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La nomination des animaux par Adam, dans l'Occident latin du XIIe au XVe siècle. Etude iconographique

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par Maÿlis Outters
Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines - Master 2 d'histoire médiévale 2006
  

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2. La parole qui fait l'homme

Depuis Aristote qui est largement commenté au XIIIe siècle, l'homme n'est qu'un animal politique, mais un des attributs qui le différencie nettement de l'animal c'est son intelligence qui s'exprime par la parole.

Le langage fonde la liberté de l'homme, impliquant l'absence des objets ; il provoque la prise de conscience par l'homme de son autonomie par rapport à la nature (il s'affirme distinct d'elle) et par rapport à Dieu (c'est l'homme qui nomme les bêtes). Car nommer pour qui nomme c'est se distinguer de ce qu'il nomme et se voir ou se vouloir une identité différente. Adam fait à l'image de Dieu est bien différent des animaux. Les enluminures marquent bien cette différence. Adam se détache toujours des animaux, qui sont soit en groupe compact à coté de lui (La plupart des enluminures, entre autres les illustrations 9, 15, 16, 19, 20...), soit autour de lui, lui faisant un cercle d'honneur (ill. 13), soit parqués dans des «cases», face à Adam (ill. 4, 5, 18,). Ou encore, il existe de fortes différences physiques entre Adam et les animaux dans la bible flamande30(*) (ill. 27) Adam est plus grand que tous les animaux, même l'éléphant. Dans un bestiaire Adam est franchement séparé du reste des animaux par un bandeau (ill. 10). Et c'est la parole qui sépare l'homme des animaux comme le phylactère qui traverse le bandeau dans le bestiaire de Northumberland (ill. 10).

La raison, l'intelligence de l'homme s'exprime par la parole. Et la nomination, nous dit saint Augustin, «fait apparaître que c'est par sa raison que l'homme est supérieur aux animaux, parce que seule la raison peut, en portant sur [les animaux] un jugement, les différencier et les distinguer par un nom»31(*)

Cependant la parole de l'homme est différente de celle de Dieu, pour saint Thomas d'Aquin. Dieu est supérieur à sa créature, car il possède une personnalité spirituelle dont le signe est précisément la parole souveraine, la parole créatrice, puisque sa seule expression suffit à produire des êtres. «Dieu dit : `Que la lumière soit !' Et la lumière fut.» (Gn I, 3)

3. Le langage d'Adam

Cette première parole d'Adam a posé bien des questions aux commentateurs médiévaux32(*). À commencer par ce fameux langage originel, parlé par Adam : quel était-il, était-il constitué comme l'étaient les créatures dès leur apparition à la vie ?

Gilbert Dahan remarque que les commentateurs médiévaux ont peu utilisé de considérations étymologiques à propos de la nomination. Or l'origine des mots, l'étymologie, reste la base pour éclairer les problèmes de toute connaissance. C'est par l'étymologie qu'on peut approcher l'essence d'un mot. «Quand tu auras vu l'origine du nom, tu comprendras plus vite sa vertu»33(*) nous dit Isidore de Séville, l'étymologiste de référence durant tout le Moyen Âge. Il fait peu de doute que la langue originelle est l'hébreu. La Glose Ordinaire et l'Histoire scolastique de Pierre le Mangeur (†1180), textes de base des écoles et des universités, le confirment. Pour Pierre le Mangeur, «Adam imposa [aux animaux] leur nom en langue hébraïque, qui était la seule depuis les commencements. Et depuis il est convenu que les noms qui furent donnés jusqu'à la division des langues, sont en hébreu.»34(*), ce qui est prouvé «par le fait que tous les noms propres qui se trouvent dans la Genèse jusqu'à la division des langues sont hébraïques»35(*).

La nature du langage qui aujourd'hui pose des questions, n'en posait pas au Moyen Âge. Le premier langage qui est une nomenclature n'est pas concret, il est abstrait. Henri de Gand l'explique ainsi :

Appelavitque Adam... cuncta, selon l'espèce, non selon le nombre. En effet comme le nom est, de même que la définition, un discours sur la quiddité, l'essence est une pour tous les individus d'une même espèce. c'est pourquoi l'imposition réelle d'un nom ne peut se faire que pour une espèce de même que la définition ne définit que l'espèce36(*)

Adam a donc devant lui un monde pur, d'idée abstraites, un monde qu'il nomme, de ce fait dans l'abstrait. Cependant les imagiers illustrent le passage de la Genèse par des images très concrètes. Le récit de la Genèse est effectivement le récit concret des débuts de l'humanité pouvant répondre aux questions abstraites des hommes.

Adam parlait-il avec les animaux ? Les enluminures nous montrent des animaux attentifs, réceptifs à la nomination, ils regardent en général Adam droit dans les yeux. Les contes médiévaux se font l'écho de cette croyance : ceux qui s'ouvrent par «C'était au temps où les bêtes parlaient...»37(*), rappellent cette époque idyllique. Dans les contes où les hommes peuvent comprendre le langage des animaux, ils ont souvent accès à des secrets qui leur donnent richesse et félicité. Cette croyance populaire est à rapprocher de celle qui se rapporte à l'âge d'or de l'humanité qu'était l'Éden. Le dialogue que paraît entretenir Adam avec les animaux est une des raisons de sa toute puissance.

La première parole de l'homme, une des rares qu'il ait prononcée dans le Paradis, est une parole qui lui fait honneur car la nomination des animaux a prouvé toute sa science. Par la dénomination de chaque êtres vivants, Adam manifeste éminemment sa nature raisonnable, il montre qu'il est capable de tous les identifier.

* 30 Bible historiale, Flandre, v. 1440, London, British Library, Add. Ms. 38122, fol. 12.

* 31 Saint Augustin, Contre les Manichéens (De Genesi contra Manichaeos), livre II, XI, 16, trad. P. Monnat, Turnhout, Brepols, 2004.

* 32 Pour plus de précisions pour cette question voir : G. Dahan, «Nommer les êtres : exégèse et théories du langage dans les commentaires médiévaux de Genèse II, 19-20» dans S. Ebbesen, Sprachtheorien in spätantike und Mittelalter, Tübingen, 1995.

* 33 Isidorus Hispalensis. Etymologiae, Livre I, chap. 29. Paris, Belles Lettres, 1986.

* 34 «Et imposuit eis nomina Adam lingua Hebraea, quae sola fuit ab initio», dans Petris Comestoris, scholastica historia. Liber Genesis, Turnhout, Brepols 2005, col. 1070, voir annexe 2.

* 35 D'après les Commentaires de la Genèse de Dominique Grima, exégète thomiste à Toulouse au début du XIIIe siècle, cité dans G. Dahan, «Nommer les êtres..., art. cit., p. 132.

* 36 Henri de Gand, Lectura ordinaria super Genesim, cité dans G. Dahan, «Nommer les êtres..., art. cit., p. 136.

* 37 É. Brassey, Le Bestiaire fabuleux. Contes et légendes de France, Paris, Pygmalion, 2001.

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