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La Cour de Justice de la CEDEAO à  l'épreuve de la protection des Droits de l'Homme

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par Thierno KANE
Université Gaston Berger de Saint- Louis Sénégal - Maitrises en sciences juridiques  2012
  

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CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

TABLE DES MATIERES

 « Le chemin qui conduit vers le développement économique et social et vers la consolidation des institutions (...) ne doit pas contourner les principes essentiels qui fondent la dignité de l'homme car après tout, la finalité du développement et le but de toute politique doivent tendre à la réalisation de l'humain ». K .MBAYE, Revue sénégalaise de droit, 1977 cité par G.AURENCHE , la dynamique des Droits de l'homme, édition Desclée de Brouwer, 1998 p.55

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INTRODUCTION

Lorsqu'elle est protégée, nourrie, la graine des droits de l'homme

finit par germer en dépit des vents contraires

dans toutes les terres où elle est semée1(*).

Le régionalisme serait-il devenu une panacée de l'universalisme ? Actuellement il semblerait qu'il tend à le supplanter eu égard à son action positivement appréciée et à l'incapacité de l'universalisme d'atteindre ses objectifs. En effet, « l'arène universelle est souvent perçue comme étant trop faible et incohérente pour une action efficace »2(*). Le régionalisme apparait ainsi comme une nécessité voire un palliatif à cette carence. Au seuil des temps nouveaux, l'impératif commande que les Etats sortant de leur politique autarcique (surtout africains) se regroupent au sein d'entités régionales en surmontant leurs divergences idéologiques. Il s'avère que ces Etats réunis autour de solidarités restreintes ont une meilleure compréhension de leurs problèmes spécifiques. Donc, sont-ils mieux placés pour apporter des solutions appropriées et idoines aux moult difficultés auxquelles ils font face. On doit considérer qu'une organisation régionale est de prime abord une organisation internationale définie comme « un groupement permanent d'Etats dotés d'organes distincts, destinés à exprimer sur des matières d'intérêt commun, une volonté distincte de celle des Etats membres »3(*).

Entité juridique structurée, l'organisation régionale présente des spécificités. Elle repose sur la contigüité spatiale et la communauté d'intérêts politiques. Néanmoins, il faut noter que dans ses dimensions contemporaines le critère géographique n'est pas toujours déterminant dans l'appréhension du fait régional. Il a été relativisé au profit de 3 autres facteurs4(*) ; Primo « l'aspect fonctionnel » qui traduit le besoin des Etats concernés et des objectifs précisés par l'organisation ; Secundo, « l'aspect structurel » qui consiste à donner une structure propre à l'organisation ; Tertio, « l'aspect psycho-social » du fait régional lequel nait de l'imitation d'un modèle préétabli qui peut être ici l'Europe ou l'Amérique. Le système régional est donc un système autonome qui répond aux exigences de solidarités restreintes entre un groupe limité d'Etats qui définissent leurs intérêts communs.

C'est pourquoi partout à travers le monde, des organisations régionales sont légion et interviennent dans des domaines variés. Loin d'obéir à un effet de mode mais plutôt à un projet politique mûrement réfléchi, l'Afrique n'a pas échappé à cette tendance intégrative. En effet, l'intégration régionale apparaît depuis quelques décennies et plus encore aujourd'hui pour les peuples d'Afrique, comme le meilleur moyen pour relever le défi du développement dans ce monde entièrement globalisé.

Cependant, le système régional africain se distingue du système mondial et présente des spécificités dont la meilleure illustration nous est fournie par l'ancien secrétaire général des nations unies, Boutros BOUTROS-GHALI5(*). Selon lui ;

1) C'est un système dans lequel le pouvoir se répartit entre les différents Etats d'une façon égalitaire

2) C'est un système qui repose sur un pluralisme régional

3) C'est un système qui est politiquement indépendant mais économiquement dépendant du système mondial

4) C'est un système dont les relations internes sont dominées par certains principes directeurs : appui aux mouvements de libérations, respect des frontières existantes, règlement des conflits inter-africains dans un cadre africain

C'est dans ce « pluralisme régional » qu'il faut situer le développement de la solidarité communautaire née entre les Etats ouest africains. La synergie des objectifs a abouti à la création de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO).

La CEDEAO est une organisation régionale à vocation économique née du traité de Lagos adopté le 28 mai 1975 au Nigéria entré en vigueur en juin de la même année. Elle regroupe huit (8) pays francophones, cinq ((5) pays anglophones et deux (2) pays lusophones6(*). L' organisation intergouvernementale ouest-africaine a pour but immédiat de «  promouvoir la coopération et l'intégration, conduisant à l'établissement d'une union économique en Afrique de l'Ouest afin d'élever le niveau de vie de ses peuples, à maintenir et améliorer la stabilité économique, favoriser les relations entre les États membres et de contribuer au progrès et au développement du continent africain ... »7(*).

Les pères fondateurs de l'organisation régionale ont entendu donc imprimer un rôle éminemment économique à la CEDEAO. Le préambule du traité et une litanie d'articles du corpus normatif témoignent de cet attachement des Etats membres de ladite organisation à la dimension économique de l'intégration. En vertu du principe de spécialité des organisations internationales, la CEDEAO s'est donc vue confiée la tâche de constituer un marché commun entre les Etats membres et de promouvoir de meilleures performances économiques et commerciales.

Cependant la difficulté de juguler les déséquilibres et de dégager des réponses adéquates aux moult problèmes soulevés dans la Communauté n'ont pas été à la hauteur des espérances. Ainsi, au gré de facteurs exogènes et endogènes, les Etats membres de la CEDEAO ont compris que la dynamique de l'intégration et de coopération c'est-à-dire la solidarité communautaire apparue à l'aune des indépendances politiques suppose au préalable un environnement stable, de paix et de sécurité. Ainsi, au frontispice des nouveaux objectifs fixés par la CEDEAO depuis la révision du traité le 24 juillet 1993, entré vigueur le 23 août 1995 une place est accordée à l'aspect sécuritaire8(*) pour assurer la stabilité de la sous-région en vue de permettre la flexibilité des échanges, encourager l'investissement et le développement à long terme.

Mais au regard d'un contexte marqué depuis le Sommet de Vienne (1993) par la « prégnance des droits de l'homme » dans la rhétorique internationale, les ensembles économiques ne peuvent pas rester rivés sur la seule donne mercantile ou sécuritaire. La CEDEAO va opérer une seconde mutation qui sera la promotion et la protection des droits de l'homme.

(Est-il besoin de rappeler que ces domaines économique et sécuritaire ont des liens très ténus avec la question des droits de l'homme ?). C'est dire à ce niveau que le plaidoyer pour relever le défi d'une intégration réussie ne peut se réaliser sans prise en compte des principes démocratiques qui promeuvent le respect des droits de l'homme.

Il faut donc constater que c'est récemment que les droits de l'homme sont devenus un objet de la CEDEAO. Le traité initial instituant la CEDEAO dans ses 65 articles ne faisait référence dans aucune de ses dispositions à la notion des droits humains. Ce sont les protocoles de 1985 et de 19869(*) qui vont introduire la notion expressisverbis dans l'ordre juridique communautaire mais de façon timide. C'est dans la Déclaration de Principes politiques de 199110(*) que la Communauté marque sa forte imprégnation au respect des droits humains, plus fondamentalement son attachement à l'Etat de droit, socle de toute bonne gouvernance. Les Etats membres sont ainsi « déterminés à conjuguer (leurs) efforts en vue de promouvoir la démocratie dans la sous- région sur la base du pluralisme politique et du respect des droits fondamentaux de l'homme tels que contenus dans les instruments internationaux en matière de droits de l'homme universellement reconnus et dans la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples ». Ces principes fondamentaux auxquels ont adhéré les Chefs d'Etat et de Gouvernement ont été incorporés au Traité révisé de la CEDEAO en 1993. Le Traité révisé fait spécifiquement référence aux droits de l'homme dès son préambule11(*). La Communauté s'engage en effet à faire respecter, à promouvoir et à protéger les droits de l'homme dans chaque Etat membre conformément à la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples.

Néanmoins, aussi résolument tournée vers une adaptation progressive aux exigences du moment, le cantonnement de l'organisation au discours incantatoire ne serait qu'une politique mal amorcée. Pour jauger l'efficacité de ces principes désormais consacrés dans le traité, l'organisation sous-régionale doit être dotée d'une institution autonome à caractère juridictionnel qui veillera au respect et à l'application des normes protectrices des droits de l'homme. Le professeur Kanté rappelle cette exigence matricielle qui fonde tout Etat de droit, dira-t-il : « il n'y pas d'Etat de droit si les droits des citoyens sont seulement reconnus et non juridictionnellementgarantis »12(*).C'est à ce titre que la CEDEAO avec l'adoption du Protocole A/SP.1/01/05 du 19 Janvier 2005 a donné compétence à sa juridiction dénommée Cour de justice de la CEDEAO de connaitre des cas de violation des droits de l'homme. Depuis cette grande réforme qui a élargi le champ de compétence de la Cour d'Abuja, les citoyens13(*) ouest africains victimes de violations de droits humains de la part d'un Etat membre de la Communauté peuvent désormais accéder au prétoire du juge communautaire. C'est dans cette perspective qu'il faut situer notre étude : la Cour de justice de la CEDEAO à l'épreuve de la protection des droits de l'homme.

Placée à la cinquième position dans la pyramide institutionnelle de la Communauté, la Cour de justice est l'organe judiciaire de la CEDEAO créée conformément au Protocole A/P1/7/91 du 6 juillet 1991. Il faut noter qu'à ce titre les articles 4 et 11 du traité originaire de 1975 prévoyaient la création d'un « Tribunal » ; il fallut attendre l'adoption du Protocole d'Abuja en 1991 pour que ses compétences et son fonctionnement soient réglementés et que sa dénomination soit transformée : le « tribunal » laissant place à la « Cour » avec le traité de révision de Cotonou du 24 juillet 1993. Le siège de la Cour se trouve à Abuja, au Nigeria.

Aux termes des articles 6 et 15 du traité révisé, la Cour connait des différends relatifs à l'application et à l'interprétation des normes communautaires.

La juridiction communautaire était donc exclusivement réservée aux Etats et les particuliers n'y avaient pas accès ; leur accès à cette juridiction était plutôt médiat ; la procédure devait être diligentée par l'Etat membre. Ainsi, selon l'article 9.3 du Protocole A/P.1/7/91 un Etat membre peut, au nom de ses ressortissants, diligenter une procédure contre un autre Etat membre ou une institution de la Communauté, relative à l'interprétation et à l'application des dispositions du Traité, en cas d'échec des tentatives de règlements à l'amiable.

Ce protocole sera modifié aux fins d'« accroitre la productivité de l'organe judicaire et de mieux le faire connaitre aux citoyens de la communauté »14(*).

Le « bond en avant » de la CEDEAO s'est traduit par l'adoption par la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement le 19 Janvier 2005 du Protocole additionnel A/SP.1/01/05 portant amendement du Préambule, des articles 1er, 2, 9, 22 et 30 du Protocole A/P1/7/91 relatif à la Cour de Justice de la Communauté. Ces modifications ont substantiellement élargi les compétences de la Cour. Le nouveau protocole permet à la juridiction communautaire de connaitre de tous les cas de violations des droits de l'homme intervenant dans le territoire de tout Etat membre et consacre en même temps un accès individuel direct au prétoire de la Cour.C'est effectivement cette possibilité offerte aux citoyens ou aux groupes de citoyens alléguant des cas de violations des droits de l'homme par un Etat membre de la Communauté de saisir la Cour qui constitue notre angle de réflexion.

Il s'agira donc à partir du droit positif de mettre en lumière les compétences de la juridiction communautaire de la CEDEAO en matière de protection des droits de l'homme. A ce titre, l'étude envisagée exclue le volet de l'intégration économique de la CEDEAO bien que celui-ci soit le soubassement de l'institution de l'organisation. En effet, quelque intérêt qu'eût représenté une telle étude, l'organe judicaire n'en serait pas révélateur en ce sens qu'il est rarement saisi d'affaires mettant en cause par exemple les principes communautaires tels que la liberté de circulation des personnes et des marchandises. A contrario, la tendance actuelle qui se dessine devant la Cour est la croissance exponentielle du contentieux des droits de l'homme, titre de compétence introduit seulement en 2005.

Afin de mener à bien cette étude qui se veut dynamique, il convient d'abord de cerner les contours de la notion des droits de l'homme, notion universellement choyée mais rebelle à toute approche définitionnelle. La difficulté de donner une définition satisfaisante des droits de l'homme résulte de la dilution de la notion en fonction des circonstances, des traditions religieuses ou culturelles et des régions15(*). Pour tenter de définir cette notion, il parait adéquat de la mettre en rapport avec d'autres notions voisines. Dans cette perspective, il s'agira de distinguer les notions « libertés publiques », « droits fondamentaux » considérées usuellement connexes à la terminologie retenue ici.

L'expression « libertés publiques » a longtemps été préférée par une partie de la doctrine à celle de droits de l'homme pour désigner lato sensu les droits et libertés attachés à la personne humaine. Des critères distinctifs ont été mis en lumière pour mieux appréhender l'opposition entre « droits de l'homme » et « libertés publiques ». Primo, on considère que les « libertés publiques » relèvent du droit positif et sont donc une réalité juridique tandis que les droits de l'homme relèveraient de la conception du droit naturel. Les droits de l'homme seraient donc de l'éthique. Secundo, on considère que les libertés publiques procèdent du droit interne alors que l'expression droits de l'homme est une émanation du droit international.

Classiquement utilisée en France, la notion « libertés publiques » correspond à l'Etat légal c'est-à-dire au règne de la loi. A l'orée, il s'agissait donc de protéger les droits et libertés attachés à la personne humaine contre l'arbitraire de la puissance publique. Le pouvoir législatif était le rempart destiné à assurer cette protection. Mais la protection des droits humains ne doit pas être le seul monopole du législateur ; Pour être efficace et obvier à toute dérive, elle doit se situer à tous les points névralgiques où les pouvoirs publics risqueraient d'attenter à ces libertés. La protection va désormais se situer à un niveau supra législatif d'où l'expression « droits fondamentaux ».

L'expression « droits fondamentaux » est issue du droit allemand et correspond à l'Etat de droit. La « fondamentalité » est liée à l'inscription de ces droits dans un texte de valeur constitutionnelle ou dans un texte international. Le doyen FAVOREU propose une définition simple et précise. Selon lui, les droits fondamentaux sont des « droits reconnus aux personnes physiques et morales par des textes et normes supralégislatifs comme des "permissions" opposables aux prérogatives des trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) et même à celles des institutions supranationales »16(*). Le Conseil constitutionnel français, dans sa décision n°89-269 DC du 22 janvier 1989 utilise pour la première fois la notion « droits fondamentaux » pour traduire des droits « subjectifs » reconnus comme fondamentaux en cela que leur essence se trouve à la fois être inhérente à la nature humaine et la base indispensable de l'effectivité de l'État de droit.

Qu'ils soient des libertés publiques ou des droits fondamentaux, ils sont une ramification des droits de l'homme c'est-à-dire une détermination du régime juridique des droits de l'homme.

Cependant, il n'existe pas une définition satisfaisante des droits de l'homme. Le droit international employait l'expression « droit des Gens » pour désigner les obligations qui pesaient sur les Etats de respecter un certain nombre de garanties relatives à la protection des individus. Cette vision occidentale et individualiste des droits de l'homme est aujourd'hui partagée par de nombreux Etats et organisations internationales sous l'angle du prisme des droits retenus ou sur les principes de fond. Les terribles atrocités commises pendant la Seconde Guerre mondiale ont propulsé les droits de l'homme sur la scène internationale. Par souci d'idéalisme pragmatique, les Etats s'engagent à souscrire fidèlement à des valeurs communes garantissant les droits de l'homme, prélude à toute coopération internationale. Il s'agit alors de protéger la personne humaine contre l'arbitraire du pouvoir étatique. La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) rédigée par la Commission des droits de l'homme, organe des Nations Unies, adoptée par l'Assemblée générale le 10 décembre 1948 traduit ce souci majeur exprimé par la communauté internationale de préserver ce « patrimoine commun de l'humanité » c'est-à-dire protéger les droits inaliénables, imprescriptibles, universels17(*) et inhérents à toute personne humaine. Nous sommes dans l'ère de l'Homo Universalis et la protection de ses droits s'impose plus que jamais. D'une manière générale donc, les droits de l'homme s'entendent ici comme un ensemble cohérent de principes juridiques fondamentaux communs à toute l'Humanité et qui ont pour but de protéger les prérogatives inhérentes à tout homme en raison de sa dignité et de sa condition humaines.

Que recouvre alors cette notion de protection ? Elle est synonyme de garantie, de sauvegarde et suppose dans un régime de droit écrit l'énonciation d'un droit dans un texte et la mise en oeuvre de mécanismes de sanctions lorsque des violations de ces droits sont commises. L'éminent juge Kéba MBAYE définit la protection des droits de l'homme en ces termes :«  est protection des droits de l'homme, tout système comportant à l'occasion d'une allégation d'une ou de plusieurs violations d'un principe ou d'une règle relatifs aux droits de l'homme et édictés en faveur d'une personne ou d'un groupe de personne, la possibilité pour l'intéressé de soumettre une réclamation (...), de provoquer unemesure tendant à faire cesser la violation ou à assurer aux victimes une réparation jugée équitable. »18(*). En d'autres termes, la protection des droits de l'homme s'entend donc comme l'ensemble des mesures destinées à assurer le respect réel et effectif des droits de l'homme par des voies de recours efficaces en cas de violation sur le plan interne comme sur le plan international19(*).

Eu égard à ces considérations qui précédent, l'étude de ce sujet revêt une importance particulière, à deux points de vue essentiellement.

D'abord, d'un point de vue théorique, l'introduction de ce nouveau chef de compétence dans le contentieux juridictionnel de la CJ CEDEAO relatif aux droits humains est indéniablement un fait nouveau dans la société internationale et déroge ainsi au classicisme institutionnel. Pièces maitresse de la réussite de l'intégration ou de la coopération, les juridictions régionales surtout africaines ont été caractérisées par l'importation du modèle européen qui fait figure d'emblème. La CJ CEDEAO, n'est pas un modèle « importé ». Elle est la seule juridiction d'une organisation internationale à vocation économique qui a reçu un mandat explicite pour se prononcer sur des cas de violation des droits de l'homme et ce, sans épuisement des voies de recours internes20(*).

La consécration formelle d'une action individuelle directe devant la cour est perçue comme une aubaine dans la sous-région. Dans cette veine, le changement de paradigme dont la juridiction communautaire est porteuse traduit des valeurs d'exemplarité et ancre désormais les Etats membres de la Communauté dans la nouvelle religion des temps modernes à savoir la « démocratie de protection des droits de l'homme »21(*). L'ouverture du prétoire de la juridiction aux particuliers est censée représenter une formule flexible pour permettre à ceux-ci de surmonter les inconvénients des systèmes de protection nationaux et au-delà du système régional.

La protection des droits de l'homme par la Cour de justice ouest africaine est originale et se différencie ainsi des autres juridictions régionales et même internationales. En effet, elle introduit une entorse au traditionnel principe de l'épuisement de voies de recours internes. Elle peut être saisie directement sans au préalable que le litige ne soit porté devant le juge national. L'autre spécificité est relative à ses instruments de référence. Saisi d'un différend relatif aux droits de l'homme, le juge communautaire applique des textes non sécrétés ou générés par la CEDEAO. Elle travaille sur des bases textuelles hétérogènes. A ce titre, le requérant peut invoquer des instruments universels et régionaux protecteurs des droits de l'homme tels que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, les deux Pactes de 1966 et la Charte Africaine des Droits de l'Homme et du Peuple.

Sur le plan institutionnel, il s'agit de voir également comment la Cour, organe judicaire qui devait se limiter à l'interprétation et l'application des textes de l'organisation elle-même soumise au principe de spécialité arrive à se prononcer sur un contentieux réservé traditionnellement à des juridictions spécialisées. Il semble que l'extension des compétences de la Cour aux cas de violations de droits humains soit une action complémentaire à l'action économique, principal objectif de la CEDEAO. La compétence de la Cour en matière de protection des droits de l'homme ne saurait dès lors être enserrée à ce qu'il est convenu d'appeler un effet de mode mais elle correspond plutôt à la volonté affichée par la Communauté ouest africaine d'assainir le cadre sous-régional par la garantie juridictionnelle des droits de l'homme, prélude à une intégration aboutie.

D'un point de vue pratique, la réflexion met l'accent sur l'activisme de la Cour de justice de la CEDEAO. Sur ce point, l'appréciation ne peut être que provisoire étant donné que la compétence de l'organe judiciaire en matière de protection des droits de l'homme est encore récente. Comme le souligne le professeur A.SALL « c'est au fil des saisines et du temps que les juges se pénètrent de leurs missions, forgent leur démarche, affinent leurs concepts, esquissent éventuellement une politique jurisprudentielle »22(*). Nous prenons toutefois le défi de jauger l'efficacité de la garantie des droits de l'homme par l'organe judiciaire de la CEDEAO. Dans la perspective de construction ou de consolidation de l'Etat de droit en Afrique de l'ouest, le juge communautaire apparait comme la clé de voûte car appelé à dire le droit et se hisser au-delà de toute considération d'ordre politique. La mission est noble mais la réalité fait apercevoir un tableau contrasté. Le factuel semble décrire un fossé d'avec le formel.

Opportunément donc, une série de question mérite d'être posée : La Cour de justice communautaire de la CEDEAO sera-t-elle à l'aise dans les habits neufs que l'organisation lui a préparée ? Comment assure-t-elle la protection des droits de l'homme ? Quels sont les moyens dont dispose cette juridiction communautaire pour garantir d'une manière effective les droits humains ? Peut-elle faire face durablement à l'explosion du contentieux des droits de l'homme devant son prétoire ?

Autant de questions qui sont importantes les unes que les autres mais que la pédagogie de l'essentiel nous commande de regrouper en une seule. La protection des droits de l'homme par la Cour de justice de la CEDEAO est-elle efficace ?

Sous l'angle du prisme des textes et aussi de la pratique communautaire, une réponse positive s'impose. En effet, le juge « des droits de l'homme » de la CEDEAO est mis dans une situation optimale aussi bien sur le plan normatif et institutionnel pour assurer d'une manière efficace la protection des droits humains des citoyens ouest africains.

Néanmoins, Reconnaissons-le-ouvertement. La Cour n'est pas exempte de toute critique. Des facteurs exogènes et endogènes sont à l'origine de l'inefficience de la Cour dans le cadre de sa mission de protection des droits humains. La pusillanimité de la juridiction est consubstantiellement liée à la toute-puissance des Etats. Sans prétendre disposer du remède miracle, nous proposons des solutions aux problèmes ci-mentionnés

Ce cadre défini, la présente étude tournera essentiellement autour de ces deux centres d'intérêt : L'efficacité de la protection des droits de l'homme par la Cour de Justice de la CEDEAO(TITRE 1);Les limites de la Cour de Justice de la CEDEAO dans sa mission de protection des droits de l'homme(TITRE 2).

* 1 F. MAYOR, ancien directeur général de l'UNESCO, in la DUDH, 40e anniversaire 1948-1988, l'Harmattan, 1991 p.3

* 2 C. SCHREUER, Régionalisme c. Universalisme, European Journal of international Law, Vol.6 n° 3 1995

* 3 Lexique des termes juridiques, Dalloz, Paris 2007.

* 4 J.C.GAUTRON, « Le fait régional dans la société internationale », Régionalisme et universalisme dans le droitinternational contemporain, Colloque de Bordeaux de la SFDI (1976), Paris, Pédone, 1977, pp.3-43.

* 5Boutros BOUTROS-GHALI, « le système régional africain », régionalisme et universalisme dans le droit international contemporain de la SFDI, Colloque de Bordeaux, 1977, Paris A. Pedone p.61-72

* 6Les Etats membres de la CEDEAO sont les suivants : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Togo (pays francophones), le Ghana, la Gambie, le Libéria, le Nigéria, la Sierra Leone (pays anglophones), le Cap vert, la Guinée Bissau (pays lusophones) (NB : La Mauritanie s'est retirée de l'organisation le 1 janvier 2001)

* 7 Art.2 du traité de la CEDEAO

* 8La CEDEAO a adopté en 1978 un Protocole de Non-Agression ; en 1981 un Protocole de Défense et d'AssistanceMutuelle.Lors de la Conférence des chefs d'État et de gouvernement en 1990, il fut décidé de mettre en place l'ECOMOG. Celle-ci fut institutionnalisée par le Protocole relatif auMécanisme de Prévention, de Gestion et de Règlement des conflits signé en décembre 1999 à Lomé (Togo). Ses principales tâches sont entre autres l'observation et la supervision des cessez-le-feu, le maintien de la paix, l'intervention humanitaire, le déploiement préventif, la construction de la paix, le désarmement et la démobilisation Ce groupe de supervision est intervenu dans les guerres civiles du Liberia, de Sierra Léone et de Guinée-Bissau.

* 9Voir les articles 1, 3 et 7 du Protocole additionnel A/SP.1/7/85 sur la Libre Circulation des Personnes, le Droit de Résidence et d'Etablissement et les articles 1, 3, 10, 13, 14 et 16 du Protocole additionnel A/SP.1/7/86 Protocole sur la Libre Circulation des Personnes, le Droit de Résidence et d'Etablissement (disponible à http://www.comm.ecowas.int consulté le 12 janvier 2012)

* 10Déclaration de Principes politiques A/DCL.1/7/91 de la CEDEAO adoptée par la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement le 6 juillet 1991 à Abuja

* 11 Paragraphe 4 du Préambule du Traité révisé de la CEDEAO

* 12Babacar KANTE, « démocratie et gouvernance, facteurs de paix ? », Colloque international en hommage à Gerti HESSELING, les 15 et 16 décembre 2011 à L'UGB (inédit)

* 13 Est considéré comme citoyen de la communauté d'après le protocole du 29 mai 1982 portant code de citoyenneté de la Communauté : « toute personne qui, par la descendance, a la nationalité d'un Etat membre et qui ne jouit pas la nationalité d'un Etat non membre de la communauté »

* 14 A.SALL, la justice de l'intégration. Réflexion sur les institutions judicaires de la CEDEAO et de l'UEMOA, CREDILA, 2011, p.25

* 15Par exemple, les Etats occidentaux ont une conception individualiste des droits de l'homme, les asiatiques une conception cosmogonique alors que certains Etats africains mettent au premier plan le groupe, la tribu, la famille.

* 16 L. FAVOREU (dir.), Droit des libertés fondamentales, Paris, Dalloz, coll. Précis, 3ème éd., 2005, p. 2.

* 17 La CIJ a affirmé que tous les Etats avaient un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés. V. arrêt de la CIJ du 5 février 1970, Barcelona Traction,

Dans son Discours à l'occasion de la cérémonie de remise du prix des droits de l'homme de la République française le 11 décembre 2009, M. B.KOUCHNER rappelait ce principe universel« Non, les Droits de l'Homme ne varient pas au gré des cultures ! Non, ils nedoivent pas être relativisés au nom de valeurs prétendument traditionnelles ». L'éminent défenseur des droits de l'homme des premières heures René Cassin à l'annonce de son prix Nobel de la Paix en 1968 affirmait : « Il n'y aura pas de paix sur cette planète tant que les droits de l'Homme seront violés en quelque partie du monde que ce soit »

* 18 K.MBAYE, les droits de l'homme en Afrique noire, A.Pedone 1992, p.76

* 19 Dictionnaire de droit international public, (dir. Jean SALMON), Bruylant/AUF Bruxelles 2001, p.901

* 20 En Europe, La CJCE peut connaitre des différends relatifs aux droits fondamentaux mais l'accès des particuliers à la juridiction reste très limité en la matière. Les Cours de justice de la SADC et de la CEAE ont un mandat implicite en matière de droits humains même si elles engagent les parties au respect des droits de l'Homme, à ladémocratie, à l'Etat de droit, à la non-discrimination.

* 21 L'expression est du professeur B.KANTE, ibid.

* 22 A.SALL, la justice de l'intégration. Réflexion sur les institutions judicaires de la CEDEAO et de l'UEMOA, CREDILA, 2011, p.20

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard