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Conditions socio-économiques des paysans de Lociane, une section de la commune de Thomassique


par Frantz Isidor
Faculté d'Ethnologie de l'Université d'État d'Haïti - Maîtrise en Sciences du Développement 2024
  

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Introduction générale

La situation géographique de la 2e Section Lociane engendre l'importance primordiale de la frontière parmi les facteurs agissant sur l'évolution des conditions socio-économiques des paysans du milieu. L'interface directe des frontières représente des ressources économiques et culturelles. Les conditions socio-économiques des populations vivant dans les frontières relèvent d'abord des facteurs nationaux et internationaux. En effet, celles-ci sont étroitement liées au modèle de gestion politique et aux relations existant entre États contigus. Le niveau de développement atteint par les États en question joue aussi un rôle majeur dans l'appropriation de l'espace commun en lui donnant une caractéristique particulière dans la compréhension des phénomènes historiques et culturels qui ont façonné cette frontière.

La frontière internationale est la droite de division de premier ordre des structures territoriales des États indépendants. En droit international, les frontières font état d'objet inviolable, mais elles ne sont pas intangibles (Faucher, 2023). Au cours du temps, les frontières entre les États se font et se défont au gré de la conjoncture géopolitique du moment. Aujourd'hui, nous comptons cent quatre-vingt quinze États indépendants reconnus par l'ONU à travers les cinq continents qui se répartissent ainsi : deux en Amérique du Nord, cinquante-quatre en Afrique, quarante-huit en Asie, quarante-quatre en Europe, quatorze en Océanie et trente-trois en Amériques latines et Caraïbes (Deluzarche, 2023).

Dans le bassin de la Caraïbe se situent Haïti et la République Dominicaine, deux pays indépendants partageant la deuxième grande île de la région. Des 76,480 km2 dont mesure l'île entière, la République d'Haïti occupe le tiers soit 27,750 km2. Cette superficie est faite à 80% de montagnes contre seulement 7,000 km2 de plaine. Selon les estimations récentes, la partie occidentale abrite une population de près de douze millions d'habitants. Force est d'essayer de saisir l'impact des phénomènes socio-historiques de la frontière sur les représentations sociales et mentales des différentes composantes de la société haïtienne.

Les documents écrits nous permettent de faire remonter l'histoire de la frontière haïtiano-dominicaine aux traités de Ryswick (1697) et d'Aranjuez (1777). Abstraction faite des circonstances particulières favorisant ces traités, des événements conflictuels ont conduit à des effacements répétitifs des frontières entre ses deux territoires. Le premier moment d'effacement en date serait le traité de Bâle de 1795 qui prenait plein effet sous l'administration de Toussaint

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Louverture, gouverneur de Saint-Domingue 1800-1802. La deuxième période fut l'unification administrative et politique qui s'établissait à l'intervalle entre 1822 à 1844. La troisième occasion s'est produite durant l'occupation américaine de la République d'Haïti qui a engendré l'unification administrative de l'île entière au cours de la période de 1916 à 1924.

Cette mouvance de rapprochement s'achemine vers une dynamique d'ouverture réciproque des deux sociétés, bien évidemment à l'avantage déterminant de la République Dominicaine, et enfin, aboutit à la logique de la coopération (Alexandre, 2020, p. 61). Néanmoins, la rengaine des positions extrémistes et racistes de l'anti-haïtianisme n'en démord pas. Une preuve se justifie dans les récentes actions politiques qui trouvent une expression dans l'arrêt TC 0168/13 de la Cour constitutionnelle dominicaine adopté en date du 23 septembre 2013. Près de 250,000 personnes d'origines haïtiennes qui jouissaient de la nationalité dominicaine deviennent apatrides avec l'application de cet arrêt. Mais aussi, la compréhension de l'évolution des alliances politiques4 en 1994, selon Pérez (2020, p. 101), pour contrer la montée de Peña Gomez à la présidence, - Dominicain noir, disciple de Juan Bosch au parti de PRD5-, illustra fort bien les sentiments racistes, xénophobes et anti-haïtianistes qui sont toujours vivaces dans les classes sociales dominantes en République Dominicaine. Les conséquences éprouvantes se répercutèrent plus fortement depuis le massacre de 1937 sur les rapports entretenus avec les populations haïtiennes des milieux frontaliers. D'où résulte l'importance de la compréhension du phénomène de frontière entre Haïti et la République Dominicaine dans la dimension socio-historique de sa création.

À chaque moment d'agitation discursive sur la ligne frontière entre Haïti et la République Dominicaine, l'épineux problème de sa délimitation s'impose, entre autres, dans toute sa complexité. Rappelons bien, qu'avant l'arrivée de la proclamation6 de 1794 consacrant l'abolition de l'esclavage à Saint-Domingue, Toussaint Louverture qui, - s'alliant tour à tour avec les

4 César Pérez a projeté une analyse sur le caractère invraisemblable de l'alliance de deux partis politiques PLD (Partido de la Liberacion Dominicana), parti fondé par Juan Bosch, incarnation du marxisme en République dominicaine et PRSC (Partido Reformista Social Cristiano), parti fondé par Joaquin Balaguer, héritier politique de Trujillo, conservateur historiquement opposés et même des adversaires pour bloquer l'arrivée de Dr Peña Gomez à la présidence en 1996. Parmi d'autres raisons, la classe politique le considérait comme un Dominicain noir à descendance haïtienne.

5 PRD (Partido Revolucionario Dominicano) est le parti politique de tendance gauche que Juan Bosch avait créé. Ce qui lui avait permis d'arriver au pouvoir aux élections de 1962 après la mort de Trujillo. Juan Bosch s'opposait toujours au secteur dominant représenté par Trujillo puis Balaguer. Après avoir été évincé au pouvoir en 1963 par un coup d'État, il partit pour l'exil et son parti, sous la direction de Peña Gomez, organisa la résistance contre l'invasion américaine de 1965 et entra en opposition contre Balaguer, revenu au pouvoir en 1966. Lorsque Bosch eut à revenir au pays, il abandonna son parti et créa le parti PLD.

6 La proclamation du 4 février 1794 de l'abolition de l'esclavage par la Convention est l'application du décret de Santhonax du 29 août 1793 pris à cet effet à Saint-Domingue.

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Espagnols et les Anglais contre les Français, à la recherche des moyens de l'émancipation du peuple de Saint-Domingue - devait se résoudre à renouer ses relations avec les Français qui dominaient à l'Ouest. De son retour dans le camp français, il permit la conquête de toute la région du Nord qui rejoint à la rivière massacre.

Par ailleurs, le fait que Toussaint Louverture fut fondateur de la ville de Barahona y justifia bien plus une grande affluence de Noirs devenus Haïtiens après 1804, tout comme à bien d'autres endroits. Cantonnée à la frontière, dans les hauteurs de Mirebalais avant la campagne de l'Est, une branche de l'armée ayant à sa tête Jean-Jacques Dessalines a été rejointe par celle du Nord pour faire le siège de Santo Domingo en 1805. Cette campagne a certainement permis l'occupation des villes frontalières de Lascahobas, Hinche, Saint-Michel et Saint-Raphael. Il en ressort donc une sorte de maniement et remaniement de points de limites qui bougent soit au gré des situations de statu quo post bellum (Castor, 1988/2021) ou de tentatives de négociations où se sont proposées en cession à Faustin Soulouque (1847-1859), les plaines de Vega Real et Neyba7 (De Lespinasse et al., 2013). Mais l'intransigeance de l'Empereur Faustin 1er le tailla en mille pièces en voulant toute l'île sous la domination haïtienne. Certaines villes frontalières, toutes occupées par des Haïtiens, ont été bien obtenues par le combat diplomatique du Président Fabre Nicolas Geffrard (1859-1867). Mais cependant, l'indétermination des lignes a été si perplexe que la Constitution de 1874 a admis la fixation des limites en raison de l'occupation des habitations des Haïtiens sur l'île. Plus tard encore, dans les négociations de 1924 et 1931, il y a lieu de relever la revendication du droit de propriété d'Haïti sur une bande de l'espace de Monte Cristi et la région d'Azua.

Avec l'exiguïté des plaines dans la partie occidentale de l'île et la forte croissance démographique de la République d'Haïti, les Haïtiens avaient l'habitude d'occuper beaucoup de terres laissées en friche dans la zone frontalière de la partie de l'Est pour entreprendre des activités de l'agriculture, et également, s'y installèrent tout simplement8. L'évolution des conditions socio-économiques en obligeaient la plupart du temps.

7 L'historien Michel Hector souligne que Neiba eut un campement de Noirs fort nombreux en population qui existait depuis le début du XVIIe siècle. Ce campement portait le nom de maniel de Neiba. Cf [Hector, Michel. « Les traits historiques d'un protonationalisme populaire » in Hurbon Laënnec, dir. L'insurrection des esclaves de Saint-Domingue (22-23 août 1791). Actes de la table ronde internationale de Port-au-Prince du 8 au 10 décembre 1997, 2e éd. Port-au-Prince, Éditions de l'Université d'?État d'Haïti, 2023, pp 203-218].

8 Entre autres procédés qui ont permis l'installation des populations dans la zone frontalière, il y a le mouvement va-et-vient des esclaves en marronnage. Au début, les marrons sortent de l'Est. Rappelons par exemple, la rébellion des esclaves à Saint-Domingue en 1679 avec Padrejean qui fut esclave en fuite de la partie espagnole. La grande plantation qui s'intensifie avec la

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L'occupation des espaces territoriaux par les paysans de la zone frontalière de la 2e Section de Lociane dans la Commune de Thomassique suscite l'intérêt de la présente étude sur les conditions socio-économiques dans la recherche de compréhension des facteurs potentiels de développement de cette zone. À telle enseigne, il revient à comprendre l'évolution de la production des échanges économiques et culturels dans leurs rapports systémiques qui traversent ce milieu frontalier.

1.-Justification de l'étude

Grande fut notre curiosité intellectuelle pour orienter notre recherche vers l'espace géographique nous permettant de comprendre les déterminants des facteurs socio-économiques qui expliquent l'évolution de la zone frontalière entre Haïti et la République Dominicaine. Et particulièrement, le travail noue le rapport de spatialité avec la frontière de la 2e Section Lociane dans les conditions socio-économiques des paysans y vivant tout en considérant les phénomènes sociaux qui s'y produisaient au cours de la période allant de 2010 à 2021.

Nous sommes convaincus que la zone frontalière de la Commune de Thomassique dispose des potentialités qui lui permettraient d'avoir un élan de progrès en faveur de la majorité de ses habitants. Le point culminant de ses atouts se focalise sous sa position frontalière. La 2e Section Lociane est le point frontal sur la frontière. Elle joue un rôle important dans les rapports des échanges commerciaux avec la République Dominicaine. Mais nous croyons que la 2e Section Lociane pourrait faciliter de plus vastes avantages par d'autres types de relations concernant des points d'échanges culturels, soit le tourisme environnemental et culturel, de productions coopératives. Aussi l'espace frontalier peut-il accueillir des projets de développement d'infrastructures, de création de zones industrielles indépendantes, de gestion commune de services, d'aménagement commun de territoire (nouvelles voies de communication, extension du réseau de transports en commun, parcs binationaux, etc.) À telle enseigne qu'il importe de souligner la valeur historique des localités de Playe et de Savane Mulâtre. La première localité fut un lieu de combat des cacos dans la résistance contre l'occupation américaine dès le mois d'août 19159, et la seconde transpire les retranchements des éclats épiques de champs de bataille au cours

colonie française à l'ouest provoquera la tendance inverse. Il fut évident que ce mouvement de traversée conduisit à des campements dans les zones de tampons entre les deux colonies (par exemple, il y eut le campement de Noirs insurgés dans la zone de Hinche). Depuis lors, la nécessité d'une délimitation officielle des frontières commença bien à s'imposer. 9 La localité de Playe dans la 2e Section Lociane de Thomassique fut l'objet d'une confrontation entre les cacos en 1917 (mouvement armé de paysans sous la direction de Charlemagne Péralte et Benoit Batraville) et des troupes de marines de l'occupation américaine en 1915-1934. Cf [Gilles, Justin, « Des choses à savoir sur la Commune de Thomassique », Loop Haiti News, publication du 13 septembre 2022, en ligne, www.haiti.loopnews.com, consultation au cours du mois de juin 2023.]

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des campagnes de l'Est après 1844. C'est un fort potentiel touristique qui se renferme dans la substantivité historique des quelques rares évènements qui survinrent dans ce milieu. Cependant, la réalité ne semble augurer de telles perspectives à ce jour dans cette zone d'étude de l'espace frontalier haïtiano-dominicain. Mais, malgré tout, il s'avère que les échanges commerciaux s'intensifient continuellement dans cet axe central qui jouit de l'avantage de la proximité géographique à la grande région métropolitaine et par rapport au Nord, en particulier.

Des raisons d'ordre personnel nous conviennent également à étudier certains aspects sur Thomassique, Commune ayant en front de l'Est, la zone frontalière de la 2e Section Lociane. Car, il parait sincèrement d'une obligation toute naturelle de participer à la recherche d'une explication scientifique par rapport aux difficultés auxquelles est confrontée la population de la 2e Section Lociane, en guise de contribution sociale au processus de production de réflexions scientifiques. Ainsi, des raisons du moins personnelles et intellectuelles animent-elles notre curiosité à investiguer et explorer ce champ d'étude. La période de onze années retenue, pour développer cette étude est motivée dans l'optique de suivre la régularité de certaines données autant que possible qui puissent nous permettre de bien établir notre objectif de recherche. La 2e Section Lociane caractérise un choix privilégié en fonction de sa situation directe sur la ligne frontalière de la Commune de Thomassique.

Cette position de grande proximité avec la République Dominicaine répond pour la plupart des paysans à une logique d'opportunité économique. D'ailleurs, celle-ci s'offrant par la facilité d'échanger de marchandises existe depuis des lustres. En outre, il y a la mobilité de travail à court, moyen et long terme dans l'autre partie, la proximité familiale avec des personnes qui vivent de l'autre côté. Et, au cas échéant, la possibilité de bénéficier des services scolaires et de soins médicaux qui sont disponibles dans la partie de l'Est. Des raisons d'attachement aux patrimoines justifient encore la vie de beaucoup de paysans dans cette zone. Les paysans se résignent tant bien que mal à cultiver de la terre comme principale activité généralement occupée par la plupart d'entre eux dans la 2e Section Lociane. C'est à la faveur de bien de pareilles considérations socio-historiques qu'il convient globalement de faire poindre les horizons du sujet de recherche sur une explication démontrant l'importance particulière de la frontière de la 2e Section Lociane entre autres facteurs significatifs et déterminants dans l'évolution des conditions socio-économiques des paysans du milieu. Ce qui revient à caractériser une analyse profonde de la problématique du mileu et de ses paysans dans la dimension de leurs conditions socio-économiques.

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2.-Problématique

Jusqu'en 2021, selon les estimations des Nations Unies 10(World Population Prospects), Haïti est habitée par une population de 11, 541,683 personnes. Mais les données de l'IHSI en accusent, pour la même année, une estimation de population de 11, 905,892 personnes dont 5, 906,934 hommes et 5, 998,963 femmes. Alors que la République Dominicaine, occupant plus de 2/3 tiers du territoire de l'île, est peuplée de 11, 118,000 personnes11 dont 50.2% d'hommes et 49.8% de femmes. Les rapports des échanges commerciaux et culturels entre les deux peuples sont importants. Néanmoins, les contrôles des flux transfrontaliers restent une difficulté énorme pour les autorités haïtiennes qui manifestent une véritable incapacité à assurer la sécurité de leur territoire national. Les seize points frontaliers non-contrôlés (OIM, 2021) et les quatre autres considérés officiels sont susceptibles des toutes sortes de trafics illégaux qui exposent les paliers de la sécurité intérieure du pays. La sécurité nationale englobe un tout y compris le complexe environnemental incluant des facteurs de conditions socio-économiques.

La dynamique de construction et de production itérative d'idées compréhensives du milieu en vue se délimite dans les confins de la 2e Section Lociane de la Commune de Thomassique du Haut Plateau Central comme unité spatiale de l'étude, au cours de la période de 2010 à 2021. De là, elle recoupe l'intérêt d'appréhender les principales caractéristiques du niveau de développement qui y sont susceptibles avec les données sur les conditions socio-économiques des paysans actées dans le prisme de la gestion accentuée sur le schéma organisationnel décentralisé en fonction des prescriptions de la Constitution de 1987. La démarche visant à cerner la complexité de la question des conditions socio-économiques des paysans de Lociane saurait-elle écarter la logique d'instrumenter les rapports d'échanges développés avec la frontière dans son développement ?

Le développement d'Haïti, comme la plupart des pays ex-colonisés encore sous-développés, dépend de quelques enjeux majeurs qui sont, en général : l'accès aux services de santé en fonction des principaux indicateurs sanitaires et autres services de bases placés au coeur de la problématique de développement (Mathon, 2012). De plus, il y a lieu d'interroger des aspects qui touchent :

? L'intégration économique régionale ;

10 Ces données ont été disponibles sur le site internet

Https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SP.POP.TOTL?locations=HT

11 Ces données sont fournies sur le site internet www.donneesmondiales.com/republiquedominicaine.

·

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Les réflexions sur la problématique de l'industrialisation par les transformations 12 technologiques ;

· Les choix sur les questions migratoires, le renforcement institutionnel des cadres normatifs d'État : la lutte contre la corruption, l'établissement d'un État de droit, la concrétisation des mécanismes de décentralisation et la garantie de la sécurité nationale.

Les discussions s'enchainent à la définition d'un agenda sur :

· Les thématiques de l'environnement : réduction des risques de catastrophes diverses et désastres, arrêt et renversement de la dégradation écologique et de la pollution ;

· La maîtrise de la stabilisation des tensions économiques et financières à l'ère néolibérale : la réduction de la croissance des inégalités (la lutte contre la pauvreté) ;

· La lutte contre les trafics illégaux de toutes sortes et la lutte contre la contrebande ;

· La gestion des espaces frontaliers, etc.

Ce sont autant de préoccupations vitales et cruciales qui déterminent les conditions socio-économiques et politiques des populations des pays en question. Ce, dont l'élévation du niveau de vie de manière significative requiert, en grande partie, d'un effort réel pour institutionnaliser un régime de gouvernance qui permet de prendre en compte des principes fondamentaux de la défense des intérêts généraux de la Nation13, indépendamment du contexte social et politique d'autant bien qu'ils soient égoïstes ou non. À cet égard, la Nation haïtienne accuse une absence complète de vision d'État moderne14 dans son fonctionnement.

En général, les dysfonctionnements de l'État sont aigus : son désengagement en milieu rural rend la situation encore plus chaotique. En ce qui concerne la réalité de la 2e Section Lociane, nous disposons des données récentes qui ressortent de l'observation au cours de plusieurs visites sur les lieux en 2022. Il s'agissait de procéder directement à des déplacements dans plusieurs localités de la Section Lociane qui se trouve dans la Commune de Thomassique. Nous avons observé l'état

12 À ce propos, Irma Adelman affirme que dans les pays en développement, les transformations technologiques se font davantage sous la forme de transferts de technologie que des Recherches et Développement qui sont trop couteuses.

13 L'académie française, 1694, définit la nation comme l'ensemble des habitants d'un même Etat, d'un même pays, vivant sous les mêmes lois et utilisant le même langage. Http://www.universalis.fr, consulté le 02/7/2022.

14 Le concept d'État moderne renferme un mode d'organisation politico-administrative qui présente des capacités étatiques et de structures institutionnelles internes de garantie de droits dans une territorialité. Cf [Sassen Saskia. Critique de l'État. Territoire, autorité et droits, de l'époque médiévale à nos jours, en ligne, 14/05/2009, https://www.contretemps.eu/wp-contents/uploads/Sassen ch1.pdf, site visité en janvier 2024].

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précaire des conditions de vie des habitants ou paysans de cette zone. La lecture faite de la situation des habitants dans cette zone frontalière interroge l'efficacité des politiques publiques qui visent au développement de la Commune y compris celui de ses deux Sections communales. Il s'agit de projets effectifs tendant à justifier la mobilisation et l'affectation des fonds communaux15 (Cadet, 2014). Les courantes utilisations faites par les autorités de ces fonds ont-elles un impact concret sur les conditions de vie de la population ? Cette dernière est confrontée à bien des problèmes sur tous les plans qui comptent de manière non exhaustive, l'assèchement des rivières et cours d'eau qui présente l'état de fait assez visible où les rivières (Lociane, Don Diègue, Rio Hondo, Los Ratones16 et Boucan Taureau) et le cours d'eau (Augustina) diminuent considérablement en débit. Tout compte fait, la situation observée semble accuser des difficultés de toutes sortes dans les facteurs de développement visant à fournir un accès aux services relatifs à la santé, l'eau potable, l'éducation, etc.

La considération de certains indicateurs économiques permet d'évaluer la détérioration des conditions socio-économiques résultant de l'incapacité de l'État à propulser la modernisation des filières économiques. Celles-ci se fondent surtout sur l'agriculture, l'élevage, la commercialisation et sur la fabrication du charbon de bois, un fléau pour la couverture végétale. Les terres quasi désertiques deviennent moins rentables pour les cultures traditionnelles telles que la patate douce, le maïs, le manioc, le pois congo, etc. L'aridité des terres est une préoccupation pour les paysans étant bien confrontés aux problèmes de l'exploitation agricole manuelle traditionnelle sur des superficies extrêmement réduites au fil du temps. Les difficultés de communication ne sont pas les moindres : la plupart des routes sont tortueuses, impraticables aux convois par camions.

Le contexte de la 2e Section Lociane de la Commune de Thomassique accuse la complexité de la gestion territoriale qui semble jouer un rôle prépondérant dans les conditions socio-économiques des paysans haïtiens vivant dans cette zone frontalière. Comme toute Section communale, Lociane est concernée par la décentralisation qui fait l'objet des articles 61 à 87 de la Constitution de 1987. Par exemple, l'article 66 fait injonction aux autorités de l'État de permettre aux collectivités territoriales de jouir de l'autonomie nécessaire à leur développement.

15 Depuis l'exercice 2012-2013, le budget national a prévu un décaissement de 10 millions de gourdes disponibles pour chacune des 142 communes du pays. Le montant sert à financer des projets qui concernent leur développement socio-économique.

16 Les rivières de la zone sont dénommées en espagnol. Loratoun en créole tire sa traduction du mot espagnol Los Ratones.

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Mais en réalité, il y a une centralisation à outrance dont souffrent toutes les Sections communales accentuant de surcroît une situation de disparité entre les localités. Entre autres conséquences de ce fait, sans de véritables réseaux d'organisation communautaire, les paysans de Lociane sont empêtrés dans une dynamique d'échange commercial avec la République Dominicaine qui est tout à fait défavorable à leur encontre et tendant à les entrainer dans une dépendance accrue. Cette situation est exploitée pour caractériser une position hégémonique - tant supputée par le système néo-colonialiste et impérialiste raciste de l'Occident - de la République Dominicaine sur Haïti. Ces problèmes observés sur le terrain, constituent l'objet de la présente étude. Des nombreuses questions qui pourraient susciter les débats, retenons quelques-unes dont : comment les collectivités territoriales appréhendent-elles la question de la décentralisation ? Comment pouvons-nous comprendre les réticences de l'État haïtien à concéder l'autonomie pleine et entière des collectivités territoriales qui doivent planifier et implémenter leur développement ? Quelles sont les causes fondamentales expliquant ou conditionnant la détérioration des conditions socio-économiques des paysans haïtiens des zones frontalières en général, et ceux de la 2e Section Lociane en particulier ? Quelle relation peut-elle exister entre gestion de l'espace territorial et les conditions socio-économiques des paysans ? Quel peut être l'intérêt à tirer d'une gestion plus efficace de ces zones frontalières pour l'amélioration des conditions socio-économiques des paysans y vivant ?

Ainsi, une revue de littérature et les informations tirées des données recueillies sur le terrain de la recherche s'avèrent-elles nécessaires à la clarification des questions posées. Entre-temps, nous prenons soin de préciser le champ de notre d'étude en formulant des questions comme : quels sont les facteurs qui déterminent les conditions socio-économiques des paysans haïtiens de la zone frontalière de la 2e Section Lociane? En quoi le processus de décentralisation consiste-t-il à fournir des facteurs de gestion constituant un modèle autre que celui qui est en vigueur dans l'espace territorial de cette zone frontalière ? Quel peut être l'apport de la décentralisation par rapport à la dynamique d'accentuation des politiques publiques visant à affecter ou impacter les conditions socio-économiques des paysans de la 2e Section Lociane de la Commune de Thomassique ? En quoi le levier déterminant des conditions socio-économiques des paysans de Lociane constitue-t-il un facteur corollaire de l'intervention de l'État, des autorités de la collectivité territoriale dans le prisme de la décentralisation, des rapports d'échanges sur la frontière et des différentes formes d'organisation développées pour défendre les intérêts locaux ?

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Quels sont les facteurs de relation des groupes sociaux internes et des relations internationales qui s'emploient-ils à affecter les conditions socio-économiques des paysans de la zone frontalière de la 2e Section Lociane de Thomassique ?

2.1.-Question de recherche

Toutes ces questions peuvent être résumées comme il suit : en quoi consistent-elles l'évaluation et la compréhension de l'impact de la frontière de la 2e Section Lociane sur les conditions socio-économiques des paysans dans la dynamique politique de la décentralisation et l'évolution des structures d'organisation du milieu pour un développement local ?

2.2.-Hypothèses

L'implantation de la décentralisation dans la frontière de la 2e Section Lociane entraine la gestion territoriale pénétrant une nouvelle dynamique de participation de ses paysans dans la production de développement local tout en intégrant les agents de la collectivité territoriale et les structures d'organisation dans la défense des intérêts locaux pour améliorer les conditions socio-économiques.

D'où découle une autre qui enjoint la volonté politique de l'État pour le processus de la décentralisation de la frontière de la 2e Section Lociane comme clé de réussite en complément de la gestion des ressources de tous ordres qui doivent être mobilisées dans la définition de politiques publiques affectant les conditions socio-économiques dans cette spatialité spécifique.

3.-Principaux objectifs de l'étude

3.1.-Objectif général

Comprendre l'évolution des facteurs déterminants des conditions socio-économiques des paysans de Lociane dans les rapports systémiques établis à ce niveau sur la ligne frontière entre Haïti et la République Dominicaine.

3.2.-Objectifs spécifiques

Comprendre la forme de relation développée entre les autorités de la collectivité territoriale et les paysans de Lociane dans la dynamique de recherche de participation.

Montrer l'enjeu de la géopolitique dans les rapports d'échanges au niveau de la frontière de la 2e Section Lociane.

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Relever les traits caractéristiques de la vie organisationnelle des paysans dans la 2e Section Lociane.

Évaluer certains indicateurs sur les conditions socio-économiques des paysans de Lociane.

Dans le but de mieux organiser les données de cette recherche, nous avons jugé utile de retenir un certain nombre d'indicateurs pour la vérification des concepts de l'hypothèse. Ces indicateurs permettent de construire les variables à vérifier ou de mieux opérationnaliser les concepts.

La méthode mixte de recherche exploratoire et descriptive nous permet de saisir les dimensions qui définissent et opérationnalisent des variables de l'hypothèse multi-variée caractérisant ce travail. C'est ainsi que l'hypothèse première comporte la variable indépendante de l'implantation de la décentralisation avec la participation des forces vives dans le développement local. La variable dépendante comprend l'amélioration des conditions socio-économiques des paysans de Lociane. La variable intermédiaire ressort de l'intégration des agents de la collectivité territoriale et des structures d'organisation dans la défense des intérêts locaux.

Aussi, la seconde hypothèse contient-elle la variable indépendante de la volonté politique de l'État dans le processus de la décentralisation de la frontière de la 2e Section Lociane. La variable intermédiaire se dresse dans la gestion des ressources de divers ordres qui doivent être mobilisées dans la définition de politiques publiques.

Ces différentes variables comportent des concepts qui vont essentiellement caracteriser l'outillage de cette étude de recherche. Pour l'élaboration de ces outils, un certain nombre d'indicateurs ont été d'abord sélectionnés, puis traduits sous forme de questions. Les principales questions de l'argumentation portent sur les constructions des variables suivantes :

? Compréhension des acteurs locaux de la CT de la 2e Section Lociane du processus de la décentralisation.

? Niveau d'adaptation des paysans de Lociane aux rapports d'échanges dans la frontière de la 2e Section Lociane.

? Participation des paysans de Lociane aux structures d'organisation en vue défendre les intérêts locaux.

? Importance de la gestion territoriale dans la production de développement local dans la 2e Section Lociane.

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4.-Structuration de l'étude

La présente étude comporte cinq (5) chapitres. Le premier chapitre, présenté sous le nom de Cadre conceptuel et méthodologie de la recherche, contient la documentation qui nous permet de définir les concepts et de faire choix des méthodes ou des outils méthodologiques adaptés à l'étude et renferme la revue de la littérature tout en démontrant des points justificatifs. Le deuxième chapitre, intitulé Lociane et conditions socio-économiques des paysans, comporte la dimension caractérisée sur la géolocalisation de la spatialité de l'étude tout en présentant le contexte de l'observation de terrain qui permet de déceler les différents facteurs agissant dans la détermination des conditions socio-économiques des paysans. Il établit également l'enjeu du développement local avec la participation de l'acteur paysan. Ce qui prouve le degré d'engagement du paysan dans la lutte pour son émancipation socio-économique. Le troisième chapitre, intitulé Gestion de la frontière Haïti-République Dominicaine, entend démontrer la complexité de la notion de frontière et la particularité socio-historique de la frontière haïtiano-dominicaine et présente les enjeux de la délimitation de la ligne frontalière entre les deux États. Le quatrième chapitre, dénommé Décentralisation et organisation des collectivités territoriales, embrasse succinctement la question de la décentralisation de l'État et détermine le rôle prépondérant qu'il joue dans la mise en oeuvre de la décentralisation à côté d'autres acteurs. Enfin, le cinquième chapitre, présenté sous le titre de Résultat de l'étude, se déroule autour de la démonstration des résultats interprétés après l'analyse des données pour en dégager une étude scrutée sur une réalité concrète des informations vérifiables. Ces dernières permettent de saisir la situation globale de la population-cible qui éprouve des contraintes majeures dans son développement. Les considérations objectives sur les données significatives suscitent toutes sortes d'intérêts pour des études de recherche scientifique.

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Chapitre I. Cadre conceptuel et méthodologie de la recherche 1.1.-Cadre théorique et conceptuel

En Haïti, la concrétisation des mécanismes de la décentralisation de l'État est toujours considérée comme une opportunité pour les collectivités territoriales. Elle consiste à favoriser l'intervention croissante et consistante des collectivités territoriales dans la définition de politiques publiques de gestion spécifique de leurs régions pour déterminer la production nécessaire de développement local qui puisse conduire à l'amélioration des conditions socio-économiques des populations concernées. La collectivité territoriale de Thomassique devrait être en mesure de partager des responsabilités qui favoriseraient son développement et surtout tirer profit de sa position frontalière. La responsabilité des autorités locales s'avère nécessaire au développement local. Les structures sociales, mentales, politiques, économiques sont importantes dans la prise en compte de politique publique. Ce qui implique donc d'ouvrir tout l'espace de réflexion à accueillir la participation des paysans concernés dans l'implantation du modèle de développement dans leur communauté en tenant compte des efforts associatifs déjà germés un peu partout dans les localités de la 2e Section Lociane en dehors même de toute représentativité significative de l'État.

La recherche sur les conditions socio-économiques des paysans de la 2e Section Lociane de la Commune frontalière de Thomassique introduit implicitement le concept de frontière à côté d'autres qu'ils s'avèrent nécessaire de considérer en ampleur pour pouvoir saisir toute la dimension de cette étude. Il s'agit bien d'une obligation cruciale de préciser le champ d'orientation conceptuelle qui permet de chevaucher sur deux courants partageant la conception des conditions socio-économiques dans cette recherche. Premièrement, elles renferment des considérations sur le développement économique, des salaires dans le marché du travail, le prix des marchandises, le capital, l'état des transports, la diffusion des medias, etc. Et, deuxièmement, elles sont perçues dans l'optique d'un certain nombre de facteurs de bien-être qui sont entre autres une alimentation suffisante, de l'eau potable, un abri sûr, de bonnes conditions sociales et un milieu environnemental et social apte à maîtriser les maladies infectieuses (Yonkeu et al., 2003). Ce second aspect concentre des facteurs d'intérêt pour la présente étude. Des facteurs qui articulent des composantes de développement économique, renfermant des éléments nécessaires à la croissance économique. Par croissance économique, nous entendons, selon Perkins et al. (2014, p. 29), une élévation du revenu par habitant, ainsi que de la production de biens et de services.

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D'après eux, le développement économique contient davantage d'implications, et, en particulier, des améliorations de la santé, de l'éducation et d'autres aspects du bien-être humain. Il importe d'assurer une augmentation de l'espérance de vie, la réduction de mortalité infantile et l'accroissement des taux d'alphabétisation qu'autant d'élever le revenu per capita pour combler certains paliers substantiels du développement.

Par développement, nous entendons l'ensemble des transformations techniques, sociales, territoriales, démographiques et culturelles accompagnant la croissance de la production. Un défi de la société haïtienne tient à concevoir un développement qui puisse inclure le milieu paysan.

La notion de paysan17 est abordée dans le sens de la déclaration adoptée en décembre 2018 par les Nations Unies sur les droits des paysans. Ceux-ci sont considérés comme des personnes18 se consacrant individuellement ou collectivement aux activités de production agricole (culture, élevage, etc.). Il importe aussi de voir l'aspect symbolique de sa fonction. Ce qui comporte aussi les intérêts de cette classe sociale19 évoluant en marge d'influence des sphères centrales de direction des affaires politiques, économiques et sociales. Ce qui a donc interpellé l'importance de la décentralisation étant entendue comme le partage, l'octroi, le transfert de responsabilité et de pouvoir que l'État unitaire centralisé consent de manière dévolutive ou subsidiaire aux collectivités territoriales qui s'engagent à gérer en toute autonomie leurs propres ressources en vue de mener des actions de développement économique pour leurs populations. Une telle dynamique peut favoriser le potentiel catalytique du développement local. Le développement local 20 est une dynamique économique et sociale, concertée et impulsée par des acteurs individuels et collectifs -- collectivités locales, acteurs économiques, organisations de la société civile, services de

17 En 2018, l'Organisation des Nations unies (ONU) déclare que si les paysans sont à la base de l'alimentation des humains, ils rencontrent souvent des problèmes quant à leurs droits, par exemple à cause de politiques ou de relations économiques qui sont en leur défaveur. Paysan -- Wikipédia ( wikipedia.org)

18 La Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Michelle Bachelet, a aussi rappelé que les paysans et les autres personnes travaillant en zone rurale contribuent à préserver la culture, l'environnement, les moyens de se nourrir et de vivre et les traditions des humains, et qu'il faut donc en tenir compte dans le cadre de l'Agenda 2030 pour le développement durable.

19 La notion de classe sociale renvoie au groupe social de grande dimension pris dans une hiérarchie de fait et non de droit.

20 Le développement local fait l'objet de définitions nombreuses et variées. Pour Mengin (1989) le développement local constitue pour une communauté la faculté de relocaliser son développement en s'appuyant sur les caractéristiques de son espace : richesses naturelles, humaines, spécificité de l'espace, organisation sociale propre et tradition culturelle ; Selon Bernard Vachon (cité dans Dorvilier, 2011), il est une stratégie qui vise, par des mécanismes de partenariat à créer un environnement propice aux initiatives locales, à s'adapter aux nouvelles règles du jeu de la croissance macro-économique, à travers d'autres formes de développement qui, par des modes d'organisation et de production inédits, intègreront des préoccupations d'ordre social, culturel et environnemental parmi des considérations purement économiques ; De l'avis de Diane-Gabrielle Tremblay et Jean-Marc Fontan, aussi cités par Dorvilier(2011), le développement local constitue un processus global, une stratégie intégrée dont l'objectif est de promouvoir une autre manière de penser et de faire inclusivement les lieux de vie et mettant l'accent sur les notions de solidarité et de citoyenneté .» (p. 15).

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proximité et administrations déconcentrées de l'État, etc. -- sur un territoire donné21. À tel égard, Azoulay (2002, p. 27)22 estime que « l'état des conditions matérielles d'existence d'une population constitue un niveau de développement parallèlement à l'amélioration de ses conditions matérielles qui sont un préalable au processus du développement ». C'est ainsi qu'il parait intelligent de considérer l'aspect de développement local dans un espace frontalier sous le même angle qu'un espace métropolitain. La spatialité de la 2e Section Lociane, dans sa prépondérance frontalière entre Haïti et la République Dominicaine, constitue une base solide d'appropriation de l'influx nerveux du cadre conceptuel sur la notion de frontière dont la revue de la littérature de la recherche rôde essentiellement tout autour de son champ.

1.2.-Revue de littérature

Depuis toujours, la frontière suscite beaucoup d'intérêts dans ses différents aspects. La frontière haïtiano-dominicaine n'en fait pas exception. La corrélation existant entre l'évolution de la conscience sociale et les ambitions de développement des conditions socio-économiques des peuples des deux Républiques ressort de la saisine de la file historique qui confectionne les actions des hommes politiques dans l'espace et le temps.

Ainsi avons-nous recensé, pour la plupart, quelques textes récents d'étude traitant de la question du développement de la frontière entre Haïti et la République Dominicaine qui renferme notre intérêt particulier. Nous en abordons certaines approches théoriques de plusieurs auteurs dans les lignes suivantes :

Selon Diamond (2006), il y a une histoire qui démarre avec l'arrivée des Européens sur l'île baptisée Hispaniola, toute couverte de forêt. L'exploitation colonialiste et esclavagiste qui s'ensuivait au cours des siècles23 accouchera deux peuples dont les différences recoupent : l'environnement, l'économie et une frontière. Il souligne que l'exploitation à outrance qui se produisait du sol de la tiers partie ouest de l'île et le déboisement provoqué par le colonialisme

21 Voir le site d'internet IRAM (Institut de Recherches et d'Applications des Méthodes de développement). France. URL : Https://www.iram-fe.org>développement-local-et-décentralisation, page consultée le 6/7/22.

22 Azoulay, G. Les théories du développement. Du rattrapage des retards à l'explosion des inégalités, France, Presses Universitaires de Rennes, 2002.

23 Diamond, J., dans son ouvrage intitulé Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, expose les effets désastreux du système colonialiste et esclavagiste, au cours des trois siècles successifs à partir du XVIe jusqu'au XVIIIe, des Européens sur la destinée des peuples de l'île Hispaniola dans une division territoriale imposée sans l'avis des individus du terroir et d'autres considérations d'aucunes sortes d'eux.

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entrainera un déséquilibre se créant en défaveur de celle-ci devenue Haïti qui connaitra, au final, un plus fort taux de croissance démographique résultant spécifiquement de l'établissement accru des masses d'esclaves.

Dilla Alfonso (2008, pp. 89-110), dans son texte sur la question du développement de la frontière dominico-haïtienne24, défend le point de vue que le développement de la frontière dominico-haïtienne dépend de quatre aspects :

1) perspective de développement local comme processus d'activation économique, vu des opportunités locales par rapport à la frontière en termes de ressource ; 2) investissement social en vue d'augmenter le capital humain dans la frontière ; 3) vision et programmation transfrontalières par des accords politiques et commerciaux, etc. ; 4) règlement d'un cadre juridique institutionnel révisé.

En général, la frontière est génératrice d'échanges culturels qui permettent de nouvelles perspectives de développement socio-économique des communautés impliquées. Cela n'opère pas pour autant un changement systématique dans le coût socio-culturel qu'implique le regard différent fait, du contexte historique et politique de la frontière, par les deux peuples. La frontière devient un processus marqué par l'asymétrie, la discontinuité spatiale et fragmentation systémique. À la croisée des deux sociétés si inégales, dans la concurrence de marché, sans contrepoids publics et sociaux, il en résulte donc un échange inégal qui - marqué par le commerce de biens, la migration de main-d'oeuvre et les processus naissant d'investissement - prend place à la frontière tout en mettant en évidence la vulnérabilité haïtienne. Il subsiste une situation qui génère une restructuration spatiale à régions et couloirs transfrontaliers inégaux dans leurs niveaux de développement et leurs rôles fonctionnels qui affectent gravement les composantes du système transfrontalier (économie, relations sociales, légalité, idéologie, etc.). Fragmentation qui s'explique dans le retard juridico-politique par rapport aux évolutions dans les sociétés. La frontière connait une dynamique démographique variée au travers des deux côtés de l'île. Et, les populations entretiennent des échanges commerciaux qui constituent la principale ressource économique. Mais, ces considérations du moins encourageantes dans les relations entre les deux économies de l'île ne vont pas anéantir le poids des facteurs idéologiques qui conduisent les mécanismes d'exploitation des travailleurs haïtiens en République Dominicaine. Tout ce dont il

24 Dilla Alfonso, H., « La question du développement de la frontière dominico-haïtienne » in Les défis du développement insulaire. Développement durable, migrations et droits humains dans les relations dominico-haitiennes au XXIe siècle, Wilfido Lozano et Bridget Wooding (sous la dir de), 2008, Editions Editora Buho, Rép. Dom.

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faut recadrer par concertation binationale en touchant des questions telles que : la migration, le commerce, l'usage des ressources naturelles partagées (en particulier l'eau).

Dilla Alfonso (ibid.), précise plus loin dans ce texte, - avec un oeil optimiste sur les bonnes relations entre les deux Républiques -, qu'on peut profiter des multiples opportunités que génère l'interaction transfrontalière pour bâtir des solides liens de coopération en parallèle au développement local.

Entre autres, des articles de presses et des articles scientifiques de certains auteurs, qui nous sont parvenus sous les mains jusqu'à présent fournissent une documentation assez enrichissante, notamment le travail académique de Mathon (2012) présente l'intérêt d'une ressource extrêmement notable sur le sujet crucial de l'accès aux services de base en santé dans les Communes respectives de Hinche et de Thomassique.

Théodat (2020, p. 81), dans son papier dénommé la frontière haitiano-dominicaine : une île dans l'île, s'attarde sur une démonstration d'expressions distinctives25 de deux identités historiquement conflictuelles qui rejoignent un pont en la valeur de la région frontalière pour faciliter des échanges sur tous les plans : social, commercial, culturel, etc. L'adresse politique des gouvernements dominicains leur a conduit à saisir les voies d'orientations économiques assez substantielles qui déterminent leur position dynamique à prendre avantage de producteur-vendeur sur l'île où Haïti est simplement client-consommateur. Les échanges entre les deux parties sont une base historique depuis la période coloniale qui soude les mailles de la chaine de population-frontière-échanges à travers tous les points de passage. Les règlements politico-administratifs ne sont que procédure subsidiaire d'une réalité propre à la nature des deux peuples qui se complémentent. Ainsi, la migration se pratique en dépit de tout, les marchés binationaux fonctionnent, les échanges continuent au profit de la partie de l'Est et l'Haïtien s'accommode à la réalité.

Aussi Théodat (ibid.) poursuit-il, la conjonction du fait des dispositions de circulation via Carrizal et la construction d'un nouveau marché dominicain vis-à-vis de la Commune haïtienne de Belladère, fait accroître l'importance de cette ville dans le commerce transfrontalier. Aussi, deux fois par semaine, des marchés fonctionnent-ils à Tilori, Los Cacaos, Las Matas de Farfán, Hato

25 Théodat, J-M., « La frontière haitiano-dominicaine: une île dans l'île » in La négation du droit à la nationalité en République dominicaine. La situation d'apatridie des dominicains et dominicaines d'ascendance haïtienne, Denis Watson (sous la dir.), Editions de l'Université d'Etat d'Haïti, Port-au-Prince, Haïti, 2020.

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Viejo, Banica, etc. Des relations sociales interagissent en plus des échanges commerciaux entre les acteurs des deux pays. Cependant, en raison des avantages structuraux dont dispose la République Dominicaine, elle fournit d'autres biens et services à la plupart des femmes constituant le noyau névralgique des commerçants transfrontaliers. En somme, les Dominicains profitent de l'acquisition des marchandises ou biens produits en Haïti à vil prix, à défaut, du côté haïtien, de conditions adéquates de stockage et de moyens de transport. Enfin, de plus en plus, les habitants de Belladère dépendent des infrastructures sociales de la République Dominicaine.

Un article du journal en ligne Alter Presse 26 en date du 3 octobre 2012, a fait état d'une rencontre que les autorités des municipalités des Communes respectives de la région frontalière du haut plateau, ont eue avec leurs homologues dominicains des municipalités de Pedro Santana, de Elias Pina, de las Matas de Farfán. La partie dominicaine en a profité pour dénoncer la légèreté dont font montre les autorités locales haïtiennes en matière de gestion de frontière, le vol de bétail qui fait rage, l'immigration clandestine, le commerce illicite et la protection des droits fondamentaux des personnes menant des activités commerciales le long de la frontière. Du côté haïtien, soutient cet article d'Alter Presse, certains habitants de la zone frontalière qualifient d'humiliante cette réalité de deux poids et deux mesures, à partir de laquelle les Dominicains se déplacent librement, à l'heure voulue, pour se procurer de la pintade ou autre produit haïtien, tandis que les nationaux font toujours face à des restrictions.

Aussi, ce même article s'enchaine-t-il, des habitants des zones frontalières du Plateau central se plaignent des avantages des termes des échanges commerciaux qui vont aux Dominicains se constituant en véritable fournisseur du marché haïtien des matériaux de construction, une grande variété de produits alimentaires. En contrepartie, les Haïtiens leur vendent principalement du tamarin, du pois congo27 et de la pintade.

Depuis le début de l'année 2016, des Communes frontalières telles que « Ouanaminthe, Belladère, Anse-à-Pitres, Savanette, Fonds-Verettes et Thomassique sont confrontées à des problèmes de sécheresse qui plongent leurs populations dans la famine. » Suivant (Alter Presse, 2016)28.

26 Odatte, R., « Plateau Central- Problématiques frontalières : Les municipalités dominicaines et haïtiennes en quête de solutions », [AlterPresse] | [en ligne], publié le 3 oct. 2012, Url : https://alterpresse.org, (page consultée le 08/04/2022).

27 Cette expression désigne un haricot commun des variétés typiques d'haricots en Haïti.

28 Odatte, R., « Haïti : Des communes frontalières frappées par la sécheresse spécial », [AlterPresse] | [en ligne], publié le 29/03/2016, Url : https://alterpresse.org, (page consultée le 08/04/2022).

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Un long discours s'étire sur la thématique de la frontière entre Haïti et la République Dominicaine par la contribution de plusieurs écrivains, notamment avec l'un des papiers de Théodat (2007) ayant abordé la différence des deux territoires29 qui s'étaient pourtant soumis à une trajectoire historique en partie similaire. Son idée aiguise la compréhension sur l'importance de l'orientation des politiques économiques dans le processus de développement d'un pays. Mathon (2012), dans le fond de son travail sur l'accès aux services de santé de base dans deux Communes du Haut Plateau central : Hinche et Thomassique, a réalisé le diagnostic de la distribution spatiale des services de santé qui renferme le besoin d'améliorer : l'accessibilité géographique aux équipements (centre de santé fonctionnel) et le réseau routier sur l'accessibilité spatiale. Dans un texte assez convaincant, Bobea (2008) propose une analyse sur la sécurité frontalière30 qui s'inscrit dans une dimension interdépendante et régionale dans une démarche concertée pour endiguer l'effet de débordement générant l'instabilité sociale et politique, narcotrafic, armes, trafic humain. Cette situation sécuritaire caribéenne résulte de la répercussion de plusieurs schémas contextuels : le niveau international de l'atmosphère post 11 septembre 2001. Elle caractérise le nouveau rapport des États-Unis d'Amérique avec la région des caraïbes, la perspective intra-caribéenne qui renvoie à une révision des forces de sécurité des États caribéens pour affronter la criminalité organisée dans l'espace caribéen avec l'état délétère de la sécurité nationale d'État caribéen. Cette situation interpelle l'action d'appropriation par d'autres États pour concourir à la défaillance sécuritaire nationale. Enfin, elle redoute toute confrontation entre l'État de droit et des pratiques de gouvernance qui s'apparentent à l'État délinquant dans l'optique de conservation de pouvoir. D'autres écrivains dominicains, Lozano et Wooding (2008, p. 11)31 ont fait état d'une détérioration du niveau de vie des populations qui habitent la région frontalière des deux côtés de la frontière dominicano-haïtienne. La question reste à comprendre les causes d'une telle situation de détérioration des conditions de vie au niveau de la frontière entre Haïti et la République Dominicaine?

29 Théodat, J-M., « Les localités d'Aménagement Concerté. L'exemple de la Mésopotamie banicéenne», EchoGéo [en ligne], 2 | 2007, mis en ligne le 25 janvier 2010, URL : http://journals.openedition.org/echogeo/1350; DOI : https://doi.org/10.4000/echogeo.1350, consulté le 01 août 2021.

30 Bobea, L., « Insécurité insulaire vis-à-vis sécurité régionale » in Les défis du développement insulaire : Développement durable, migrations et droits humains dans les relations dominicano-haitiennes au XXIe Siècle, Wilfido Lozano et Bridget Wooding (sous la dir de), 2008, Editions Editora Buho, Rép Dom.

31Lozano, W. et Wooding, B., (sous la dir. de), Les défis du développement insulaire : Développement durable, migrations et droits humains dans les relations dominicano-haitiennes au XXIe Siècle, Rép. Dom., Editora Buho, 2008.

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Lozano et Wooding (ibid.) ont, par ailleurs, mis en exergue des réflexions sur le processus d'articulation de schémas nouveaux de libre-échange et d'ouverture économique qui comprend les questions d'assurer des agendas liés à des thèmes urgents requérant des actions coordonnées entre Haïti et la République Dominicaine sur le thème de l'environnement et de la gestion des risques, en particulier des réserves d'eau des deux pays.

En passant en revue quelques documents qui ont été jusqu'ici disponibles sur la question, nous remarquons un manque de données précises fournissant des explications assez rigoureuses sur des causes qui justifient pourquoi les conditions économiques des populations des régions frontalières des Communes respectives haïtiennes ont connu de tels désavantages par rapport à l'importance de la frontière. Tandis qu'il y a une augmentation croissante du volume des échanges qui se réalisent entre les classes d'affaires respectives d'Haïti et la République Dominicaine. Et enfin, qu'est-ce qu'il est urgent de faire en vue d'en proposer des pistes de solution pour cette situation ? Aussi ne rencontrons-nous pas encore une étude qui cherche spécifiquement à expliquer une telle situation de détérioration du niveau de vie de la population qui habite la région frontalière des deux côtés. Ce qui nous permettrait d'avoir plus d'éclairage sur la question. Bien évidemment, cette étude sur la zone frontalière haïtiano-dominicaine est circonscrite dans la Commune de Thomassique du Haut plateau central, et plus particulièrement dans la 2e Section Lociane dont la démarche consiste à fouiller les données sur les conditions socio-économiques des paysans qui y vivent en nous étendant sur la période allant de 2010 à 2021. Par ailleurs, nous n'avons pas trouvé de politiques publiques32 qui s'articulent autour de la spécificité de la zone frontalière, malgré le fait qu'il existe des organes qui sont créés dans cette optique. Par exemple, le fonds de développement frontalier fonctionnant sous la tutelle du MEF. En cela, il y a une nécessité d'accorder une gestion spécifique des Communes respectives de la frontière qui, même si elles sont rurales pour Haïti, sont placées sur une porte internationale avec la République Dominicaine. Cela traduit une interface économique traditionnelle rurale s'ouvrant sur une dynamique commerciale internationale et présentant bien plus d'intérêts à capitaliser (en termes de gestion et de contrôle) que le délaissement pur et simple qui s'y fait maintenant. Peut-être, était-ce une préoccupation qui s'apparentait au projet du Président Dumarsais33 Estimé dans la construction

32 Les politiques publiques désignent un ensemble de dispositions légales, techniques, financières que le secteur public met en place pour résoudre des problèmes dans un secteur donné. Elles caracterisent la prépondérance de la gouvernementalisation qui, dans le sens de Michel Foucault, institue un rôle déterminant du gouvernement dans le service donné à la population tout en implémentant son emprise sur elle.

33 Le président Dumarsais Estimé a gouverné le pays au cours de la période allant du 16 août 1946 au 10 mai 1950.

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moderne34 de la ville frontalière de Belladère en 1948 (Nelson, 2018), bien que cette ville fût fondée35 en 1910. En quoi cette intervention de l'État peut-elle présupposer la détermination de ses prérogatives spécifiques dans la politique publique de développement local et frontalier ? À propos du concept de développement, il est sous-entendu dans la finalité du sujet à traiter comme aboutissant de toute action de politique publique.

1.3.-Méthodologie de recherche

Les approches méthodologiques caractérisent l'orientation des réflexions qui sont produites dans l'application des concepts de l'hypothèse multi-variée formulée pour la réalisation de ce travail de recherche. Il faut remarquer que les normes élémentaires de la pédagogie canadienne ont été appliquées pour le codage bibliographique et dans le corps du document de recherche. Ces règles fournissent une méthode de rédaction dans le domaine des sciences sociales (Dionne, 2008). Ces éléments de méthodologie fournissent un cadre indispensable à l'élaboration des travaux scientifiques (Toussaint, 2017, p. 62). La méthode est enjointe à conduire l'ensemble des procédures qui aboutissent à la finalité des résultats déterminés dans le cadre de la recherche.

Elle fait recours à la méthode de recherche exploratoire et descriptive privilégiant à la fois l'approche qualitative et quantitative, dite recherche par méthodes mixtes. Le choix est fait sur la conception à systèmes embarqués en vue de disposer des données qualitatives et quantitatives en même temps. L'emprunt de la ligne directrice de l'essence théorique permet de rapprocher à l'esprit scientifique. Une tournée est faite vers Gingras et Côté (2009, p. 110) qui considèrent que la théorie crée la capacité d'imaginer des explications pour tout phénomène social. La théorie est à la base des hypothèses et des concepts. Elle reprend la stimulation à poser de nouvelles questions qui visent à enrichir le savoir. Plusieurs approches sont donc abordées pour essayer d'apprécier les différentes thématiques de la recherche. Ainsi, la question de la frontière Haïti-République Dominicaine est-elle d'abord abordée dans le vaste champ doctrinaire de structuralisme36. Ensuite,

34 Nelson, G., (Un documentaire pour les 70 ans de Belladère), Le nouvelliste | [en ligne] publication du 12 octobre 2018|url :www.lenouvelliste.com, page consultée le 12/09/2022.

35 Ces informations sont fournies sur le site internet www.fenamh.org.ht/belladere, site consulté le 12/09/2022.

36 Le structuralisme est la méthode d'analyse qui tend à détecter des relations constantes à travers un ensemble d'éléments qui sont variables. Il revêt une forme atemporelle. Il consiste à déceler l'ordre présent derrière les faits et leurs variations. La mise en évidence de relations constantes malgré la modification pousse à établir l'existence pertinente de la structure. Cf [Juignet Patrick, « structuralisme et sciences humaines » |en ligne, publication mise à jour 11/02/2023| http://www.philosciences.com, page consultée le 29/05/2023]

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c'est l'approche d'analyse fonctionnaliste37 que nous tentons de privilégier dans la compréhension des mécanismes sociaux du paysan dans la société haïtienne, en considérant les finalités des conditions d'évolution des paysans de la 2e Section Lociane. Et puis, pour la notion de l'espace territorial des localités dans le processus de la décentralisation dans la 2e Section Lociane, il est question de procéder par considération d'étude de cas38 dans une démarche inductive.

D'après Robert K. Yin (cité dans Sballil, 2015, p. 70), un phénomène contemporain suivant un contexte réel peut être décortiqué par une recherche empirique, étant une étude de cas à partir des frontières où se cache une réalité entre le phénomène et le contexte, mais que de ressources empiriques multiples puissent y être mobilisées. De poursuivre, Alex Mucchielli (cité dans Sballil, 2015, p.70) estime que la recherche empirique consiste à décrire une situation réelle dans son contexte et à l'analyser pour en faire ressortir les phénomènes suivant l'intérêt du chercheur. L'étude de cas gagne en importance en observant directement dans le contexte la réalité des personnes et de recueillir les données. Cette approche s'applique à l'induction que Chevrier (2009) considère comme une réalité en quête d'une théorie, donc inductive et générative.

Dans cette étude de cas, portée à décrire la qualité dans la dimension d'analyse sur les conditions socio-économiques des paysans dans la zone frontalière de la deuxième Section Lociane de Thomassique, il est entendu nécessaire d'adopter une approche interpretative dont la nature se révèle heuristique39, descriptive40, particulariste41 et inductive. En fonction de l'étude de cas, il peut se présenter une approche s'inscrivant dans une perspective interprétative et visant à la compréhension, la découverte et la description du phénomène étudié. Ce qui permet de faciliter l'émergence de nouvelles interactions, de nouvelles variables et peut mener à redéfinir le phénomène en fonction du raisonnement du chercheur qui se base sur l'observation des faits. Le

37 Le fonctionnalisme est pris dans le sens absolu tel que prôné par Bronislaw Malinowsky et Radcliffe Brown pour camper une analyse fonctionnelle qui tient compte de la fonction vitale que remplissent les idées, les objets matériels, les coutumes et les croyances dans l'ensemble systémique de la société. Chacune de ces entités représente une partie indispensable d'une totalité organique. Cf [Delas, Jean-Pierre, Mily, Bruno, « Les fonctionnalismes » in Histoire des pensées sociologiques |en ligne, publication du 9/3/2016| https://doi.org/10.3917/arco.delas.2015.01.0293].

38 L'étude de cas est une approche de recherche empirique consistant à enquêter sur un phénomène, un groupe d'individus, sélectionnés de façon non aléatoire, afin d'en tirer une description précise et une interprétation qui dépasse ses bornes. Cf [Simon N. Roy « L'étude de Cas » in Recherches sociale. De la problématique à la collecte de données. Benoit Gauthier (sous la dir.), 5e Edition, Presses de l'Université du Québec, Québec, 2009, p 207].

39 La nature est heuristique parce qu'elle fournit une nouvelle description trouvée dans le phénomène étudié par la découverte de nouveau sens ou l'élargissement des expériences déjà vécues par la confirmation.

40 La description apporte une présentation riche et profonde du phénomène étudié.

41 Elle s'effectue dans une focalisation sur un cas particulier. Ce cas lui-même représente un élément très important pour le phénomène étudié.

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raisonnement inductiviste fait recours à la logique et l'expérience à la base de la science dans sa démarche objective (Chalmers, 2009).

Quant au concept propre de la décentralisation, nous l'approchons dans la perspective théorique descriptive. Mais en fait, la thèse se limite dans l'analyse d'un sous-système à travers des conditions socio-économiques des habitants de quelques localités territoriales qui permettra de mieux comprendre un système plus large. Sur ce, la perspective globale de l'étude renvoie, au final, à l'adoption de la démarche sociale systématique de Talcott Parsons (cité dans Louis, 2019, p. 141) dans le cadre du structuro-fonctionnalisme. L'initiative rejoint la préoccupation de déceler les fonctions des acteurs sociaux dans le processus de la décentralisation dans leur unité d'action pour dégager une compréhension des liens tissant la globalité du corps social. Aussi cette vision méthodologique a-t-elle guidé nos objectifs dans la recherche de compréhension des facteurs déterminants des conditions socio-économiques des paysans de la 2e Section Lociane. Cette option théorique conduit à un système axiomatique qui permet de concevoir la théorie et la logique de développement comme des systèmes ouverts qui s'associent dans un enchevêtrement de compétences des acteurs sociaux. C'est un modèle d'étude qui permet aussi de considérer le sens des actions individuelles devant la confrontation des options variées dans l'intérêt du corps social. Elle adopte également dans cette même logique l'approche théorique des parties prenantes.

Selon Lorraine Savoie-Zajc (cité dans Sballil, 2015, p. 69), les sciences humaines devraient généralement s'attacher à la compréhension des situations humaines et sociales. Cette tournure va à l'encontre de la finalité d'élucider un phénomène par le lien de cause à effet entre les variables constructives du phénomène. Aussi le courant épistémologique est-il caractérisé par cette finalité. Ce faisant, il a été logique de recourir à la méthode de recherche à la fois qualitative et quantitative en mettant l'emphase sur une étude de cas à côté de celle du structuro-fonctionnalisme. Ce type de recherche se justifie par deux raisons. La première raison est qu'il s'agit de relever certaines données non quantifiables sur des phénomènes sociaux à l'instar du type de relation qui existe entre les acteurs sociaux présents dans cette zone frontalière. La seconde raison est que les données sur les conditions socio-économiques des habitants de la 2e Section Lociane de la Commune de Thomassique par rapport aux résultats des politiques publiques qui pilotent les actions évolutives et développementistes de l'espace frontalier de ce ressort, ne sont disponibles dans les manières précises et convenables à cette recherche ni au niveau des ministères, ni au niveau des institutions non gouvernementales, d'où résulte la nécessité de mener des enquêtes directes auprès de

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différents acteurs. L'interaction des différents acteurs sociaux définit l'importance du rôle remplit par chacun dans un système global.

1.3.1.-Collecte de données

Un précieux temps a été mis pour aller rechercher des données dans les bureaux du MAE, plus précisément dans les bureaux de la Direction des Affaires Dominicaines, du MPCE et de certaintes organisations nationales et internationales. Les bibliothèques de la Faculté d'Ethnologie et de la Faculté des Sciences Humaines ont été régulièrement fouillées à la recherche des ouvrages en rapport avec les thématiques du sujet de recherche et ceux qui s'en rapprochent de près. Aucunes données précises n'ont été trouvées à même de satisfaire notre recherche. Aussi avons-nous consulté des bibliothèques virtuelles de notoriété telles que google scholar, erudit, corpus.ulaval, etc., pour essayer de tirer les meilleurs partis des connaissances disponibles en la matière, en vue de conduire une recherche rigoureuse qui répond aux normes académiques de la méthodologie adoptée ici.

Ainsi, s'avère-t-il important de faire l'utilisation aussi bien de la source primaire que secondaire. La source primaire consiste au fait de nous disposer, autour d'une semaine de déplacements dans les différentes localités au cours de cinq (5) jours consécutifs. En somme, il s'agit de mener des observations42 participantes ouvertes et des entrevues (entretiens) semi-dirigées43 qui se déroulent au cours d'une semaine de collecte de données lors de nos déplacements à pied et à mototaxi sur les lieux. L'échantillonnage est constitué de manière aussi variée que des couches sociales qui vivent dans sept localités de la 2e Section Lociane, à savoir : Boc Banic, Nan Croix, Savane Mulâtre, Don Diègue 2, Malary, Carrefour Suzely et Terre Blanche. Ces localités sont situées sur le flan Nord'est, Est et Sud'est, bordant la frontière dans la zone de la Commune de Thomassique vis-à-vis de la Commune dominicaine de Banica et des localités comptées respectivement Hato Viejo, Savanna Cruz, Mata Jaja, etc. Mais, au final, les participants ne sont pas statistiquement représentatifs de l'ensemble de la population étudiée et le chercheur ne peut extrapoler les résultats à cette population. C'est d'ailleurs une des faiblesses de la méthode qualitative en termes de représentativité. Cependant, il ne relève d'aucune exigence d'avoir une quantité donnée de participants dans un échantillonnage. Mais, par rapport à l'échantillon de la population de 37,467

42 Selon Dionne(1998), l'observation participante ouverte est une tâche dans laquelle le chercheur qui, s'appliquant à la description d'un portrait global d'un phénomène inconnu, s'intègre ouvertement dans la situation comme observateur extérieur.

43 Dans ce type d'entretiens le chercheur suit l'interviewé dans la direction de l'entrevue avec ses idées.

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habitants de la 2e Section Lociane, une étude comportant des données sur cinquante-et-une (51) personnes fournit une vision relative de l'ensemble de la population. Néanmoins, c'est surtout par la consultation des informateurs-clés et à l'analyse systématique des données quantitatives que nous avons pu caractériser l'objet scientifique de cette étude.

1.3.2.-Méthode utilisée pour la collecte de données

La collecte de données détermine l'activité par laquelle les données sont recueillies dans le but de conduire à la mise à l'épreuve de l'hypothèse. Des outils tels que les entretiens semi-dirigés et l'observation sont employés pour ramasser des données sur le terrain de l'étude. Une observation systématique a été réalisée au cours de deux séances de visite sur le terrain dans les localités ci-dessus évoquées en fonction des critères objectifs que requiert la réalisation de la recherche. Aussi avons-nous continué avec la série d'observations participantes d'où résulte une description à partir d'une grille d'observation qui comprend les services publics, leur disponibilité, leur fonctionnalité et leur potentialité. Il s'agit aussi de faire la description de la culture agricole prédominante dans la zone, les différentes activités économiques et commerciales et la présentation de la faune et de la flore de la région. Le rôle prépondérant des acteurs locaux sur le plan socio-économique et politique et les grands propriétaires de terres et d'autres moyens de productions sont des éléments pris également en compte dans notre étude. Le travail consiste à dégager une analyse de manière la plus objective que possible.

Il faut souligner l'utilisation des entrevues semi-dirigées qui a été faite dans cette recherche pour créer une plus grande flexibilité. Cela donne de la possibilité de changer l'ordre des questions en conséquence et en fonction des commentaires des répondants.

En fait, la collecte de données a été réalisée au cours de la semaine du 26 au 30 décembre 2022. Des déplacements ont été effectués dans le cadre d'observation systématique. Et des entretiens ont eu lieu avec cinquante-et-une (51) personnes réparties en vingt-et-une (21) femmes et trente (30) hommes à travers les sept (7) localités choisies pour piloter la recherche. Les personnes avec qui ont été tenus des entretiens constituent des informateurs clés. L'âge moyen des participants à l'échantillonnage de l'étude est de 40 ans.

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1.3.3.-Méthode d'analyse et d'interprétation des données

Aussi, la recherche mixte s'en tient-elle à un double avantage qui contient, d'une part, les résultats étant accessibles et la production de connaissance pour rechercher des données en raison des variables interprétées par le chercheur et en fonction de la teneur sensorielle de la recherche, d'autre part, quant aux résultats formulés en des termes clairs et simples aux participants à la recherche, il y a une interaction qui se développe entre les paysans de Lociane eux-mêmes et avec leur environnement dans le cours de la recherche. Les individus, en prenant connaissance des résultats de la recherche, se mettent en position de délibération, de critique et questionnent son applicabilité et sa transférabilité dans leur propre contexte, c'est-à-dire ils s'imaginent des retombées positives suivant des possibilités d'une prise en compte des propositions formulées en termes de perspectives à travers la conclusion de l'étude. La démarche méthodologique permet l'étalage de différents procédés scientifiques qui ont guidé les contours réflexifs et discursifs de l'étude. Ce qui nous amène à être rigoureux dans la façon dont les données sont interprétées et les méthodes appliquées pour les collecter. Car, la meilleure façon que nous jugeons utile d'aborder une étude de terrain est de considérer la situation globale de la population-cible dans la mise en contexte de l'observation et des entretiens in situ.

1.4.-Contextualisation de l'observation ethnographique

La démarche d'observation retrace l'attention portée sur le déroulement du travail de terrain effectué dans les différentes localités déterminées dans le choix de l'étude. C'est la descente des lieux. Des parcours systématiques réalisés à pied et à mototaxi au cours des journées entières impriment des moments forts de pénétration des espaces intérieurs de cette partie du pays qui détient toute sa spécificité dans la paysannerie haïtienne. Le besoin de comprendre les conditions socio-économiques des paysans de la 2e Section Lociane ne saurait être comblé que de la nécessité d'aller écouter les gens dans la paysannerie pour pouvoir saisir leurs réalités de vie. La recherche sur les conditions socio-économiques des paysans de la 2e Section Lociane répond aux méthodes qualitatives et quantitatives qui adoptent une approche inductive impliquant de collecter des données à partir des techniques. Comme moyens techniques de collecte de données, nous utilisons, d'abord de l'observation ensuite nous procédons à des entretiens semi-dirigés. L'expérimentation de terrain offre un créneau de source première pour la collecte de données qui sont ensuite

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analysées et interprétées44. L'arrivée sur le terrain attire la curiosité des paysans qui sont vigilants en ce temps-ci face à tout visage inconnu. Cela traduit le niveau de risque qu'il comporte dans le fait pour des jeunes gens de se déplacer n'importe où sur le territoire en ce moment. Vu la conjecture sociale d'insécurité. Il aura fallu vite expliquer amplement la signification de la présence sur les lieux. Après s'être identifié comme étudiant de la Faculté d'Ethnologie à l'Université d'État d'Haïti menant une recherche de données avec pièces d'identification à l'appui, les paysans comme brigades des lieux ont fini par accepter dubitativement de laisser le libre champ aux démarches de l'étude. Sitôt, on a entendu loin des voix résonnant : Primo, quien es esse moreno? Ki sa nèg sila vini chache por aqui ? De ceux-là qui se tenaient tout près en sortait cette question : tù tienes problemas nèg an mwen ? Entre-temps, des gens venant des quatre coins s'amassent rapidement autour de nous ...

Des questions tendancieuses ont exprimé la méfiance vis-à-vis des jeunes garçons dans l'insinuation de pouvoir intercepter tout suspect qui serait en fuite dans la frontière. La notoriété de quelques personnes nous a aussi facilité la protection nécessaire à la libre circulation. Mais l'étranger n'est pas bien perçu à priori. Surtout, ils réprouvent la présence des politiciens. N'empêche qu'ils espèrent que des projets soient nécessaires à réaliser dans la zone pour aider à améliorer les conditions de vie des habitants de la 2e Section Lociane. Aussitôt disposés à nous entendre, nous leur avons beau expliquer que notre présence ne s'inscrivait dans aucun des deux cas ci-dessus évoqués.

Nous supposons que leur méfiance, à prime abord, démontre qu'ils ont l'habitude de rencontrer des politiciens, des enquêteurs des ONG, des arnaqueurs et des imposteurs. De grands efforts ont été déployés pour faire passer le discours sur la recherche de données dans le cadre d'une étude universitaire. Il a fallu incessamment reprendre le but et l'objectif de notre présence. Le motif de cueillette de données pour la compréhension d'un tel phénomène social dans ce milieu leur paraissait nouveau. Donc, ils en appréhendent une dissimulation des vraies raisons de notre présence. Preuve que ces paysans ne s'appliquent pas à tout croire du premier coup. Ils questionnent beaucoup comme des juges d'instruction qui posent une même question sous des formes différentes pour corréler la cohérence des réponses. Ils cherchent même à se montrer prêts

44 L'interprétation des données répond à une organisation cohérente des données, la transparence au processus utilisés et la limitation des biais subjectifs. Nous tenons compte de la relativité des données, c'est pour cela que nous en avons procédé à trois phases : au nettoyage, à l'analyse et au codage des données.

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à sympathiser à votre cause si vous leur dites votre réelle intention. Ils ne sont pas dupes. Même s'ils vous parlent, ils ne vous livrent pas tout. Il avait fallu que nous nous entretenions avec des leaders communautaires en tant qu'informateurs clés, en l'occurrence Edouard communément appelé `Ti Edouard' à Carrefour Suzely pour que d'autres paysans acceptent volontiers de nous parler. Aussi fallait-il que nous tombions, à Savane Mulâtre, sur le jeune Alpha Pierre qui a fait des études classiques à Thomassique pour que d'autres gens s'entendent à entrer dans nos démarches. Certaines figures servent de leaders communautaires qui inspirent de la confiance nécessaire pour d'autres personnes qui manifestent un sentiment répulsif vis-à-vis de l'étranger. Malgré tout, plusieurs personnes ont refusé de nous parler.

1.4.1.-Rapport descriptif du paysage observé

La plupart des paysans de la 2e Section Lociane sont propriétaires de leur maison de deux à trois pièces, faites de toit en tôle à pavée non cimentée qui sont de plus en plus dispersées au fur et à mesure que nous entrons dans la profondeur de la Section communale. Encastrées dans des clôtures en raquette, à grandeur inégale, les maisons ont des portes en bois, les parois en palissade pour certaines et en clissade45 et pisé pour la plupart. Sur la route empruntée par Nan Latte, en passant par savane sucre, nous remarquons le chantier d'un tronçon de route en béton, étant donnés les caniveaux des deux côtés de la chaussée en terre sablée, pour conduire au nouveau lycée encore inachevé, qui est en construction depuis 2015. Une route de sept (7) mètres de largeur longe savane sucre pour arriver à ravine Zoranje, aux bordures déboisées, qui est presque asséchée en ce moment de fin de décembre. Poursuivant ainsi notre traversée des passes des ravières Loratoun 1 et 2 sur la route en terre battue qui conduit à Malary dans une distance de près de deux heures de marche. De vastes champs presque dépourvus d'arbres sont encerclés en pâturage à raquette à piquants. Nous atteignons Malary à partir de l'écriteau du mur qui enclôt le puits d'eau à traction humaine qui se situe devant le champ de pois congo quasi desséché en aval d'une église protestante en palissade à toiture en tôle sur une petite pente. Une foule de personne en majorité de jeune fille avec des gallons de couleur jaune débordent l'encerclement du puits en attente de son ouverture. Il est presque 16 heures d'horloge. La manche de manoeuvre du puits artésien est cadenassée en ce moment de la journée. Un responsable de l'église détenant les clés doit venir ouvrir le puits artésien, a répondu une jeune fille à qui nous avons demandé : à quelle heure vous allez pouvoir

45 La clissade c'est l'expression qui désigne l'armature en lattes disposées horizontalement entre les poteaux en bois de maison.

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remplir vos seaux ? Il fonctionne le plus souvent fort tard dans l'après-midi, en rajoute-t-elle. Dans un horaire variant à intervalle de deux jours durant la semaine. Des jeunes femmes ou jeunes filles et petits enfants sont amassés sous un arbre à l'attente de l'ouverture du puits.

Avec une quantité imposante de demande, c'est fort tard dans la soirée que beaucoup d'entre ces personnes vont parvenir à avoir un peu d'eau pour pouvoir tenir pendant deux jours. Il semble que la crainte de toute éventualité soit d'une panne ou autre du puits artésien attise plus de cupidité à tirer la plus grande quantité d'eau possible.

Un peu plus avant à près de 200 mètres, nous constatons, sur le côté droit en direction du point central de l'artère principale de Malary, un espace déboisé presque enclos qui constituait un lagon où se tenaient des trous creusés dans un amas de boue en plein air, sans aucun arbre de couverture sous le vif fouet du soleil. Des enfants s'y retrouvèrent, notamment il y avait une petite fille s'agenouillant sur la bouche d'un trou assez coincé en forme de puits d'eau pour pénétrer un petit bol en vue de tirer de l'eau sale à jeter en guise de filtrage de la substance potable. N'a-t-il pas raison, Alexis (1955), dans son roman Compère Général Soleil, de soutenir que : « le Soleil est le seul service d'hygiène dans les campagnes haïtiennes. Il attaquait les microbes...» (p. 171).

En approchant plus près d'eux, après une respectueuse salutation, nous leur avons questionné en ces termes : « bonswa ti moun, kouman nou ye ? Epi kisa nap fè la ? » De répondre, ils ont adressé en choeur : « Bonswa wi tonton, nap pran ti dlo pou nou sèvi.» De relancer, nous leur avons exclamé : « men nou bwè li tou ! », ils nous ont répliqué : « wi, si nou pa jwen n dlo nan pi a, nou kon n kite'b poze ak ti bout rakèt pou nou ka bwè`b ».

En voici des prises de photographie illustrant la situation de l'eau potable à Malary. La première photographie (photo 1), affichée à la page 31, montre la partie de devant du puits artésien qui comprend un écriteau en anglais. GVCM, est une ONG qui caractérise une mission chrétienne opérant dans divers endroits dans le Plateau Central. Elle intervient dans la fourniture de quelques services de bases aux populations démunies de certaines localités. Elle a donc financé la construction de ce puits artésien qui dessert la population de Malary.

La deuxième prise de vue photographique (photo 2), présentée aussi à la page 32 de l'encadrement photographique, montre la source de filtrage d'eau qui est investie par des enfants à la recherche de l'eau en attendant que le cadenas du puits artésien soit ouvert. C'est l'autre point de ravitaillement immédiat en eau sur place. Après avoir parcouru à pied une longue distance pour arriver à Malary, il se faisait déjà tard.

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Il n'était nullement conseillé de poursuivre ce chemin au-delà des quatre heures de l'après-midi. Le chemin était rebroussé pour rentrer à Thomassique...

Dans l'amas d'eau de la rivière Loratoun à la seconde passe dite Loratoun 2, aux deux bords vidés des arbres dont les bouts enracinés justifient des existences anéanties dans l'exploitation du charbon de bois, le lendemain matin, il est presque 7 heures, nous avons remarqué beaucoup de gens qui viennent chercher de l'eau dans une source d'eau dans ce qui reste de la rivière de Loratoun. Des motocyclettes vrombissent leur bruit de cylindres à la rampe des mornes abruptes dans les traces peu praticables des sentiers ruisselés par les pluies des dernières saisons. Des animaux à sacs en paille remplis d'objets, certains sont montés par des personnes tenant les cordes à brider, d'autres sont laissés libres avec une corde autour du cou, bien chargés et suivis de meneurs portant de petits sacs ou une cuvette à la tête en allant au marché. Pour le coup, une dispute vive s'engage entre un motard et un meneur d'animal à un endroit de passage coincé où l'un et l'autre se croient avoir la priorité de passage. Un local peint en vert et blanc loge l'écriteau d'un centre socio-médical dans la zone, placé à quelques 50 mètres à droite au fond d'une cour sans barrière et quasi encerclée de grande raquette à piquants. Mais, il ne fonctionne pas depuis plus de 10 ans nous a annoncé des riverains. Le centre de santé servait surtout à la vaccination dans la zone, en rajoutent-ils. Aussi s'indignent-ils de l'absence de politiques publiques visant à intégrer Malary dans une dynamique de développement local. Kermanci, un jeune motard de 23 ans, avance : « depuis plus de deux ans, l'ex-député Francisco Delacruz, originaire de la zone, avait rompu tout contact avec nous parce qu'il fut vivement critiqué pour son manque délibéré d'intérêt pour les problèmes de Malary ».

PHOTO 1: ILLUSTRATION DE PUITS ARTÉSIEN DE MALARY

Le puits artésien construit par l'ONG GVCM à Malary

Le mur à écriteau qui est devant le puit artésiens Par-derrière

Source : Frantz Isidor en date du 26 décembre 2022

Source : Frantz Isidor en date du 26 décembre 2022

PHOTO 2: ILLUSTRATION DE SOURCE D'EAU À MALARY

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Chemin faisant, nous traversons Malary en direction de Savanette et atteignons vers les 10 heures et demie, l'espace semi-aride de Don Diègue 2. Les arbres ne tiennent plus débours ici. Les sentiers sont difficiles même pour les motocyclettes. Des terres quasi non cultivées sont habitées par des arbustes clairsemés. Un établissement d'école assez grand et long avec sa toiture en tôle soutenue par des poteaux en bois en paroi de béton à faible épaisseur dont le socle de ferrailles s'en tient aux fils de fer. C`est la modernité par rapport à la palissade ou la clissade et pisé. Cet établissement dispose des portes d'entrée et des fenêtres qui empêchent à n'importe quel individu d'y pénétrer. Les raquettes à piquants enclosent la cour. C'est une école congréganiste de section primaire, car, dirigée par un prêtre catholique. Les gens se plaignent que ce dernier augmente le prix annuel de

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1000 mille gourdes en sortant des 2000 mille. Plus loin, nous avons vu un chaume à toiture en tôle et cloisonné en feuille de tache à palmis. C'est quand même rare. En ce beau matin de décembre, au sommet de la morne qui conduit à la rivière de Don Diègue, le regard peu lointain sur les cimes du Pico Duarte décrit une image pittoresque de grande sensation. En y traversant pour atteindre l'autre rive de Don Diègue 2, il y a un petit carrefour où le chemin à gauche mène à Terrier Rouge, la Playe, Don Diègue 3, Locoray, La Saintery, Canicey, etc.

Mais prolongeant la route droite nous traversons Kolorine et pénétrons à Boc Banic, il est presque 12 heures. C'est un centre attractif avec beaucoup d'activités commerciales. Des maisons en bloc sont recouvertes de béton et comportant même des étages à côté de celles gardant le style démodé de la zone rurale. Des cours encerclées en fil de fer accroché aux poteaux en bois. La principale artère est en chantier avec les caniveaux aux deux côtés de la chaussée en terre battue. Une petite place publique datée des vieux temps tient lieu de réception des visiteurs. Les gens y sont moins curieux des étrangers. Il y a un sous-commissariat de police avec 2 ou 3 policiers en poste, un tribunal de paix, une chapelle de l'Église catholique, et plusieurs églises protestantes, un centre de santé pour l'État et trois cliniques privées. Il y a aussi un bureau du ressort de CTE Hinche de l'Orepa Centre relevant de la Dinepa qui se tient tout près des installations des antennes-relais de transmission pour le réseau d'une compagnie de télécommunications (téléphonie mobile desservant la population haïtienne de l'ère des NTIC). Quelques écoles primaires privées, une école nationale et un collège de niveau 9e A.F. desservent cette grande localité que certains s'abusent d'appeler quartier. Il y a des débits d'eau au domicile de certains habitants dans un périmètre réduit. Un marché à quelques tonnelles en paille. En effet, la présence de l'État s'y fait pourtant montre.

Mais les structures ministérielles de MDE, MARNDR, MPCE et les agents de la collectivité territoriale n'interviennent pas encore dans la protection de l'environnement qui est dévasté par le déboisement dans cette Section communale. Aucun plan n'est tenu pour remédier à la dégradation de l'environnement avec la coupe des arbres pour fabriquer du charbon de bois. D'ailleurs, l'article 253.1 de la Constitution de 1987 amendée le 9 mai 2011 impose toute action de politique publique nécessaire et urgente pour remédier à la dégradation de la couverture végétale en dessous de 10%. Cependant depuis quelque temps déjà les estimations de la couverture végétale du pays sont à moins de 2%. L'absence d'arbre est à la base de la sécheresse prolongée qui chauffe davantage la terre. Une terre chaude rend inapte toute agriculture dans certaine partie du paysage. À côté de

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Lociane, une rivière bien propice à l'agriculture mais d'où le risque de perte est plus élevé avec l'inondation. Des mornes abruptes rendent plus nécessaire l'ingéniosité des techniciens qualifiés pour étudier les possibilités d'irrigation.

Des camions à 6 et 10 roues de transport de matériaux de construction, de produits manufacturés et des mototaxi portant des passagers et autres objets provenant de la République Dominicaine se dressent devant la chaine de police barrant la route sur la pente descendante vers la grande rivière de Lociane46 d'une faible largeur dans un très grand lit. C'est sa beauté renfermée dans sa longue portée de circuits à travers plusieurs localités qui impose son nom à la Section communale. Après l'avoir traversée, peu profonde en ce moment, nous parcourons quelques 30 minutes de marche à pied avant d'arriver au fleuve de l'Artibonite qui s'étend sur une assez grande largeur. Les véhicules traversent les deux rivières dans ce mois de sécheresse sans difficulté.

Une cotisation pécuniaire est exigée à verser à l'agent du point d'arrêt pour laisser-passer. Ainsi, un agent de la police nationale détient-il l'autorité du droit de passage. Il n'y a pas de service de douane à Thomassique depuis après 7 décembre 2015. Par suite des altercations entre les agents du poste douanier de Thomassique et des chauffeurs de camions qui ont occasionné la mort de deux d'entre ces derniers atteints de projectiles des agents douaniers. Allait s'ensuivre l'incendie du poste douanier par des membres de la population en réaction de leur colère.

Le service douanier s'est installé depuis lors à Papaye, près de Hinche, aux environs de 18 kilomètres de Thomassique, dans un chaume sous des grands arbres. Des hommes lourdement armés font office d'agents douaniers travaillant dans des conditions très précaires (Odatte, 2016)47. L'absence de service douanier est un vaste champ libre pour la circulation de marchandises importées en République Dominicaine dans toute la zone. C'est seulement lorsqu'il faut traverser Papaye pour se rendre à Hinche que la douane puisse taxer. Mais, comme le souligne Théodat (2014, p. 99), le prélèvement de taxes ne sert pas le financement direct des politiques publiques de développement de la communauté locale sans parler de la question de la contrebande48.

46 La rivière Lociane mesure 45 km. Sa source découle du massif du Nord. Elle se jette dans le fleuve de l'Artibonite. Elle traverse toutes les principales localités de la 2e Section de Lociane. Cette raison explique le choix nom du ruisseau attribué à la Section communale.

47 Odatte, R. « Haïti-économie : des agents douaniers toujours absents à Thomassique. Plus d'un mois après l'incendie de la douane »|En ligne publication du 27/01/2016| www.alterpresse.org, page consultée le 04/12/2022.

48 La contrebande est prise ici dans un sens plus large, la frontière avec la République Dominicaine est l'objet de pertes de recettes pour Haïti de l'ordre annuel de 350 à 500 millions de dollars au minimum. Alors que le pays n'y collecte qu'environ 50 millions par an. Cf [Laleau, Wilson, Haïti, pétrocaribe et ses déraisons. Manifeste pour une éthique de responsabilité, Editions C3, Delmas, Haïti, 2020, p. 86].

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En sortant de Boc Banic, nous empruntons la route principale qui traverse Don Diègue 1 et Carrefour Suzely. Cette voie en terre battue est praticable pour les gros véhicules de transport. Tout à Carrefour Suzely, un chemin conduit à Savane Mulâtre. Et, de poursuivre le chemin nous atteignons Latine qui constitue la localité de limite de la 2e Section Lociane par rapport à la circonscription de Cerca-la-Source.

Carrefour Suzely est une localité tout aussi ravagée dans sa structure environnementale. L'église adventiste, structurée en paroi de palissade est en rénovation pour une construction en bloc. Une école de niveau primaire y est logée. À l'autre côté de la route se situe l'école nationale. Les maisons à toiture en tôle, aux cours toutes cloisonnées démontrent le symbolisme de la propriété privée dans toute cette zone frontalière. C'est chez Edouard que des personnes tombées malades peuvent se procurer des premiers soins à frais payé. Il n'y a pas de puits d'eau et débits d'eau du bassin de captage de 75 mètres cubes construit en 2019 à Don Diègue 1, non loin de Carrefour Suzely dont la distribution concerne uniquement Boc Banic. Mais l'absence d'électricité est palliée avec des panneaux solaires que certains exposent par devant leurs maisons. Un habitant eut à nous dire qu'en « République Dominicaine, le panneau solaire se vend à plus bas prix y compris le coût de revient par rapport à Haïti. Et qu'il lui parait plus facile de parcourir une plus longue distance telle que se rendre à Santo Domingo au lieu d'aller à Hinche ». Les routes sont dans de mauvais états de circulation dans cette zone.

Savane Mulâtre, au nord, s'enfonce dans un long chemin d'un état calamiteux qui regorge les deux artères qui viennent soit de Terre Blanche ou de Carrefour Suzely. La motocyclette et le véhicule tout terrain sont les seules automobiles capables de se rendre à Savane Mulâtre. Mais la majorité de la population pratiquent la route à dos d'âne ou à motocyclette de nos jours. La pratique du charbon de bois a affecté tout l'environnement de cette Section communale, notamment Savane Mulâtre qui ne renferme que des arbustes de bayarondes49 parsemées sur un sol rocailleux. Les pluies ont ruisselé des pans entiers des ravins dépossédés des bordures boisées. La rivière Lociane juxtapose l'entrée de la localité qui s'abrite sur une basse altitude. Des toits de chaume résonnent l'état de misère des habitants qui assomme l'émerveillement historique caractérisant ce coin de terre. Savane Mulâtre est en situation très difficile sur le plan socio-économique en dépit de sa proximité avec la frontière comparativement à Boc Banic. Elle renferme un petit cimetière débordé de sa capacité à accueillir des cadavres. Il n'y a pas de marché public ni centre de santé. Les

49 C'est l'expression haïtienne qui désigne un arbuste très répandu dans nos régions campagnardes.

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habitants disposent d'une chapelle de l'église catholique et quatre autres églises protestantes. Il y a deux écoles primaires dont l'une est nationale. Elles ont grande raison pratique d'enseigner les bienfaits de l'eau potable pour la santé. La conscience citoyenne en sera bien prise en compte. La rivière de Lociane pourrait faire l'objet de projet d'assainissement. Mais, la localité ne dispose pas de l'eau potable. Rien que penser à voir la rivière de Lociane en crue effraie. D'ailleurs, il n'y a aucun pont jeté sur une rivière dans la 2e Section de Lociane. C'est une zone qui est très dangereuse parce que des paysans y sont assassinés en plein jour par des voyous criminels ou bandits armés opérant systématiquement dans cette zone frontalière.

À l'effroi des motards pour emprunter la route de Savane Mulâtre, s'ajoute la longue distance qui renchérit le coût de transport. Autre risque de déconvenue expose à la frayeur de s'y retrouver bloqué par manque de motard transporteur (taximoto) qui ne s'y aventure pas au-delà des deux heures de l'après-midi. Les paysans y sont pourtant courtois, quoiqu'ils soient un peu indifférents vis-à-vis de l'étranger. C'est la teneur de la conversation engagée qui peut faciliter la tâche. Grâce à des leaders communautaires, les entretiens se déroulent plus facilement. Le travail de recherche est pourtant tenu dans la rigueur. Les problèmes de la localité sont exposés avec clarté. Des maisons à toit en tôle contrastent avec d'autres chaumes de styles plus antiques qui diversifient le décor du paysage semi-aride d'où balaye un léger vent qui bouffe les visages. Des petites croix symbolisent les refuges mortuaires consacrés dans les basses-cours des familles à côté des latrines sans cloison où certains habitants font leur aisance en plein air. Il faut souligner que la plupart de cette population ne dispose pas de latrines. Sans électricité, le panneau solaire est d'une grande utilité pour recharger les appareils de télécommunication dont les compagnies démontent fort bien qu'elles s'étendent véritablement dans tout cet espace du territoire national mais la palme revient à la compagnie de télécommunications Natcom. Parce que tous les contacts que nous avons établis avec les habitants du milieu en ressortaient absolument.

À la sortie de Savane Mulâtre, au passage à Terre Blanche, le paysage incruste le délaissement d'un endroit livré à la nature sauvage. La localité de Terre Blanche est dépourvue de tout type de services sociaux. À part de deux petites églises protestantes abritées dans des chaumes à tromper le soleil, sans école ni rivière, ni puits d'eau, des petites maisons de deux pièces en palissage ou en clissade et pisé, cette localité abrite une faible quantité de population dans une situation dispersée. Des caveaux sont construits dans des cours en absence de cimetière qui est généralement

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la norme dans cette zone pour enterrer les morts. C'est un signe qui démontre également la différence de quelques valeurs anthropologiques des habitants de cette localité.

Les arbres y sont extrêmement rares. Des haies vives séparent les champs de pois congo qui résistent au soleil de plomb massacreur de fin décembre se réduisant à leur plus simple expression de plantes rabougries et fanées. À Terre Blanche, des cours clôturées en candélabre gardent une propreté de balayage entretenu. Les localités proches Hatonuevo, Savane Plate et Garde Salnave desservent respectivement Terre Blanche aux besoins d'éducation au niveau atteignant la 6e année fondamentale et d'eau potable à près de 4 à 5 km. Pour ce qui concerne le besoin en soin de santé, un déplacement plus conséquent de près de 8 à 12 km s'impose relativement au choix de se rendre soit à Thomassique ou soit à Cerca-la-Source ou soit à Boc Banic.

Au rythme saccadé, ronflant son moteur avec trois passagers à bord d'une mototaxi, deux ont dû descendre pour marcher à pied afin de permettre au véhicule de ramper le morne abrupt et tortueux de la rivière loratoun avec l'autre passager agrippé au motard qui n'arrête de plaindre de l'attitude des dirigeants politiques qui ne font semblant de connaitre la douleur de la population que pour obtenir le vote aux élections. Après mille et une promesses, plus jamais on ne les reverra. « Si se pou mwen, s'indignait-il, volè sa yo pap jwen n yon vwa ankò nan eleksyon bò isit la. Se sèl manman yo ak papa yo ak rès fanmi yo kap bay yo vòt ».

Nous n'osons pas imaginer l'emprunt de cette route dans la saison pluvieuse. Nous allons à Nan Croix qui est une localité gardant plus ou moins une couverture végétale. La route en terre battue, en très mauvais état, bordée de candélabre aux deux côtés regroupe de nombreux chaumes à l'intérieur des arbres fruitiers, des cocotiers. Certaines cours des paysans renferment des sacs de charbon empilés. C'est une aussi un constat valable pour toutes les localités de la zone. Les rivières traversées pour pénétrer la localité sont dépourvues de bordure végétale. Rares sont des cabrits qui sont amarrés au bord du chemin qui s'amenuise au fur et à mesure que s'apercoive l'entrée au centre du bourg de Nan Croix. Les maisons à toiture en tôle de diverses dimensions à portes en bois constituent la seule originalité d'une région qui abrite une population dépourvue de tout service même au minimum. Des latrines précaires desservent une faible portion de cette population.

Le puits d'eau à traction humaine que l'ONG World Vision avait construit depuis 2004 est la source de débit d'eau disponible dans la localité. « Dans les moments de panne, c'est à deux heures

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de marche que nous nous rendons au fleuve de l'Artibonite pour prendre de l'eau », a martelé Faton, ancien membre de Casec, près de 60 ans qui est natif natal de la zone. Les saisons pluvieuses sont encore plus dures pour nous avec la route qui est impraticable, en a-t-il ajouté.

Très dépendants de la Dominicanie, les paysans des localités les plus proches de la frontière profitent des jours de marché des localités frontalières dominicaines pour s'y approvisionner en produits tels que l'huile, sucre, macaroni, salami et en volaille50. Cette volaille est de plus forte grosseur que la poule de race en Haïti. Cette affaire de volaille importée en République Dominicaine a grandement attiré notre attention dans ce milieu rural. Cette étude ne va pas y entrer. Mais c'est très important ! Les volailles ont subi de fortes maladies qui les déciment en grande quantité. De manière générale, à chaque année il y a une période de maladie pour les volailles mais c'est la forte recrudescence des maladies au cours d'une même année qui rend la situation plus inquiétante.

Le commerce occupe une grande place dans les activités des femmes paysannes de la 2e Section Lociane, mais le métier agriculteur est général dans la région. Selon Bastien (ibid.), le paysan apprend non seulement à manier de la houe et de la faucille mais aussi quand, et comment semer, nettoyer le terrain et procéder à la récolte.

1.4.2.-Grille d'observation

TABLEAU 1 : DÉMONSTRATION DES INDICATEURS SOCIO-ÉCONOMIQUES DE LA 2E SECTION LOCIANE

Grille d'observation des localités : Boc Banic, Savane Mulâtre, Terre Blanche, Nan Croix, Carrefour Suzely, Malary et Don Diègue 2

 

Disponibilité

Fonctionnalité

Accessibilité

Eau potable

Dinepa à Boc Banic, un puits artésien à Malary et à Nan Croix. Les autres localités n'ont pas d'eau potable

La distribution d'eau se
fait 10 jours/mois à Boc
Banic. Les pannes sont

fréquentes avec les

puits à traction
humaine.

Un nombre réduit dispose
de l'eau à Boc Banic. Un
horaire drastique indispose

une large population à
Malary et à Nan Croix

Infrastructure routière

Les routes sont en terre

battue. Sauf que le
bitume de la route de

Même en temps sec, les

routes sont
difficilement

Le bitume de la route de Cerca-la-Source arrivant à

Garde Salnave aménage

 

50 La volaille importée par la Haïtiens sur la frontière est cette qualité de poule appelée mannil ou glinn par les paysans d'ici, de couleur blanche en général.

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Cerca-la-Source arrivant

à Garde Salnave
aménage une partie de la route de Boc Banic.

praticables voire en

saison pluvieuse.

une partie de la route de Boc Banic dont le reste

est en terre battue mais

praticables pour les

véhicules robustes et les
motocyclettes.

Centre de santé

À Boc Banic il y a un centre de santé de MSPP. Les autres localités n'en disposent pas.

Le centre de santé

fonctionne à minima.

La distance éloignée des autres localités par rapport à Boc Banic rend le centre de santé qui s'y trouve quasi insignifiant pour elles.

Électricité

Aucune trace de la

compagnie de
l'Electricité d'haïti dans la 2e Section de Lociane.

Il n'y a pas de trace de

projet d'électrification
de la zone

De façon isolée, des

Personnes possèdent des
énergies alternatives à

Boc Banic.

Encadrement agricole

Pas de bureau de services techniques agricoles ni de crédit agricole

Aucune initiative n'est relevée en ce sens.

Aucun cultivateur n'a fait état de disposition de crédit agricole.

Source : Frantz Isidor en fonction du travail de terrain en date de 26 au 30 décembre 2022

 

Les images des photographies (photo 3), présentées à la page suivante, démontrent quelques types d'habitat où demeurent des paysans dans les localités telles que Malary, Carrefour Suzely et Savane Mulâtre.

Il s'agit de montrer les types de petites baraques couvertes en tôle, clissées, enduites de boue d'argile. Ce sont les principales caractéristiques des logements du milieu rural de la 2e Section Lociane. Il est loin d'y voir un modèle d'architecture à négliger. Nous pouvons plutôt en imaginer des modèles aménagés. La construction de ces logements ne comprend pas de latrines et de douche. À deux ou trois pièces, ils abritent des familles de sept (7) personnes au moins.

PHOTO 3: TYPE D'HABITAT OÙ VIVENT CERTAINS PAYSANS DANS LA 2E SECTION LOCIANE

Source : Prise photographique de Frantz Isidor en décembre 2022

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1.5.-Contrainte sur le terrain de recherche

Nous avons bien pris soin de ne pas tomber dans les situations apparemment les plus faciles à observer. Nous avons donc insisté à rencontrer un grand nombre de personnes pour pouvoir réaliser des entrevues avec elles. Les entretiens se sont déroulés dans une atmosphère de convivialité avec des paysans qui constituent des informateurs-clés. Des leaders communautaires ont manifesté un grand intérêt à cerner les contours de notre démarche. Des jeunes gens ont aussi montré leur attention. Malgré tout, des personnes dont des femmes ont surtout décliné nos sollicitations à des entretiens. Comme nous l'avons tantôt évoqué, la réticence de certains paysans vient en grande partie de la méfiance des étrangers. Mais le budget disposé n'aurait pas permis de prolonger la durée des déplacements pour réaliser beaucoup plus de travaux sur le terrain. Vu ces contraintes, nous avons convenu de bien utiliser les faibles moyens du bord pour apporter le maximum de rendement en termes de résultats de recherche.

Le cadre conceptuel et méthodologique a caractérisé l'orientation des réflexions qui sont produites dans l'application des concepts. La démarche substantielle tend à conjuguer des assertions théoriques avec des données empiriques pour asseoir une analyse objective sur les conditions socio-économiques des paysans de la 2e Section Lociane. Ce travail a rendu toute l'importance d'une observation qui a abordée les points marquants ayant permis d'établir le panorama de la situation de l'étude dans les principales composantes des conditions socio-économiques des paysans des différents milieux considérés dans la 2e Section Lociane.

Dans le prochain chapitre, un schéma classique se dessine dans la contextualisation de la présente recherche afin de mettre en relief la position géographique particulière de la zone frontalière de la 2e Section Lociane qui en détermine un point crucial d'intérêt. Il sera également question de montrer l'étendue des besoins généraux des paysans de la zone dont résulte l'importance des réflexions sur les stratégies de développement qu'il est possible d'implémenter dans cette partie du pays.

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