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Le "mouvement du 20 février" au Maroc, une étude de cas de la coordination locale de Rabat

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par Romain Chapouly
Institut d'études politiques de Lyon - Master 2 2011
  

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5) Société civile et politique : les transformations dans l'ordre du discours et de la pratique

Les tansikiyates du 20 février sont directement issues des expériences de mobilisations sociales antérieures, qui ont réussi à projeter leurs effets de vérité dans les nouveaux modes de mobilisation et d'organisation du collectif. L'insertion de la lutte dans le local, ainsi que cette absence de cerveau centralisateur officiel et statutaire, tant au niveau national qu'au niveau des coordinations locales, sont le résultat direct des bouleversements de la scène protestataire, mais aussi plus profondément des transformations cognitives et pratiques opérés au sein de la société civile.

En effet il serait difficile de comprendre comment un mouvement comme celui du 20 février a pu apparaître au Maroc, dans les formes et les singularités qu'ont lui connaît, sans porter un regard attentif sur les évolutions de la société civile et les changements dans l'ordre du discours (mais aussi de la pratique) dans le domaine de l'action publique. Des concepts << démocratiques » distillés au niveau international, tels que la << bonne gouvernance », la délibération collective, la transparence, la lutte contre la corruption, la décentralisation du pouvoir etc... vont jouer un rôle dans la mise en incohérence des discours et des pratiques politiques au Maroc. Ne pas voir que c'est dans ce contexte que toute une génération a grandi et a baigné son intellect, ce serait se couper d'une compréhension de ce qui fait le liant symbolique et culturel parmi les militants du 20 février. Toute cette mise en discours des injonctions à la dilution du pouvoir dont le régime marocain s'est autorisé, notamment depuis le changement de règne, à en reprendre l'esprit (si ce n'est dans la pratique du moins dans le registre discursif) s'illustre parfaitement dans la rhétorique de la << transitologie ». Il est certain que le discours porté à l'égard de la << transition démocratique » sert autant d'outil de dissimulation pour un régime qui souhaite << tout changer pour que rien ne change », que de réels gages de changement ouvrant des brèches à l'intérieur de la carapace autoritaire du régime, et que des volontés collectives présentes dans la société civile ont su parfois utiliser à bon escient. Il serait par conséquent dommage de ne pas prendre en compte ces changements dans l'analyse d'un mouvement de protestation comme celui du 20 février. Car en effet à bien des égards le mouvement du 20 février est l'enfant de cette

injonction démocratique, portée autant par les institutions internationales et leur corollaire l'idéologie développementaliste, (relayées par les mass medias, notamment les chaînes satellitaires panarabes), depuis plusieurs décennies, que par la société civile marocaine, dont la digestion du discours sur la << bonne gouvernance », en remplacement du discours révolutionnaire, a réussi à impulser des changements dans le registre de l'action publique39. Depuis plus de vingt ans, en effet, les autorités marocaines se sont réappropriées à nouveaux frais la rhétorique démocratique. Les chantiers de la << régionalisation avancée » sont un exemple d'inscription des politiques publiques dans ces nouveaux dispositifs démocratiques, mais qui cependant ne sont pas sans cacher des volontés de distorsion, notamment à l'égard du règlement de la question saharienne. C'est donc dans ce contexte d'injonction à l'adoption des modalités de gouvernance moderne, qui a généré une forme d'hybridation du régime marocain (fait de dispositifs démocratiques inédits et conservant tout de même les outils d'annihilation de ces mêmes dispositifs) que les structures militantes (associatives et partisanes) ont évolué. Les travaux d'Eric Cheynis sur les transformations du militantisme associatif sont à ce propos très instructifs40.

L'évolution des modalités de l'action associative, illustrée par E. Cheynis (entre autres dans le cas de l'Espace Associatif), révèle l'introduction de deux éléments déterminants dans l'acculturation à de nouvelles méthodes et de nouvelles pratiques : tout d'abord l'ouverture des associations de plaidoyer aux financements internationaux à partir des années 1990, qui opère un moment de rupture avec l'époque où l'idéologie anti-impérialiste obligeait les organisations politiques de gauche à demeurer absolument autonomes vis-à-vis des éventuels financements étrangers41. Le corollaire de cette

39 Catusse Myriam, Vairel Frederic, Question sociale et développement : les territoires de l'action publique et de la contestation au Maroc, in Le Maroc de Mohammed VI : mobilisations et action publique, Politique Africaine, n° 120, décembre 2010, p 5-23

40 Cheynis Eric, L'Espace des transformations de l'action associative au Maroc. Réforme de l'action publique, investissements militants et légitimation internationale, thèse de doctorat de sciences sociales, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2008, 607 p

41 Si l'année 2000 est une date charnière dans la succession monarchique, le tournant annoncé de la politique marocaine, elle inaugure aussi un changement sur le terrain associatif. Pour la première fois une association comme l'Espace associatif, composée d'anciens prisonniers politiques et militants d'extrême gauche, engage un partenariat avec l'USAID dans un programme de formation à destination d'associations rurales.

arrivée massive de financements étrangers (européens et américains essentiellement) a été la professionnalisation et la salarisation des personnels travaillant au sein des grandes associations, avec également l'introduction des logiques managériales (rationalisation des modes de fonctionnement). Dans le contexte international la question du développement local se voit couplée à la cause des droits de l'homme, qui devient dés lors une catégorie d'intervention des bailleurs de fonds internationaux, mais aussi de l'Etat marocain (le Conseil Consultatif des Droits de l'Homme est créé en 1990). La participation à l'action publique de cette nouvelle offre associative composée d'anciens militants, se combine au maintien d'un positionnement militant et contestataire. Les associations deviennent des partenaires de l'Etat, des prestataires de services inscrits dans le projet de développement national, mais conservent pour certaines dans leur identité une dimension de plaidoyer politique. On assiste également à des changements conséquents dans le registre lexicologique: le << développement démocratique >> remplace la << révolution >>, le << changement social >> remplace la << lutte des classes >>. Toute une nouvelle rhétorique est venue adoucir les tonalités politiques inscrites dans le militantisme associatif, sans pour autant les vider de leur substance. Et cela bien sûr afin d'être présentable dans les dossiers de subventions des bailleurs internationaux (institutionnels ou privés), qui sont en général, il faut bien l'avouer, assez récalcitrants à l'idée de participer au financement d'une guérilla marxiste.

A cette transformation des référentiels cognitifs et idéologiques dont la société civile marocaine actuelle s'est faite le véhicule, s'ajoutent les évolutions corollaires des rapports de l'individu au collectif. Nous avons affaire avec le 20 février à une de ces nouvelles formes d'organisation qui sied parfaitement à l'individu moderne, celui qui refuse toute appartenance, toute hétéronomie. Comme l'indique S. Bronowski << Les structures souples sont plus efficaces parce que les individus refusent désormais de se rapporter à l'organisation sur le mode de la soumission ou de l'appartenance >>42. Si la << souplesse >> structurelle du 20 février repose sur divers facteurs, il est cependant notable que les transformations dans l'ordre du rapport de l'individu au collectif y sont pour quelque chose.

42 Bronowski Samuel, Voix discordantes, actions concordantes, Raisons politiques, Presses de Sciences Po, 2008/1, n°29, p142

D'autre part, les << bricolages culturels » qu'observe M. Bennani Chraïbi dans la jeunesse marocaine des années 199043, n'ont fait depuis que poursuivre leur route vers davantage d'hybridation. La politologue note à ce propos : << Dés lors sous le signe de la libéralisation et de l'expérimentation, se démultiplient les possibilités de circulations entre des univers hétérogènes. La palette du bricoleur et les voies de socialisation sont beaucoup plus variées. Un adolescent peut camper avec toutes sortes d'islamistes, mais aussi participer aux activités d'associations oil il a le loisir de s'initier à d'autres référentiels »44. C'est en effet à une société urbaine de moins en moins cloisonnée, et des individus de plus en plus ouverts sur l'extérieur et autonomes vis-à-vis des structures collectives d'appartenance (famille, clan), que l'on doit cette << culture syncrétique », dont le mouvement du 20 février nous offre une photographie saisissante.

Cet aspect des transformations des repères cognitifs et des modalités de l'<< agir » dans le registre des collectifs protestataires, mériterait une analyse sociologique beaucoup plus conséquente. Dans le sillage des travaux d'E. Cheynis consacrés à l'analyse du renouveau des modalités du militantisme dans le champ associatif marocain, il serait instructif de dresser les évolutions du militantisme partisan, notamment au sein de la jeunesse, afin de compléter la compréhension de ce qui apparaît comme le profil militant majoritaire dans le mouvement de protestation actuelle : un << militantisme multipositionné ».

43 Bennani Chraïbi Mounia, Soumis et rebelles : les jeunes au Maroc, CNRS éditions, Paris, 1994, 335p

44 Economia, Rabat, n°6, juin - septembre 2009, p133

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery