une « dispute professionnelle », respectueuse des personnes qui y prennent part. Les auto-

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confrontations ont pour effet de permettre à chaque acteur de revivre à nouveau son activité au travers d'un espace dialogique. Ainsi, chacun accède à une nouvelle possibilité de développer sa pensée et son activité, par le biais d'une nouvelle formalisation, différente de la précédente (Clot, 2017, p.123-124). Ces transformations peuvent à leur tour être visibles lors des entretiens, et ainsi nourrir conjointement le développement de la pensée. L'activité des sujets, si elle est validée par les pairs, peut alors devenir constitutive du genre professionnel. Inversement, chaque professionnel incarne le genre à sa manière, dans une variante individuelle, endossant ainsi un style professionnel (Clot, 2017, p.158-159). Notons que les auto-confrontations croisées sont en elles-mêmes un élément de reconnaissance du travail des acteurs par leur institution, lorsqu'elle est à l'origine de la demande d'accompagnement.

La mise en oeuvre d'une auto-confrontation se fonde sur la volonté « d'ouvrir la porte à l'émergence des possibles généralement brimés par les contingences de l'expression » (Clot, 2017, p.119). Ainsi, ouvrir un dialogue revient à laisser la possibilité de changer de point de vue et notamment de réorganiser sa façon de penser son travail. Dans cet espace dialogique, l'acteur est confronté à une situation qu'il a déjà vécue, qu'il décrit, expliquant les raisons de ses choix, et découvrant par là-même des alternatives ou des affirmations de lui-même par le biais de prises de conscience Clot (1997, p.317). Il prend de la distance par rapport à son propre travail, ce qui rend possible le développement, parce qu'il « parvient à se détacher de son expérience afin que celle-ci devienne un moyen de faire d'autres expériences » (Clot, 2017, p.128). Il élargit de ce fait son rayon d'action, augmente son pouvoir d'agir. En outre, cette mise à distance permet de rationaliser son activité et contribue à sa professionnalisation. La transformation de la pensée par l'auto-confrontation permet à l'acteur de mieux comprendre les situations de travail qu'il rencontre, et d'agir de manière plus libre et plus satisfaisante pour lui.

Il est à noter que la mise en oeuvre de cette méthodologie, parce qu'elle produit un déséquilibre, affecte le sujet, dans le sens de sa transformation psychique, mais également, dans certaines situations, d'un point de vue émotionnel. Il est possible entre autres de générer de la peur, du fait de se retrouver face à sa propre image, ou face à la possibilité de changement. Cet élément est à prendre en compte, de manière à créer un cadre sécurisant, dans lequel l'acteur sera obligatoirement volontaire et pourra faire preuve de l'authenticité nécessaire à l'objectivation de ses propres compétences.

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2.4 Prescription

Toute activité professionnelle a besoin d'être orientée, de manière à ce que l'ensemble des tâches qui la composent soient réalisées. C'est la raison d'être des textes prescripteurs, qui correspondent, selon Leplat (2004, p.196), à « dire ce qui doit être fait dans des conditions données pour obtenir un certain résultat ». Daniellou (2002, p.10) propose une autre définition, qui fait référence au prescripteur : « une injonction de faire, émise par une autorité ». Selon Veyrac, H. et al. (1997), la prescription servirait en outre de référentiel de la tâche et d'aide-mémoire des actions nécessaires à sa réalisation, qui pourront d'ailleurs être progressivement incorporées au répertoire d'actions de l'agent. La prescription n'est utile, pour Leplat, que si le prescripteur perçoit un décalage entre la compétence perçue de l'agent et les exigences de la tâche à réaliser, et qu'il devient alors obligatoire de rendre explicite ce qui risquerait de ne pas advenir sans elle.

Leplat (2004) décrit quelques caractéristiques de la prescription. Elle peut revêtir des formes diverses (orales ou écrites), être accessible sur différents supports (papier, numérique) et être codée par différents langages (texte, pictogramme, infographie...). Il arrive qu'elle soit implicite, lorsque le prescripteur estime que l'agent maîtrise les compétences de base qui lui servent à effectuer la tâche, ou lorsqu'il pense que leur apprentissage peut être inféré par le travail entre pairs. Enfin, une part des prescriptions correspond à des phases de contrôle en aval de l'effectuation de la tâche (Leplat, 2000, cité par (Daniellou, s. d.)), ce qui demande à l'agent d'imaginer comment faire son travail en fonction de la façon dont il sera évalué. Notons aussi les conclusions des ergonomes Mayen & Savoyant (2002, p.129), qui indiquent que les prescriptions sont toujours teintées des valeurs, intentions et conceptions du travail des personnes qui en sont à l'origine, et qui, par là-même, influencent les représentations et les valeurs de l'agent.

Dans certains environnements de travail où les paramètres varient souvent, parfois de manière imprévue, et influent en permanence sur la situation, la stratégie de réalisation de la tâche est laissée à la discrétion de l'agent. La prescription mentionne alors des « missions », pour lesquelles seul l'objectif général est donné. C'est ce que Faïta & Duc (1996, cités par (Leplat, 2004)) nomment des « organisations du travail à prescription floue ». Leplat (2004, p.201) note que ces organisations sont celles qui laissent en général une grande autonomie à l'acteur, dans un cadre de travaux collectifs, et que les prescriptions sont la plupart du temps formulées à l'oral par des responsables des collectifs en question.

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Par ailleurs, dans un grand nombre de domaines, les personnes sont aussi confrontées à des prescriptions dites « remontantes » (Daniellou, 2002, p.13), émanant de différentes sources : publics rencontrés, matériaux utilisés, conditions environnementales... qui ont leurs propres contraintes dont il faut tenir compte. Daniellou pointe également la pression que constituent ce qu'il appelle « les sources internes de prescription », composées notamment des valeurs propres à l'acteur, qui influent sur son travail et la manière de réaliser les tâches confiées. Ainsi, l'acteur est soumis à des prescriptions multiples, ce qui pousse Daniellou à redéfinir la prescription comme l'ensemble des « pressions diverses exercées sur l'activité de quelqu'un, de nature à en modifier l'orientation ». Cet ergonome oppose de ce fait la volonté de « prescription totale » cherchant à rendre le travail prédictif et contrôlable, à la réalité de l'activité, qui fait nécessairement face à l'imprévu. Pour lui, il est impératif de laisser des marges de manoeuvre à l'acteur dans la prescription même, de manière à montrer que cette réalité et ses conséquences sur le travail sont prises en considération par le prescripteur. Pour autant, il décrit les risques psychologiques inhérents à une prescription aux contours trop flous : en effet, dans ce cas, l'acteur se trouve confronté à l'obligation de faire « pour le mieux », dans des situations complexes pour lesquelles aucune solution, aucun moyen, aucune technique, ne lui est donné pour les résoudre. Dans ce cas, l'acteur se doit d'inventer toutes les solutions à mettre en oeuvre.

(Brangier & Barcenilla, 2003) ajoutent que le prescripteur, lorsqu'il rédige la prescription, le fait par rapport à sa propre conception de la tâche, sans se rendre compte que l'agent n'aura peut-être pas la même conception. Cela alerte sur la nécessité de prendre en compte l'activité de l'agent et pas seulement la tâche, ce que confirme Leplat (2004, p.12), qui voit la prescription comme un outil de travail pour l'agent, de manière à ce qu'elle ne soit pas uniquement vue comme une contrainte, au risque d'être préjudiciable au travail à effectuer. En effet, Leplat insiste sur l'importance, pour l'acteur, de comprendre le bien-fondé de la prescription. Il s'appuie sur les travaux de Caroly (2002) pour indiquer qu'un agent qui ne comprend pas une procédure imposée créé nécessairement son propre modèle pour réussir la tâche. Il redéfinit alors la tâche prescrite par sa propre perception de la situation. Ces remarques rejoignent les conceptions de Clot, sur le rôle des acteurs d'un métier dans la définition de leur propre travail. Cette dimension liée à la prescription prend le nom d'« instance impersonnelle » dans les caractéristiques du métier vues par Clot.

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2.5 Décalage entre prescription et activité réalisée : le réel de l'activité

Nous l'avons dit, pour faire évoluer le métier, il faut permettre aux acteurs de discuter de ce qu'ils font et ne font pas, en regard de ce qui leur est demandé. Nous parlerons donc ici de la « tâche » pour nous référer à ce qui est à faire de façon visible, ce qui doit être produit par l'acteur, selon la demande du prescripteur. Nous la comparerons ensuite à l'activité réalisée, visible, donc observable, filmée. Pour reprendre les mots de Leplat & Hoc (1983, cités dans Clot, 2017, p.89) : « La tâche est ce qui est à faire, l'activité ce qui se fait ». Cette activité visible servira de base à la discussion qui ouvrira enfin la porte vers le réel de l'activité, autre dimension introduite par Clot (1999) pour signifier l'importance de toute l'activité invisible. Cette dernière correspond à l'ensemble de ce que l'acteur fait, mais aussi ne fait pas, ce qu'il tente de faire sans y parvenir, ce qu'il fait pour éviter de faire certaines choses qui sont à faire mais qu'il ne veut pas faire ou encore ce qu'il fait qu'il aurait voulu ne pas faire. L'activité réelle correspond à l'écart entre ce qui est réalisé et ce qui est réel pour l'acteur, c'est-à-dire tous les choix qui se présentent à lui, toutes les contraintes, tous les imprévus, auxquels il doit faire face et qu'il doit traiter, tout en continuant de tendre vers la résolution de la tâche. Le conflit permanent que mène l'acteur entre ce qu'il doit faire et ce qu'il peut faire correspond à sa véritable activité. Son travail réel est donc non seulement composé de ce qu'il a réalisé et est visible, mais aussi de tout ce qu'il n'a malgré lui pas pu réaliser (Clot, 1999). Ce travail réel n'est pas accessible directement ni facilement. Il serait donc impossible, selon Clot, de comprendre l'activité d'un travailleur sans chercher à cartographier le plus largement possible l'ensemble des dimensions qui le poussent à agir ou à ne pas agir.

2.6 Une dimension contrariée : l'activité empêchée

L'activité réalisée est, selon Vygotski (1997)« le système des réactions qui ont vaincu ». L'activité réelle met l'acteur en conflit permanent pour lui permettre de réaliser la tâche en tenant compte de tous les éléments qui le contraignent. Parmi ceux-ci, il faut noter la présence de tout ce qui entrave l'activité du sujet, ce qui l'empêche d'atteindre son but, ce qui l'arrête momentanément, voire, ce qui le pousse à agir de manière contraire à ce qu'il avait prévu ou souhaité. Cette dimension contrariée est nommée « activité empêchée » (Clot, 1997).

Ainsi, la clinique de l'activité se définit comme une méthode d'intervention non normative, comprise dans le champ de l'analyse du travail, qui met en relation les dimensions extrinsèque et intrinsèque de l'activité. L'objectivité de l'activité réalisée rencontre la subjectivité de l'acteur à

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partir de ce qu'il dit de ce qu'il fait et de la raison pour laquelle il dit qu'il le fait lors de l'auto-confrontation simple. Les auto-confrontations croisées apportent l'intersubjectivité décrite par Vygotski (1997)Enfin, la prise en compte de l'activité empêchée et de la prescription complète les caractéristiques de cette approche.

Le cadre de la clinique de l'activité, nous l'avons vu, peut être une approche intéressante pour aider les acteurs d'un métier à trouver du pouvoir d'agir, continuer de se développer professionnellement, tout en contribuant à l'évolution de leur métier. Ainsi que les éléments de la revue de littérature l'indiquent, le métier d'animateur socio-culturel est encore mal défini, complexe à appréhender, voire, en mutation selon certains. Il semble donc que l'approche par le cadre de la clinique de l'activité, en regard de notre contexte d'étude, pourrait apporter des éléments utiles au métier d'animateur pédagogique à l'OCCE. Ainsi, au regard de ce cadre théorique et de la revue de littérature, nous avons fait évoluer l'objet d'étude défini plus haut en objet de recherche : il s'agit de comprendre l'activité des animateurs pédagogiques de l'OCCE à travers ce qu'ils disent de ce qu'ils font et ne font pas de la mise au travail coopérative des formés dans le cadre de leurs missions de formation.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault