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Transition démocratique dans le monde arabo-musulman : le cas de la Tunisie

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par Mourad Ben Abdallah
Université de Genève - licence ès sciences politiques 2006
  

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6. Dimension politique

6.1. Contrôle de la société

En plus des dimensions culturelle et économique, celle du contrôle politique pourrait également influencer les blocages de la démocratisation tunisienne. Avec les transformations sociales des années 1970 et 1980 et la lutte pour la succession d'un Bourguiba vieillissant, la domination de l'élite politique néo-destourienne qui l'entourait s'affaiblit peu à peu aux profits de la montée de nouvelles élites sectorielles, notamment économiques, qui prennent l'ascendant sur un système usé137(*) et structurent ensemble un nouveau type de leadership basé sur une interdépendance respective où chacune, en échange de son allégeance au pouvoir politique, dispose en retour d'une certaine marge de manoeuvre138(*). Parmi ces nouvelles élites, les différents services de sécurité (dont la police et la garde nationale), renforcés par la répression des troubles du tournant des années 1980139(*) (dont la grève générale de 1978 et les émeutes de 1984) puis du mouvement islamiste140(*), acquièrent une position clé dans l'articulation du nouveau système. Dans ce contexte, la police aurait vu ses effectifs être multipliés par quatre depuis 1987, passant de 20 000 à 85 000 hommes, soit 1 pour 100 habitants, alors qu'en France ce ratio n'est que de 1 pour 300141(*). De plus, sa professionnalisation et son autonomisation par rapport aux autres sphères étatiques142(*) renforceraient l'emprise de celle-ci sur les individus soumis à la peur diffuse d'être soumis non aux procès politiques de l'ère bourguibienne mais à des tracasseries administratives en cas d'engagement trop critique envers le régime. Ce processus entretiendrait alors « une citoyenneté passive marquée par le repli sur la sphère domestique [...] »143(*). Cependant, les forces de l'ordre seraient elles aussi victimes, comme d'autres sphères étatiques, des différentes luttes et rivalités qui traversent l'ensemble du système144(*). Autre acteur du nouveau système, l'armée tunisienne ne joue pourtant pas le rôle qu'elle peut encore avoir en Algérie. Ainsi, le pouvoir bourguibien a toujours considéré les forces armées comme une menace potentielle et leur a toujours conféré des moyens limités145(*) tout en s'abstenant de toute utilisation politique146(*). Mais, suite à son intervention accrue lors des troubles des années 1980 (notamment lors de l'assaut contre la ville de Gafsa) et à la prise de fonction du président Ben Ali, qui porte par ailleurs le grade de général, celle-ci s'est vue valorisée, notamment par la hausse de son financement147(*), sans toutefois remettre en cause sa position de soumission au pouvoir civil. Quant au système judiciaire, l'arbitraire et la corruption que certains dénoncent seraient « liés à la pratique frauduleuse en vigueur »148(*) et remonterait à la création de la Haute Cour qui ouvrit la voie à « une justice politique [...] se dissimulant souvent sous des affaires de droit commun »149(*). Malgré ces divers éléments, le gouvernement tunisien a toujours nié l'existence de violations des droits de l'homme alors même qu'une commission en vue d'enquêter sur ce type d'exactions fut mise en place en 1991150(*) et qu'une section dédiée aux droits de l'homme a été créée plus récemment dans ce même but au sein du ministère de la justice151(*).

Dans le domaine médiatique, la liberté d'expression est garantie par la constitution mais est soumise aux « conditions inscrites dans la loi ». Or, celle-ci comporte des restrictions telles que le délit de diffusion de « fausses informations » qui a permis la condamnation de plusieurs journalistes152(*). Toutefois, il est nécessaire de rappeler que, durant les premières années de la présidence Ben Ali, « des espaces de libertés s'étaient créées, y compris dans les associations officielles »153(*). Mais, pour Larbi Chouikha, cette « éclaircie » n'aurait servi qu'à faire patienter la société en vue de fonder une nouvelle légitimité permettant de renouveler l'assise du régime154(*). Toutefois, d'autres mesures ont été prises par la suite dont le dernier exemple, daté du 9 janvier 2006, est la fin de la procédure du « dépôt légal » pour les périodiques tunisiens. Celle-ci consistait à déposer les publications auprès du ministère de l'intérieur afin de recevoir un récépissé autorisant leur impression et leur distribution. Ceci va dans le sens d'une libéralisation, certes mesurée, de la presse. Pourtant, la répression contre les islamistes au cours des années 1990 a conduit à la réduction de l'espace médiatique qui est aujourd'hui majoritairement aux mains de l'État (qui contrôle 6 des 8 principaux quotidiens155(*)) ou de privés considérés comme proches du régime156(*). Faire paraître une publication serait aussi soumise, en plus de la législation, à un « code de bonne conduite » qui serait toutefois implicite et évoluant selon le contexte157(*). De plus, le gouvernement, qui encadre l'impression et la distribution de la presse, peut retirer les nombreux encarts publicitaires publics aux journaux trop critiques sans pour autant devoir les censurer ouvertement. En conséquence de quoi, les Tunisiens supporteraient « de moins en moins le décalage entre ce qu'ils vivent et le discours officiel »158(*), phénomène qui caractériserait une « étatisation rampante de la société » allant en parallèle à la privatisation de l'État159(*). Mais, avec l'apparition des nouvelles technologies de l'information, l'accès des Tunisiens à d'autres sources d'informations est possible bien que demeurant pour l'instant limité à la sphère privée, l'espace public restant dominé par une relative uniformité du discours politique relayé par les médias publics, si l'on ne tient pas compte des publications des partis de l'opposition légale qui disposent toutefois d'un tirage relativement limité.

Dans le domaine politique, les différentes élections tenues depuis 1989, lorsque le président Ben Ali s'est présenté aux suffrages des électeurs pour la première fois, ont provoqué des critiques dénonçant la fermeture du champ politique. Ainsi, le fait que le président nomme personnellement 7 des 9 membres du Conseil constitutionnel, qui a notamment la charge de valider les candidatures à la présidence, participe à ce climat politique conflictuel, de même que le maillage du tissu associatif, que ce soit au niveau national ou local, qui reste ouvertement ou non sous le contrôle de partisans du RCD160(*). Pourtant, de nombreuses mesures ont été prises dès 1987 comme la suppression de la Cour de sûreté, l'amnistie de nombreux prisonniers politiques et la légalisation de plusieurs partis. La signature en 1988 du Pacte national permet au gouvernement de prescrire les conditions du nouveau jeu politique et la création d'un quota de sièges parlementaires réservés aux partis de l'opposition légale permet ensuite son entrée au parlement161(*). Toutefois, selon Olfa Lamloum, cela se serait fait au prix d'une acceptation par l'opposition de la mainmise du RCD sur la vie politique nationale162(*). Il faut en effet attendre les élections du 24 octobre 1999 pour que des candidats autres que le président Ben Ali soit autorisé à se présenter aux présidentielles suite à une modification de la loi électorale. Néanmoins, les candidats, qui sont à la tête des partis de l'opposition légale, apportèrent ouvertement leur soutien, durant la campagne, à la politique présidentielle, ce que Daniel Brumberg décrit comme une « autocratie pluraliste »163(*). Le système politique conserve ainsi certains aspects du parti-État car « même en cas d'apparition d'autres partis, [il est clair que] son éviction totale n'est pas imaginable sans rupture, sans changement complet du système »164(*). Cela s'expliquerait également, selon Michel Camau et Vincent Geisser, par le fait que les partis d'opposition tendent à « reproduire les modes de fonctionnement autoritaires »165(*) du RCD, processus consolidé par leur nature de « clubs politiques épisodiques »166(*) structurés autour d'une personnalité167(*) et non autour d'un programme défendu auprès de la population. La coupure entre élite, en position autoproclamée d'éclaireur, et population est donc conforté, car les partis de l'opposition ne « remplissent aucune fonction de médiation entre la société civile et la société politique » bien au contraire168(*). Malgré cela, dans ce contexte difficile, la candidature plus critique de Mohamed Ali Halouani (soutenu par Ettajdid et diverses personnalités du secteur associatif) aux élections du 24 octobre 2004 a illustré le besoin d'un débat politique plus marqué au sein de l'opinion publique. Mais cette alternative reste fragilisée par l'appel au boycott d'autres partis de l'opposition légale (tels le PDP ou le FDTL), pour qui participer au système électoral entraîne l'acceptation de la légitimité du régime169(*). Cela illustre à nouveau les luttes entre et à l'intérieur de ces groupes quant à la ligne à adopter vis-à-vis du gouvernement170(*). Cependant, comme l'indique Dale F. Eickelman, une analyse qui serait strictement limitée aux résultats électoraux plébiscitaires ne permettrait pas de saisir toutes les évolutions de la société tunisienne171(*).

L'ensemble de ces maillages semblent freiner la démocratisation car ils entraînent des difficultés à exprimer des avis contraires à la ligne défendue par le gouvernement. Pourtant, l'extension de l'accès des jeunes générations à l'instruction supérieure et aux modes alternatifs d'information laissent entrevoir la nécessité pour le régime de considérer une plus grande implication populaire dans la fixation des objectifs politiques172(*). Dans ce sens, des expressions de mécontentements, notamment des manifestations de chômeurs ou de lycéens, ont pu avoir lieu à diverses reprises, ce qu'Éric-Alain Mayoraz désigne comme des « résistances spontanées »173(*). Même si elles sont pour l'instant limitées à des questions techniques et non pas ouvertement politiques, elles n'ont jamais pu être structurées par un relais politique crédible. On peut les considérer comme les repères d'une démocratisation future ou comme un risque lié à un « ras-le-bol que personne n'est en mesure de canaliser »174(*). Pourtant, un renversement des comportements qui s'élargirait simultanément à différents secteurs de la société pourrait créer une fenêtre d'opportunité pour une évolution possible du régime175(*), sans toutefois pouvoir juger du calendrier ni de la nature de cette hypothétique évolution.

* 137 CAMAU, Michel et GEISSER, Vincent, op. cit., p. 180-181

* 138 Ibid., p. 191

* 139 MAYORAZ, Éric-Alain, op. cit., p. 26

* 140 CAMAU, Michel et GEISSER, Vincent, op. cit., p. 206

* 141 LAGARDE, Dominique, « Consomme et tais-toi », L'Express, 16 octobre 1997, http://www.lexpressemploi.net/info/monde/dossier/tunisie/dossier.asp?ida=408876, consulté le 18 décembre 2005

* 142 CAMAU, Michel et GEISSER, Vincent, op. cit., p. 203-205

* 143 Ibid., p. 39

* 144 Ibid., p. 356-357

* 145 MAYORAZ, Éric-Alain, op. cit., p. 62

* 146 CAMAU, Michel et GEISSER, Vincent, op. cit., p. 164-165

* 147 WATERBURY, John, op. cit., p. 146

* 148 DELHOMME, Célia, op. cit., p. 19

* 149 CAMAU, Michel et GEISSER, Vincent, op. cit., p. 151

* 150 WALTZ, Susan, « The Politics of Human Rights in the Maghreb », in ENTELIS, John P. [édité par], Islam, Democracy, and the State in North Africa, éd. Indiana University Press, Bloomington, 1997, p. 75

* 151 HENRY, Clement M., op. cit., p. 188

* 152 FREEDOM HOUSE, « Freedom of the Press - Tunisia », Freedom of the Press, http://www.freedomhouse.org/template.cfm?page=16&year=2005&country=6850, consulté le 11 janvier 2006

* 153 LAGARDE, Dominique, « Consomme et tais-toi », L'Express, 16 octobre 1997, http://www.lexpressemploi.net/info/monde/dossier/tunisie/dossier.asp?ida=408876, consulté le 18 décembre 2005

* 154 CHOUIKHA, Larbi, op. cit., p. 200

* 155 FREEDOM HOUSE, « Country Report - Tunisia », Freedom in the World, http://www.freedomhouse.org/template.cfm?page=22&year=2005&country=6850, consulté le 11 janvier 2006

* 156 FREEDOM HOUSE, « Freedom of the Press - Tunisia », Freedom of the Press, http://www.freedomhouse.org/template.cfm?page=16&year=2005&country=6850, consulté le 11 janvier 2006

* 157 CHOUIKHA, Larbi, op. cit., p. 198-199

* 158 LAGARDE, Dominique, « La fronde des jeunes », L'Express, 18 mai 2000, http://www.lexpressemploi.net/info/monde/dossier/tunisie/dossier.asp?ida=408871, consulté le 18 décembre 2005

* 159 CHOUIKHA, Larbi, op. cit., p. 199

* 160 DELHOMME, Célia, op. cit., p. 38

* 161 WATERBURY, John, « Une démocratie sans démocrates ? », in SALAMÉ, Ghassan [sous la dir. de], Démocraties sans démocrates. Politiques d'ouverture dans le monde arabo-musulman et islamique, éd. Fayard, Paris, 1994, p. 111

* 162 LAMLOUM, Olfa, op. cit., p. 110

* 163 LAGARDE, Dominique, « Ces pays n'ont pas eu de chance », L'Express, 6 novembre 2003, http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/mondearabe/dossier.asp?ida=411438, consulté le 21 décembre 2005

* 164 MAYORAZ, Éric-Alain, op. cit., p. 63

* 165 CAMAU, Michel et GEISSER, Vincent, op. cit., p. 253

* 166 Ibid., p. 237

* 167 Ibid., p. 251

* 168 Ibid., p. 249

* 169 LAGARDE, Dominique, « Fallait-il boycotter Ben Ali ? », L'Express, 18 octobre 2004, http://www.lexpressemploi.net/info/monde/dossier/tunisie/dossier.asp?ida=429878, consulté le 18 décembre 2005

* 170 CAMAU, Michel et GEISSER, Vincent, op. cit., p. 250

* 171 EICKELMAN, Dale F., op. cit., p. 32

* 172 Ibid., p. 35

* 173 MAYORAZ, Éric-Alain, op. cit., p. 90

* 174 LAGARDE, Dominique, « La fronde des jeunes », L'Express, 18 mai 2000, http://www.lexpressemploi.net/info/monde/dossier/tunisie/dossier.asp?ida=408871, consulté le 18 décembre 2005

* 175 CAMAU, Michel et GEISSER, Vincent, op. cit., p. 226

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