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Exploitations agricoles familiales et projets d'agrocarburants de proximité au Sénégal: cas du projet Jatropha dans le département de Foundiougne

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par Amadiane DIALLO
Université catholique de Louvain - Master 2 en politique économique et sociale finalité développement/ politique et gestion de projets 2011
  

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3- Analyse des stratégies et opinions des acteurs indirects

3.1- Au niveau national

Comme stratégies officielles de mise en oeuvre du programme national Jatropha, il a été créé un comité technique national sous l'autorité du Ministre chargé des biocarburants. Il est dirigé par un coordonnateur national et supervisé par le Président de l'Association Nationale des Conseillers Ruraux (ANCR). Le comité technique comprend en outre, les techniciens du Ministère, les Organisations Paysannes, les Organisations Professionnelles Agricoles, les Elus locaux, les Gouverneurs Adjoints chargés du développement, les représentants des associations villageoises de jeunes et de femmes, les partenaires au développement (ONG), projets et programmes de développement. Des superviseurs sont désignés par les organisations paysannes au niveau départemental et local. En outre, dans le processus de syndicalisation des paysans sénégalais, une assemblée générale constitutive de la filière biocarburant a été tenue le 03 septembre 2009. A cette occasion, un superviseur national « paysan » a été nommé avec comme mission de jouer l'interface entre les producteurs, le point focal du programme, en l'occurrence l'Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA) et d'autres services techniques des ministères en charge de la filière.

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L'ISRA qui assure la coordination technique du programme national de production de biocarburants, est à pied d'oeuvre depuis quelques années, pour se familiariser avec cette espèce culturale et connaître ses différentes caractéristiques tant sur le plan végétatif que dans la production. Il était prévu que les services techniques, notamment l'Agence Nationale de Conseil Agricole et Rural (ANCAR), les Directions Régionales du Développement Rural, les Inspections des Eaux et Forêts seraient chargés de la formation, de l'encadrement des producteurs et du suivi des plantations.

Mais dans la pratique, l'implication de ces services techniques laisse à désirer. En témoigne les difficultés que j'ai eues pour avoir accès à des informations sur le programme national biocarburants. Au niveau de la DA (Direction de l'Agriculture) et de la DAPS (Direction de l'Analyse de la Prévision et des Statistiques), les cadres contactés m'ont tous orientés vers l'ISRA ou vers le superviseur national.

Ce dernier que j'ai pu interviewer « chez lui », dans la banlieue dakaroise, est un vrai « Big man »22 au sens de Pierre Joseph LAURENT. Il est originaire de la première ville religieuse du Sénégal et fait partie des hommes de confiance de l'influent chef religieux de cette localité qui bénéficie même de l'allégeance du président de la république. Ainsi, il est très actif dans la production agricole du fait des grandes superficies qu'il exploite pour le compte de son guide religieux. A ce titre, il est à la tête de l'une des six plateformes paysannes du Sénégal. Il est aussi membre du comité national de pilotage de la distribution des intrants et matériels agricoles subventionnés par l'Etat. Il a même le privilège de participer à différentes rencontres internationales notamment le salon de l'Agriculture de Paris. D'ailleurs, c'est lors de ces voyages qu'il a établi des contacts, dit-il, avec des partenaires pour la réalisation de pépinières Jatropha dans ses parcelles. Cette première expérience lui a valu sa nomination comme superviseur national aux côtés du président de l'association nationale des Conseils Ruraux. Il affirme d'emblée que le Jatropha est bien connu au Sénégal depuis longtemps et peut s'intégrer facilement dans les systèmes de production notamment en haie vive sans compromettre les cultures traditionnelles. C'est ce qui justifie dit-il son implication totale dans le programme.

Les réponses qu'il a apportées lors de l'interview montrent qu'il est rompu à la tâche dévolue. Aux questions : quelle est ta mission et comment tu la remplis ? Qui sont les

22 « Un Big man est un leader qui tire son pouvoir de l'accaparement de ressources par le biais d'une rente issue le plus souvent d'une confusion entre les biens privés, publics et collectifs. Il s'impose au groupe par son charisme, sa propre force ou son habilité. Le big man est à la tête de réseaux composés de personnes qui à la fois l'obligent et demeurent sous sa dépendance. Il n'est donc que l'aiguilleur de la rente. Sujet et otage de celle-ci, il ne serait rien sans les réseaux et vice versa. » (LAURENT P.J., 2000)

producteurs impliqués ? Qui sont les détracteurs du programme? Pourquoi ?, il a donné les précisions suivantes :

? « je travaille en amont avec l'ISRA pour la planification des activités et en aval avec le président de l'ANCR pour la mise en oeuvre des plantations avec les paysans qui sont organisés à la base. Je me charge du suivi/évaluation»

? « les producteurs impliqués sont mobilisés parce qu'ils ont confiance au programme du président de la République, d'autres connaissent la plante et sont conscients de son utilité... »

? « les détracteurs sont des opposants au régime au pouvoir et ne font que des jugements de valeurs..., parfois ne sont même pas producteurs, d'autres par manque tout simplement d'informations »

Par contre, il reconnait qu'il n'a pas une collaboration particulière avec les autres promoteurs de projets de Jatropha en marge du programme national.

Un autre acteur non moins important est le CNCR (Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux), plateforme qui représente une vingtaine d'organisations paysannes faîtières. Il a une position radicale face à l'introduction des biocarburants notamment le Jatropha dans les soles paysannes. En tant que principale plateforme paysanne, le CNCR dénonce le fait que l'Etat sénégalais s'est fixé des objectifs colossaux en plantations de Jatropha sans pour autant dialoguer avec les organisations de producteurs et leurs différentes plates-formes. Pour les dirigeants, le programme national Jatropha n'est pas une priorité pour le monde rural sénégalais qui est plus préoccupé par sa subsistance. L'un d'entre eux a affirmé, lors d'une interview accordée à la presse, que « cultiver du Jatropha à la place du mil, du maïs ou de l'arachide, c'est dire aux paysans : mourrez de faim demain ».

Dans la même lancée, des ONG en collaboration avec des organisations paysannes ont prôné dès 2009 la mise sur pied « d'une coalition des acteurs de la société civile pour mener une grande campagne de plaidoyer contre les agrocarburants ». Certains chercheurs sénégalais ont même appelé le gouvernement à une prudence et à l'approfondissement des études préliminaires à la fois sur l'utilité des plantes et sur les risques associés à leur culture intensive.

Ce rôle de contre poids non négligeable de ces différents acteurs a permis d'amener l'état du Sénégal à plus de prudence dans la promotion tout azimut des biocarburants. C'est ce qui justifie sans doute les changements d'approches des différents ministres « des Biocarburants et des Energies renouvelables » qui se sont succédé à la tête de ce département sans grand

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succès. Un d'entre eux interrogé sur la faiblesse des réalisations du programme national avait soutenu que : " le gouvernement a décidé de ne pas s'engager dans la production de grande envergure du biocarburant à base de Jatropha avant de connaître les effets de cette plante ». Il avait déclaré en même temps que : " les entreprises ne peuvent pas se mettre à une exploitation de grande envergure des biocarburants sans que soient résolues les questions des rendements industriels et du foncier ».

Ce discours contraste avec ce qui passe sur le terrain où des privés se sont lancés dans de grandes exploitations en régie en employant des paysans comme ouvriers agricoles.

A ce sujet, les interviews d'une dizaine de producteurs employés dans des plantations de ce type sont édifiantes. Malgré quelques effets positifs en termes de pouvoir d'achat, ils sont en majorité inquiets sur leur avenir comme ouvrier agricole. La plupart disent avoir pris le risque de sacrifier les travaux champétres ou d'élevage pour un travail sans assurance de durabilité. Un éleveur témoigne en ces termes : " avec l'argent que je gagne ici je suis obligé de payer mon frère qui s'occupe maintenant du troupeau, tâche à laquelle je m'adonnais tous les jours... ». Un autre précise : " les plantations de Jatropha dans cette zone oblige le bétail a changé son parcours pour aller s'abreuver au lac mais nous allons nous adapter tant que nos intérêts sont sauvegardés... ». Mais un ouvrier agricole qui est en même temps conseiller rural rassure " la clôture des plantations de Jatropha a permis la campagne passée de conserver le fourrage laissé dans les allées des plantes que de nombreux éleveurs ont utilisé pour alimenter leur bétail en saison sèche... le projet apporte déjà beaucoup à la localité par le recrutement de ses fils qui étaient obligés de faire de l'exode rural auparavant ». Mais répondant à une question relative à ses activités antérieures au projet, il explique : " pour le moment ce que je gagne ici me permet de compenser mes revenus d'avant mais je ne suis plus actif dans les activités socio-politiques ; je souhaite que le projet perdure et serve à la collectivité par le biocarburant produit, sinon je risque de perdre ma situation d'antan... ».

L'assemblée nationale sénégalaise a voté une loi sur la réglementation de la production, de la transformation et de la commercialisation des biocarburants comme la réclamer les organisations de la société civile. Mais cette loi tarde à être promulguée.

En définitive, il est intéressant de remarquer qu'au-delà des considérations de « politique politicienne », la diversité des intérêts et des points de vue des différents acteurs au niveau national permet à l'état de toujours recentrer le programme national de biocarburants.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand