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Conditions socio-économiques des paysans de Lociane, une section de la commune de Thomassique


par Frantz Isidor
Faculté d'Ethnologie de l'Université d'État d'Haïti - Maîtrise en Sciences du Développement 2024
  

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Chapitre III. Gestion de la frontière Haïti-République Dominicaine

La dynamique de la géopolitique internationale traduit fort bien la condition d'autonomie de gestion d'un État. Celui-ci se déclarant indépendant expressément ou tacitement est la principale source de la création de frontière. La réalité des frontières est dynamique. La limologie désigne le domaine d'études des conflits et représentations délimitatives des frontières. De manière conventionnelle, les frontières se décomposent en dyades - « frontières communes à deux États » - faites de segments. Elles sont des constructions sociales et politiques.

Hormis des considérations sur les récentes avancées dans le conflit mettant aux prises la Russie et l'Ukraine qui affectent du moins temporairement, depuis 24 février 2022, le panorama de la géographie des frontières où la carte des frontières du monde était relativement stable depuis trois décennies. En 1989, le monde était scindé par 264 dyades et 232,106 km de frontières, et en 2020, par 311 dyades et 261,570 km de frontières. Ce phénomène est complexe, compte tenu des rapports internationaux qu'il renferme.

La gestion de la frontière est abordée dans ses spécificités qui relèvent des aspects nationaux et internationaux de l'espace territorial. La prise en charge du contrôle de cet espace engage plusieurs niveaux de responsabilités qui s'activent dans la gestion spécifique des intérêts stratégiques que représente ce milieu. C'est ainsi que le rôle des agents locaux des collectivités devient un pallier important dans le dispositif global de la gouvernance d'un pays. Avec le transfert, le partage ou l'octroi de compétences aux collectivités territoriales qui s'effectuent dans la cohérence de l'unité étatique, la gouvernance se régionalise. Les autorités locales autonomes sont donc astreintes à des normes de gestion. Elles disposent des ressources qui leur sont propres. Elles sont aptes à créer des droits et redevances pour augmenter les recettes fiscales et concourir à des règlements pour élargir l'assiette fiscale. Concernant la 2e Section Lociane, l'importance des acteurs locaux s'accroît avec le volume grandissant des activités transfrontalières qui s'enclenchent dans la dynamique économique globalisante qui s'y réalise.

Mais la question traitée ici ne s'intéresse pas à l'aspect de la globalisation. Il est justement utile de préciser à titre de rappel que la question de la frontière est un point important dans cette recherche. C'est à partir du milieu frontalier que repose toute la concentration des activités économiques qui contribuent à l'occupation de la majorité des paysans haïtiens dans la zone frontalière de la 2e Section Lociane.

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Ainsi, le travail en fond d'écran consiste-t-il à soulever les points de conjonction qui cristallisent l'influence des puissances occidentales dans les rapports d'échanges avec les deux pays institués par des pratiques disproportionnées par ordre de traitement. Cela constitue la toile de fond des relations internationales par rapport à Haïti et la République Dominicaine. Mais cette situation offre aux Haïtiens une occasion bien propice qu'ils peuvent profiter pour faire une autocritique constructive. De même, ils pourront essayer de se mettre en état de compaison avec les Dominicains. Mais avant tout, il y a lieu de comprendre certaines théories du phénomène. Alors, il s'agit de retracer les différentes approches théoriques qui concernent la frontière, en général, en vue d'arriver à la particularité de la frontière entre Haïti et la République Dominicaine dans sa position géographique au niveau de la 2e Section Lociane.

3.1.-Différentes théories sur la thématique de la frontière

Les théories indiquent des idées qui sont développées dans la compréhension d'un phénomène social. La notion de frontière a connu une évolution assez spectaculaire avec le temps pour partir d'une conception traditionnelle en passant par une conception moderne pour atteindre des approches post-modernes. Ces dernières, étant donné leurs plus grandes vues sur les différents aspects qui composent le phénomène de la frontière, servent péremptoirement de support théorique dans cette étude. L'intérêt se traduit par le point de vue de la sécurité de la frontière qui permet de contrôler cet espace. Il s'agit de maîtriser les paramètres des échanges commerciaux et autres qui constituent des facteurs importants des conditions socio-économiques. Il en résulte que les théories sur la frontière fournissent un guide de compréhension des différentes exploitations qu'elle peut être l'objet. De plus, c'est dans la perspective de l'application de ces différentes théories que notre recherche a interrogé sur les représentations que les paysans se font de la zone frontalière dans les entretiens avec les informateurs-clés sur le terrain.

3.1.1.-Approche traditionnelle de la notion de frontière

L'approche traditionnelle du phénomène frontière conduit à projeter un regard sur la théorie d'Henry Dorion (cité dans Grenier, 1964) qui consiste à : décrire formellement et objectivement la ligne frontalière elle-même en faisant référence aux données juridiques et politiques ; décrire la région où s'inscrit cette ligne frontière en se référant aux données historiques, économiques et géomorphologiques ; enfin, établir les relations qui se tissent autour de ces données au regard de

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la géographie. Cette approche ne permet pas de saisir toute la complexité de la nouvelle réalité qui s'y développe. Aussi, l'évolution considérable qu'a connue le phénomène frontière nous amène-t-elle à considérer d'autres conceptions qui concernent la période moderne avec plusieurs autres approches.

3.1.2.-Considération sur l'approche moderne du phénomène de frontière

Le phénomène de frontière s'explique dans ce courant sur des aspects plus variés. Cette matière fournit assez d'éléments qui permettent de confronter une démarche assortie de différentes conceptions de nombreux auteurs produisant sur la thématique de la frontière. En ce sens, Breugnot (2012) affirme que la frontière joue des fonctions multiples dans de différents aspects allant du cas personnel à l'espace d'enjeux publics internationaux du point de vue politique et économique. La complexité subsiste du fait que la frontière renferme des éléments de dimension politique d'autant qu'elle constitue un espace économique générateur de ressources. Cependant, elle demeure un phénomène social au regard de la vie, d'histoire et de mémoire caractérisant sa dimension sociologique, sociale, culturelle, symbolique ou imaginaire. Le caractère géopolitique de la frontière se détermine dans la ligne ou la zone qui culmine la jonction du territoire d'un État à un autre État constituant des entités politiques indépendantes69.

La construction de l'Europe, après la seconde guerre mondiale, engendrait la notion d'espace frontalier qui offrait un tableau spatial voué spécifiquement à diminuer la fonction historique des frontières qui consistait à différencier officiellement deux populations ayant été caractérisées par leur appartenance nationale, linguistique et culturelle. D'une manière à susciter la quête de compréhension sur le fait que des populations vivent à quelques kilomètres l'une de l'autre et persistent à se considérer comme parfaitement étrangères les unes aux autres. En ce sens, la réalité de la proximité ne simplifie pas nécessairement la communication à cause de la complexité de la psychologie humaine définissant les charges émotionnelles résultant de l'histoire ancrée dans les traits culturels et les rapports d'identité.

69 Cette indépendance peut concerner des états dans un même territoire. On parle alors de frontières internes. C'est le cas pour la Suisse et le Canada qui tiennent au fil d'une pression politique visant à maintenir une cohésion minimale en vue d'écarter l'option séparatiste.

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De l'avis des auteurs Dubois et Rérat (2012), le cours de l'histoire a beaucoup contribué à redéfinir les frontières nationales. Certes, leur trace reste plus ou moins statique, mais leurs rôles et fonctions ont subi des évolutions dynamiques par rapport aux contextes historiques, politiques, économiques et sociaux durant le XXe siècle où de profondes mutations géopolitiques et économiques se sont produites dans le monde. La mondialisation s'implante en comprimant l'espace-temps tout en libérant la circulation de flux de capitaux, de personnes, d'informations et de marchandises. Alors, la frontière, par les pratiques des habitants qui y vivent, signifie de nouvelles perspectives qui contribuent à en redéfinir.

Ces auteurs conçoivent aussi que la frontière est une composante territoriale remplissant des fonctions de délimitation de souveraineté entre États, possibilité de contrôler la circulation qui s'y fait, défense du territoire national. L'accomplissement de ces fonctions participe à la construction d'une identité nationale. Assimilée à un binôme barrière/interface et coupure/couture, la frontière dispose d'un ensemble de règles, de normes et de procédures qui régulent et contrôlent leurs effets sur les acteurs sociaux, politiques et économiques dans une construction politique évolutive qui interagit avec le développement territorial des régions frontalières (partie déterminée de la frontière) et les pratiques spatiales de leurs habitants.

Encore Dubois et Rérat (2012) estiment-ils que la frontière place la distance dans la proximité entre deux États différents dans leurs systèmes institutionnels qui peuvent disposer souverainement des modalités de circulation sur l'espace frontalier. Il existe une réalité qui atteste l'incapacité du pouvoir central à faire respecter son ordre juridique sur ses frontières parce que celles-ci sont devenues l'objet de contrebandes de tout genre à cause du degré de leur porosité. Encore que les NTIC défient-elles toute législation et les frontières des États et rendent incontrôlables les flux d'échanges d'information que les États veulent souscrire.

3.1.3.-Préférence accordée à l'utilisation des approches post-modernes de la frontière

La responsabilité de l'État et des agents locaux s'engage dans la gestion (politique, sécuritaire, économique, etc.) de l'espace territorial. La préférence accordée aux approches post-modernes se justifie dans l'importance de la sécurité et du contrôle dans la limologie. En cette matière, l'identification du responsable de la sécurité est capitale. La sécurité recouvre : la macro-région, l'État ou ses parties. Le rôle symbolique de la sécurité d'une frontière, des images et du discours

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contemporain joue beaucoup dans sa perception70. En référence aux approches considérées postmodernes, il s'agit aussi de chercher à comprendre la position hégémonique que les autorités dominicaines se font dans leur conduite. À tel point qu'elles se donnent des motifs pour imposer une clôture qu'elles sont en train de construire sur la frontière. Par ailleurs, il est évident qu'à travers le monde, le développement des échanges économiques et culturels tend à amoindrir la rigidité absolue des frontières.

La présente étude aborde avec privilège un article de Dressler(2007) traitant des approches postmodernes qui se convergent dans une théorie de la sécurité frontalière. Cette théorie strictement sécuritaire découlant de la période post-moderne est considérée sur un territoire déterminé. Ses différentes parties recoupent l'identification des gens qui en est une appréciation symbolique. Elles intègrent également une identité ethnique et nationale71. La notion de sécurité nationale se familiarise aux représentations des frontières qui se confondent à l'utilisation de l'appareil policier de l'État pour assurer cette sécurité. Les zones de frontière sont acceptées comme des frontières naturelles pour les gardes-frontières, les services de douane et les concentrations d'unités militaires, spécialement dans les endroits perçus comme menacés par l'opinion publique. Dans sa complexité, la sécurité 72 renferme plusieurs subdivisions de types : la sécurité militaire, économique, politique et environnementale, etc. Concernant la 2e Section Lociane, l'absence de contrôle est un fait qui expose le pays à tout type de menace qui peut provenir de la République Dominicaine. Les routes qui passent par Nan Croix, Baranque et Savane Mulâtre conduisant à la frontière sont libres de tout contrôle du côté haïtien. Elles sont souvent empruntées par des criminels, notamment les voleurs de bétail qui opèrent dans cette zone. Des paysans ont été assassinés à Savane Mulâtre au cours du mois d'octobre 2022 par des hommes qui sortaient de la frontière. Et, ils s'y sont repartis après la perpétration de leur acte meurtrier en toute quiétude. La présence de la police nationale d'Haïti se manifeste seulement à Boc Banic qui détient la voie de communication en terre battue la plus appropriée pour atteindre à la frontière. Cependant, les rivières Lociane et l'Artibonite à traverser ne disposent pas de ponts de passage. (Voir Annexe 2).

70 Ainsi, Paasi(1996) et Aolto(2002) pensent-ils qu'en dépit des conflits historiques entre la Suède et la Finlande, les représentations sociales concernant leurs frontières sont positives, alors que la frontière de la Finlande avec la Russie est perçue comme une source d'immigrants illégaux, de criminalité, de pollution et autres menaces.Cf. [Camille Dressler « L'approche des frontières du point de vue de la sécurité» publication en date de 01/12/2007|En ligne sur www.cairn.info, site consulté le 14/02/2023].

71 Nous pouvons considérer Sebastopol en Russie et le Kossovo en Serbie sont de tels territoires symboliques

72 Dans son acception étendue, la sécurité renvoie à celle des systèmes vitaux et l'absence de menace sur la vie des habitants et sur leurs activités.

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La prévention de la menace militaire échafaude le socle primaire de l'interprétation traditionnelle du rôle des frontières étatiques dans la question de la sécurité nationale. La priorité accordée à l'efficacité de combat militaire en vue de repousser l'agression d'un ennemi potentiel détermine le régime spécial des zones militarisées engendrées par des zones frontalières. La sécurisation d'une zone frontalière entraine le maximum de contrôle sur les flux frontaliers. Les individus, les marchandises ou les informations indésirables, etc., sont maitrisés, contrôlés, bloqués ou laissés passer devant la ligne frontalière du territoire d'État. La frontière qui permet de remplir facilement le contrôle du flot transfrontalier est généralement moins dense et par conséquent, l'activité économique y est stagnante. L'approche basée sur la sécurisation de l'État exige que cette fonction lui soit dévolue et que les intérêts sécuritaires des régions frontalières s'intègrent dans ceux de l'État lui-même. La géopolitique détermine donc la géo-économie.

Il y a une pluralité de vue des frontières dans les études post-modernes. On priorise le cas où tout le territoire de l'État est impliqué dans les échanges commerciaux qui rendent particulièrement ces régions frontalières des attractions de croissance économique et des centres d'innovation. Il y a une perspective de déboucher sur des agglomérations urbaines, zones industrielles, etc. Il peut aussi en résulter des mariages ethniques et des changements de structure ethnique et identitaire dans la population en termes de donnée démographique et sociale dans ces régions frontalières. Lorsque la confiance s'accroit mutuellement les préjugés stéréotypés disparaissent. Cette situation permet l'emploi des méthodes modernes de contrôle télécommandé au lieu d'en tenir aux moyens traditionnels de contrôle. Aussitôt qu'il y ait un changement dans la perception de menace de la sécurité nationale ou régionale. Il s'agit de supposer de l'efficacité des forces militaires à conjurer tout danger. Mais, il est une constante que seules les forces militaires ne peuvent arrêter l'immigration illégale, les trafics de drogues et d'armes, les risques d'épidémies, de pollution transfrontalière et de désastres environnementaux globaux. Alors, l'économie est terriblement affectée et la société est dérangée avec la persistance de l'emploi des méthodes traditionnelles dans le contrôle des flux transfrontaliers croissants. L'une des méthodes privilégiée de nos jours est la coopération étroite entre les États voisins. Elle requiert de la confiance mutuelle73. L'approche post-moderne de la sécurité des frontières interpelle la contribution des gouvernements dans le développement de la coopération transfrontalière au niveau des autorités locales. Les intérêts

73 La notion de confiance mutuelle renferme une opération conséquente de dé-militarisation des zones frontalières et l'ouverture des frontières (dé-sécurisation).

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spécifiques des zones frontalières ne peuvent plus longtemps être restés ignorés par le pouvoir central qui dès fois fait obstacle à la coopération régionale qui intègre désormais la sécurité. Cette théorie insinue le rôle prépondérant des initiatives des autorités locales dans la gestion de l'espace territorial. Elle démontre aussi l'importance de la décentralisation qui s'exprime dans sa teneur dévolutive.

3.1.3.1.-Approche systématique de la défense des frontières

Cette approche entend élaborer un plan pour la défense de tout le territoire du pays en même temps que les frontières. Le combat s'engage donc contre l'immigration illégale et le trafic de drogues au-delà des mesures défensives au niveau des frontières74. L'espace s'étendant sur les régions intérieures en plus de la zone du long des lignes frontalières contribue au développement du transport des échanges commerciaux et des communications pour créer des frontières au- dedans du territoire de l'État...

Les acteurs locaux et internationaux sont interpellés à partager la responsabilité de la sécurité frontalière au côté de l'État. Car, il n'est pas question de se leurrer à prévenir à toutes les éventualités, mais le mieux est de se préparer à réagir promptement le cas échéant, d'une manière flexible et appropriée.

La vie réelle présente d'autres vues à l'application idéaliste des recommandations post-modernes. L'inertie des vues traditionnelles, la culture géopolitique, les impératifs de construction de l'État et de la Nation, sont en quête de renforcement opéré par le rôle symbolique des frontières, le caractère même de l'espace frontalier et d'autres facteurs géopolitiques75.

3.1.3.2.-Approche discursive des frontières comme représentations sociales

Le discours et les représentations sociales intègrent des valeurs en soi, des fonctions des frontières et souventes fois concernant leur démarcation. Les études de la limologie s'en intéressent donc.

74 À l'appréciation des données de Prozrachnye Granitsy(2002), (cité dans Dressler, 2007), au niveau international, seulement 5 à 10% du trafic de drogues sont susceptibles d'être interceptés dans les points de passages officiels. C'est pour cette raison qu'il convient de s'attaquer aux sources de ce trafic -les organisations criminelles internationales. Il s'agit de faire preuve d'attitude d'ouverture pour rendre la transparence de l'information sur le flot transfrontalier avec la possibilité d'un audit international et le télé-contrôle via les technologies modernes (Lalliner, 2001 ; Moisio, 2002).

75 Les processus d'intégration dans les nouveaux Etats indépendants de la CEI avancent souvent dans deux directions : Ils essayent de combiner l'aspiration à l'intégration à la grande Europe avec les relations stables avec le Russie. Mais ils sont souvent obligés de choisir soit l'UE, soit la Russie ; soit les frontières relativement transparentes avec les nouveaux membres ou les pays candidats de l'UE, soit avec la Russie. Les frontières européennes et les frontières politiques et administratives dans l'espace post-soviétique forment en fait un système intégré. En fait, la transparence de l'énorme frontière entre la Russie et le Kazakhstan ne fait pas bon ménage avec l'ouverture des frontières occidentales, plus particulièrement les frontières frontales. Cf. [Camille Dressler (ibid]).

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La théorie de la géopolitique critique76 désigne une géographie haute et une géographie basse. La première, décomposée en géopolitique théorique et pratique, embrasse un champ de politiciens et d'experts par la création des concepts tentant d'estimer une haute représentativité de leur contrée au niveau international.

La géopolitique basse recoupe l'ensemble des représentations géopolitiques, de symboles et d'images dans les médias, etc. C'est le socle visionnaire de la géopolitique mondiale. La construction de l'État s'y rejoint un élément d'identité politique et ethnique et un outil d'action. L'espace politique comprenant la sécurité nationale et des menaces, les avantages et désavantages d'une stratégie spéciale dans les relations internationales forme les représentations des relations constitutives de la vision géopolitique77 mondiale. Les différents groupes sociaux interprètent à leur sens le rôle des frontières. Un phénomène mythique couvre alors les représentations des frontières pour la plupart des groupes. L'identité politique et ethnique dérive donc des représentations78 des frontières. Le renforcement de régime des nouveaux États indépendants se réalise dans le rôle symbolique des frontières79.

3.1.3.3.-Le rôle fonctionnel de l'approche politique-pratique-perception dite approche `PPP'

Cette approche fait une synthèse de différentes approches traditionnelles pour rejoindre les valeurs pratiques de l'approche fonctionnelle80. Des niveaux spatiaux différents provoquent l'analyse combinée de cette approche qui s'avère importante de :

1) relever les flux transfrontaliers propulsés par la frontière en se concentrant sur les réseaux d'affaires frontalières de l'ensemble des acteurs sociaux ; 2) considérer les facteurs des flux

76 La notion de géopolitique critique est développée par Toal(1996) et d'autres auteurs, Cf.[Camille Dressler(ibid.)]

77 Selon Djikink(1996), Taylor et Flint(2000), repris dans l'article de Camille Dressler, cette vision regroupe également les représentations du territoire des groupes ethniques ou de la nation politique et leurs frontières, les modèles d'Etat idéal, la mission historique et les forces prévenant sa réalisation. De même d'après Kolossov(1996) cité par Camille Dressler, cette vision provenant de l'histoire et de la culture nationale, est une synthèse des vues véhiculées par différents strates de l'élite politique, les experts académiques, l'intelligentsia des créateurs et l'opinion publique générale. L'activité du gouvernement est légitimée par l'équivalence de la géopolitique haute et basse.

78 Il importait pour les dirigeants politiques d'Europe centrale et orientale de présenter leur frontière à l'échelle globale comme les démarcations entre l'est et l'ouest, comme frontière européenne à l'échelle macro-régionale et de présenter, à l'échelle locale, les frontières naturelles de leur groupe ethnique comme des frontières historiques ; ou à l'inverse, comme résultat de compromis sages mais difficiles à réaliser au nom de la stabilité internationale (Berg et Oras, 2000 ; Moisio, 2002).

79 Les frontières des pays baltes avec la Russie sont ainsi interprétées comme les limites entre l'ouest et l'est, l'Europe civilisée et l'Asie `Barbare`. Il s'agit d'une dynamique très politisée des rapports entre la Russie et ses voisins dont les intérêts de coopération frontalière seront toujours mis à mal en fonction de la haute géopolitique. C'est ainsi qu'en ex-URSS, l'attitude sacrée envers la frontière de l'Etat est profondément inscrite dans la conscience collective (Kolossov, 2003).

80 Selon Henri Lefebvre, une pratique sociale découle de la frontière qui représente plus qu'une institution légale visant à assurer l'intégrité du territoire de l'Etat. S'y ajoute le résultat d'un long développement historique et géopolitique, un décisif symbole d'identité ethnique et politique.

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transfrontalier et la connexion fonctionnelle barrière/contact qui engendrent la capacité des États dans les stratégies de leurs autorités locales ; 3) entendre à l'interdépendance entre les activités frontalières, la perception81 des frontières et leurs infrastructures institutionnelles et légales.

Cette approche tenant compte du comportement des individus82 dans la zone frontalière relève surtout de la théorie traditionnelle. Il en résulte que la zone des cycles de vie humaine s'en transforme également. Idéalement, cette zone adopte la forme des cercles concentriques reflétant l'affaiblissement avec la distance, des contacts d'individus avec son lieu d'origine. Certains critères personnels s'ajoutant au développement des transports, des facteurs politiques et légaux contribuent à former cette zone des cycles de vie qui montre un aspect différent des autres régions du territoire national. Les personnes les mieux éduquées se rapprochent le plus aux structures étatiques que celles les moins éduquées. Les comportements des individus et ces zones des cycles de vie sont des variables déterminées par les facteurs internes subordonnés à la proximité de la frontière.

Ces facteurs internes recoupent les conditions socio-économiques autant que les restrictions administratives et légales. L'association des gens aux intérêts de leur groupe ethnique, des citoyens à leur État et des habitants à leur région ou à leur proximité joue un rôle prépondérant dans l'identité ethnique et nationale. Dans le cas de la 2e Section Lociane, cette approche `PPP' permet de comprendre les relations personnelles que les Dominicains et les Haïtiens se développent dans leurs rapports de proximité.

3.1.3.4.-Détermination structurelle de l'approche Eco-politique

Les considérations sur les frontières sociales ne relèvent pas des processus naturels. Les frontières administratives ou politiques agissent sur les montagnes, les bassins fluviaux 83 , les zones ornithologiques ou poissonneuses, les monuments de la nature, les mers intérieures et autres

81 Selon Scott(2000) et Van Houtum(1999), la « perception de la frontière dans son caractère, son évolution et les canaux d'influence des représentations sociales relatives aux frontières, régions frontalières, relations entre États et régions voisines, coopération frontalière et discours spécifique des géopolitiques hautes et basses »Cf [Camille Dressler (ibid.)]

82 C'est ainsi que l'approche PPP, selon Lunden(2000), Lunden et Zalamans (2000), est considérée proche de la théorie du comportement humain dans les zones de frontières. John House(1987), estime qu'elle est apparentée aux approches post-modernes et à la théorie fonctionnelle. Cf [Camille Dressler (ibid.)]

83 Les bassins fluviaux représentent des régions naturelles étroitement intégrées qui, en même temps, représentent la base d'habitation et de transport. Ils déterminent souvent les frontières entre les territoires créés historiquement et les communautés culturelles. Mais les problèmes d'utilisation de l'eau, des ressources biologiques et énergétiques sont des sources classiques de conflits frontaliers internationaux.

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régions naturelles qui y sont souvent divisées. D'autant plus que les dépôts de minéraux connaissent le sort partagé entre plusieurs unités politiques.

La diffusion des polluants dans l'air et dans l'eau se réalise à travers le milieu naturel relevé des régions naturelles intégrées84.

3.1.3.5.- Imaginaire d'un monde sans frontières

Le courant de pensées néo-libérales véhicule une libération de l'économie, le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication et une prospérité croissante débouchant sur l'ouverture graduelle plus intégratrice des frontières politiques au lieu de leurs formes aliénantes actuelles. La nécessité de coopération internationale pour résoudre les problèmes environnementaux et énergétiques à l'échelle planétaire convainc à l'effet de telle option. Des lois internationales faciliteront plus aisément des solutions aux conflits frontaliers. Les contradictions à ce propos seraient surmontées avec la séparation des fonctions économiques et idéologiques85 des frontières. L'unanimité ne se dégage pas autour du paradigme d'un monde sans frontières, parce que dans les régions où les processus d'intégration sont très avancés, les frontières demeurent encore une barrière. En Amérique du Nord et en Europe où se répartissent généralement des démarcations pacifiques, intégratrices, ouvertes, internationalement reconnues, cette idée pourra s'appliquer plus facilement que dans d'autres continents tels qu'en Asie et en Afrique où subsistent les conflits 86 potentiels frontaliers. D'ailleurs, toutes les régions du monde bercent des mouvements nationalistes. La loi internationale bute à de nombreuses contradictions qui touchent au droit illimité des peuples à l'auto-détermination et à l'intégrité territoriales des pays souverains et à l'inviolabilité de leurs frontières. Autant d'obstacles qui mettent ainsi à mal l'idéal néo-libéral à ce sujet. Cette réalité de point d'obstacle n'échappe pas à la zone de frontière de la 2e Section Lociane qui présente différents points de contrôle du côté dominicain. La partie haïtienne

84 Les travaux de Young(1997) et d'autres chercheurs (cités dans Dressler, 2007) révèlent l'incitation à la coopération internationale et avec elle les coopérations frontalières dans la recherche de solution des problèmes environnementaux à l'échelle régionale et globale. Des chercheurs en sciences politiques spécialistes des relations internationales et des géographes physiques se concentrent sur l'étude des problèmes d'environnement et de politiques transfrontalières.

85 A ce propos Ohmae (1995), Prescot(1999) pensent que « l'excès de nationalisme ainsi qu'un droit illimité des peuples à l'auto-détermination doivent être dépassés grâce à la démocratisation en profondeur et en largeur. » Wu Chung-Tong(1998) souligne que l'optimisme se dégage du développement rapide des coopérations transfrontalières entre les régions du monde par des modèles identiques.

86 L'Europe et l'Amérique du Nord disposent des frontières au sol qui représentent 5% de longueur entre les Etats, alors qu'en Afrique, 42% de longueur des lignes frontalières sont tracées sans aucunes considérations des réalités sociales. La période colonialiste des Français et des Britanniques en a imposé 37% sur le seul motif de partage territorial. Cf [Camille Dressler, idem]

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correspond mieux à cet idéal de frontière libre dans les seize points non contrôlés par l'administration douanière haïtienne.

3.2.-Question de la délimitation de la ligne frontalière Haïti-République Dominicaine

La question de la délimitation de la frontière Haïti-République Dominicaine s'inscrit dans la démarche de la recherche de la vérité historique et sociologique qui peut permettre de saisir les évènements qui ont accouché la frontière de l'île Hispaniola.

Le cours de l'histoire montre bien comment s'est évoluée cette île qui a été l'objet de découverte87 par Christophe Colomb pour le compte d'Espagne, en 1492, d'où provient sa dénomination Hispaniola (Isla Hispagnola) : petite Espagne. La population autochtone - composée de Tainos, Ciboneys88 et d'Arawaks, l'ayant appelé Haïti (Ayiti), Quisqueya (Kiskeya) ou Bohio, repartie en cinq caciquats ou royaumes : le Marien89, le Xaragua, la Maguana, la Magua et le Higuey - y sera presque totalement décimée en quelques décennies (C. Lespinasse, 2020, p.68). L'occupation de l'île connaitra des mouvements qui donneront lieu à la domination des Espagnols en débutant la traite négrière en 1503 avec Nicola Ovando. Et puis, l'intrusion des corsaires français au cours de 1625 dans la côte occidentale déterminera un état de fait de rivalité grandissante entre les puissances européennes, notamment celle entre l'Espagne et la France conduira à un partage qui marquera le début du processus de différenciation de domination. Il se produisit un phénomène de coïncidences existentielles de ces deux puissances sur l'île. Celles-ci orienteront leurs espaces territoriaux dans des choix différents sur les plans social, économique et politique. Cela constitue une donnée socio-historique qui démontre et/ou détermine la valeur anthropologique des deux peuples sur la même île. Et par-dessus, il en résulte un complexe institutionnel de deux Républiques avec deux peuples bien distincts dans leurs moeurs et coutumes dont une frontière étanche s'établit entre eux en des circonstances particulièrement singulières.

87 Le concept de conquête convient mieux pour rentrer dans la logique de Laënnec Hurbon dans son papier : le Barbare imaginaire, Les éditions du cerf, Paris, 2007, p 8.

88 Benoit Joachim a fait mention de cette couche raciale parmi les habitants primitifs de l'île d'ayiti en 1492 dans son ouvrage intitulé : les racines du sous-développement en Haïti [1979].Editions de l'université d'Etat d'Haïti. Port-au-Prince, 2014, p98.

89 La distribution territoriale des naturels de l'île Ayiti en cinq caciquats ou royaumes est une illustration qui détermine que la puissance d'un chef (cacique) sur une spatialité et ses sujets. Le marien représente l'actuelle région du Nord-ouest, gouverné par Guacanagaric, il acceuillit Christophe Colomb; le xaragua, représente la partie de l'Ouest occidental jusqu'à l'actuelle pointe de Tiburon dont le centre de pouvoir était à Léogâne avec Bohecio et sa soeur la reine d'Anacaona à l'arrivée des espagnols ; la maguana, gouvernée par Caonabo, s'étendait dans la région centrale d'une partie de l'Artibonite au Centre échouant dans les hauteurs de San Juan rejoignant les lieux de Barahona ; la magua comprenait la partie nord-est jusqu'à la baie de samana à l'océan atlantique, dirigée par Guarionex; enfin le higuey couvrait la partie extrême orientale baignant sur la mer atlantique, dirigé par Cayacoa. Ces deux derniers caciquats étaient situés la partie orientale de l'île, la République Dominicaine.

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3.2.1.-Rapports Haïtiens et Dominicains

Les peuples partagent des élans de solidarité et de rapprochement dans toute situation qui interpelle les raisons objectives et subjectives de leurs intérêts. Les considérations socio-historiques façonnent bien des traits dans le comportement des peuples. Mais les intérêts économiques sont d'une importance capitale dans la gestion des rapports entre des peuples. En substance, les deux peuples de l'île Hispaniola fonctionnent ensemble dans un esprit de solidarité, de coopération et d'entente pour développer des échanges commerciaux et autres en dépit de la frontière qui les sépare.

La frontière représente un point de jonction entre ces deux peuples qui regorgent autant de différences de par la culture, la langue et la législation. Les Dominicains manifestent un plus grand penchant pour laisser la zone frontalière en direction des villes urbaines, alors que les Haïtiens, eux, ont tendance à s'y rapprocher en vue de profiter des opportunités économiques et commerciales de l'espace frontalier et bénéficier des services de bases qui font défaut dans leur contrée. En fait, Haïti ne fournit pas assez de services de base aux habitants de la zone frontalière.

Selon Lamothe (2008, p. 146), entre les habitants qui vivent dans la zone frontalière et les autorités politiques, il existe un grand écart d'appréciation de la ligne frontière. Cette ligne frontalière que les administrations politiques tendent à surveiller est une ligne imaginaire. Les habitants des deux côtés s'entendent pour vivre ensemble, ils font du commerce et partagent des traits culturels en commun. Mais cette considération est nuancée par d'autres auteurs qui décrivent clairement le sentiment anti-haïtien se propageant dans certains milieux sociaux en République Dominicaine.

Selon Alexandre (2009), il reste un fait qu'un fort sentiment anti-haïtien s'intensifie avec des actes de violences contre les Haïtiens en République Dominicaine. Par ailleurs, depuis après les années 1990 du coup d'État et de l'embargo, il se réalise un important développement de réseaux de transport entre les deux pays, trouvant un relais de progression avec l'ère des nouvelles technologies de l'information et de la communication qui constitue un moyen de communication de masses nécessaires à faciliter l'extension des échanges commerciaux. D'autant plus qu'un nombre croissant d'étudiants haïtiens investissent les centres d'enseignement supérieur en République Dominicaine. En outre, il se développe un réseau touristique de la petite bourgeoisie haïtienne, divisée en deux catégories dont l'une, d'après Louis (2019, p. 235) est qualifiée d'aile

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établie et l'autre, d'aile nouvelle de la classe moyenne haïtienne, qui pratique régulièrement ou par saison en visite à la République Dominicaine.

Théodat (2010) affirme « qu'entre Belladère et Elias Piña, s'établit un couloir inachevé, tant le potentiel de croissance du plus important bassin versant commun aux deux pays semble receler de défis. Les villes de Hinche, Thomassique, Mirebalais et Lascaobas sont en train de subir l'influence cristallisante de San Juan et d'Elias Piña, les deux localités dominicaines les plus importantes dont la prégnance s'exerce en profondeur désormais sur le territoire haïtien. L'amélioration des liaisons terrestres renforcera cette emprise dans un premier temps si rien n'est fait pour renforcer simultanément des politiques publiques renvoyant aux capacités de production des campagnes et des provinces limitrophes haïtiennes. Sans ces garde-fous nécessaires, l'accélération du volume d'échange avec le territoire haïtien se fera au détriment de son agriculture et de son artisanat ; son commerce étouffera ses ateliers et ses usines ». C'est aussi un fait que la 2e Section Lociane s'encastre dans sa dépendance accentuée de la partie orientale avec Banica, Hato Viejo et Savana Cruz. Une question dans les entretiens cherche même particulièrement à relever cette relation de dépendance des Haïtiens par rapport à la frontière.

Des positions exprimées par nombreux auteurs insinuent un mal être social et économique du peuple de la République d'Haïti souffrant des précarités qui résultent de l'abandon de l'État. En raison surtout du manque d'éducation politique, surgit l'avis de Joachim (1979/2014, p.169). Concernant l'État haïtien, Corten (2013, p. 21) qualifie de déliquescence toute l'infrastructure sociale d'un État qui s'apparente à un État failli. Par la difficulté majeure d'établir une concordance dans les intérêts des élites et le reste de la société, il s'ensuit le renforcement des inégalités sociales privant la majorité de la population du minimum de bien-être. Les conditions socio-économiques se dégradent de plus en plus en Haïti. Cette situation pousse à rechercher, entres autres, pour certains, les causes structurelles dans la gouvernance qui s'écarte de l'État de droit.

En effet, la gouvernance doit être articulée aux niveaux : politique, social et économique. Aussi passe-t-elle par la transparence dans les actions gouvernementales, les bonnes mesures, les sanctions, la reddition de comptes entre autres qui forment le pilier de l'État de droit démocratique eu égard des conditions d'évolution technologique. Et, ces conditions sont primordiales à la réalisation de la construction du projet socio-politique et économique de l'État. Comme l'a souvent répété Denis (2018) : « une stratégie de développement économique s'engage dans un processus. Ce dernier implique le savoir scientifique, les connaissances techniques et empiriques, des innovations

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technologiques et une ingénierie dans les pratiques sociétales. Lesquelles déterminent un certain seuil dans la marche du développement socio-économique du pays. Ces stratégies de développements économiques ont été appliquées dans le but de parvenir à un certain niveau de bien-être économique et social collectif. » (p. 174).

Les difficultés d'Haïti à assumer les conséquences de ses rapports transfrontaliers avec la République Dominicaine ne datent pas d'aujourd'hui. Mais, les effets négatifs de ces rapports disproportionnés n'ont jamais manifesté autant d'impact sur la dynamique interne du pays. D'ailleurs le traitement de la question de la sécurité nationale a grandement consommé l'énergie de ce travail dans la démonstration des intérêts majeurs qui caractérisent cette matière. La prolifération des armes à feu et des munitions ne serait-elle pas une preuve de la porosité de la frontière entre autres voies ? Aussi la compréhension de notre perception de la frontière avec la République Dominicaine ne suffit-elle pas pour expliquer le moindre degré d'importance que nous accordons à la dimension socio-historique qui a donné lieu à ce phénomène.

3.3.-Contexte socio-historique de la frontière Haïti-République Dominicaine.

L'histoire de la création de la frontière retrace des particularités sur plusieurs ordres et présente une réalité bien particulièrement complexe et intéressante, compte tenu des contentieux historiques qui marquent les relations substantielles qui lient les destins des deux pays qui en ressortent des fonts baptismaux dans l'île Hispaniola.

L'auteur Price-Mars (1953/1998a) souligne que l'implantation de l'emblème de la Rédemption : la croix du Christ dans la région du Nord de cette île montagneuse de l'archipel des Antilles en 1492, par Christophe Colomb fait entrer l'île d'Haïti dans l'histoire du monde. Allaient s'ensuivre deux évènements aux lourdes conséquences humanitaires : l'extermination graduelle des 700,000 possesseurs naturels qui donnait lieu, quelques décades plus tard, à la conjoncture de la traite des Nègres d'Afrique pour assurer l'exploitation dans un système colonialiste et esclavagiste. Pour consacrer droit aux puissances de la péninsule ibérique : L'Espagne et le Portugal, en 1493, le Pape Alexandre VI leur avait distribué les terres de l'Amérique. Cette décision fut méprisée par les autres puissances à savoir : la France, L'Angleterre et la Hollande. Ces dernières se réclamèrent également le droit de jouir des aventures aux Amériques.

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Au fil des ans, le système d'exploitation colonial privilégié par l'Espagne ne donnait plus de rendement avec l'épuisement des mines d'or et d'argent dans la partie occidentale. Les Espagnols se concentraient essentiellement dans la partie orientale qui pompait encore de métaux précieux. Le délaissement de la partie occidentale allait favoriser l'avancement dans les grandes terres des boucaniers et flibustiers français vers 1625 qui s'établirent et menèrent des activités pirates déjà quelque temps dans l'île de la Tortue. Dans la guerre européenne de la France contre L'Espagne, l'île Hispaniola va être un sujet de transaction. En nombre supérieur, les Français occupèrent progressivement beaucoup de terres dans la partie occidentale. Les Espagnols90 , en position de faiblesse, étaient contraints de négocier. Ainsi, en est-il sorti le traité de paix de Ryswick en 1697 où l'Espagne cède le tiers (1/3) occidental du territoire de l'île à la France (Price-Mars, 1953/1998a), tout en conservant l'autre deux tiers (2/3). Selon C. Lespinasse (2020, p. 56), la volonté de ne pas mélanger ses sujets catholiques aux flibustiers français de confession protestante était une raison qui poussait les Espagnols à se séparer des Français dans la signature de ce traité. C'est le socle fondamental de création de la frontière entre les deux futures Républiques de l'île. Alors, il est évident de constater la construction sociale et politique de cette frontière à partir de ces éléments. En un mot, les Européens ont créé cette frontière sur l'île Hispaniola.

Entre-temps, les Espagnols ont bien trouvé des opportunités plus fructueuses dans les conquêtes minières des terres sud-américaines qui les font négliger l'île dominée et exploitée depuis 1492. Il est rapporté que depuis le dernier quart du XVIe, leur nombre se réduisait considérablement sur toute l'île. Lequel constat avait été réalisé par l'anglais Sir Francis Drake, en planifiant l'attaque et le pillage de Santo Domingo en 1586. Même avec l'arrivée des premiers noirs d'esclaves en 1503, sous l'insistance du prêtre catholique Las Casas, l'ensemble ne pouvait donner la supériorité numérique des occupants pour le compte d'Espagne. La forte concentration d'immigrés d'Espagne s'accentua en 1506 sous le proconsulat de Nicola Ovando. Cette période montra l'opulence de la richesse d'or qui coulait à Hispaniola. Peu versés dans les quelques fermes de culture de manioc, du tabac en parallèle aux tentatives d'élevage et de la pratique de la coupe de bois précieux rougeâtres, tels que l'acajou, le campêche, depuis vers 1530, les Espagnols ne montrèrent plus d'intérêt pour l'île Hispaniola. Surtout, ils se rendaient compte de la plus grande difficulté à défricher la partie occidentale. Défis que les flibustiers français ne tarderont pas à relever en

90 En 1695, les Espagnols avaient pourtant lancé une opération qui solda par l'incendie complète de la bourgade du Cap-Français fondée par des boucaniers et des flibustiers en 1670. Cf [André-Marcel d'Ans, Haïti : Paysage et société, Éditions Karthala, Paris, France, 1987, op.cit., p.118].

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introduisant d'intenses cultures agricoles dans la partie occidentale qu'ils s'infiltrèrent à cause de l'alanguissement des Espagnols.

Mais est-ce que le traité de Ryswick de 1697 définissait-elle une délimitation précise du partage de territoire de l'île Hispaniola ? Évidemment, la solution dans la spatialité délimitative ne se résolvait pas avec ce traité. Il eut fallu la réalisation du traité d'Aranjuez en 1777, selon Théodat (2008, p. 115), qui accorda une répartition frontalière en fixant deux contrées distinctes aux points des embouchures des rivières du Massacre et de Pedernales.

3.3.1.- À partir de l'action de Toussaint Louverture

Toussaint Louverture, dans ses manoeuvres et tactiques politiques pour parvenir à l'émancipation des Noirs à la liberté, n'hésitait pas tantôt de côtoyer les royalistes du camp espagnol. Par cela, il leur donnait des empiètements à l'Ouest. Et, lorsqu'arriva la proclamation de Santhonax du 29 août 1793 de l'abolition de l'esclavage par les Français - acte qui visait surtout à contenir l'effervescence destructrice des masses esclaves -, Toussaint devient donc républicain en renouant l'alliance avec les armées françaises. Il permit alors à la partie occidentale de regagner en territoire avec l'occupation de toute la région du Nord. La proclamation de la Convention française en date du 4 février 1794 raffermit davantage la position de Toussaint91 dans la lutte territoriale. Ces actions politiques de Toussaint ont grandement joué sur le maniement de la ligne frontière.

L'intérêt des Espagnols se désengage sans cesse pour l'île Hispaniola qu'ils abandonnèrent au fur à mesure que les mines de la grande terre d'Amérique gisaient en abondance. Voyant au contraire l'intérêt manifesté par les Français, les Espagnols leur cédèrent la partie orientale par le traité de Bâle en 1795. Toute l'île appartient légalement à la France à partir de cette date. Cette phase est considérée comme un moment de la déshipanisation des Antilles (Ans, 1987, p. 93).

91 Au début de 1793, la France entre en guerre contre l'Angleterre et l'Espagne. L'île Hispaniola en sera un terrain de conflit avec le ralliement des insurgés ayant à leur tête Jean-Francois, Biassou et Toussaint, dans le camp de l'Espagne. En ce moment, les français contrôlaient pratiquement seulement l'espace territorial du Cap. La frontière avec l'Est ne tenait qu'en ce lieu. Les anglais avancèrent dans le Sud et les Espagnols ont progressé jusqu'à Fort-Liberté, les mornes du Nord, la région de Mirebalais et tout près de Port-au-Prince. Toussaint, lui-même pénètre pour le compte du roi d'Espagne les milieux du nord-ouest sur Plaisance, Gros-Morne, Terre-Neuve, Acul, Limbé, Port-Margot et à l'ouest sur les hauteurs de Verrettes, la Petite Rivière. Il entre aux Gonaïves et s'établit à Marmelade en tant colonel de l'armée espagnole. A la fin de l'année 1793, Toussaint se sépare des siens et de la couronne royale pour rejoindre la République française en se proclamant général en chef de l'Armée des insurgés. Il attaque Saint-Raphaël et puis Gonaïves. Ces entreprises ont permis à la France de reprendre des territoires dans les limites qui ont été consignées dans l'accord d'Aranjuez en 1777. Les luttes de Toussaint ont été incisives dans les décisions des Espagnols avec le traité de Bâle en 1795 (Pluchon, 1989, pp. 83,84).

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Après la guerre du Sud et la mise en cachot de Rome à la fin de l'année 1800, Toussaint Louverture a connu une fulgurante montée. Il devient gouverneur général de la Colonie de Saint-Domingue qui l'attribue aux fonctions d'administrateur civil et de chef des armées. Selon Price-Mars (1953/1998b), il est à remarquer l'opportunisme du génie de Toussaint Louverture qui conçoit audacieusement le dessein d'unification des parties Ouest et Est en un tout administratif à partir du 7 février 1801 par la force des armes et en proclamant la fin de l'esclavage à l'Est. Son entrée à Santo Domingo a mis aussi fin à la domination du gouverneur espagnol Joachim Garcia avec ses troupes et les généraux français Chanlatte et Kerverseau. Alors, il réalisa effectivement le voeu politique du traité de Bâle sous son court règne 1800-1802. Aussi la proclamation de la Constitution de 1801 en fut-elle un socle inébranlable de sa volonté (Etienne, 2020, p. 176). Toussaint Louverture a montré par ses actions la corrélation directe de la politique intérieure avec les actions politiques de l'extérieur.

3.3.2.- À l'ère de l'indépendance d'Haïti

Après la proclamation de l'indépendance haïtienne en 1804, seule la partie s'étendant entre le cap Tiburon et la rivière massacre respirait de la liberté. Avec la reddition de capitulation des troupes expéditionnaires après la bataille de Vertière en 1803, certains colons et les débris de l'armée vaincue se rendaient dans la partie de l'Est en considérant l'effet du traité de Bâle qui leur donnait un quelconque droit sur cette partie-là. Par cette action, les vaincus de 1803, réactivent une ligne de frontière. Ils limitent la révolution de 1804 dans la seule partie occidentale. Comment les héros de l'indépendance appréciaient-ils une telle situation ? Quelle en fut la meilleure action à entreprendre ? Entre-temps, l'esclavage se pratiquait à l'Est.

C'est dans de telle circonstance que l'Empereur Jacques 1er se retrouvait dans l'obligation de faire valoir le droit pour toute l'île d'être libérée de l'emprise des débris du vestige de l'armée expéditionnaire française. Car, il ne saurait question pour lui de penser consolider l'indépendance haïtienne avec la présence d'une puissance esclavagiste vaincue en 1803 dans la partie de l'Est. Alors, surgit le principe de la mer pour frontière. L'île entière forme le territoire indivisible du peuple d'Haïti ! Mais la résistance du côté de l'Est s'affirma. Malgré la soumission des habitants de Santiago de Cabelleros et ceux d'autres villes à la conquête haïtienne, Dessalines n'arriva pas à pénétrer la ville de Santo Domingo.

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Après l'assassinat de l'Empereur, les gouvernements haïtiens immédiats, en situation de schisme de la partie occidentale, ont soutenu de manière séparée, toutes les initiatives des patriotes de l'Est pour arriver à obtenir le départ des soldats du débris92 de l'armée française dans la partie de l'Est en date du 9 juillet 1809. Mais, c'est à l'avènement de Jean-Pierre Boyer à la présidence que le pays va retrouver la stabilité intérieure nécessaire qui, par la réunification de la République, lui permettra d'adresser la question de la partie de l'Est.

Les manoeuvres politiques des patriotes dominicains emmenés par Nuñez de Caceres ont conduit à proclamer une indépendance en date du 1er décembre 1821 de l'Hayti Espaniole, tout en cherchant un rattachement à la Confédération de la Colombie, à peine d'être créée en sortant du jouc colonialiste espagnol. Ce jeu politique consistait à garder une distance à la fois avec l'Espagne et la République d'Haïti, et par conséquent, garder une frontière étanche. Mais la situation qui prévalait dans la partie de l'Est était véritablement fluctuante, des forces opposées et des coïncidences géopolitiques ont coupé court au projet de Caceres. Cependant, Boyer usa de toute son habilité dans la compréhension des enjeux géopolitiques par l'emploi des facteurs circonstanciels de la stabilité intérieure dans la partie occidentale, réunifiée sous son administration, pour canaliser les énergies nécessaires à la réunification administrative de l'île d'Haïti. Les méthodes diplomatiques dont Boyer s'employait de manière fine consistaient à l'ingéniosité de la démonstration des avantages comparatifs qu'une unification sous l'égide d'Haïti était la seule solution viable pour l'émancipation des deux peuples étant donné la conjoncture géopolitique internationale. L'Espagne était en guerre avec la France et l'Amérique du Sud jouait son émergence politique. D'autant plus, dans une grande majorité, les Dominicains manifestaient une faiblesse certaine d'avoir une puissance extérieure sur qui compter au cas échéant d'une forte pression des Espagnols.

Alors le Président Boyer essaya de rassurer les protagonistes de l'Est par tous les moyens qu'Haïti était bien la solution raisonnable. Devant les tergiversations des divers groupes, d'une part, Nuñez de Cacerez, croyant la situation répond à une hypothétique alliance à la confédération de la Colombie, d'autre part, des groupes moins importants envisageaient l'alternative de l'unité haïtienne, et le reste dans sa majorité vivait au gré des évènements. Mais surgit alors l'épineux point de divergences qui font mugir les remous historiques entre les deux Républiques. L'entrée

92 C'est un terme cher à Jean Price Mars qui veut montrer le vestige délabré de l'armée française vaincue par l'armée indigène victorieuse à vertière en 1803 à Saint -Domingue.

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du Chef d'État d'Haïti le 9 février 1822 à Santo Domingo à la tête de son armée sans hostilité, du moins avec de grandes acclamations, caractérisait-elle un envahissement ou une réponse à une sollicitation circonstancielle ?

Bien évidemment, des intérêts du petit nombre de possédants n'en concordaient pas. Le célèbre écrivain Jean Price-Mars rapporte qu'il y a lieu de reconnaitre la conclusion d'une union de raison ou même circonstancielle qui soumettait le destin des 63,000 habitants de l'Est d'après le dénombrement de 1820 au plan commun de l'unité de l'île d'Haïti.

D'ailleurs, l'action d'unification de l'île, conformément à l'article 40 de la Constitution de 1816, répondait à un impératif de présomption de l'indépendance et le rejet de l'esclavage qui subsistait encore dans la partie orientale. C'était dans cette vision de protection de l'indépendance haïtienne qu'il incombait aux dirigeants haïtiens de réaliser l'annexion des quatre divisions administratives : Santo Domingo, Cibao, Azua et Seybo pour rendre la population une et indivisible sous une même direction qui caractérise la stratégie de défense contre la menace extérieure de l'indépendance haïtienne.

3.3.3.-Situation qui découle de l'indépendance de la République Dominicaine

Alors, se réalisa l'unité politique et administrative93 sous la présidence de Jean-Pierre Boyer (1818-1843) qui marqua une domination haïtienne durant 22 ans sur l'île entière et se termina en 1844 (Price-Mars, 1953/1998b, p. 169). Des tentatives avortées de conquête de l'Est firent le bilan de nombreux gouvernements haïtiens jusqu'au milieu du 19e siècle, en précision historique de période gallum : 1844, 1845, 1849 et 1855. Aussi, Price-Mars (ibid.) en dit-il, les Haïtiens défendaient leurs prétentions de garder la gouvernance de l'île entière sous leur domination afin d'empêcher qu'une puissance étrangère ne s'installât dans la partie de l'Est et ne menaçât leur indépendance nationale. Parce que, d'après eux, les Dominicains n'étaient pas capables de se défendre face à une puissance étrangère. Mais, les Dominicains n'entendaient plus rester sous l'obédience haïtienne avec leur indépendance proclamée depuis 27 février 1844.

Par cette déclaration d'indépendance des Dominicains, la situation qui se présente aux dirigeants politiques haïtiens était complexe. Il s'agissait de considérer le principe de l'unité territoriale indivisible de l'île d'Haïti et ses îles adjacentes se retrouvant pourtant depuis 1801 dans toutes les

93 Jean Prince-Mars rapporte que Nuñez de Caceres donnait le nom `Haïti Espagnole' au nouvel État qui se constitua, après sa révolution, le 30 novembre 1821.

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constitutions haïtiennes. Les tentatives guerrières de reprise de possession ont aggravé les tensions entre les dirigeants des deux territoires. De la présence des Haïtiens dans les villes frontalières, notamment à Hinche et ses environs depuis la campagne de l'Est de Dessalines alla enjoindre la disposition constitutionnelle de 1874 qui mit en substance, les limites frontières du territoire aux positions occupées actuellement par les Haïtiens (Deux siècles de constitutions haïtiennes 18011987, 2011). Donc, la division de l'île s'assuma péremptoirement avec l'évidence d'une frontière qui subsista pourtant dans une indétermination des lignes frontalières. Ce dont un traité en 1935 aura tenté de résoudre. Mais le massacre des Haïtiens et des Dominicains noirs habitant la zone frontalière du côté de l'Est en 1937 allait envenimer les tensions dans la cohabitation difficile aux relations transfrontalières ternes94 propageant en ondes sinusoïdales entre les deux Nations. Et, d'autant plus récemment, les évènements de juillet- août 2005 qui ont causé la mort à treize Haïtiens en République Dominicaine. Sans oublier la politique systématique de rapatriement d'Haïtiens qui se conduisit depuis l'été 1991, en application du décret du 13 juin 1991 du Président Balaguer (Alexandre, 2013, pp. 35-88).

L'arrêt TC/0168/13 du Tribunal constitutionnel dominicain en 2013 enlevant leur nationalité à des milliers de Dominicains d'origine haïtienne (Gabriel, 2017) et l'exécution en cours du projet dominicain de construction d'un mur d'une longueur de 164 km (Le Monde-AFP, 2022), débuté le 20 février 2022 dans la zone Dajabon (Nord-Ouest) sur la frontière sont parmi d'autres actes récents qui mettent en évidence, en soubassement, les tensions historiques qui accablent les relations entre les deux Républiques.

3.4.-Négociation sur la ligne frontalière Haïti-République Dominicaine

L'île Hispaniola a vécu l'acharnement de la guerre en 1801 avec Toussaint, et en 1805, Dessalines faisait trembler les rideaux de Santo Domingo. Puis la redoutable période de belligérance qu'entretenaient particulièrement les gouvernements successifs de Rivière Hérard, de Louis Pierrot et de Faustin Soulouque qui s'étalent de 1844 à 1856, sont des confrontations qui insinuent la détermination de l'éloignement des puissances esclavagistes hors des vues dans les parages de Cibao. Le principe de la mer pour limites frontières devenait un idéal dont n'importe quel sacrifice n'était épargné pour concrétiser.

94 Jean Price-Mars a justement montré des incidences diplomatiques que le conflit Haïti-Rép. Dominicaine entre 1844 à 1855 a suscité par des tractations à connotations raciales mettant aux prises des intérêts géopolitiques que les puissances européennes et nord américaines exploitaient dans leurs velléités colonialistes et expansionnistes in La Rép. D'Haïti et la Rép. Dom, Tome 2.

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L'avènement de Fabre Nicolas Geffrard à la présidence en 1859 donna une nouvelle orientation dans l'affirmation des prétentions haïtiennes en usant des voies diplomatiques pour corroborer une dynamique de protection de l'indépendance d'Haïti à travers celle de la République Dominicaine dans toute sa teneur souveraine, loin de toute influence des puissances esclavagistes. Voilà qu'en date du 18 mars 1861, à la surprise des Haïtiens, la réalité marque une réinstallation des Espagnols dans la partie de l'Est suivant un accord passé entre Pedro Santana, Président de la République Dominicaine et la cour d'Espagne. Cette nouvelle donne va marquer un tournant dans la diplomatie haïtienne qui se résout à compter sur ses forces pour aider à libérer le territoire dominicain de l'ancienne puissance esclavagiste : Espagne.

Les efforts diplomatiques du Président Geffrard pour la restauration de l'indépendance de la Dominicanie restent une page non valorisée par les études sur les relations entre Haïti et la République Dominicaine, surtout par les idéologues racistes dominicains. Depuis l'affaire Rubalcava en juillet 1861 Haïti montra sa force décisive dans un nouveau rôle. Dans ses correspondances diplomatiques, la partie haïtienne usa de toutes ses adresses politiques pour délimiter le territoire. Bref, les villes de Hinche, Lascahobas et Saint Raphael, occupées par les Haïtiens sont l'objet de précieux acquis que Fabre Nicolas Geffrard rejette de toutes quelconques prétentions. La recherche d'une délimitation de la frontière est commissionnée par la diligence haïtienne au cours de 1862.

Le problème de la ligne de frontière demeure désormais un trait extraordinairement sensible dans les relations entre les deux Républiques. Des tensions répétées à divers endroits dans la frontière charrient la fragilité de la question. Entre-temps, des pourparlers en vue d'apporter une résolution pacifique à la question de délimitation de la frontière ont fait l'objet d'accord sous le Président Michel Domingue (1874-1876) et le vis-à-vis dominicain Ignacio Gonzales en 1874 et de même qu'entre Tirésias Simon Sam (1896-1902) et Ulisses Heureaux en 1898. Mais il en résulta des échecs. (Castor, 1988/2021).

L'évolution des négociations poussa en vain à la sollicitation de l'arbitrage du Pape Léon XIII à la fin du XIXe siècle. La commission mixte formée en 1901 à cet effet se solda aussi en échec. Le noeud gordien de la tracée de la frontière butte assez souvent sur le fait qu'il y a les données du dernier traité de partage d'Aranjuez de 1777, celles du statu quo post bellum de 1856 et celles de l'occupation pacifique.

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Devant l'avantage que chacune de parties prétend vouloir tirer à l'une ou l'autre de ces données, il parait évident de déduire l'enjeu que recèlent de telles négociations. Une deuxième division d'information militaire des États-Unis a opéré une solution de délimitation en 1907 et 1908. À la résurgence de la question frontalière en 1912, Haïti a sollicité la médiation de la puissance nord-américaine qui a proposé provisoirement une solution délimitative pour rester en attente d'une résolution définitive. Venait en date du 21 janvier 1929 un accord signé entre Haïti et la République Dominicaine sous l'encouragement des États-Unis suivant les arrangements conclus en 1924. En ce sens, les Présidents Louis Borno (1922-1930) et Horacio Vasquez s'entendaient à trancher définitivement la question de la tracée de la frontière.

La réalité de l'arrangement fait qu'Haïti devait céder au Nord, une portion de terre à Monte Cristi et la région d'Azua, en échange, dans le Sud, il lui revenait près de 200 mètres de terres destinées à construire une route à son propre compte. Très vite, l'opinion publique haïtienne dénonçait et rejetait avec fracas les propositions de cet accord qui était très défavorable à Haïti. La multiplication de graves altercations et d'incidents sur toute la ligne frontalière indiquait l'acuité et l'insatisfaction du côté des Haïtiens.

C'est ainsi qu'à partir de mai 1931, des négociations diplomatiques se sont reprises en vue de résoudre la question de la démarcation de la ligne de frontière dans l'esprit de révision de l'accord de 1929. En effet, un traité fut signé le 27 février 1935. Mais l'agissement de Trujillo pour forcer un nouvel accord en date du 9 mars 1936 démontre le ravissement des droits de propriété retrouvés par les Haïtiens en situation de possession avant l'accord de 1929.

L'auteure Castor (1988/2021) tenait à faire remarquer que chacune des deux Républiques de l'île développe une urgence propre au traitement de la délimitation de son territoire. Au début du XIXe siècle, les gouvernements haïtiens utilisaient la question de l'Est pour répondre à des motifs stratégique, militaire et économique. La consolidation de l'indépendance prévalait dans tout engagement y relatif. Après cette phase, les autres gouvernements attisaient aux aspirations expansionnistes en ralliant la partie de l'Est à la République d'Haïti. Mais, en général, la question de la délimitation de la frontière du territoire national n'a jamais fait l'objet d'intérêt supérieur pour les gouvernements haïtiens ni pour la population dans sa majorité. En dehors de la fréquentation de la zone frontalière, l'influence dominicaine n'était aucunement perçue dans sa tendance dominante. C'est ainsi qu'il est généralement reproché à Haïti de montrer plus d'attention aux nations lointaines qu'à la République Dominicaine. L'intérêt pour la République Dominicaine

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demeurait toujours insignifiant pour Haïti. Par contre, les Dominicains ont très tôt essayé par tous les moyens de forger une idéologie prouvant la menace que constitue Haïti pour leur nation. L'anti-haïtianisme devient donc une doctrine d'identification pour eux. Cette tendance est fortement exprimée avec l'arrêt TC : 0168/13 de la Cour constitutionnelle pris en date du 23 septembre 2013.

3.5.-Considération sur l'évolution hégémonique de la Dominicainie par rapport à Haïti

Un retournement de la perspective frontalière s'opère de nos jours dans la relation entre les deux pays. Des points frontaliers attirent considérablement des activités d'échanges commerciaux. Les centres ruraux les plus proches de la frontière gagnent en importance dans la dynamique d'attractivité. En particulier, la localité de Boc Banic est devenue une plaque tournante pour la 2e Section Lociane dans les échanges avec la Commune dominicaine de Banica. Le géographe Théodat (2020, p. 81) considère que cette ligne est inachevée, mais participe grandement dans le découlement librement de certains produits les mieux achalandés sur le marché dominicain tels que le pois congo, la pintade, le cabri, l'avocat. Du côté dominicain, en général, nous nous procurons de tous les produits agricoles qui sont devenus rares, des blocs pour les parois dans la construction, le ciment, les barres d'acier, les produits alimentaires, les poulets, et autres.

La monnaie d'échange exigée par les Dominicains est le peso dominicain qui prend des points sur la gourde. L'économie dominicaine dispose de plus grands moyens de production qui caractérisent sa force dans les termes des échanges et prééminence de l'offre et la demande. La République d'Haïti est justement placée en troisième position de partenaire économique des Dominicains après les États-Unis et le Porto-Rico. L'avantage de proximité de transport de marchandises est atout majeur. Le volume des échanges est propre à chaque région. Dans le Nord par Dajabon, rapporte Théodat (2020), on enregistre pour l'année 2006, 62.33 millions de dollars américain par an (M $/an), au Centre via Elias Pina, 23.42 M $, au Sud Independencia et Pedernales font respectivement 48.17 M $ et 5.09 M $. L'importance des activités commerciales transfrontalières tend à faire augmenter le flux de population dans ces régions qui voient une croissance dans la densité de population au kilomètre carré.

Le progrès enregistré sur les plans politiques et économiques conforte un bond vers une économie en voie de développement pour la République Dominicaine. Cette situation est exploitée à certains égards pour essayer d'asseoir une position hégémonique par rapport à Haïti. Pour illustrer cette assertion, il s'avère important d'établir une comparaison de l'évolution économique des deux pays

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à partir de 1960. Alors, selon Théodat (ibid.), ils avaient le même PIB/hab. : 800 $/an. Les composantes de l'IDH démontrent une relative équilibre avec l'espérance de vie 44 ans en Haïti et 54 en République Dominicaine ; la mortalité infantile : 253/1000 en Haïti contre 149/1000 en République Dominicaine et la population en dessus de 15 ans relevait un taux d'analphabétisme de 33% contre 78% en Haïti. Mais les orientations différentes des politiques publiques qui s'ensuivront entre-temps expliquent les écarts dans l'IDH 95 qu'ils connaissent de nos jours en signe de réussite de la République Dominicaine dans les domaines de l'éducation, de la santé publique et de l'économie.

Au tournant des années 1980, une transformation de l'économie d'exportation de matières premières s'est opérée pour embrasser une filière de substitution à l'importation. Ces mesures rendent plus d'autonomie au pays par rapport au marché mondial. En outre, il y a eu l'adoption d'une législation amplement incitative aux flux de capitaux étrangers pour dynamiser d'autres secteurs d'investissements productifs : le tourisme et les zones franches.

En août 1994, la classe politique dominicaine a signé un accord politique96 pour permettre au pays de jouir d'une certaine stabilité politique qui va grandement favoriser l'essor économique qui s'enchevêtre à la tendance hégémonique que la posture trujilliste échafaudait à divers égards. Aussi Corten (2013, p. 19) précise-t-il qu'à partir de 2011 la République Dominicaine a pris le large dans la course pour un développement économique considérable par rapport à Haïti.

Avec l'emploi créé dans les villes industrielles, l'urbanisation s'accentue. L'agriculture irriguée, bénéficie des investissements en équipements mécanisés pour augmenter le rendement de la terre et accroitre la production du pays tandis que la part de la main-d'oeuvre y diminue. En 2005, le PIB de la République Dominicaine provenait de 56% des services, 32% de l'industrie et de 12% de l'agriculture. Tandis que cinq ans plus tard, les données montraient qu'en Haïti le PIB provenait des pôles d'emplois de services et industriels absorbant 43% en service et 13 % en industrie de la population active de 3.6 millions d'habitant suivant les données de l'IHSI en 2010. Et face à cela, il y avait 44% de la population active qui s'adonnait à l'agriculture de subsistance. Avec une période de cinq (5) ans d'écart, il n'est pas théoriquement crédible pour asseoir une comparaison

95 L'indice de développement humain, allant de 0 à 1, est un indice composé de l'espérance de vie à la naissance, la scolarisation en fonction du taux d'analphabétisme et le pib per capita en tenant compte de la parité du pouvoir d'achat. En 2019, Haïti avait un idh de 0.510 contre 0.756 pour la République Dominicaine. Cf [ www. perspective.usherbrooke.ca].

96 Les turbulences politiques qui ont survenue après des élections frauduleuses pour reconduire le président Joaquin Balaguer au pouvoir au détriment de Francisco Pena Gomez ont poussé l'OEA et l'Eglise catholique dominicaine à jouer un rôle de médiation pour parvenir à un accord politique en date du 12 août 1994 en République dominicaine. Cf « République dominicaine le mandat du président Balaguer est écourté », en ligne publication 12 août 1994, www.lemonde.fr.

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objective. Mais, étant donné que la situation devrait donner l'avantage à Haïti pour améliorer son score et elle ne l'a pas fait. Parce qu'un taux aussi élevé de population qui se retrouve dans le secteur agricole rend difficile le parcours au développement. Une économie productive moderne n'a pas besoin d'un tel pourcentage de sa population active dans l'agriculture de subsistance qui fournit généralement des produits à très faible valeur ajoutée.

La République Dominicaine profite encore de sa position pour définir les règles dans les échanges commerciaux avec Haïti, parce qu'il n'y a pas d'accord récent de libre-échange entre les deux pays. Le traité réglant principalement ce domaine remonte à novembre 1874. Il stipule en son article 14 que « les citoyens des deux nations contractantes peuvent entrer, demeurer, s'établir ou résider dans toutes les parties des deux territoires, et ceux qui désirent s'y livrer à une industrie quelconque, auront droit d'exercer librement leur profession et leur industrie, sans être assujettis à des droits autres ni plus élevés que ceux qui pèsent sur les nationaux respectifs... » (C. Lespinasse, 2020, p. 72). Par ailleurs, Castor (1988/2021, pp. 157,158) révèle un traité commercial signé en août 1941 par les deux pays. Mais cependant, le commerce qui datait depuis l'époque coloniale se renforçait entre les deux parties de l'île peu après 1867. À considérer que les exportations des deux pays l'un vis-à-vis de l'autre accusent 1 milliard $ USD pour la République Dominicaine contre 100 millions $ USD pour Haïti en 2005 démontrent clairement le déséquilibre énorme qui s'installe dans les termes des échanges. La croissance non contrôlée du volume d'échanges informels présuppose bien des montants plus élevés comparativement à ceux-ci.

3.6.-Systématisation de la discrimination raciale à l'égard de l'Haïtien

L'auteur Etienne (2020) soutient que des mythes d'identification existentielle d'un ennemi réel ou imaginaire participe à bien des égards à la construction de l'État-Nation (p. 179). Les réactionnaires dominicains se sont convaincus à faire d'Haïti un ennemi fictif et/ou réel en contre-façonnant des faits historiques dans les rapports relatifs à l'évolution des deux parties de l'île. Optant à s'assimiler le fonds culturel de l'occident et de l'Espagne, en particulier les élites dominicaines ont pu s'imaginer plus proches des valeurs occidentales qui comportent, de fait, des préjugés de toutes sortes. Et les habitants des zones frontalières qui côtoient les centres de services publics chez les Dominicains évoquent amplement des traitements humiliants qu'ils subissent.

Ce qui permet de voir l'approche de classes sociales dans les rapports entre les dirigeants des deux États. Parce qu'il y a un complexe de supériorité que Castor (1988/2021) décèle dans certains

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aspects qui déterminent l'attitude et le comportement réactifs de la République Dominicaine après la période de domination haïtienne. Les autorités de la partie de l'Est essayent de tirer avantage sur le plan de la réussite économique et géopolitique. Les Dominicains ont pris grandement conscience du favoritisme racial (Diamond, 2006) qu'ils ont bénéficié des puissances esclavagistes depuis le XIXe siècle. Puisque l'Occident aurait toujours considéré Haïti comme une classe d'esclave parvenue à la liberté. C'est un fait que Price-Mars (1953/1998a) a beau démontrer l'irrationalité de telles considérations de supériorité raciale puisque la structure épidermique ne saurait constituer une prédominance raciale en ce cas-ci. Le mélange d'Européens avec les femelles naturelles de l'île ajouté à la faible quantité de Noir esclave ne saurait se considérer de la race blanche pleine de futiles prétentions inimaginables d'une quelconque supériorité telle qu'elle a été véhiculée au XIXe siècle et subtilement ainsi jusqu'à nos jours. En 1788, la partie de l'Est dénombrait 125,000 habitants dont 15,000 esclaves noirs. Cette donnée illustre bien évidemment l'infirmité de possibilités pour les bronzés d'ébène de prédominer dans de telles structures de classes sociales.

Aussi, Mézilas (2022) fustige-t-il les idéologues dominicains qui se donnent une raison hégémonique en portant une prédominance qui converge des idéologies : hispanité, indianité et anti-haïtianisme (p. 10).

Pour sa part, Wooding (2020, pp. 136,137) a manifesté un grand intérêt à analyser le caractère raciste, xénophobe dans l'attitude des Dominicains envers les Haïtiens que le régime de Trujillo (1930-1961) s'acharnait à répandre avec virulence dans toutes les couches de la société. Bien évidemment, elle reconnait que ce sentiment existait bien avant la période de Trujillo et cela continue encore de nos jours mais pas dans de telle proportion. Aujourd'hui, il y a une ignorance et des préjugés qui sont très répandus dans des couches extrémistes qui s'en servent à des fins politiques. Entre-temps, reconnait le diplomate et sociologue Alexandre(2009), beaucoup d'efforts sont consentis pour redonner une autre image dans les rapports entre les deux pays. Nous avons trouvé un geste magnanime dans le dévouement des Dominicains pour secourir Haïti après le séisme du 12 janvier 2010. De même, nous admettons énorme la contribution des Dominicains à hauteur de 50 millions de dollars américains comme donation97 pour la construction faite par leur propre firme, dans le Nord, en 2012, de l'immeuble universitaire dénommé Campus Henry

97 RadioTélévision 2000 a rapporté ces faits dans son article intitulé « Haïti/Education : République dominicaine finance la construction d'une université dans le Nord » |En ligne publication du 2/08/2010, page consultée le 14/03/2023.

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Christophe de Limonade. Mais dans la complexité de relations entre les deux pays nous ne pouvons pas tout ignorer pour nous verser dans l'admiration des gestes de la Dominicanie. En cela, quand nous regardons avec Elie (2020, p. 61) l'orgueil qui caractérisa la fierté du roi Henri Christophe, bâtisseur par excellence par la réalisation de la Citadelle LaFerrière, huitième merveille du monde, il y a lieu d'imaginer l'arrière-pensée qui cristallise les gestes des Dominicains. Nous pouvons facilement supposer l'avantage géopolitique et économique qu'ils peuvent en tirer. L'idée de soupçon d'une certaine condescendance dans ces gestes serait-elle exagérée ? Autrement dit, serait-ce une attaque voilée à la fierté du peuple haïtien dans l'imaginaire héroïque de ses ancêtres ? Le sentiment anti-haïtianiste est un outil que les dirigeants dominicains utilisent aussi pour marquer leur différence dans la perception de l'intérêt général et dans la gestion de l'espace territorial. Cela s'explique dans les réalisations d'infrastructures qui se font chez eux et le souci qu'ils manifestent pour tenir la stabilité politique. Cette différence de gestion se fait ressentir dans les villes frontalières. Par exemple, Banica est une Commune qui caractérise des différences majeures en termes d'infrastructures par rapport à la Commune de Thomassique. En particulier, les paysans de la 2e Section Lociane qui fréquentent souvent des villes frontalières s'indignent de l'inertie des actions des dirigeants haïtiens. Il se trouve que la plupart des gouvernants haïtiens ne se montrent pas autant soucieux que ceux de la Dominicanie.

3.7.-Regard sur les Puissances internationales dans les relations entre Haïti et la République Dominicaine

Il n'est pas trop évident de reprendre ici les faits qui démontrent les résistances que la diplomatie haïtienne a dû engager face aux pressions des puissances internationales qui n'ont jamais voulu accepter les prescriptions constitutionnelles haïtiennes qui l'ont conféré droit de propriété sur toute l'étendue de l'île jusqu'en 1874, hormis la Constitution de 1801 de Saint-Domingue. L'occupation américaine de 1915 assignait la part d'Haïti à l'accomplissement des fondements de la division internationale du travail qui trouvait sa base dans la théorie des avantages comparatifs (1817) développée sur le commerce international98. Dans ce contexte, Haïti est définie à fournir de la

98La théorie des avantages comparatifs de l'économiste britannique David Ricardo (1772-1823) se précise ainsi : les pays participent dans le commerce international pour deux raisons fondamentales ; chaque raison contribue aux gains qu'ils retirent de l'échange. Les différences des pays diversifient leurs apports de biens et services. Ce qui peut les faire bénéficier de leur différence c'est l'accord que se dégage que chacun se consacre à ce qu'il fait relativement le mieux. 2) Les pays entretiennent le commerce international en raison d'engranger des économies d'échelle de production. En effet, si chaque pays produit seulement un registre limité de biens, il produira chacun de ceux-ci à une échelle plus grande-et donc de manière plus efficiente-que s'il essayait de les produire tous. Chaque pays peut se spécialiser dans le bien dans lequel il a un avantage comparatif. Un pays possède un avantage comparatif dans la production d'un bien si le coût d'opportunité de cette production exprimé en termes d'autres biens est inférieur

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main-d'oeuvre à bas prix dans les entreprises multinationales à capitaux nord-américains implantées dans le bassin caribéen, notamment à Cuba et en République Dominicaine. L'économie de cette dernière a toujours jouit d'un intérêt plus alléchant pour le système capitaliste. Depuis la période conflictuelle de 1844 à 1856 qui opposa Haïti et la République Dominicaine, les puissances européennes et les États-Unis d'Amérique ont toujours manifesté un favoritisme à l'égard de la République Dominicaine. Plusieurs raisons peuvent expliquer leurs choix. Mais un fait est certain, les préjugés raciaux et ethniques qui caractérisaient le système esclavagiste et colonialiste n'ont point été cessés envers Haïti après la Révolution de 1804.

L'investissement des capitaux étrangers implanté en République Dominicaine a toujours été plus conséquent en termes de grandeur qu'en Haïti. Bien entendu, il n'est pas crédible de reposer une analyse sur ce fait pour accuser tous les maux que connait Haïti dans ses relations avec la République Dominicaine. Mais cependant l'élan de favoritisme 99 que jouit la République Dominicaine a occasionné une prise de conscience des facteurs raciaux qu'ils prétendent bénéficier et s'en servent pour évoquer un sentiment pro-occidental à même d'en tirer un pressentiment dominant.

Dans le même dessein, nous considérons que la question de la construction de l'Université roi Henri Christophe ayant été confiée aux firmes dominicaines pour en faire don à Haïti constitue un acte très significatif de la grandeur paternaliste. La communauté internationale les encourage ou les force ainsi à démontrer leur qualité exemplaire vis-à-vis des Haïtiens. Que dire des déclarations des Présidents Dominicains depuis Leonel Fernandez à Luis Abinader qui n'ont jamais raté des occasions que leur ont offertes des tribunes internationales pour faire des sollicitations d'aide pour Haïti contre sa descente aux enfers ! D'ailleurs, ce peuple se perd dans son insouciance pour de ne voir la récupération de la possession du patrimoine culturelle et historique de l'île d'Haïti que les Dominicains s'attribuent depuis un certain temps. Alors que l'Haïtien sait bien qu'ils l'identifient à un peuple d'une nation d'ennemis. Lamothe (2008, p. 48) détecte aussi dans la caraïbe, une opinion qui reconnait que les Dominicains assimilent leur identité à une expression de l'anti-haïtianisme. Certainement, Price-Mars (1953/1998b) n'eut cesse de démonter les contre-vérités

dans ce pays-là à ce qu'il est dans d'autres pays. Le commerce international entre deux pays peut être bénéfique pour les deux pays si chaque pays exporte les biens pour lesquels il possède un avantage comparatif. Cf [Paul R. Krugman et Maurice Obstfeld, Economie internationale, 3e, Editions De Boeck Université, Bruxelles, Belgique, 2001, pp 14-15].

99 Le géographe Jared Diamond reconnait le fait que des préjugés raciaux aient toujours guidé la communauté internationale à privilégier les rapports de préférence avec la République Dominicaine au lieu de la République d'Haïti.

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historiques et sociologiques sur lesquelles s'appuyèrent les idéologues racistes dominicains pour attiser la xénophobie et l'ostracisme envers Haïti. La déraison des groupes extrémistes dominicains est inquiétante et se manifeste au vu et au su de tout le monde.

Mais la communauté internationale a ses préférences même si ce sont ses intérêts qui la préoccupent avant tout dans les affaires internationales. C'est ainsi que le tout-puissant de cette communauté internationale a toujours tenu la main pour s'assurer de la compagnie des groupes de Droite au pouvoir en Haïti. Ces tenants n'ont jamais fait preuve d'aucune sensibilité pour soulever les questions d'équité dans les rapports entre l'international avec la République Dominicaine et Haïti. L'histoire rapporte le tollé des agitations des courants de la Gauche de Port-au-Prince depuis après 1937 qui insistaient sur la nécessité de redéfinir les rapports entre les deux pays.

À chaque moment de graves incidents dans les relations entre les deux Républiques de l'île, les groupes de Droite qui ont pratiquement toujours gardé le pouvoir sous protection des États-Unis n'ont jamais rien fait d'autre que de se soumettre, d'une part, au diktat du Département d'État qui leur imposait toujours de conclure coûte que coûte des accords avec les Dominicains. Raison est que les intérêts économiques des États-Unis sont énormes en République Dominicaine (Alexis, 1955, p. 157), il n'y a pas lieu de laisser des conflits avec Haïti viennent salir la réputation de la République Dominicaine pour ne pas attirer les foudres de l'opinion internationale et, en particulier, l'opinion américaine. Et d'autre part, les dirigeants haïtiens se courbent souvent devant les autorités de Santo Domingo pour bénéficier de leur support en vue de contenir les actions subversives des opposants haïtiens opérant depuis le territoire voisin.

Pour preuve, nous reprenons l'issue des protestations haïtiennes sur la tragédie exterminatrice des gens de couleurs en 1937 par le régime naziste de l'impitoyable Trujillo. Le Président Sténio Vincent(1930-1941), prototype parfait des inconditionnels fonctionnaires de la défense des intérêts du système capitaliste néo-féodal en application en Haïti, n'eut aucune gêne pour conclure un accord avec les Dominicains en ramenant les négociations au niveau bilatéral. Lamothe (2008, p. 48) rapporte les termes du contrat signé en date du 14 octobre 1978 par le Président Jean-Claude Duvalier(1971-1986) et le CEA sous le gouvernement dominicain Antonio Guzman Fernandez, pour la zafra100 de 1978-79 qui consistait à embaucher des travailleurs paysans haïtiens pour aller

100 C'est le terme qui désigne la période de la récolte de la canne à sucre dans les pays hispaniques de la région caribéenne.

100

travailler- au prix de 0.5 $/jour- dans les batey101 en République Dominicaine comme coupeur de canne102. Après l'Arrêt TC 0168/13 qui mettait toute l'opinion internationale dans un élan de fraternité envers les Haïtiens pour pointer le caractère raciste des autorités dominicaines, le gouvernement haïtien n'a pas eu le courage pour capitaliser sur la conjoncture favorable de l'opinion internationale et nationale, le Président Michel J. Martelly (2011-2016) et le Premier ministre Laurent S. Lamothe ont pris la tangente dans des négociations bilatérales avec le gouvernement dominicain. Dans toutes ces situations, ce sont les consignes des États-Unis qui orientent les dirigeants haïtiens dans la recherche de normalité dans la relation entre les deux Républiques. Les relations internationales exigent une politique intérieure qui cristallise la bonne combinaison des facteurs de production de biens économiques.

3.7.1.-Insouciance des autorités haïtiennes vis-à-vis de la frontière

L'histoire de la frontière Haïti - République Dominicaine reste et demeure une notion encore non assez étudiée pour pouvoir apporter toutes les lumières sur toutes les facettes des évènements qui se sont produits dans cette unité phénoménale depuis le traité de Ryswick en 1697. Les zones frontalières sont les premiers endroits à subir l'influence grandissante de la République Dominicaine qui exploite toutes les occasions qui lui sont offertes par la gestion insouciante de l'administration de l'État en Haïti. La dynamique de l'évolution dans la société haïtienne exige de nouvelles analyses dans les rapports avec la République Dominicaine. Les paysans haïtiens de la 2e Section Lociane se retrouvent donc à la croisée des chemins d'une situation de survie et d'indignation dans les rapports des échanges commerciaux avec la partie dominicaine de la frontalière vis-à-vis de la leur. Le côté haïtien ne fait l'objet de gestion pouvant conduire à faciliter son développement.

De toute évidence, il faut créer un cadre normatif qui propose des moyens pour trancher sur les actions favorables à entreprendre pour arriver à remonter la pente qui se dresse dans la gestion irresponsable de l'espace territorial, en particulier l'espace frontalier de la 2e Section Lociane. Au

101 C'est l'expression espagnole qui désigne les milieux extrêmement précaires où demeurent les travailleurs de la canne à sucre en République Dominicaine depuis la fin du 19e siècle. En 2014, il y avait 425 bateys qui hébergeaient plus de 200000 personnes. Cf [Inès Da Gracia Gasper « le batey en République Dominicaine : espace présent d'un temps passé »| en ligne, publication du 1/12/2019, https : doi.org/10.400/etudescaribeennes.17582].

102 Nous signalons que ces genres de contrat entrent dans une routine depuis après l'occupation américaine. Gérard Pierre Charles mentionne un accord signé le 20 janvier 1967 entre Balaguer et Duvalier pour envoyer 20 mille travailleurs haïtiens dans les Bateys au cours de l'année. Cf [Pierre-Charles, Gérard, Radiographie d'une dictature. Haïti et Duvalier, Éditions de l'Université d'État d'Haïti, P-au-P, 2013, op. cit., p 206].

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devoir de changer la donne, l'amélioration des conditions socio-économiques des paysans de la 2e Section Lociane est un défi qui s'impose, entre autres, aux Haïtiens et particulièrement aux agents locaux avec la participation des paysans de Lociane.

Dans toutes les approches abordant la notion de frontière, il y a une dimension de gestion qui se fait de l'espace frontalier par rapport à la réalité des conditions socio-économiques des habitants qui y évoluent. À propos, la présente étude a essayé aussi de faire ressortir l'apport des pays occidentaux dans la détermination d'une trajectoire plus faste pour la partie de l'Est. Mais, il va s'en dire que les dirigeants de l'autre côté ont, tout de même, su faire preuve de plus de perspicacité dans la définition d'un idéal commun dans l'intérêt national.

Le rôle de l'État dans l'aménagement du territoire en termes de développement est prépondérant. Ses interventions sont nécessaires afin d'établir des conditions de vie suffisamment adéquates par l'offre de services de base aux habitants de n'importe quel espace du territoire. La zone frontalière présente un haut niveau d'intérêt stratégique de sécurité et de coopération qui requiert la disposition d'un équipage technique bien rôdé pour le contrôle. Pour cela, la contribution des autorités locales dans la gestion directe des espaces frontaliers est généralement essentielle. Tout ce dont, la compréhension de certaines études enseigne la viabilité de réussite possible dans une option dynamique de décentralisation effective.

C'est pourquoi le prochain chapitre se penche sur la question de la décentralisation où se réalise le transfert de compétences de l'État à une entité juridique distincte de lui (Jean-Charles, 2002). L'État central se cantonne alors dans ses attributions formelles. Les collectivités territoriales peuvent jouir d'une sorte d'autonomie organique et financière dont l'effectivité est la finitude de la décentralisation.

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