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Politique, pauvreté et stabilité. le Sénégal peut-il basculer dans des violences sociales

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par Vivien MANEL
Institut français de géopolitique - Université Paris 8 - Master I géopolitique 2008
  

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Université Paris 8

**********

Institut Français de Géopolitique

POLITIQUE, PAUVRETE ET STABILITE, LE

SENEGAL PEUT-IL SOMBRER DANS DES

VIOLENCES SOCIALES ? »

Photo de la marche de protestation contre les délestages d'électricité
Lundi 31 Août 2009 à Niary talli (Dakar)

Présenté par Vivien MANEL

Numéro étudiant : 254165

Sous la direction de M. Alain GASCON et Mme Barbara LOVER

2008-2009

1

DEDICACES

Je dédie ce mémoire

- à ma Mère,

- à ma très chère épouse Geneviève, - à mes frères et soeurs,

- à mes amis de tous les jours

REMERCIEMENTS

Mes remerciements s'adressent à :

M Alain Gascon, Mme Barbara Loyer et Mme Béatrice Giblin pour leurs conseils avisés ;

Ma tendre épouse Geneviève pour son indéfectible soutien tout au long de cette recherche ;

Toutes les personnes qui ont bien voulu donner de leurs temps pour répondre à nos interrogations ;

A tous ceux qui de près ou de loin ont participé à la confection de ce mémoire.

3

SOMMAIRE

Sigles et abreviations~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ 5

Cartographie du Senegal 6

Introduction~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ 10

Première partie : manifestations et troubles sociaux : quelles menaces pèsent sur la stabilité du Sénégal 7 ~~~~~~~~~~~~~~. 18

A - les mouvements de protestation sociale : les pouvoirs de la rue ? 20

A - 1 : les emeutes de la faim~~ ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ 20

A - 2 : La marche des Imams de Guédiawaye dans la banlieue de Dakar 23

A - 3 : La manifestation de Kédougou~~~~~~~~~~~~~~~~~. 27
A - 4 : Des grèves scolaires et universitaires à répétition~~~.~~~~~ 32

B - Chômeurs et très nombreux, les jeunes s'entassent dans les centres urbains : doit-on craindre le péril jeune ? ~~~~~~~ 38

Deuxième partie : Que peuvent engendrer les conflits de pouvoir entre les autorités publiques et certaines composantes de la population (armée, presse, opposition confréries religieuses)? 48

A - Les relations tendues entre presse, médias et pouvoir politique : des
rivalités de pouvoir lourdes de conséquences ? 50

B - Luttes de pouvoir entre opposition et coalition présidentielle, que peuvent engendrer ces conflits politiques ? 58

C - Relations entre islam confrérique et pouvoir politique : assiste-t-on à l'emergence d'une confrerie d'Etat et quelles pourraient en être les conséquences pour la stabilité du pays ? 62

D - Le vote militaire : une armée partisane ? 68
Troisième partie : les méfaits de la pauvreté et des inégalités sociales face aux adoptées par les autorités publiques : quelles conséquences sur la stabilité du Sénégal 7 78

A - Santé et pauvreté dans la région de Dakar : est-ce mieux dans la capitale 7 81

B - Santé et pauvreté dans la région de Tambacounda........................... 93

C - la déstructuration du système agricole et ses conséquences............ 101

D - les programmes mis en oeuvre pour lutter contre la pauvreté : une discrimination spatiale qui renforce les inégalités sociales 7~ ~~~~ 108

D - 1 : les programmes agricoles 108

D - 1 - 1 : le plan REVA7 108

D - 1 - 2 : La Goana (grande offensive agricole pour la nourriture et

l'abondance)..................................................................................... 109

D - 2 : Programme pour l'emploi des jeunes : l'office pour l'emploi des jeunes
de la banlieue de Dakar (ofejban) ............... 112

Conclusion....................................................................................... 116

Bibliographie 125
Glossaire

Annexes

5

SIGLES ET ABREVIATIONS

AMARC : association mondiale des radios communautaires

CNUCED : conférence des nations unies sur le commerce et le

développement

DSRP : document de stratégie de réduction de la pauvreté

ENA : école nationale d'administration

FNUAP : fond des nations unies pour la population JICA : coopération japonaise

OMS : organisation mondiale de la santé

RADDHO : rassemblement africain pour la défense des droits de l'homme RGPH : recensement général de la population et de l'habitat

RSF : reporter sans frontière

RTS : radio télévision du Sénégal

UCAD : université Cheikh Anta Diop de Dakar UED : union des étudiants de Dakar SENELEC : société nationale d'électricité

SGO : sabodola gold opération

WARD : west african radio democracy

7

9

INTRODUCTION

Le pacifique changement de régime et le renouvellement des acteurs politiques survenus à la faveur de la victoire de l'opposition lors des élections présidentielles du 19 mars 2000 avaient suscité un immense espoir pour une grande majorité du peuple sénégalais. L'espoir de lendemains qui chantent, où les dérives politiciennes du régime socialiste devraient disparaître au profit de la bonne gouvernance politique et d'un mieux être socio économique ne semblaient plus inaccessibles. D'autant qu'après la dévaluation du 12 janvier 1994 qui fit perdre à la monnaie régionale, franc CFA, 50% de sa valeur par rapport au Franc français, le pays a connu une croissance économique soutenue qui est passée de 2,9% à 5% entre 1995 et 2000. Aussi, les Sénégalais s'attendaient à ce que, grace à une gestion politique saine et à la répartition équitable des dividendes de la croissance, leurs conditions de vie soient sensiblement améliorées.

Le nouveau Président, Maître Abdoulaye Wade, juriste, économiste et professeur d'Université qui plus est, s'était évertué pendant les différentes campagnes électorales auxquelles il a participé, à promettre, entre autres, le kilogramme de riz à 60 Francs Cfa (environ 0,09 euro), le plein-emploi à une population majoritairement jeune et une rupture d'avec les pratiques politiques du régime socialiste, avait eu le temps, du moins croyait-on au Sénégal, d'analyser et de comprendre « l'homo senegalensis », pour emprunter le mot du professeur Malick Ndiaye, ses aspirations et ses ambitions, son mal-vivre et la précarité de sa condition sociale et économique mais aussi son rejet de la mal gouvernance.

Mais, après un mandat de cinq ans, les résultats atteints sont loin et semblent s'éloigner de plus en plus de l'immense espoir et des attentes placées dans l'alternance. Tout porte à croire que les sentiments les mieux partagés par les populations sont le désenchantement et une grande désillusion. La pauvreté continue de faire des ravages et la mal gouvernance reste érigée en principe de gestion de l'Etat. De telle sorte que, certains analystes et observateurs de la scène sociale et politique sénégalaise comme

10

Abdoul Latif Coulibaly en soient au point de craindre que la gestion politique du pays et la dégradation des conditions sociales n'engendrent des troubles sociaux. Pourtant, ni la pauvreté ni la mal gouvernance ne sont nouveaux au Sénégal.

En effet, si cet Etat apparaissait comme une oasis de démocratie dans un Continent en proie à de multiples troubles, ce n'était pas tant que les pratiques démocratiques y étaient exemptes de toute critique, mais plutôt parce que ses premiers dirigeants avaient réussi à fédérer les populations autour de ce que Senghor appelait une « commune volonté de vivre ensemble ». Cependant dans la gestion quotidienne de l'Etat nombre de manquements aux principes de la démocratie étaient relevés. Comme le soutient Antoine Tine : « Léopold Sédar Senghor, qui pourtant donnait l'image d'un homme politique modéré, humaniste et démocrate et d'un intellectuel ouvert au dialogue, exerça le pouvoir politique d'une façon autoritaire. Le régime senghorien reposait sur un exécutif fort, un parti de masse hégémonique, l'UPS, un Etat jacobin et le soutien maraboutique. (...) on peut dire que le Sénégal vivait alors une période autoritaire, où la politique était essentiellement à base de clientélisme, de patronage et d'achat des allégeances. Le système parlementaire fut remplacé par un régime présidentialiste, fortement personnalisé, patrimonialisé et centralisé, dans lequel l'opposition politique était soit tolérée et cooptée soit réprimée... »2. Senghor avait une idée bien précise du rôle que devaient jouer les partis de l'opposition, en particulier en cette période de construction de l'Etat et de la Nation sénégalais. En effet, il estimait que ceux-ci « ne pouvaient être tolérés que s'ils expriment des critiques constructives et cherchent à atteindre le méme but que le parti au pouvoir, c'est-à-dire empêcher que les divers groupes sociaux ne se cristallisent en classes destinées à s'affronter... » (Hesseling, 1985). Confrontée à la confiscation et à la centralisation du pouvoir - Senghor voulant rester seul « maître à bord » - l'opposition était obligée d'évoluer dans

2- Antoine TINE dans « Léopold Senghor et Cheikh Anta Diop face au panafricanisme : deux intellectuels, même combat mais conflit des idéologies » in Intellectuels, nationalisme et idéal panafricain. Perspective historique pp. 129-157. Dakar : CODESRIA, 2005.

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la clandestinité car ne pouvant s'exprimer ni librement ni publiquement du fait de brimades et de violences dont elle était victime. Héritier de la pensée politique senghorienne, Abdou Diouf a instauré officiellement le multipartisme. Toutefois, il lui a été reproché, entre autres, pendant les vingt années qu'il a passé à la tête du Sénégal, des processus électoraux tronqués, des opposants emprisonnés une gestion gabegique des deniers publiques et des ressources de l'Etat alors que le pays était en proie à un marasme économique grandissant.

Toutefois, l'économie du pays n'a jamais été réellement florissante, loin s'en faut. La seule période d'embellie économique liée à l'euphorie des années post-indépendance et à une conjoncture favorable pour les monocultures de rente héritées de la période coloniale (arachides) et les phosphates, n'a été que de courte durée. Car « l'Etat providence », comme son nom l'indique, qui subventionnait tous les secteurs productifs, mettait en oeuvre de grands projets d'investissement, des mesures et des facilités sociales, n'avait pas fait illusion pendant longtemps. Dès le début des années 1970, la dégradation des écosystèmes sous l'effet de la sécheresse et d'une forte pression démographique sur les ressources naturelles a entraîné une désarticulation des systèmes agro-pastoraux, aggravant du coup l'insuffisance de la production, la baisse drastique des quantités des produits d'exportation et des revenus des paysans, et l'incapacité croissante de l'Etat à satisfaire les besoins primaires.

L'essoufflement de l'« Etat providence » se traduisit par une dégradation progressive de la trésorerie et des finances publiques. C'est pourquoi à la fin des années 1970, ne pouvant plus faire face aux charges publiques courantes, l'Etat avait fait appel aux Institutions financières internationales, la Banque mondiale (BM) et le Fond monétaire international (FMI) pour financer les déficits de son économie. La mise en oeuvre des politiques de stabilisation suivie des Plans d'ajustement structurels dès 1979 obligeaient l'Etat à se désengager progressivement des secteurs productifs et à lancer leur privatisation. Mais, outre le désengagement de l'Etat, l'inexistence d'un secteur privé capable de se substituer à lui pour conduire

le développement socioéconomique du Sénégal avait renforcé les contraintes financières et aggravé la dégradation des conditions de vie des populations. Le pays connut ainsi une longue période d'austérité, traduite dans les faits par la suppression des subventions aux différents secteurs productifs et l'augmentation des prix des denrées de première nécessité. Ainsi, la pauvreté a continué à sévir au Sénégal comme le montre Momar Coumba Diop dans une étude menée dans la région de Dakar et sa banlieue et publiée en 1997 « seuls 16,7 % des ménages ont accès à l'eau courante, 23 % au réseau électrique. A Dakar, 24,7 % des ménages ont le privilège d'un assainissement convenable, 36 % bénéficient d'un téléviseur, 28,6 % d'un réfrigérateur, 11,8 % d'une voiture »3.

Liées à la construction de l'Etat du Sénégal contemporain, la pauvreté et la mal gouvernance ont, toutefois depuis 2000, après l'accession du régime libéral au pouvoir, pris de l'ampleur. En effet, face au renchérissement du coût de la vie, la pauvreté et la paupérisation des masses populaires se sont fortement exacerbées en même temps que se sont multipliés les manquements à l'orthodoxie démocratique et à la transparence dans la gestion des affaires publiques. Toumany Mendy dit à ce propos : l'«alternance semble de plus en plus perçue par la grande majorité des Sénégalais comme un désastre total : clientélisme politique inquiétant, politisation des institutions judiciaires (...), scandales financiers, crises de fonctionnement des entreprises nationales, dysfonctionnements administratifs liés aux incessants remaniements ministériels, conflits politiques et idéologiques (...) » (Toumany Mendy, 2006). Aussi, face à ce que les observateurs appellent l'incapacité des nouvelles autorités publiques à proposer une alternative au niveau social, économique et politique et à impulser le changement pour lequel le peuple s'était massivement mobilisé en 2000, une grande déception et une grande désillusion semblent être à l'origine d'un fort mécontentement social. De sorte que, le 23 décembre 2008, un collectif de partis politiques a signé une déclaration appelant au départ du régime du président Abdoulaye Wade, dans laquelle il invitait

4-- Momar Coumba Diop et al, « La lutte contre la pauvreté à Dakar ; programme de gestion urbaine », Dakar, 1995.

tous les segments du peuple, les forces politiques, citoyennes, démocratiques et sociales, pour la constitution de Comités citoyens de résistance (CCR) dans les quartiers, les villages, les lieux de travail, partout. On pouvait lire dans cette déclaration: « Nous avons tous un intérêt commun à nous souder autour de la lutte contre la vie chère, pour l'emploi, le pouvoir d'achat, la réduction du train de vie de l'état, l'allocation efficiente des ressources du pays au profit des plus démunis, la défense du service public de l'éducation et de la santé. (...) L'élaboration d'une nouvelle constitution démocratique et l'instauration d'un authentique Etat républicain (...) pour faire échec aux visées et manoeuvres du pouvoir, lourdes de tous les dangers pour notre pays...»6. Autrement dit, l'effritement généralisé des valeurs éthiques et morales et la banalisation des institutions ajoutés au dénuement croissant des populations qui, en dépit d'une croissance économique soutenue, peinent à s'assurer une alimentation équilibrée, à se loger convenablement, à avoir un accès facile aux soins et à l'éducation, sont autant de phénomènes qui peuvent, semble-t-il, engendrer le chaos.

Dans tous les cas, la multiplication des manifestations sociales et politiques qui se sont presque toutes soldées par des affrontements avec les forces de l'ordre et les élections locales qui se sont déroulées le 22 mars 2009 ont servi de baromètre pour apprécier la profondeur du mécontentement social et mesurer les risques de troubles. Le Président de la République a été accueilli presque partout par des brassards rouges (signes du mécontentement social), des hués et même des jets de pierres. En outre, des cortèges ont été attaqués, des voitures incendiées, bref comme titrait un journal de la place le mercredi 4 mars 2009 : « Sénégal-violences électorales : le règne de la terreur prend forme »7. En outre, la perte des élections locales par la coalition présidentielle a, semble-t-il, montré le rejet par les populations du mode de gestion des affaires publiques, et la non prise en charge par les autorités publiques des priorités du peuple qui se résument à la paix sociale et à la prospérité économique. Car, au niveau de la géopolitique interne, en dehors de la dégradation continue des conditions de

5 - Sud Quotidien du vendredi 26 Décembre 2008 6- Nalla fall in Pressafrik, Mercredi 4 mars 2009

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vie des Sénégalais, les fronts où les luttes de pouvoir donnent lieu à la mise en oeuvre de stratégies qui ne tiennent le plus souvent compte que des intérêts du moment des différents acteurs se sont fortement multipliés. Tandis qu'au niveau externe, les tenaces représentations qui font du Sénégal « le modèle » de démocratie en Afrique, empêchent de penser la réalité de l'évolution ou plutôt de la dégradation de la référence sociopolitique qu'il a longtemps été.

Ainsi posés, les termes de cette étude résument sa problématique en deux principales interrogations :

1. En quoi les conflits de pouvoir et les relations tendues entre les autorités politiques, à la tête du pays depuis 2000, et certaines composantes de la Nation (de l'opposition politique à la jeunesse) pour le gain et le contrôle de la légitimité populaire et territoriale constituent-elles une sérieuse menace pour la stabilité du pays ?

En d'autres termes, en s'aliénant, la société civile, l'opposition, la majorité des organes de presse, la jeunesse (élèves, étudiants, chômeurs...), les paysans et la quasi-totalité des régions périphériques à la capitale du fait d'une gestion solitaire et patrimoniale du pouvoir où la concertation et le dialogue ne sont pas les bienvenus, la majorité présidentielle n'est-elle pas en train de créer elle-même des conditions favorables à la déstabilisation sociopolitique du Sénégal ? De plus, vue l'importance, la richesse et les capacités de mobilisation des confréries dans ce pays, est-ce que le fait de privilégier une confrérie au détriment des autres, une politique mise en oeuvre par le régime libéral n'est pas un terreau fertile d'où peuvent surgir dissensions, querelles voire affrontements ?

2. Est-ce que l'absence d'une véritable prise en charge de la lutte contre la pauvreté, pour le relèvement du niveau de vie de la grande majorité des Sénégalais et la réduction des inégalités sociales au détriment de l'enrichissement et de la satisfaction des intérêts d'une minorité qui gouverne et de ses soutiens peut engendrer le chaos sociopolitique ?

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Autrement dit, en se rendant compte de plus en plus que les hommes politiques qu'ils ont contribué à faire élire, croyant en leur capacité d'impulser le sopi (changement) en particulier au niveau social, semblent plus préoccupés par leurs intérêts personnels que par la résolution de la crise économique que connaît le pays ou à tout le moins, la réduction de ces méfaits, les Sénégalais sont-ils prêts à les démettre du pouvoir de façon violente et non démocratique ?

Il apparaît clairement que l'essentiel de ce mémoire constituera d'une part à chercher à élucider les différentes rivalités de pouvoir engendrées par les agissements politiques et/ou politiciens des autorités publiques au centre desquelles se trouve le Président Abdoulaye Wade et les impacts de la pauvreté sur les populations et d'autre part à déterminer les risques et les menaces qu'ils peuvent susciter.

Vue sous cet angle, cette problématique amène à envisager l'analyse géopolitique à deux différentes échelles parfaitement imbriquées : nationale et locale (régions). La première permettra d'aborder cette étude en tenant compte de l'ensemble du territoire national et de l'ensemble des acteurs qui y sont concernés par les rivalités et les conflits de pouvoir cristallisés par la multiplication des manifestations sociales susceptibles d'engendrer des troubles sociaux et/ou politiques qui pourraient bouleverser durablement, ou pas, la stabilité du Sénégal. En revanche l'échelle locale elle, permettra de faire la comparaison entre le petit territoire (550 km2) de la capitale Dakar qui a la particularité de concentrer les principaux centres administratifs (palais présidentiel, ministères, ambassades, organisations internationales...), les principaux pôles économiques du pays (port, aéroport, industries...), d'avoir le plus fort taux d'urbanisation (52,6 %) et enfin d'être la plus peuplée de toutes les régions (2 167 793 hts, en 2007, soit une densité de plus de 4 000 hts/km2) et la vaste région de Tambacounda, qui couvrait jusqu'au dernier découpage administratif (2008) qui l'a amputé d'un département, une superficie de 59 602 km2, soit 30 % du territoire national. Elle a, en dépit de ses nombreuses potentialités (forêts luxuriantes, terre arables étendues, or, fer, marbre...) le plus faible taux d'urbanisation du

pays (seulement 2,6 %) et abrite seulement 612 288 hts (soit 10 hts/km2). Cette comparaison qui se focalisera sur les disparités au niveau du système sanitaire, sur la dépendance alimentaire (agriculture) et sur les mesures mises en oeuvre par les autorités publiques dans ces territoires. Elle permettra de cerner les inégalités entre une région fortement urbanisée et une autre marquée par sa ruralité. L'objectif final étant de déterminer les menaces que peuvent engendrer les inégalités sociales et spatiales, les conflits dans et pour les territoires dans deux régions aux extrémités de l'échelle sociale sur la stabilité du pays.

MANIFESTATIONS ET TROUBLES SOCIAUX :

QUELLES MENACES PESENT SUR LA

STABILITE DU SENEGAL ?

PREMIERE PARTIE :

Avant l'alternance de mars 2000, le Sénégal a connu des élections et des grèves scolaires et universitaires qui ont déjà dégénéré en de violentes confrontations entre partis politiques opposés et entre élèves ou étudiantsparfois les deux en même temps- et forces de l'ordre. Ce fut le cas en 1988,

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en 1993 et en 1995. Pour celles de 1987 /1998 et de 1994/1995, la durée de la grève avait amené les autorités à décréter respectivement une année scolaire blanche et une année universitaire invalide dans l'enseignement public. Par ailleurs, les troubles de 1988, avaient poussé le Président Abdou Diouf, après un meeting de campagne à Thiès, où il avait essuyé des jets de pierres, à traiter la jeunesse locale de « malsaine ». La contestation qui a suivi le vote et précédé la proclamation officielle des résultats, avait donné lieu, à Dakar, à de violentes manifestations. Les émeutiers se sont attaqués à tout ce qui représentait l'Etat (bâtiment public, voitures immatriculées service officiel, centres d'état civil) et les auteurs de ce que la presse à nommé le « lundi noir » s'en sont pris aux maisons et aux militants du parti au pouvoir, le parti socialiste (PS).

Cette situation a contraint les pouvoirs publics à décréter l'Etat d'urgence le 29 février 1988 pour éviter que la violence urbaine n'atteignît un point de non retour et mît en péril la stabilité de l'Etat. De méme, en 1993 la situation était devenue plus préoccupante lorsque, quelques heures seulement après la proclamation des résultats des présidentielles le 13 mars, des manifestants avaient saccagé plusieurs résidences de dignitaires du parti socialiste. Toutefois, le pire allait être atteint lorsque le 15 mars de la même année, le Vice-président de la Cour constitutionnelle, Maître Babacar SEYE, qui avait été mis en avant après la démission du Président, était assassiné. Soupçonné d'avoir été le donneur d'ordre de ce meurtre, Abdoulaye Wade que les journalistes avaient surnommé « le Président de la rue publique » fut arrêté et conduit en prison. Ce rappel a pour objet de dire que le phénomène dont je parle ici, n'est pas nouveau. Cependant, s'il n'est pas nouveau, il a vu l'apparition de nouveaux acteurs et de nouveaux motifs de contestation.

Aussi, s'il reste admis, encore aujourd'hui, que le Sénégal, en dépit des violents épisodes ci-dessus évoqués, est, en Afrique subsaharienne, considéré comme un pays où règne la stabilité politique et démocratique, et où les particularismes ethniques et religieux ne semblent pas un frein à l'unité nationale, on doit se demander si cette assertion n'est pas devenue, à

certains égards, une véritable représentation. Car, depuis 2000, les rivalités de pouvoir qui ont vu le jour et qui se sont multipliées sont entrain « d'écorner », chaque jour un peu plus, l'image du modèle sociopolitique sénégalais en faisant planer sur le pays des menaces de déstabilisation durable de son équilibre social et politique. Je ne serai, sans doute, pas exhaustif dans l'énumération et l'analyse de ces rivalités et des risques et menaces qu'ils peuvent engendrer, mais les exemples ci-après me semblent significatifs.

A - les mouvements de protestation sociale : les pouvoirs de la rue ?

A - 1 : Les émeutes de la faim

Tableau 1 : EVOLUTION DES PRIX DE QUELQUES PRODUITS EN 2000,
2004 ET 2007

PRODUITS

PRIX (f cfa) EN 2000

PRIX(f cfa) EN 2004

PRIX (f cfa) EN 2007

Riz (1 kg)

140 (0,21 €)

-

240 (0,36 €) 310
(0,47 €) en 2008

Tomate concentrée (1 kg)

635 (0,96 €)

-

1 100 (1,67 €)

Tomate

concentrée (2,5 kg)

1 200 (1,82 €)

-

2 600 (3,96 €)

+100 %

Huile (litre)

520 (0,79 €)

-

750 (1,14 €)

Sucre en morceaux (1 kg)

450 (0,68 €)

600 (0,91 €)

650 (0,99 €)

Viande de mouton (1 kg)

1 200 (1,82 €)

-

2580 (3,93 €)

+100 %

Farine (1 kg)

175 (0,26 €)

300 (0,45 €)

350 (0,53 €)

+100 %

Bouteille de gaz (6 kg)

 

1 495 (2,27 €)

3 109 (4,73 €)

Bouteille de gaz (12 kg)

 

3 615 (5,51 €)

7 165 (10,92 €)

Sources : L'observateur du mercredi 16 mai 2007

Selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM), les prix moyens annuels des denrées produites et celles importées ont connu une tendance à la hausse au cours du premier semestre 2008. Les prix des céréales non transformées ont augmenté (22 %), ainsi que le riz (60%) le boeuf (22%), le lait (39,2%), les huiles (21%), les produits alimentaires non classées (12%) et

20

les transports (10%). Les prix des lubrifiants et des carburants sont en hausse (15,7%). S'agissant des combustibles liquides, l'indice des prix à la consommation a connu une augmentation 16,7%, et de 6,2% (PAM, 2008) pour les combustibles solides. En 2007 déjà, l'indice des prix avait connu une hausse fulgurante, passant de 1,4 en 2006 à 7, 3. Ces différentes hausses ont eu un impact important sur les coûts du transport. Le tarif du ticket Dakar-Tambacounda, par exemple, est passé de 7 000 à 10 800 F Cfa (de 10,67 à 16,45 €).

Le brutal renchérissement du coût des produits de première nécessité, notamment du riz qui constitue l'aliment de base des Sénégalais dont le prix du sac de 50 kilogrammes est passé de 9 500 à 17 000 F Cfa (de 14 à 25 euros) à Dakar alors qu'il est vendu à 20 000 F Cfa (30 euros) dans les autres régions du pays (Tambacounda), a subitement montré la grande faiblesse du pouvoir d'achat du gorgorlou7. C'est une augmentation de plus de 50 %. Selon la FAO, après une hausse de 37 % en 2006-2007, la facture des importations des pays pauvres devraient augmenter de l'ordre de 56 %. Si on y ajoute le fait que le Sénégal est classé depuis 2000 dans la catégorie des pays les moins avancés (PMA), alors on mesure la profondeur de cette crise. Face au dénuement des pouvoir publics qui peinent à prendre des mesures qui permettraient d'atténuer, un tant soit peu, le contrecoup de la hausse des prix des denrées de première consommation, les populations s'organisent pour manifester leur mécontentement.

C'est le cas le 31 mars 2008 lorsque, malgré le refus du préfet de Dakar d'autoriser la manifestation, les populations sont venues de tous les coins de la capitale, répondant à l'appel de l'Association des consommateurs

7 - quelqu'un qui compte sur la débrouille quotidienne pour trouver les moyens de satisfaire à ses besoins dont principalement se nourrir, se vêtir

sénégalais (Ascosen). Sur les tee-shirts arborés par les manifestants on pouvait lire : « on a faim ». Des leaders de l'opposition comme Ousmane Tanor Dieng (PS), Talla Sylla (Djeuf dieul) et Ali Haïdar (écologiste) ont également profité massivement de cette tribune pour, aux côtés des

populations, exprimer l'incapacité de l'Etat ou même sa désinvolture face à cette crise. Car en parlant de cette crise, le Président Wade, après avoir violement pris à partie la FAO, l'accusant d'être à l'origine de cette situation, avait promis aux Sénégalais près de 600 000 tonnes de riz offertes par l'Inde. Or les consommateurs n'ont jamais vu venir de ce riz sur les marchés. Cette manifestation a été violemment réprimée par les forces de l'ordre. Plus d'une vingtaine de personnes, dont Momar Ndao et Jean Pierre Dieng responsable respectifs de l'Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen) et de l'Union nationale des consommateurs du Sénégal (UNCS), ont été interpellés. Considérés comme les principaux organisateurs de la marche de protestation, ces deux responsables ont été détenus dans les locaux de la Divisions des investigations criminelles (DIC) où ils ont été interrogés jusqu'à une heure tardive de la soirée. Ils ont été ensuite convoqués à la barre du tribunal des flagrants délits de Dakar, accusés d'avoir défié les autorités en passant outre l'interdiction d'organiser un rassemblement illicite et de détruire des biens publics. Six mois de prison avec sursis ont été requis contre eux. On leur a finalement infligé, le 16 avril, une peine d'un mois de prison avec sursis.

Pourtant, une fois la manifestation dispersée, des agents de la DIC ont fait irruption dans les locaux d'une chaîne de télévision privée laquelle diffusait, pour la première fois au Sénégal, des images de la manifestation en direct, pour d'abord exiger l'arrêt de la diffusion et ensuite pour saisir toutes les cassettes et les copies de ces images. Ce qui a été fait malgré les protestations des journalistes qui arguaient de la liberté de la presse et du besoin d'informer les populations. Cette attitude des autorités laisse penser qu'elles ne voulaient pas de traces de cette marche ou encore qu'elles voulaient traiter l'information à leur façon.

Mais quelles qu'aient été leurs intentions, les pouvoirs publics ont montré leurs difficultés à affronter de façon sereine les manifestations de mécontentement ou de protestation des populations. Car, après avoir fait violement réprimer la manifestation par la police, et accuser, encore une fois,

22

l'opposition d'être derrière ces mouvements et de tromper les Sénégalais sur la hausse des prix, qui n'est pas spécifique au Sénégal, le gouvernement

Source : SudQuotidien du 3 et du 10 avril 2008, photos de la manifestation du 31 mars 2008 contre le renchérissement des prix des denrées de première consommation

semble privilégier la voie de la répression et de la confrontation à celle de l'apaisement et du dialogue. Pour Momar Ndao, il aurait été très avisé d'appeler les différents responsables des associations de consommateurs à des négociations pour au moins mettre en oeuvre une stratégie de communication qui permette d'informer les populations sur les hausses des prix.

Au total, même, les pouvoirs publics sont conscients que cette situation qui touche plusieurs pays en Afrique et au-delà n'est pas propre au Sénégal. Mais qu'elle procède d'une conjoncture mondiale et révèle la dépendance alimentaire dont souffre le pays. Aussi, ils ne sont pas prêts à laisser la mobilisation des populations se muer en une quelconque forme de contestation et de manifestations de rue. Les autorités tiennent à montrer que malgré les difficultés que connaissent les populations pour subvenir convenablement à leurs besoins élémentaires, elles seules détiennent le pouvoir et à ce titre, toute défiance sera sévèrement réprimée. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre autant l'interdiction de la marche que la répression qui l'a dispersée.

Si la rue a servi aux populations comme espace pour exprimer leurs difficultés face au renchérissement des coûts des produits de première nécessité (riz, huile sucre...), elle l'a d'autant été lorsqu'elles s'estiment victimes d'une injustice à grande échelle sur la distribution et les tarifications de l'électricité. Mais la nouveauté, se sont les acteurs qui ont préparé et mené cette protestation.

A - 2 : La marche des imams de Guédiawaye dans la banlieue de Dakar

Chronologiquement, les Imams (dignitaire religieux musulman, qui dans une mosquée dirige les prières) de Guédiawaye dans la banlieue de Dakar, ont été les premiers à organiser une marche de protestation contre la vie chère, mais aussi et surtout contre les factures d'électricité trop élevées. En fait, confrontée à une pénurie de combustible pour alimenter ses centrales et partant fournir régulièrement de l'électricité à tous les abonnés, la Société nationale d'électricité (SENELEC), en était réduite à multiplier les coupures et les délestages. Ce système lui permettait d'alimenter tour à tour les différentes parties de la ville hormis certaines zones jugées sensibles comme le palais présidentiel et ses abords. Le problème à l'origine de cette manifestation c'est qu'en plus d'une distribution très erratique pour ne pas dire trop rare, la SENELEC a non seulement augmenté le tarif de l'électricité de 17 % mais elle a procédé, en plus, à une double facturation qui consiste à envoyer aux consommateurs deux fois la même facture pour la même période. A cela s'ajoute le fait que les multiples coupures d'électricité endommagent les appareils électroménagers des familles. Pour exprimer leur exaspération face à cette situation et au mutisme des pouvoirs publics, des imams ont donc pris, à Guédiawaye dans la banlieue de Dakar, la tête d'une forte mobilisation. Ils ont été soutenus par des centaines de personnes qui vivent les mêmes difficultés. Dans le mémorandum écrit à cet effet, le collectif des imams et chefs de quartiers estiment qu'en agissant de la sorte, la SENELEC fait montre d'une « volonté délibérée et cynique de résorber son déficit de trésorerie chronique sur le dos des ménages déjà durement éprouvés par l'effritement implacable, et chaque jour plus affirmé, de leur pouvoir d'achat »8. Au cours de cette marche de protestation, les populations

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se sont directement adressées au chef de l'Etat lui-même par le biais de banderoles et de slogans comme : « Gorgui (le vieux, surnom donné à Wade) faut pas déconner sinon on va déconner )), « we are tired help please )) ou encore « surfacturation des factures : ça suffit )). Certains manifestants ont tout simplement apporté avec eux des bougies et des lampes à pétrole pour rappeler qu'à cause des délestages, ils en étaient réduits à s'éclairer avec ces moyens qu'ils croyaient appartenir au passé.

Une marée humaine dont l'effectif n'a été communiqué ni par la police ni par les organisateurs eux-mêmes, a ainsi emprunté les principales artères de la ville de Guédiawaye pour se retrouver à la préfecture où les dirigeants de la manifestation (imams et chefs de quartiers) ont été reçu par les autorités. Ils en ont profité pour exiger le « remboursement par la SENELEC des sommes indûment perçues depuis le 1er août 2008, la fourniture permanente de l'électricité sur toute l'étendue du territoire national et la fin des délestages, le dédommagement conséquent et diligent des ménages victimes de détériorations d'appareils ménagers et autres )). Ils ont également lancé un appel en direction des pouvoirs publics pour qu'ils prétent une attention particulière « sur la gestion de ce dossier très sensible qui peut être une source potentielle de troubles à l'ordre public ))9. Invité à cette manifestation Momar Ndao dira : « Cette marche est un message d'alerte très fort lancé aux autorités, nous leur demandons de se réveiller. Sinon le réveil des populations peut faire mal ))10.

A propos de cette marche, un quotidien sénégalais (Sud Quotidien) titrait à sa Une le lendemain « Sénégal-Marche des populations de Guédiawaye contre la vie chère : Une marée humaine assoiffée de révolte )). Que les populations aient été sur le point de déclencher une révolte est

8 - Astou Winnie BEYE dans Le Qotidien du 11 décembre 2008

9 - Idem

10 - Idem

difficile à dire. Toujours est-il qu'elles ont affirmé qu'elles ne paieraient les
factures du mois d'octobre que si la SENELEC revenait à un mode de
facturation normal, le ministre de l'Energie, Samuel Sarr ayant reconnu lui-

même que sur un total de 720 000 factures, 159 000 soit environ 22 % comportaient des anomalies.

Sources : Pressafrik et Le Matin Vendredi 19 Décembre 2008 photos de la marche des imams à Guédiawaye dans la région de Dakar

Cette marche dirigée par des imams a, bien entendu, suscité beaucoup de commentaires. Certains estimaient que les imams étant des consommateurs comme toutes les autres composantes de la population, avaient, eux aussi, le droit d'exprimer leur mécontentement par des moyens pacifiques. D'autres par contre - plus à cheval sur les dogmes religieux ? - estimaient qu'en tant que guide religieux, l'imam ne devait pas s'immiscer, de cette façon, dans le débat social. Qui a tort, qui a raison ? Je ne saurai sans doute pas trancher ce débat, mais les manifestant ont sans doute pensé qu'ils avaient raison. Toujours est-il que des imams ont dirigé une marche de protestation et ce fait est, en soi, un événement inédit au Sénégal. Le fait que des « vieux » retraités pour la plupart et de surcroît des guides religieux choisis le plus souvent pour leur probité morale, leur érudition dans le domaine de l'islam et l'exemplarité de conduite sociale, aient décidé de faire fi des risques de répression (qui depuis 2000se sont multipliés) pour organiser et mener une marche de protestation est pour le moins assez singulier. Et à ce titre, il permet de mesurer la profondeur du mécontentement social et surtout de montrer que les imams comptent bien se servir des pouvoirs que leur confèrent leur position sociale et leurs responsabilités religieuses pour dénoncer la dégradation des conditions de vie des populations et peut être en exiger la prise en charge par les autorités publiques.

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Dans tous les cas, la marche de protestation des imams qui, il est important de le préciser, a donné lieu à une forte mobilisation de la population n'a connu aucun débordement, surement grace à l'appel au calme qu'ils ont lancé, malgré la présence des forces de l'ordre, pose plusieurs interrogations : sommes-nous entrain d'assister à la radicalisation de toutes les franges de la population, même de celles dont personne n'entend qu'elles expriment leur courroux par des marches de protestation ? Pourquoi cette marche n'a pas été dispersée par les forces de l'ordre comme c'est le cas pour beaucoup d'autres ? Faut-il croire que les pouvoirs publics craignent la réaction des populations s'ils s'en prenaient à ces notables ? Pourquoi est-ce que se sont des imams de la banlieue et non ceux des quartiers huppés de Dakar comme le Point E et les Almadies ? Faut-il croire qu'il y a des entités socio spatiales qui vivent les coupures d'électricité et la vie chère de manière différente ? Une chose est sure, c'est que si les habitants des quartiers riches de Dakar ont les moyens de se payer des groupes électrogènes pour pallier toute défaillance dans la distribution de l'électricité, on ne les a pas entendu se plaindre de quelque surfacturation ou erreur de facturation que se soit. Est-ce une manifestation de l'approfondissement des inégalités sociales ? En tout état de cause cette réaction des imams face aux pratiques de la SENELEC, au renchérissement du coût de la vie et de la baisse du pouvoir d'achat des ménages, montre l'effritement de certaines valeurs comme le massla (wolof) (propension a toujours cherché le compromis quelque soit le problème et l'enjeu pour ne heurter la sensibilité d'aucune des parties concernées), fondatrices de la stabilité du pays.

Cependant, si les imams ont manifesté leur courroux dans le calme, ce n'est pas le cas d'autres manifestations comme celle qui s'est déroulée à Kédougou en décembre 2008. Voyons ce qu'il en est.

A - 3 : La manifestation de Kédougou

Le fait que la région de Kédougou, ancien département de la région de Tambacounda, considéré comme tel dans cette étude, située dans le Sud-est

du pays à 750 km de la capitale, recèle d'importants minerais (or, fer, marbre) avait conduit les autorités à y implanter un lycée technique industriel et minier pour inciter les jeunes de la région et, au-delà, à intégrer ces filières. Cet établissement, malgré de nombreuses difficultés, a réussi à former des dizaines de jeunes. Aussi lorsqu'après l'alternance, le Président de la République s'est engagé à valoriser le potentiel minier de la région et à faire de Kédougou le pôle de développement minier du pays, ces derniers dont la plupart peinait à trouver du travail, ont cru voir la fin de leurs difficultés d'insertion. Mais, alors que l'usine, Sabodala Gold Opérations (SGO), une filiale de l'australienne Mineral Deposit Limited détentrice de la concession minière, devait officiellement ouvrir ses portes le 15 mars 2009 après avoir fini l'installation de la cité minière entièrement équipée, les jeunes de la région, encore dans l'attente de se faire embaucher, ont commencé à s'interroger. Ils sont nombreux les jeunes bacheliers sortis du lycée technique de Kédougou (en 2004 ils étaient 84) qui, faute de moyens n'ont pu continuer leurs études et qui pensent que l'entreprise pouvait les enrôler et appuyer leur formation avec la stratégie du « Learning By Doing » (apprendre en travaillant).

Car si grace à l'ouverture de cette usine, le Sénégal allait entrer dans l'ère de la production industrielle de l'or avec une capacité de 5 tonnes d'or par an, il est certain que cette extraction minière entraînera également une dégradation de l'environnement et une forte pollution. Les populations de Kédougou en sont conscientes puisqu'elles ont adressé une lettre ouverte au Président Wade à cet effet. Elles y affirment : « l'extraction industrielle de l'or par les multinationales cause pollution, intoxication au cyanure, déplacement massif de populations, ravage de l'environnement, développement de maladies comme la tuberculose, le VIH SIDA. Que deviendront les terres fertiles de la Falémé quand finiront les activités des compagnies et, que gagneront les populations locales après que tout cela soit terminé ; en vérité la somme des dégradations écologiques et des atteintes à la santé provoquées par l'exploitation des mines d'or et de fer va ruiner la

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nouvelle région pour des générations à venir et, nous ne croyons pas que les multinationales payeront l'ardoise » 11.

C'est dans ce contexte que les jeunes ont envahi les rues de la ville pour rappeler qu'ils ne se contenteraient pas seulement des réalisations du programme social minier signé entre l'Etat et l'entreprise minière comme la réhabilitation des infrastructures routières sur les axes MandankoligKhossanto-Sabodala et Sabodala-Bransan-Khossanto pour désenclaver la région. Ces jeunes, autant que les autres franges de la population de la région de Tambacounda, exigent de pouvoir bénéficier des retombées de l'exploitation et de la commercialisation du minerais contenu dans leur sous sol. Dans la même lettre on peut lire : « ~ les investisseurs du secteur qui nous envahissent ont trop d'avantages à notre détriment et ceci, malgré le Programme Social Minier qui nous est tant vanté par vos Ministres, et qui, à notre avis pose problème dans sa mise en oeuvre, parce que géré par une Unité logée au sein du ministère des Mines et de la Géologie ; comme si nous étions encore immatures et incapables pour décider de nous-mêmes »12.

La marche pacifique de décembre 2008 avait pour but de mobiliser toutes les populations de Kédougou, pour dénoncer la spéculation foncière, la cherté de la vie et pour que les jeunes soient embauchés dans la société minière qui y exploite l'or, le marbre et le fer. Ce mouvement de protestation organisé par les étudiants de la région s'est mué en affrontements avec les forces de l'ordre renforcées par l'armée. On déplore la mort d'un jeune agé de 25 ans, tué par balle selon certaines sources, trois morts pour d'autres et plusieurs autres blessés.

11 - le document qui explique la révolte des jeunes de Kédougou adressé à Maître Wade, dans Ferloo du lundi 29 décembre 2008

12 - Idem

Sources : L'Office du Samedi 27 Décembre 2008, Le Matin du Vendredi 26 Décembre 2008 et www.tambacounda.info photos de la manifestation de Kédougou en décembre 2008

Ce qui surprend dans cette affaire, c'est, outre la célérité avec laquelle vingt et une des personnes arrêtées ont été jugées et condamnées à cinq, sept et dix ans d'emprisonnement ferme, verdict qui pour Me Sidiki Kaba, avocat des prévenus, «n'est pas de nature à oeuvrer dans le sens de l'apaisement », c'est la réaction des autorités. Après avoir, dans un premier temps, accusés des mercenaires venus de la Guinée Conakry, du Mali, de la Gambie et du Ghana, d'avoir «combattu » auprès des populations locales, le ministre de l'Intérieur, Cheikh Tidiane Sy, s'est déplacé à Kédougou pour disait-il : « simplement présenter les condoléances et constater les dégâts et pas pour autre chose ». Cette réponse était servie aux représentants des populations locales venus négocier la libération des jeunes arrêtés. Il faut dire qu'aujourd'hui, tous les jeunes qui avaient écopé de peine de prison, sont libres du fait de la grâce présidentielle. Les violentes réactions qui ont été notées sur la manière dont cette manifestation a été réprimée se

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résumaient toutes à dénoncer l'injustice dont sont victimes les habitants de Kédougou. Car, à leur avis des faits plus graves se sont déroulés dans d'autres localités sans que les pouvoirs publics ne réagissent de la sorte. L'exemple qui est le plus revenu, c'est celui de ceux qui, à Kébemer petite ville natale du chef de l'Etat dans la région de Louga, ont, pour réclamer un portefeuille ministériel, brûlé le drapeau national.

Mais quelles que soient les réactions des uns et des autres, il me semble important de revenir sur celle des autorités. En parlant de mercenaires étrangers qui auraient combattu aux côtés des populations, participant en cela à rendre violente une manifestation qui se voulait pacifique, les pouvoirs publics semblent verser dans la recherche effrénée de boucs émissaires. Si ce n'est pas l'opposition qui instrumentalise les manifestations et les manifestants, c'est une infiltration de forces étrangères ou de mercenaires qui en justifie la violence. Ils donnent ainsi l'impression de croire les populations locales incapables de fait de violence. Ce qui me semble une inquiétante méprise. Car ce faisant, ils minimisent la profondeur du mécontentement social et privilégient la répression de ces manifestations. C'est ce qui s'est d'ailleurs passé à Kédougou (Tambacounda) en décembre dernier comme c'était déjà le cas à Dakar. S'il n'est pas prouvé à ce jour que des mercenaires étrangers ont participé à cette marche de protestation, les premiers lingots d'or issus du sous sol de Kédougou et présentés au chef de l'Etat le 3 juin 2009 vont forcément rendre la région plus attractive à cause des possibilités d'offre d'emploi liées à l'extraction et la commercialisation de ce minerai.

Dès lors, qu'il y ait des manifestations sociales et/ou politiques ou pas, on peut s'attendre à ce que les migrations vers Kédougou croissent. D'ailleurs il n'est pas sür que se soient seulement des étrangers qui vont affluer vers cette région pour essayer de profiter des retombées de l'exploitation de l'or. Et, si les pouvoirs publics ne mettent pas en oeuvre des politiques d'accompagnement par le biais de la réalisation du désenclavement de la région, de la construction d'infrastructures sanitaires, éducationnelles. ., pour relancer le développement de la région, comme le

demandent les populations locales, l'on peut s'attendre à ce qu'elles se sentent exclues du partage des dividendes de la commercialisation de l'or. Dans leur lettre adressée au Président, on peut y lire : a les populations de Kédougou sont dans la psychose, stressent et chaque jour doutent ; pas une route bitumée pour au moins faciliter les évacuations sanitaires et le déplacement des populations, Kédougou est toujours sombre la nuit, aucune stratégie sérieuse pour rendre les localités plus amènes au développement humain » (Ferloo décembre 2008). En outre, sachant que le cours du lingot d'or était le 2 juin 2009 à 22 000 euros (14 431 032 F Cfa)13, l'on peut s'attendre à ce que les populations, appuyées ou non par des mercenaires venus des pays limitrophes ou autres, cherchent à réclamer leur part du a gâteau ». c'est ce qu'elles disent toujours dans cette lettre : a Monsieur le Président de la République : Ceux sont ces frustrés, ces laissés pour compte qui se sont organisés dans ce mouvement fort pour réclamer leur droit au développement , et porter leur cri à votre écoute pour vous permettre de prendre les décisions adéquates aux problèmes soulevés et dont souffrent les couches défavorisées au rang desquelles la jeunesse de la nouvelle région de Kédougou» (Ferloo décembre 2008).

Il est donc clair que les émeutes de Kédougou ne sont pas à prendre à la légère. Elles préfigurent, comme ci-dessus évoqué, la conduite que les populations, les jeunes singulièrement, sont prêtes à adopter si elles se sentent, un tant soit peu flouées par les autorités dans le cadre de l'exploitation des mines d'or, de fer et de marbre de la région. Et face à la répression dont elles ont été victimes, on peut craindre que pour toute autre manifestation ayant les mémes causes et visant les mémes buts, qu'elles soient mieux préparées à affronter les forces de l'ordre. Du coup, si l'Etat continue de privilégier la confrontation au détriment de la négociation et du dialogue, la violence franchira certainement un palier supplémentaire et pourrait avoir entre autres pour conséquence d'installer dans la région, et ce

13 : Source : www.banque-de-france.fr

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de façon durable, l'insécurité. Dans ce contexte, la tentative de l'Etat d'expliquer la survenue de certains conflits sociaux par l'immixtion de forces étrangères peut s'avérer pour le moins insidieuse car il n'est pas dit que cette violence épisodique ne peut pas se généraliser. S'il est aisé de savoir d'où part une vague de violence, il est toujours plus difficile d'en cerner les contours et partant d'en déterminer le terme. D'autant que les manifestations violentes ne sont pas seulement le fait des jeunes de Kédougou. En effet, le milieu scolaire reste un foyer où les tensions récurrentes sont en hausse constante autant au niveau de la fréquence des grèves que de leur violence.

A - 4 : Des grèves scolaires et universitaires à répétition

L'école sénégalaise connaît des grèves cycliques depuis les années 1980 avec la mise en oeuvre des plans d'ajustement structurels. Chaque année, élèves et étudiants continuent de descendre dans la rue pour les mêmes revendications récurrentes qui tournent autour de l'amélioration des infrastructures (augmentation des établissements scolaires, des salles de classes et des tables-bancs, des logements des étudiants, etc.), des supports pédagogiques (livres, manuels etc.), l'augmentation des effectifs des enseignants et des professeurs, le paiement des bourses et aides. En 2006 par exemple, les élèves du lycée Mame Cheikh Mbaye de Tambacounda ont fait une grève de plusieurs jours pendant lesquels ils ont saccagé les locaux du Conseil régional, bloqué la circulation en brûlant des pneus sur la chaussée et affronté à coup de pierres les forces de l'ordre. Ils revendiquaient essentiellement le renouvellement des livres de la bibliothèque et de l'équipement d'une salle informatique.

Mais, depuis 2006, ce sont les enseignants du moyen et du secondaire réunis autour du Cadre unitaire des syndicats de l'enseignement moyen et

secondaire (CUSEMS) et les instituteurs du primaire et du préscolaire quiont entamé un conflit avec l'Etat pour la satisfaction de leurs revendications.

Pour les premiers, les points de discorde tournent autour de la question de
« la réforme du statut des volontaires, vacataires et contractuels ; de la

rationalisation de la carte scolaire et universitaire ; de l'amélioration des conditions d'apprentissage et d'enseignement ; de la promotion de l'habitat social et du payement des indemnités de déplacement ». Et face aux lenteurs administratives qu'ils reprochent au gouvernement, les enseignants ont progressivement radicalisé leur mouvement de protestation au point où on s'interroge encore sur la validité et la crédibilité du baccalauréat de 2006, vus les nombreux dysfonctionnements dans l'organisation des examens. Car, outre ces défectuosités, ces derniers ont, face au mutisme du gouvernement, procédé à la rétention des notes et au boycott des conseils de classe. Depuis lors, les années scolaires se suivent et se ressemblent, prolongeant le malaise du système éducatif. Entre octobre 2007 et mars 2008 les enseignants en étaient déjà à prés de deux mois de grève et donc autant d'heures de cours en moins pour les élèves. Celle de 2008-2009 connaît aussi de nombreuses perturbations, au total près de cinq mois d'arrêt des cours dans le public.

Les seconds, quant à eux, réclament à l'Etat une indemnité de recherche documentaire (Ird) de 60 000 F Cfa (environ 91€) et pour obtenir la satisfaction de leurs revendications, ils ont tout bonnement arrêté de dispenser les cours. De sorte que du préscolaire au secondaire c'est tout le système qui est bloqué. On est toutefois en droit de s'interroger sur les véritables motivations de ces instituteurs. Car après avoir, pendant plus de trois ans, campé sur leurs positions, estimant que l'indemnité de recherche documentaire ne pouvait être inférieure à 91 euros, ils viennent de signer un accord avec le gouvernement, le mardi 26 mai 2009, pour la fixer à seulement 15 000 f cfa (22,86 euros) et à l'horizon 2011 à 25 000 f cfa (38,11 euros). En fait, il me semble que les enseignants et les instituteurs se sont sentis victimes d'injustice de la part des pouvoirs publics. En effet, alors qu'en 2006, les magistrats ont vu leur indemnité de judicature passer de 150 000 à 300 000 f cfa (de 228 à 457 euros) avant de s'établir à 450 000 f cfa (686 euros) en 2008 ; les gouverneurs de régions voyaient la même année leur salaire passer de 300 000 à 800 000 f cfa (de 457 à 1219 euros) et

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récemment, en 2008, les sortant de l'ENA se sont vus octroyer une indemnité qui s'élève à 250 000 f cfa (381 euros)14.

Toutefois, pendant que les enseignants et les instituteurs continuaient leur confrontation avec les autorités publiques, ce sont les élèves du primaire au secondaire qui descendaient dans les rues pour dénoncer les grèves incessantes des enseignants et instituteurs. Ainsi, le mercredi 23 avril 2008, avec des ardoises en main où on pouvait lire« nous voulons étudier », les élèves (âgés de 6 à 12 ans) des écoles élémentaires des quartiers voisins de Camp Navétane et Gouye situés dans la commune de Tambacounda, ont sillonné les principales artères de la ville : une mobilisation inédite au Sénégal. Car descendre dans la rue à cet âge, certes pour des motivations louables, est tout de même inquiétant. Mais, cette mobilisation a le mérite de montrer qu'aucune composante du système éducatif ne semble épargnée par les difficultés du secteur. En effet, n'est-ce pas déjà entraîner de futurs grévistes et perturbateurs du système éducatif ? Il n'est dès lors pas étonnant de voir qu'à leur tour, les élèves des lycées Galandou Diouf, Seydou Nourou Tall, Kennedy de Dakar, ceux du lycée moderne de Rufisque (Dakar), ceux du lycée de Mame Cheikh Mbaye de Tambacounda, ceux du lycée de Sédhiou et de bien d'autres établissements, envahirent à plusieurs reprises entre 2008 et 2009 les artères de ces villes pour exprimer leur écoeurement face à cette situation. Ils soutenaient cependant les revendications des enseignants comme le dit Joseph Diouf du lycée Blaise Diagne de Dakar : <<On fait la grève pour que le gouvernement paye les professeurs. Ils sont fatigués, ils se sacrifient pour nous. Le gouvernement s'en fiche des professeurs qui réclament leurs indemnités. La situation dure depuis des années, et nous ne pouvons plus la tolérer. Nous ne voulons pas être des otages »15.

Si pour le moment, les élèves des écoles et collèges du public, ont manifesté leur courroux par des marches de protestation qui se terminent le plus souvent par des affrontements avec les forces de l'ordre (quatre bus

14 - Source : Ministère des finances

15 - Ndéye Maty Diagne dans Nettali du Jeudi 19 Mars 2009

d'une société de transport de Dakar ont été saccagés), rien n'indique qu'il en sera toujours ainsi. En effet, pendant que le Président de la République continue à clamer partout, à cor et à cri, qu'il est le seul à consacrer 40 % du budget de l'Etat à l'éducation, le système éducatif continue d'être en proie à une multitude de problèmes qui hypothèquent véritablement l'avenir de la

Sources : APS du 17 février 2009 et Nettali du 19 mars 2009 photos de grèves d'étudiants et d'élèves à Dakar

jeunesse sénégalaise. Est-ce que les jeunes vont continuer à assister - impuissants ?- à cette lente et progressive déstructuration du système éducatif ? Vont-ils se contenter d'attendre sagement que le bras de fer entre le gouvernement et le corps enseignant connaisse un épilogue heureux ? Car si l'accord qui vient d'être signé entre les instituteurs et le gouvernement (le 7 juin 2009) met pour le moment un terme à la grève dans les écoles primaires, les problèmes des enseignants du moyen et secondaire ne sont pas encore résolus. D'autant que la poursuite de ce conflit est de plus en plus assimilée, autant par les élèves eux-mêmes que par les enseignants, l'opposition et les observateurs, comme un manque de volonté de la part de l'Etat. Ce qui fait dire à Mamadou Diop Castro de l'Union démocratique des enseignants du Sénégal (Uden) dans le quotidien Walfadjri du 5 Mars 2008 : « c'est le gouvernement qui affiche le mépris et manoeuvre pour sortir de la situation »16 et à Marième Dansokho du Sypros : « C'est inconscient et irresponsable. Même si un seul établissement est en grève, le gouvernement ne doit pas attendre pour régler la situation à plus forte raison pour des milliers d'enseignants»17.

16 - Walfadjri du 5 mars 2008 / 17 - Idem

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L'enseignement supérieur sénégalais souffre à la fois d'un accès limité et d'une très faible couverture du territoire national : seules quatre régions (Dakar, Saint-Louis, Thiès et Ziguinchor) sur quatorze concentrent la totalité des établissements d'enseignement supérieur. Les régions comme Tambacounda qui enregistrent des taux de réussite au baccalauréat supérieurs à la moyenne nationale sont hélas dépourvues d'établissements d'enseignement supérieur public. En 2008 il était de 60,1 % à Tambacounda contre 42,9 % au niveau national. La progression continue des effectifs de bacheliers issus de l'enseignement secondaire au niveau national n'a pas été suivie d'une hausse de l'offre de l'accès au supérieur. Ce qui crée un véritable engorgement au niveau de la principale université du pays, l'Université Cheikh Anta Diop (UCAD), dont les effectifs avoisinaient, en 2003/2004, les 40 000 étudiants pour un établissement qui à sa création était destiné à en n'accueillir que 25 000. En 2008 ils étaient 27 000 pour la seule faculté de lettres alors qu'on y trouve de nombreuses facultés comme celle de médecine, de pharmacie, des sciences juridiques, des sciences humaines..

Comme pour les élèves, les manifestations des étudiants se soldent la plupart du temps par des affrontements avec les forces de l'ordre. C'était le cas par exemple le 21 février 2006 à Dakar lorsqu'après avoir trouvé des vers dans leur dîner et découvert les mauvaises conditions de stockage des aliments, les étudiants s'en étaient violement pris au Centre des oeuvres universitaires. Véhicules, restaurants, magasins de stockage, guichets entre autres ont été saccagés ou calcinés. De plus l'entrée des forces de l'ordre dans le campus à la poursuite des étudiants, obligeant l'un d'eux à sauter d'un immeuble et violant par là les « franchises universitaires », à participé à envenimer la situation puisque ceux-ci ont exigé, avant tout retour au calme, le retrait de ce qu'ils appellent « les forces du désordre». C'est ce que soutient un des responsables de l'Union des étudiants de Dakar (UED) lorsque le gouvernement, par la voie du ministre de l'Education a affirmé sa disponibilité à résoudre les problèmes par le dialogue : «tant que l'université sera occupée par 'les forces du désordre', nous ne négocions pas alors que

notre espace est transformé en camp de policiers ))18. Pour apporter leur soutien à leurs camarades de Dakar, les étudiants de saint Louis ont voulu marcher vers la gouvernance sur une distance de douze kilomètres pour déposer une lettre de protestation. Ils ont été bloqués par la gendarmerie sous prétexte que la marche n'était pas autorisée. Les affrontements ont fait plusieurs blessés dont un étudiant ayant reçu des éclats de grenades lacrymogènes.

Absent du pays au moment des faits, le Président Wade a affirmé à propos de ces grèves : « C'est une main étrangère qui, avec l'opposition, sont derrière la grève. Elle a reçu des financements pour déstabiliser le pays. J'étais dans l'opposition. Je connais certains d'entre eux, ils n'ont pas le courage de descendre dans la rue. C'est facile de manipuler des étudiants et d'aller se mettre dans un lieu où tout le monde te voit et tu dis que t'as rien fait. Les étudiants doivent refuser de se faire manipuler ou si les opposants demandent de marcher qu'ils imposent aux opposants de se mettre au devant ))19. Sans prendre le temps de comprendre leurs motivations et les raisons qui les poussent à s'en prendre violement aux infrastructures universitaires et à affronter la police et la gendarmerie, les autorités choisissent la voie de la politisation du mouvement. Pourtant, même s'ils ont considéré les propos du président comme une provocation, les étudiants continuent de clamer que ce qu'ils veulent c'est seulement l'amélioration de leurs conditions d'étude. Aussi déplorent-ils l'attitude des autorités qui à leur avis ne sont disponibles pour des négociations que lorsqu'il y a des échauffourées et des affrontements entre eux et les forces de l'ordre.

Dans tous les cas, que ce soit une main étrangère ou l'opposition comme le prétend le chef de l'Etat, ou tout simplement les étudiants qui déterminent eux-mêmes leurs plateformes revendicatives et mettent en oeuvre des stratégies pour leur satisfaction, il me semble que tout retard dans la résolution de la crise du système éducatif ne fera que cristalliser et radicaliser les positions.

18 - Coumba Sylla, Nettali, le 21 février 2006 19- Nettali du 21 février 2006

En plus des grèves d'élèves, d'étudiants et d'enseignants, le front social sénégalais enregistre depuis quelques temps des manifestations inédites. Après les émeutes de la faim, la marche des Imams de Guédiawaye, celle des populations de Fatick et celle des habitants de Kédougou pour ne citer que celles là, les manifestations de colère sont devenues récurrentes au Sénégal. Fait nouveau, c'est qu'elles sont presque toutes réprimées dans la violence. Pourtant la Constitution du Sénégal garantit le droit de manifester pacifiquement. Toutefois, si les manifestations sociales se multiplient et se radicalisent elles ne sont pas pour autant les seules menaces qui pèsent sur la stabilité du pays. Avant 2000, le président Wade a su galvaniser et mobiliser une jeunesse qui appelait le changement de tous ses voeux. Neuf ans après son élection, il convient d'examiner les relations qu'il entretient avec celle-ci et en quoi elle pourrait constituer une menace pour le pays.

B - Chômeurs et très nombreux, les jeunes s'entassent dans les centres urbains : doit-on craindre le péril jeune ?

Des estimations faites sur la base des projections démographiques officielles, donnent chaque année une idée sur l'évolution de la population du Sénégal. Ainsi, la population totale serait passée de 9 858 482 hts en 2002 à 1 1519 226 hts en 2007, le taux d'accroissement étant de 2,7 %20. Néanmoins, pour avoir des détails sur sa structuration et sa répartition selon divers critères, il faut se reporter sur les statistiques du dernier recensement général de la population et de l'habitat (RGPH) du Sénégal. Publiées en 2002, par l'agence nationale de statistique et de la démographie, ces statistiques, sont, encore aujourd`hui, les chiffres officiels à partir desquels se fondent les analyses sur la population. Elles montrent que 54,9% de la population est âgée de moins de vingt ans soit un peu plus de la moitié, alors que la tranche d'age qui va de quarante à soixante neuf ans ne représente que 15 % et la proportion des cinq ans à trente cinq ans représente environ 63,2 % (calcul effectué par l'auteur).

20 - Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) dans : « Situation Economique et Sociale du Sénégal en 2007 », Octobre 2008.

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REPARTITION DE LA POPULATION DU SENEGAL PAR AGE EN 2002

3000000

2500000

2000000

1500000

1000000

500000

0

2904741

0 - 9 10 19 20 - 29 30 - 39 40 - 49 50 -59 60 - 69 70 -79 80 - 89 90 et +

2500075

1664387

1080665

728232

448611

291578

168550

50736

17757

Sources : Troisième Recensement général de la Population et de l'Habitat, ANSD 2002

Un des enseignements qu'on peut tirer de ces statistiques, c'est le rapport de dépendance qu'elle induit. En effet, selon les chiffres de l'ANSD, le coefficient de dépendance était en 2002 de 86,5 personnes inactives pour 100 actives et devrait s'établir en 2008 autour de 84 inactifs pour 100 actifs. En d'autres termes, une personne active avec un faible revenu, dans la plupart des cas, le salaire moyen mensuel oscillant, dans le secteur public, entre 50 000 F cfa (environ 76,22 euros) et 75 000 F cfa (environ 114,33 €), doit prendre en charge la famille composée de plusieurs personnes. Elle cherchera à prendre sur elle tous les besoins de celles-ci, depuis les plus élémentaires comme se nourrir, boire, se vêtir et se loger entre autres. Si pendant longtemps, les subventions faites par l'Etat pour soutenir les produits de première nécessité ont permis de maintenir leurs prix à des niveaux acceptables pour que les faibles revenus puissent y accéder, cela est de moins en moins le cas aujourd'hui. Le renchérissement du coût de la vie, qui affecte tous les pays à travers le monde, frappe plus durement ceux d'Afrique subsaharienne (dont le Sénégal), qui importent massivement des produits alimentaires, céréaliers principalement du fait de la faiblesse de leurs productions agricoles et de leurs revenus.

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La baisse du pouvoir d'achat qui lui est consécutive, en plus d'affecter les personnes actives, détériore de façon profonde les conditions de vie de tous ceux qui étaient pris en charge d'une façon ou d'une autre. C'est le cas pour des millions de jeunes.

La situation des jeunes, au Sénégal, se précarise de plus en plus. Cela s'explique par plusieurs facteurs. La baisse du pouvoir d'achat des parents ou tuteurs est pour beaucoup de jeunes le début du « calvaire » ou tout au moins celui d'un long cheminement individuel qui peut, pour les plus tenaces et les plus chanceux, déboucher sur la prospérité. En effet, livrés à eux-mêmes parce que les parents ne peuvent plus, ou parviennent difficilement à satisfaire leurs besoins, la plupart des jeunes se retrouvent dans l'obligation de s'inventer des stratégies pour se prendre en charge. Pour ceux qui étaient scolarisés, cette situation sonne le glas de leur cursus ou la fin de leur formation. Au cours de l'année académique 2006/2007, le Sénégal comptait seulement 78 274 étudiants sur une population cumulée de jeunes âgés de vingt à trente ans de 2 278 806 en 2002. Ces statistiques montrent l'ampleur de la déperdition scolaire puisque le taux brut de scolarité au primaire était de 35,9% en 2007. Jacques Morisset, économiste en chef du bureau de la Banque mondiale au Sénégal, abonde dans le même sens quand il affirme, lors de la présentation du rapport sur l'emploi en 2007, que : « seulement 5 % des actifs sénégalais ont fait des études supérieures »21.

Cet état de fait peut, en grande partie être imputable à l'insuffisance des infrastructures scolaires et universitaires, à un système d'éducation en proie depuis plusieurs années maintenant à des problèmes récurrents comme le manque de professeurs et d'enseignants, des grèves interminables et à des formations souvent inadaptées aux besoins des entreprises. D'ailleurs l'obtention d'un diplôme est loin d'être une garantie pour un travail. Les propos qui suivent sont édifiants «Au Sénégal tu as beau étudier

21 - Jacques Morisset, économiste en chef du bureau de la Banque mondiale au Sénégal, cité par le Quotidien le Soleil, du lundi 15 octobre 2007

et avoir des diplômes, si tu n'as pas les moyens, tu ne pourras pas t'en sortir. Maintenant les entreprises ne recrutent plus, elles préfèrent prendre des stagiaires.».

Toutefois, pour beaucoup de jeunes, le système scolaire et universitaire, malgré ses insuffisances, n'est pour rien dans leur manque de formation. Le rapport sur l'emploi au Sénégal estime que plus de la moitié des travailleurs du secteur informel n'ont jamais été à l'école. Si l'on considère, toujours selon ce rapport, que le secteur informel est le plus grand pourvoyeur d'emploi au Sénégal car absorbant près de 97 % des créations d'emplois chaque année « Cent mille actifs trouvent un emploi chaque année, dont 97.000 dans le secteur informel »22, alors on comprend aisément que, formés ou pas, diplômés ou non, beaucoup de jeunes parviennent à trouver du travail. Ils s'insèrent dans l'économie informelle, accumulant les petits boulots comme vendeurs à la sauvette, laveurs de voitures, coxeur23 etc. Il faut cependant préciser qu'accéder à un emploi dans le secteur informel ne signifie pas systématiquement s'extirper de la pauvreté et résoudre toutes ses difficultés liées à la satisfaction des besoins primaires comme se nourrir, se vêtir, se loger décemment, se soigner etc. En effet, la faiblesse des revenus (salaire médian estimé à 23 000 f Cfa soit 35 euros) 24 dans ce secteur est telle que ces travailleurs ont juste de quoi survivre.

Par ailleurs, il faut préciser que l'économie informelle n'est développée que dans et autour des grandes villes. Dakar étant celle où sont concentrées les principales activités économiques et industrielles du Sénégal absorbe ainsi la presque totalité de ceux et celles qui dans les autres villes ou les zones rurales, peinent à s'en sortir. En effet, le déséquilibre structurel entre Dakar et le reste du pays - autres villes et zones rurales - est tel qu'elle reste la seule qui dispose de l'essentiel des possibilités d'offres d'emploi. D'ailleurs les pouvoir publics ne font rien pour inverser cette situation. Car, alors que la détérioration des conditions climatiques, la raréfaction des pluies et des

22- idem -

23 - coxeur : ce terme désigne des individus qui sur les arrêts de cars ou dans les gares routières se chargent d'interpeller, de rechercher et de négocier les prix avec les voyageurs moyennant une petite ristourne. Il y en a qui en ont fait leur métier à temps plein.

24- Source : le secteur informel à Dakar, enquête réalisée par l'ANDS, 2003

politiques mal adaptées obèrent les résultats des activités agricoles, exacerbant les difficiles conditions de vie de millions d'individus, majoritairement jeunes, l'Etat cherche à mettre en oeuvre un « projet emploi des jeunes de la banlieue » de Dakar.

Si cette initiative peut être salutaire pour les millions de jeunes qui se trouvent déjà dans la banlieue et qui sont au chômage, elle est en revanche un appel lancé implicitement aux jeunes des autres localités à se ruer vers la capitale et sa banlieue. Au Sénégal, 60 % (Morisset, 2007) des chômeurs ont moins de trente cinq ans. Ce sont ainsi des centaines de milliers de jeunes voire des millions qui atterrissent sur le marché du travail de la capitale, sans qualification aucune et sans moyens pour s'en procurer. Livrés à euxmêmes et n'espérant aucun soutien de l'Etat, car en dépit des multiples initiatives promues par celui-ci pour lutter contre le chômage des jeunes, le problème reste entier. Il est important de préciser qu'au Sénégal il n'existe ni Agence nationale pour l'emploi (ANPE ou Pôle emploi), ni allocation chômage. Ce sont donc les jeunes eux-mêmes qui, pour satisfaire leurs besoins, sont contraints de s'inventer des stratégies de survie. Aussi, pendant que certains choisissent d'intégrer l'économie informelle, si tant est qu'ils y parviennent, d'autres par contre se laissent happer par la délinquance et le banditisme. Une troisième catégorie, quant à elle, choisit de braver les dangers de la traversée de l'océan pour rejoindre « l'eldorado européen ». J'ai rencontré un jeune homme qui a déjà tenté six fois la traversé sans y parvenir et qui reste déterminés à réessayer. La seule explication qu'il donne quand je lui demande pourquoi, c'est « Deuk bi da méti té dama bugga tekki » (wolof, littéralement : « la vie est difficile ici alors que je veux devenir quelqu'un d'important»). Autrement dit, il veut se sentir utile, important, ne pas rester insignifiant, dépendant et sans ressources.

De plus en plus de jeunes, pour fuir la misère, en arrivent à ce choix extrême malgré les difficiles images de morts et de noyés qui nous sont servis sur ce phénomène, malgré les multiples dispositions prises par les pays de départ et d'arrivée des migrants, malgré le risque de se faire traquer, arrêter et expulser à tout moment. La tentation est d'autant plus grande

lorsque, de retour d'un séjour en France, en Espagne ou dans quelques autres pays d'Europe ou des Etats-Unis, ces jeunes immigrants semblent avoir fait fortune. En 2006, près de 31 000 immigrants clandestins dont la moitié serait originaire du Sénégal sont partis des côtes africaines.

Pour ceux des deux autres catégories susnommées, ils s'attachent à essayer de s'extirper quotidiennement des difficultés qui les assaillent en usant de moyens légaux et parfois illégaux. Il vient dès lors plusieurs interrogations. Jusqu'à quand ces milliers de jeunes vont-ils continuer à accepter que leur situation sociale et économique n'évolue pas ? Jusqu'où sont-ils prêts à admettre que la misère et la pauvreté qui gangrènent leurs conditions de vie ne soient, autre chose qu'une fatalité ? Jusqu'à quand continueront-ils à accepter voir à tolérer que, certains en soient à construire des villas de grand standing, à convoler en noce une, deux ou trois fois, à rouler en 4X4 rutilantes, juste parce qu'ils profitent du népotisme ou parce qu'ils sont des thuriféraires des tenants du nouveau régime ?

Moustapha Niasse, ancien premier ministre de Wade, passé dans l'opposition depuis mars 2001, disait à propos de la situation socio économique du Sénégal : « Les Sénégalais sont coincés entre les deux mâchoires d'un saurien prêt à les engloutir avec d'une part, le poids de la misère quotidienne, et d'autre part la corruption ambiante »25. Les Sénégalais, les jeunes singulièrement, vont-ils attendre tranquillement d'être happés par les « mâchoires du saurien » ?

S'il est difficile à ce jour de donner une réponse, qu'elle soit affirmative ou pas, à ces interrogations, la multiplication de faits divers de plus en plus violents donne à penser que le risque de radicalisation de la jeunesse existe bel et bien. Depuis quelques années, le visage du banditisme sénégalais a évolué. En pire. Au début des années 2000 la « bande à Ino et Alex », du nom de ces célèbres voyous auteurs de vingt huit agressions et quatre viols dont celui d'une religieuse, avait ému et surpris le peuple sénégalais par la violence de leurs actes et les armes utilisées (kalachnikov entre autres). Mais

25 - Moustapha Niasse, cité par Thiendella Fall dans Walfadjri du 24 Avril 2009

aujourd'hui, des bandes de cambrioleurs, d'agresseurs, de coupeurs de route... dotées toutes d'armes à feu, de matériel informatique et méme, parfois de permis internationaux, essaiment à travers le pays et montrent bien que l'époque du coupe-coupe et de la machette est depassee au Senegal. Chaque jour des faits divers, les uns plus violents que les autres, sont relatés dans la presse. Aucune région n'est épargnée, toutefois celle de Dakar reste de loin la plus touchee. Les 2/3 des agressions relatees par la presse ont lieu dans cette region et sa banlieue. Le Senegal serait même devenu, à l'instar de bien d'autres pays de l'Afrique de l'Ouest comme les deux Guinees et le Nigeria, une des plaques tournantes de la drogue en provenance d'Amérique du Sud et à destination de l'Europe. Les saisies, de cocaïne notamment, seraient passees, selon Le rapport annuel de l'Organe International de Contrôle des Stupefiants (OICS) publie en fevrier 2008, de 2,8 tonnes en 2006, à 5,7 tonnes en 2007.

Par ailleurs, à la faveur de la crise financière, les pays europeens se barricadent, durcissent les lois contre l'immigration clandestine et multiplient les reconduites aux frontières. L'exemple de l'Italie qui est un des principaux pays d'immigration et qui vient de voter une loi qui cree « le delit d'immigration et de séjour clandestins » est edifiant. Silvio Berlusconi a declare recemment : « Nous fermons les portes et nous ne les entrouvrons que pour ceux qui viennent pour travailler et s'intégrer»26. Dès lors, si l'on admet que, quoiqu'on en pense, l'émigration clandestine a permis à des milliers de jeunes Senegalais de changer de situation socioeconomique, il est clair que, cette situation va engendrer de nouveaux comportements. En effet, les mesures draconiennes prises par les pays de destination, impliquent necessairement pour de nombreux jeunes de se trouver de nouvelles pistes d'insertion en restant dans leur pays d'origine. Le Sénégal est particulièrement concerne car il reste un des principaux passages vers l'Europe et les Etats-Unis d'Amérique. Et étant donné que le secteur informel reste le principal pourvoyeur d'emploi (97 %), il me semble, que les risques et

26 - Nadjia Bouaricha dans El Watan l'info. au quotidien, le 17 mai 2009

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les menaces de déstabilisation de la scène sociale qui pourraient être le fait des jeunes, viendront plus de l'incapacité du régime en place de tenir ses promesses de plein-emploi et son souhait de réguler ce secteur. Par exemple, en 2007, après que les autorités publiques aient décidé de faire déguerpir tous les marchands ambulants qui occupaient les trottoirs des principales artères (Ponty, Colobane...) de la capitale (Dakar), une violente manifestation avait été organisée par ces derniers. Ils reprochaient à l'Etat de chercher à les priver de leur gagne-pain en ne leur proposant aucune solution de rechange. Etant donné que le secteur informel reste pour la plupart d'entre eux la seule et unique voix pour une insertion économique, ces jeunes étaient prêts à user de tous les moyens qui étaient en leur possession pour parvenir à leurs fins comme le soutient un de leur représentant cité par LeQuotidien « le pouvoir ne peut à la fois « judiciariser » l'immigration clandestine, traquer les vendeurs à la sauvette (...) et espérer gouverner dans la tranquillité ». Au lendemain de cette violente protestation, les autorités sont revenues sur leur décision et ont permis aux marchands ambulants de continuer à travailler sur ces trottoirs. A la une de plusieurs journaux du pays on pouvait lire : « l'Etat recule devant les marchands ambulants ».

Source : le Quotidien du 22 novembre 2007, photos de la manifestation des marchands ambulants à Dakar

On voit donc, comme pour les cas précédents (imams, élèves, étudiants...) que la rue est devenue un véritable territoire où s'expriment toutes les rivalités de pouvoir qui chaque fois mettent une frange de la population face aux pouvoirs publics. Mais cette « victoire » des jeunes

marchands ambulants, en plus d'être inédite, participe à leur conférer une place de choix sur l'échiquier politique et social. L'on peut également supposer qu'elle constitue un avertissement en direction des pouvoirs publics comme pour leur dire qu'il faudra éviter autant la mobilisation des jeunes que leur colère.

Le risque que l'on peut encourir ici c'est de voir surgir un leader charismatique dont le discours tranche d'avec celui de ceux qu'on entend aujourd'hui sur la scène politique et sociale. Un leader qui sache cristalliser le mécontentement et la déception des jeunes en une force revendicative qui serait prête à user de moyens pacifiques mais surtout brutaux pour se faire entendre. Un leader qui, à l'image de Wade quand il était opposant particulièrement en 1988 et en 1993 a réussi, grâce aux jeunes et à la violence dont ils ont fait preuve dans les rues de Dakar et d'autres régions, à amener les pouvoir publics à instaurer un couvre-feu, saurait mobiliser et galvaniser des foules de jeunes. Bref quelqu'un qui propose une alternative à l'alternance, un renouveau du changement et des perspectives plus optimistes pour des centaines de milliers de jeunes qui, comme déjà évoqué, cherchent par tous les moyens à se sortir de la misère sociale, certains au péril de leur vie.

Autant Wade avait réussi à mobiliser la jeunesse en 2000, autant il avait su s'allier avec la presse et les médias privés qui avaient beaucoup participé à la régularité du scrutin. Il convient de voir ce que sont devenues ces relations et les risques qui pourraient en émaner.

LES CONFLITS DE POUVOIR ENTRE LES

AUTORITES PUBLIQUES ET CERTAINES

COMPOSANTES DE LA POPULATION (armée,

presse, opposition, confréries religieuses)

DEUXIEME PARTIE :

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A - Les relations tendues entre presse, médias et pouvoir politique : des rivalités de pouvoir lourdes de conséquences ?

A travers un communiqué du ministre de la Justice paru le vendredi 24 avril 2009 on pouvait lire : « Monsieur le Président de la République, une fois encore, vient d'accorder sa grace à treize jeunes Sénégalais, dont un journaliste, momentanément en conflits avec la loi et détenus dans les établissements pénitentiaires. (...) Cette mesure exprime l'engagement résolu du Chef de l'Etat à rassembler les Sénégalais autour d'un idéal républicain de justice et de paix, fondé sur le respect de nos valeurs communes incarnées par les lois et règlements »27. Cette mesure de clémence n'a rien d'extraordinaire car elle relève du pouvoir discrétionnaire du Chef de l'Etat d'accorder la grace présidentielle à qui il veut d'autant qu'on retrouve dans ce lot un journaliste.

En revanche, elle devient sujette à caution lorsqu'elle concerne des malfrats qui après avoir interjeté appel de leur condamnation à des peines de 5 et 6 ans de prison par le tribunal des flagrants délits, avaient vu, dans la matinée méme, la Cour d'appel de Dakar confirmer la sentence, en ramenant leurs peines à trois années de prison ferme. Ils étaient jugés et condamnés pour avoir mis à sac, dans la nuit du 17 août 2008, les sièges des journaux L'As et 24 heures chrono. L'agression dont les sièges des deux organes de presse ont fait l'objet vient s'ajouter à une série d'attaques contre la presse privée au Sénégal depuis le 21 juin 2008, lorsque deux journalistes, Boubacar Kambel Dieng de la Radio privée (RFM) et Karamoko Thioune de la "West African Radio Democracy" (WARD) ont été passés à tabac par des éléments de la Police.

Ces actes posés par le président de la République et son gouvernement sont diversement interprétés selon qu'on soit d'un côté ou de l'autre du pouvoir ou que l'on soit membre de la presse. Alors que les partisans du Président et ses partisans voient en ce geste un acte suprême de clémence, les journalistes et autres analystes de la scène politique et sociale prennent

27 - Abdoulaye Wade, cité par l'Agence de Presse Sénégalaise (APS), le jeudi 6 novembre 2008

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peur et s'interrogent. « Nous sommes préoccupés par les attaques intempestives contre la liberté d'expression et la résistance du gouvernement Sénégalais à adopter des législations conformes aux standards internationaux sur la liberté d'expression » s'insurge Agnès Callamard, Directrice Exécutive de ARTICLE 19. Si cette grâce constitue un véritable désaveu pour la justice dont l'indépendance est de plus remise en cause, elle est surtout pour les journalistes et leur profession une sérieuse menace. Alioune Diéry Niane déclare à ce propos : (( La justice est diligente quand c'est l'honorabilité du Chef de l'Etat qui est froissée et indifférente quand la dignité d'une corporation est bafouée ))28.

Pourtant, les relations entre le régime issu de l'alternance du 19 mars 2000 et la presse n'ont pas été toujours aussi tendues. Abdoulaye Wade luiméme, continue à clamer partout que c'est, en grande partie, grace au travail accompli par les journalistes durant cette élection qu'il a remporté le scrutin. Avant 2000, l'opposant Wade entretenait des rapports privilégiés avec ceux qu'ils clouent aujourd'hui au pilori. Pour Mame Ali Konté : (( l'opposant Wade était un homme courtois, aimable à l'endroit des journalistes dont certains souhaitaient même le voir accéder très rapidement au pouvoir, pour réparer une sorte d'injustice ))29. Une fois au pouvoir, il n'a pas hésité à faire passer le budget de l'aide allouée à la presse et aux médias d'abord de cent à cent cinquante millions de francs CFA (environ 228 670 euro) avant de la doubler en 2001, la faisant passer à trois cents millions de francs CFA (environ 457 347 euros). Il justifie le doublement du budget de l'aide à la presse par le fait que sa conviction (( a toujours été que l'information est une dimension de la démocratie en Afrique ))30. Il faut, néanmoins préciser que cette aide connaît de grands retards dans sa mise à la disposition des organes de presse. Pour exemple, le reliquat de 2007 n'est toujours pas versé aux bénéficiaires. Comment en est-on donc arrivé à cette situation où les

28 - Alioune Diéry NIANE dans (( 2008 année trouble pour la presse sénégalaise )), dans Le Matin du 31 décembre 2008

29 - Mame Ali Konté dans (( Presse et pouvoir, opération dragon )) dans Sud Quotidien du 5 mai 2008

30 - Maître Abdoulaye Wade Président de République du Sénégal dans (( une vie pour l'Afrique, entretien avec Jean-Marc Kalflèche et Gilles Delafon )), Février 2008, Michel Lafon

relations entre le régime en place et la presse sont devenues si tendues ? Les médias, la presse et les autorités publiques sont-ils dans une logique de lutte d'influence et de conflits de pouvoir ? Quels sont les stratégies et les discours des différents acteurs pour occuper et renforcer leur présence dans les territoires, à Dakar, à Tambacounda comme dans les autres régions ?

De prime abord, la facilité voudrait que la presse privée soit catégorisée comme indépendante alors que les médias d'Etat seraient aux ordres du pouvoir. Mais, le clivage public/privé ne rend pas totalement compte de la réalité de la presse, du moins au Sénégal. Certes, théoriquement le fait de ne pas dépendre du pouvoir et d'avoir la latitude de définir librement sa ligne éditoriale confère à la presse privée son indépendance. Mais, vu uniquement sous ce prisme, l'analyse reste totalement réductrice. En effet, au-delà du clivage public/privé, il y a la question des moyens et de l'indépendance financière et économique. Il y a aussi le choix de la qualité et de la rigueur du contenu de l'information diffusée. Dans tous les cas, pour certains chercheurs, en Afrique, « la configuration de l'espace médiatique est inséparable de celle de l'espace politique. Que les régimes soient fermement autoritaires ou apparemment plus libéraux, la presse reste dépendante des conflits sociopolitiques » (Gérard et Proteau, 2002, p. 12).

Dans ce contexte l'on est en droit de se demander si oui ou non les médias et la presse sénégalais ont contracté ce qu'on appelle en Côte d'ivoire le virus « I3P » c'est-à-dire « Information partielle, partiale et partisane ». Et si parallèlement à leur rôle premier d'information et parfois de contre-pouvoir quand ils ne sont pas confisqués par les pouvoirs publics, ils s'activent plus dans l'exacerbation des tensions et des inégalités sociales économiques et politiques que dans le souci de prévenir et d'apaiser les risques, crises et tensions qui pourraient déclencher des conflits sociaux ? Car si la situation sociale et politique au Sénégal n'a pas dégénéré comme c'est le cas en Côte d'ivoire, au Rwanda, il est clair que les médias et la presse ont parfois soutenu des guerres, justifié des génocides et des purifications ethniques. L'exemple de la Radio Télévision libres des Mille Collines (RTLM) dont les

appels, à la haine raciale contre les Tutsis et les Hutus modérés pendant le génocide rwandais de 1994, qui a fait presque 1 million de morts en 100, jours reste un exemple bien réel.

La Radio Télévision du Sénégal consacre presqu'exclusivement ses programmes à rendre visible le travail du chef de l'Etat et de son gouvernement. Le Président, son gouvernement et ses partisans font l'objet de tellement de reportages et de pages spéciales que de plus en plus de citoyens sénégalais en viennent à ne plus la regarder. Ils sont nombreux à penser, en parlant de la RTS, comme Jacques Habib Sy que : (( le (( Spécial JT » est surtout un carrosse d'or offert au chef de l'Etat pour se livrer à une campagne télévisuelle quasi-permanente. Aucune occasion n'est négligée, aucun déplacement boycotté. Toute l'action présidentielle est le point de mire de l'équipe du JT. L'activité ministérielle arrive aussitôt après celle du Chef de l'Etat »31. Les médias publics s'attellent ainsi à véhiculer l'image d'un chef de l'Etat travailleur infatigable qui parcourt le monde à la recherche d'investisseurs et de partenaires au développement capables de faire du Sénégal (( un pays émergent », à le présenter comme un des leaders de l'Afrique qui, sur le plan de la démocratie et de l'impulsion d'un renouveau économique du continent, sont incontournables. En outre, il y apparaît comme un des meilleurs sinon le meilleur président que l'Afrique ait jamais connu. L'on entend même certains journalistes le présenter comme (( le président le plus diplômé d'Afrique ». Par ailleurs, des quotidiens proches du pouvoir ont été créés au lendemain de l'alternance et ont pour ligne éditoriale de brocarder les opposants et de présenter le chef de l'Etat sous ses meilleurs aspects : (( Monsieur le Président, c'est vous que les Sénégalais ont élu et réélu. Vous êtes entré dans l'Histoire par la Grande porte ~ Cher ami, cher compagnon des années difficiles, que Dieu vous illumine, guide vos pas et vous élève vers la félicité pour l'honneur de notre grande nation. »32.

31 - Jacques Habib SY Professeur en communication et Directeur de l'organisation régionale africaine Aide Transparence dans (( la crise de l'audiovisuel au Sénégal »

32 - Ndiogou Wack SECK dans IL est Midi, Lundi 25 Juin 2007

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L'information partielle et partisane que livrent les médias publics est largement relayée par des antennes relais et des stations régionales (Dakar, Saint Louis, Ziguinchor, Kaolack et Tambacounda) qui couvrent une bonne partie du territoire national et au-delà. La RTS dispose de deux canaux : RTS canal 1 : station internationale qui émet en arabe, anglais, français et portugais et RTS canal 2 : station nationale qui émet dans les langues locales et en arabe. Ainsi, outre le wolof parlé et/ou compris par près de 90% de la population, le pulaar, le sérère, le djola, le mandinka, et le soninké qui sont, par ailleurs, les principales langues d'alphabétisation ont été les premiers principaux moyens de diffusion. Il faut préciser qu'aujourd'hui, toutes les langues locales codifiées ont des émissions sur les antennes des radios publiques.

Mais si la RTS, seule sur les ondes pendant plusieurs années, a été pionnière dans ce domaine, elle a été vite rejointe par les médias privés. Si la course à l'implantation dans les territoires entre médias privés et publics est en passe d'être gagnée par les premiers, la radio Sud Fm disposant par exemple de sept stations régionales (Dakar, Thiès, Saint Louis, Diourbel, Kaolack, Louga et Ziguinchor), a vu l'apparition d'un nouvel acteur à savoir les radios communautaires. Elles ont pour philosophie, selon la définition qu'en donne l'Association mondiale radios communautaires (Amarc) de permettre aux « sans voix » de s'exprimer. Elles permettent d'offrir une tribune aux laissés-pour-compte d'un univers médiatique marqué par une implacable logique de rentabilité. Elles servent de porte parole aux opprimés (qu'il s'agisse d'une oppression de race, de sexe, de religion de classe sociale) et, s'activent enfin comme un outil au service du développement local. Le Sénégal en compte aujourd'hui 26, dont deux à Tambacounda et six à Dakar et sa banlieue. Elles privilégient toutes les communications en langues locales spécifiques à la région d'implantation. Par exemple, la radio Kolda Fm, du nom d'une région du Sud frontalière à Tambacounda, diffuse ses émissions selon la répartition suivante : 50% en pulaar, 24% en mandinka, 7% en balante, 6% en diola, 4% en mankagne, 3,5% en wolof et 1% en français. L'information occupe pour chaque langue 60 % du temps

d'antenne, alors que les 40 %33 restants sont consacrés à des émissions interactives.

Tandis que les médias publics (radio, télévision presse écrite) s'attellent à la visibilité des oeuvres du Président, bafouant par le fait méme, le principe d'égalité de traitement de tous les citoyens, quelque que soit leur appartenance politique, vis-à-vis des médias publics, certains organes de presse privés vont au-delà. Ils permettent ainsi aux citoyens de juger librement les actes posés par les autorités publiques. Ils donnent l'opportunité aux différentes composantes de la population de s'exprimer, souvent dans leur propre langue, pour dire leurs souffrances et exprimer leur écoeurement face à une situation socioéconomique qui empire, mais aussi montrer leur lassitude face à une scène politique où les intrigues politiciennes se multiplient. Ils leur permettent également de dénoncer, dans certaines localités, leur abandon par les pouvoirs publics. Ce faisant, certains médias privés semblent se positionner comme de véritables contrepouvoirs. En effet, l'occurrence de voix « discordantes », d'opinions critiques, non favorables au gouvernement et à sa politique sur une multitude de thèmes, relayées largement à travers le territoire national et au-delà, n'est, sans doute, pas très bien apprécié par les pouvoirs publics.

Par ailleurs, certains journalistes comme Pape Alé Niang qui a pendant plusieurs années animé la revue de presse à la radio Sud Fm, dont les émissions sont à 60 % en wolof et 40 % en français, parlait du président Wade en disant en wolof « sama mame » ou encore « bour Sine » (respectivement « mon grand père » et « le roi du Sine ». Ce qui lui avait d'ailleurs valu des menaces, certains proches du président comme le ministre de la justice Cheikh Tidiane Sy estimant le 22 novembre 2006 qu'il était nécessaire de lui « administrer une correction » pour sa revue de presse jugée « irrévérencieuse »34 à l'endroit d'Abdoulaye Wade. Si ces deux expressions peuvent servir à désigner le chef de l'Etat sans le nommer, elles attirent, en revanche, l'attention sur son age (83 ans en 2009) et sur

33 - Source : Kolda FM

34 - Reporter sans frontière

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certaines de ses pratiques considérées comme des dérives autoritaires comme les répressions de plus en plus fréquentes des manifestions sociales, les condamnations de journalistes pour « offense au chef de l'Etat » etc.

Dans ce contexte, les journalistes sont assimilés à des opposants et des fauteurs de trouble et traités comme tels, parfois même plus sévèrement comme on l'a déjà montré. Cette situation, dans laquelle aux pouvoirs des médias privés s'opposent ceux de l'Etat (brimades, arrestations, emprisonnement, suspension d'autorisation d'émettre...), constitue un terreau fertile pour une surenchère verbale et comportementale mais aussi pour l'émergence de tensions et peut-être d'affrontements.

Dans tous les cas, la situation est telle que pour Reporter sans frontières (RSF) le Sénégal est passé, en matière de liberté de la presse, de la 47e place en 2002 à la 86e en 2008 en passant par la 66e en 2003. On peut dès lors se demander si la stratégie des pouvoirs publics, si tant est qu'elle en soit une, n'est pas tout simplement grosse de nombreux dangers ? Une stratégie, qui plus est, ne peut avoir pour résultat, que de cristalliser et de stigmatiser les différences et les divergences, d'exacerber, d'envenimer et de radicaliser les positions, bref d'être un frein au dialogue et à la concertation. Car, cette situation déjà délétère où presse et pouvoir s'affrontent au cours de diatribes, les unes plus virulentes que les autres, nourrit le risque de confrontations. En effet, quand les tenants de la force légitime (police entre autres) usent de leurs pouvoirs pour réprimer dans la violence les auteurs et les diffuseurs d'opinions et de visions contraires aux leurs, et que les victimes s'inventent des stratégies soit pour se défendre ou pour se venger, là se trouve la ligne rouge dont le franchissement n'augure rien de paisible. Aujourd'hui, au Sénégal, on n'en est plus, hélas, très loin. Il vient Dès lors plusieurs hypothèses dont celles-ci :

1 - Certains médias privés et certains journalistes pourraient-ils s'allier à une certaine frange de l'opposition qui se voudrait radicale ? En effet, injuriés, menacés, traqués, emprisonnés et leurs biens saccagés, ceux-ci pourraient mettre en oeuvre des stratégies soit pour se protéger ou pire pour

contre attaquer. Une telle situation pourrait conduire à ce que ces médias et journalistes ne se contentent de traiter que la face cachée de l'action du chef de l'Etat et de son gouvernement, participant ainsi à une diabolisation des pouvoirs publics et à l'exacerbation d'un sentiment de rejet. Du coup, l'alliance avec certains partis politiques de l'opposition pourrait facilement se muer en une force politico-médiatique dont les ambitions seraient inexorablement liées au renversement du régime en place.

2 - Des populations, jeunes et moins jeunes pourraient se ranger du côté de certains médias privés et de certains journalistes. Au vu des tracasseries, des brimades et des violences dont ils sont victimes, ceux-ci pourraient bénéficier d'un important capital de sympathie d'une bonne partie de la population qui a pu et/ou continue de profiter de leurs colonnes, micros ou caméras pour exprimer leur pauvreté et la dégradation croissante de leurs conditions de vie. Par le biais d'une mobilisation sans précédent, surtout que les jeunes se savent capables de faire reculer les pouvoirs publics, ils pourraient dans un élan de synergie constructive demander, voire exiger que cessent toute violence et toute tentative de musèlement de la presse. La question serait alors de savoir quelle forme pourrait prendre cette réclamation.

Sources : APS, marche de protestation des journalistes le 23 août 2008 à Dakar

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Au-delà des rivalités de pouvoir qui depuis 2000 opposent différentes et nombreuses composantes de la société aux autorités politiques issues de l'alternance, il me semble important de pas occulter le nouveau type de rapport qu'entretiennent ces autorités avec la confrérie mouride. En effet, ses membres, comme nous allons essayer de le montrer, pourraient être à l'origine de divergences au sein d'une communauté musulmane déjà fortement divisée par l'appartenance à différentes confréries.

B - Luttes de pouvoir entre opposition et coalition présidentielle, que peuvent engendrer ces conflits politiques ?

Les partis d'opposition ont fait le constat selon lequel : « Tout le monde sait que le Sénégal traverse une période difficile de son histoire. Aux contentieux politiques d'ordre institutionnel ou électoral viennent s'ajouter les difficultés croissantes de la vie quotidienne, dominées par une misère et un chômage endémiques, une inflation galopante et des pénuries de toutes sortes. (...) Face à cette crise multidimensionnelle (éthique, politique, économique, sociale et culturelle) aux conséquences imprévisibles, l'inquiétude et le désarroi se répandent, tandis que chacun s'interroge avec perplexité sur l'avenir. (...)». Ce constat fait, ils se donnent pour mission : « Tous, ensemble, nous devons nous poser la question de savoir : où va le Sénégal ? Notre opinion est que le pays se trouve dans une impasse et notre choix est de lui éviter des convulsions douloureuses ; de tenter de l'en sortir par le dialogue, de trouver une solution consensuelle globale, efficace et durable à la grave crise qui sévit dans le pays »35.

Pour atteindre leurs objectifs, ils ont organisé des assises nationales le 1er juin 2008 à Dakar. Au-delà des acteurs politiques membres de l'opposition, ces assises ont vu la participation de guides religieux, d'anciens généraux à la retraite, de nombreux intellectuels et de personnalités comme Amadou Makhtar Mbow ancien directeur général de l'Unesco. En outre, pour les organisateurs, les assises nationales sont ouvertes à tous les citoyens du Sénégal, elles en regroupent toutes les catégories et vont se dérouler

35 - tiré des Termes de référence des assises nationales disponibles sur leur site www.assises-senegal.info

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dans chaque département et de manière participative, afin de recueillir l'avis de tous. C'est ainsi qu'après la première mobilisation, des comités ont essaimé à travers toutes les régions du Sénégal, dans certains pays d'Afrique, d'Europe et méme aux Etats-Unis d'Amérique.

La nécessité du lancement des Assises nationales est liée au fait qu'au niveau politique, les relations entre pouvoir et opposition sont dans une impasse. Depuis les élections présidentielles de février 2007, le dialogue politique est interrompu. Une situation qui nourrit de vives tensions quant au contrôle des pouvoirs et à la gestion des territoires. Car alors que les autorités publiques ne voient dans cette initiative qu'une machination ourdie par l'opposition pour déstabiliser le pays et faire un « coup d'Etat constitutionnel », l'opposition, de concert avec la société civile, entend faire un diagnostic en profondeur de la situation socioéconomique du pays et surtout lui éviter d'éventuels troubles. De plus, forte de sa nouvelle légitimité et de sa popularité acquises lors des élections locales et régionales de mars 2009 (les communes gagnées par l'opposition rassemblent près de 70% de la population nationale), l'opposition qui, du fait de son boycott des législatives de 2007 est absente des institutions parlementaires, semblent vouloir monnayer, du moins fructifier, sa représentativité. Toutefois, pour l'heure, le débat politique se résume en quelques échanges épistolaires dans lesquels les deux camps dressent des listes de griefs et de manquements imputables aux uns ou aux autres. Du coup, les contentieux politiques se multiplient et les tensions persistent. Aussi, ce que l'on peut craindre, c'est qu'au-delà du landerneau politique où les querelles de pouvoir opposent les coalitions de l'opposition à la majorité présidentielle, qu'on assiste à une territorialisation de ces tensions et contentieux. Les dernières élections locales ont divisé le pays en deux grands blocs, l'ouest et le nord-ouest où on retrouve des régions comme Dakar, Thiès saint Louis ~ avec plus de 70 % de la population entre les mains de l'opposition face au Sud et au Sud-est gagnés par la coalition présidentielle avec seulement 30 % de la population dans les régions comme Tambacounda, Ziguinchor.... Les problèmes que pourrait engendrer une confrontation entre les partisans des deux camps pourrait

être lourde de conséquence pour la stabilité et la paix sociale au Sénégal. En effet, l'absence du dialogue politique pourrait être interprété comme un refus de la part des autorités publiques de prendre en charge les difficultés des populations qui lors des dernières élections ont accordé leur suffrage à l'opposition faisant du méme coup de ces acteurs politiques leur porteparole.

Pourtant, l'histoire récente du Sénégal est riche d'expériences qui ont montré que le dialogue politique et social est indispensable à la bonne marche de la société, à la paix civile, à la stabilité du pays et au bon fonctionnement de la démocratie. Des épisodes qui avaient permis à l'Etat et aux acteurs politiques et sociaux de trouver des solutions, aux problèmes difficiles qui se posaient à des moments donnés, ou aux contentieux qui les opposaient. C'était le cas en 1988 et en 1993 lorsqu'après de violentes manifestations postélectorales, le pouvoir nouvellement élu et les opposants (dont l'actuel président de la république) qui s'étaient sentis volés avaient réussi à trouver des solutions consensuelles qui avaient permis, par le biais d'un gouvernement dit d'union nationale, d'éviter l'escalade de la violence.

Dans tous les cas, la situation est tellement tendue que des membres de la société civile comme Lamine Diack, président de la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF) ont récemment déclaré : « Quand on se parle au Sénégal, on est capable de trouver des solutions à tous les problèmes. Mais quand on ne se parle plus, c'est grave (...) Nous de la société civile nous devons nous mobiliser et mettre l'épée dans les reins des politiques pour les faires avancer. Il faut qu'ils avancent. Sinon on les bousculera »36. De plus, certaines voix se lèvent pour inviter les différents acteurs politiques à faire appel à des médiateurs dans la sous région (Blaise Compaoré par exemple, président du Burkina, qui a réussi à ce que les parties en conflit en Côte d'Ivoire créent un dialogue positif) pour aider dans un premier temps à dépassionner les positions et ensuite à les amener à discuter et à trouver de concert des solutions pour une meilleure

36 - Birahim NDIAYE xibar.net : Mardi 11 Août 2009

gouvernance politique et pour la prise en charge des problèmes socioéconomiques du pays.

En somme, malgré l'attitude des autorités publiques qui semblent pour le moins disposées à répondre positivement à l'invitation à la concertation de l'opposition, celle-ci continue de croire que par le biais du dialogue, bien des menaces pourraient être écartées. Mais pour combien de temps encore ? D'autant que dans beaucoup de pays d'Afrique subsaharienne notamment (Guinéee,Guinée Bissau Côte Ivoire...), les antagonismes socio politiques se soldent souvent par des bains de sang.

Outre les vives tensions et les luttes de pouvoir entre opposition et coalition présidentielle, les nouveaux types de rapport entre pouvoirs publics et certaines confréries religieuses peuvent-elles être lourdes de conséquences pour la stabilité du pays ?

C - Relations entre islam confrérique et pouvoir politique : assiste-t-on à l'émergence d'une confrérie d'Etat et quelles pourraient en étre les conséquences pour la stabilité du pays ?

La population du Sénégal est composée à 94% de musulmans répartis essentiellement dans quatre grandes confréries : 15 % d'adeptes de la khadriyya, 36 % de disciples de la Mouridiyya, 54 % appartiennent à la confrérie Tidjaniyya. Il existe d'autres confréries moins influentes comme la Layéniyya, les moustarshidinn. Environ 5% des sénégalais sont chrétiens (principalement des catholiques mais aussi des protestants, des Témoins de Jéhovah...) et 1% d'animistes et d'adeptes de religions traditionnelles localisés pour la plupart au Sud-Est de la région de Tambacounda, et/ou d'athées. Dans cette configuration, il aurait été aisé de craindre que les fortes minorités soient victimes de discriminations ou de toutes autres formes de tracasseries liées à leur appartenance religieuse. En fait, il n'en n'est rien. Si de telles pratiques ont cours dans certains pays d'Afrique (Nigéria), au Sénégal ce n'est pas le cas, loin s'en faut. En effet, dans ce pays les différentes composantes vivent dans une symbiose quasi parfaite. Pour

preuve, à Joal ville native de l'ancien président de la République Léopold Sédar Senghor existe un cimetière, où sont enterrés catholiques et musulmans.

En outre le dialogue islamo-chrétien n'est pas qu'un concept vide de sens. Bien au contraire, les représentants des différentes confessions religieuses se retrouvent souvent pour échanger sur ce qui les rapproche et discuter de ce qui pourrait constituer des différences et voir comment les aplanir. Chrétiens comme musulmans, au Sénégal restent préoccupés par la préservation de la paix sociale. L'actuel archevêque de Dakar, le cardinal Théodore Adrien Sarr, a invité le 24 Décembre dernier tous les acteurs sociaux à la concertation. Il disait : « Nous invitons tous les acteurs à un dialogue social vrai pour conjuguer les visions, les efforts et les forces afin de réduire les souffrances et la pauvreté. Là où la force domine, que nous tentions la paix du dialogue (...) C'est la seule voie pour apaiser les tensions et préserver la paix sociale »37.

Par ailleurs, le mariage interreligieux, méme s'il connaît encore dans certaines localités des réticences, est très fréquent et participe, à sa façon, à la construction et à la pérennisation de la paix sociale et de la stabilité du pays. Il n'est pas rare de voir dans une méme famille, des frères, soeurs, oncles, tantes et cousins, pratiquer des religions différentes et vivre en parfaite harmonie.

Mais, quoiqu'on en dise, les confréries religieuses au Sénégal restent rivales. Qu'elle soit latente ou « sourde » comme d'aucun le prétendent, la rivalité n'en est pas moins réelle. En effet, c'est à qui réussira le magal, le siaara, le gamou, bref le pèlerinage (en wolof) le mieux organisé, le plus médiatique et qui aura mobilisé le plus de foules. De même, elles ne se privent pas de faire étalage de leurs richesses et de leurs prestiges, étant entendu que les guides religieux ou marabouts sont considérés comme les dépositaires de l'avoir, du pouvoir et du savoir. Dans les villes (Dakar, Thiès et Diourbel) qui abritent leurs sièges -appelée villes saintes- ce sont de

37- Agence de Presse Sénégalaise, Mercredi 24 décembre 2008

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somptueuses mosquées qui y sont construites. Malgré les particularités qui les distinguent, elles partagent, en revanche, un ensemble de pratiques cultuelles basées sur le coran et la suna.

Mais, si les guides religieux, chrétiens comme musulmans, ont toujours été préoccupés par la préservation de la paix sociale, qu'est-ce qui explique la recrudescence de leurs appels à la concorde nationale ces dernières années ? Pendant les nombreuses années (1960-2000) au cours desquelles ils ont dirigés le Sénégal, Léopold S. Senghor et Abdou Diouf ont su se tenir à équidistance des milieux religieux. Et même si certains marabouts ont, à un moment ou à un autre, donné des consignes de vote en leur faveur, jamais ils n'ont lancé autant d'appels à cultiver la paix sociale depuis 2000. Une chose est sure, les relations entre le régime actuel et certains milieux religieux sont différentes de ce qu'elles étaient. En effet, dès 2001, le sociologue Malick Ndiaye écrivait : « ~le nouveau pouvoir est à l'origine d'une réorganisation religieuse du Sénégal dans le sens de l'émergence d'une confrérie d'Etat avec ses conséquences immédiates, notamment l'intolérance confrérique, y compris dans le domaine politique, par l'exigence proclamée par Ousseynou Fall qu'il soit mis un terme au principe de l'admission de tous à toutes les fonctions sans égard aux croyances religieuses »38.

En réalité Abdoulaye Wade se dit fervent talibé (disciple) mouride. A ce titre, il a fait, à l'instar de tous les talibés, allégeance à son marabout. Mais là où cette relation à son guide spirituel pose problème c'est dans son comportement en tant que chef d'Etat vis-à-vis de son marabout. Mais depuis son élection Wade fait fréquemment le voyage vers Touba, et en utilisant les moyens de l'Etat, ceux-là dont il peut profiter du fait de son statut. Il se rend dans cette ville non pas seulement en tant que disciple, mais aussi et surtout en tant que Président de la République du Sénégal. Président de la République, une institution respectable et respectée.

38 - les deux composantes de la fracture sociale, dans Walfadjri du 16 juillet 2001, cité par Almamy Wane dans « Le Sénégal entre deux naufrages ? Le Joola et l'alternance »

Dans ce contexte, le fait de se présenter devant le marabout, et de s'asseoir par terre alors que des fauteuils lui sont proposés, pose problème. Surtout que le Sénégal compte plusieurs confréries auxquelles le président Wade ne rend pas de visite méme à l'occasion de grandes cérémonies commémoratives de chacune d'elles, que ce soit à Dakar, à Tambacounda ou dans toute autre région du pays. Si l'expression et les manifestations de son attachement voire de sa soumission vis-à-vis de son marabout, peuvent servir ses visées et ses vues politiques, elles peuvent, en revanche, être lourdes de conséquences pour la nation. En effet, elle pose les jalons d'un favoritisme confrérique et donc de l'exclusion de certaines d'entre elles. En abandonnant ainsi sa posture de vigie de la nation, pour se vêtir de sa simple tunique de talibé, Wade crée une nouvelle forme de relations entre pouvoir et guide religieux.

D'ailleurs, l'on peut légitimement se demander si cette collision entre les politiques et les religieux ne pourrait pas déboucher sur le désir de ces derniers d'avoir plus d'influence sur la scène politique, sociale et économique. En fait, forts du soutien indéfectible du chef de l'Etat et de son souhait déjà affirmé de vouloir supprimer de la Constitution le terme de laïcité, les mourides pourraient se prendre à réver d'une islamisation des institutions sénégalaises. Une situation qui ne manquera pas de susciter de très fortes convoitises. Car si, comme c'est le cas à Thiès par exemple, il est possible que deux mosquées soient construites face à face à cause de rivalités confrériques (mouride et tidjane) dans un quartier populaire, il est aisé d'imaginer quelle sera la nature des conflits et querelles que le contrôle d'une République islamique ne manqueront pas de susciter. Et, si en plus les minorités chrétiennes et autres réclament leur appartenance à la nation et donc au territoire sénégalais, il est certain que les crispations que cette situation risque d'engendrer pourraient influer négativement sur la stabilité du pays. En effet, si la tolérance, la cohabitation et la convivialité ethniques et religieuses ont forgé le modèle sociopolitique sénégalais, rien n'indique que la « ségrégation » confrérique qui prend de plus en plus d'ampleur ne puisse le remettre durablement en cause.

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En outre, la dégradation croissante des conditions de vie des masses populaires pourrait être un terreau fertile pour le développement d'un fondamentalisme islamique. Si le verrou constitutionnel de la laïcité venait à sauter, l'influence des marabouts qui, le plus souvent disposent de moyens financiers très importants, pourrait peut-être trouver un réceptacle très favorable à un discours qui aurait pour thème le rejet de la différence religieuse auprès de populations qui leur sont totalement dévouées. Aussi, la tentative d'inscrire le marabout de Touba, Serigne Saliou Mbacké, sur les listes de son parti politique lors des élections locales de 2003 montre clairement jusqu'où est allée la collusion entre le religieux et le temporel sous le magistère de Wade et quelle interprétation pourrait en être faite de la part des disciples de la mouridiyya.

La connivence entre Wade et la confrérie mouride peut être, si l'on n'y prend garde, source de chaos social pour le Sénégal. Car, si elle est en soi un calcul politique qui peut lui être bénéfique, elle peut, en revanche, créer les prémices d'affrontements entre confréries et peut-être entre différentes confessions religieuses.

En méme temps que l'on craint l'émergence d'une confrérie étatique et donc une discrimination entre celles-ci, un autre foyer de probables tensions susceptibles de constituer une menace pour la stabilité du pays s'est fait jour. Il s'agit de l'implication des militaires et paramilitaires dans la compétition politique. Voyons en quoi elle le serait.

D - Le vote militaire : une armée partisane ?

«J'ai toujours pensé que le rôle de l'Armée, dans les pays africains comme ailleurs, n'est pas de remplacer un pouvoir civil. Il est de garantir la sécurité du pays. La prise du pouvoir par l'Armée est toujours la marque d'un échec, le signe d'une régression.»39. Ces propos sont du général Lamine Cissé, ancien ministre sénégalais de l'Intérieur et auteur de : « Carnets secrets d'une alternance. Un soldat au coeur de la démocratie ». Avec le

39 - Cité par Abraham EHEMBA dans : «le vote des militaires sénégalais : Jeu et enjeu des pouvoirs politiques » Le Quotidien du 07 juin 2006

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général Mamadou Niang, ils étaient en charge de l'organisation et de la supervision des élections présidentielles de l'an 2000. Des élections dont le déroulement - une organisation presque parfaite et une transparence à toute épreuve - a été salué par la totalité de la classe politique sénégalaise et par l'ensemble des observateurs, qu'ils soient africains ou représentants de pays européens ou d'organismes internationaux (OIF, Transparency internationale, jeune Afrique, RADDHO, presse locale...).

Si l'organisation des élections a été confiée à l'armée, c'est parce qu'à cette époque, sa neutralité et son absence d'implication dans le débat politique et politicien, lui conférait naturellement le rôle d'arbitre dans les joutes électorales. En effet, après les violentes contestations qui ont suivi les élections présidentielles de 1988 et de 1993, les acteurs politiques ne se faisaient plus confiance. Il fallait donc pour assurer la viabilité du scrutin, une décision courageuse du régime socialiste de laisser l'organisation du processus électoral entre les mains de l'armée. C'est ainsi qu'en 1997 et 1998 Abdou Diouf nomma respectivement le général Mamadou Niang comme responsable de l'Observatoire nationale des élections (ONEL) et le général Lamine Cissé comme ministre de l'Intérieur.

La particularité de l'armée sénégalaise réside dans le fait qu'elle est, en Afrique de l'Ouest, la seule à ne pas avoir pris, au moins une fois, le pouvoir. Au-delà de l'Afrique de l'Ouest, elle fait partie des exceptions. Mais, si cette assertion cache mal le fait qu'il y ait eu des tentatives de coups d'Etat (dans les années soixante) qui ont toutes échoué bien entendu, elle permet, au moins de supposer que l'armée a toujours été préoccupée par sa mission première c'est-à-dire défendre la patrie contre toute agression extérieure. Le fait d'arme qui conforte cette analyse c'est ce qui s'est passé en 1968 lorsque, menacé par la mobilisation estudiantine et toutes les contestations qui s'en sont enjointes, le Président Senghor demanda à l'armée de « tirer à vue et sans sommation »40 sur la foule. Chef d'Etat-major de l'Armée, à l'époque, Jean-Alfred Diallo refusa d'exécuter les ordres mettant en avant son devoir de servir et de protéger le peuple plutôt que son obligation

40 - Idem

d'obéissance envers le Président de la République qui est considéré, encore aujourd'hui, comme le chef supreme des Armées. On raconte d'ailleurs que, lors d'une réunion du conseil national de sécurité, Senghor, en réponse à une question qui lui était posée, fit cette réponse : ((Mon général, prenez le pouvoir, si vous le voulez »41 offre déclinée, bien entendu par le général. Que cet épisode soit vrai ou qu'il soit à mettre dans le compartiment des faits divers infondés ou de la légende, il laisse penser que l'armée n'a jamais réellement été intéressé ni par l'exercice du pouvoir ni par le débat politique.

Aussi, lorsqu'à l'issue du Conseil des ministres du 4 mai 2006, la décision fut prise de soumettre à l'Assemblée nationale un projet de loi levant l'interdiction du vote des militaires et paramilitaires, le pouvoir en place prit de cours toute la classe politique. La Loi n° 2006-37 du 15 novembre 2006 modifiant l'article 33 de la Constitution fut votée par le parlement et adoptée. L'article 33 stipule : (( Le scrutin a lieu un dimanche. Toutefois, pour les membres des corps militaires et paramilitaires, le vote peut se dérouler sur un ou plusieurs jours fixés par décret ». Avant cette modification, l'article 33 dans la Loi n° 2001-03 du 22 janvier 2001 stipulait ce qui suit : (( Le scrutin a lieu un dimanche. Nul n'est élu au premier tour s'il n'a obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés représentant au moins le quart des électeurs inscrits. Si aucun candidat n'a obtenu la majorité requise, il est procédé à un second tour de scrutin le deuxième dimanche suivant la décision du Conseil constitutionnel. Sont admis à se présenter à ce second tour, les deux candidats arrivés en tête au premier tour. En cas de contestation, le second tour a lieu le deuxième dimanche suivant le jour du prononcé de la décision du Conseil constitutionnel. Au second tour, la majorité relative suffit pour être élu. »

Les (( hommes de tenue », comme on les appelle affectueusement au Sénégal n'en revenaient pas eux-mêmes puisqu'ils apprirent, pour la plupart, la nouvelle par les médias. S'il est vrai que la loi n'en était qu'à l'étape de projet, l'on savait d'avance que l'Assemblée nationale sénégalaise,

41 - Idem

dans sa configuration actuelle, où le président dispose d'une majorité confortable, l'opposition ayant boycotté les dernières élections législatives, est devenue plus une chambre d'enregistrement que de représentation de la voix du peuple. Elle vote toutes les lois qui lui sont soumises par le président où qui émanent de sa volonté. Les débats à l'Assemblée ont tourné essentiellement autour de la justification de la loi. Pour la plupart des députés, le Sénégal parachevait ainsi la maturité de sa démocratie. Car il est resté un des derniers pays en Afrique et au-delà à ne pas avoir autorisé le vote des militaires et paramilitaires. C'était donc faire justice et permettre à de (( braves hommes » de participer enfin à l'accomplissement de la démocratie. Le professeur de Droit constitutionnel El Hadji Mbodj dit à ce propos de l'assemblée nationale et des parlementaires du Sénégal : (( il y a un dérèglement du système politique.» et il ajoute : (( le député dans notre démocratie est de plus en plus le député du parti et de moins en moins le député du peuple »42.

Toujours est-il qu'en prenant sur lui la décision d'introduire cette proposition de loi, sans consultation aucune ni avec les acteurs politiques encore moins avec les militaires et paramilitaires qui, somme toute, sont concernés au premier chef, le président Wade entendait sans doute, montrer qu'il détenait le pouvoir sur la scène politique sénégalaise. Mais, si la façon de faire cette proposition de loi n'est en soi qu'une demi-surprise, car depuis 2000, les Sénégalais ont pris l'habitude des décisions unilatérales du chef de l'Etat, c'est plutôt le moment choisi qui pose problème. C'est après avoir prorogé les délais d'inscriptions sur les listes électorales qui devaient s'étaler sur une période de 6 mois (du 6 septembre 2005 au 28 février 2006) de onze mois, que la loi autorisant le vote des militaires a été soumise au Parlement pour adoption.

Il convient de préciser que, pendant cette longue période des inscriptions, plusieurs séances de concertation entre le gouvernement, et les partis politiques de l'opposition ont été organisées. La surprise et les vives

42 - Professeur El hadji Mbodj cité par Dialigué Faye dans le (( Populaire » N° 1073 du lundi 19 juin 2005

réactions des opposants et des citoyens dans leur ensemble après l'introduction de cette loi laissent croire que cette question n'a jamais été abordée au cours de ces discussions. Pour El Hadj Mbodj « il fallait un consensus d'abord au niveau des intéressés, ensuite un consensus entre les acteurs politiques pour que ces derniers prennent leurs responsabilités de lever l'interdiction de vote concernant les militaires. Mais lorsqu'en matière électorale, on agit de manière tout à fait discrétionnaire, je crois que là c'est fausser les règles du jeu ))43.

Au-delà des péripéties de son introduction au parlement et de son adoption, l'application de cette loi pose une question toute simple : pourquoi ? Pourquoi le président Wade a-t-il choisi d'impliquer les militaires et paramilitaires dans le processus électoral ? Est-ce pour s'attirer leurs faveurs et compter pour lui les milliers de voix qu'ils représentent ? Est-ce dans le méme ordre d'idées que les militaires, dont le salaire moyen va de 80 000 F Cfa (122 euros) pour les militaires du rang, à 250 000 F Cfa (375€) pour les sous-officiers en fin de carrière, font partie des fonctionnaires les mieux payés du Sénégal ? Répondre par l'affirmative à cette interrogation serait prétentieux de ma part car, à ce jour, aucune étude sérieuse ne permet de dire pour qui les militaires ont voté ou votent. Toujours est-il qu'en remportant, au premier tour et avec une avance confortable, les élections présidentielles de 2007, Maître Wade semble avoir peut-être profité des voix des militaires.

Toutefois, si on s'accorde sur le fait que l'implication des « hommes de tenue )) dans la compétition politique ne se résume pas seulement à passer par l'isoloir et à introduire un bulletin de vote dans une urne, on peut dès lors s'interroger sur toutes les étapes qui précèdent ces actes. En effet, autoriser le vote militaire, c'est incontestablement introduire le débat politique dans les casernes. C'est aussi et surtout amener militaires et paramilitaires à matérialiser leur choix par un bulletin de vote, et même si on peut supposer que, par le bulletin blanc, le votant n'accorde de crédit à

43 - Idem

aucun des candidats en lice, n'est-ce pas comme dit l'autre « ne pas choisir, c'est choisir de ne pas choisir » ? C'est aussi, prendre le risque de voir des désaccords surgir dans les rangs de l'armée selon qu'on soutienne tel ou tel candidat ou que l'on soit pour tel ou tel parti. Lors de la dernière campagne pour les élections locales, la violence dont sont capables les partisans des différents partis politiques dans la conquête ou la défense de leurs mandats électifs qui, si elle n'est pas nouvelle, a pris de l'ampleur comme le montrent les quelques exemples cités dans le tableau ci-dessous, permet d'avancer qu'on n'est peut-être pas à l'abri de confrontations nées des divergences de choix au sein de l'armée.

Tableau 2 : QUELQUES EXEMPLES DE SCENES DE VIOLENCES
PENDANT LA CAMPAGNE ELECTORALE DE MARS 2009

DATE

LOCALITE

COMMENTAIRES

09 mars 2009

Vélingara (Kolda)

Des affrontements ont opposé des militants du maire libéral Amadou Woury Diallo, candidat sortant, à ceux de la Coalition And Liggey Senegaal, conduite par le parti Rewmi de Idrissa Seck. 7 blessés et une voiture brûlée.

16 mars 2009

Niakhar (Fatick)

En plus des brassards et foulards rouges, la

délégation du Chef de l'Etat a essuyé des jets de pierres qui ont fait des dégâts matériels (2 véhicules du cortège) et plusieurs blessés dont un officier de la Division des Investigations Criminelles (DIC)

19 mars 2009

Linguère (Louga)

Des affrontements armés ont supplanté les échanges verbaux par meetings interposés entre les deux listes, Coalition Sopi 2009 et Benno Siggil Sénégal à Linguère. Des coups de feu, des armes blanches et des matraques électriques ont constitué l'essentiel des armes utilisées. De nombreux blessés graves ont été acheminés dans les centres hospitaliers de la région

19 mars 2009

Ouakam (Dakar)

une bataille rangée entre militants de la Coalition Sopi 2009 et ceux de Convergence citoyenne a failli tourner au pire. Armés de gourdins, de machettes, de pistolets entre autres armes, les partisans du maire libéral sortant Samba Bathily et ceux de moussa Diouf, l'opposant et candidat de Convergence citoyenne

16 avril 2009

Kolda

A l'annonce des résultats du vote pour l'élection du président du Conseil régional de Kolda qui donnent vainqueur Fabouly Gaye, des affrontements se sont produits entre le camp de ce dernier et celui d'un de ses adversaires malheureux, le député Alpha Koïta. Les militants des deux camps ont usé de machettes, de gourdins ou encore de pierres pour s'affronter.

Sources : Walfadjri, SudQuotidien, nettali, Le Quotidien, Le Soleil Mars 2009

74

Il faut, cependant, préciser, que les partis politiques ne sont pas autorisés à faire campagne dans les casernes. Cette interdiction traduit-elle, de la part des autorités publiques, la crainte de voir le débat politique et politicien transformer les casernes en zones d'affrontement entre partisans de différents camps ? Constituera-t-elle un frein à une forte implication des militaires et paramilitaires dans la compétition politique ? Dans tous les cas, l'on est en droit de se demander si cette interdiction doit nous amener à occulter les risques de dissensions, de désaccords voire d'affrontements que le droit de vote octroyé aux militaires pourrait induire ? En effet, le problème que pose cette situation, c'est le risque de voir une armée républicaine, connue et louée pour sa neutralité, devenir tout simplement une armée partisane, méme s'il n'est pas certain que tous les militaires votent de la méme façon. D'ailleurs pourquoi le feraient-ils ? Mais si on ne peut pas affirmer de but en blanc que celle-ci, pourrait user de moyens illégaux pour faire gagner un candidat déterminé, imitant en cela les militaires togolais qui, lors des élections présidentielles du 24 avril 2005, avaient bourré volontairement les urnes au profit du régime en place, on peut en revanche craindre plusieurs choses.

D'abord, que les divergences des choix et des soutiens électoraux au sein des corps militaires et paramilitaires ne divisent les troupes, élevant les uns contre les autres. Ensuite, qu'en perdant des élections comme c'est le cas lors du dernier scrutin local, les rapports entre l'armée et les pouvoirs en place ne soient plus aussi simples dès lors que ces derniers les considèrent comme des opposants au régime. Des signes prémonitoires de la détérioration de ces rapports ont déjà commencé à poindre, car lorsque, pour les élections législatives de 2007, les militaires à l'image de la plupart des autres Sénégalais, ont massivement boycotté le scrutin (27 % pour les militaires et 34,75 % pour les civils) 44, un militant du parti démocratique sénégalais (PDS) a manifesté sa désapprobation. Il a écrit dans un blog : « Dans un pays qui se respecte, l'armée vote pour le parti au pouvoir que diable ! (...) L'armée n'aurait-elle pas été insidieusement minée par la

44 - Source : Ministre de l'intérieur Me Ousmane Ngom, Agence de presse sénégalaise (APS) et RADDHO

perverse idée de boycotte prônée par une opposition aussi antidémocratique qu'antinationale (...) ? »45. Enfin, en impliquant l'armée dans les processus électoraux, on ne dispose plus, au Sénégal, d'acteurs neutres capables d'organiser des élections libres et transparentes sans parti pris. Bien entendu, il ne m'appartient pas de prétendre que les élections qui sont organisées par le régime en place ne le sont pas car je ne suis en possession d'aucun élément me permettant d'avancer une telle assertion.

Toujours est-il que, mises les unes dans les autres, ces craintes constituent de réelles menaces pour la stabilité du pays. Si la menace est insidieuse, elle n'en est pas moins réelle. En effet, le Sénégal reste, pour le moment, un îlot de tranquillité dans une Afrique occidentale où presque tous les pays, du Nigéria à la Mauritanie en passant par la Côte d'Ivoire, la Sierra Léone, les deux Guinées (Bissau et Conakry), la Gambie, le Burkina Faso, le Mali..., ont connu des régimes militaires qui dans certains cas ont été tout bonnement dictatoriaux, cela étant dû le plus souvent par le fait que les militaires étaient impliqués dans le jeu politique.

En somme, il me semble que cette décision de redonner aux « hommes de tenue » le droit de vote après plus de quarante ans de privation, sans que ceux-ci en fassent la demande, et sans que des objectifs autres que politiciens en soient la raison, n'aurait pas due être prise de façon aussi unilatérale. D'ailleurs, les débats qui ont précédé l'adoption de la loi par le parlement, comme ci-dessus évoqué, n'ont pas permis de lever le voile sur les véritables raisons qui la sous-tendent. Une question d'une telle sensibilité interpelle toute la classe politique et au-delà toute la nation dans ces différentes composantes. Elle pose plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Les militaires sénégalais, contrairement à d'autres en Afrique, ont toujours été au service du pouvoir politique, alors pourquoi les obliger à choisir entre les multiples forces politiques en compétition ? Madior Diouf professeur à l'Université Cheikh Anta Diop et leader du Rassemblement National Démocratique s'interroge à ce sujet : « Que gagnerait-on à avoir couru le risque de cette situation ? Devant les désordres qu'engendrent les

45 - Naomed, le lundi 28 mai 2007, dans le site www.blogs-afrique.info/senegal-politique

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passions partisanes et leurs dérives, la force de recours, déjà impliquée dans la compétition politique, par son vote qu'elle tient normalement à faire respecter, va-t-elle s'arrêter à imposer la fin de la récréation et sous quelle forme ? »46. L'on peut toutefois supposer qu'en agissant de la sorte, le pouvoir libéral cherche peut-être à affaiblir le pouvoir qu'une armée unie derrière ses principaux chefs pourrait avoir.

Par ailleurs depuis l'alternance, on assiste à ce que certains journalistes comme Madior Fall appelle une (( inflation d'étoilés » au sein de l'armée nationale. En effet, en l'espace d'un mandat, Abdoulaye Wade a dépassé le nombre de nomination de généraux de ses prédécesseurs. Il en a promu plus que Senghor et Abdou Diouf qui a eux deux, ont gouverné le Sénégal pendant quarante années. Si ce dernier, en vingt ans n'a élevé au grade de général des armées et de la gendarmerie que 19 officiers supérieurs, atteignant à peine un général par an en moyenne. Entre 2000 et 2008, 12 officiers supérieurs de l'armée nationale et de la gendarmerie ont été élevés au grade de général, occasionnant ainsi une moyenne annuelle de près de deux généraux par an. Il s'agit de Babacar Gaye, Pape Khalil Fall, Abdoulaye Dieng, Abdoulaye Fall, El Hadj Alioune Samba, Ibrahima Gabar Diop, El hadji Mohamed Kandji, Antou Pierre Ndiaye, Abdel Kader Guèye, Madické Seck, Pape Abdoulaye Diagne et Bakary Seck. Quatre vingt onze candidats au grade de général sont répertoriés en 2009. Le Président va-t-il accéder à leur requête. Le cas échéant, le Sénégal, proportionnellement à sa population et à l'effectif de son armée et des corps paramilitaires serait sans doute un des pays où on compte le plus de généraux. Cette (( inflation d'étoilés » peut être considérée comme un calcul politique de la part du Président. Car en (( caressant » l'armée, les militaires et les paramilitaires dans le sens du poil, il espère sans doute entrer dans leur bonne grace et s'attirer leurs faveurs. Toutefois, cette situation n'est-elle pas à double tranchants ? N'y a-t-il aucun risque de dissensions au sein de l'armée qu'elle ne puisse induire ? En fait il me semble qu'en multipliant et en égalisant les niveaux de décision au sommet, il favorise la création de groupuscules sous-tendus d'une part,

46 - Madior Diouf, dans Le Quotidien du 16 Mai 2006

par les affinités qui ne manqueront pas de se créer ou qui existent, d'autre part par les jalousies. Au total, en voulant s'attirer les faveurs de ceux-ci, Abdoulaye Wade semble avoir créé, en même temps, un nouveau foyer de probable prolifération de tensions susceptibles de menacer la stabilité du pays.

78

TROISIEME PARTIE :

PAUVRETE ET INEGALITES SOCIALES FACE

AUX POLITIQUES ADOPTEES PAR LES

AUTORITES PUBLIQUES : QUELLES

CONSEQUENCES SUR LA STABILITE DU

SENEGAL?

80

Définir et mesurer la pauvreté reste une tâche plutôt délicate. Car si de prime abord elle désigne la faiblesse, l'absence, le manque de moyen, d'argent, bref le dénuement, elle n'en demeure pas moins une réalité bien plus complexe. Mais dans le cas qui nous concerne, ici, l'objet n'est pas d'étudier la pauvreté au travers de toutes les dimensions utilisées pour en expliquer la complexité. Bien entendu, elles pourraient être utilisées seules ou combinée pour décrire et illustrer des situations bien déterminées. La question qui me préoccupe, c'est plutôt de savoir comment la pauvreté vécue par les populations dans un territoire donné, Dakar et Tambacounda pour ce qui nous concerne, peut-elle influer, positivement ou négativement, sur les comportements qu'elles sont amenées à adopter. En d'autres termes, estce que l'état de pauvreté actuel, dans ces deux régions, peut être à l'origine de troubles sociaux, de soulèvement populaire, d'émeutes... ? Avant de répondre à cette interrogation, il me semble indispensable de faire l'état des lieux de ce phénomène. Car, s'il est établi que le Sénégal est un pays où la majorité de la population est très pauvre, il fait partie, depuis 2000, des cinquante pays les moins avancés du monde d'après un classement établi par la CNUCED, il reste que les manifestations de la pauvreté sont inégalement ressenties selon les régions. C'est pourquoi, les régions de Dakar et de Tambacounda serviront de support territorial pour mieux cerner, et partant, faire des comparaisons quant aux mesures et stratégies mises en oeuvre pour endiguer ce phénomène, ou tout au moins en réduire les manifestations. Ceci à travers l'exemple de la santé et de l'agriculture par le biais, plus précisément, de la dépendance alimentaire.

Malgré une croissance économique affichant, par exemple, une progression annuelle de l'ordre de 5 % entre 1994 et 2002 avant d'atteindre les 6 % en 2005 après une légère baisse, et quelle qu'ait été la pertinence des mesures sociales mises en oeuvre, la majorité de la population reste affectée par une importante perte de son pouvoir d'achat. Une situation qui conduit selon le Document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP) à un creusement des inégalités sociales, les 20 % de la population les plus riches réalisant plus de 41% des dépenses annuelles totales contre 8,1% pour les

20%47 les plus pauvres. Autant que l'inégalité des revenus entre les pauvres et les riches, le déséquilibre structurel entre la capitale et les autres régions du Sénégal s'est fortement accru du fait de l'incapacité des différents régimes qui se sont succédés à la tête de l'Etat à ne pas concentrer les investissements uniquement à Dakar. Voyons à travers la relation entre santé et pauvreté dans les deux régions, comment se traduisent ces inégalités et ce déséquilibre.

A - Santé et pauvreté dans la région de Dakar : est-ce mieux dans la capitale ?

Malgré la progression de la part du budget allouée aux dépenses de santé (9,5 % en 2003 et 12 % en 2007), les dépenses de fonctionnement restent plus importantes que celles consacrées à l'investissement. Elles sont respectivement de 7 % et de 5 %. En 2006, le budget, consacré à la santé était, au niveau national, de 82 637 309 034 F Cfa (environ 126 millions d'euros). La région de Dakar avec 17 717 435 00048 F CFA (environ 27 millions d'euros) concentrait à elle seule 20 % de toutes les dépenses de santé. Elle paraît de prime abord bien dotée en infrastructure et personnel de santé.

La région de Dakar, qui occupe 0,3 % du territoire national et abrite 25 % de la population, est subdivisée en huit districts de santé et concentre : tous les établissements publics sanitaires de niveau 3 (EPS 3), 90 % des cabinets de spécialistes, 61 % des cabinets de médecins généralistes, 60 % des cliniques privées, 39 % des Postes de Santé (PS) privés sans maternité, 25 % des postes de santé complets privés, 84 % des médecins privés, 75 % des médecins généralistes, 92 % des spécialistes, 59% des pharmacies privées, 35 % des consultants, 30 % des accouchements des centres de santé, 35 % des accouchements des postes de santé, 25 % des consultations prénatales 1, 29 % des consultations prénatales 3.

47 - Source : Document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP 2)

48 - Source : Situation économique et sociale de la région de Dakar, 2006, SRSD Dakar 2007

82

84

86

POURCENTAGE DE LA DISPONIBILITE DE L'OFFRE DE SANTE A DAKAR
PAR RAPPORT AU NIVEAU NATIONAL (PERSONNEL HAUTEMENT
QUALIFIE ET STRUCTURES DE PREMIER ORDRE)

100

40

90

80

70

60

50

30

20

10

0

Dakar Sénégal

Sources : Situation économique et sociale de la région de Dakar en 2006, octobre 2007

La région de Dakar concentre ainsi, le meilleur en termes d'offre de personnel structures sanitaires et d'équipement en technologie de dernière génération. S'il reste vrai que la concentration de près du quart de la

population sur un très étroit territoire (0,3 %), peut justifier la nécessitéd'une couverture sanitaire appropriée et de qualité, il n'en demeure pas

moins que le déséquilibre avec les autres régions, Tambacounda notamment comme nous le verrons, est très important. Ce sont donc des taux de morbidité très inégaux que l'on constate entre la capitale et les autres régions.

Pourtant, malgré cette disponibilité de personnel et d'infrastructures de qualité, la région de Dakar connaît d'énormes problèmes sanitaires. Ils sont liés principalement à l'insalubrité, à la promiscuité et au dénuement de

certaines franges de la population qui, pour se loger à moindres frais, sont obligées d'habiter des zones inondables. Ce qui crée une situation favorable à la prolifération de pathologie comme le paludisme et le choléra.

Sources : SudQuotidien, PressAfrik, le Matin, photos des inondations à Pikine et Guédiawaye (banlieue de Dakar) en 2007

Le paludisme constitue le premier problème de santé publique au Sénégal. Il est la première cause de morbidité et de mortalité générale, surtout chez les enfants de moins de 5 ans. Plus de 50% de la demande des services de santé au niveau du pays tout au long de l'année, est lié au paludisme. En 2008 un total de 722 décès liés au paludisme a été noté au Sénégal. La région de Dakar comme le montre la carte ci-dessous est la plus affectée malgré qu'elle reste de loin la plus dotée en infrastructure et personnel de santé. Les fortes densités, la multiplication des zones inondables en saison de pluie particulièrement, l'inexistence d'un réseau adéquat d'évacuation des eaux usées et de pluie qui facilite la formation de flaques d'eau favorables à la prolifération des moustiques (anophèles) sont sans doute les raisons qui justifient ces statistiques.

88

90

Quant au choléra, la carte ci-dessous montre combien la région de Dakar a été particulièrement touchée, après que l'épidémie soit partie de Diourbel. 9755 cas ont été relevés par les autorités sanitaires dans l'ensemble du pays. Causée par le manque d'hygiène, cette maladie peut survenir dans des endroits où les règles élémentaires d'hygiène ne sont pas respectées. Mais, en septembre 2005 et 2006, une nouvelle vague avait frappé durement les quartiers pauvres de la banlieue où les inondations sont devenues un problème récurrent. 23 325 cas, dont 303 mortels, avaient été alors signalés. La négligence des populations plus préoccupées par des questions de survie, cumulée à l'incapacité des autorités étatiques à endiguer cette pandémie constitue encore des terreaux fertiles à la survenue de cette pathologie.

Cas cumulés de choléra notifiés au Sénégal d'octobre 2004 au 12 avril
2005

Sources : ministère de la Santé et de la Prévention, Sénégal et Institut Pasteur Dakar

Au total, il ne suffit pas seulement que les infrastructures et le personnel sanitaire soient en nombre et en qualité suffisants, encore faut-il que le fonctionnement soit approprié et que les populations puissent avoir

les moyens financiers de se payer les soins dont elles ont besoin. En effet, si les nantis peuvent se rendre dans des cabinets et cliniques privés où le prix de la consultation s'élève, en moyenne, à 16 000 F Cfa (environ 25 €) et celui d'une échographie par exemple à 39 000 F Cfa (environ 60 €), la grande majorité de la population dont ces sommes représentent le total des gains en un mois, se bouscule dans les établissements publics. L'accès aux soins est ainsi freiné, pour la grande majorité de la population, par les difficultés économiques auxquelles elles sont confrontées.

Les établissements publics, du fait de la faiblesse de leurs budgets, se heurtent à de nombreuses contraintes tant au niveau de la gestion des établissements (infrastructures et personnel) que de la qualité des soins délivrés. C'est le cas de l'hôpital Abass Ndao à Dakar. Selon le Docteur Amadou Ndiaye, chef de service du laboratoire « Le seul problème qui gangrène Abass Ndao est le manque de moyens : nous ne disposons que de 650 millions (990 920 €) de subvention de l'Etat. Les charges du personnel (salaires et avantages compris) s'élèvent à 1 milliard 210 millions de F Cfa (environ 1 844 635 €), alors que la subvention associée aux recettes (600 millions F Cfa, [914 695 €] l'année) nous donne un total de 1 milliard 250 millions [1 905 615 €] ». Et il ajoute : « Nous sommes souvent obligés d'agir par ordre de priorité : soit nous payons le personnel et sacrifions les fournisseurs, soit nous faisons le contraire »49. Dans les deux cas, les populations déjà très affectées par leurs propres difficultés économiques, se retrouvent en position de victimes. Car si les fournisseurs ne sont pas payés, le matériel dont ne peut se passer l'hôpital dans son fonctionnement n'est pas livré, et si le personnel n'est pas payé, les grèves se multiplient et là on ne parle plus de qualité de soins mais d'inexistence de soins. Par ailleurs, vue la faiblesse des rémunérations dans le secteur public (entre 122 et 366 euros/mois), le personnel de santé n'hésite pas, dans sa grande majorité, à travailler parallèlement dans les structures privées pour des revenus additionnels. L'expression utilisée en wolof pour désigner ce genre de pratique au Sénégal c'est : « xar matt » (littéralement, fendre du bois).

49 - tiré d'un dossier réalisé par Dié BA intitulé : « avoir des soins médicaux à Dakar : les coûts et les coûts du système ! », le 13 avril 2009, dans www.Ferloo.com

On comprend ainsi pourquoi, comme le montre l'Annuaire de la santé (MSP 2008) plus de 50 % de la population se tourne d'abord vers les guérisseurs et la médecine traditionnelle pour se soigner. En effet, en dépit du nombre des infrastructures de santé dans la région de Dakar, les problèmes que connaît le système sanitaire et les coûts prohibitifs rendent l'accès aux soins de qualité très difficile pour les nombreux démunis de la région qui restent le plus souvent livrés à eux-mêmes.

En outre, étant donné que seuls 15 % de la population (les fonctionnaires principalement) bénéficient de dispositifs formels de protection et de couverture médicale, l'inexistence de système de sécurité sociale et de système de gestion et de prévention de risques pour les populations les plus pauvres participe, d'une part à créer de nouveaux pauvres, d'autre part à maintenir ceux qui l'étaient déjà dans une situation encore plus précaire face à la maladie. En effet, même si des stratégies sont mises en oeuvre pour essayer d'organiser paysans et acteurs du secteur informel principalement, dans des mutuelles de santé où les cotisations mensuelles s'élèvent entre 100 et 200 F Cfa (0,15 et 0,30 €), le problème n'est pas réglé pour autant. Car, s'il y en a qui rechigne à verser ces cotisations, d'autres part contre n'en disposent tout simplement pas. Par ailleurs, il faut reconnaître que l'Etat a mis en place la gratuité des soins pour les personnes du troisième âge qui constituent 3 % de la population nationale et pour les femmes enceintes qui doivent par exemple subir des césariennes. Mais l'application de ces mesures reste difficile surtout lorsque les hôpitaux, centres et postes de santé sont souvent confrontés à des problèmes de matériels médicaux, à des coupures d'électricité et des grèves du personnel ou encore aux absences répétitives du personnel.

Par ailleurs, l'accès à l'eau potable et à un système adéquat d'assainissement joue un rôle déterminant dans l'état de santé de la population. Méme si les pouvoirs publics ont consenti beaucoup d'effort dans la mise à disposition auprès des populations d'une eau de qualité et en quantité suffisante, une analyse récente (MSP 2004) ayant montré qu'en milieu urbain, le taux d'accès à l'eau potable a connu des progrès sensibles,

92

passant de 78% en 2000 à 90%, il subsiste encore de sérieuses disparités d'accès selon les usagers et les régions. D'une part, un fort écart de taux de branchements particuliers subsiste entre la région de Dakar (75,7% en 2004) et les autres centres urbains (57,1% en 2004). D'autre part, 20% des ménages urbains et périurbains, les plus modestes, dépendent des bornes fontaines et payent l'eau au litre (environ 0,03 € les 5 litres) alors que les ménages disposant d'un branchement domiciliaire la payent au mètre cube (0,56 €). La consommation spécifique dans les quartiers pauvres de Dakar ne dépasse pas 30 l/j/pers., soit la moitié de la consommation spécifique moyenne de Dakar. En outre les populations de la banlieue se plaignent de sa qualité et de sa disponibilité : «L'eau qu'on boit ici est vraiment spéciale. Parfois, elle ne sort même pas du robinet ou quand elle apparaît, c'est avec une couleur rouge et une saveur vraiment pas agréable, mais on fait avec » (Adigbli, 2009), du coup beaucoup d'entre elles se tournent vers les puits malgré ce qu'elles en pensent : «Je sais que l'eau de puits est impropre à la consommation sans un traitement préalable, mais on n'y peut rien, puisqu'on ne dispose même pas de robinet » (Adigbli, 2009).

Il est important, pour rester dans la comparaison et pour faire ressortir le déséquilibre entre Dakar et Tambacounda, de nous pencher d'abord sur la relation entre santé et pauvreté dans cette dernière région.

B - Santé et pauvreté dans la région de Tambacounda

Tambacounda

Dakar

DIFFERENCES EN PERSONNEL DE SANTE ENTRE
DAKAR ET TAMBACOUNDA

1200

1000

400

800

600

200

0

Médecins

551

45

Infirmiers

1187

121

Sages
femmes

208

61

Source : Annuaire de la santé, Ministère de la santé et de la prévention

A la faiblesse de la couverture médicale en infrastructures idoines (1 hôpital, 310 cases de santé dont seulement 201 fonctionnelles...), s'ajoute celle des effectifs en personnel de santé qualifié comme le montre le graphique ci-dessus surtout en comparaison avec ceux de la région de Dakar. De plus, la prépondérance des assistants de santé communautaire (environ 180) et des matrones (150) qui, après une brève formation, ne disposent que de connaissances rudimentaires, ne permet pas de satisfaire les besoins de santé des 688 702 soit 5,5 % de population nationale (en 2006). Les conditions climatiques (une très forte chaleur de mars à juillet), ainsi que l'enclavement et l'éloignement de la région par rapport aux grandes villes comme Dakar, Thiès ... sont souvent évoquées comme raison par le personnel de santé pour ne pas rester dans la zone. Selon les enseignements de l'opération "Identification physique et géographique", lancée en juillet 2007 par le ministère de la Santé et de la prévention médicale, concernant son personnel sur l'ensemble du territoire, l'une des pratiques récurrentes

94

96

dans cette administration est le cumul d'emploi. Dans les zones reculées du sud du pays comme Tambacounda (540 km et 6 à 8 h de trajet depuis Dakar), on a découvert des centaines de médecins qui ont quitté leur service à la suite d'une permission. Ils n'y sont plus jamais retournés, mais continuent de percevoir leur salaire, alors qu'ils travaillent dans des cliniques privées de la capitale.

Du coup, il n'est pas rare par exemple de voir des femmes enceintes qui, pendant toute la durée de leur grossesse, n'ont rencontré aucun personnel de santé qu'il soit médecins, assistants communautaires de santé et/ou matrones formés sur le tas. Le taux d'accouchements assistés n'était en 2005 que de 28 % selon la région médicale de Tambacounda alors que la moyenne nationale est de 48 %, d'où une forte mortalité maternelle qui s'évalue selon la même source à 1200 décès pour cent mille naissances vivantes. De même, la santé de l'enfant reste marquée par des taux de mortalité supérieure aux moyennes nationales. Nous avons :

+ mortalité infantile : 75 %o (moyenne nationale de 61%%o)

+ mortalité infanto juvénile : 164 %o (moyenne nationale de 121%o)

Par ailleurs, fortement arrosée pendant la saison des pluies et face à la faiblesse du réseau d'évacuation d'eau, ce qui permet la formation de nombreuses flaques d'eau favorables à la prolifération des moustiques, la région de Tambacounda reste très touchée par le paludisme. Une maladie qui continue d'être l'une des principales causes de morbidité, en milieu rural principalement.

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Tableau 3 : PRINCIPAUX MOTIFS DE CONSULTATION PAR DEPARTEMENT

Maladies diagnostiquées

Bakel

Kédougou

Tambacounda

Nombre

%

Nombre

%

Nombre

%

Accès palustre simple

15403

42,2

8106

25.7

38685

31.2

Accès palustre grave

1554

4.3

1137

3.6

2372

1.9

Infections Respiratoires Aigues

3700

10.1

2229

7.1

8418

6.8

Maladies de peau

2522

6.9

1508

4.8

9639

7.8

Maladie Diarrhéiques

1285

3.5

1494

4.7

3581

2.9

Parasitoses
intestinales

1033

2.8

902

2.9

4015

3.2

Syndrome dysentérique

540

1.5

995

3.1

2370

1.9

Source : Région médicale de Tambacounda, 2006

Malgré sa situation de région carrefour, le taux de prévalence du sida fait partie des plus faibles du pays. Il était en 2004 respectivement de 0,5 % et 0,3 % pour les hommes et les femmes.

Vu l'étendue de la région et son enclavement endémique, l'accès aux soins de santé pour la plupart des populations reste extrêmement compliquée, notamment en cas d'urgence. Ainsi, faute de ne pouvoir se déplacer dans les centres hospitaliers mieux équipés des autres régions, celles-ci se tournent massivement vers l'automédication et la médecine traditionnelle. Il faut de surcroît noter que toutes ces statistiques, bien qu'elles soient alarmantes, ne prennent pas en compte les cas de maladies non déclarées, ce qui laisse penser que la situation sanitaire de la région est beaucoup plus grave qu'elle ne paraît. Elle l'aurait été encore plus si, les pouvoirs publics n'avaient sollicité l'appui d'une multitude d'ONG comme l'Unicef, le Fnuap, la Jica, l'OMS ~ pour intervenir dans la région. Celles-ci

aident principalement à la construction et à l'équipement de postes, cases de santé et centres de santé, à la distribution de moustiquaires imprégnées et à la sensibilisation des populations.

Mais, méme si les pouvoirs publics ont consenti beaucoup d'effort dans la mise à disposition auprès des populations d'une eau de qualité et en quantité suffisante, il reste que dans une région fortement rurale comme Tambacounda où la population est très dispersée, ces mesures n'ont pas véritablement d'impact. Selon le DSRP, En milieu rural, le taux d'accès à l'eau potable a connu une progression passant de 56% en 2000 à 64% en 2004. Les usagers des bornes-fontaines qui représentent 35% des ménages ruraux consomment à peine 20 l/j/pers. La production annuelle d'eau se chiffre à 1 705 179 m3 dans la région de Tambacounda soit 2,5 m3/p/an. En matière d'assainissement, le taux d'accès en milieu urbain a connu une progression limitée sur la période 2000-2004, passant de 56 % à 57%. En milieu rural, 28% des ménages ne disposent d'aucun système d'évacuation des excréta, alors que la plupart des ménages sont équipés de latrines traditionnelles qui ne répondent pas aux normes internationales.

Au total, les difficultés de la majorité des populations de Dakar et de sa banlieue ainsi que celle de la région de Tambacounda à accéder à des soins de qualité, à des logements salubres, à l'eau potable et à un système d'assainissement adéquat, mettent en lumière la très forte dépendance entre santé et pauvreté. Mais elles font aussi de ces territoires des espaces particuliers. En effet pour sortir de leurs difficiles conditions ou tout au moins pour bénéficier d'une amélioration quelle qu'elle soit, les populations, sans être crédules, semblent plus réceptives aux promesses qui leur sont faites. Du coup, cette banlieue à forte densité de population et partant à fort potentiel électoral devient l'enjeu ou le théâtre de l'expression des rivalités de pouvoir entre différents acteurs, les forces politiques en particulier. C'est ce que confirme Astou Diagne, une habitante de Diamaguene dans la banlieue de Pikine : « Lors des campagnes électorales, les politiciens sont venus dans notre localité avec des promesses bien ficelées, surtout celles liées à l'accès de l'eau potable, mais nous n'avons toujours pas de branchement d'eau bien

100

que nous ayons fait des demandes à la SDE (Société des eaux). Nous souffrons trop pour l'eau ici » (Adigbli, 2009). L'attractivité de la banlieue dakaroise se traduit également par le fait que lors des dernières élections locales par exemple, alors qu'il n'a fallut que deux jours à la majorité des partis politiques pour traverser la vaste région de Tambacounda, il a fallu en moyenne six « meeting » en six jours pour parcourir un territoire de 550 km2.

Toutefois, autant ces territoires peuvent servir les ambitions d'hommes politiques et faciliter leur ascension sur ce landerneau, autant ils peuvent servir de baromètre pour mesurer le rejet ou non des populations face aux autorités qui les gouvernent. Comme nous l'indique la carte des résultats électoraux (mars 2009) pour les communes, la partie Quest du Sénégal, où se concentre plus de 70% de la population et plus de 60% des communes les plus peuplées (Dakar (Pikine, Guédiawaye), Diourbel, Kaolack, Fatick, Louga, Saint-Louis, Thiès...), a été gagnée par l'opposition. En revanche, la région de Tambacounda, malgré la déprise dont elle semble faire l'objet, a été gagnée par la majorité présidentielle.

Mais au-delà des aspects purement politiques et électoralistes, la région de Dakar, sa banlieue en particulier et celle de Tambacounda (Kédougou) qui cristallisent toute la pauvreté voire la misère de la majorité des Sénégalais, ont été dernièrement, l'espace d'expression de manifestations inédites du mécontentement social avec l'exemple de la marche des imams. Autrement dit, si ces populations se servent de moyens légaux et démocratiques (le vote) pour cautionner ou rejeter des politiques gouvernementales, elles sont également capables de se mobiliser, de sortir dans les rues pour exprimer leurs souffrances de façon pacifique mais aussi très violente. Ceci d'autant qu'à la faveur de la tenue du sommet de l'Organisation de la Conférence Islamique (OCI) en 2008, malgré le brusque renchérissement des coüts des produits de grande consommation, l'Etat avait continué à investir massivement (800 milliards de F Cfa (1,2milliards €) selon la presse privée) dans l'érection d'infrastructures routières et hôtelières et dans l'embellissement de certaines artères de Dakar. De plus, du fait de la

très forte urbanisation de la région (96 % de la population), les espaces consacrés à l'agriculture sont quasi inexistants dans la région tandis qu'à Tambacounda, du fait de la faible densité et de l'étendue de son territoire, un important potentiel agricole est disponible. Il convient dès lors de voir la situation agricole (agriculture vivrière) dans ces deux régions et au-delà les politiques mises en oeuvre par les pouvoirs publics.

C - la déstructuration du système agricole et ses conséquences

Les émeutes de la faim de mars 2008 (voir première partie) ont mis à nu les carences et les insuffisances des systèmes de productions agricoles, mais aussi et surtout son incapacité à satisfaire les besoins alimentaires des populations au Sénégal, alors que près de 70 % de la population vit de l'agriculture qui, selon le ministère de l'agriculture, a contribué, en 2007, à hauteur de 12,5% au PIB correspondant, en francs Cfa, à un total de 669 milliards F Cfa (environ 1 019 885 480 €). La hausse subite des cours des produits céréaliers, à travers le monde, a montré combien le pays était dépendant de ses importations de riz principalement. Le renchérissement du coüt de la vie qui s'est traduit par une hausse généralisée de tous les prix des produits de grande consommation (voir tableau première partie) a été très difficile à subir pour une grande partie de la population.

-2 0 2 4 6 8

2007

2006

2005

2004

2003

EVOLUTION DE L'INDICE DES PRIX DE 2003 A 2007 AU SENEGAL

0,8

-0,6

1,4

3,9

indice des prix

7,3

Sources : Programme Alimentaire Mondial dans « rapport d'analyse de marché, Sénégal : commerce du riz », Août 2008

102

Pourtant, l'agriculture au Sénégal a pendant longtemps eu pour principal objectif de remplir une fonction nourricière. Les exploitations traditionnelles, occupées essentiellement par les cultures vivrières, étaient le plus souvent calibrées en fonction de la taille de la famille et de ses besoins en nourriture, singulièrement en céréales. Le riz, le mil, le sorgho, le maïs, le fonio... étaient plus ou moins consommés en fonction des régions, des sols et de la fluctuation de la pluviométrie. L'agriculture traditionnelle avait pour fonction de nourrir autant les populations des centres urbains que celles des zones rurales. Mais l'introduction de l'arachide pendant la période coloniale, a fait du Sénégal l'un des principaux producteurs de cette spéculation en Afrique et dans le monde. Toutefois, la séduisante idée de monnayer les récoltes d'arachide a brisé progressivement le dynamique équilibre entre agriculture et alimentation qui prédominait jusque là. En effet, alors que prospéraient les cultures de rente, celles vivrières connaissaient un net recul en termes de superficies emblavées et de tonnage produit. Une situation qui a conduit progressivement la capitale qui dépendait déjà des productions agricoles des régions rurales (Tambacounda), à se tourner vers des importations massives de céréales, du riz principalement. En outre, du fait de la baisse de la pluviométrie, de la vétusté du matériel des paysans, bref de la déstructuration du système agricole, les zones rurales comme Tambacounda ont été progressivement confronté à la faiblesse de la productivité devenant ainsi aussi vulnérables que la capitale en terme de dépendance alimentaire. En 2005 1 181 497 de tonnes de céréales (riz, blé, méteils, maïs...) avaient été importées soit 73 % du total de toutes les importations de produits alimentaires au niveau national.

104

Tableau 4 : PRODUCTIONS AGRICOLES DANS LA REGION DE DAKAR

Spéculations

2004 / 2005

2005 / 2006

Superficie (ha)

Production (T)

Superficie (ha)

Production (T)

MAÏS

250

500

600

780

MIL

37

9

10

5

SORGHO

198

59

68

41

REGION

485

568

678

826

Source : Situation économie et sociale de la région de Dakar, ANDS 2006

Tableau 5 : PRODUCTIONS AGRICOLES DANS LA REGION DE

TAMBACONDA (2005/2006)

Spéculations

Mil

Sorgho

Maïs

Sup (ha)

Prod (T)

Sup (ha)

Prod (T)

Sup (ha)

Prod (T)

Bakel

6 762

6 377

5 705

5 300

6 056

5 408

Kédougou

-

-

1 922

1 409

4 388

7 407

Tambacounda

38 120

39 111

30 242

22 682

16 886

16 886

Région

44 882

45 488

37 869

29 390

27 330

29 701

Source : Situation économie et sociale de la région de Tambacounda, ANDS 2007

Pendant la campagne agricole 2006/07 à Tambacounda où près de 80% de la population vit de l'agriculture, pour une superficie de 113 383 ha cultivés, seules 110 230 tonnes de céréales ont été récoltées. D'où une très faible productivité qui justifie la nécessité de recourir à l'importation de céréales et qui du même coup aggrave la dépendance alimentaire de cette région agricole.

106

Tableau 6 : IMPORTATION DE CEREALES AU SENEGAL (EN TONNE)

Produits

Décembre 2005

Janvier

2006

Février

2006

Mars 2006

Total

Riz

50 500

11 979

27 098,3

4 516,6

94 093,9

Blé

35 642,6

13 000,3

30 157,8

30124,6

108 925,3

Semoule de blé

1 380,8

2 564,7

1 084

404

5 433,5

Farine de blé

 
 

241

466,9

707,9

Maïs

 
 

13 733

13 524

27 257

Total

87 523,4

27 523,4

72 314,1

49 036,2

236 417,6

Sources : Bureau direction de la protection de végétaux Avril 2006

Les autres sous secteurs de l'Agriculture au sens large du terme que sont l'élevage et la péche connaissent également beaucoup de difficultés structurelles. La région de Tambacounda, malgré ces vastes pâturages (16 % du territoire national) reste confrontée à la récurrence de certaines maladies et de nombreuses difficultés dans la vaccination du bétail. Une situation qui fait que l'évolution du cheptel suit une courbe très erratique. Pour les bovins par exemple les effectifs sont passés de 703 300 à 699 622 têtes entre 2000 et 2004 après avoir connu une hausse de plus de 20 000 têtes entre 1998 et 1999. Aussi, malgré des campagnes d'insémination artificielle, la demande en produits laitiers, par exemple, reste largement satisfaite par l'importation de lait en poudre principalement. En 2007, 35 000 tonnes50 de produits laitiers pour une valeur globale d'environ 55 milliards F Cfa (environ 83 millions €) ont été importées au Sénégal. Au plan économique et social, le secteur de la péche joue un rôle important dans l'économie du Sénégal. Il contribue en effet pour environ 2% du PIB national. La valeur commerciale des produits a atteint 185 milliards de Francs Cfa en 2007. Il génère environ 600 000 emplois directs et induits, et 1 600 000 à 2 000 000 personnes sont dépendants de la pêche maritime. Soumbedioune dans la région de Dakar est l'un des principaux débarcadères du pays. Mais la filière péche reste confrontée, depuis plusieurs années, au problème de la surexploitation, de la raréfaction de la ressource halieutique, mais aussi et surtout de la vétusté des équipements.

50 - Source : UBIFRANCE et les missions économique, l'agriculture au Sénégal, fiche de synthèse, janvier 2009

Face à cette situation, les autorités publiques ont, pour oeuvrer dans le sens de retrouver une autosuffisance alimentaire (en céréale particulièrement), améliorer et diversifier les récoltes et les variétés cultivées et lutter contre la pauvreté, lancé des programmes agricoles, et multiplié les subventions sur les denrées de grande consommation. Elles promettaient ainsi de promouvoir une agriculture dont la productivité améliorée pourrait permettre au Sénégal de devenir un pays exportateur de céréales et autres produits agricoles. D'abord Le plan REVA ou retour vers l'agriculture où les Sénégalais de la diaspora qui en ont les moyens sont conviés à revenir pour investir massivement dans l'agriculture. Ensuite la GOANA (grande offensive agricole pour la nourriture et l'abondance), qui a été lancée le 18 avril 2008 en réaction à la hausse des prix et aux émeutes de la faim de mars 2008 à Dakar. Pour ce qui est plus spécifiquement de la jeunesse, l'Office pour l'emploi des jeunes de la banlieue de Dakar (Ofejban) a été créé.

D - les programmes mis en oeuvre pour lutter contre la pauvreté : une discrimination spatiale qui renforce les inégalités sociales ?

D - 1 : les programmes agricoles

D - 1 - 1 : le plan REVA

Ce plan a pour objectif, d'après les textes publiés par le ministère de l'agriculture, de l'hydraulique rurale et de la sécurité alimentaire, « de fixer les populations notamment les jeunes et les femmes dans leurs terroirs en particulier les émigrés ou rapatriés, d'augmenter significativement la production agricole notamment celle horticole et de répondre aux objectifs de lutte contre la pauvreté, (...) à réduire puis à éradiquer la pauvreté et les inégalités en particulier dans les zones rurales ».

108

Tableau 7 : POLES DU PLAN REVA DANS LA REGION DE TAMBACOUNDA

Type

Pôle d'excellenc e

Ferme villageois e

moderne

Agropastoral e

Agro- piscicol e

Biocarburan t

Département

Tambacound a

2

12

4

11

5

Bakel

1

12

5

8

2

Kédougou

1

11

4

10

6

Région

4

35

13

29

13

Source : Situation sociale et économique de la région de Tambacounda ANDS 2006

Toutefois, les écueils constatés dans sa conception et sa mise en oeuvre constituent de véritables facteurs limitant quant à sa portée. Iis'agissait de créer des fermes agricoles dans différents départements du

pays. La région Tambacounda bénéficie de plusieurs fermes (94) alors qu'elle reste confrontée à d'énormes problèmes d'accès à l'eau dus à la profondeur de la nappe (au moins 70 mètres) et à la faiblesse des moyens d'exhaure. Certes il est vrai que dans un premier temps la mise en oeuvre de ce programme a permis à des jeunes et à des femmes de la région jusque là désoeuvrés ou ne comptant que sur le récoltes hivernales pour subvenir à leurs besoins, de trouver une activité génératrice de revenus en dehors des trois mois de la saison des pluies. Mais, les produits sur lesquels ces fermes mettent l'accent (le melon et les pastèques), méme s'ils sont prisés par la population, restent des produits à très faible valeur ajoutée (pastèque entre 0,03 et 1,5 €/pièce) dont l'exportation est très fortement limitée par des critères d'exigences de qualité auxquels ses petits producteurs ne peuvent répondre et qui sont très loin dans la hiérarchie des priorités alimentaires. Du coup l'engouement suscité par la mise en oeuvre de ce programme s'est très vite confronté à la réalité de la faiblesse des revenus obtenus. Au total, le plan Reva ne participe pour l'heure ni à l'atteinte de l'objectif de l'autosuffisance alimentaire ni à celui de permettre aux populations de trouver des revenus additionnels susceptibles de les aider à faire face aux méfaits de la pauvreté.

Tableau 8 : PAUVRETE REGIONALE ET STRUCTURE DE REVENUS DES

MENAGES

Région

Part des revenus agricoles

Part

des salaires

Part des transferts

Part des autres revenus

Taux de pauvreté global

Taux de pauvreté urbaine

Taux de pauvreté rurale

Dakar

0,92

30,86

35,26

32,96

20,12

19,20

58,30

Tambacounda

27,82

3,37

32,21

36,60

69,18

36,90

71,80

Sources : Profil de pauvreté au Sénégal : une approche monétaire, Fatou Cissé, Août 2003

D - 1 - 2 : La Goana (grande offensive agricole pour la nourriture et l'abondance)

Le Président de la République du Sénégal, Maître Abdoulaye Wade, a lancé le 18 Avril 2008, soit moins d'un mois après les émeutes de la faim, la GOANA ou « Grande offensive agricole pour la nourriture et l'abondance ». Elle vise à pallier les insuffisances du plan Reva et à atteindre enfin l'autosuffisance alimentaire à très court terme c'est-à-dire dès l'hivernage 2008/09. Il fixe ainsi des objectifs quantitatifs de production de 500 000 tonnes de riz, 2 000 000 de tonnes de maïs, 3 000 000 de tonnes de manioc, 2 000 000 de tonnes pour les autres céréales, 400 millions de litres de lait et 43 500 tonnes de viande51 sur toute l'étendue du territoire national. Pour le Président Wade, le succès de ce programme réside pour l'essentiel dans les pluies artificielles et sur une mobilisation exceptionnelle de tous les acteurs de la filière. Le coût de la GOANA a été estimé autour de 344 milliards de francs Cfa (environ 524 425 418 €) pour la seule campagne agricole 2008\2009 dont seuls 32 milliards (48 183 759 €) soit moins de 10 % seraient disponibles sur le budget consolidé d'investissement. Ces coüts ne prennent pas en compte la production de lait et de viande, ni les coûts des pluies artificielles et aucune piste claire, n'est dégagée pour combler le gap de 314 milliards.

Les populations des régions rurales comme Tambacounda espéraient cette fois le renouvellement de leurs matériels agricoles et la mise en place d'un encadrement approprié qui permettrait de produire plus mais surtout

51 - Sources : Ouestafnews, Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux,

110

d'améliorer la compétitivité de leurs produits et ainsi prétendre à l'exportation. Ce qui devrait contribuer fortement à l'amélioration de leurs revenus et donc à la lutte contre la pauvreté. Mais ce qui s'est réellement passé c'est que les autorités publiques ont choisi de distribuer des milliers d'hectares de terre à ceux que les paysans réunis autour du Cadre national de concertation des ruraux (CNCR) appellent « les paysans du dimanche » et à des investisseurs étrangers. Ainsi, dans la région de Matam située au nord de celle de Tambacounda, plus de 1000 hectares ont été octroyés à l'ancien Premier ministre Hadjibou Soumaré et au ministre Adama Sall. Cent Hectares ont été attribués à la députée Aida Mbodj. A Kédougou, ancien département de Tambacounda la situation est encore plus grave. En effet, huit mille hectares dont une grande partie appartient aux terres de la réserve naturelle du Parc du Niokolo Koba ont été attribués à un homme d'affaires espagnol. De même, à Dakar, dans la communauté rurale de Sangalcam, plusieurs hommes politiques appartenant à la coalition présidentielle se sont vus accorder des terres.

En définitive, la Goana qui avait pour ambition d'offrir aux paysans en particulier des moyens de lutter efficacement contre la pauvreté, s'est muée progressivement en un conflit foncier entre ces derniers et les autorités publiques. En effet, les ressortissants des différents territoires où des terres ont été attribuées à des dignitaires et soutiens du régime en place s'opposent à ce qu'ils appellent une campagne de spoliation des pauvres et se disent « prêts à tout afin de préserver le legs de leurs aïeux ». Les responsables de la communauté rurale de Mbane (Matam) où plus de 200 000 hectares ont été distribués sont allés plus loin. Dans un communiqué ils déclarent être prêts à opposer : « une désobéissance civile sans précédent dans l'histoire de notre pays, jusqu'à l'avènement d'un nouveau régime, en l'occurrence : refus de payer les taxes dans les loumas (marchés hebdomadaires), refus de payer les impôts, (...), interdiction de tenue de réunions dans la Maison communautaire de Mbane, Refus de travailler avec le nouveau sous-préfet, etc.. »

Face à cette situation, de plus en plus de voix s'élèvent pour mettre en garde contre les dérives que peut engendrer ce que la presse nomme (( la boulimie foncière du régime wadien ». Pour certains, la Goana peut-être le fertile terreau de nouvelles révoltes qui peuvent aboutir à une guerre civile comme en Côte d'Ivoire, tandis que pour d'autres comme Omar Faye de Leeral Askan wi (éclairer le peuple en wolof) cette forme de privatisation du territoire national risque de développer partout le ((syndrome de la Casamance» où l'octroi de terres à des migrants venus du centre et du nord du Sénégal est à l'origine d'un sanglant conflit qui dure depuis près de trente ans et qui mettra les générations à venir dans un perpétuel environnement de conflit.

Ainsi, malgré les grandes ambitions des autorités publiques, le Sénégal continue non seulement d'importer massivement des céréales, du riz et du blé en particulier, mais aussi et surtout, de rester très sensible à la moindre fluctuation des cours de ces produits sur les marchés internationaux. Une situation qui a sans doute conduit les autorités à adopter d'autres types de programmes pour aider les populations à faire face à leurs difficiles conditions de vie

D - 2 : Programme pour l'emploi des jeunes : l'office pour l'emploi des jeunes de la banlieue de Dakar (ofejban)

Dans un entretien accordé au journal LeQuotidien le 06 juillet 2009, le Directeur général de l'Ofejban, Boubacar Ba, a déclaré que dans le ((cadre de la politique de création massive d'emplois, l'Office pour l'emploi des jeunes de la banlieue de Dakar (Ofejban) a lancé un vaste programme de recensement des jeunes de la banlieue. Les jeunes, qui sont, soit demandeurs d'emplois, soit porteurs de projets ou à la recherche d'une formation sont invités à se présenter aux équipes de l'Ofejban. Après avoir donné des informations sur leur niveau d'études, leur filière, leur profession et l'emploi souhaité, ils vont être enregistrés dans une banque de données, qui va servir par la suite de tribune entre les demandeurs et les employeurs ». Il ajoute : ((Les jeunes ont besoin de travail. Nous leur

112

lançons le message suivant : On vous ouvre les portes, soyez les bienvenus!»52.

L'objectif de ce programme pour les autorités est, à travers l'emploi des jeunes, d'extirper la pauvreté dans les quartiers périphériques de la capitale sénégalaise. Dakar, comme déjà évoqué, regroupe sur 550 Km2 plus du 1/4 de la population du Sénégal avec un effectif important de jeunes qui croît chaque année du fait de l'exode rural. Du coup, avec la crise économique et les nouvelles mesures pour réduire voire freiner les flux de l'immigration clandestine en partance des côtes dakaroises, ce programme pour l'insertion des jeunes semble répondre à une très forte demande.

Mais, même si les jeunes de la banlieue (Pikine) restent partagés entre espoir et scepticisme « Je suis venu comme ça m'inscrire car on ne sait jamais, mais a vrai dire, je ne suis pas trop confiant car l'Etat a l'habitude de faire des promesses qui ne sont jamais respectées »53, cette initiative induit, entre autre, une discrimination territoriale qui pourrait renforcer le sentiment d'exclusion des jeunes des régions rurales comme Tambacounda. En effet, si dans l'imaginaire commun, tout semble les opposer, dans la réalité de nombreuses similitudes apparaissent entre les jeunes de la banlieue dakaroise et ceux des autres régions du pays en particulier celles rurales. Exclusion géographique, réseaux de transport en commun moins développés, offres d'emploi moins nombreuses, éloignement des services publics..., les jeunes de ces deux types de territoires ont beaucoup de points communs dans leur quotidien. Qu'ils habitent à Tambacounda ou à Dakar, ils doivent faire face aux mémes difficultés liées à l'échec scolaire, ainsi que les problèmes de pauvreté extrême et de discrimination, et aux mêmes problèmes d'accès à l'emploi. La seule différence entre les jeunes de ces deux territoires c'est que les problèmes n'y sont pas ressentis de la méme façon. A Tambacounda, le territoire est plus vaste, aussi les problèmes existent de manière aussi importante, parfois plus, mais de façon beaucoup plus diffuse

52 - LeQuotidien du 06 juillet 2009

53 - un étudiant en management sous le couvert de l'anonymat cité par Safi Amadou Bâ dans SunuNews du 04 août 2009

et bien moins concentrée.

Dans le contexte où la crise économique mondiale exacerbe les conditions de vie des populations les plus vulnérables, lancer un programme qui n'aurait pour cible que les jeunes de la banlieue de Dakar pourrait engendrer de nombreux problèmes. D'une part, les jeunes des autres régions du Sénégal (Tambacounda, Ziguinchor...) pourraient, par le phénomène des migrations internes en particulier de l'exode rural, affluer massivement vers la banlieue dakaroise pour bénéficier des opportunités qu'offre ce nouveau programme. Ainsi, en plus de vider les campagnes, renforçant du coup leur pauvreté et leur dépendance par rapport à la capitale, cet exode participera à faire croître les densités déjà très fortes de la banlieue (Guédiawaye : 22 569 ht/km2). Ce mouvement de population renforcera aussi et surtout les problèmes de la banlieue déjà marquée par une précarité sociale très forte, une faiblesse des infrastructures (sanitaires, scolaires, culturelle etc.). Une banlieue où en plus des jeunes, l'essentiel de la population est au chômage, ce qui l'oblige ou plutôt explique le développement d'activités informelles souvent en marge de la légalité. Cette misère ambiante doublée d'une promiscuité très forte a favorisé le développement de la délinquance juvénile de plus en plus violente prenant la forme de vols à la tire souvent en bande, d'agressions parfois très sanglantes, de la prostitution clandestine et récemment de la création de comités de vigilance qui s'érige de fait en une police informelle pour essayer d'assurer la sécurité des populations locales et ainsi pallier l'absence de la police. Des comités de surveillance qui, si l'on n'y prend garde, pourraient très vite se muer en milices. Une situation lourde de nombreuses menaces et de dérives liées notamment à la paix sociale dans ces zones.

D'autre part, le lancement de ce programme pourrait être considéré par les jeunes des autres régions comme la concrétisation du manque de considération des autorités publiques face aux difficultés qu'ils rencontrent quotidiennement dans la recherche de l'amélioration de leurs conditions de vie. En effet, s'il reste vrai que les jeunes sont nombreux dans la banlieue dakaroise et pourraient l'être encore plus grace à la mise en oeuvre de ce

114

116

programme, il n'en demeure pas moins que dans les autres régions du Sénégal, à Tambacounda singulièrement, les jeunes de 15 à 34 représentent 32,4 % de la population contre 15,8 % pour les 35 - 59 ans et seulement 4,4 % pour les 60 ans et plus54. Une situation démographique qui montre la nécessité pour les jeunes de s'insérer très vite dans le marché du travail pour pouvoir prendre en charge ou tout au moins aider leurs parents dans la lutte contre la pauvreté familiale. De plus si on considère que dans la région de Tambacounda, le secteur informel reste très peu développé et qu'en dehors de la Sodefitex qui appuie de petits producteurs de coton et de maïs et de la nouvelle société d'exploitation minière, il n'existe aucune autre unité industrielle ou agro- industrielle, l'on constate que les opportunités d'offres d'emploi y sont extrémement faibles. Une situation qui renforce le sentiment d'inégalité de traitement et d'exclusion selon le territoire.

Au total, ce que les autorités semblent avoir perdu de vue c'est que, comme le soutient Mamadou NDAO, les jeunes de la banlieue n'ont pas attendu le lancement de ce programme pour « travailler, produire de la richesse, et que ce qui leur manque le plus, ce sont des débouchés, des opportunités pour valoriser leurs exploitations avec des prix rémunérateurs »55. Ainsi, parler d'emploi pour la banlieue aujourd'hui, c'est accélérer la vague migratoire vers les zones ciblées et l'installation sauvage sur des sites non viabilisés, bref reproduire à l'identique un phénomène dont on cherche à juguler les méfaits après la survenance récurrente des inondations. Par ailleurs, si la banlieue cristallise tous les maux de la jeunesse, celle-ci n'en est pas moins nationale. Aussi proposer des solutions jugées par beaucoup d'observateurs comme non globale, résiduelles et surtout sectaires, est une approche qui peut être pernicieuse et plus insidieuse qu'elle ne paraît. Pour Mamadou NDAO la lointaine, moyenne et proche banlieue ne se limite pas seulement aux départements de Pikine, Guédiawaye et Rufisque. En fait la plupart des régions du Sénégal (Tambacounda, Matam, Kolda...) pourraient être assimilées à la banlieue de

54 : Source : Recensement Général de la Population et de l'Habitat du Sénégal, ANDS, 2002

55 - Mamadou Ndao dans : « Quand Wade se trompe de banlieue » dans LeQuotidien du 25 Novembre 2008

Dakar en termes faiblesses d'équipement et d'infrastructures sanitaires, scolaires, ou autres. A ce titre toute mesure qui concerne les populations des trois départements ci-dessus cités devrait aussi concerner ces régions car « tous les citoyens sénégalais sont admissibles aux emplois publics sans autres distinctions que celles de leurs vertus, de leurs talents »56 et de leurs compétences.

56 - Idem

Conclusion

Quelque soit la part de réalité, de représentations voire de surestimation de l'exemplarité et de la maturité du modèle sociopolitique sénégalais le postulat qui fait de l'Etat du Sénégal l'exemple de démocratie en Afrique est de plus en plus contesté. Abraham Ehemba dit à ce sujet : « On exagère franchement le niveau de notre démocratie. Nous avons cette propension à nous croire le nombril de l'Afrique (...) Et pourtant... il suffit de nous débarrasser un peu des enflures d'un « sénégalo-centrisme » pour regarder de près nos fragilités économiques, nos déficits et déficiences démocratiques ; nos anomies politico-démocratiques sont encore réelles, à certains endroits, béantes » (Ehemba, 2006). En effet, on peut affirmer au terme de cette recherche que, depuis 2000 et malgré les apparences et des représentations très ancrées, les principes de bonne gouvernance et de transparence dans la gestion des affaires publiques, qui sont l'apanage de tout Etat démocratique, sont foulés au pied les uns après les autres au point que la stabilité du pays ne tienne plus qu'à une étincelle qui mettrait le feu aux poudres. D'autant plus que si pendant longtemps, les jeunes ont été considérés comme la seule sinon la principale menace, les foyers de tensions se sont multipliés ces dernières années. La personnalisation du pouvoir avec toutes les dérives et les conflits qu'elle engendre, ainsi que la pauvreté qui, à la faveur de la récente crise économique va grandissant et concerne des effectifs de population de plus en plus croissants, constituent aujourd'hui de grandes menaces sur la stabilité du pays.

Comme nous l'avons signalé, la contestation sociale n'est plus seulement l'affaire de l'opposition, des élèves, des étudiants et des syndicats. Le mécontentement social, politique et économique auquel toutes les franges de la population du Sénégal sont confrontées a bel et bien engendré de nouveaux comportements. La détermination avec laquelle les populations, à la faveur de la crise économique et de ses avatars organisent, mènent les mouvements de protestation et occupent les rues qui depuis semblent être leur principal espace d'expression, tranche d'avec ce qu'elle était avant 2000. Si avant cette échéance électorale l'opposition par la capacité de mobilisation

de Wade, avec les étudiants, était à l'origine de presque toutes les violentes manifestations politiques et sociales, aujourd'hui celles-ci sont le fait de multiples et divers acteurs sociaux, politiques et même religieux. En effet, même interdites pour motif de troubles à l'ordre public par les autorités (ce qui est d'ailleurs de plus en plus souvent le cas), les marches de protestations, rassemblent des centaines de personnes issues des différents coins des centres villes prétes à affronter les forces de l'ordre. Et même si l'attitude des autorités publiques consiste à chercher à justifier les violences sociales et politiques par l'intervention de pays étrangers malveillants et/ou de mercenaires à la solde de l'opposition, de nouveaux acteurs et de nouveaux territoires se sont joints aux manifestations sociales qu'elles soient pacifiques ou non. Des zones rurales aux centres urbains, des sphères laïques aux milieux religieux (imams de Dakar), des jeunes aux vieux, le mécontentement social va grandissant et les formes de protestation et d'expression du mal vivre des populations se sont radicalisées. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre les émeutes de Kédougou ancien département de la région de Tambacounda et la marche de protestation des imams et chefs de quartiers de la banlieue de Dakar entre autres. « Président, faut pas déconner sinon on va déconner » telle était entre autres les mises en garde adressées au chef de l'Etat dans l'une de ces manifestations.

Si les mises en garde sont adressées directement au chef de l'Etat, c'est surtout parce que les populations ont le sentiment que c'est lui qui décide de tout et qui est le plus à même de trouver des solutions à leurs problèmes. Aussi, à la faveur de la crise économique et du renchérissement du coût de la vie qui ont fortement affecté et affaibli le pouvoir d'achat des populations aggravant du même coup leur pauvreté, celles-ci se sont tournées vers celui par qui elles espéraient l'avènement du changement dans tous les domaines. Pour ce faire, plusieurs programmes ont été mis en oeuvre pour pallier les insuffisances de l'agriculture, réduire la très forte dépendance des centres urbains (Dakar en particulier) aux importations de riz et de blé et enfin, par la promotion de l'emploi des jeunes de la banlieue dakaroise, de juguler ou tout au moins d'atténuer les effets de la pauvreté et

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de la paupérisation croissante. Mais pour l'heure, ces différents programmes posent plus de problèmes qu'ils prétendent en résoudre. Tandis que les paysans dénoncent une vague de spoliation de leurs terres suite à ce que la presse nomme la « boulimie foncière du régime wadien », les jeunes des autres régions du Sénégal hormis Dakar s'estiment victimes d'exclusion et de discrimination socio spatiale.

En fait les interrogations que se posent les populations c'est entre autres : comment l'Etat peut-il prétendre résoudre les problèmes de l'agriculture et de la dépendance alimentaire sans les paysans ? Et comment les autorités publiques pensent-elles juguler le chômage des jeunes en ne ciblant que ceux de la banlieue de Dakar alors que dans les autres régions, Tambacounda par exemple, du fait de l'inexistence d'un tissu industriel et de la faiblesse du secteur informel, les jeunes y sont souvent plus exposés aux problèmes de la pauvreté ? L'exemple de la violente manifestation de Kédougou qui avait servi aux jeunes de cette localité de tribune pour interpeller les autorités publiques sur le chômage endémique qui y sévit. Aussi, confrontées à une situation de pauvreté qui s'aggrave de jour en jour et ayant en face d'elles un régime qui de par les politiques et les programmes qu'il met en oeuvre, ne semble pas en mesure de faire face à une crise multiforme et à ces retombées.

Si pendant quelques années l'émigration en direction de l'Europe et des Etats-Unis d'Amérique a été pour nombre de nombreux jeunes le seul moyen de s'extirper de la dégradation de leurs conditions de vie et de l'absence de perspectives d'avenir, la crise économique mondiale a amené ces pays à renforcer les mesures pour endiguer les flux migratoires. Ce faisant, les jeunes sont de plus en plus contraints de rester au pays et de faire face au chômage, à la pauvreté, aux inégalités sociales et à la non prise en charge par les pouvoirs publics des problèmes auxquels la jeunesse est confrontée d'autant que le secteur informel, malgré sa capacité de création d'emplois, ne parvient pas à influer positivement sur l'amélioration de leurs conditions de vie. La recrudescence de la violence (40 meurtres entre décembre 2008 et mai 2009) dans les grands centres urbains comme Dakar

est, pour de nombreux observateurs imputables à cet état de fait. Une situation qui, avec la paupérisation des campagnes où les systèmes agricoles sont complètement déstructurés, favorise l'exode rural des jeunes, ne peut que prendre des proportions de plus en plus inquiétantes.

Du coup le mécontentement social prend de l'ampleur et de plus en plus de voix s'élèvent pour tirer la sonnette d'alarme sur les risques de conflits et de troubles sociaux que les frustrations des populations face à l'incapacité et aux agissements des pouvoirs publics pourraient engendrer. Alors que certains parlent de nouvelle Casamance dans les zones où la spoliation foncière se pose avec plus d'acuité, d'autres n'hésitent tout simplement pas à parler de risque de guerre civile en comparant la situation du pays à celle de la Côte d'Ivoire avant la crise qui y sévit depuis plusieurs années. Si la comparaison peut paraître quelque peu exagérée, elle laisse entrevoir néanmoins l'ampleur des conflits de pouvoirs et des inégalités sociales dans les différentes régions du pays en particulier à Dakar et à Tambacounda et entre elles.

En effet, entre 2000 et 2009, la majorité présidentielle a multiplié les actes politiques et les calculs politiciens qui ont favorisé le clientélisme politique, à instaurer le népotisme étatique, l'exercice quasi monarchique du pouvoir, le piétement de l'éthique politique et démocratique, des luttes de pouvoirs avec les médias privés et l'opposition et une collusion entre pouvoir et confrérie religieuse au détriment d'une lutte véritable contre la pauvreté et ses effets.

La très grande proximité du chef de l'Etat avec le siège et les responsables de la confrérie mouride, si elle est politiquement intéressée et « machiavéliquement exploitée par le PDS »57 a engendré des frustrations au niveau des autres confréries et confessions religieuses autant qu'elle accroît les pouvoirs et l'influence de Touba et de son marabout. Ce dernier use de plus en plus de son influente protection pour intervenir en faveur de certains hommes politiques que Cissé kane Ndao appelle des « transhumants

57 : Cissé Kane Ndao Walfadjri du 20 mai 2005

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confrériques » pour l'obtention d'un poste de responsabilité ou pour sa conservation. Cette immixtion du religieux sur la scène politique et sur la gestion des affaires publiques ajoutée à la puissance économique de la mouridiya favorise l'émergence de voix qui s'élèvent pour réclamer une plus grande islamisation de la société sénégalaise, de ses institutions et de ses codes en particulier celui de la famille, inspiré du modèle français, qui à leur avis, devrait être plus conforme aux préceptes du coran. Une situation qui sonne le glas d'une pacifique cohabitation interreligieuse et inter-confrérique en méme temps qu'elle crée les fondements d'une défiance dont on ne saurait prévoir la violence des luttes d'influence et des conflits pour le contrôle du pouvoir d'une probable République islamique. D'autant que l'extension des réseaux religieux radicaux qui, par leur prosélytisme, leur puissance financière et leur forte capacité de mobilisation semblent chercher à pallier le « déclin de l'Etat comme acteur central »58 surtout en Afrique subsaharienne.

La collusion entre le religieux et le temporel, la mal gouvernance, la situation de la démocratie et les difficultés socio économiques rencontrées par les populations qu'elles soient de Dakar, de Tambacounda où de toute autre région du Sénégal sont fortement médiatisées par les organes de presse privés du fait de l'accaparement des médias publics dont les programmes (partiaux, partisans et partiels) ont essentiellement pour objectif de véhiculer une image aussi luisante que possible du chef de l'Etat et du Sénégal. Mais, en ayant favorisé l'émergence d'une presse privée qui est moins enclin à se faire son chantre et qui cherche plutôt à privilégier la diffusion d'une information « juste » qu'elle soit favorable ou non aux pouvoirs publics et à son image, le président Wade, considérant que celle-ci l'avait trahi, a instaurer un climat de fortes tensions entre les deux entités. En effet, les relations entre les médias privés et le régime de Wade sont si tendues qu'on s'est imaginé que ces derniers pourraient, du fait des brimades et de la violence dont ils sont victimes, bénéficier de la sympathie

58 - Rawane Mbaye cité par Bakary Sambe dans « Cheikh El Hadji Malick Sy et l'islamisation du Sénégal (partie 2/2) » novembre 2007

de la population qui par un soulèvement populaire chercherait à les défendre, ou bien d'une alliance avec des forces d'une opposition quelque peu radicaliste pour mettre un terme à toutes ces tracasseries. Le fait est que, autant les populations que l'opposition ont profité et continuent de profiter du foisonnement de médias privés (presse écrite, radio, télévision) pour avoir les moyens d'exprimer librement leur colère, leur mécontentement leur mal vivre et le rejet du régime en place. Aussi, il est aisé de supposer qu'elles ne resteront pas spectatrices de la remise en cause de la liberté et de l'embrigadement de la presse, de la liberté d'expression, mais aussi et surtout de la liberté après l'expression. Dans tous les cas, les luttes de pouvoir entre presse et autorités publiques se sont multipliées depuis 2000 et la défiance entre les différents acteurs qui s'accroît de jour en jour fait peser beaucoup d'incertitudes sur la stabilité du pays.

Sur le plan politique, alors que l'opposition continue de convier la coalition présidentielle à un dialogue où, de concert, un diagnostic sera fait sur les problèmes sociaux, politiques et économiques du pays, cette dernière se contente pour l'heure de « déterrer les cadavres » du régime socialiste (voir en annexe quelques extraits de la lettre réponse de Wade). Mais, en ayant remporté les dernières élections locales et régionales dans la partie Nord et Quest du pays (dont Dakar en particulier) qui concentre plus de 70 % de la population, l'opposition n'entend pas rester aphone. Bien au contraire. A la faveur des assises nationales qui lui ont permis de faire un profond diagnostic du mal vivre des populations et de la mal gouvernance érigée en principe de gestion, celle-ci entend profiter de sa nouvelle légitimité pour continuer à dénoncer les « dérives » du régime en place. Aussi, ce que l'on craint, c'est que, du fait de l'absence de dialogue et de concertation entre les différents responsables politiques, la radicalisation des positions et les luttes de pouvoir entre les deux camps ne se muent progressivement en confrontation et pire en affrontement partisan. Une situation qui pourrait participer à une déstabilisation durable du pays.

Par ailleurs, outre la personnalisation du pouvoir dénoncée vigoureusement par la presse privée, on prête de plus en plus au président

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Wade des intentions de sa dévolution monarchique. Il se susurre qu'il veut se faire succéder par son fils Karim d'où les responsabilités croissantes qui lui sont confiées depuis 2000. Apparu sur la scène publique et politique à la faveur de l'élection de son père, Karim Wade a rapidement gravi les échelons passant de conseiller à la présidence à ministre en passant par la direction de l'ANOCI. Différentes responsabilités qui selon les observateurs permettent à Karim d'être initier à la gestion des affaires publiques pour peut-être un jour lui succéder à la tête de l'Etat. C'est dans ce sens, semble-t-il, qu'il faut interpréter sa récente inscription sur les listes des candidats du PDS lors des dernières élections locales municipales et régionales alors que celui-ci avait créé un mouvement politique parallèle au parti de son père et nommé « génération du concret ». Toutefois, la cuisante défaite de la majorité présidentielle lors des élections de mars 2009 a semblé sonné, pour le président Wade comme un désaveux ou tout au moins une mise en garde quant à cette intention de « monarchiser » la gestion du pouvoir en foulant au pied les principes de la démocratie qui veulent que le peuple décident de qui doit le gouverner. Mais, même si le président sénégalais Abdoulaye Wade, 82 ans, se défend de promouvoir son fils Karim pour lui succéder, il a relancé les spéculations et controverses en lui confiant un ministère de premier plan. En devenant ministre d'Etat chargé de la Coopération internationale, de l'aménagement du territoire, des transports aériens et des infrastructures, Karim Wade, 40 ans, est devenu le premier fils d'un président de la République à faire partie d'un gouvernement au Sénégal.

En définitive, l'on peut affirmer que dans son histoire récente, le Sénégal n'a jamais été aussi proche de l'implosion sociale. Car comme nous l'avons évoqué et montré, alors que les foyers de tensions sociales se multiplient, que les populations envahissent les rues pour exprimer leur mal vivre et leurs souffrances, les pouvoirs publics se claquemurent dans une logique où la satisfaction des besoins des populations occupe la portion congrue. D'autant que Wade et son gouvernement avaient été considérés comme capables de prendre en charge l'amélioration des conditions de vie

des sénégalais quelque soit leur appartenance politique, sociale, religieuse et leur région de provenance.

Cependant, s'il reste vrai que la situation sociale est tendue, s'il reste vrai que les manifestations et les violences sociales se multiplient, il me semble qu'il existe encore au Sénégal un certains nombre de « freins » socioculturels qui font que la contestation sociale ne va pas au-delà des marches de protestation. Il s'agit entre autres du métissage interethnique et interreligieux. En effet, les crispations ethniques et les divergences religieuses, méme si elles existent, on peut tout de méme affirmer qu'elles sont encore fortement inhibées et occultées par une intégration sociospatiale qui interdit toute forme d'embrasement social. La région de Dakar qui semble la plus exposée est celle où quelque soit leur appartenance ethnique et religieuse, les individus se sentent uniquement sénégalais. Par ailleurs, même si, ils ont tendance à disparaître, le fatalisme et la propension des Sénégalais à toujours chercher le compromis (massla en wolof) sont également, à mon avis, des valeurs qui permettent, pour le moment, d'endiguer les risques et les menaces qui pèsent sur la stabilité du pays. En outre, il me semble qu'il manque aux sénégalais ce potentiel révolutionnaire qui transforme tout mécontentement social en une vague de violence déstabilisatrice de toute forme de stabilité sociale. Mais pour combien de temps encore ?

D'autant que le président Wade affirme souvent qu'il n'a pas encore trouvé, au Sénégal, quelqu'un capable de lui succéder comme s'il lui appartenait de s'occuper, comme on le ferait d'un héritage, de qui devrait diriger le pays après lui. Ludwig von Mises écrit : « A la base de toutes les doctrines totalitaires se trouve la croyance que les gouvernants sont plus sages et d'un esprit plus élevé que leurs sujets, qu'ils savent donc mieux qu'eux ce qui leur est profitable ». Considéré par ses proches comme celui sans qui le Sénégal ne saurait se construire un avenir florissant, Wade se sentirai-il irremplaçable ? Et le cas échéant, et malgré leur pacifisme et leur fatalisme les sénégalais se laisseront-ils faire ? Une chose est sure c'est qu'en Afrique, la plupart des vagues de violences sont consécutives à un

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processus électoral comme cela était le cas récemment au Kenya, en Ethiopie, en Côte d'Ivoire, au Madagascar. Les élections présidentielles de 2012 au Sénégal pourraient peut-être permettre d'en voir plus clair surtout si Wade insiste dans son désir de se faire succéder par son fils.

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« Aux urnes les vareuses ?» dossier réalisé par Abraham Ehemba article publié dans LeQuotidien du 8 juin 2006

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128

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www.xibar.net

www.ferloo.com

www.walf.sn

www.worldbank.org www.satistique-mondiale.com www.CIAWorldfactbook www.Senegal-statistique-mondiale.com

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GLOSSAIRE

(Mot en wolof dans le texte)

Dieuf dieul : tirer profit de son labeur, son travail

Bour sine : roi du sine

Gamou : pélérinage confrérique

Goorgoorlou : littéralement faire l'homme, vivre de la débrouille

Gorgui : le vieux

Leeral askan wi: éclairer le people, la population, la nation

Louma : marché hebdomadaire

Massla : propension à toujours chercher le compromis et à éviter l'escalade Sama mame : mon grand père

Siaara : visite rendue au marabout ou pèlerinage au siège d'une confrérie Talibé : disciple ou mendiant

Xar matt: littéralement, fendre du bois, dans le texte, avoir des activités

parallèles

ANNEXES
LE SENEGAL EN QUELQUES CHIFFRES

Superficie : 196 190 km2

********************

Population (estimation 2009) : 13 711 597 habitants

Densité de population (2009) : 69,8 hab/km2

Proportion de la population âgée de moins de 15 ans (2008) : 41,9 % Proportion de la population âgée de plus de 64 ans (2008) : 3,0 % Espérance de vie (2009) : 59 ans

Proportion de la population urbaine (2008) : 42,3 %

Taux de fécondité (2009) : 4,95

Taux de natalité (2009) : 36,84 %0

Taux de mortalité (2008 : 10,72 %0

Taux d'accroissement naturel (2008) : 2,58 %

Taux de mortalité infantile (2008) : 58,93 %o

Taux de mortalité des moins de 5 ans : 116 %o

********************

PIB en millions de dollars US courants (2007) : 10.151

PIB en dollars US courants valeur PPA (2007) : 1700 par habitant PNB en dollars US courants (2008): 20, 6 milliards

Taux de croissance annuelle (2006) : 3,3 %

Source: CIA World Factbook (Version du 16 Mai 2008) et Sénégal-statistiques-mondiales.com10 - Sources : Agence Nationale de Statistique du Sénégal ; encyclopédie Universalis ; Encarta 2007 ; CIA's World Fact Book 2002 ; Institut de Recherche pour le Développement (IRD) ; Sénégal-online

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Part dans les importations mondiales (2006) : 0,03 % Par dans les exportations mondiales (2006) : 0,01 % Dépenses militaires en % du PIB (2008) : 1,9 %

Dépenses en éducation en pourcentage du PIB (2006) : 5 % Consommation d'électricité en kwh /habitant (2004) : 176 Population ayant accès à l'électricité (2000) : 32 %

*******************

Pourcentage de la population sous alimentée (2004) : 20 %

Taux de chômage (2007) : 48 %

Taux d'alphabétisation 15 ans et plus (2007) : 42,6 %

Nombre de lignes de téléphones fixes pour 1000 habitants (2006) : 23 Nombre de lignes de téléphones mobiles pour 1000 habitants (2007) : 320 Utilisateurs d'internet pour 1000 habitants (2006) : 54

Nombre de postes de télévision pour 1000 habitants (2001) : 77

Chronique de Souleymane Jules Diop ancien conseiller en

communication de l'ancien premier ministre de Wade, Idrissa Seck

Les ennemis du président

Souleymane Jules Diop Jeudi 13 Aoû 2009

« Voici venir le crépuscule. L'heure grave où l'on rend les comptes »

Michaïl BOULGAKOV

Il arrive à ce pays une étrangeté dont il ne faudrait pas se réjouir, encore moins se féliciter. La nomination de ministres pendant les vacances gouvernementales, les menaces contre des marabouts, les injures infâmes adressées à l'opposition forcent à une seule et même chose. Si Abdoulaye Wade fait toujours la preuve qu'il entend jouir de tous ses pouvoirs, il n'en est pas de même pour ce qui est de ses facultés mentales. Quelle qu'effroyable qu'elle puisse être, nous devons nous soumettre à cette conclusion et assumer qu'à la tête de ce pays jadis distingué par l'intelligence de ses hommes, se trouve désormais un vieillard gâteux. Un homme d'Etat qui s'attribue les biens de son pays, lui impose une hypothèque sur 1200 ans n'est déjà plus un homme. Je me suis soumis à cette évidence en voyant le président de la République fermement debout dans son boubou pour sacrer le monument sensé immortaliser sa propre bêtise et en faire témoignage aux générations futures. L'homme drapé contre les vents et les marées -je parle de l'autre-, la poitrine bien sortie et les abdominaux saillants, le rendait fier de sa copie. Mais regardez-le bien. Il n'a pas de tête. Je me suis demandé si les Coréens, sarcastiques à souhait, ne lui ont pas enlevé cette extrémité précieuse pour dire au Descartes de Kébémer, le père du « je prends, donc je suis », propriétaire intellectuel de cette doublure honteuse : « monsieur, regardez-vous bien, vous n'avez pas toute votre tête ».

La semaine dernière, il a pris son téléphone pour exiger de son ministre de la Communication, l'engagement de tous les moyens de l'Etat dans la bataille contre une photo représentant sa statue sur Internet. Le président Abdoulaye Wade a lui-même pourchassé la photo avec son équipe d'informaticiens, jusqu'à la localiser dans un coin de la planète virtuelle. Il reproche à cette statue refaite une trop grande ressemblance, ce qui nous a valu un communiqué du gouvernement et un mandat d'arrêt de diffusion international. Voilà à quoi est réduit le Sénégal, à traquer des images virtuelles, après avoir établi la censure systématique, comme l'ont si bien souligné mes amis de Sud quotidien. Quand il n'est pas en guerre contre les images virtuelles, Abdoulaye Wade

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consacre l'essentiel de son effort à son combat contre ses ennemis virtuels. Jacques Diouf est pressenti pour se présenter en 2012, il lui consacre une longue campagne de calomnies à l'échelle internationale ; Amadou Moctar Mbow est présenté comme le potentiel candidat à une transition démocratique, il invite tous les cadres de son parti à lui réserver la totalité de leurs injures ; Ousmane Tanor Dieng est déclaré candidat, il sort tous les cadavres que lui avait laissés le Parti socialiste et ceux qu'il a lui-même placés dans les tiroirs. L'ADM finance les municipalités, il adresse une lettre aux responsables de la Banque mondiale pour les accuser de financer ses « ennemis ». Une véritable industrie de la guerre s'est développée autour de cet idéal autocratique. Elle fait vivre des centaines de mercenaires qui débusquent tous les jours les « ennemis du président » pour les mater sans pitié.

Cette comédie pitoyable n'est pas le signe d'une nervosité mal contenue. C'est le signe que le mégalomane est pris de folie et n'a honte de rien. On se disait que le passage de Hillary Clinton tout près de chez nous, au Cap-Vert, assoupirait au moins les velléités guerrières d'Abdoulaye Wade. C'est le moment qu'il a choisi pour pondre cette lettre scandaleuse qui ferait tomber n'importe quel chef d'Etat de son fauteuil.

Tout cela se fait sur fond de décisions irréfléchies. Il relève un ministre de ses fonctions, mais c'est pour s'empresser de le renommer le lendemain. Il relève le ministre de la Culture de ses fonctions, le nomme une semaine plus tard ministre d'Etat chargé d'un festival. Il prend une direction à un ministre, la lui rend le lendemain avec des excuses officielles. Le remaniement d'il y a six mois se poursuit encore, avec la nomination d'Innocence Ntap, redevenue ministre d'Etat au bout de 20 minutes d'audience. Pour couronner le tout, il sort du dernier Conseil des ministres avec cette décision étonnante de s'octroyer un mois de vacances quand ses ministres sont limités à une semaine. Le génie infatigable a-t-il enfin abandonné ses prétentions surhumaines ?

Nous n'assistons pas à une ambiance de fin de règne. Pire encore, nous assistons à une ambiance de fin de vie, sans que nous osions nous poser la question qui s'imposera à nous comme une réalité : qu'adviendra-t-il de nous tous ? Vont-ils, comme s'y préparent déjà les libéraux, se diviser en milices rivales et se combattre rageusement, avec des chefs de guerre de la trempe de Clédor Sène ; vont-ils laisser un ancien poissonnier et repris de Justice devenir notre président de la République par intérim ; ou alors, au nom des intérêts du clan, vont-ils tenir Pape Diop en respect et imposer Karim Wade à la tête du pays ?

Il semble que Viviane Wade soit la seule à avoir vraiment pris la mesure de la situation. Elle s'est arrogée une bonne partie des prérogatives présidentielles et ne rend compte qu'à sa propre personne. Quand Abdoulaye Wade nomme

au gouvernement, elle nomme. Quand il nomme dans le parti, elle nomme. Au point qu'il y a au palais de la République un gouvernement de ministres conseillers et de ministres d'Etat de la méme taille que celui de Souleymane Ndéné Ndiaye, prêts à agir. Les plumitifs engagés par le palais de la République promettent de s'y mettre, de sorte qu'au retour des vacances gouvernementales, il ne reste de ce « Jules »que sa mairie de Guinguineo. « On l'avait pris pour un roseau, c'est un chéne. Il ne plie pas », confient ceux qui assistent aux misères que lui cause le camp de Viviane Wade, déterminée à imposer son fils. Quel que soit le bout par lequel on la prend, la situation est assez grave pour nous obliger à l'action. Le président Lamine Diack l'a exprimé mieux que moi, en des termes qui inspirent le respect. Il nous faut agir ou périr.

Auteur: Souleymane Jules Diop

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Sen24heures.com : Vendredi 31 Juillet 2009

Dialogue politique : Wade crache le feu sur l'opposition

Dans sa réponse à la lettre de l'opposition, le Chef de l'Etat n'a pas fait dans la dentelle. Il fait le procès de l'opposition en des termes peu diplomatiques. Le ton et le contenu de sa missive vont-ils consacrer l'enterrement de première classe d'un dialogue politique qui a du mal à démarrer ou s'agit-il juste de la surenchère ?

Le Président Abdoulaye Wade a trempé sa plume dans du vitriol pour répondre à la lettre de Benno siggil Sénégal sur le dialogue politique. Dans sa lettre réponse datée du 29 juillet dernier, le Chef de l'Etat déterre des cadavres et fait le procès du régime socialiste et de certains qui avaient réalisé avec lui l'alternance, avant de le quitter, et qui traîneraient des casseroles.

D'emblée il souligne : « J'accuse réception de votre lettre n° 002/888 du 27 juillet 2009 et m'empresse de vous dire que je ne vois aucune objection à soumettre les questions que vous évoquez à une structure appropriée, désignée d'un commun accord, à la seule condition du respect de la loi ; le contraire ne pouvant être demandé au Président de la République dont la mission principale est de respecter et de faire respecter les lois, conformément à son serment. » Il précise : « A la même instance, sera soumis l'examen de la liste des faits survenus sous le régime socialiste ou commis par l'un ou l'autre des vôtres pendant l'alternance alors qu'il exerçait des fonctions ministérielles.

L'exercice auquel vous nous conviez ayant manifestement pour but de faire le procès du régime de l'alternance, la logique de la chronologie des faits et du parallélisme des formes exige qu'on fasse, sur la méme lancée, celui du régime socialiste. 8ans tenir compte, dans un cas comme dans l'autre, de la notion de prescription et en commençant logiquement par les faits les plus anciens. » Pour étayer son propos Abdoulaye wade cite quelques exemples :

1. La mort du Commissaire Sadibou Ndiaye jeté du haut de la mamelle du phare alors qu'il sortait de la Présidence de la République,

2. Affaire Babacar Sèye : faudrait-il vous le rappeler, cette affaire a été instruite et jugée définitivement par le régime socialiste avant l'alternance. Y aurait-il une complicité du régime socialiste qui aurait caché certains éléments à la Justice ?

Avant de rejuger des citoyens qui ont été jugés contradictoirement et mis hors de cause, il serait plus logique de juger ceux qui, bien que mis en cause dans l'enquête et l'instruction n'ont jamais été convoqués devant la justice à cause de la protection dont ils jouissaient à l'époque. Après seulement, si ce nouvel examen de l'affaire ne conduit pas aux commanditaires, on parlerait

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de "rejuger", c'est-à-dire remettre en cause des décisions de justice passées en force de chose jugée pour des faits frappés par la loi d'amnistie,

3. Sacrifices humains pour le pouvoir, consistant à capturer deux jeunes filles Albinos et à les enterrer vivantes,

4. Encaissement de chèques dans des comptes personnels à l'occasion de la construction de l'Hôtel Méridien Président,

5. Détournements de fonds au niveau du Secrétariat de la Présidence, à l'occasion de l'organisation de l'QGI en 1991,

6. Encaissement d'argent dans des comptes personnels à l'occasion du Premier Festival Mondial des Arts Nègres à Dakar,

7. Vente de permis d'amodiation après attribution de milliers, d'hectares dans le Goudiry/Kidira à un camarade chargé de les monnayer,

8. Encaissement d'espèces versées pour l'obtention de permis de coupe par ceux-là même qui étaient chargés de protéger l'environnement,

9. Ventes illicites de terrains à l'aéroport par un Ministre,

10. Transferts à l'étranger de fonds par des ministres pour des montants sans rapport avec leurs revenus réguliers,

11. Transfert de 30 milliards de francs CFA à l'étranger selon des journaux de la Place, sans démenti, dénoncé à l'époque par la Banque Mondiale,

12. Détournement de billets de banques adirés, retirés de la circulation et prétendument incinérés,

13. Ventes illicites de licences de pêche (navires russes) pour des sommes encaissées dans des comptes personnels ouverts dans une banque de la place,

14. Détournement de drogue saisie et destinée à l'incinération qui fut simplement simulée,

15. Vente et trafic de passeports diplomatiques,

16. Affaires des bateaux Swift-Seagal et Adel Korban,

17. Accaparement et détournement de villas appartenant à l'Etat à Dakar-Plateau et Fann-Résidence,

18. Bradage et spoliation d'une bonne partie du Foncier Sénégalais avant 2000,

19.

Encaissement d'un chèque de 680 millions CFA par le Secrétaire Général de la Présidence alors que le pouvoir avait changé de main, dans les heures qui ont suivi la proclamation des résultats de l'élection présidentielle de 2000 et avant la passation de service,

20. Morts non élucidés par refus d'enquête par le pouvoir de l'époque, ce qui les rend non prescrits pendant toute la durée du régime.

Pour élucider tout cela, le Président Abdoulaye Wade pose des préalables :

Vous nous remettrez un document signé personnellement par les leaders de votre groupe et tous nos homologues du régime socialiste que nous avons remplacés déclarant que votre initiative les engage et ce, en raison des responsabilités individuelles que pourrait entraîner votre initiative, engagement de renoncer à toute forme de prescription des faits évoqués, Nous vous laissons le choix de l'instance qui va prendre connaissance de tous les faits et apprécier car, de toute évidence, vous ne pouvez pas être juge et partie. Dès que vous le voudrez, nous commencerons l'examen des questions articulées dans l'ordre chronologique. Nous devrons décider d'un commun accord de ce qu'il faudra faire des résultats de l'enquête.

Toutes les autres questions que vous évoquez relèvent de la gestion gouvernementale dont nous répondons régulièrement devant le Peuple ou ses Représentants à l'occasion d'échéances électorales et de débats parlementaires libres. Toutefois, nous sommes prêts, parallèlement à l'examen des faits articulés d'un côté et de l'autre, à participer avec vous, à un débat public contradictoire.

Nous avons toujours pensé que nos échanges devraient s'inscrire dans le cadre du fonctionnement normal de la démocratie avec un pouvoir qui exerce les responsabilités qui lui ont été confiées par le Peuple Sénégalais et une opposition qui s'oppose tout en aspirant au pouvoir. Ce souci a inspiré les dispositions que nous avons fait insérer dans la Constitution, consacrant l'opposition comme l'alter ego du Gouvernement et instituant le Chef de l'Opposition.

Mon action politique a toujours été irriguée par le souci de préserver l'interaction entre ces deux rouages de la démocratie, pouvoir et opposition, sans qu'il puisse y avoir une confusion dans les deux rôles. Je constate malheureusement que trop souvent vous avez la déplorable propension à vouloir dicter au Gouvernement ce qu'il a à faire au lieu de vous borner à faire des critiques comme vous l'autorisent la Constitution et les Lois. » Selon nos informations, le Chef de l'Etat semble particulièrement irrité par le passage de la lettre de l'opposition rappelant l'assassinat de Me Babacar Sèye.

Le dialogue politique est-il mort né ? Auteur: www.sen24heures.com

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TENTATIVE de musellement: Wade perd son combat contre la presse - Wade, un casseur d'entreprises

- L'acharnement fiscal, une arme libérale

- Corruption, brimades et prisons pour museler la presse

XIBAR.NET (Dakar, 25 Aout 2009) Dès la fin de la période sabbatique, qui a suivi son élection à la présidence de la République, Abdoulaye Wade s'en prendra aux journalistes, qu'il considère comme ses vrais opposants ou les bras armés de ses adversaires politiques ; voire leurs porte-voix. Lui, qui opposant avait ses journaux, brisera des groupes de presse, donnera des leçons aux journalistes. Il les rabrouera et laissera emprisonner. Mais, la presse et debout plus que jamais. Elle exploite un nouveau créneau, qui pose déjà problème aux « général » libéral.

Me Wade, un casseur d'entreprises

Dans son combat contre la presse privée, qui refusait de lui servir d'instrument de propagande, Me Wade commencera par s'attaquer contre le groupe du trio gagnant : le Groupe Com 7, qui éditait trois quotidiens (Le Populaire, 7 Infos, Frasques) un hebdomadaire (Week-End) et qui avait une imprimerie rotative. Il passera par le maillon le plus faible de la chaîne, Bara Tall, pour disloquer le groupe. Entrepreneur, ce polytechnicien s'était trop approché des grâces du pouvoir. Il se plaisait à assumer son amitié avec le fils du président, Karim. Le président le mettra en relation avec son ami, Pierre Aïm. Les deux affronteront l'un des trois actionnaires et fondateurs du groupe Com 7, qui avait opté de n'enfiler un autre habit que celui d'opérateur économique. Leur troisième associé, le musicien Youssou Ndour, découragé par la tournure que prenait les évènements, préfèrera concentrer son attention et son énergie pour le succès de son propre groupe de presse : « Futurs médias ». Cependant, c'est comme si Me Wade avait coupé la tête d'une hydre : d'autres têtes ont germé et en plus grand nombre suite à ce «hold-up médiatique : L'Obervateur, L'Office, L'As, Station One et récemment L'Essentiel, « le magazine politique qui effraie le plus le régime », comme on le décrit et qui a été interdit de parution par arrêté ministériel, ont jailli des cendres du Groupe Com 7 ; sans compter la radio Futurs médias, etc.

Acte 2 :

Me Wade marchera sur le Groupe Sud, qui a sa radio (Sud Fm) et son journal (Sud Quotidien). Il commence par une opération de charme, en nommant l'une des chevilles ouvrières du groupe, Chérif El Valid Sèye, son conseiller en communication. Les nouvelles autorités chercheront, par le biais de La Poste à ferrer l'un des dirigeants du groupe, Abdou Latif Coulibaly, en affectant un marché à son épouse. Mais, l'ouvrage qu'il publiera par la suite, « Wade, un opposant au pouvoir : l'alternance piègée » viendra gâter les noces. En guise de représailles, M.Sèye sera révoqué de son poste. Le Groupe sera dépossédé du titre foncier qui lui avait été attribué et sur la base duquel il négociait des prêts auprès des banques de la place. Le groupe que dirige Babacar Touré est depuis lors à genoux. Suite à la diffusion d'une interview qu'un des responsables du mouvement rebelle de la région de Casamance avait accordée à un journaliste de la radio Sud Fm, la station-mère sera occupée par les policiers, les employés trouvés sur place acheminés au commissariat central et les émissions de Suf Fm suspendues. Mais la mobilisation contre cette injustice poussera le régime libéral à revenir en fin de journée sur sa décision.

L'acharnement fiscal, une arme libérale

Le groupe « Wal Fadjri » a eu aussi ses démêlées avec le régime. Pour mâter ce groupe qui appartient à Sidy Lamine Niasse, on tentera de brûler, de nuit, ses locaux. Puis, suivront des contraintes fiscales. Le signal de la télévision qui devait compléter la radio et le quotidien de Wal Fadjri tardera à être accordé à M. Niasse. Les insultes qu'il profèrera, par la suite contre le secrétaire général de l'Alliance des forces de progrès, Moustapha Niasse, ont-ils été le prix à payer pour que le « mollah » Sidy Lamine soit moins inquiété ? En tout cas, tout heureux, il s'est livré dernièrement, avec caméras et micros, au fils du président de la République, le ministre d'Etat Karim Wade, qui était passé lui rendre visite. Utilisera-t-il les mêmes canaux pour ne pas verser les taxes que lui réclame le Bureau sénégalais du droit d'auteur (Bsda) ?

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Corruption, brimades et prisons pour museler la presse

Le greffier de formation, Madiambal Diagne, devenu patron de presse, après des articles publiés sous la plume du pseudonyme Moussa Sarr dans les colonnes de Walf Quotidien, se taillera une place dans l'espace médiatique ; grace à des moyens costauds derrière lesquels d'aucuns voient la main de l'ancien Premier ministre Idrissa Seck. Après « Le Quotidien », il lancera l'hebdomadaire « Week-end », puis une radio proclamée « Première Fm », qui a sombré. Elle fut sevrée de publicité, après une passe d'armes entre Madiambal Diagne et le ministre Thiérno LO suite à des millions que ce dernier avait obtenus de la présidence pour le compte du premier nommé. Madiambal sera accusé de tentatives de troubles à l'ordre public. Il connaîtra la prison, tout comme le Directeur de « L'Office », Moustapha Sow, dont le « crime » était d'avoir étalé au grand jour les agissements et « surfacturations » dans les « chantiers de Thiès ». Mais, en dépit de son « amitié » avec Karim et de ses entrées d'antan au palais de la République, Bara Tall prendra la relève de Moustapha Sow à la Maison d'arrêt et de correction de Rebeuss. Le journaliste et directeur de 24 H Chrono, El Malick Seck, sera également condamné et emprisonné avant d'être gracié par le chef de l'Etat. Les locaux de son journal et celui de L'As seront saccagés par des nervis à la solde d'un ancien ministre du régime libéral, Farba Senghor.

Aujourd'hui, l'Etat refuse, toujours, de délivrer à Yossou Ndour le signal pour sa télévision ; prête à diffuser depuis près d'un an. Ce qui est injuste. Pour des intérêts particuliers des libéraux, doit-on bloquer un projet porteur d'emplois et orienté vers l'information et l'éducation des populations ? La démocratie rime avec la diversité. Mais, Me Wade qui prOne cette valeur et cette exigence républicaines semble l'avoir oublié. Il essaie d'arrêter la mer avec ses bras. Combat vain d'autant que s'il peut faire des embuscades contre les journaux, radios et télévisions, il ne pourra que se résigner devant les journaux en ligne. Pour preuve, l'entretien que le journaliste et écrivain Abdou Latif Coulibaly avait accordé au confrère Pape Alé Niang, suite à la parution du dernier livre de celui-ci, « Contes et mécomptes de l'Anoci » est depuis sur la toile; malgré la décision de censure prise par son patron à 2S Tv, Elhadj Ndiaye. Parallèlement, la presse écrite continue à se développer au Sénégal, tout comme les sites et blogs. C'est dire que Me Wade n'a pas tort de prédire que c'est la presse qui fera sa perte. Il n'a pas si tort, parce que la presse relayant objectivement les faits et actes des gouvernants, les dirigeants qui s'écartent de la bonne gouvernance, de la transparence et de la justice ne peuvent que trembler. Qui se sent morveux, se mouche.

La Rédaction Mardi 25 Août 2009






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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld