La dynamique de la géopolitique internationale traduit
fort bien la condition d'autonomie de gestion d'un État. Celui-ci se
déclarant indépendant expressément ou tacitement est la
principale source de la création de frontière. La
réalité des frontières est dynamique. La limologie
désigne le domaine d'études des conflits et
représentations délimitatives des frontières. De
manière conventionnelle, les frontières se décomposent en
dyades - « frontières communes à deux États » -
faites de segments. Elles sont des constructions sociales et politiques.
Hormis des considérations sur les récentes
avancées dans le conflit mettant aux prises la Russie et l'Ukraine qui
affectent du moins temporairement, depuis 24 février 2022, le panorama
de la géographie des frontières où la carte des
frontières du monde était relativement stable depuis trois
décennies. En 1989, le monde était scindé par 264 dyades
et 232,106 km de frontières, et en 2020, par 311 dyades et 261,570 km de
frontières. Ce phénomène est complexe, compte tenu des
rapports internationaux qu'il renferme.
La gestion de la frontière est abordée dans ses
spécificités qui relèvent des aspects nationaux et
internationaux de l'espace territorial. La prise en charge du contrôle de
cet espace engage plusieurs niveaux de responsabilités qui s'activent
dans la gestion spécifique des intérêts stratégiques
que représente ce milieu. C'est ainsi que le rôle des agents
locaux des collectivités devient un pallier important dans le dispositif
global de la gouvernance d'un pays. Avec le transfert, le partage ou l'octroi
de compétences aux collectivités territoriales qui s'effectuent
dans la cohérence de l'unité étatique, la gouvernance se
régionalise. Les autorités locales autonomes sont donc astreintes
à des normes de gestion. Elles disposent des ressources qui leur sont
propres. Elles sont aptes à créer des droits et redevances pour
augmenter les recettes fiscales et concourir à des règlements
pour élargir l'assiette fiscale. Concernant la 2e Section
Lociane, l'importance des acteurs locaux s'accroît avec le volume
grandissant des activités transfrontalières qui s'enclenchent
dans la dynamique économique globalisante qui s'y réalise.
Mais la question traitée ici ne s'intéresse pas
à l'aspect de la globalisation. Il est justement utile de
préciser à titre de rappel que la question de la frontière
est un point important dans cette recherche. C'est à partir du milieu
frontalier que repose toute la concentration des activités
économiques qui contribuent à l'occupation de la majorité
des paysans haïtiens dans la zone frontalière de la 2e Section
Lociane.
72
Ainsi, le travail en fond d'écran consiste-t-il
à soulever les points de conjonction qui cristallisent l'influence des
puissances occidentales dans les rapports d'échanges avec les deux pays
institués par des pratiques disproportionnées par ordre de
traitement. Cela constitue la toile de fond des relations internationales par
rapport à Haïti et la République Dominicaine. Mais cette
situation offre aux Haïtiens une occasion bien propice qu'ils peuvent
profiter pour faire une autocritique constructive. De même, ils pourront
essayer de se mettre en état de compaison avec les Dominicains. Mais
avant tout, il y a lieu de comprendre certaines théories du
phénomène. Alors, il s'agit de retracer les différentes
approches théoriques qui concernent la frontière, en
général, en vue d'arriver à la particularité de la
frontière entre Haïti et la République Dominicaine dans sa
position géographique au niveau de la 2e Section Lociane.
3.1.-Différentes théories sur la
thématique de la frontière
Les théories indiquent des idées qui sont
développées dans la compréhension d'un
phénomène social. La notion de frontière a connu une
évolution assez spectaculaire avec le temps pour partir d'une conception
traditionnelle en passant par une conception moderne pour atteindre des
approches post-modernes. Ces dernières, étant donné leurs
plus grandes vues sur les différents aspects qui composent le
phénomène de la frontière, servent péremptoirement
de support théorique dans cette étude. L'intérêt se
traduit par le point de vue de la sécurité de la frontière
qui permet de contrôler cet espace. Il s'agit de maîtriser les
paramètres des échanges commerciaux et autres qui constituent des
facteurs importants des conditions socio-économiques. Il en
résulte que les théories sur la frontière fournissent un
guide de compréhension des différentes exploitations qu'elle peut
être l'objet. De plus, c'est dans la perspective de l'application de ces
différentes théories que notre recherche a interrogé sur
les représentations que les paysans se font de la zone
frontalière dans les entretiens avec les informateurs-clés sur le
terrain.
3.1.1.-Approche traditionnelle de la notion de
frontière
L'approche traditionnelle du phénomène
frontière conduit à projeter un regard sur la théorie
d'Henry Dorion (cité dans Grenier, 1964) qui consiste à :
décrire formellement et objectivement la ligne frontalière
elle-même en faisant référence aux données
juridiques et politiques ; décrire la région où s'inscrit
cette ligne frontière en se référant aux données
historiques, économiques et géomorphologiques ; enfin,
établir les relations qui se tissent autour de ces données au
regard de
73
la géographie. Cette approche ne permet pas de saisir
toute la complexité de la nouvelle réalité qui s'y
développe. Aussi, l'évolution considérable qu'a connue le
phénomène frontière nous amène-t-elle à
considérer d'autres conceptions qui concernent la période moderne
avec plusieurs autres approches.
3.1.2.-Considération sur l'approche moderne du
phénomène de frontière
Le phénomène de frontière s'explique
dans ce courant sur des aspects plus variés. Cette matière
fournit assez d'éléments qui permettent de confronter une
démarche assortie de différentes conceptions de nombreux auteurs
produisant sur la thématique de la frontière. En ce sens,
Breugnot (2012) affirme que la frontière joue des fonctions multiples
dans de différents aspects allant du cas personnel à l'espace
d'enjeux publics internationaux du point de vue politique et économique.
La complexité subsiste du fait que la frontière renferme des
éléments de dimension politique d'autant qu'elle constitue un
espace économique générateur de ressources. Cependant,
elle demeure un phénomène social au regard de la vie, d'histoire
et de mémoire caractérisant sa dimension sociologique, sociale,
culturelle, symbolique ou imaginaire. Le caractère géopolitique
de la frontière se détermine dans la ligne ou la zone qui culmine
la jonction du territoire d'un État à un autre État
constituant des entités politiques indépendantes69.
La construction de l'Europe, après la seconde guerre
mondiale, engendrait la notion d'espace frontalier qui offrait un tableau
spatial voué spécifiquement à diminuer la fonction
historique des frontières qui consistait à différencier
officiellement deux populations ayant été
caractérisées par leur appartenance nationale, linguistique et
culturelle. D'une manière à susciter la quête de
compréhension sur le fait que des populations vivent à quelques
kilomètres l'une de l'autre et persistent à se considérer
comme parfaitement étrangères les unes aux autres. En ce sens, la
réalité de la proximité ne simplifie pas
nécessairement la communication à cause de la complexité
de la psychologie humaine définissant les charges émotionnelles
résultant de l'histoire ancrée dans les traits culturels et les
rapports d'identité.
69 Cette indépendance peut concerner des
états dans un même territoire. On parle alors de frontières
internes. C'est le cas pour la Suisse et le Canada qui tiennent au fil d'une
pression politique visant à maintenir une cohésion minimale en
vue d'écarter l'option séparatiste.
74
De l'avis des auteurs Dubois et Rérat (2012), le cours
de l'histoire a beaucoup contribué à redéfinir les
frontières nationales. Certes, leur trace reste plus ou moins statique,
mais leurs rôles et fonctions ont subi des évolutions dynamiques
par rapport aux contextes historiques, politiques, économiques et
sociaux durant le XXe siècle où de profondes mutations
géopolitiques et économiques se sont produites dans le monde. La
mondialisation s'implante en comprimant l'espace-temps tout en libérant
la circulation de flux de capitaux, de personnes, d'informations et de
marchandises. Alors, la frontière, par les pratiques des habitants qui y
vivent, signifie de nouvelles perspectives qui contribuent à en
redéfinir.
Ces auteurs conçoivent aussi que la frontière
est une composante territoriale remplissant des fonctions de
délimitation de souveraineté entre États,
possibilité de contrôler la circulation qui s'y fait,
défense du territoire national. L'accomplissement de ces fonctions
participe à la construction d'une identité nationale.
Assimilée à un binôme barrière/interface et
coupure/couture, la frontière dispose d'un ensemble de règles, de
normes et de procédures qui régulent et contrôlent leurs
effets sur les acteurs sociaux, politiques et économiques dans une
construction politique évolutive qui interagit avec le
développement territorial des régions frontalières (partie
déterminée de la frontière) et les pratiques spatiales de
leurs habitants.
Encore Dubois et Rérat (2012) estiment-ils que la
frontière place la distance dans la proximité entre deux
États différents dans leurs systèmes institutionnels qui
peuvent disposer souverainement des modalités de circulation sur
l'espace frontalier. Il existe une réalité qui atteste
l'incapacité du pouvoir central à faire respecter son ordre
juridique sur ses frontières parce que celles-ci sont devenues l'objet
de contrebandes de tout genre à cause du degré de leur
porosité. Encore que les NTIC défient-elles toute
législation et les frontières des États et rendent
incontrôlables les flux d'échanges d'information que les
États veulent souscrire.
3.1.3.-Préférence accordée à
l'utilisation des approches post-modernes de la frontière
La responsabilité de l'État et des agents
locaux s'engage dans la gestion (politique, sécuritaire,
économique, etc.) de l'espace territorial. La préférence
accordée aux approches post-modernes se justifie dans l'importance de la
sécurité et du contrôle dans la limologie. En cette
matière, l'identification du responsable de la sécurité
est capitale. La sécurité recouvre : la macro-région,
l'État ou ses parties. Le rôle symbolique de la
sécurité d'une frontière, des images et du discours
75
contemporain joue beaucoup dans sa perception70. En
référence aux approches considérées postmodernes,
il s'agit aussi de chercher à comprendre la position
hégémonique que les autorités dominicaines se font dans
leur conduite. À tel point qu'elles se donnent des motifs pour imposer
une clôture qu'elles sont en train de construire sur la frontière.
Par ailleurs, il est évident qu'à travers le monde, le
développement des échanges économiques et culturels tend
à amoindrir la rigidité absolue des frontières.
La présente étude aborde avec privilège
un article de Dressler(2007) traitant des approches postmodernes qui se
convergent dans une théorie de la sécurité
frontalière. Cette théorie strictement sécuritaire
découlant de la période post-moderne est considérée
sur un territoire déterminé. Ses différentes parties
recoupent l'identification des gens qui en est une appréciation
symbolique. Elles intègrent également une identité
ethnique et nationale71. La notion de sécurité
nationale se familiarise aux représentations des frontières qui
se confondent à l'utilisation de l'appareil policier de l'État
pour assurer cette sécurité. Les zones de frontière sont
acceptées comme des frontières naturelles pour les
gardes-frontières, les services de douane et les concentrations
d'unités militaires, spécialement dans les endroits perçus
comme menacés par l'opinion publique. Dans sa complexité, la
sécurité 72 renferme plusieurs subdivisions de types :
la sécurité militaire, économique, politique et
environnementale, etc. Concernant la 2e Section Lociane, l'absence
de contrôle est un fait qui expose le pays à tout type de menace
qui peut provenir de la République Dominicaine. Les routes qui passent
par Nan Croix, Baranque et Savane Mulâtre conduisant à la
frontière sont libres de tout contrôle du côté
haïtien. Elles sont souvent empruntées par des criminels, notamment
les voleurs de bétail qui opèrent dans cette zone. Des paysans
ont été assassinés à Savane Mulâtre au cours
du mois d'octobre 2022 par des hommes qui sortaient de la frontière. Et,
ils s'y sont repartis après la perpétration de leur acte
meurtrier en toute quiétude. La présence de la police nationale
d'Haïti se manifeste seulement à Boc Banic qui détient la
voie de communication en terre battue la plus appropriée pour atteindre
à la frontière. Cependant, les rivières Lociane et
l'Artibonite à traverser ne disposent pas de ponts de passage. (Voir
Annexe 2).
70 Ainsi, Paasi(1996) et Aolto(2002) pensent-ils qu'en
dépit des conflits historiques entre la Suède et la Finlande, les
représentations sociales concernant leurs frontières sont
positives, alors que la frontière de la Finlande avec la Russie est
perçue comme une source d'immigrants illégaux, de
criminalité, de pollution et autres menaces.Cf. [Camille Dressler «
L'approche des frontières du point de vue de la
sécurité» publication en date de 01/12/2007|En ligne
sur www.cairn.info, site consulté le 14/02/2023].
71 Nous pouvons considérer Sebastopol en
Russie et le Kossovo en Serbie sont de tels territoires symboliques
72 Dans son acception étendue, la sécurité
renvoie à celle des systèmes vitaux et l'absence de menace sur la
vie des habitants et sur leurs activités.
76
La prévention de la menace militaire échafaude
le socle primaire de l'interprétation traditionnelle du rôle des
frontières étatiques dans la question de la
sécurité nationale. La priorité accordée à
l'efficacité de combat militaire en vue de repousser l'agression d'un
ennemi potentiel détermine le régime spécial des zones
militarisées engendrées par des zones frontalières. La
sécurisation d'une zone frontalière entraine le maximum de
contrôle sur les flux frontaliers. Les individus, les marchandises ou les
informations indésirables, etc., sont maitrisés,
contrôlés, bloqués ou laissés passer devant la ligne
frontalière du territoire d'État. La frontière qui permet
de remplir facilement le contrôle du flot transfrontalier est
généralement moins dense et par conséquent,
l'activité économique y est stagnante. L'approche basée
sur la sécurisation de l'État exige que cette fonction lui soit
dévolue et que les intérêts sécuritaires des
régions frontalières s'intègrent dans ceux de
l'État lui-même. La géopolitique détermine donc la
géo-économie.
Il y a une pluralité de vue des frontières dans
les études post-modernes. On priorise le cas où tout le
territoire de l'État est impliqué dans les échanges
commerciaux qui rendent particulièrement ces régions
frontalières des attractions de croissance économique et des
centres d'innovation. Il y a une perspective de déboucher sur des
agglomérations urbaines, zones industrielles, etc. Il peut aussi en
résulter des mariages ethniques et des changements de structure ethnique
et identitaire dans la population en termes de donnée
démographique et sociale dans ces régions frontalières.
Lorsque la confiance s'accroit mutuellement les préjugés
stéréotypés disparaissent. Cette situation permet l'emploi
des méthodes modernes de contrôle
télécommandé au lieu d'en tenir aux moyens traditionnels
de contrôle. Aussitôt qu'il y ait un changement dans la perception
de menace de la sécurité nationale ou régionale. Il s'agit
de supposer de l'efficacité des forces militaires à conjurer tout
danger. Mais, il est une constante que seules les forces militaires ne peuvent
arrêter l'immigration illégale, les trafics de drogues et d'armes,
les risques d'épidémies, de pollution transfrontalière et
de désastres environnementaux globaux. Alors, l'économie est
terriblement affectée et la société est
dérangée avec la persistance de l'emploi des méthodes
traditionnelles dans le contrôle des flux transfrontaliers croissants.
L'une des méthodes privilégiée de nos jours est la
coopération étroite entre les États voisins. Elle requiert
de la confiance mutuelle73. L'approche post-moderne de la
sécurité des frontières interpelle la contribution des
gouvernements dans le développement de la coopération
transfrontalière au niveau des autorités locales. Les
intérêts
73 La notion de confiance mutuelle renferme une
opération conséquente de dé-militarisation des zones
frontalières et l'ouverture des frontières
(dé-sécurisation).
77
spécifiques des zones frontalières ne peuvent
plus longtemps être restés ignorés par le pouvoir central
qui dès fois fait obstacle à la coopération
régionale qui intègre désormais la sécurité.
Cette théorie insinue le rôle prépondérant des
initiatives des autorités locales dans la gestion de l'espace
territorial. Elle démontre aussi l'importance de la
décentralisation qui s'exprime dans sa teneur dévolutive.
3.1.3.1.-Approche systématique de la
défense des frontières
Cette approche entend élaborer un plan pour la
défense de tout le territoire du pays en même temps que les
frontières. Le combat s'engage donc contre l'immigration illégale
et le trafic de drogues au-delà des mesures défensives au niveau
des frontières74. L'espace s'étendant sur les
régions intérieures en plus de la zone du long des lignes
frontalières contribue au développement du transport des
échanges commerciaux et des communications pour créer des
frontières au- dedans du territoire de l'État...
Les acteurs locaux et internationaux sont interpellés
à partager la responsabilité de la sécurité
frontalière au côté de l'État. Car, il n'est pas
question de se leurrer à prévenir à toutes les
éventualités, mais le mieux est de se préparer à
réagir promptement le cas échéant, d'une manière
flexible et appropriée.
La vie réelle présente d'autres vues à
l'application idéaliste des recommandations post-modernes. L'inertie des
vues traditionnelles, la culture géopolitique, les impératifs de
construction de l'État et de la Nation, sont en quête de
renforcement opéré par le rôle symbolique des
frontières, le caractère même de l'espace frontalier et
d'autres facteurs géopolitiques75.
3.1.3.2.-Approche discursive des frontières
comme représentations sociales
Le discours et les représentations sociales
intègrent des valeurs en soi, des fonctions des frontières et
souventes fois concernant leur démarcation. Les études de la
limologie s'en intéressent donc.
74 À l'appréciation des
données de Prozrachnye Granitsy(2002), (cité dans Dressler,
2007), au niveau international, seulement 5 à 10% du trafic de drogues
sont susceptibles d'être interceptés dans les points de passages
officiels. C'est pour cette raison qu'il convient de s'attaquer aux sources de
ce trafic -les organisations criminelles internationales. Il s'agit de faire
preuve d'attitude d'ouverture pour rendre la transparence de l'information sur
le flot transfrontalier avec la possibilité d'un audit international et
le télé-contrôle via les technologies modernes (Lalliner,
2001 ; Moisio, 2002).
75 Les processus d'intégration dans les
nouveaux Etats indépendants de la CEI avancent souvent dans deux
directions : Ils essayent de combiner l'aspiration à
l'intégration à la grande Europe avec les relations stables avec
le Russie. Mais ils sont souvent obligés de choisir soit l'UE, soit la
Russie ; soit les frontières relativement transparentes avec les
nouveaux membres ou les pays candidats de l'UE, soit avec la Russie. Les
frontières européennes et les frontières politiques et
administratives dans l'espace post-soviétique forment en fait un
système intégré. En fait, la transparence de
l'énorme frontière entre la Russie et le Kazakhstan ne fait pas
bon ménage avec l'ouverture des frontières occidentales, plus
particulièrement les frontières frontales. Cf. [Camille Dressler
(ibid]).
78
La théorie de la géopolitique
critique76 désigne une géographie haute et une
géographie basse. La première, décomposée en
géopolitique théorique et pratique, embrasse un champ de
politiciens et d'experts par la création des concepts tentant d'estimer
une haute représentativité de leur contrée au niveau
international.
La géopolitique basse recoupe l'ensemble des
représentations géopolitiques, de symboles et d'images dans les
médias, etc. C'est le socle visionnaire de la géopolitique
mondiale. La construction de l'État s'y rejoint un élément
d'identité politique et ethnique et un outil d'action. L'espace
politique comprenant la sécurité nationale et des menaces, les
avantages et désavantages d'une stratégie spéciale dans
les relations internationales forme les représentations des relations
constitutives de la vision géopolitique77 mondiale. Les
différents groupes sociaux interprètent à leur sens le
rôle des frontières. Un phénomène mythique couvre
alors les représentations des frontières pour la plupart des
groupes. L'identité politique et ethnique dérive donc des
représentations78 des frontières. Le renforcement de
régime des nouveaux États indépendants se réalise
dans le rôle symbolique des frontières79.
3.1.3.3.-Le rôle fonctionnel de l'approche
politique-pratique-perception dite approche `PPP'
Cette approche fait une synthèse de différentes
approches traditionnelles pour rejoindre les valeurs pratiques de l'approche
fonctionnelle80. Des niveaux spatiaux différents provoquent
l'analyse combinée de cette approche qui s'avère importante de
:
1) relever les flux transfrontaliers propulsés par la
frontière en se concentrant sur les réseaux d'affaires
frontalières de l'ensemble des acteurs sociaux ; 2) considérer
les facteurs des flux
76 La notion de géopolitique critique est
développée par Toal(1996) et d'autres auteurs, Cf.[Camille
Dressler(ibid.)]
77 Selon Djikink(1996), Taylor et Flint(2000), repris dans
l'article de Camille Dressler, cette vision regroupe également les
représentations du territoire des groupes ethniques ou de la nation
politique et leurs frontières, les modèles d'Etat idéal,
la mission historique et les forces prévenant sa réalisation. De
même d'après Kolossov(1996) cité par Camille Dressler,
cette vision provenant de l'histoire et de la culture nationale, est une
synthèse des vues véhiculées par différents strates
de l'élite politique, les experts académiques, l'intelligentsia
des créateurs et l'opinion publique générale.
L'activité du gouvernement est légitimée par
l'équivalence de la géopolitique haute et basse.
78 Il importait pour les dirigeants politiques
d'Europe centrale et orientale de présenter leur frontière
à l'échelle globale comme les démarcations entre l'est et
l'ouest, comme frontière européenne à l'échelle
macro-régionale et de présenter, à l'échelle
locale, les frontières naturelles de leur groupe ethnique comme des
frontières historiques ; ou à l'inverse, comme résultat de
compromis sages mais difficiles à réaliser au nom de la
stabilité internationale (Berg et Oras, 2000 ; Moisio, 2002).
79 Les frontières des pays baltes avec la Russie sont
ainsi interprétées comme les limites entre l'ouest et l'est,
l'Europe civilisée et l'Asie `Barbare`. Il s'agit d'une
dynamique très politisée des rapports entre la Russie et ses
voisins dont les intérêts de coopération frontalière
seront toujours mis à mal en fonction de la haute géopolitique.
C'est ainsi qu'en ex-URSS, l'attitude sacrée envers la frontière
de l'Etat est profondément inscrite dans la conscience collective
(Kolossov, 2003).
80 Selon Henri Lefebvre, une pratique sociale
découle de la frontière qui représente plus qu'une
institution légale visant à assurer l'intégrité du
territoire de l'Etat. S'y ajoute le résultat d'un long
développement historique et géopolitique, un décisif
symbole d'identité ethnique et politique.
79
transfrontalier et la connexion fonctionnelle
barrière/contact qui engendrent la capacité des États dans
les stratégies de leurs autorités locales ; 3) entendre à
l'interdépendance entre les activités frontalières, la
perception81 des frontières et leurs infrastructures
institutionnelles et légales.
Cette approche tenant compte du comportement des
individus82 dans la zone frontalière relève surtout de
la théorie traditionnelle. Il en résulte que la zone des cycles
de vie humaine s'en transforme également. Idéalement, cette zone
adopte la forme des cercles concentriques reflétant l'affaiblissement
avec la distance, des contacts d'individus avec son lieu d'origine. Certains
critères personnels s'ajoutant au développement des transports,
des facteurs politiques et légaux contribuent à former cette zone
des cycles de vie qui montre un aspect différent des autres
régions du territoire national. Les personnes les mieux
éduquées se rapprochent le plus aux structures étatiques
que celles les moins éduquées. Les comportements des individus et
ces zones des cycles de vie sont des variables déterminées par
les facteurs internes subordonnés à la proximité de la
frontière.
Ces facteurs internes recoupent les conditions
socio-économiques autant que les restrictions administratives et
légales. L'association des gens aux intérêts de leur groupe
ethnique, des citoyens à leur État et des habitants à leur
région ou à leur proximité joue un rôle
prépondérant dans l'identité ethnique et nationale. Dans
le cas de la 2e Section Lociane, cette approche `PPP' permet de
comprendre les relations personnelles que les Dominicains et les Haïtiens
se développent dans leurs rapports de proximité.
3.1.3.4.-Détermination structurelle de
l'approche Eco-politique
Les considérations sur les frontières sociales
ne relèvent pas des processus naturels. Les frontières
administratives ou politiques agissent sur les montagnes, les bassins fluviaux
83 , les zones ornithologiques ou poissonneuses, les monuments de la
nature, les mers intérieures et autres
81 Selon Scott(2000) et Van Houtum(1999), la «
perception de la frontière dans son caractère, son
évolution et les canaux d'influence des représentations sociales
relatives aux frontières, régions frontalières, relations
entre États et régions voisines, coopération
frontalière et discours spécifique des géopolitiques
hautes et basses »Cf [Camille Dressler (ibid.)]
82 C'est ainsi que l'approche PPP, selon
Lunden(2000), Lunden et Zalamans (2000), est considérée proche de
la théorie du comportement humain dans les zones de frontières.
John House(1987), estime qu'elle est apparentée aux approches
post-modernes et à la théorie fonctionnelle. Cf [Camille Dressler
(ibid.)]
83 Les bassins fluviaux représentent des
régions naturelles étroitement intégrées qui, en
même temps, représentent la base d'habitation et de transport. Ils
déterminent souvent les frontières entre les territoires
créés historiquement et les communautés culturelles. Mais
les problèmes d'utilisation de l'eau, des ressources biologiques et
énergétiques sont des sources classiques de conflits frontaliers
internationaux.
80
régions naturelles qui y sont souvent divisées.
D'autant plus que les dépôts de minéraux connaissent le
sort partagé entre plusieurs unités politiques.
La diffusion des polluants dans l'air et dans l'eau se
réalise à travers le milieu naturel relevé des
régions naturelles intégrées84.
3.1.3.5.- Imaginaire d'un monde sans
frontières
Le courant de pensées néo-libérales
véhicule une libération de l'économie, le
développement des nouvelles technologies de l'information et de la
communication et une prospérité croissante débouchant sur
l'ouverture graduelle plus intégratrice des frontières politiques
au lieu de leurs formes aliénantes actuelles. La nécessité
de coopération internationale pour résoudre les problèmes
environnementaux et énergétiques à l'échelle
planétaire convainc à l'effet de telle option. Des lois
internationales faciliteront plus aisément des solutions aux conflits
frontaliers. Les contradictions à ce propos seraient surmontées
avec la séparation des fonctions économiques et
idéologiques85 des frontières. L'unanimité ne
se dégage pas autour du paradigme d'un monde sans frontières,
parce que dans les régions où les processus d'intégration
sont très avancés, les frontières demeurent encore une
barrière. En Amérique du Nord et en Europe où se
répartissent généralement des démarcations
pacifiques, intégratrices, ouvertes, internationalement reconnues, cette
idée pourra s'appliquer plus facilement que dans d'autres continents
tels qu'en Asie et en Afrique où subsistent les conflits 86
potentiels frontaliers. D'ailleurs, toutes les régions du monde bercent
des mouvements nationalistes. La loi internationale bute à de nombreuses
contradictions qui touchent au droit illimité des peuples à
l'auto-détermination et à l'intégrité territoriales
des pays souverains et à l'inviolabilité de leurs
frontières. Autant d'obstacles qui mettent ainsi à mal
l'idéal néo-libéral à ce sujet. Cette
réalité de point d'obstacle n'échappe pas à la zone
de frontière de la 2e Section Lociane qui présente
différents points de contrôle du côté dominicain. La
partie haïtienne
84 Les travaux de Young(1997) et
d'autres chercheurs (cités dans Dressler, 2007) révèlent
l'incitation à la coopération internationale et avec elle les
coopérations frontalières dans la recherche de solution des
problèmes environnementaux à l'échelle régionale et
globale. Des chercheurs en sciences politiques spécialistes des
relations internationales et des géographes physiques se concentrent sur
l'étude des problèmes d'environnement et de politiques
transfrontalières.
85 A ce propos Ohmae (1995), Prescot(1999) pensent que «
l'excès de nationalisme ainsi qu'un droit illimité des peuples
à l'auto-détermination doivent être dépassés
grâce à la démocratisation en profondeur et en largeur.
» Wu Chung-Tong(1998) souligne que l'optimisme se dégage du
développement rapide des coopérations transfrontalières
entre les régions du monde par des modèles identiques.
86 L'Europe et l'Amérique du Nord disposent
des frontières au sol qui représentent 5% de longueur entre les
Etats, alors qu'en Afrique, 42% de longueur des lignes frontalières sont
tracées sans aucunes considérations des réalités
sociales. La période colonialiste des Français et des
Britanniques en a imposé 37% sur le seul motif de partage territorial.
Cf [Camille Dressler, idem]
81
correspond mieux à cet idéal de frontière
libre dans les seize points non contrôlés par l'administration
douanière haïtienne.
3.2.-Question de la délimitation de la ligne
frontalière Haïti-République Dominicaine
La question de la délimitation de la frontière
Haïti-République Dominicaine s'inscrit dans la démarche de
la recherche de la vérité historique et sociologique qui peut
permettre de saisir les évènements qui ont accouché la
frontière de l'île Hispaniola.
Le cours de l'histoire montre bien comment s'est
évoluée cette île qui a été l'objet de
découverte87 par Christophe Colomb pour le compte d'Espagne,
en 1492, d'où provient sa dénomination Hispaniola (Isla
Hispagnola) : petite Espagne. La population autochtone - composée
de Tainos, Ciboneys88 et d'Arawaks, l'ayant appelé Haïti
(Ayiti), Quisqueya (Kiskeya) ou Bohio, repartie en
cinq caciquats ou royaumes : le Marien89, le Xaragua, la Maguana, la
Magua et le Higuey - y sera presque totalement décimée en
quelques décennies (C. Lespinasse, 2020, p.68). L'occupation de
l'île connaitra des mouvements qui donneront lieu à la domination
des Espagnols en débutant la traite négrière en 1503 avec
Nicola Ovando. Et puis, l'intrusion des corsaires français au cours de
1625 dans la côte occidentale déterminera un état de fait
de rivalité grandissante entre les puissances européennes,
notamment celle entre l'Espagne et la France conduira à un partage qui
marquera le début du processus de différenciation de domination.
Il se produisit un phénomène de coïncidences existentielles
de ces deux puissances sur l'île. Celles-ci orienteront leurs espaces
territoriaux dans des choix différents sur les plans social,
économique et politique. Cela constitue une donnée
socio-historique qui démontre et/ou détermine la valeur
anthropologique des deux peuples sur la même île. Et par-dessus, il
en résulte un complexe institutionnel de deux Républiques avec
deux peuples bien distincts dans leurs moeurs et coutumes dont une
frontière étanche s'établit entre eux en des circonstances
particulièrement singulières.
87 Le concept de conquête convient mieux pour rentrer dans
la logique de Laënnec Hurbon dans son papier : le Barbare imaginaire,
Les éditions du cerf, Paris, 2007, p 8.
88 Benoit Joachim a fait mention de cette
couche raciale parmi les habitants primitifs de l'île d'ayiti en 1492
dans son ouvrage intitulé : les racines du sous-développement
en Haïti [1979].Editions de l'université d'Etat
d'Haïti. Port-au-Prince, 2014, p98.
89 La distribution territoriale des naturels de
l'île Ayiti en cinq caciquats ou royaumes est une illustration qui
détermine que la puissance d'un chef (cacique) sur une spatialité
et ses sujets. Le marien représente l'actuelle région du
Nord-ouest, gouverné par Guacanagaric, il acceuillit Christophe Colomb;
le xaragua, représente la partie de l'Ouest occidental jusqu'à
l'actuelle pointe de Tiburon dont le centre de pouvoir était à
Léogâne avec Bohecio et sa soeur la reine d'Anacaona à
l'arrivée des espagnols ; la maguana, gouvernée par Caonabo,
s'étendait dans la région centrale d'une partie de l'Artibonite
au Centre échouant dans les hauteurs de San Juan rejoignant les lieux de
Barahona ; la magua comprenait la partie nord-est jusqu'à la baie de
samana à l'océan atlantique, dirigée par Guarionex; enfin
le higuey couvrait la partie extrême orientale baignant sur la mer
atlantique, dirigé par Cayacoa. Ces deux derniers caciquats
étaient situés la partie orientale de l'île, la
République Dominicaine.
82
3.2.1.-Rapports Haïtiens et Dominicains
Les peuples partagent des élans de solidarité
et de rapprochement dans toute situation qui interpelle les raisons objectives
et subjectives de leurs intérêts. Les considérations
socio-historiques façonnent bien des traits dans le comportement des
peuples. Mais les intérêts économiques sont d'une
importance capitale dans la gestion des rapports entre des peuples. En
substance, les deux peuples de l'île Hispaniola fonctionnent ensemble
dans un esprit de solidarité, de coopération et d'entente pour
développer des échanges commerciaux et autres en dépit de
la frontière qui les sépare.
La frontière représente un point de jonction
entre ces deux peuples qui regorgent autant de différences de par la
culture, la langue et la législation. Les Dominicains manifestent un
plus grand penchant pour laisser la zone frontalière en direction des
villes urbaines, alors que les Haïtiens, eux, ont tendance à s'y
rapprocher en vue de profiter des opportunités économiques et
commerciales de l'espace frontalier et bénéficier des services de
bases qui font défaut dans leur contrée. En fait, Haïti ne
fournit pas assez de services de base aux habitants de la zone
frontalière.
Selon Lamothe (2008, p. 146), entre les habitants qui vivent
dans la zone frontalière et les autorités politiques, il existe
un grand écart d'appréciation de la ligne frontière. Cette
ligne frontalière que les administrations politiques tendent à
surveiller est une ligne imaginaire. Les habitants des deux côtés
s'entendent pour vivre ensemble, ils font du commerce et partagent des traits
culturels en commun. Mais cette considération est nuancée par
d'autres auteurs qui décrivent clairement le sentiment anti-haïtien
se propageant dans certains milieux sociaux en République
Dominicaine.
Selon Alexandre (2009), il reste un fait qu'un fort sentiment
anti-haïtien s'intensifie avec des actes de violences contre les
Haïtiens en République Dominicaine. Par ailleurs, depuis
après les années 1990 du coup d'État et de l'embargo, il
se réalise un important développement de réseaux de
transport entre les deux pays, trouvant un relais de progression avec
l'ère des nouvelles technologies de l'information et de la communication
qui constitue un moyen de communication de masses nécessaires à
faciliter l'extension des échanges commerciaux. D'autant plus qu'un
nombre croissant d'étudiants haïtiens investissent les centres
d'enseignement supérieur en République Dominicaine. En outre, il
se développe un réseau touristique de la petite bourgeoisie
haïtienne, divisée en deux catégories dont l'une,
d'après Louis (2019, p. 235) est qualifiée d'aile
83
établie et l'autre, d'aile nouvelle
de la classe moyenne haïtienne, qui pratique
régulièrement ou par saison en visite à la
République Dominicaine.
Théodat (2010) affirme « qu'entre
Belladère et Elias Piña, s'établit un couloir
inachevé, tant le potentiel de croissance du plus important bassin
versant commun aux deux pays semble receler de défis. Les villes de
Hinche, Thomassique, Mirebalais et Lascaobas sont en train de subir l'influence
cristallisante de San Juan et d'Elias Piña, les deux localités
dominicaines les plus importantes dont la prégnance s'exerce en
profondeur désormais sur le territoire haïtien.
L'amélioration des liaisons terrestres renforcera cette emprise dans un
premier temps si rien n'est fait pour renforcer simultanément des
politiques publiques renvoyant aux capacités de production des campagnes
et des provinces limitrophes haïtiennes. Sans ces garde-fous
nécessaires, l'accélération du volume d'échange
avec le territoire haïtien se fera au détriment de son agriculture
et de son artisanat ; son commerce étouffera ses ateliers et ses usines
». C'est aussi un fait que la 2e Section Lociane s'encastre
dans sa dépendance accentuée de la partie orientale avec Banica,
Hato Viejo et Savana Cruz. Une question dans les entretiens cherche même
particulièrement à relever cette relation de dépendance
des Haïtiens par rapport à la frontière.
Des positions exprimées par nombreux auteurs insinuent
un mal être social et économique du peuple de la République
d'Haïti souffrant des précarités qui résultent de
l'abandon de l'État. En raison surtout du manque d'éducation
politique, surgit l'avis de Joachim (1979/2014, p.169). Concernant
l'État haïtien, Corten (2013, p. 21) qualifie de
déliquescence toute l'infrastructure sociale d'un État qui
s'apparente à un État failli. Par la difficulté majeure
d'établir une concordance dans les intérêts des
élites et le reste de la société, il s'ensuit le
renforcement des inégalités sociales privant la majorité
de la population du minimum de bien-être. Les conditions
socio-économiques se dégradent de plus en plus en Haïti.
Cette situation pousse à rechercher, entres autres, pour certains, les
causes structurelles dans la gouvernance qui s'écarte de l'État
de droit.
En effet, la gouvernance doit être articulée aux
niveaux : politique, social et économique. Aussi passe-t-elle par la
transparence dans les actions gouvernementales, les bonnes mesures, les
sanctions, la reddition de comptes entre autres qui forment le pilier de
l'État de droit démocratique eu égard des conditions
d'évolution technologique. Et, ces conditions sont primordiales à
la réalisation de la construction du projet socio-politique et
économique de l'État. Comme l'a souvent
répété Denis (2018) : « une stratégie de
développement économique s'engage dans un processus. Ce dernier
implique le savoir scientifique, les connaissances techniques et empiriques,
des innovations
84
technologiques et une ingénierie dans les pratiques
sociétales. Lesquelles déterminent un certain seuil dans la
marche du développement socio-économique du pays. Ces
stratégies de développements économiques ont
été appliquées dans le but de parvenir à un certain
niveau de bien-être économique et social collectif. »
(p. 174).
Les difficultés d'Haïti à assumer les
conséquences de ses rapports transfrontaliers avec la République
Dominicaine ne datent pas d'aujourd'hui. Mais, les effets négatifs de
ces rapports disproportionnés n'ont jamais manifesté autant
d'impact sur la dynamique interne du pays. D'ailleurs le traitement de la
question de la sécurité nationale a grandement consommé
l'énergie de ce travail dans la démonstration des
intérêts majeurs qui caractérisent cette matière. La
prolifération des armes à feu et des munitions ne serait-elle pas
une preuve de la porosité de la frontière entre autres voies ?
Aussi la compréhension de notre perception de la frontière avec
la République Dominicaine ne suffit-elle pas pour expliquer le moindre
degré d'importance que nous accordons à la dimension
socio-historique qui a donné lieu à ce
phénomène.
3.3.-Contexte socio-historique de la frontière
Haïti-République Dominicaine.
L'histoire de la création de la frontière
retrace des particularités sur plusieurs ordres et présente une
réalité bien particulièrement complexe et
intéressante, compte tenu des contentieux historiques qui marquent les
relations substantielles qui lient les destins des deux pays qui en ressortent
des fonts baptismaux dans l'île Hispaniola.
L'auteur Price-Mars (1953/1998a) souligne que l'implantation
de l'emblème de la Rédemption : la croix du Christ dans la
région du Nord de cette île montagneuse de l'archipel des Antilles
en 1492, par Christophe Colomb fait entrer l'île d'Haïti dans
l'histoire du monde. Allaient s'ensuivre deux évènements aux
lourdes conséquences humanitaires : l'extermination graduelle des
700,000 possesseurs naturels qui donnait lieu, quelques décades plus
tard, à la conjoncture de la traite des Nègres d'Afrique pour
assurer l'exploitation dans un système colonialiste et esclavagiste.
Pour consacrer droit aux puissances de la péninsule ibérique :
L'Espagne et le Portugal, en 1493, le Pape Alexandre VI leur avait
distribué les terres de l'Amérique. Cette décision fut
méprisée par les autres puissances à savoir : la France,
L'Angleterre et la Hollande. Ces dernières se réclamèrent
également le droit de jouir des aventures aux Amériques.
85
Au fil des ans, le système d'exploitation colonial
privilégié par l'Espagne ne donnait plus de rendement avec
l'épuisement des mines d'or et d'argent dans la partie occidentale. Les
Espagnols se concentraient essentiellement dans la partie orientale qui pompait
encore de métaux précieux. Le délaissement de la partie
occidentale allait favoriser l'avancement dans les grandes terres des
boucaniers et flibustiers français vers 1625 qui s'établirent et
menèrent des activités pirates déjà quelque temps
dans l'île de la Tortue. Dans la guerre européenne de la France
contre L'Espagne, l'île Hispaniola va être un sujet de transaction.
En nombre supérieur, les Français occupèrent
progressivement beaucoup de terres dans la partie occidentale. Les
Espagnols90 , en position de faiblesse, étaient contraints de
négocier. Ainsi, en est-il sorti le traité de paix de Ryswick en
1697 où l'Espagne cède le tiers (1/3) occidental du territoire de
l'île à la France (Price-Mars, 1953/1998a), tout en conservant
l'autre deux tiers (2/3). Selon C. Lespinasse (2020, p. 56), la volonté
de ne pas mélanger ses sujets catholiques aux flibustiers
français de confession protestante était une raison qui poussait
les Espagnols à se séparer des Français dans la signature
de ce traité. C'est le socle fondamental de création de la
frontière entre les deux futures Républiques de l'île.
Alors, il est évident de constater la construction sociale et politique
de cette frontière à partir de ces éléments. En un
mot, les Européens ont créé cette frontière sur
l'île Hispaniola.
Entre-temps, les Espagnols ont bien trouvé des
opportunités plus fructueuses dans les conquêtes minières
des terres sud-américaines qui les font négliger l'île
dominée et exploitée depuis 1492. Il est rapporté que
depuis le dernier quart du XVIe, leur nombre se réduisait
considérablement sur toute l'île. Lequel constat avait
été réalisé par l'anglais Sir Francis Drake, en
planifiant l'attaque et le pillage de Santo Domingo en 1586. Même avec
l'arrivée des premiers noirs d'esclaves en 1503, sous l'insistance du
prêtre catholique Las Casas, l'ensemble ne pouvait donner la
supériorité numérique des occupants pour le compte
d'Espagne. La forte concentration d'immigrés d'Espagne s'accentua en
1506 sous le proconsulat de Nicola Ovando. Cette période montra
l'opulence de la richesse d'or qui coulait à Hispaniola. Peu
versés dans les quelques fermes de culture de manioc, du tabac en
parallèle aux tentatives d'élevage et de la pratique de la coupe
de bois précieux rougeâtres, tels que l'acajou, le campêche,
depuis vers 1530, les Espagnols ne montrèrent plus
d'intérêt pour l'île Hispaniola. Surtout, ils se rendaient
compte de la plus grande difficulté à défricher la partie
occidentale. Défis que les flibustiers français ne tarderont pas
à relever en
90 En 1695, les Espagnols avaient pourtant
lancé une opération qui solda par l'incendie complète de
la bourgade du Cap-Français fondée par des boucaniers et des
flibustiers en 1670. Cf [André-Marcel d'Ans, Haïti : Paysage et
société, Éditions Karthala, Paris, France, 1987,
op.cit., p.118].
86
introduisant d'intenses cultures agricoles dans la partie
occidentale qu'ils s'infiltrèrent à cause de l'alanguissement des
Espagnols.
Mais est-ce que le traité de Ryswick de 1697
définissait-elle une délimitation précise du partage de
territoire de l'île Hispaniola ? Évidemment, la solution dans la
spatialité délimitative ne se résolvait pas avec ce
traité. Il eut fallu la réalisation du traité d'Aranjuez
en 1777, selon Théodat (2008, p. 115), qui accorda une
répartition frontalière en fixant deux contrées distinctes
aux points des embouchures des rivières du Massacre et de Pedernales.
3.3.1.- À partir de l'action de Toussaint
Louverture
Toussaint Louverture, dans ses manoeuvres et tactiques
politiques pour parvenir à l'émancipation des Noirs à la
liberté, n'hésitait pas tantôt de côtoyer les
royalistes du camp espagnol. Par cela, il leur donnait des empiètements
à l'Ouest. Et, lorsqu'arriva la proclamation de Santhonax du 29
août 1793 de l'abolition de l'esclavage par les Français - acte
qui visait surtout à contenir l'effervescence destructrice des masses
esclaves -, Toussaint devient donc républicain en renouant l'alliance
avec les armées françaises. Il permit alors à la partie
occidentale de regagner en territoire avec l'occupation de toute la
région du Nord. La proclamation de la Convention française en
date du 4 février 1794 raffermit davantage la position de
Toussaint91 dans la lutte territoriale. Ces actions politiques de
Toussaint ont grandement joué sur le maniement de la ligne
frontière.
L'intérêt des Espagnols se désengage sans
cesse pour l'île Hispaniola qu'ils abandonnèrent au fur à
mesure que les mines de la grande terre d'Amérique gisaient en
abondance. Voyant au contraire l'intérêt manifesté par les
Français, les Espagnols leur cédèrent la partie orientale
par le traité de Bâle en 1795. Toute l'île appartient
légalement à la France à partir de cette date. Cette phase
est considérée comme un moment de la déshipanisation des
Antilles (Ans, 1987, p. 93).
91 Au début de 1793, la
France entre en guerre contre l'Angleterre et l'Espagne. L'île Hispaniola
en sera un terrain de conflit avec le ralliement des insurgés ayant
à leur tête Jean-Francois, Biassou et Toussaint, dans le camp de
l'Espagne. En ce moment, les français contrôlaient pratiquement
seulement l'espace territorial du Cap. La frontière avec l'Est ne tenait
qu'en ce lieu. Les anglais avancèrent dans le Sud et les Espagnols ont
progressé jusqu'à Fort-Liberté, les mornes du Nord, la
région de Mirebalais et tout près de Port-au-Prince. Toussaint,
lui-même pénètre pour le compte du roi d'Espagne les
milieux du nord-ouest sur Plaisance, Gros-Morne, Terre-Neuve, Acul,
Limbé, Port-Margot et à l'ouest sur les hauteurs de Verrettes, la
Petite Rivière. Il entre aux Gonaïves et s'établit à
Marmelade en tant colonel de l'armée espagnole. A la fin de
l'année 1793, Toussaint se sépare des siens et de la couronne
royale pour rejoindre la République française en se proclamant
général en chef de l'Armée des insurgés. Il attaque
Saint-Raphaël et puis Gonaïves. Ces entreprises ont permis à
la France de reprendre des territoires dans les limites qui ont
été consignées dans l'accord d'Aranjuez en 1777. Les
luttes de Toussaint ont été incisives dans les décisions
des Espagnols avec le traité de Bâle en 1795 (Pluchon, 1989, pp.
83,84).
87
Après la guerre du Sud et la mise en cachot de Rome
à la fin de l'année 1800, Toussaint Louverture a connu une
fulgurante montée. Il devient gouverneur général de la
Colonie de Saint-Domingue qui l'attribue aux fonctions d'administrateur civil
et de chef des armées. Selon Price-Mars (1953/1998b), il est à
remarquer l'opportunisme du génie de Toussaint Louverture qui
conçoit audacieusement le dessein d'unification des parties Ouest et Est
en un tout administratif à partir du 7 février 1801 par la force
des armes et en proclamant la fin de l'esclavage à l'Est. Son
entrée à Santo Domingo a mis aussi fin à la domination du
gouverneur espagnol Joachim Garcia avec ses troupes et les
généraux français Chanlatte et Kerverseau. Alors, il
réalisa effectivement le voeu politique du traité de Bâle
sous son court règne 1800-1802. Aussi la proclamation de la Constitution
de 1801 en fut-elle un socle inébranlable de sa volonté (Etienne,
2020, p. 176). Toussaint Louverture a montré par ses actions la
corrélation directe de la politique intérieure avec les actions
politiques de l'extérieur.
3.3.2.- À l'ère de l'indépendance
d'Haïti
Après la proclamation de l'indépendance
haïtienne en 1804, seule la partie s'étendant entre le cap Tiburon
et la rivière massacre respirait de la liberté. Avec la reddition
de capitulation des troupes expéditionnaires après la bataille de
Vertière en 1803, certains colons et les débris de l'armée
vaincue se rendaient dans la partie de l'Est en considérant l'effet du
traité de Bâle qui leur donnait un quelconque droit sur cette
partie-là. Par cette action, les vaincus de 1803, réactivent une
ligne de frontière. Ils limitent la révolution de 1804 dans la
seule partie occidentale. Comment les héros de l'indépendance
appréciaient-ils une telle situation ? Quelle en fut la meilleure action
à entreprendre ? Entre-temps, l'esclavage se pratiquait à
l'Est.
C'est dans de telle circonstance que l'Empereur Jacques
1er se retrouvait dans l'obligation de faire valoir le droit pour
toute l'île d'être libérée de l'emprise des
débris du vestige de l'armée expéditionnaire
française. Car, il ne saurait question pour lui de penser consolider
l'indépendance haïtienne avec la présence d'une puissance
esclavagiste vaincue en 1803 dans la partie de l'Est. Alors, surgit le principe
de la mer pour frontière. L'île entière forme le territoire
indivisible du peuple d'Haïti ! Mais la résistance du
côté de l'Est s'affirma. Malgré la soumission des habitants
de Santiago de Cabelleros et ceux d'autres villes à la conquête
haïtienne, Dessalines n'arriva pas à pénétrer la
ville de Santo Domingo.
88
Après l'assassinat de l'Empereur, les gouvernements
haïtiens immédiats, en situation de schisme de la partie
occidentale, ont soutenu de manière séparée, toutes les
initiatives des patriotes de l'Est pour arriver à obtenir le
départ des soldats du débris92 de l'armée
française dans la partie de l'Est en date du 9 juillet 1809. Mais, c'est
à l'avènement de Jean-Pierre Boyer à la présidence
que le pays va retrouver la stabilité intérieure
nécessaire qui, par la réunification de la République, lui
permettra d'adresser la question de la partie de l'Est.
Les manoeuvres politiques des patriotes dominicains
emmenés par Nuñez de Caceres ont conduit à proclamer une
indépendance en date du 1er décembre 1821 de
l'Hayti Espaniole, tout en cherchant un rattachement à la
Confédération de la Colombie, à peine d'être
créée en sortant du jouc colonialiste espagnol. Ce jeu politique
consistait à garder une distance à la fois avec l'Espagne et la
République d'Haïti, et par conséquent, garder une
frontière étanche. Mais la situation qui prévalait dans la
partie de l'Est était véritablement fluctuante, des forces
opposées et des coïncidences géopolitiques ont coupé
court au projet de Caceres. Cependant, Boyer usa de toute son habilité
dans la compréhension des enjeux géopolitiques par l'emploi des
facteurs circonstanciels de la stabilité intérieure dans la
partie occidentale, réunifiée sous son administration, pour
canaliser les énergies nécessaires à la
réunification administrative de l'île d'Haïti. Les
méthodes diplomatiques dont Boyer s'employait de manière fine
consistaient à l'ingéniosité de la démonstration
des avantages comparatifs qu'une unification sous l'égide d'Haïti
était la seule solution viable pour l'émancipation des deux
peuples étant donné la conjoncture géopolitique
internationale. L'Espagne était en guerre avec la France et
l'Amérique du Sud jouait son émergence politique. D'autant plus,
dans une grande majorité, les Dominicains manifestaient une faiblesse
certaine d'avoir une puissance extérieure sur qui compter au cas
échéant d'une forte pression des Espagnols.
Alors le Président Boyer essaya de rassurer les
protagonistes de l'Est par tous les moyens qu'Haïti était bien la
solution raisonnable. Devant les tergiversations des divers groupes, d'une
part, Nuñez de Cacerez, croyant la situation répond à une
hypothétique alliance à la confédération de la
Colombie, d'autre part, des groupes moins importants envisageaient
l'alternative de l'unité haïtienne, et le reste dans sa
majorité vivait au gré des évènements. Mais surgit
alors l'épineux point de divergences qui font mugir les remous
historiques entre les deux Républiques. L'entrée
92 C'est un terme cher à Jean
Price Mars qui veut montrer le vestige délabré de l'armée
française vaincue par l'armée indigène victorieuse
à vertière en 1803 à Saint -Domingue.
89
du Chef d'État d'Haïti le 9 février 1822
à Santo Domingo à la tête de son armée sans
hostilité, du moins avec de grandes acclamations,
caractérisait-elle un envahissement ou une réponse à une
sollicitation circonstancielle ?
Bien évidemment, des intérêts du petit
nombre de possédants n'en concordaient pas. Le célèbre
écrivain Jean Price-Mars rapporte qu'il y a lieu de reconnaitre la
conclusion d'une union de raison ou même circonstancielle qui soumettait
le destin des 63,000 habitants de l'Est d'après le dénombrement
de 1820 au plan commun de l'unité de l'île d'Haïti.
D'ailleurs, l'action d'unification de l'île,
conformément à l'article 40 de la Constitution de 1816,
répondait à un impératif de présomption de
l'indépendance et le rejet de l'esclavage qui subsistait encore dans la
partie orientale. C'était dans cette vision de protection de
l'indépendance haïtienne qu'il incombait aux dirigeants
haïtiens de réaliser l'annexion des quatre divisions
administratives : Santo Domingo, Cibao, Azua et Seybo pour rendre la population
une et indivisible sous une même direction qui caractérise la
stratégie de défense contre la menace extérieure de
l'indépendance haïtienne.
3.3.3.-Situation qui découle de
l'indépendance de la République Dominicaine
Alors, se réalisa l'unité politique et
administrative93 sous la présidence de Jean-Pierre Boyer
(1818-1843) qui marqua une domination haïtienne durant 22 ans sur
l'île entière et se termina en 1844 (Price-Mars, 1953/1998b, p.
169). Des tentatives avortées de conquête de l'Est firent le bilan
de nombreux gouvernements haïtiens jusqu'au milieu du 19e
siècle, en précision historique de période gallum
: 1844, 1845, 1849 et 1855. Aussi, Price-Mars (ibid.) en dit-il,
les Haïtiens défendaient leurs prétentions de garder la
gouvernance de l'île entière sous leur domination afin
d'empêcher qu'une puissance étrangère ne s'installât
dans la partie de l'Est et ne menaçât leur indépendance
nationale. Parce que, d'après eux, les Dominicains n'étaient pas
capables de se défendre face à une puissance
étrangère. Mais, les Dominicains n'entendaient plus rester sous
l'obédience haïtienne avec leur indépendance
proclamée depuis 27 février 1844.
Par cette déclaration d'indépendance des
Dominicains, la situation qui se présente aux dirigeants politiques
haïtiens était complexe. Il s'agissait de considérer le
principe de l'unité territoriale indivisible de l'île d'Haïti
et ses îles adjacentes se retrouvant pourtant depuis 1801 dans toutes
les
93 Jean Prince-Mars rapporte que Nuñez de Caceres donnait
le nom `Haïti Espagnole' au nouvel État qui se constitua,
après sa révolution, le 30 novembre 1821.
90
constitutions haïtiennes. Les tentatives
guerrières de reprise de possession ont aggravé les tensions
entre les dirigeants des deux territoires. De la présence des
Haïtiens dans les villes frontalières, notamment à Hinche et
ses environs depuis la campagne de l'Est de Dessalines alla enjoindre la
disposition constitutionnelle de 1874 qui mit en substance, les limites
frontières du territoire aux positions occupées actuellement par
les Haïtiens (Deux siècles de constitutions haïtiennes
18011987, 2011). Donc, la division de l'île s'assuma
péremptoirement avec l'évidence d'une frontière qui
subsista pourtant dans une indétermination des lignes
frontalières. Ce dont un traité en 1935 aura tenté de
résoudre. Mais le massacre des Haïtiens et des Dominicains noirs
habitant la zone frontalière du côté de l'Est en 1937
allait envenimer les tensions dans la cohabitation difficile aux relations
transfrontalières ternes94 propageant en ondes
sinusoïdales entre les deux Nations. Et, d'autant plus récemment,
les évènements de juillet- août 2005 qui ont causé
la mort à treize Haïtiens en République Dominicaine. Sans
oublier la politique systématique de rapatriement d'Haïtiens qui se
conduisit depuis l'été 1991, en application du décret du
13 juin 1991 du Président Balaguer (Alexandre, 2013, pp. 35-88).
L'arrêt TC/0168/13 du Tribunal constitutionnel
dominicain en 2013 enlevant leur nationalité à des milliers de
Dominicains d'origine haïtienne (Gabriel, 2017) et l'exécution en
cours du projet dominicain de construction d'un mur d'une longueur de 164 km
(Le Monde-AFP, 2022), débuté le 20 février 2022 dans la
zone Dajabon (Nord-Ouest) sur la frontière sont parmi d'autres actes
récents qui mettent en évidence, en soubassement, les tensions
historiques qui accablent les relations entre les deux Républiques.
3.4.-Négociation sur la ligne frontalière
Haïti-République Dominicaine
L'île Hispaniola a vécu l'acharnement de la
guerre en 1801 avec Toussaint, et en 1805, Dessalines faisait trembler les
rideaux de Santo Domingo. Puis la redoutable période de
belligérance qu'entretenaient particulièrement les gouvernements
successifs de Rivière Hérard, de Louis Pierrot et de Faustin
Soulouque qui s'étalent de 1844 à 1856, sont des confrontations
qui insinuent la détermination de l'éloignement des puissances
esclavagistes hors des vues dans les parages de Cibao. Le principe de la mer
pour limites frontières devenait un idéal dont n'importe quel
sacrifice n'était épargné pour concrétiser.
94 Jean Price-Mars a justement montré des incidences
diplomatiques que le conflit Haïti-Rép. Dominicaine entre 1844
à 1855 a suscité par des tractations à connotations
raciales mettant aux prises des intérêts géopolitiques que
les puissances européennes et nord américaines exploitaient dans
leurs velléités colonialistes et expansionnistes in La
Rép. D'Haïti et la Rép. Dom, Tome 2.
91
L'avènement de Fabre Nicolas Geffrard à la
présidence en 1859 donna une nouvelle orientation dans l'affirmation des
prétentions haïtiennes en usant des voies diplomatiques pour
corroborer une dynamique de protection de l'indépendance d'Haïti
à travers celle de la République Dominicaine dans toute sa teneur
souveraine, loin de toute influence des puissances esclavagistes. Voilà
qu'en date du 18 mars 1861, à la surprise des Haïtiens, la
réalité marque une réinstallation des Espagnols dans la
partie de l'Est suivant un accord passé entre Pedro Santana,
Président de la République Dominicaine et la cour d'Espagne.
Cette nouvelle donne va marquer un tournant dans la diplomatie haïtienne
qui se résout à compter sur ses forces pour aider à
libérer le territoire dominicain de l'ancienne puissance esclavagiste :
Espagne.
Les efforts diplomatiques du Président Geffrard pour
la restauration de l'indépendance de la Dominicanie restent une page non
valorisée par les études sur les relations entre Haïti et la
République Dominicaine, surtout par les idéologues racistes
dominicains. Depuis l'affaire Rubalcava en juillet 1861 Haïti montra sa
force décisive dans un nouveau rôle. Dans ses correspondances
diplomatiques, la partie haïtienne usa de toutes ses adresses politiques
pour délimiter le territoire. Bref, les villes de Hinche, Lascahobas et
Saint Raphael, occupées par les Haïtiens sont l'objet de
précieux acquis que Fabre Nicolas Geffrard rejette de toutes quelconques
prétentions. La recherche d'une délimitation de la
frontière est commissionnée par la diligence haïtienne au
cours de 1862.
Le problème de la ligne de frontière demeure
désormais un trait extraordinairement sensible dans les relations entre
les deux Républiques. Des tensions répétées
à divers endroits dans la frontière charrient la fragilité
de la question. Entre-temps, des pourparlers en vue d'apporter une
résolution pacifique à la question de délimitation de la
frontière ont fait l'objet d'accord sous le Président Michel
Domingue (1874-1876) et le vis-à-vis dominicain Ignacio Gonzales en 1874
et de même qu'entre Tirésias Simon Sam (1896-1902) et Ulisses
Heureaux en 1898. Mais il en résulta des échecs. (Castor,
1988/2021).
L'évolution des négociations poussa en vain
à la sollicitation de l'arbitrage du Pape Léon XIII à la
fin du XIXe siècle. La commission mixte formée en 1901 à
cet effet se solda aussi en échec. Le noeud gordien de la tracée
de la frontière butte assez souvent sur le fait qu'il y a les
données du dernier traité de partage d'Aranjuez de 1777, celles
du statu quo post bellum de 1856 et celles de l'occupation
pacifique.
92
Devant l'avantage que chacune de parties prétend
vouloir tirer à l'une ou l'autre de ces données, il parait
évident de déduire l'enjeu que recèlent de telles
négociations. Une deuxième division d'information militaire des
États-Unis a opéré une solution de délimitation en
1907 et 1908. À la résurgence de la question frontalière
en 1912, Haïti a sollicité la médiation de la puissance
nord-américaine qui a proposé provisoirement une solution
délimitative pour rester en attente d'une résolution
définitive. Venait en date du 21 janvier 1929 un accord signé
entre Haïti et la République Dominicaine sous l'encouragement des
États-Unis suivant les arrangements conclus en 1924. En ce sens, les
Présidents Louis Borno (1922-1930) et Horacio Vasquez s'entendaient
à trancher définitivement la question de la tracée de la
frontière.
La réalité de l'arrangement fait qu'Haïti
devait céder au Nord, une portion de terre à Monte Cristi et la
région d'Azua, en échange, dans le Sud, il lui revenait
près de 200 mètres de terres destinées à construire
une route à son propre compte. Très vite, l'opinion publique
haïtienne dénonçait et rejetait avec fracas les propositions
de cet accord qui était très défavorable à
Haïti. La multiplication de graves altercations et d'incidents sur toute
la ligne frontalière indiquait l'acuité et l'insatisfaction du
côté des Haïtiens.
C'est ainsi qu'à partir de mai 1931, des
négociations diplomatiques se sont reprises en vue de résoudre la
question de la démarcation de la ligne de frontière dans l'esprit
de révision de l'accord de 1929. En effet, un traité fut
signé le 27 février 1935. Mais l'agissement de Trujillo pour
forcer un nouvel accord en date du 9 mars 1936 démontre le ravissement
des droits de propriété retrouvés par les Haïtiens en
situation de possession avant l'accord de 1929.
L'auteure Castor (1988/2021) tenait à faire remarquer
que chacune des deux Républiques de l'île développe une
urgence propre au traitement de la délimitation de son territoire. Au
début du XIXe siècle, les gouvernements haïtiens utilisaient
la question de l'Est pour répondre à des motifs
stratégique, militaire et économique. La consolidation de
l'indépendance prévalait dans tout engagement y relatif.
Après cette phase, les autres gouvernements attisaient aux aspirations
expansionnistes en ralliant la partie de l'Est à la République
d'Haïti. Mais, en général, la question de la
délimitation de la frontière du territoire national n'a jamais
fait l'objet d'intérêt supérieur pour les gouvernements
haïtiens ni pour la population dans sa majorité. En dehors de la
fréquentation de la zone frontalière, l'influence dominicaine
n'était aucunement perçue dans sa tendance dominante. C'est ainsi
qu'il est généralement reproché à Haïti de
montrer plus d'attention aux nations lointaines qu'à la
République Dominicaine. L'intérêt pour la République
Dominicaine
93
demeurait toujours insignifiant pour Haïti. Par contre,
les Dominicains ont très tôt essayé par tous les moyens de
forger une idéologie prouvant la menace que constitue Haïti pour
leur nation. L'anti-haïtianisme devient donc une doctrine d'identification
pour eux. Cette tendance est fortement exprimée avec l'arrêt TC :
0168/13 de la Cour constitutionnelle pris en date du 23 septembre 2013.
3.5.-Considération sur l'évolution
hégémonique de la Dominicainie par rapport à
Haïti
Un retournement de la perspective frontalière
s'opère de nos jours dans la relation entre les deux pays. Des points
frontaliers attirent considérablement des activités
d'échanges commerciaux. Les centres ruraux les plus proches de la
frontière gagnent en importance dans la dynamique d'attractivité.
En particulier, la localité de Boc Banic est devenue une plaque
tournante pour la 2e Section Lociane dans les échanges avec la Commune
dominicaine de Banica. Le géographe Théodat (2020, p. 81)
considère que cette ligne est inachevée, mais participe
grandement dans le découlement librement de certains produits les mieux
achalandés sur le marché dominicain tels que le pois congo, la
pintade, le cabri, l'avocat. Du côté dominicain, en
général, nous nous procurons de tous les produits agricoles qui
sont devenus rares, des blocs pour les parois dans la construction, le ciment,
les barres d'acier, les produits alimentaires, les poulets, et autres.
La monnaie d'échange exigée par les Dominicains
est le peso dominicain qui prend des points sur la gourde. L'économie
dominicaine dispose de plus grands moyens de production qui
caractérisent sa force dans les termes des échanges et
prééminence de l'offre et la demande. La République
d'Haïti est justement placée en troisième position de
partenaire économique des Dominicains après les États-Unis
et le Porto-Rico. L'avantage de proximité de transport de marchandises
est atout majeur. Le volume des échanges est propre à chaque
région. Dans le Nord par Dajabon, rapporte Théodat (2020), on
enregistre pour l'année 2006, 62.33 millions de dollars américain
par an (M $/an), au Centre via Elias Pina, 23.42 M $, au Sud Independencia et
Pedernales font respectivement 48.17 M $ et 5.09 M $. L'importance des
activités commerciales transfrontalières tend à faire
augmenter le flux de population dans ces régions qui voient une
croissance dans la densité de population au kilomètre
carré.
Le progrès enregistré sur les plans politiques
et économiques conforte un bond vers une économie en voie de
développement pour la République Dominicaine. Cette situation est
exploitée à certains égards pour essayer d'asseoir une
position hégémonique par rapport à Haïti. Pour
illustrer cette assertion, il s'avère important d'établir une
comparaison de l'évolution économique des deux pays
94
à partir de 1960. Alors, selon Théodat
(ibid.), ils avaient le même PIB/hab. : 800 $/an. Les
composantes de l'IDH démontrent une relative équilibre avec
l'espérance de vie 44 ans en Haïti et 54 en République
Dominicaine ; la mortalité infantile : 253/1000 en Haïti contre
149/1000 en République Dominicaine et la population en dessus de 15 ans
relevait un taux d'analphabétisme de 33% contre 78% en Haïti. Mais
les orientations différentes des politiques publiques qui s'ensuivront
entre-temps expliquent les écarts dans l'IDH 95 qu'ils
connaissent de nos jours en signe de réussite de la République
Dominicaine dans les domaines de l'éducation, de la santé
publique et de l'économie.
Au tournant des années 1980, une transformation de
l'économie d'exportation de matières premières s'est
opérée pour embrasser une filière de substitution à
l'importation. Ces mesures rendent plus d'autonomie au pays par rapport au
marché mondial. En outre, il y a eu l'adoption d'une législation
amplement incitative aux flux de capitaux étrangers pour dynamiser
d'autres secteurs d'investissements productifs : le tourisme et les zones
franches.
En août 1994, la classe politique dominicaine a
signé un accord politique96 pour permettre au pays de jouir
d'une certaine stabilité politique qui va grandement favoriser l'essor
économique qui s'enchevêtre à la tendance
hégémonique que la posture trujilliste échafaudait
à divers égards. Aussi Corten (2013, p. 19) précise-t-il
qu'à partir de 2011 la République Dominicaine a pris le large
dans la course pour un développement économique
considérable par rapport à Haïti.
Avec l'emploi créé dans les villes
industrielles, l'urbanisation s'accentue. L'agriculture irriguée,
bénéficie des investissements en équipements
mécanisés pour augmenter le rendement de la terre et accroitre la
production du pays tandis que la part de la main-d'oeuvre y diminue. En 2005,
le PIB de la République Dominicaine provenait de 56% des services, 32%
de l'industrie et de 12% de l'agriculture. Tandis que cinq ans plus tard, les
données montraient qu'en Haïti le PIB provenait des pôles
d'emplois de services et industriels absorbant 43% en service et 13 % en
industrie de la population active de 3.6 millions d'habitant suivant les
données de l'IHSI en 2010. Et face à cela, il y avait 44% de la
population active qui s'adonnait à l'agriculture de subsistance. Avec
une période de cinq (5) ans d'écart, il n'est pas
théoriquement crédible pour asseoir une comparaison
95 L'indice de développement humain, allant de
0 à 1, est un indice composé de l'espérance de vie
à la naissance, la scolarisation en fonction du taux
d'analphabétisme et le pib per capita en tenant compte de la
parité du pouvoir d'achat. En 2019, Haïti avait un idh de 0.510
contre 0.756 pour la République Dominicaine. Cf [
www.
perspective.usherbrooke.ca].
96 Les turbulences politiques qui ont survenue après des
élections frauduleuses pour reconduire le président Joaquin
Balaguer au pouvoir au détriment de Francisco Pena Gomez ont
poussé l'OEA et l'Eglise catholique dominicaine à jouer un
rôle de médiation pour parvenir à un accord politique en
date du 12 août 1994 en République dominicaine. Cf «
République dominicaine le mandat du président Balaguer est
écourté », en ligne publication 12 août 1994,
www.lemonde.fr.
95
objective. Mais, étant donné que la situation
devrait donner l'avantage à Haïti pour améliorer son score
et elle ne l'a pas fait. Parce qu'un taux aussi élevé de
population qui se retrouve dans le secteur agricole rend difficile le parcours
au développement. Une économie productive moderne n'a pas besoin
d'un tel pourcentage de sa population active dans l'agriculture de subsistance
qui fournit généralement des produits à très faible
valeur ajoutée.
La République Dominicaine profite encore de sa
position pour définir les règles dans les échanges
commerciaux avec Haïti, parce qu'il n'y a pas d'accord récent de
libre-échange entre les deux pays. Le traité réglant
principalement ce domaine remonte à novembre 1874. Il stipule en son
article 14 que « les citoyens des deux nations contractantes peuvent
entrer, demeurer, s'établir ou résider dans toutes les parties
des deux territoires, et ceux qui désirent s'y livrer à une
industrie quelconque, auront droit d'exercer librement leur profession et leur
industrie, sans être assujettis à des droits autres ni plus
élevés que ceux qui pèsent sur les nationaux
respectifs... » (C. Lespinasse, 2020, p. 72). Par ailleurs, Castor
(1988/2021, pp. 157,158) révèle un traité commercial
signé en août 1941 par les deux pays. Mais cependant, le commerce
qui datait depuis l'époque coloniale se renforçait entre les deux
parties de l'île peu après 1867. À considérer que
les exportations des deux pays l'un vis-à-vis de l'autre accusent 1
milliard $ USD pour la République Dominicaine contre 100 millions $ USD
pour Haïti en 2005 démontrent clairement le
déséquilibre énorme qui s'installe dans les termes des
échanges. La croissance non contrôlée du volume
d'échanges informels présuppose bien des montants plus
élevés comparativement à ceux-ci.
3.6.-Systématisation de la discrimination raciale
à l'égard de l'Haïtien
L'auteur Etienne (2020) soutient que des mythes
d'identification existentielle d'un ennemi réel ou imaginaire participe
à bien des égards à la construction de
l'État-Nation (p. 179). Les réactionnaires dominicains se sont
convaincus à faire d'Haïti un ennemi fictif et/ou réel en
contre-façonnant des faits historiques dans les rapports relatifs
à l'évolution des deux parties de l'île. Optant à
s'assimiler le fonds culturel de l'occident et de l'Espagne, en particulier les
élites dominicaines ont pu s'imaginer plus proches des valeurs
occidentales qui comportent, de fait, des préjugés de toutes
sortes. Et les habitants des zones frontalières qui côtoient les
centres de services publics chez les Dominicains évoquent amplement des
traitements humiliants qu'ils subissent.
Ce qui permet de voir l'approche de classes sociales dans les
rapports entre les dirigeants des deux États. Parce qu'il y a un
complexe de supériorité que Castor (1988/2021)
décèle dans certains
96
aspects qui déterminent l'attitude et le comportement
réactifs de la République Dominicaine après la
période de domination haïtienne. Les autorités de la partie
de l'Est essayent de tirer avantage sur le plan de la réussite
économique et géopolitique. Les Dominicains ont pris grandement
conscience du favoritisme racial (Diamond, 2006) qu'ils ont
bénéficié des puissances esclavagistes depuis le
XIXe siècle. Puisque l'Occident aurait toujours
considéré Haïti comme une classe d'esclave parvenue à
la liberté. C'est un fait que Price-Mars (1953/1998a) a beau
démontrer l'irrationalité de telles considérations de
supériorité raciale puisque la structure épidermique ne
saurait constituer une prédominance raciale en ce cas-ci. Le
mélange d'Européens avec les femelles naturelles de l'île
ajouté à la faible quantité de Noir esclave ne saurait se
considérer de la race blanche pleine de futiles prétentions
inimaginables d'une quelconque supériorité telle qu'elle a
été véhiculée au XIXe siècle et
subtilement ainsi jusqu'à nos jours. En 1788, la partie de l'Est
dénombrait 125,000 habitants dont 15,000 esclaves noirs. Cette
donnée illustre bien évidemment l'infirmité de
possibilités pour les bronzés d'ébène de
prédominer dans de telles structures de classes sociales.
Aussi, Mézilas (2022) fustige-t-il les
idéologues dominicains qui se donnent une raison
hégémonique en portant une prédominance qui converge des
idéologies : hispanité, indianité et anti-haïtianisme
(p. 10).
Pour sa part, Wooding (2020, pp. 136,137) a manifesté
un grand intérêt à analyser le caractère raciste,
xénophobe dans l'attitude des Dominicains envers les Haïtiens que
le régime de Trujillo (1930-1961) s'acharnait à répandre
avec virulence dans toutes les couches de la société. Bien
évidemment, elle reconnait que ce sentiment existait bien avant la
période de Trujillo et cela continue encore de nos jours mais pas dans
de telle proportion. Aujourd'hui, il y a une ignorance et des
préjugés qui sont très répandus dans des couches
extrémistes qui s'en servent à des fins politiques. Entre-temps,
reconnait le diplomate et sociologue Alexandre(2009), beaucoup d'efforts sont
consentis pour redonner une autre image dans les rapports entre les deux pays.
Nous avons trouvé un geste magnanime dans le dévouement des
Dominicains pour secourir Haïti après le séisme du 12
janvier 2010. De même, nous admettons énorme la contribution des
Dominicains à hauteur de 50 millions de dollars américains comme
donation97 pour la construction faite par leur propre firme, dans le
Nord, en 2012, de l'immeuble universitaire dénommé Campus
Henry
97 RadioTélévision 2000 a rapporté ces
faits dans son article intitulé « Haïti/Education :
République dominicaine finance la construction d'une université
dans le Nord » |En ligne publication du 2/08/2010, page consultée
le 14/03/2023.
97
Christophe de Limonade. Mais dans la complexité de
relations entre les deux pays nous ne pouvons pas tout ignorer pour nous verser
dans l'admiration des gestes de la Dominicanie. En cela, quand nous regardons
avec Elie (2020, p. 61) l'orgueil qui caractérisa la fierté du
roi Henri Christophe, bâtisseur par excellence par la réalisation
de la Citadelle LaFerrière, huitième merveille du monde, il y a
lieu d'imaginer l'arrière-pensée qui cristallise les gestes des
Dominicains. Nous pouvons facilement supposer l'avantage géopolitique et
économique qu'ils peuvent en tirer. L'idée de soupçon
d'une certaine condescendance dans ces gestes serait-elle
exagérée ? Autrement dit, serait-ce une attaque voilée
à la fierté du peuple haïtien dans l'imaginaire
héroïque de ses ancêtres ? Le sentiment anti-haïtianiste
est un outil que les dirigeants dominicains utilisent aussi pour marquer leur
différence dans la perception de l'intérêt
général et dans la gestion de l'espace territorial. Cela
s'explique dans les réalisations d'infrastructures qui se font chez eux
et le souci qu'ils manifestent pour tenir la stabilité politique. Cette
différence de gestion se fait ressentir dans les villes
frontalières. Par exemple, Banica est une Commune qui caractérise
des différences majeures en termes d'infrastructures par rapport
à la Commune de Thomassique. En particulier, les paysans de la
2e Section Lociane qui fréquentent souvent des villes
frontalières s'indignent de l'inertie des actions des dirigeants
haïtiens. Il se trouve que la plupart des gouvernants haïtiens ne se
montrent pas autant soucieux que ceux de la Dominicanie.
3.7.-Regard sur les Puissances internationales dans
les relations entre Haïti et la République Dominicaine
Il n'est pas trop évident de reprendre ici les faits
qui démontrent les résistances que la diplomatie haïtienne a
dû engager face aux pressions des puissances internationales qui n'ont
jamais voulu accepter les prescriptions constitutionnelles haïtiennes qui
l'ont conféré droit de propriété sur toute
l'étendue de l'île jusqu'en 1874, hormis la Constitution de 1801
de Saint-Domingue. L'occupation américaine de 1915 assignait la part
d'Haïti à l'accomplissement des fondements de la division
internationale du travail qui trouvait sa base dans la théorie des
avantages comparatifs (1817) développée sur le commerce
international98. Dans ce contexte, Haïti est définie
à fournir de la
98La théorie des avantages comparatifs de
l'économiste britannique David Ricardo (1772-1823) se précise
ainsi : les pays participent dans le commerce international pour deux raisons
fondamentales ; chaque raison contribue aux gains qu'ils retirent de
l'échange. Les différences des pays diversifient leurs apports de
biens et services. Ce qui peut les faire bénéficier de leur
différence c'est l'accord que se dégage que chacun se consacre
à ce qu'il fait relativement le mieux. 2) Les pays entretiennent le
commerce international en raison d'engranger des économies
d'échelle de production. En effet, si chaque pays produit seulement un
registre limité de biens, il produira chacun de ceux-ci à une
échelle plus grande-et donc de manière plus efficiente-que s'il
essayait de les produire tous. Chaque pays peut se spécialiser dans le
bien dans lequel il a un avantage comparatif. Un pays possède un
avantage comparatif dans la production d'un bien si le coût
d'opportunité de cette production exprimé en termes d'autres
biens est inférieur
98
main-d'oeuvre à bas prix dans les entreprises
multinationales à capitaux nord-américains implantées dans
le bassin caribéen, notamment à Cuba et en République
Dominicaine. L'économie de cette dernière a toujours jouit d'un
intérêt plus alléchant pour le système capitaliste.
Depuis la période conflictuelle de 1844 à 1856 qui opposa
Haïti et la République Dominicaine, les puissances
européennes et les États-Unis d'Amérique ont toujours
manifesté un favoritisme à l'égard de la République
Dominicaine. Plusieurs raisons peuvent expliquer leurs choix. Mais un fait est
certain, les préjugés raciaux et ethniques qui
caractérisaient le système esclavagiste et colonialiste n'ont
point été cessés envers Haïti après la
Révolution de 1804.
L'investissement des capitaux étrangers implanté
en République Dominicaine a toujours été plus
conséquent en termes de grandeur qu'en Haïti. Bien entendu, il
n'est pas crédible de reposer une analyse sur ce fait pour accuser tous
les maux que connait Haïti dans ses relations avec la République
Dominicaine. Mais cependant l'élan de favoritisme 99 que
jouit la République Dominicaine a occasionné une prise de
conscience des facteurs raciaux qu'ils prétendent
bénéficier et s'en servent pour évoquer un sentiment
pro-occidental à même d'en tirer un pressentiment dominant.
Dans le même dessein, nous considérons que la
question de la construction de l'Université roi Henri Christophe ayant
été confiée aux firmes dominicaines pour en faire don
à Haïti constitue un acte très significatif de la grandeur
paternaliste. La communauté internationale les encourage ou les force
ainsi à démontrer leur qualité exemplaire vis-à-vis
des Haïtiens. Que dire des déclarations des Présidents
Dominicains depuis Leonel Fernandez à Luis Abinader qui n'ont jamais
raté des occasions que leur ont offertes des tribunes internationales
pour faire des sollicitations d'aide pour Haïti contre sa descente aux
enfers ! D'ailleurs, ce peuple se perd dans son insouciance pour de ne voir la
récupération de la possession du patrimoine culturelle et
historique de l'île d'Haïti que les Dominicains s'attribuent depuis
un certain temps. Alors que l'Haïtien sait bien qu'ils l'identifient
à un peuple d'une nation d'ennemis. Lamothe (2008, p. 48)
détecte aussi dans la caraïbe, une opinion qui reconnait que les
Dominicains assimilent leur identité à une expression de
l'anti-haïtianisme. Certainement, Price-Mars (1953/1998b) n'eut cesse de
démonter les contre-vérités
dans ce pays-là à ce qu'il est dans d'autres
pays. Le commerce international entre deux pays peut être
bénéfique pour les deux pays si chaque pays exporte les biens
pour lesquels il possède un avantage comparatif. Cf [Paul R. Krugman et
Maurice Obstfeld, Economie internationale, 3e, Editions De
Boeck Université, Bruxelles, Belgique, 2001, pp 14-15].
99 Le géographe Jared Diamond reconnait le fait que
des préjugés raciaux aient toujours guidé la
communauté internationale à privilégier les rapports de
préférence avec la République Dominicaine au lieu de la
République d'Haïti.
99
historiques et sociologiques sur lesquelles
s'appuyèrent les idéologues racistes dominicains pour attiser la
xénophobie et l'ostracisme envers Haïti. La déraison des
groupes extrémistes dominicains est inquiétante et se manifeste
au vu et au su de tout le monde.
Mais la communauté internationale a ses
préférences même si ce sont ses intérêts qui
la préoccupent avant tout dans les affaires internationales. C'est ainsi
que le tout-puissant de cette communauté internationale a toujours tenu
la main pour s'assurer de la compagnie des groupes de Droite au pouvoir en
Haïti. Ces tenants n'ont jamais fait preuve d'aucune sensibilité
pour soulever les questions d'équité dans les rapports entre
l'international avec la République Dominicaine et Haïti. L'histoire
rapporte le tollé des agitations des courants de la Gauche de
Port-au-Prince depuis après 1937 qui insistaient sur la
nécessité de redéfinir les rapports entre les deux
pays.
À chaque moment de graves incidents dans les relations
entre les deux Républiques de l'île, les groupes de Droite qui ont
pratiquement toujours gardé le pouvoir sous protection des
États-Unis n'ont jamais rien fait d'autre que de se soumettre, d'une
part, au diktat du Département d'État qui leur imposait
toujours de conclure coûte que coûte des accords avec les
Dominicains. Raison est que les intérêts économiques des
États-Unis sont énormes en République Dominicaine (Alexis,
1955, p. 157), il n'y a pas lieu de laisser des conflits avec Haïti
viennent salir la réputation de la République Dominicaine pour ne
pas attirer les foudres de l'opinion internationale et, en particulier,
l'opinion américaine. Et d'autre part, les dirigeants haïtiens se
courbent souvent devant les autorités de Santo Domingo pour
bénéficier de leur support en vue de contenir les actions
subversives des opposants haïtiens opérant depuis le territoire
voisin.
Pour preuve, nous reprenons l'issue des protestations
haïtiennes sur la tragédie exterminatrice des gens de couleurs en
1937 par le régime naziste de l'impitoyable Trujillo. Le
Président Sténio Vincent(1930-1941), prototype parfait des
inconditionnels fonctionnaires de la défense des intérêts
du système capitaliste néo-féodal en application en
Haïti, n'eut aucune gêne pour conclure un accord avec les
Dominicains en ramenant les négociations au niveau bilatéral.
Lamothe (2008, p. 48) rapporte les termes du contrat signé en date du 14
octobre 1978 par le Président Jean-Claude Duvalier(1971-1986) et le CEA
sous le gouvernement dominicain Antonio Guzman Fernandez, pour la
zafra100 de 1978-79 qui consistait à embaucher des
travailleurs paysans haïtiens pour aller
100 C'est le terme qui désigne la période de la
récolte de la canne à sucre dans les pays hispaniques de la
région caribéenne.
100
travailler- au prix de 0.5 $/jour- dans les
batey101 en République Dominicaine comme coupeur de
canne102. Après l'Arrêt TC 0168/13 qui mettait toute
l'opinion internationale dans un élan de fraternité envers les
Haïtiens pour pointer le caractère raciste des autorités
dominicaines, le gouvernement haïtien n'a pas eu le courage pour
capitaliser sur la conjoncture favorable de l'opinion internationale et
nationale, le Président Michel J. Martelly (2011-2016) et le Premier
ministre Laurent S. Lamothe ont pris la tangente dans des négociations
bilatérales avec le gouvernement dominicain. Dans toutes ces situations,
ce sont les consignes des États-Unis qui orientent les dirigeants
haïtiens dans la recherche de normalité dans la relation entre les
deux Républiques. Les relations internationales exigent une politique
intérieure qui cristallise la bonne combinaison des facteurs de
production de biens économiques.
3.7.1.-Insouciance des autorités
haïtiennes vis-à-vis de la frontière
L'histoire de la frontière Haïti -
République Dominicaine reste et demeure une notion encore non assez
étudiée pour pouvoir apporter toutes les lumières sur
toutes les facettes des évènements qui se sont produits dans
cette unité phénoménale depuis le traité de Ryswick
en 1697. Les zones frontalières sont les premiers endroits à
subir l'influence grandissante de la République Dominicaine qui exploite
toutes les occasions qui lui sont offertes par la gestion insouciante de
l'administration de l'État en Haïti. La dynamique de
l'évolution dans la société haïtienne exige de
nouvelles analyses dans les rapports avec la République Dominicaine. Les
paysans haïtiens de la 2e Section Lociane se retrouvent donc à la
croisée des chemins d'une situation de survie et d'indignation dans les
rapports des échanges commerciaux avec la partie dominicaine de la
frontalière vis-à-vis de la leur. Le côté
haïtien ne fait l'objet de gestion pouvant conduire à faciliter son
développement.
De toute évidence, il faut créer un cadre
normatif qui propose des moyens pour trancher sur les actions favorables
à entreprendre pour arriver à remonter la pente qui se dresse
dans la gestion irresponsable de l'espace territorial, en particulier l'espace
frontalier de la 2e Section Lociane. Au
101 C'est l'expression espagnole qui désigne les
milieux extrêmement précaires où demeurent les travailleurs
de la canne à sucre en République Dominicaine depuis la fin du
19e siècle. En 2014, il y avait 425 bateys qui
hébergeaient plus de 200000 personnes. Cf [Inès Da Gracia Gasper
« le batey en République Dominicaine : espace présent d'un
temps passé »| en ligne, publication du 1/12/2019, https :
doi.org/10.400/etudescaribeennes.17582].
102 Nous signalons que ces genres de contrat entrent dans une
routine depuis après l'occupation américaine. Gérard
Pierre Charles mentionne un accord signé le 20 janvier 1967 entre
Balaguer et Duvalier pour envoyer 20 mille travailleurs haïtiens dans les
Bateys au cours de l'année. Cf [Pierre-Charles, Gérard,
Radiographie d'une dictature. Haïti et Duvalier, Éditions de
l'Université d'État d'Haïti, P-au-P, 2013, op. cit., p
206].
101
devoir de changer la donne, l'amélioration des
conditions socio-économiques des paysans de la 2e Section Lociane est un
défi qui s'impose, entre autres, aux Haïtiens et
particulièrement aux agents locaux avec la participation des paysans de
Lociane.
Dans toutes les approches abordant la notion de
frontière, il y a une dimension de gestion qui se fait de l'espace
frontalier par rapport à la réalité des conditions
socio-économiques des habitants qui y évoluent. À propos,
la présente étude a essayé aussi de faire ressortir
l'apport des pays occidentaux dans la détermination d'une trajectoire
plus faste pour la partie de l'Est. Mais, il va s'en dire que les dirigeants de
l'autre côté ont, tout de même, su faire preuve de plus de
perspicacité dans la définition d'un idéal commun dans
l'intérêt national.
Le rôle de l'État dans l'aménagement du
territoire en termes de développement est prépondérant.
Ses interventions sont nécessaires afin d'établir des conditions
de vie suffisamment adéquates par l'offre de services de base aux
habitants de n'importe quel espace du territoire. La zone frontalière
présente un haut niveau d'intérêt stratégique de
sécurité et de coopération qui requiert la disposition
d'un équipage technique bien rôdé pour le contrôle.
Pour cela, la contribution des autorités locales dans la gestion directe
des espaces frontaliers est généralement essentielle. Tout ce
dont, la compréhension de certaines études enseigne la
viabilité de réussite possible dans une option dynamique de
décentralisation effective.
C'est pourquoi le prochain chapitre se penche sur la question
de la décentralisation où se réalise le transfert de
compétences de l'État à une entité juridique
distincte de lui (Jean-Charles, 2002). L'État central se cantonne alors
dans ses attributions formelles. Les collectivités territoriales peuvent
jouir d'une sorte d'autonomie organique et financière dont
l'effectivité est la finitude de la décentralisation.