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Formation de la personnalité des enfants de la rue à  Port-au-Prince

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par Dieuveut GAITY
Université d'Etat d'Haiti - Licence en Psychologie (Bachelor Degree) 2009
  

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B- Montage de scénario

Je suis jean Junior Antoine, né au Cap Haïtien dans une famille de six (6) enfants ; trois (3) filles et trois (3) garçons. J'ai laissé le Cap en 2003 pour rentrer à Port-au-Prince; mais, d'abord, avant de rentrer à la capitale, j'ai passé des périodes de courte durée dans des provinces comme Port de Paix, St Marc, Gonaïves, Artibonite pour des pratiques de mendicité, accompagné de la dame qui s'est chargée de m'emmener à Port-au-Prince. Cette même année, nous y sommes rentrés et nous vivons, si je me rappelle bien, à Cité soleil, du côté de Bois Neuf ou de Belekou, puis à Boston70(*) quelque temps après. Nous étions quatre (4) dans la maison ; moi, la dame, un monsieur (soit disant son mari) et un petite fille domestique apparemment plus âgée que moi. Chaque matin, la dame m'emmène dans la rue. Au Carrefour de l'Aviation, Champ de Mars, Pétion ville et devant les églises ; dans presque toutes les rues de la capitale, elle et moi, nous mendions sans relâche auprès des gens, du matin au soir, jusqu'au coucher du soleil. Il arrive un jour, soit en 2004, oú l'on a arraché et tué le mari de la dame avec des coups de machette et, quelques jours plus tard, notre maisonnette a été incendiée, avec deux morts brûlées vives (la dame et la petite fille) et moi, je me suis échappé et sauvé de justesse. Me voila maintenant, seul, face à la vie et la misère dans les rues de Port-au-Prince perdant complètement les traces de ma famille, et c'est ainsi que je deviens un enfant de la rue.

Actuellement, je vis au Carrefour de l'Aéroport et j'y travaille constamment pour satisfaire mes besoins immédiats. Avec cent, cinquante, vingt gourdes pour une journée de travail, je peux manger, boire, jouer au poker, m'acheter des vêtements et faire de petites économies. Dans la rue, je me sens bien. Avec mes amis, communément appelés `` sosye''71(*), on s'amuse, on se dispute, on se bat, on se rivalise et on mange ensemble. Même s'ils sont mes amis, je ne leur fais pas confiance parce qu'ils me volent tout le temps pendant la nuit ; je fais seulement confiance à la rue.

Organisation de la journée : dès que je me lève le matin, si j'ai du temps, je peux prendre un bain et me brosser les dents. Puis, sans rien manger, je vais directement dans la rue pour travailler ; en gagnant quelques sous si possible, je reviens auprès des marchands (es) de café et de pain ou de pâtés pour me mettre en pleine forme « pou m al kontinye bwase lè a ». En même temps, je joue au poker (Tonton palmis), je fais des va et vient tout le long du trottoir pour surveiller l'arrivée des voitures. Dans cette tranche d'heure, entre 8h AM et 2h pm, je suis en train de parcourir tous les coins et recoins de la rue en travaillant et en m'amusant. Vers les 2h et 3h de l'après midi, je m'arrête pour aider une marchande d' «  Aleken »72(*) avec qui je travaille en lavant les vaisselles et d'autres ustensiles de cuisine, en nettoyant et en faisant le portefaix ; je reçois, en échange de tout ça, un beau plat de riz ou de mais moulu suivant le menu du jour. Aux environs de 4h pm, généralement, je retourne sur le trottoir dans mes activités régulières d'essuie de voitures. Aussi, à cette heure, dans certains cas, si mes vêtements sont sales et si j'en ai assez d'argent, je pourrais aller en m'accrochant à l'arrière d'une voiture dans les marchés publics à la Croix des bossales (sou pay) pour m'acheter d'autres vêtements. Le soir, je me retrouve toujours dans la rue en train de jouer, de mendier et de chercher des objets et des pièces de monnaie au bord de la rue, l'endroit dans lequel les marchands (es) s'étalaient leurs marchandises au cours de la journée. Puis, quand il se fait tard, soit que je regarde la télé s'il y a de l'électricité, soit que je vais dormir directement.

Du côté socio affectif : je me sens très bien dans la rue, je me reconnais comme un enfant qui vit, qui travaille et qui dort dans la rue et j'en suis très fier. Je me fiche pas mal de ce que les autres pensent de moi, ils ne font jamais rien de sérieux pour moi. Dans la rue, je ne me suis jamais découragé dans mes travaux, sinon je crèverai de faim. Même quand je suis malade (migraine, grippe, fièvre, blessures, etc.), je suis obligé d'être présent et d'y travailler. Avec les autres, je suis souvent de bonne humeur sauf quand il y a disputes ou conflits entre moi et une autre personne de la bande. Egalement quand les plus âgés me battent et abusent de mes affaires, à ce moment-là je fais l'expérience la plus extrême de la colère et de la tristesse ; soit que je réagis par des injures, fuites et des pleurs tout en disant : «  lè m gran, lè m pran level, n a vin fè m sa yo ; m ap tou touye nou youn ». Si dans des situations, comme celles-ci, je prends la fuite ou je pleure, cela ne veut pas dire que je suis un lâche ; au Carrefour de l'Aéroport, je ne suis esclave de personne, sauf PAPA que je respecte. Jamais rien ne m'effraie, sauf les policiers, les projectiles des armes à feu et, autrefois, les militaires de la MINUSTAH73(*) ; maintenant, ils nous laissent en paix. Je n'ai peur de rien, ni de personne.

Du côté de l'intelligence : dans la rue, je me débrouille parfaitement bien du matin au soir ; c'est ce que nous appelons « chavire lè a ou byen bwase lè a ». Je maîtrise tous les trucs de base qu'à mon âge je dois savoir et d'en faire usage pour vivre dans la rue. Je sais compter les chiffres ; depuis mes bas âges, j'ai commencé à calculer tout seul mes revenus de travail et la somme de mes économies dans la petite Caisse « bwat sekrè ». Je ne sais ni lire, ni écrire. Par conséquent, dans le groupe, les autres enfants me doivent beaucoup de respect et les aînés ont beaucoup d'admiration à mon égard parce que «  mwen se yon piti ki vivan e mwen sou menm anpil ».

Du côté des aspirations : sans vous cacher, j'aime beaucoup vivre de la rue. Si je cessais d'y vivre un jour, je me sentirais très mal ; soit que j'irais vivre chez quelqu'un, soit que j'irais vivre au centre d'accueil de Carrefour si je voudrais réellement survivre. A ce moment, je serais à la risée de tous, je perdrais un peu d'estime qui fera de moi quelqu'un de faux aux yeux de mes paires «  lè sa mwen se yon Fake, mwen p ap janm vin Real »74(*). Dans la rue, j'y travaillerai toujours ; soit au carrefour, soit au Champ de Mars parce qu'à mon avis ces deux zones offrent beaucoup plus d'avantages aux enfants de la rue. Je ne sais pas, si toute ma vie, je m'hébergerai dans la rue ; mais, je sens que je resterai accroché à la vie de la rue, au travail, à la nourriture et à certains divertissements de la rue. De grands projets, je n'en ai pas vraiment. Cependant, étant enfant, j'aimerais bien aller à l'école ; puis, quand je serais grand, j'aimerais devenir un chauffeur de véhicules. Quoique j'aime beaucoup la vie de la rue, en aucun cas, si j'ai un fils, il ne sera jamais un enfant de la rue.

1.2.- Cas # 2 : Jonas FRANCOIS75(*)

* 70 _ Cf. A ne pas confondre avec celui des USA : Ce « BOSTON » est l'un des quartiers de la commune de Cité soleil

* 71 _ Cf. le mot « SOSYE» est une déformation du mot français « Associé» que les enfants au Carrefour de l'Aéroport utilisent au lieu de dire correctement « Asosye »

* 72 _ Cf. C'est un type de repas que l'on prend généralement en plein air et au bord de la rue ; les plats sont préparés et sont servis au bord de la rue. Dans la capitale, on en retrouve beaucoup ; on les appelle : Akoupi m chaje w, chen janbe, anba dra, etc.

* 73 _ Cf. Voir la liste des sigles et acronymes à la page ix. Cette Mission des Nations unies est composée de soldats et est installée en Haïti depuis 2004

* 74 _ Cf. «Fake and Real», deux mots anglais qui veulent dire « faux et vrai ». Actuellement, en Haïti, dans des groupes de (clans, ghetto, etc.) nous remarquons l'utilisation fréquente de ces deux anglicismes dans leur créole. Dans leur jargon, ces deux mots servent à juger, à s'identifier et à mesurer l'implication de quelqu'un dans les activités du groupe.

* 75 _ Cf. pour des raisons d'éthiques et par soucis d'anonymat, les nom et prénom de ce sujet ont été modifiés

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