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La figure du père dans "Quelques adieux " de Marie Laberge. Discours de l'implicite et stratégies narratives

( Télécharger le fichier original )
par Massiva AIT OUARAB
Université d'Alger - Licence de français 2011
  

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1.2.2- Les épigraphes

L'épigraphe est une citation placée en tête d'une oeuvre ou d'un chapitre pour suggérer le contenu du livre. Cette pratique esthétique n'est pas gratuite et ne constitue pas une simple mesure d'embellissement du texte. En fait, elle oriente notre lecture et la rend plus productive, c'est-à-dire que la présence d'épigraphes, et cela sous la forme de quelques lignes souvent centrées ou sur la droite en caractères italiques, nous invite à imaginer plusieurs lectures possibles du chapitre ou de l'oeuvre à laquelle elle introduit.

Genette précise, dans Seuils, que l'épigraphe est une « citation placée en exergue, généralement en tête d'une oeuvre ou de partie d'oeuvre ; en exergue signifie littéralement hors d'oeuvre, ce qui est un peu trop dire : l'exergue est ici plutôt un bord d'oeuvre, généralement au plus près du texte. »59(*). Il avance donc que l'épigraphe liminaire suggère, brièvement, la partie qu'elle précède et provoque chez le lecteur une forme d'attente qui a pour objectif « d'augmenter la sensation, l'émotion (...), si émotion il peut y avoir, et non pas présenter un jugement plus ou moins philosophique sur la situation »60(*), c'est-à-dire que le lecteur, à partir de l'épigraphe, peut ressentir le besoin de lire l'oeuvre afin d'apporter une réponse à une curiosité provoquée par l'exergue.

L'épigraphe peut, également, avoir «  un effet de caution indirecte que sa présence détermine à l'orée du texte », c'est-à-dire qu'elle indique une préoccupation propre à l'épigrapheur et qu'il suggère en sollicitant plusieurs épigraphes de différents auteurs ; cela peut également indiquer la volonté chez l'auteure, de désigner un ralliement théorique et le partager avec l'auteur auquel il implique le texte de l'épigraphe.

M. Laberge se prête plusieurs fois à cet exercice, avec une épigraphe pour l'ensemble de l'oeuvre et une autre pour chaque chapitre. Nous aborderons les sept citations du roman dans l'ordre chronologique afin de déterminer leur rapport avec Quelques Adieux.

oe Rainer Maria Rilke :

Ce soir quelque chose dans l'air a pas

qui fait pencher la tête ; 

on voudrait prier pour les prisonniers

dont la vie s'arrête.

Et on pense à la vie arrêtée...

 A la vie qui ne bouge plus vers la mort

et d'où l'avenir est absent ;

où il faut être inutilement fort

et triste, inutilement. 

Où tous les jours piétinent sur place

où toutes les nuits tombent dans l'abîme

et où la conscience de l'enfance intime

à ce point s'efface, 

qu'on a le coeur trop vieux pour penser un enfant.

Ce n'est pas tant que la vie soit hostile ;

mais on lui ment,

enfermé dans le bloc d'un sort immobile

L'extrait ne comporte pas de titre d'oeuvre, nous avons uniquement le nom de l'auteur. Cette absence d'oeuvre incite le lecteur à se concentrer sur le texte de l'épigraphe. Et la présence du nom de l'auteur va lui permettre de situer sa lecture dans un contexte littéraire différent du sien.

Cette citation est un poème composé de quatre strophes, dont les deux premières évoquent des sentiments mélancoliques qui font penser à la mort, mais une mort à double sens : celle « dont la vie s'arrête » et celle dont « la vie(...) ne bouge plus vers la mort », de ces deux vers, le poète nous propose une mort physique et une autre symbolique.

Quant aux deux dernières strophes, elles évoquent la mémoire de l'enfance effacée qui entraîne un destin inéluctable. A partir des trois vers suivants :

« et où la conscience de l'enfance intime

à ce point s'efface, 

enfermé dans le bloc d'un sort immobile »

Nous constatons qu'il y a une corrélation entre le thème de la mort et celui de l'enfance. Cette citation suggère une enfance oubliée, effacée qui entraîne dans un premier temps une mort symbolique « où tous les jours piétinent sur place » « où toutes les nuits tombent dans l'abîme ». Et dans un deuxième temps une mort physique.

Ce poème semble vouloir mettre en avant un problème plus profond que le lecteur, en fournissant un effort, doit détecter. Il s'agit de s'interroger sur les événements qui peuvent justifier cette mémoire effacée et cette mort à deux versants.

Nous passons ici la simple évocation d'un individu pour passer à une dimension plus élargie qui implique l'existence d'un problème de nature sociale. Ici, l'épigraphe nous permet de dépasser la lecture simpliste pour évoquer une dimension plus élargie en collectivité.

Ainsi, ce questionnement déduit à partir de l'épigraphe qui ouvre le roman, nous pousse à explorer plusieurs pistes de lecture, d'abord en analysant les épigraphes des six chapitres, ensuite voir si il y a des thèmes redondants et enfin connaître l'origine de cette répétition.

oe Gabrielle Roy :

L'épigraphe qui se trouve en exergue du premier chapitre Le désir, appartient à Gabrielle Roy. Ecrivaine canadienne, dont le besoin est d'exprimer à travers son écriture la misère, la pauvreté et l'amour. Ce dernier, convoque plusieurs sortes d'amour filial, conjugal et passionnel, que G. Roy n'hésite pas à signaler dans ses écrits, et plus spécialement, dans les quelques lignes que M. Laberge, l'épigrapheur, a choisies :

«  Et je me demande si la foudroyante attirance que nous avons subie, de

tous les malentendus, de tous les pièges de la vie, n'est pas l'un des plus

cruels. A cause de lui, après que j'en fus sortie, j'ai gardé pour

longtemps, peut être pour toujours, de l'effroi envers ce que l'on

appelle l'amour. » 61(*)

En lisant cette citation, notre première constatation est que l'amour domine cet extrait , mais il ne s'agit pas d'un sentiment doux, docile, joyeux ou même triste, bien au contraire, il s'agit d'une émotion forte, insaisissable, incontrôlable et destructrice, nous citons : foudroyante attirance, subie, malentendus, pièges, effroi. Ces expressions mettent en avant un sentiment plus fort que l'amour. Une passion ravageuse, qui peut anéantir les individus qui la subissent, au point de vouloir y renoncer : « j'ai gardé pour Longtemps, peut être pour toujours, de l'effroi envers ce que l'on appelle l'amour.». Cette passion exacerbée peut avoir une origine, une raison d'être, liée aux amants qui la partagent. Ce qui attire notre attention, c'est l'utilisation de certaines expressions qui laissent entendre que cette passion n'est pas tolérée « (...) de tous les malentendus, de tous les pièges de la vie (...) ». L'utilisation du mot piège suggère que les amants ont traversé des épreuves pour protéger ou cacher leur passion. Et si, c'est le cas, cela signifie que la relation est interdite d'un point de vue social, elle est peut être adultère.

Pour mieux examiner les hypothèses avancées, nous allons nous intéresser au contenu du premier chapitre.

Ce chapitre relate une rentrée universitaire où un enseignant François Bélanger est saisi d'une foudroyante attirance envers une étudiante, Anne Morissette. Celle-ci partage le même sentiment que son enseignant. Ces personnages résistent, l'un comme l'autre, à l'envie de faire le premier pas. Ils tentent de mettre fin à leurs sentiments en s'éloignant. Or, leurs désirs augmentent, et François « ne semblait pas être en mesure de freiner l'impulsion sauvage »62(*)qui le domine. Quant à Anne, dès qu' « un homme l'enfermait dans un amour, elle s'enfuyait immédiatement, suffoquée. »63(*), elle garde probablement de l'effroi envers ce que l'on appelle l'amour. Nous supposons que ces deux comportements sont le résultat d'un accident de parcours lié au passé de chacun, c'est ce que nous verrons, ultérieurement.

Donc, la citation choisie entretient une relation de sens avec le contenu du chapitre, à savoir le désir vécu par nos personnages et le besoin qu'ils éprouvent à vouloir le cacher l'un à l'autre et à la société pour ne pas souffrir. Cependant, le mal est fait, les tourments et les malentendus vécus par chacun pour résister à ce nouveau sentiment, sont considérés comme des pièges de la vie.

La dernière phrase de la citation, nous fait penser au personnage d'Anne. Cette jeune étudiante préfère vivre des histoires sans lendemain, cette sentence sentimentale est sans doute en relation avec une histoire antérieure.

Après avoir constaté que l'épigraphe du premier chapitre est en corrélation avec son contenu et transmet une contrariété liée à une absence de souvenirs, nous procéderons à l'étude de l'exergue placé au début du chapitre deux Le refus et qui est un extrait de l'oeuvre de W. Shakespeare.

oe William Shakespeare :

Le deuxième chapitre Le refus, présente une épigraphe de w. Shakespeare. Écrivain anglais, auteur de plusieurs chefs d'oeuvres64(*) dont King Lear d'où est extrait la citation:

« -Ne pouvez-vous traiter un esprit malade, arracher à la mémoire un

chagrin enraciné, effacer les soucis écrits dans le cerveau, et grâce à

quelque antidote de doux oubli, soulager la poitrine oppressée du

poids périlleux qui pèse sur le coeur ?

-Il faut ici que le malade soit son propre médecin. »

Ces quelques lignes agencées sous forme de dialogue, expriment la douleur d'un coeur souffrant de la maladie d'amour. A partir de ce passage, nous pouvons signaler la présence de certaines expressions qui rejoignent et renforcent ce que nous avons proposé dans l'analyse de l'épigraphe du premier chapitre, et en même temps, expliquer les raisons qui ont poussé les amants à s'aimer et à se cacher. Esprit malade, mémoire,chagrin enraciné, soulager, poids périlleux, toutes ces expressions renvoient à la peine et à la douleur vécues par un être amoureux. Si ce sentiment est aussi douloureux c'est parce qu'il va au-delà de l'amour et consume l'être qui l'anime, au risque de le perdre.

Ainsi, François et Anne résistent pour mieux s'aimer. Après de vaines tentatives de séparation et d'éloignement, ils finissent par consommer leur désir. Mais cela ne rassasie pas leur fougue. Fatigués d'avoir aimé, ils décident d'arracher à la mémoire un chagrin enraciné, responsable de tous leurs maux.

Ce chagrin lié au passé et enfoui dans la mémoire de François, est en relation avec son père. Ce dernier, n'ayant pas assumé son rôle de père, marque l'enfance de notre personnage avec son absence. Mais une fois son père mort, François est assujetti au désir. Nous pouvons supposer, que la blessure béante laissée par le père, a entraîné le fils dans les méandres de la passion. Ce chemin sinueux nécessite une force d'esprit que le protagoniste ne possède pas, et se rend compte qu'il n'y a point de remède à son adultère.

Pareillement, la mémoire d'Anne est marquée par un accident mortel où la victime était son père. Cette mort prématurée, va emporter avec elle le coeur de la petite Morissette. C'est pour cela qu'Anne s'opposera à l'amour avec conviction. Mais, face aux sentiments de son enseignant, elle se sent vaincue. Ce second amour, différent certes, mais éprouvé inévitablement, va la rendre vulnérable et prédisposée à la reddition. Elle voudrait résister, fuir et ne plus y penser afin de retrouver un semblant de paix intérieure.

Nous constatons que cette deuxième citation, tisse un lien sémantique avec le texte auquel elle préside. Comme nous pouvons l'observer, l'absence est l'élément autour duquel gravitent la passion, l'adultère et la souffrance. Afin de continuer à mettre en avant les liens qui unissent l'épigraphe et le contenu du chapitre, nous allons examiner la citation de M. Duras, située au commencement du chapitre trois «La Reddition«.

oe Margueritte Duras :

Le troisième chapitre La Reddition, s'ouvre sur une citation de M. Duras. Connue pour ses thèmes existentiels, comme R. M. Rilke, elle s'intéresse à la guerre, à la mort, à l'amour et au désir charnel. Nous remarquons qu'elle puise son écriture à la source des relations corporelles, c'est-à-dire que les thèmes de l'amour et du corps sont des sujets médiateurs qui lui permettent d'accéder à d'autres préoccupations, nous pouvons prendre à titre d'illustration, son roman L'amant, dans lequel une adolescente, issue d'un milieu défavorisé, fréquente un jeune asiatique, riche. A partir de leur pacte du corps, certaines réalités sont mises à nu, celles de la guerre, du désir de liberté et de la pauvreté qui pousse une famille, et plus précisément, une mère à profiter de la relation qu'entretient sa fille pour obtenir de quoi se nourrir.

Après avoir donné l'exemple ci-dessus, nous allons voir en quoi l'épigraphe de cette écrivaine entretient une relation avec le contenu du troisième chapitre.

«  Les baisers sur le corps font pleurer. On dirait qu'ils consolent.

Dans la famille je ne pleure pas. Ce jour-là dans cette chambre

les larmes consolent du passé et de l'avenir aussi. »65(*)

Cet extrait est sensuel, et comporte une connotation érotique qui donne au plaisir une dimension exagérée qui dépasse la jouissance et laisse entrevoir une souffrance corporelle, consentie. Celle-ci est volontaire, et donne lieu à des larmes de plaisir : Les baisers sur le corps font pleurer . Cette première approche de la citation, nous fait penser aux personnages du roman, et surtout aux événements du chapitre La reddition . François et Anne, fatigués de leurs combats intérieurs, rendent les armes et s'abandonnent à la passion et au plaisir. Ce dernier est vécu comme une expérience sans limite et proche de la mort, où les protagonistes se sentent libres et piégés.

Pourtant ce témoignage physique n'a pas pour seul objet la jouissance, on remarque dans l'épigraphe la référence à la famille qui ne nécessite pas de larmes, par contre dans la chambre des amants, les larmes sont présentes pour apaiser le passé et l'avenir des personnages. Cette deuxième approche de la citation, conjugue passion, jouissance et passé,   ce mélange est loin d'être anodin et sans intérêt. Il rend compte des péripéties des protagonistes, jusqu'au jour de la reddition.

Pour exemplifier, nous dirons que la famille Bélanger joue un rôle déterminant dans la relation adultère de François, c'est-à-dire que l'absence d'images liées à son enfance, qui est le résultat d'une responsabilité refusée, celle de son père, ne provoque pas en lui une réaction immédiate, durant sa jeunesse, mais une réaction tardive, survenue après la mort de son père.

Pour Anne, la famille n'existe plus depuis la mort de son père. La notion de famille ne fait pas partie de son quotidien. Pour elle, la famille est liée à la présence d'un père, mais comme celui-ci est mort, donc, elle n'a aucune raison d'être.

Dans ce chapitre, Anne est victime du passé, sa mémoire défaillante va l'inciter à chercher dans ses souvenirs des images de la mort de son père, mais sans résultat. Cet oubli volontaire, est une échappatoire pour ne pas succomber à l'amour. Cependant, l'abstinence ne sera pas respectée et le pacte du corps qui la lie à François, va réveiller en elle une blessure lointaine.

Le chapitre trois s'ouvre sur une épigraphe qui survole le texte, en exposant le thème de la passion et de l'enfance. Des thèmes exploités dans le chapitre, pour les besoins de la fiction, et associés à d'autres tels que l'amour, l'adultère et la mort. Ces derniers permettent d'établir un bilan de l'enfance des personnages, habitée par l'absence paternelle. Pour aller dans la même optique que l'étude précédente, nous allons analyser l'épigraphe du chapitre quatre.

Romain Gary

Le chapitre La déchirure commence avec une citation de Romain Gary, écrivain français d'origine russe :

«  Le blanc et le noir, y en a marre.

L e gris, il n'y a que ça de vrai » 66(*)

Ces deux phrases courtes, écrites dans un registre familier, dénotent une forme de révolte, une sorte de rébellion contre une situation mensongère. Cette citation indique, notamment, que l'existence d'un être parfait, à l'abri des erreurs et du mensonge, n'existe pas. Être humain, signifie apprendre à partir de ses erreurs.

La place de cette épigraphe, dans la deuxième partie de l'oeuvre et plus exactement au chapitre quatre, laisse entrevoir la présence d'un personnage féminin qui mène une enquête, délicate, pour détenir la vérité. Il s'agit d'Elisabeth, la veuve de François. Celle-ci découvre l'adultère de son mari. Déçue et croyant le connaître, elle remet en question son mariage et l'amour que ce dernier lui portait, de son vivant. Ainsi, son comportement lui paraissait exemplaire :

« En tout cas, mon François à moi, celui que j'ai toujours connu, le seul qui existe jusqu'à nouvel ordre. Si j'apprends qu'il était seulement un homme frivole, qui n'a pas pesé le poids de ses actes, qui n'a pensé ni à moi ni à elle dans tout ça, qui s'est seulement laissé glisser là dedans par hasard, je changerai d'idée sur lui »67(*)

Convaincue que son mariage était solide, dénué de tout mensonge, Elisabeth apprend la trahison de François et tente de la comprendre. Dans un premier temps, elle soupçonne la mort du père Bélanger, elle croit que son décès a perturbé son mari et a fait de lui un homme, momentanément, frivole . Or, elle découvre que sa liaison a duré sept ans, c'est pour cette raison que la mort de son père ne constituait plus une vraie réponse mais peut être un élément déclencheur. Elisabeth  «  refuse de s'enfermer dans ses bonnes raisons, elle veut savoir, voir clair, avoir la vérité vraie »68(*) , donc, connaître le coté humain de François et cela par le biais d'une enquête qui reconstituera ses sept années de mensonge.

Nous constatons, encore une fois, que la citation choisie par l'auteure suggère des informations en rapport avec la fiction et plus précisément avec le chapitre quatre.

L'extrait de R. Gary, expose deux couleurs opposées le noir et le blanc pour expliquer les différentes facettes de la vérité. Toutefois, ce raisonnement se heurte à une couleur intermédiaire, le gris, qui ne permet pas une explication limpide et logique de la vérité.

Cette vision de la vérité, nous la retrouvons dans le chapitre «La Déchirure«où Elisabeth tente de retracer son passé conjugal afin de comprendre l'infidélité de son défunt époux. Et pour mieux saisir les raisons de l'adultère, et la relation signifiante de l'épigraphe avec le texte,il est nécessaire de procéder à l'étude de la citation de E. Morante.

Elsa Morante

Le chapitre cinq débute avec l'épigraphe d'Elsa Morante. Dans l'extrait mis en évidence, nous retrouvons certains thèmes liés à l'existence, tels que la solitude, le désespoir, la vie et la mort. Ces thèmes, déjà, décelés lors de notre première étude de l'épigraphe (nous faisons référence à la citation de R. M. Rilke) se précisent. Nous allons, d'abord, expliquer la citation , puis, voir en quoi peut elle être en rapport avec le chapitre qui s'intitule La quête . L'épigraphe se présente ainsi :

«  Parfois- surtout en de certaines solitudes extrêmes -une pulsion

désespérée se met à battre chez les vivants, qui les incite à

chercher leurs morts non seulement dans le temps, mais dans

l'espace aussi. »69(*)

Cette référence à la solitude et aux pulsions désespérées, trace la trajectoire d'un individu trahi par une situation donnée qui l'enferme dans une solitude extrême.

Cette hantise à vouloir connaître la vérité, est une forme de mort symbolique qui peut avoir une fin malheureuse ou salutaire.

Le désespoir qu'a connu Elisabeth, après sa découverte, l'a transformée en une femme hystérique, désireuse de retrouver celle qui lui a volé sept ans de vie commune avec François.

L'acharnement qu'elle éprouve à vouloir retrouver Anne Morissette, la rend « fatiguée, blessée et seule (...) sans espoir, sans aide »70(*). Cependant, la présence de Jérôme, son compagnon, va quelque peu l'aider sur le plan psychologique.

Nous enregistrons, encore une fois, que la référence au père est omniprésente et sous différentes formes. Nous l'avons vue, auparavant, dans le passé de François, ensuite dans celui d'Anne. Or, dans ce chapitre, c'est une autre catégorie de père qui fait surface, celle d'un père présent, vivant, assumant ses responsabilités. Nous faisons référence à Jérôme qui a une fille «  mal élevée et gâtée »71(*) selon les propos de la veuve.

Ce père, jeune et amoureux, va donner de l'espoir à Elisabeth, mais ce qui va accentuer sa guérison c'est sa rencontre avec la tante d'Anne, Jacynthe. Cette dernière, l'informe du parcours de son défunt époux, du temps d'Anne. C'est à ce moment là, que le désir de voir Anne Morissette s'accroît.

Néanmoins, Elisabeth se surprend à vouloir revivre et son objectif est de mettre fin à cette conjoncture, et cela en allant surveiller la maison de la tante Jacynthe afin de voir Anne, et enterrer son passé.

A présent, que la relation de la citation avec le chapitre a été mise en évidence, c'est-à-dire que nous avons souligné le fait que l'extrait de E. Morante met en évidence la vie, et la relation que l'homme entretient avec celle-ci, il est important de voir en quoi l'exergue du dernier chapitre est en rapport avec le texte.

oe Albert Camus

Le chapitre six représente la dernière partie du roman, d'où son titre La fin. La citation choisie est celle d'Albert Camus. Elle fait l'apogée de la vérité en une seule phrase :

« La vérité vaut tous les tourments » 72(*)

Dans ce chapitre, Elisabeth, la veuve de François, va tout mettre en oeuvre pour rencontrer Anne. Le fait de connaître tous les événements des sept années d'adultère, ne lui suffit plus. Elle veut rencontrer la femme qui a remis en question son mariage et ses sentiments. Consciente que cette obsession risque de la projeter dans un désarroi absolu, elle veut, malgré tout, prendre ce risque. Elle décide d'espionner Anne Morissette. La voyant sortir de chez la tante Jacynthe, Elisabeth est saisie d'une pitié extrême. Elle découvre une Anne  «  au-delà de toute menace, de toute injure. Il est évident que cette jeune femme fatiguée (...) a au moins cent ans et s'est déjà servi toutes les injures qu'Elisabeth pourrait lui dire  »73(*). Elle sait, aussi, qu'Anne est responsable de la mort de François  «  parce que, sans cela, elle en serait morte. Et elle en est quand même morte. L'oiseau blessé ne volera plus »74(*).

Maintenant, qu'Elisabeth est face à l'ultime vérité, « elle se sent tout à coup chaude, pleine de vie, capable de tout »75(*), elle accepte la mort de François et fait la paix avec son passé.

« Ils parlent durant des heures »76(*), Jérôme comprend et pardonne le comportement d'Elisabeth. Cette dernière prévoit de refaire sa vie et d'avoir un enfant avec lui.

Après tant de tourments, la vérité finit par transmettre à cette femme un sentiment de continuité basé sur l'amour et le désir d'enfanter.

L'épigraphe de A. Camus tisse un lien métaphorique avec le contenu du chapitre, et clôture, ainsi, le roman .Elle est, également, porteuse d'un message optimiste, celui de l'espoir.

Pour l'épigraphié la vérité est un chemin sinueux qui permet le repos de l'âme. Pour Elisabeth, c'est une trajectoire tortueuse qui permet de mettre fin à une vie antérieure, et ainsi commencer une nouvelle vie.

La notion d'épigraphe ne peut être envisagée seule, elle sollicite le rôle de l'épigrapheur, qui est le dépositaire d'une architecture romanesque choisie qui va au- delà de l'aspect visuel, elle intègre une architecture implicite. A travers les épigraphes, l'épigrapheur tente d'exposer comment le père agit de manière implicite et indirecte sur les paersonnages.

L'épigrapheur

Dans Quelques Adieux le rôle de l'épigrapheur est déterminant car il est responsable non seulement de la disposition des épigraphes mais aussi du choix des épigraphiés. Cette double fonction, pousse le lecteur à s'interroger sur l'intérêt du nombre des citations mises en épigraphes et sur leurs auteurs qui sont de différents horizons culturels.

M. Laberge propose dans son roman une série d'extrait, sept, d'écrivains sans mention des oeuvres ni des dates à savoir, M.R. Rilke, G. Roy, M. Duras, W. Shakespeare, R. Gary, E. Morante et A. Camus.

En effet, ces écrivains ou épigraphiés aux grands textes connus sont cités selon une architecture romanesque qui suggère plusieurs mises en abyme qu'un lecteur concentré peut découvrir : il s'agit pour l'épigrapheur d'attirer l'attention de l'épigraphaire (lecteur) sur la citation qui précède chaque chapitre lu afin de mettre en place un processus de va et vient entre l'exergue et le contenu du chapitre, lors de la lecture.

Certes, cette interaction entre la citation et le chapitre permet à l'auteur de préparer son lecteur à la compréhension de la fiction. Toutefois, il est important de signaler que les épigraphes choisies convoquent des thèmes qui dominent les chapitres qu'elles président, c'est ce que nous avons tenté d'analyser dans la partie précédente. Et de ce fait, nous pouvons dire que l'épigrapheur introduit son histoire romanesque en amplifiant l'attention du lecteur par l'inscription d'un message volontairement troublant.

Les citations choisies par l'auteure ne font pas partie de la même époque, quelque fois des siècles les séparent, cependant, les textes retenus affichent « un événement ou une image datant de plusieurs années [qui]peut se trouver très proche d'une souvenir d'Hier (...) »77(*), c'est-à-dire que même si les auteurs des exergues sont pris à des intervalles temporels différents cela n'empêche en rien leur rapport à la fiction. Nous pouvons citer le texte de W. Shakespeare, écrivain du XVI siècle; il expose dans son extrait les aléas de l'amour. Sa citation ne perd aucunement son authenticité et sa densité au XXI siècle car l'amour implique notamment la souffrance quelle que soit l'époque.

D'ailleurs, le chapitre que l'extrait de cet écrivain précède signale les affres de l'amour vécus par les protagonistes François et Anne. Cette situation est le résultat d'un refus de céder aux sentiments et à la passion.

Quant aux autres écrivains retenus par l'épigrapheur, c'est-à-dire M. R. Rilke, G. Roy, M. Duras, R. Gary, E. Morante et A. Camus, ils sont issus de la même génération, c'est pour cette raison que nous ne les avons pas explicités.

Cette première approche de la disposition des épigraphes par l'épigrapheur, laisse apparaître en filigrane une pensée humaine universelle. Notre deuxième approche va mettre l'aspect universel et la polyphonie en épigraphe.

Si l'on considère que les thèmes évoqués dans les citations sont toujours d'actualité, même si l'époque et le contexte culturel sont différents, cela désigne une préoccupation, une angoisse propre à l'être humain. Et c'est cette métaphore universelle que l'écrivaine souhaite transmettre par le biais des exergues.

De plus, cet arrière-plan nous renseigne sur la présence et l'origine culturelle des épigraphiés.

Ces multiples voix venues du Canada, de la France, de l'Autriche, de l'Angleterre et de l'Italie, s'inscrivent dans le phénomène de polyphonie, à ce propos Bakhtine dit : « Les voix restent autonomes et se combinent en tant que telles, dans une unité d'un ordre supérieur à celui de l'homophonie »78(*).

En analysant la théorie Bakhtienne, nous constatons que le roman emprunte à la polyphonie ce qui accentue l'idée d'ouverture et confère une connaissance ou du moins un code commun qui parait être propre à nous les lecteurs.

En effet, le roman à première vue, se rapproche du triangle amoureux classique. Pourtant, il s'en distingue par la présence des épigraphiés qui appartiennent à des horizons culrurels différents, et aussi par le contenu des exergues qui suggère un problème plus profond que celui du schéma classique que nous connaissons.

Il s'agit pour l'épigrapheur, de souligner des préoccupations communes et aussi d'extraire son texte du cliché de la triangulation amoureuse vers une approche plus abstraite et plus universelle.

En résumé, l'épigrapheur a opté pour une écriture stratégique qui affiche à la fois une nature polyphonique et une réflexion sur la nature humaine. Cette portée ontologique, suggère une introspection, un retour sur soi afin de découvrir l'origine de la quête humaine, et qui est souvent liée à la cellule familiale.

* 59 - Idem, p.134.

* 60 - OEuvres intimes, pléiade, II, p.129. Sur la pratique stendhalienne de l'épigraphe, cf. M. Abrioux, « Intertitres et épigraphes chez Stendhal », poétique 69, fevr.1987.

* 61 -Extrait de Gabrielle Roy dans Quelques Adieux de M.Laberge, Boréal, ch.1 Le Désir, 1992, p.13.

* 62 -M. Laberge, Quelques Adieux, Boréal, 1992, p.13.

* 63 -Ibid, p. 67.

* 64-tels que : Hamlet, Roméo et Juliette, etc.

* 65 - Extrait de M.Duras, dans Quelques Adieux de M.Laberge, Boréal, ch.3 La Reddition, 1992, p.155.

* 66 - Extrait de Romain Gary, dans Quelques Adieux de M. Laberge, Boréal, ch.4 La Déchirure, 1992, p.237.

* 67 -M. Laberge, Quelques Adieux, Boréal, 1992, p. 316.

* 68 -Idem, p. 277.

* 69 - Extrait de Elsa Morante, dans Quelques Adieux de M.Laberge, Boréal, ch.5 La Quête, 1992, p.321.

* 70 -M. Laberge, Quelques Adieux , Boréal, 1992, p.347.

* 71Idem, p. 377.

* 72 - Extrait d'Albert Camus, dans Quelques Adieux de M.Laberge, Boréal, ch.6 La Fin, 1992, p.387.

* 73 - M.Laberge, Quelques Adieux, Boréal, 1992, p.389.

* 74 -M. Laberge, Quelques Adieux, Boréal, 1992, p. 390.

* 75- Idem, p.390.

* 76 -Ibid, p.393.

* 77 -J. Duranteau, « Claude Simon : le roman se fait, je le fais et il me fait », Les lettres françaises, 1178, 13-19 avril, 1967, p.3

* 78 -M. Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, Paris, Seuil, coll. « Points, Essais », 1970, p. 52.

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