II. L'Université unique de Nantes
A. Une personnalité bien ancrée
Fondée par la bulle papale de Pie II le 9 septembre
1460 (cf. note 72)72, avec le titre de studium generale,
grâce à la volonté politique du duc de Bretagne
François II, l'Université de Nantes a vu le jour environ
deux siècles après les premières universités
européennes et françaises. Elle est parmi les
dernières de sa génération à avoir une
existence officielle. Les cinq premières facultés furent celles
de théologie, de droit canon, de droit civil, de médecine et des
arts.
Révolution oblige, elle fut supprimée en 1793 par
décision de la Convention en même temps que toutes les
universités françaises. Toutefois, certaines décisions
révolutionnaires
ont été revues sous l'Empire comme la
réouverture des universités en 1808 sauf quelques
exceptions dont celle de Nantes qui ne reverra jour partiellement -
Faculté de médecine et de pharmacie - qu'en 1956. Dans leur
totalité, les Facultés de Nantes ne redémarreront
qu'à partir de son décret de refondation publié le
29 décembre 1961. Ensuite, comme dans l'histoire de
l'enseignement supérieur français, de facultés, on passe
à l'université en novembre 1968. Selon certains auteurs, les
évènements de 68 ne seraient pas totalement étrangers
à cette transformation
des facultés en université. Toutefois, il semble
aussi juste d'affirmer que tout le système éducatif
français a été affecté par cette tectonique
culturelle qui suscite encore de vives polémiques à cette
aube du XXIe siècle où les
bouleversements socioéconomiques drainent son lot
d'interrogations sur l'éducation. Face à l'immensité
de telles considérations, ne perdons pas de
vue notre préoccupation. L'Université de Nantes
est régie par la loi 84-52 du 26 janvier 1984, établissement
public à caractère scientifique, culturel et professionnel
(EPSCP), et est classée université multidisciplinaire avec
disciplines de santé.
Dans la plupart des grandes villes comparables à
la dimension urbaine de Nantes, des universités ont
été créées en regroupant les anciennes
facultés en fonction de la proximité des
spécialités. Ainsi à Rennes, à Bordeaux,
à Lille, pour n'en citer que trois, coexistent trois ou quatre
établissements. Pour Lille notamment, l'agglomération compte
trois universités : USTL pour l'Université Scientifique et
Technologique de Lille (Lille 1) ; Lille 2 qui regroupe les UFR de Droit,
Médecine et Pharmacie, et l'Université de Gaulle (Lille 3) pour
les
72 Nous avons puisé la plupart des
informations sur l'histoire de l'université de Nantes dans le magnifique
ouvrage collectif rédigé sous la direction de Gérard
Emptoz, (2002), Histoire de l'université de Nantes 1460-1993,
Presses Universitaires de Rennes
Lettres et Sciences Humaines. Nantes se distingue de
celles-là par une université unique et multidisciplinaire.
Cela s'explique par la faiblesse de l'effectif d'étudiants nantais
(8000) en 1968
et le découpage de l'université en plusieurs
entités aurait pu amenuiser son potentiel de dynamisme qui lui a
permis de se relever et se consolider. La politique éducative nationale
(80%
de classe d'âge au baccalauréat) a
démultiplié la démographie étudiante au cours des
années 90, avec un apport de plus en plus croissant d'étudiants
étrangers (européens, africains, asiatiques). Cette
période correspond aussi au début de l'expérience
de démarche projet (1999-2003). Le projet d'établissement
2004-2007 n'est alors que le deuxième du genre, ce qui permet
de souligner combien l'apprentissage est récent. Il serait, par
conséquent, extrêmement exigeant de s'attendre à ce que la
communauté universitaire ait acquis une expertise solide en la
matière.
Puisqu'il est question d'apprentissage, faisons un petit
détour du côté des chercheurs emblématiques de
la cognition et du développement. L'essai-erreur, le tâtonnement,
l'observation, l'imitation et l'expérimentation sont autant
de modalités de mécanismes d'apprentissage qui
dépendent du niveau de développement biologique décrit par
J. Piaget. Freud
a surtout mis en relief l'importance du
développement affectif, alors que Skinner et les behaviouristes
avancent le rôle de l'environnement et du conditionnement. Pour
S. Lev. Vygotski, l'important est d'accompagner l'apprenant à
atteindre sa zone proximale de développement, laquelle
dépend de l'apprentissage et de processus sociocognitifs. Qui a raison
parmi ces quatre géants et qui a tort ? A y voir de
près, si l'on essaie de faire cohabiter harmonieusement
différents paradigmes, ces précurseurs ont construit des
modules théoriques qui, organisés ensemble, nous en apprennent
de façon à la fois globale et détaillée sur ce
que
nous baptiserons volontiers de Système
Général de Développement cognitif, affectif et social.
Ce Système Général de
Développement (SGD) peut être défini
comme
l'interdépendance du processus d'apprentissage et du
processus de développement liés
récursivement pour oeuvrer dans un environnement
grâce aux outils biologiques
(accommodation/assimilation), psychosociologiques
(conditionnement/accompagnement) et
affectif. Ce qui forme un ensemble dynamique, superstructure de
schèmes indissociables à la
vie.
Une considération anthropomorphiste en application du
principe
holographique sur l'organisation permet aussi de lui
conférer un SGD. On parlera alors
Système Général de
Développement organisationnel. Une telle construction parait
apporter
des valeurs ajoutées dans la compréhension de
la place du projet d'établissement d'une
université dans son parcours d'autonomisation. Cependant,
il ne peut s'agir ni de baguette ni
de formule magique. Le SGD nécessite le facteur temps pour
exprimer toutes ses possibilités.
Tel un système expert conçu à partir
d'intelligence artificielle, il a besoin de plusieurs phases
d'apprentissage préalable avant d'atteindre une
performance optimale. Cela conduit droit à
penser la notion d'apprentissage organisationnel. Bien qu'elle ne
sera pas traitée ouvertement
dans ce volume - il y a pourtant tant de concepts comme celui-la
qui méritent tous une petite
place dans notre développement - cette notion reste
accolée à la question de la projection
collective, dans la vie d'une organisation.
Encadré 1: Système Général de
développement
Nous concluons, au vu de la lecture approfondie
de son projet, de la considération de son histoire et
d'autres entretiens formels ou non auprès des ses acteurs, que
l'Université de Nantes est un jeune établissement qui
entame la construction de son devenir d'université de XXIe
siècle. Elle se situe à la transition entre la
période de gestion purement administrative, marquée par le
poids et l'omniprésence de la figure de la tutelle et la
longue marche vers l'autonomie73. En comparaison à la
construction d'une route, elle est, tout juste, au défrichement et
à l'aplanissement de certaines collines pour agrandir la
départementale existante
en autoroute comme voie de circulation
internationale. Par rapport à l'apprentissage de l'autonomie,
son Système Général de Développement n'a eu que
deux expériences de projet dont
un en cours. Lequel projet se construit en partie
avec un environnement - dans une relation d'influence réciproque
- qui doit tenir compte de ses propres contraintes.
L'intérêt pour un chercheur de l'avoir comme sujet
d'étude réside dans cette perspective de
développement en cours dont le suivi ou même l'anticipation (dans
certains domaines) ne pourra qu'être source de connaissances nouvelles et
passionnantes.
Après avoir situé l'établissement dans
son contexte historique et institutionnel, une dernière
étape, la description organisationnelle, complètera
très succinctement la présentation de notre terrain
de recherche. En tant que grande université, unique et
pluridisciplinaire (tautologique), l'Université de Nantes se
présente un peu sous forme de patchwork.
73 Une autonomie à distinguer de
l'indépendance absolue dans la mesure où, en tant
qu'établissement public, il lui restera toujours un socle commun avec
l'ensemble d'établissements d'enseignement supérieur publics.
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