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La nomination des animaux par Adam, dans l'Occident latin du XIIe au XVe siècle. Etude iconographique

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par Maÿlis Outters
Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines - Master 2 d'histoire médiévale 2006
  

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Chapitre II. Maître et père par le don du nom

La première parole d'Adam a été une imposition de noms, cette parole est la manifestation de l'omniscience d'Adam. Car, d'après le Cratyle, nommer ce n'est pas trouver une étiquette arbitraire pour désigner des objets, c'est exprimer avec un mot la réalité spécifique des objets38(*).

Voici Cratyle qui prétend mon cher Socrate, que chaque chose a un nom qui lui est naturellement propre ; que ce n'est pas un nom, celui dont quelques hommes se servent après être tombés d'accord de s'en servir et qui consiste que dans une certaine articulation de la voix ; mais que la nature a attribué aux noms un sens propre, le même chez les grecs et les barbares.39(*)

En reprenant Platon la pensée médiévale nous donne une version chrétienne du Cratyle. Le nom renferme en lui l'essence même de l'être nommé. Pour nommer les animaux Adam doit connaître leur essence, leur nature. Or Adam a la pleine connaissance, il n'a pas besoin de communiquer avec Dieu, il donne aux animaux un nom conforme aux idées de Dieu, puisqu'il a toute sa connaissance. Dans les textes anciens rabbiniques40(*) , Dieu demanda d'abord aux anges de nommer les animaux, mais n'ayant pas la même connaissance que l'homme, ils ne purent le faire. Et c'est par cette connaissance que l'homme est plus grand que les anges41(*). Pour presque tous les exégètes chrétiens l'imposition de noms exprime l'opération conventionnelle par laquelle Adam applique aux réalités les conceptions que lui fournit l'Esprit-Saint.

1. Adam le premier maître

Dieu forma le premier homme parfait, non seulement pour ce qui est de son corps, afin qu'il pût aussitôt engendrer, mais aussi pour ce qui est de son esprit dans la connaissance, à laquelle il peut attendre naturellement afin de pouvoir aussitôt enseigner42(*)

Ce texte de Nicolas de Lyre (†1349), nous présente Adam comme un maître, ceux qui aux XIIe et XIIIe siècles ont pris tant d'importance dans les écoles et les universités. L'iconographie nous donne parfois une telle image d'Adam. Dans un bestiaire de la BNF du XIIIe s.43(*) (ill. 12), ainsi que dans celui de Saint John's College (ill. 23), Adam porte la toque des maîtres, et sa main accomplit un geste de souveraineté, l'index élevé, en signe d'autorité de sa parole44(*). Cette attitude est à rapprocher de celle du prêcheur, qu'il soit clerc ou Mendiant, dont la parole revêt d'une certaine autorité. Adam pourrait être un modèle pour ces maîtres de la parole. D'autant plus qu'un autre geste souvent accompli par Adam pour cette scène est celui de l'enseignement, l'index pointé horizontalement, comme dans les enluminures du De natura animalium de Cambrai45(*) (ill. 15) ou du Le livre des propriétés des choses de Barthélemy l'Anglais46(*) (ill. 20).

En effet, tous les commentateurs médiévaux s'accordent à dire que les noms donnés par Adam correspondent à la nature des animaux, à leurs caractéristiques :

Dans les Commentaires de la Genèse d'André de Saint-Victor :

Il faut savoir qu'Adam imposa des noms aux réalités d'après certaines propriétés qui sont en elles. C'est pourquoi il est dit : pour qu'il vît comment les appeler, c'est-à-dire afin qu'il vît attentivement à partir de quelles propriétés imposer des noms à chacun47(*).

Dans les Commentaires de la Genèse de Nicolas de Gorran : «Appellavit Adam nominibus suis : c'est-à-dire de noms leur convenant et non pas d'appellations vaines et données arbitrairement»48(*).

Ou encore dans les Commentaires de la Genèse de Maître Eckhart (†1328) : «Adam a imposé un nom à chaque chose d'après ses propriétés si bien que ce nom en indique la nature et les propriétés naturelles»49(*). Un peu plus loin, il donne l'exemple des devins qui se fondent sur les noms qui sont attribués aux hommes, «et leur font confiance pour tirer des présages du nombre de la figure ou encore de l'ordre des lettres»50(*)

Le nom renferme donc toutes les propriétés de l'animal, et Adam a su trouver pour chacun le nom qui correspondait à ses propriétés. En cela Adam est le modèle du maître, du sage, et c'est pourquoi les commentateurs judéo-hellénistiques puis chrétiens mettent en rapport le sage onomatothète de la philosophie grecque avec Adam : est sage celui qui établit les noms51(*).

Ainsi l'homme, par le simple fait de nommer les animaux, «remplit sa vocation «scientifique» à l'état pur, c'est à dire non idéologique : tout le contraire de la «science» représenté par l'arbre de la connaissance»52(*). La science d'Adam est le summum scientifique qu'ait pu avoir un homme, l'Homme. Adam est considéré comme omniscient puisqu'il a eu une connaissance parfaite de la création sur laquelle il régnait et cette considération va déboucher au XIIIe siècle sur la doctrine scolastique de la science infuse.

D'après ceci notre passage suggère qu'Adam connaissait les natures de toutes les choses, puisqu'il leur a donné un nom à toutes. Adam a donc été originairement doté par Dieu d'une science parfaite afin qu'il connaisse tout ce qui est ou peut être saisi à la lumière de l'intellect agent, comme disent les théologiens [Albert le Grand et Thomas d'Aquin, mais à propos de l'intellect de Christ].53(*)

La nomination des animaux provoque non seulement la connaissance de l'homme, mais elle le pousse aussi à se connaître lui-même. Pour saint Thomas d'Aquin l'homme n'avait pas besoin matériellement des animaux dans l'état d'innocence, mais il en avait besoin pour prendre une connaissance expérimentale de sa nature54(*). «Il fallait voir [les animaux] et les considérer pour les nommer, il fallait les apprendre pour les prendre dans la parole. Adam ne pouvait inventer leur nature, il se devait de la respecter. Les noms viennent d'un regard obéissant à la nature même des choses»55(*).

Nommer c'est aussi classifier, distinguer et isoler les uns des autres des éléments connus, ce qui marque le premier stade de la pensée. Ainsi le motif de la nomination des animaux trouve toute sa place dans les bestiaires qui sont la codification des savoirs médiévaux sur les animaux. Le XIIIe siècle est connu pour être celui de l'encyclopédisme, les savoirs sont classifiés, répertoriés. Le premier acte d'Adam est de nommer les animaux pour les distinguer, voire les classifier.

Nous voyons l'oeuvre de cette classification dans la distinction rigoureuse que fait un bestiaire d'Oxford (ill. 23) entre les oiseaux. Outre le coq et la chouette qui sont facilement identifiables, l'enlumineur a travaillé avec précision pour représenter deux bouvreuils (plumage gris et noir et poitrine rouge), deux chardonnerets (oiseaux blancs aux touches rouges, jaunes et noires), deux pies (noires et blanches) ainsi qu'un faisan (tout brun avec une longue queue).

Dans la bible de la Pierpont Morgan Library56(*) (ill. 9), les animaux sont divisés en trois catégories : les oiseaux dans le ciel ou dans les arbres, les quadrupèdes sur la terre et une baleine (représentante de tous les poissons) dans l'eau ; cette même classification se retrouve dans le bestiaire d'Oxford (ill. 23), le bestiaire d'Anne Walshe57(*) (ill. 24) et le Liber de bestiis et aliis rebus58(*) (ill. 25). D'une manière plus précise ou plus isidorienne, dans le bestiaire de Saint-Pétersbourg (ill. 4), les animaux sont classés selon qu'ils sont des volatiles, des bêtes sauvages ou du bétail. Enfin le bestiaire d'Alnwick Castle (ill. 10), qui présente un nombre impressionnant d'animaux dans l'enluminure de la nomination, divise ses animaux en trois groupes : les volatiles, les quadrupèdes et les bêtes rampantes.

* 38 Platon, Cratyle ou la propriété des noms, cité dans : Br. Huisman, Fr. Ribes, Les philosophes et le langage, Paris, Sedes, 1986. pp. 21-60.

* 39 Ibid., pp. 23-24

* 40 voir annexe 7.

* 41 G. Anderson, The Genesis of Perfection. Adam and Eve in Jewish and Christian Imagination, Louisville/London, Westminster John Knox Press/Leiden, 2001, p. 22. Voir annexe 6.

* 42 Nicolas de Lyre, Postilla in Genesis, Cité dans : G. Dahan, «Nommer les êtres..., art. cit., p. 150.

* 43 Bestiaire, France du nord, XIIIe s., Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. lat. 6838 B, fol. 14.

* 44 Fr. Garnier, Le Langage de l'image au Moyen Âge, t.1, op. cit., p. 167.

* 45 Physiologus de Cambrai, v. 1270-1275, Douai, bibliothèque municipale, ms. 711, fol. 17.

* 46 Barthélemy l'Anglais, Le livre des propriétés des choses, manuscrit de Gaston Phébus comte de Toulouse, v. 1350, Paris, bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 1029, fol. 229.

* 47 Cité dans : G. Dahan, «Nommer les êtres..., art. cit., p. 144.

* 48 Ibid.,

* 49 Maître Eckhart, Commentaire de la Genèse, F. Brunner, A. de Libera, E. Wéber, E. Zum Brunn (trad. et com.), Paris, Cerf, 1984, p. 395.

* 50 Cité dans : G. Dahan, loc. cit.

* 51 M. Alexandre, Le Commencement du Livre de la Genèse, op. cit., p. 281.

* 52 D. Louys, Le Jardin d'Éden. Mythe fondateur de l'Occident, Paris, Le Cerf, 1992, p. 64.

* 53 Maître Eckhart, Commentaire de la Genèse, op. cit., p. 395.

* 54 Saint Thomas d'Aquin, Somme Théologique, les origines de l'homme, Q96, trad. A. Patfoort, H. D. Gardeil, Paris, Le Cerf, 1963, réed. 1998, p. 193.

* 55 J.-L. Chrétien, L'Arche de la parole, Paris, PUF, 1998, réed. 1999, p. 4.

* 56 Bible, New York, Pierpont Morgan Library, Ms. M.638, fol. 1v, (v.1250).

* 57 Bestiaire d'Anne Walshe, Angleterre, 1400-1425, Copenhague, Kongelige Bibliotek, Gl. kgl. S. 1633 4°, fol. 21v.

* 58 Liber de bestiis et aliis rebus, Cambridge, University Library, ms. Gg. 6.5, fol. 2v, (v. 1425)

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