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La démocratie dans les politiques d'Aristote

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par Valentin Boragno
Université Paris X Nanterre - Master 1 2006
  

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4. La sauvegarde des démocraties

La sauvegarde n'est pas pour Aristote le choix d'une politique du pire, selon laquelle il vaudrait mieux construire que sauvegarder un vieux régime, mais que dans l'impossibilité de construire, alors mieux vaudrait sauvergarder ce qu'on a déjà. Sauvegarder un régime, c'est le rendre bon, car est bon ce qui dure. Aristote privilégie le conserver ( ô? ó?æçôáé) sur l'établir ( ô? êáôáóô?óáé) . Le législateur doit avant tout chercher à assurer la stabilité ( ô?í ?óö?ëåéáí) du régime, et en éviter la ruine. Le bonheur est quelque chose de stable et la stabilité du bonheur ne tient pas à la fortune, mais à l'activité vertueuse.208(*) Comme le bon est plus difficile à atteindre que le mauvais, la sauvegarde d'un régime est plus difficile à accomplir que son établissement. C'est même la tâche la plus ardue.

« Mais pour le législateur et ceux qui veulent édifier quelque constitution de ce genre, ce n'est pas de l'établir qui est la tâche la plus ardue, mais plutôt d'assurer sa sauvegarde. Car il n'est pas difficile de faire durer un, deux ou trois jours n'importe quel gouvernement. C'est pourquoi il faut, suivant nos considérations antérieures sur les modes de sauvegarde et de ruine des constitutions, essayer d'en assurer la stabilité, en le prémunissant contre les facteurs de ruine, et en établissant des lois, aussi bien non écrites qu'écrites, telles qu'elles contiendront le plus possible de quoi assurer le salut de ces constitutions.209(*) »

Avant d'étudier comment Aristote envisage la sauvegarde des démocraties au chapitre VI, 5, il faut comprendre quelles sont les facteurs de ruine, c'est-à-dire les causes des changements dans les démocraties.

« C'est de la sauvegarde des constitutions, à la fois en général et de chacune d'entre elles, dont il faut parler ensuite. Il est d'abord évident que, si nous saisissons ce par quoi les constitutions sont détruites, nous saisissons aussi ce par quoi elles assurent leur sauvegarde.210(*) »

C'est l'objet du chapitre V, 5.

4.1. Les changements ( ô?ò ìåôáâïë?ò) dans les démocraties (V, 5, 1304 b 21 - 1305 a 35)

La thèse principale du chapitre V, 5 est que « les démocraties changent principalement du fait de l'audace des démagogues.211(*) » Il y a deux phases à distinguer dans le changement occasionné par le démagogue : d'abord leur accession au pouvoir, dont Aristote ne parle pas explicitement au chapitre V, 5, puis leur action proprement dite.

- L'arrivée des démagogues

Le changement se fait souvent d'une manière brutale. Arrivent au pouvoir ceux qui n'y étaient pas préparés, ceux qui n'ont jamais reçu d'éducation intellectuelle, et qui se trouvent donc séduits par ceux qui flattent leurs désirs bas.

D'une manière générale, le changement de constitution naît d'une disproportion, d'une rupture de l'harmonie du corps civique. « Des changements de constitutions adviennent du fait d'un accroissement hors de proportion d'une de leur partie. 212(*) » Or il faut que la cité conserve de la proportion entre ses partis, comme l'âme est ce qui proportionne les parties du corps. Les démocraties extrêmes adviennent souvent à la suite d'une catastrophe. A Athènes, ce sont les guerres qui favorisent l'émergence de la plèbe sur la scène politique. « la masse des marins, qui avait été l'artisan de la victoire de Salamine et par là de l'hégémonie dûe à la puissance maritime rendit la démocratie plus forte. 213(*) » C'est une situation déterminée qui favorise l'émergence des démagogues. « Le peuple ayant entre ses mains la suprématie navale pendant les Guerres Médiques en conçut de l'orgueil, et prit le parti des mauvais démagogues. 214(*) » Les démagogues arrivent dans ce contexte historique de crise, dont ils savent tirer partie. La conséquence philosophique en a déjà été analysée par Platon au livre VIII de la République : les démocrates, qui n'ont jamais jusque là reçu d'éducation, sont ignorants. Les pauvres, jeunes et ignorants, sont alors nécessairement attirés par le miel du frelon 215(*), qu'est le démagogue. Leur action est alors mauvaise.

- L'action des démagogues

Aristote remotive le topos du démagogue vicieux ( ðïíçñ?í äçìáãùã?í)216(*), énoncé par Euripide : « La foule est chose redoutable lorsque ses chefs sont des pervers. 217(*) »  Elle est redoutable y compris pour elle-même, puisque son action aboutit au renversement des démocraties ( ? äçìïêñáô?á ìåô?âáëå) et à l'établissement des oligarchies. Les démagogues calomnient les riches, de sorte que ceux-ci s'unissent óõí?ãåé contre la cité.

« Dans presque tous les autres cas, on peut constater, si l'on y regarde bien, que les changements se déroulent de la même manière : pour plaire au peuple, les démagogues tantôt provoquent une coalition des notables en les traitant injustement, soit en partageant leurs patrimoines, soit en les affectant au paiement des charges publiques tantôt ils calomnient les riches pour pouvoir confisquer leurs biens.218(*) »

Platon, au même livre de la République, évoque l'injustice de l'action des pauvres face aux riches, quand ils sont menés par les démagogues. Leur action est la même que celle ici décrite, à ce détail près, qu'elle ne trouve pas de sanction immédiate. « La démocratie apparaît lorsque les pauvres, ayant remporté la victoire sur les riches, massacrent les uns, bannissent les autres et partagent avec ceux qui restent gouvernement et charges publiques.219(*) » Pour Aristote, ces actions sont mauvaises pour la démocratie, parce qu'elle mène irrémédiablement à sa perte.

Parmi tous les exemples cités au chapitre V, 5, la succession des événements menant à la chute des démocraties est en effet toujours la même : spolliation, coalition des spolliés, et chute du régime. Ou bien les démagogues-calomniateurs ( óõêïöáíôï?íôåò)220(*) confisquent ( äçìå?åéí)221(*) les richesses des notables, ou bien ils ne leur remboursent pas ce qu'ils avaient prêté à la cité, comme à Rhodes. Toujours, dans un deuxième temps, les notables s'allient (óõí?óôçóáí)222(*), comme à Cos, forment une coalition ( óõóô?íôåò)223(*), comme à Rhodes, se liguent ( ?èñïéóè?íôåò)224(*) comme à Héraclée, pour, dans un dernier temps, renverser la démocratie ( êáôáë?óáé ô?í ä?ìïí 225(*)) et établir l'oligarchie. Les changements obéissent donc à un schéma quasi déterminé et extrêmement simple : l'appât du gain est source de crise. Le pire qui puisse arriver à une cité est quand elle devient source de profit. Le vice du peuple, même des bonnes sortes de peuple est d'être appâté par le gain ( ôï? ê?ñäïõò) : « Car la plupart de ces gens courent plutôt après le gain qu'après les honneurs226(*) » , écrit Aristote à propos des paysans.

Ce schéma se met surtout en place dans les périodes de guerre. La dénonciation (eisangélie) des riches et la confiscation qui s'ensuivait servaient, dans les démocraties extrêmes, en effet à renflouer les caisses de l'Etat, notamment pour payer les rétributions 227(*). Ce qu'Aristote souligne ici n'est donc pas une constante du régime démocratique, c'est, d'une part, un risque conjoncturel, de l'autre, un risque qui ne guette que les démocraties extrêmes.

Les richesses ( ÷ñ?ìáôá) des notables constituent la principale pierre d'achoppement des régimes démocratiques. Le risque de la dernière espèce de démocratie est donc un risque crématistique. Les démagogues flattent la cupidité du peuple pour tirer profit de la cité. « Mais la règle cardinale dans toute constitution c'est qu'elle soit organisée, tant du point de vue des lois que de celui de n'importe quelle administration, de telle manière que les magistratures ne soient pas source de profit.228(*) »

- Un risque analogue à une guerre

S'il se concentre avec tant d'insistance sur la version négative de la démocratie, c'est que celle-ci n'est pas seulement, pour reprendre sa typologie, le pire des régimes « modérés », mais qu'elle est réellement une tyrannie, c'est-à-dire la pire des constitutions, quoiqu'elle garde le nom fallacieux de régime populaire.

« Dans les temps anciens, quand un même individu devenait démagogue et stratège la constitution se changeait en tyrannie. Car la grande majorité des anciens tyrans étaient sortis du rang des démagogues. La cause pour laquelle il en était ainsi à cette époque, alors que ce n'est plus le cas aujourd'hui, c'est qu'alors les démagogues étaient pris parmi les chefs militaires , car on n'était pas alors habiles en l'art des discours, alors qu'aujourd'hui avec le développement de la rhétorique, ceux qui sont capables de parler deviennent démagogues, mais du fait de leur inexpérience guerrière http://www.perseus.tufts.edu/cgi-bin/morphindex?lang=greek&lookup=ou%29k&bytepos=365951&wordcount=1&embed=2&doc=Perseus%3Atext%3A1999.01.0057, ils ne s'attaquent pas à la constitution, même si ça et là, il y a eu quelques tentatives de ce genre. 229(*) »

Auparavant, les démagogues avaient le courage de renverser les démocraties par les armes pour y établir une tyrannie à leur avantage. Désormais, la situation demeure inchangée, les démagogues ont toujours les mêmes mauvaises intentions, seulement, pour différentes raisons, - leur inexpérience guerrière, l'absence de concentration des pouvoirs telle qu'elle avait cours dans la royauté archaïque, l'importance de la population urbaine, la puissance militaire des démocraties - ils n'ont ni le courage ni la force de s'attaquer à la constitution, et préfèrent établir une autre sorte de tyrannie, avec la complicité du peuple qu'il séduit grâce à ses talents rhétoriques, une tyrannie qui ne dit pas son nom, mais aussi éloignée du bon régime que l'étaient les tyrannies archaïques. Cette démocratie est donc plus proche de la tyrannie que de la bonne forme de démocratie, qui porte pourtant son nom. Les démagogues despostiques n'ont pas besoin de détruire la démocratie par les armes, ils la détruisent de l'intérieur.

Les changements dans la démocratie tiennent principalement à deux écueils : la personne du démagogue, et la personne du peuple. Dans les Cavaliers d'Aristophane, le démagogue incarné par le Marchand de boudin est un flatteur habile et pervers, Démos est présenté comme un vieillard stupide et cupide. On retrouve à peu près ces données chez Aristote, si bien que pour sauver les démocraties, il nous faut distinguer deux modes d'intervention principaux. Le premier permettra d'éviter le premier écueil : il sera institutionnel et consistera dans le choix de magistrats compétents. Le second évitera le deuxième écueil, l'incitation à la cupidité du peuple : il sera économique.

* 208 Eth., 1100 a 30 - 1100 b 20

* 209 Politique, VI, 5, 1319 b 34-40

* 210 Politique, V, 8, 1307 b 26-30

* 211 Politique, V, 5, 1304 b 22

* 212 Politique, V, 3, 1302 b 9

* 213 Politique, V, 4, 1304 a 23.

* 214 Politique, II, 12, 1273 b 13.

* 215 Platon, République, 560 a

* 216 Politique, V, 5, 1304 b 28

* 217 Euripide, Oreste, 772 - 773.

* 218 Politique, V, 5, 1305 a 1-6

* 219 Platon, République, 557 b

* 220 Politique, V, 5, 1304 b 22

* 221 Politique, V, 5, 1304 b 37

* 222 Politique, V, 5, 1304 b 27

* 223 Politique, V, 5, 1304 b 31

* 224 Politique, V, 5, 1304 b 34

* 225 Politique, V, 5, 1304 b 27

* 226 Politique, VI, 4, 1318 b 17

* 227 Hansen, pp. 251 - 253.

* 228 Politique, V, 8, 1308 b 32

* 229 Politique, V, 5, 1304 b 7 - 15

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci