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Les enfants en situation de rue du Sénégal. L'identité et la socialisation dans le processus de sortie de la rue

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par Corentin SIROU
Université Lumière Lyon 2 (ISPEF) - Master 1 sciences de l'éducation 2011
  

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1.2. L'identité, marqueur du refus de la rue

Dans les cas que nous avons étudiés, et au regard des résultats de l'enquête, nous avons mis en lumière une sorte de refus de la rue de la part de certains enfants. Ils nous montrent qu'ils ont gardé tout au long de leurs parcours un certaine distance avec la rue, et cette distance est particulièrement perceptible au travers des dynamiques identitaires.

Hassan, ce jeune confié à sa tante dont nous avons déjà parlé, se retrouve dans la rue confronté à des insultes de la part d'autres enfants.

... mais j'ai vraiment été emmerdé là-bas parce qu'on arrêtait pas de se moquer de moi. A chaque fois, il y avait des jeunes qui me traitaient de « fakhman, fakhman ! », ce qui me faisait mal. J'allais jusqu'à me battre sur ces provocations.

Nous avons vu plus haut ce qu'est un fakhman. Or ici, Hassan refuse cette catégorisation
stigmatisante, alors que si l'on se réfère à ce qu'est un fakhman étymologiquement (voir page 32), il
est effectivement un enfant en situation de rue suite à une rupture avec son milieu d'origine. Mais

souvent, ce sont les fakhmans eux-mêmes qui choisissent de se dénommer ainsi, marquant par là une identification particulière à la rue, à leur groupe, etc. Il n'y a rien de tout cela dans le cas de Hassan, qui reste seul, sans contact avec ses pairs, et rejette donc cette étiquette :

- Tu ne te considérais pas comme un fakhman donc.

- Non [...] Un fakhman n'est rien d'autre qu'un bandit, et c'est quelqu'un qui aime la facilité, qui ne va pas chercher du travail et agresse les gens, c'est comme ça qu'il fait.

Il refuse donc de se voir associé à ce qu'il perçoit comme des enfants ou adolescents violents, voleurs, etc. Ses réactions (il va jusqu'à se battre) montrent que l'image qu'il renvoie est importante pour lui, et qu'il souhaite donc la préserver, en se défendant dès que cette dernière est mise en cause. Il se définit simplement, de la façon suivante :

Je me considérais comme un être humain qui cherche à se débrouiller dans la rue.

La rue n'est donc que le lieu où il se trouve et dans lequel il essaye de s'adapter pour « se débrouiller ». Hassan n'est dans la rue que parce qu'il n'a pas d'autres solutions : son milieu d'origine lui est défavorable, et il ne voit, pour le moment pas d'autre moyen que d'essayer de trouver du travail pour réussir à survivre. Il ne va donc pas chercher à rejoindre un groupe de jeune de la rue, mais tenter de s'en sortir par lui-même, par des biais qui lui semble « honnêtes », en opposition à une voie qui paraît plus dangereuse (car associée à la violence, au vol, etc).

C'était angoissant parce que j'étais tout le temps dans mes pensées à vouloir savoir « qu'est ce que je dois faire ? », « Qu'est-ce que je peux faire ? », « Trouver du travail le plus rapidement possible ».

Ce genre de questionnements est aussi présent chez Cheikh, qui lorsqu'il raconte son histoire, nous dit qu'il se questionnait toujours sur sa présence dans la rue. Ayant fui sa famille par crainte de subir des coups de la part de son oncle, il se retrouve rapidement à Touba, où il va s'intégrer à un groupe d'enfants en situation de rue.

Je suis resté en coin, je me suis posé la question « qu'est ce que je fais dans la rue comme ça ? » [... et plus loin : ] Je me suis posé la question « mais qu'est-ce que je fais dans la rue ? »

Par ces questions, on sent que Cheikh a du mal a assumer sa présence dans la rue, car la vision qu'il a de lui-même n'est pas conforme à sa situation actuelle. Plus loin, il va montrer son désaccord avec certaines pratiques de son groupe, et certaines représentations sociales.

... moi je n'ai jamais mendié [...] Je ne veux pas mendier. Même des fois il y a quelqu'un qui m'appelait « talibé », mais non moi je lui dis que je ne suis pas un talibé.

[...] ils m'ont montré où ils dormaient, tout ça... Il y a un seul problème, c'est que eux, ils volent. Mais moi je n'ai jamais volé. A 6h du matin ils quittent la gare pour aller dans le garage mécanicien pour voler le fer et aller le revendre.

Cheikh refuse le vol et la mendicité, et refuse également d'être confondu avec un talibé. Cela marque le souhait chez lui de conserver une image de soi positive, en refusant les activités qu'il juge mauvaises et en souhaitant se démarquer des talibés mendiants (ce qu'il n'est pas) aux yeux des autres, car il ne pratique pas la mendicité. Ici aussi, comme pour Hassan, il veut s'en sortir « honnêtement ». Il faut noter que dès son arrivée dans la rue, Cheikh est porteur d'un projet de sortie : trouver un médiateur pour l'aider à retourner dans sa famille. Ce souhait va ensuite le guider à Saint-Louis où il trouvera de l'aide.

Après j'ai voulu venir à St-Louis, parce que j'entendais tout le temps que St-Louis est la première capitale du Sénégal. J'ai dit que donc, il y aurait peut-être quelqu'un qui va m'aider dans ma situation.

[...] Je n'étais jamais venu à St-louis, même moi je ne connaissais pas ce qu'était le centre, mais je voulais parler avec ma mère et mon père pour que le problème se règle, on m'a présenté le centre, on m'a expliqué comment ça fonctionne le centre...

Cheikh n'a donc jamais eu l'intention de rester dans la rue. Il est porteur depuis le début d'un projet post-rue, celui de retourner dans sa famille. Il est un enfant poussé à la rue113, face à un climat défavorable. Il ne perçoit la rue que comme une passade temporaire, mais rendue nécessaire à cause de certaines violences familiales, à laquelle il compte mettre un terme en cherchant des appuis extérieurs. Nous sommes là dans la cas d'une sortie active et auto-controlée de la rue.

Mamadou marque également, à sa façon, son rejet du vol au sein de son groupe. Il a fui de chez lui car son grand frère voulait le battre, et s'est retrouvé à Dakar. Il noue rapidement des liens avec d'autres enfants et fréquente quelques réseaux d'autres personnes en situation de rue (certains Baay Fall par exemple). Il nous raconte le vol qu'il pratique avec un groupe :

Chacun avait un rôle, car notre principale activité était le vol et dans ce vol, chacun avait son rôle. Moi, je n'ai jamais volé. Mon rôle, c'était de guetter si il y a un danger, et je les avertissais. Ce qui se passait, ils venaient dans les maisons pour demander l'aumône et y'a qui présentaient les salutations. Ils disaient «Assalâm aleïkoum» et si quelqu'un ne répondait pas, ils savent que y'a personne dans cette maison, ou personne qui n'est encore réveillé, et il lance le message et les autres vont commettre leur forfait.

- C'est toi qui a choisi ton rôle parce que tu ne voulais pas voler ?

- Je n'avais jamais volé, et quand on a partagé les rôles, j'ai dit que je ne volais pas.

113Nous entendons « poussé à la rue » au sens où le Fatou Dramé (voir page 33).

Donc on m'a donné un autre rôle.

- Pourquoi tu ne voulais pas voler ? - Non, voler c'est pas bon.

Il sait le vol nécessaire à sa survie, mais souhaite s'y associer le moins possible, ne pas commettre l'acte en lui-même, ce qui l'amène à prendre un rôle de guetteur. Il signifie là son désaccord avec certaines pratiques qui peuvent avoir lieu dans la rue. Plus loin, il dira à propos de dames qu'il a rencontrées et à qui il rendait des services moyennant un pécule.

Ça m'a permis aussi de rencontrer des gens bons qui se sont occupés de moi, qui m'ont aidé. Elles m'ont emmené chez elle, m'ont donné le petit déjeuner.

Mamadou a parfaitement conscience des dangers de la rue. Il le signifie par la difficulté morale qu'il a à voler et par la reconnaissance qu'il porte au gens qui vont le sortir de sa situation ou qui vont temporairement l'aider. Mohamed n'est pas non plus en adéquation avec sa situation dans la rue. Nous l'avons déjà vu, il a été confié à des Baay Fall, et, s'il dit être Baay Fall, il n'apprécie pas du tout son rôle.

... j'étais Baay Fall. [...] ça ne me plaisait pas.[...] ... ils maltraitent les enfants...en les tapant tous les jours.

Ce qui se joue chez Mohamed à ce moment n'est pas uniquement de nature identitaire. Il dit en effet victime de maltraitance et forcé à la mendicité. Sa mauvaise situation pourrait alors être le facteur le plus influent sur sa motivation à quitter son milieu. Toutefois, il nous dit plus loin ne plus vouloir être Baay Fall. Depuis son arrivée au centre il y a deux ans, les autres enfants et adolescents, et parfois les éducateurs, l'interpellent par la dénomination Baay Fall et non par son prénom. Ce surnom de Baay Fall est inscrit jusque dans son dossier au centre (« Mohamed [...] dit Y. ou dit Baay Fall »). Il semble s'être habitué à cette façon de faire, bien qu'il réponde parfois par des signes d'énervements, en tirant la tête, ou en faisant mine de ne pas entendre jusqu'à ce qu'on l'appelle par son vrai prénom. Il continue donc d'essayer de se détacher de ce patronyme dans lequel il ne se reconnaît pas, et ne s'est jamais reconnu.

Les cas que nous avons abordés ici sont significatifs d'un manque d'adhésion aux représentations qui sont liées à la rue, que ce soit par des activités (le vol, la mendicité, la drogue), ou par des catégories de personnes (Baay Fall, fakhman, talibé mendiant). Il n'y a pas (ou peu) d'appropriation symbolique (au niveau des représentations) de la rue de la part de ces enfants. Cela est probablement dû au fait que, dès le début de la carrière, certains sont dores et déjà porteur d'un

projet de sortie, d'une envie de quitter la rue le plus rapidement possible, et sont donc à la recherche d'aide (d'appuis de la part d'une tierce personne ou d'une institutionnelle, etc). La rue n'est souvent qu'un milieu dans lequel il faut s'adapter mais qui n'a pas vocation à devenir un lieu de vie permanent sur le long terme, car elle n'offre pas d'avenir viable.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe