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Le rôle disciplinaire des opa durant la vague de rachats des années 80 aux USA

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par Antoine Suzzoni
Université Nice Sophia Antipolis - DEA 2004
  

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Chapitre 5

La généralisation des clauses et des lois anti-OPA

La première pilule empoisonnée (shareholder right plan) fût inventée en 1983 par l'avocat d'affaire Wachtell Lipton . Cependant l'adoption des pilules ne se banalisa qu'à partir de 1985 ; en 1989 30% des firmes étaient protégées par une pilule empoisonnée. C'est aussi au début des années 80 qu'apparurent les premières lois anti-OPA, peu nombreuses jusqu'en 1988 elles se multiplièrent cette année là. Si en 1986 seul 6% des firmes étaient protégées par une loi ou une clause anti-OPA, en 1989 elles étaient 87% à être protégées. Le lobby des managers est en grande partie responsable de la généralisation de ce type de défenses.

Dans une première section nous présenterons les principales clauses et lois anti-OPA, puis, nous tenterons d'analyser les conséquences de l'adoption de ces protections sur le déroulement des OPA et sur la richesse des actionnaires . Dans une dernière partie nous tenterons d'analyser les causes de la diminution du nombre de rachats à la fin des années 80 .

Section 1 : Présentation des principales mesures

anti-OPA

Ces clauses affectent les contrats liant les managers aux administrateurs, les contrats liant les administrateurs aux actionnaires et donc la vulnérabilité de la firme face aux OPA. Parmi les clauses anti-OPA nous devons faire la distinction entre les pilules empoisonnées et les autres clauses. Les pilules empoisonnées regroupent un ensemble de défenses anti-OPA statutaires ; le principe commun à toutes les pilules est qu'elles ont la faculté de s'activer en cas d'attaque sur la cible et d'être désactivées en cas d'offre amicale. Il est possible pour un conseil d'administration d'adopter une pilule une fois que l'entreprise fait l'objet d'une OPA .

§1 Les principales pilules empoisonnées

Il existe différents types de pilules, plus ou moins gênantes pour les offreurs potentiels.

A) Les flip-in rights plans

Ces plans sont élaborés par le conseil d'administration puis soumis à l'approbation de l'assemblée générale des actionnaires.

La mise en place d'une telle pilule permet aux actionnaires d'acquérir un droit de souscription. Les détenteurs de ce droit, à l'exception de l'initiateur de l'offre, ont la possibilité de souscrire à des actions nouvelles à un prix réduit (en général la moitié du cours de bourse) lorsqu'un actionnaire hostile vient à dépasser un certain seuil du capital de la société. Ce mécanisme cache tout simplement une augmentation de capital, réservée aux anciens actionnaires, à un prix très favorable. Il provoque une dilution de la participation de l'attaquant et augmente ainsi le coût total de l'OPA .

B) Les flip-over right plans

Cette pilule statutaire est une sophistication de la précédente. Elle est née de la constatation qu'une grande partie des OPA réussies aux Etats-Unis se soldent par la fusion de la cible et de l'attaquant. Dès que la pilule est activée elle permet aux anciens actionnaires d'acquérir à un prix réduit  soit des actions de la société absorbante (une fois la fusion absorption réalisée ), soit des actions de la société nouvelle (en cas de fusion proprement dite avec disparition des deux sociétés existantes ). Contrairement aux flip-in plans, les flip-over plans entraînent une dilution de la participation de l'offreur dans le capital de la structure juridique adoptée après l'OPA et non plus dans celui de la société cible. Cette pilule est donc d'autant plus dangereuse qu'elle affaiblit la position de l'attaquant directement dans la société qu'il contrôle. Cette pilule est très répandue aux Etats-Unis .

C) Les fair price provisions

La spécificité d'une clause de juste prix est de dissuader l'initiateur d'une OPA de s'engager dans une opération de fusion. Cette pilule ne s'active en effet qu'une fois l'OPA réussie et le contrôle obtenu par l'initiateur, si les dirigeants décident de fusionner les deux sociétés. L'initiateur doit alors proposer aux minoritaires qui n'avaient pas apporté leurs titres à l'OPA des conditions d'échange comparables à celles proposées au cours de l'offre publique. L'adoption de cette pilule permet de décourager l'initiateur d'une OPA en augmentant le coût qu'il devra supporter pour pouvoir fusionner avec la société visée. Cette clause équivaut en fin de compte à contraindre l'initiateur à lancer une offre publique sur 100% des titre de la société visée.

D) Les preferred stocks plans ou dispositifs à titres privilégiés

Les preferred stock plans font partie des toutes premières mesures anti-OPA adoptées par les sociétés américaines durant la première moitié des années 80. Ces plans instaurent la possibilité pour les actionnaires de percevoir l'équivalent du dividende annuel sous la forme d'actions privilégiées remboursables.

Le privilège attaché à ce type d'actions est le suivant : le porteur a le droit d'exiger l'amortissement de ses actions privilégiées en cas de prise de participation hostile supérieure à un seuil statutaire (en général 30% du capital). De plus, le remboursement se fait automatiquement au prix le plus élevé payé par l'attaquant, au cours des douze derniers mois, pour acquérir les actions de la cible (donc au minimum au prix de l'offre). Ces actions sont cessibles  mais l'attaquant qui provoque le déclenchement de cette pilule ne profite pas du droit au remboursement si il possède des actions privilégiées. Il peut en revanche acquérir des actions privilégiées car elles conservent toujours un droit de vote.

Si l'attaque par OPA hostile réussit et débouche sur la fusion de la société initiatrice et de la cible, les actions privilégiées seront converties (en actions de la nouvelle société ou de la société absorbante ) sur la base du prix le plus élevé payé par l'acquéreur au cours des douze derniers mois .

L'intérêt de cette pilule en période d'offre est de réduire le volume de titres apportés à l'initiateur en pariant sur le comportement rationnel des actionnaires qui cherchent à maximiser leur investissement. En effet , le détenteur d'actions privilégiées a intérêt à ne pas apporter ses titres à l'offre et à attendre la fin de celle ci pour, une fois le seuil statutaire dépassé par l'attaquant, user de son droit à l'amortissement .

Ces plans sont contestables pour deux raisons : d'abord ils supposent un prélèvement sur les biens sociaux au profit des actionnaires privilégiés, de plus ils contribuent à l'appauvrissement de la société en aggravant sa situation financière.

L'invention de pilules beaucoup plus dissuasives (flip-in , flip-over) à contribué au déclin des preferred stock plans.

E) Les back-end right plans ou dispositifs à droits en arrière

Cette pilule est apparue pour la première fois aux USA en 1984, c'est une variante améliorée du dispositif à titres privilégiés. Comme son modèle, elle se déclenche lorsqu'un attaquant vient à détenir une participation supérieure à un certain seuil statutaire. Les back-end right sont des droit offerts aux actionnaires, qui rattachés à des actions ordinaires peuvent être remboursés non plus au prix le plus élevé payé par l'attaquant au cours des douze derniers mois mais à un prix fixé statutairement supérieur de 8% à 92% à celui du marché. Comme les actions privilégiées, la détention de droits en arrière permet de sortir de la société dans de bonnes conditions tout en limitant le volume des titres apportés à l'offre.

F) Les springing voting rights ou droits de vote bondissants

Une société distribue à ses actionnaires des actions auxquelles aucun droit de vote n'est rattaché. Toutefois une clause statutaire leur permet de les récupérer sous certaines conditions. Ainsi lorsqu'un raider vient à détenir un certain pourcentage des actions à droit de vote de la société (en général 30%), la pilule s'active et les actions retrouvent leurs droits de vote .

L'intérêt d'une telle pilule est d'entraîner la dilution de la participation du raider dans le total des droits de vote et , dans la mesure où ce dernier souhaite obtenir le contrôle de la société , de renchérir considérablement le coût de son offre.

G) Les suicides poisons pills

C'est une clause statutaire qui vise à compromettre la pérennité de la société en cas de changement de contrôle consécutif à une OPA. Une telle disposition contraint l'initiateur de l'offre à rembourser la totalité de la dette de la société, généralement dans un délai de trois mois après la prise de contrôle .

Une telle clause est toutefois préjudiciable aux actionnaires restés fidèles à la société puisqu'elle risque de mener cette dernière à la faillite dans le cas où la société ne pourrait pas rembourser la totalité de sa dette .

§2 Les autres clauses anti-OPA

Hormis les pilules empoisonnées, il existe un grand nombre de clause statutaires anti-OPA. Elles peuvent être adoptées lors de la création de la société ou ultérieurement ; voici les principales :

A) Blank check preferred stock

Cette clause permet aux administrateurs proches des managers d'émettre des titre privilégiés pour lesquels ils ont toute discrétion concernant les droits de vote, les dividendes et autres droits. Ces titres privilégiés sont émis en cas d'offre hostile .

B) Classified board

Dans un tel conseil les administrateurs sont divisés en plusieurs catégories et les mandats électifs de ces différents administrateurs se chevauchent. Par exemple, dans une firme avec trois catégories d'administrateurs, chaque année, on ne peut remplacer plus d'un tiers des administrateurs. Ainsi un offreur hostile devra patienter trois ans pour remplacer tous les administrateurs, même s'il a réussi à obtenir la quasi totalité des droits de vote.

C) Stakeolder clause

Cette clause permet au conseil d'administration de rejeter, avec une base légale explicite, une OPA attractive pour les actionnaires. Si le conseil estime que les restructurations et autres réformes proposées par l'offreur seront préjudiciables aux salariés , aux fournisseurs et autres communautés, il a la possibilité légale de rejeter l'offre. Notons que cette clause est tout à fait contraire à la shareholder value.

D) Shareholder meeting requirement

Cette clause vise à empêcher les manoeuvres des offreurs pour contourner le processus normal de prise de décision dans l'entreprise. Ces clauses incluent des règles qui interdisent aux actionnaires autres que les administrateurs ou les managers d'organiser des assemblées générales d'actionnaires, ou qui imposent une super-majorité d'actionnaires pour organiser une assemblée générale spéciale.

E) Les clauses de super-majorité

Ces clauses stipulent que les décisions prises en assemblée générale doivent être approuvées par 75% ou 85% des actionnaires (alors que normalement la majorité simple suffit). Ces taux excèdent souvent le niveau de participation des actionnaires aux assemblées générales, ce qui rend ces votes très coûteux.

Ces clauses concernent le remplacement des administrateurs, les ventes d'actifs ou les fusions.

F) Les droits de vote inégaux

Cette clause instaure deux catégories d'actions, les une ont des droits de vote supérieurs à ceux des autres. En général les actions à droit de vote supérieur sont concentrées entre les mains d'actionnaires proches du management en place.

Cette liste n'est pas exhaustive ; toutes ces clauses ont pour objectif d'augmenter le coût du rachat. Peu nombreuses jusqu'en 1988 les lois anti-OPA se sont multipliées cette année là, grâce aux pressions exercées par le lobby des managers . Dans le paragraphe qui va suivre nous décrirons les principales lois.

§3 Les lois anti-OPA

C'est l'état du Delaware qui fût à l'avant garde concernant la législation et la jurisprudence anti-OPA .

A) Freeze out law

Ce type de loi interdit à un actionnaire important de racheter une firme protégée sans avoir obtenu l'accord des administrateurs de cette firme  et ce durant un nombre d'années précisé. Même après la période de gel, la plupart des freeze out laws autorisent le rachat seulement s'il satisfait la clause de juste prix (fair price provision).

Cette loi adoptée par l'état du Delaware en 1988 concerne un grand nombre d'entreprises. Elle requière une période d'attente de trois ans, elle autorise les rachats durant cette période seulement si ils sont approuvés par deux tiers des votants à l'assemblée générale (offreur exclu).

B) Control share acquisition law

Le premier état à adopter cette loi fût l'Ohio en 1982 ; cette loi requière l'approbation des actionnaires avant qu'un nouveau grand actionnaire puisse voter en assemblée générale. Elle concerne les grands actionnaires qui ont dépassé un certain seuil (un cinquième) dans le capital de la société protégée .

C) Fair price law

Ce type de loi impose des contraintes similaires à celles imposées par les fair price provisions. En général, cette loi interdit le rachat de la firme par un grand actionnaire tant que l'une des deux conditions ci dessous n'est pas satisfaite :

- le rachat est approuvé par 80% de tous les votants à l'assemblée générale et par les deux tiers des votants excepté l'offreur.

- Les actionnaires reçoivent un prix fixé (très élevé) pour les actions qu'ils vendront à l'acheteur.

D) Cash-out law

Ce type de loi oblige l'actionnaire qui rachète plus de 20% des titres d'une société à avertir tous les autres actionnaires de son projet de rachat . Ces derniers ont alors le droit de vendre leurs actions à l'offreur à un prix au moins aussi élevé que le prix le plus élevé payé par l'offreur durant la période où il a acheté ses titres. Cette loi à été adoptée par seulement trois états .

E) Les lois d'approbation des pilules empoisonnées

Ce type de loi donne explicitement le droit aux entreprises d'adopter des pilules empoisonnées. Ces lois ne sont pas négligeables car elles donnent la certitude que les pilules ne pourront pas être contestées juridiquement.

Toutes ces lois et clauses ont incontestablement gêné le fonctionnement du marché du contrôle des entreprises en augmentant les coûts subis par les acheteurs. Mais quel est l'impact de ces clauses sur la richesse des actionnaires des cibles ?

Section 2 : L'analyse de la réaction des marchés financiers à de l'annonce de l'adoption de pilules empoisonnées

L'adoption de pilules empoisonnées s'accompagne généralement d'une faible baisse des cours . Ryngaert (1988) a examiné l'évolution des cours de 283 entreprises ayant adopté des pilules empoisonnées en 1986 , il trouve une baisse moyenne de 0.34% . Malatesta et Walkling (1988), après avoir examiné un échantillon de 132 firmes ayant adopté des pilules,  trouvent une baisse moyenne de 0.92% . Karpoff et Malatesta (1989) constatent une baisse moyenne de 0.3% après avoir examiné l'évolution des cours de 1505 firmes dans vingt six états différents ayant adopté une loi anti-OPA. Ces trois études sont citées par Comment et Schwert dans leur article de 1995.

Il est possible d'identifier trois effets correspondant à l'adoption d'une pilule . Le premier correspond à une perte de richesse pour les actionnaires ; les pilules ont pour objectif d'augmenter les coûts d'une OPA pour l'offreur donc la probabilité pour que la firme reçoive une offre de rachat diminue. Ainsi la probabilité pour que les actionnaires de la cible touchent la prime liée au rachat est réduite. Ce premier effet correspond à une baisse des cours . Notons que cet effet peut être pollué par le fait que beaucoup de managers attendent que l'OPA soit imminente pour adopter une ou des pilules empoisonnées. Le deuxième effet augmente la richesse des actionnaires car la pilule accroît le pouvoir de négociation des managers vis à vis de l'offreur. La pilule peut être désactivée par les managers en cas d'accord trouvé avec l'offreur, ils vont ainsi pouvoir négocier une prime de rachat plus élevée, ce qui est en accord avec les intérêts des actionnaires de la cible. Le troisième effet n'est pas évoqué par Comment et Schwert (1995), il est lié à l'enracinement des managers . La pilule en augmentant les coûts pour l'offreur isole les managers de la discipline imposée par le marché.

Ainsi  Borokhovich, Brunarski et Parrino (1997) mettent en évidence le fait que les PDG des firmes ayant adopté des clauses anti-OPA étaient mieux rémunérés que la moyenne des PDG des firmes de leur échantillon. Non seulement ces PDG étaient mieux payés que la moyenne avant l'adoption des pilules mais leur rémunération a augmenté durant les trois années qui ont suivi l'adoption. Borokhovich, Brunarski et Parrino (1997) en déduisent que les PDG ont utilisé les clauses anti-OPA pour augmenter encore leur niveau de rémunération. Cheng, Nagar et Rajan (2001) cités par Arye Bebchuk et Fried (2003) trouvent que les PDG des firmes implantées dans des états ayant promulgué des lois anti-OPA entre 1984 et 1991, ont ensuite réduit leur part dans le capital de la firme d'en moyenne 15% ; apparemment parce qu'une telle participation ne leur était plus nécessaire pour maintenir le contrôle.

Les études empiriques plaident donc en faveur d'un enracinement des managers, permis par l'adoption des pilules empoisonnées.

Une fois ces trois effets mis en évidence, la difficulté est d'identifier les facteurs qui vont faire que tel ou tel effet va dominer les deux autres  (composition du conseil d'administration, part du capital détenue par les managers...) .

Brickley, Coles et Terry (1994) ont fait une démarche en ce sens en cherchant à vérifier l'hypothèse selon laquelle les conseils d'administration dominés par des administrateurs internes utilisent les pilules empoisonnées pour empêcher les rachats (ils ne désactivent pas la pilule même si l'offre est intéressante pour les actionnaires) tandis que les conseils dominés par des administrateurs externes utiliseraient les pilules pour négocier des primes de rachat plus élevées .

Il trouvent qu'en moyenne les investisseurs réagissent plutôt favorablement (+ 0.94) à l'annonce de pilules lorsque le conseil de la cible est dominé par des administrateurs externes et réagissent plutôt défavorablement ( 0.31%) lorsque le conseil est dominé par des administrateurs internes. Si ils n'ont pas réussi à montrer que les offres de rachat lancées contre des cibles dominées par des administrateurs externes réussissaient plus fréquemment que les offres lancées contre des cibles dominées par les managers, ils ont en revanche montré que la présence d'administrateurs externes favorisait l'évolution de l'offre vers une enchère. Lorsque les cibles sont dominées par des administrateurs externes, 85.7% des offres évoluent vers une enchère (bataille entre offreurs) alors que lorsque le conseil des cibles est dominé par les managers, seules 23.5% des offres évoluent vers une bataille entre offreurs. Ces batailles entre offreurs sont évidemment profitables aux actionnaires de la cible et défavorables au actionnaires de l'acheteur.

En définitive les études empiriques réalisées sur l'impact de l'adoption de pilules sur la richesse des actionnaires constatent toutes un effet négatif . Cependant il n'y a pas de consensus quand à l'ampleur de cet effet (Malatesta et Walkling 1988, Ryngaert 1988, Lee 1988 cités par Chakraborty et Baum). L'impact des pilules sur la richesse des actionnaires de la cible dépend de nombreux facteurs tels que l'opportunisme des managers, lui même lié à la composition du conseil d'administration . La situation financière de la cible et la stratégie mise en oeuvre avant l'adoption de la pilule sont aussi à prendre en compte.

Ce qui est claire en revanche c'est qu'en cas de rachat, la présence de pilules empoisonnées réduit les gains des actionnaires de la firme acheteuse.

Les clauses anti-OPA, qui certes augmentent les coûts pour l'offreur, ont été présentées par certains comme la cause de la diminution brutale du nombre d'OPA à la fin des années 80. Que savons nous sur cette question ?

Section 3 :L'implication des clauses anti-OPA dans le déclin de la vague de rachats

Quelle est réellement la part de responsabilité des pilules dans le déclin de la vague d'OPA ?

§1 La remise en question des clauses en tant que principale cause de la baisse du nombre de rachats

C'est un débat qui a été vif , aujourd'hui encore il n'est pas tout à fait clos .

C'est durant le deuxième semestre de l'année 1989 que le nombre de rachats a considérablement baissé aux USA, cette date correspond à la généralisation des clauses et lois anti-OPA . Si nous regardons les statistiques, nous constatons que jusqu'en 1986 seul 6% des entreprises américaines étaient protégées par une mesure anti-OPA (loi ou clause) alors qu'en 1989  87% des entreprises étaient protégées par une loi ou une clause anti-OPA . Pour Coffee (1991), Pound (1992) et d'autres, cités par Danielson et Karpoff (1998) ce sont les clauses et les lois anti-OPA qui ont mis fin à la vague de rachat des années 80 . En augmentant le coût des rachats ces mécanismes auraient découragé les offreurs.

Comment et Schwert ne sont pas d'accord avec cette explication, dans leur article de 1995 ils ont mis en évidence le fait que beaucoup de managers attendaient que l'OPA soit imminente pour adopter une ou des pilules empoisonnées et ils ont montré que la présence de pilules n'affectait pas vraiment la probabilité de succès de l'OPA . Heron et Lie (2000) sont d'accord avec cette analyse puisque selon eux, la présence de pilules augmente le pouvoir de négociation de la firme cible, ce qui permet d'obtenir une prime de rachat plus élevée mais n'affecte pas la probabilité de réussite de l'OPA. Ainsi l'adoption tardive d'une pilule, non seulement ne dissuaderait pas l'offreur de lancer son OPA, mais en plus n'aurait pas d'impact sur la probabilité de réussite de l'offre. Ainsi même si personne ne conteste le fait que les clauses augmentent les coûts des rachats ni que ces clauses aient empêché une partie des rachats, pour Comment et Schwertz (1995) la généralisation des clauses et lois anti-OPA n'est pas la principale cause du déclin de la vague de rachats à la fin des années 80 . Ils donnent d'autres éléments d'explication.

§2 Les autres causes évoquées

Même s'ils n'ignorent pas l'impact qu'a pu avoir la généralisation des clauses et des lois anti-OPA en 1988 ; Comment et Schwert (1995) évoquent la récession qui débuta en juillet 1990 (NBER) et soulignent qu'en août 1989 le congrès américain vota une réforme des institutions financières visant à restaurer la confiance (Financial Institution Reform Recovery and Enforcement Act). Cette réforme pénalisa les détenteurs d'obligations à fort rendement (junk bonds) et ordonna leur vente,  simultanément, les autorités de régulation interdisaient aux banques commerciales de participer à des transactions où la dette représentait plus de 75% des actifs. Le marché des junk bonds s'effondra en septembre 1989 lorsque le principal émetteur révéla l'étendue de sa crise de liquidités.  L'effondrement de la valeur du portefeuille de la banque Drexel entraîna sa faillite et sa dissolution en février 1990 .

Cette réforme est très certainement responsable de l'effondrement des prêts octroyés au secteur non financier par les banques commerciales. Le montant total des prêts accordés en 1989 s'élevait à trente trois milliards de dollars, en 1990 il n'était plus que de deux milliards ; or nous savons que les banques commerciales étaient les principaux financeurs des rachats (Comment et Schwertz 1995).

La réforme des institutions financières (août 1989) et l'intervention des autorités de régulation marquèrent la volonté du gouvernement américain d'en finir avec les rachats financés par la dette, cette réforme coïncide avec le déclin de la vague d'OPA (deuxième moitié de 1989). Ainsi, il semblerait que les clauses n'aient pas joué un rôle déterminant dans la sensible diminution du nombre de rachats en 1989. S'il est difficile d'évaluer avec précision la part de responsabilité des clauses anti-OPA dans le déclin de la vague de rachats, ce qui est incontestable c'est qu'elles ont entravé le fonctionnement du marché du contrôle des entreprises, en augmentant les coûts des rachats, et ainsi favorisé l'enracinement des managers .

Au début des années 80 l'économie américaine est entrée dans une ère nouvelle.

Cette vague d'OPA a marqué le début d'un processus à l'origine d'un changement durable dans le comportement des managers ; ils sont passés d'une stratégie de rétention et de réinvestissement du free cash-flow à une stratégie de réduction de la taille de leurs entreprises et de distribution de dividendes. Si ils ont renoncé à une partie de leur pouvoir et de leurs prérogatives, c'est parce que le marché les y a contraint. Le nombre élevé d'offres hostiles est lié au fait que les intérêts des actionnaires et des managers n'étaient pas alignés .

Galvanisé par l'utilisation des junk bonds et par la progression des investisseurs institutionnels dans le capital des grandes firmes cotées, le marché du contrôle des entreprises a été suffisamment puissant pour transformer l'industrie américaine et ainsi rendre les entreprises plus compétitives face à la montée en puissance de la concurrence étrangère. Durant cette décennie, les offreurs ont démontré que les entreprises américaines étaient inefficientes. Leur compétitivité était en train de s'effondrer tandis que les concurrents étrangers, notamment japonais, devenaient de plus en plus dangereux.

Même si elles ont été douloureuses socialement (entre 1983 et 1987 4.6 millions de salariés perdirent leur emploi), les restructurations mises en oeuvre étaient inéluctables ; l'industrie américaine devait se moderniser afin de faire face à la concurrence étrangère.

Cette vague a aussi et surtout marqué le début de la shareholder value en tant que principe de gouvernance. Pour Holmstrom et Kaplan (2001), «La shareholder value est devenue dominante dans les années 80 et 90 , au moins en partie, parce que  le marché a un avantage comparatif dans la mise en oeuvre des réformes structurelles que la dérégulation et le changement technologique nécessitent. » Concernant la persistance de la shareholder value après la vague d'OPA, Kaplan (1997) cité par Denis et Kruse (2000), pour expliquer le très faible nombre d'OPA hostiles lors de la résurgence des OPA dans les années 90, invoque le fait que les managers et les conseils d'administration ont retenu les leçons des LBO des années 80 . C'est certes un élément d'explication, mais ce qui a très certainement permis à la shareholder value de perdurer et de se diffuser dans le monde entier, c'est l'utilisation massive des stock options. Elles ont permis, tant que faire se peut, d'aligner les intérêts des managers avec ceux des actionnaires .

D'après la théorie de la shareholder value, le fait que les entreprises maximisent la valeur pour l'actionnaire est profitable à l'économie dans son ensemble parce que les actionnaires vont réaffecter les dividendes qu'ils reçoivent de manière efficiente. La dernière bulle spéculative et ses conséquences nous incite à prendre cette affirmation avec circonspection . Même si durant cette vague d'OPA le marché a montré sa supériorité par rapport aux managers en réaffectant efficacement les ressources ; on ne peut décemment parler de l'efficience des marchés.

Le marché est, en quelque sorte, un mal nécessaire !

Je tiens à remercier Jacques Ravix pour ses conseils avisés.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe