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La sécurité juridique en droit administratif sénégalais

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par Abdou Ka
Université Gaston berger de saint Louis - DEA droit public 2015
  

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Paragraphe 2 : Le risque d'un renforcement non souhaitable des pouvoirs du juge

Dans le système juridictionnel sénégalais, le juge est considéré, suivant la tradition juridique française, comme « la bouche de la loi »172(*). Il est défini comme un serviteur de la loi. Aucun pouvoir normatif ne lui est reconnu. Son office se limite à une juste application de la règle de droit au cas d'espèce. Toutefois, il faut souligner que l'office du juge a profondément évolué avec l'avènement du principe de sécurité juridique dans l'ordre positif. Il ne se limite plus à l'ajustement nécessaire de la règle de droit au litige à résoudre, mais il va forger lui-même la règle applicable au litige. En droit administratif, l'inévitable conséquence de cette mutation de la fonction de juger est que le juge ne se contente plus d'être le serviteur de la loi. H. MOUANNES dira, à ce propos, que « nous sommes tous conscients de la transformation de la mission de diseur de droit du Conseil d'Etat qui trouve sa justification dans la nécessité de chercher la solution la plus juste et équitable à la question... »173(*).

A travers la mise en oeuvre de l'exigence de sécurité juridique, le juge de l'administration acquière de nouveaux pouvoirs. L'exigence de sécurité juridique implique un certain pouvoir d'arbitrage de la part du juge. Il reviendrait au juge d'opérer une balance entre les intérêts en cause dans le cadre du litige. En ce qu'il est le garant de l'équilibre entre les droits des administrés et l'intérêt général, le juge de l'administration a acquis au fil des temps un pouvoir redoutable dans le cadre de son office. Poussé par la volonté d'assurer une protection efficace des droits des particuliers dans leurs relations avec la puissance publique, il en vient souvent à se reconnaître de nouveaux pouvoirs. Certes, il est permis de penser tel le Huron quand il proclame : « nous autres, bons sauvages, nous sommes des esprits simples : nouspensons que la justice est faite pour le justiciable et que sa valeur se mesure en termes de vie quotidienne »174(*) ; ce qui conforte la légitimité du juge de l'administration « dans l'incessant combat mené par lui pour retenir les puissants sur la pente glissante de l'arbitraire et pour protéger, contre cette tentation, eux-mêmes, et les humbles qui en eussent été les victimes »175(*). Mais, il reste que le renforcement des pouvoirs du juge, en plus de présenter un certain danger pour la stabilité et la prévisibilité de l'action publique, peut poser une question de légitimité.

D'abord, le juge, dans la mise en oeuvre de l'exigence de sécurité juridique, a développé tout un ensemble de techniques tendant à affiner son contrôle sur l'action publique. Il ne se limite plus à une interprétation docile de la règle de droit, mais il participe de manière beaucoup plus active au processus de création de la norme. Même s'il faut admettre que la jurisprudence a toujours été une source majeure du droit administratif, il reste qu'avec la progression de l'exigence de sécurité juridique, elle a connu des dimensions nouvelles. En effet, le juge de l'administration est devenu un acteur incontournable de la production normative.

Ce rôle accru du juge dans le processus de fabrication des normes induit paradoxalement une certaine angoisse juridique. Du fait de la flexibilité de la norme jurisprudentielle, les justiciables se trouvent largués. Ce qui était jadis reproché au législateur et à l'autorité règlementaire est devenu maintenant le fait du juge. Censé être un rempart contre le désordre normatif, il devient un acteur de ce désordre par sa jurisprudence fluctuante et imprévisible. Il est vrai que le juge, surtout constitutionnel, a toujours été sensible aux effets de ses décisions sur la situation du justiciable. Dans ce sens, il a développé notamment une stratégie dite des « petits pas » afin de permettre aux justiciables de se déterminer par rapport aux règles qu'il pose. Toutefois, les nouveaux pouvoirs qu'il s'est arrogé dans le cadre de son contrôle de l'action publique peuvent se révéler dangereux pour la stabilité et la prévisibilité du droit. En effet, les nouvelles techniques éprouvées par le juge, notamment celle de la modulation des effets de ses décisions contentieuses peuvent, à défaut d'un usage rationnel, se retourner contre la sécurité juridique des justiciables qu'elles entendent préserver. Le rapport de 2004 du groupe de travail dirigé par N. MOLFESSIS formulait, dans ses conclusions, des critiques assez acerbes sur le pouvoir de modulation des effets de ses décisions contentieuses reconnu au juge. Les auteurs du rapport dénonçaient l'imprévisibilité et l'injustice du revirement, mais aussi la désorganisation et le coût des revirements dans la mesure où ils peuvent remettre en cause par série des actes ou des agissements dont l'adoption volontaire reposait sur un calcul économique et supposait une organisation logiquement mis en place en considération de la solution antérieure. Ils dénonçaient également le dévoiement de la règle de droit auquel pourrait conduire une utilisation abusive de ce pouvoir de modulation des décisions du juge. En effet, la règle qui s'applique à rebours du temps ne saurait raisonnablement fonder l'action des justiciables en ce qu'elle n'apparaît qu'a posteriori, ce qui veut dire qu'ils peuvent la violer sans le savoir.

Du fait qu'il est un principe essentiellement jurisprudentiel, le principe de sécurité juridique est un outil de pouvoir privilégié entre les mains du juge de l'administration. Toutefois, pour reprendre les propos de B. MATHIEU, « il n'en reste pas moins que l'utilisation qui en estainsi faite par le juge administratif est un facteur de protection de la stabilité de l'ordre juridique et de la confiance légitime des justiciables »176(*).

Ensuite, la progression de la sécurité juridique dans le droit positif rend encore plus vif le débat sur la place du juge dans le système juridique. Le juge peut-il légitimement s'arroger un pouvoir normatif ? Il est vrai que la conception « d'un juge administratif uniquement censeurdes illégalités ne correspond plus aux attentes de la société »177(*), mais lui reconnaître un véritable pouvoir de création des normes bouleverserait, à coup sûr, l'équilibre institutionnel du système juridique. La fonction naturelle du juge, dans le contexte sénégalais, reste une fonction d'application de la loi. Le renforcement des pouvoirs du juge de l'administration pourrait à terme constituer une entorse majeure au principe de séparation des pouvoirs. Le juge n'a reçu aucune habilitation pour faire oeuvre normative. Ce gouvernement des juges auquel mènerait l'élargissement outre mesure des pouvoirs du juge pose de ce fait un problème évident du point de vue des principes démocratiques. C'est ce qui explique sans nul doute les critiques doctrinales assez acerbes dont fait l'objet ce pouvoir jurisprudentiel du juge. ROBESPIERRE n'affirmait-il pas déjà en 1970 que « ce mot de jurisprudence destribunaux, dans l'acception qu'il avait dans l'Ancien Régime, ne signifie plus rien dans le nouveau ; il doit être ignoré de notre langue » et que « dans un Etat qui a une constitution, unelégislation, la jurisprudence des tribunaux n'est autre chose que la loi ; alors il y'a toujours identité de jurisprudence »178(*).

Le juge de l'administration, dans l'application qu'il fait de l'exigence de sécurité juridique, a vu sa marge de manoeuvre augmentée dans le cadre du litige. Son contrôle ne se résume plus à un diptyque annulation-confirmation de la légalité, il se reconnaît désormais un pouvoir exorbitant d'appréciation au cas par cas. Ainsi, pour B. SEILLER, « tout devient affaire decirconstances, tout dépend des droits en présence. A charge pour le juge de déterminer la solution la plus équilibrée, celle qui assure la meilleure prise en compte des exigences de la légalité et des situations de droit et de fait au coeur du litige »179(*). Dès lors, une rationalisation des pouvoirs du juge dans la mise en oeuvre de l'exigence de sécurité juridique s'impose.

Evidemment, ces nouveaux pouvoirs du juge ont permis d'affiner son contrôle sur l'action administrative et, partant, de garantir de manière plus efficace les droits des administrés, mais il reste que, à force de s'accroître, ils peuvent dévier de la fonction naturelle du juge qui réside dans l'ajustement nécessaire de la règle de droit au cas d'espèce. L'exigence de sécurité juridique en ce qu'elle justifie que « les juges doivent participer à la production des normes »180(*) ne saurait être appliquée de manière abusive.

L'avancée de l'exigence de sécurité juridique dans l'ordre positif devient problématique. D'abord, elle peut conduire à un bouleversement des rapports entre l'administration et les administrés en ce qu'elle induit le renversement de l'équilibre du rapport en faveur des administrés. Ensuite, cette progression de l'exigence de sécurité juridique peut aboutir à un déséquilibre du système juridique lui-même dans la mesure où elle participe du renforcement des pouvoirs du juge au grand dam des autorités investies du pouvoir de création des normes juridiques.

Dès lors, un recadrage de l'exigence de sécurité juridique dans sa mise en oeuvre s'impose. Cela passe évidemment par l'aménagement de critères précis pour l'application de l'impératif de sécurité juridique dans le cadre du contentieux administratif. Egalement, une évolution maitrisée de l'exigence de sécurité juridique dans le droit positif suppose le balisage de l'office du juge afin qu'il ne dévie pas de sa mission fondamentale qui est de résoudre les litiges sous la férule du législateur.

* 172 MONTESQUIEU, De l'esprit des lois,op.cit

* 173 H. MOUANNES, « Le Conseil d'Etat et la notion d'impartialité ou, la variable équation »,op.cit

* 174 J. RIVERO, « Le Huron au Palais Royal ou Réflexions naïves sur le recours pour excès de pouvoir », Dalloz, 1962,Chron., p.37

* 175 J. RIVERO, « Nouveaux propos naïfs d'un Huron sur le contentieux administratif », EDCE, 1979-1980 n°35, p.30

* 176 B. MATHIEU, « Le juge et la sécurité juridique : vues du Palais Royal et du quai de l'horloge », Dalloz 2004, p.1063

* 177 P. FRAISSEX, « La subjectivisation du droit administratif », LPA 2005, p.466

* 178 ROBESPIERRE, 18 Novembre 1970, Lors de la discussion sur le tribunal de cassation, Archives parlementaires, p.516

* 179 B. SEILLER, « Droits publics subjectifs des administrés et transformations contemporaines du contentieux » in Les droits publics subjectifs des administrés, Colloque de l'AFDA, Bordeaux, 2010, Litec, colloques et débats, 2011, p.191

* 180 P. BRUNET « sécurité juridique, nouvel opium des juges ?», Frontières du droit, critique des droits, billets d'humeur en l'honneur de D. LOCHAK, sous la dir. de V. CHAMPEIL-DESPLATS N. FERRE, 2007, p.247

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault