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Conditions socio-économiques des paysans de Lociane, une section de la commune de Thomassique


par Frantz Isidor
Faculté d'Ethnologie de l'Université d'État d'Haïti - Maîtrise en Sciences du Développement 2024
  

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Chapitre IV. Décentralisation et organisation des collectivités territoriales

Ici, la perspective d'analyse met en exergue surtout la question de l'État dans un dynamisme de décentralisation. À cet égard, la nation haïtienne est confrontée à un dilemme qui permet soit, dans une simplicité non viable, de rester accrocher au bon office de la communauté internationale, ou soit, dans un esprit combattif, de mobiliser ses ressources en priorisant ses intérêts pour reconquérir l'essence de l'indépendance nationale. Ce combat, s'il est engagé, est fonction du respect de l'application du minimum consensus qui s'établit fondamentalement dans la Constitution de 1987 et sur certains aspects socio-anthropologiques des valeurs traditionnelles de la société haïtienne.

Par cette indépendance, il s'agira de pouvoir disposer de la latitude de définir des politiques103 publiques qui, ressortant des plans : politique, économique et social, concernent les entreprises publiques, la production nationale, l'agriculture, la réforme agraire, etc. Ainsi, une des principales démarches revient à disposer des connaissances réelles et approfondies des mécanismes de fonctionnement de notre économie, des ressorts profonds de la société et des sources de son dynamisme. Ce faisant, le but se détermine dans la définition des priorités dans les choix de politique économique (F. Deshommes, 2005).

Aussi convient-il de disposer des allocations budgétaires nécessaires par rapport au processus de développement. Ce qui exige des facteurs préalables de planification en matière de politiques publiques qui doivent soutenir un effort programmé d'action visée au mécanisme de production de développement des ressources humaines, d'infrastructures routières et de services de bases qui participent dans la ligne d'intérêts généraux de l'État et des collectivités territoriales dans leurs intérêts locaux. Ces actions programmées sont donc vouées à conduire à une économie qui renoue avec la croissance positive. Mais, cette croissance doit être bénéfique pour toutes les couches sociales. Et, l'une des voies privilégiées par la Constitution de 1987 pour arriver à acheminer les signaux de progrès économique dans tous les coins du pays est la bonne gouvernance. Cette dernière peut être effectuée dans le cadre de la décentralisation qui est un choix structurel de changement de politique administrative accordant de l'autonomie aux collectivités territoriales. En ce sens, elle entame la décentralisation politique qui est une dévolution de compétence limitée à

103 Nous entendons par politique publique toutes les décisions politiques qui accordent des priorités à des objectifs qui s'intéressent à certains enjeux fondamentaux théoriques et pratiques pour le développement de la communauté en question.

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l'intérieur des frontières géographiques. Les collectivités territoriales sont l'émanation de l'article 61 de la Constitution de 1987 qui leur confère des compétences en qualité d'institutions locales autonomes jouissant de personnalité juridique et des ressources propres en vue d'administrer leurs affaires locales sous l'égide de l'État unitaire (Privert, 2006). Les autorités locales sont élues par la population de la circonscription géographique pour assurer la gestion des affaires collectives y relatives.

À la considération d'un besoin de décentralisation de l'État, il parait évident qu'il y a une relation de transitivité entre la décentralisation et le développement local (Deberre, 2007). La décentralisation est ce partage de responsabilité que l'État unitaire centralisé consent de manière dévolutive aux collectivités territoriales qui s'engagent à gérer en toute autonomie leurs propres ressources en vue de mener des actions de développement économique pour leurs populations. La décentralisation de l'État à travers des collectivités territoriales est un acte significatif qui engage deux entités.

L'État central transfert des pouvoirs aux autorités locales et garde ses prérogatives de contrôle. Les autorités locales accusent des responsabilités de gestion qui les habilitent à concevoir de véritables politiques publiques pour le développement de leur communauté dans le respect des intérêts généraux de l'État. Chaque concept sera développé de manière séparée dans toutes ses dimensions théoriques.

Léger (2000, p. 87) précise que la décentralisation est un projet de société qui réunit tous les acteurs : nationaux, régionaux et locaux. Un partage proportionnel de responsabilités s'y opère dans la gestion publique des domaines relatifs au développement. Le but essentiel renvoie à l'emploi adéquat et rationnel de moyens pour satisfaire des besoins.

Cette assertion démontre le caractère purement économique de la décentralisation, celle de l'homo-oeconomicus. Or il n'y a pas de frontière étanche entre l'économique et le social. Dans ce sens, Azoulay (2002) précise que : « l'amélioration des conditions matérielles d'existence des personnes impose finalement le fondement de l'économique et cette amélioration est comme le tissu nerveux dans la biologie humaine pour la notion de développement.»(p. 26).

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4. 1.-Rappel historique du fondement de la décentralisation en Haïti

Ce concept est largement développé par la Constitution de 1987 qui en fait une option structurelle de développement par excellence. Mais en réalité, il y a diverses dispositions légales attestant les idées de la décentralisation en prélude de cette Constitution. En effet, deux courants disputent le fondement des idées de la décentralisation dans ses parcours historiques. L'un détecte son immixtion dans notre législation depuis la création de la Commune en 1816 dont la subdivision de l'Arrondissement en Commune104 dispose d'un représentant de la Commune dans une chambre de communes et un chef tenant lieu dans le département, et, l'autre en décrit sa prépondérance fonctionnelle avec la Constitution de 1843. La charge des écoles primaires est confiée aux Communes et aux villes celle des écoles supérieures105. En outre, d'autres responsabilités à la fois civiles et financières sont attribuées à un projet comme chef d'administration (conseil d'arrondissement) et un maire de la Commune. Il est créé depuis lors le principe d'autonomie des collectivités territoriales. Mais en réalité, aucun effort concret n'a été engagé dans un processus d'implémentation de la décentralisation.

Contrairement à la France qui a dû affronter les difficultés de la centralisation à outrance pour commencer avec, d'abord des programmes d'aménagement du territoire, puis la décentralisation au cours des années 1960. C'est au cours des années 1980 qu'Haïti a timidement commencé à pencher sur la solution de la décentralisation pour permettre aux collectivités territoriales de contribuer à la gestion de l'espace territorial.

4.1.1.-Fondement légal de la décentralisation en Haïti

L'idée de la décentralisation a traversé la société haïtienne depuis le XIXe siècle. Elle a laissé des traces vivaces avec plusieurs lois et décrets qui ont consacré des matières constructives au renforcement des capacités fonctionnelles des Communes. Certaines dispositions légales ont été prises en vue de permettre la réalisation de l'autonomie de gestion et l'augmentation des revenus communaux qui sont nécessaires au processus de décentralisation. C'est notamment le cas de la loi du 13 février 1968 règlementant les services hydrauliques de la République, de la loi du 12 juin 1974 relative à l'usage des eaux souterraines, des décrets du 3 mars 1981 et du 21 avril 1983 sur le SMCRS désormais transformé en SNGRS. Mais cette transformation tend à centraliser. C'est

104 Ces informations sont fournies dans la constitution d'Haïti de 1816, les articles 42 et 43.

105 Ces informations sont fournies dans la constitution d'Haïti de 1843, les articles 31 et 135.

105

une manière d'enlever le pouvoir de décider des collectivités territoriales sur la gestion de leurs déchets. Il peut bien y avoir de la coopération inter-régionale, inter-communale, etc.

En effet, depuis 1974, on commença à utiliser formellement le terme de décentralisation avec des textes légaux portant sur la mobilisation fiscale en faveur des structures communales. S'y ajoutent le décret du 5 avril 1979, modifié par le décret du 23 décembre 1981 relatif à la CFPB, stipulant un impôt réel communal basé sur la valeur locative de tout immeuble (Paillant, 2015), la loi du 18 septembre 1978 sur les délimitations territoriales et la loi du 19 septembre 1982 relative à l'adoption d'une politique cohérente d'aménagement du territoire et de développement à partir des entités régionales issues du regroupement des départements géographiques et des arrondissements de la République.

Selon Privert (2006, p. 197), l'article 67 du décret-loi du 22 octobre 1982 sur la Commune institue le schéma d'inscription des recettes et des dépenses au budget communal par chapitres et sections. Cela démontre bien, dès lors, l'effort qui se déployait pour structurer la gestion administrative des Communes qui vont être considérées comme des collectivités territoriales avec des compétences fiscales plus étendues.

Reste que le chantier de la décentralisation présente encore de nombreux travaux à faire, en dépit de différents textes de loi et décret qui rejoignent des dispositifs constitutionnels tendant à encadrer le processus, faciliter la disponibilité des ressources, etc. En 1991, il y avait une loi sur les collectivités territoriales qui a été votée, mais non promulguée par le pouvoir exécutif. Rien ne précise si le pouvoir exécutif en avait fait objection. La CFGDCT instituée par la loi du 20 août 1996 apporte un complément sur le plan financier aux revenus communaux dans l'objectif de promouvoir l'autonomie administrative et financière des collectivités territoriales. Certainement, nous retenons la promulgation de la loi du 4 avril 1996 portant organisation de la collectivité territoriale de la Section communale. Aussi le décret du 28 septembre 1987 sur la Patente et le décret du 15 janvier 1988 portant sur les recettes des collectivités territoriales contribuent-ils aux efforts visant à accroître les revenus des collectivités territoriales. En outre, sont introduits les décrets du 1er février 2006 : 1) fixant le cadre général de la décentralisation ; 2) portant organisation et fonctionnement des Sections communales ; 3) portant sur l'organisation et le fonctionnement du Département ; 4) portant sur l'organisation et le fonctionnement de la collectivité territoriale municipale ; 5) portant sur la fonction publique territoriale. Ils participent dans l'optique de renforcement des structures d'organisation de ces entités pour leur établissement

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opérationnel. Enfin, sont arrivés le décret de 2007 sur la création du fonds de développement au niveau local, le décret du 22 juillet 2015 identifiant et établissant les limites territoriales des Départements, des Arrondissements, des Communes et des Sections rurales et le décret de 2017 qui établit des révisions sur la fiscalité locale des collectivités territoriales. Mais dans un autre registre, la loi constitutionnelle du 9 mai 2011 portant amendement à la Constitition du 29 mars 1987 a enlevé des fonctions dans l'appareillage des collectivités territoriales. La modification au niveau de l'article 192 de la Constitution amendée est assez significative. Compte tenu des attributions que les conseils départementaux détenaient dans le processus de désignation des membres du conseil électoral permanent.

4.1.2.-Approche théorique de la décentralisation

L'approche de la décentralisation se distingue à travers deux grands courants théoriques : en premier lieu, nous retrouvons les théories normatives ou celles dites encore libérales prônant dans leurs objets, la gestion efficace et efficiente des affaires publiques dans la promotion de la démocratie et le développement. S'y rejoignent des théories politiques de la bonne gouvernance estimant que la décentralisation est un facteur de stabilité politique, la théorie de la gestion de l'efficacité qui établit la nécessité de la relation harmonieuse entre le gouvernant et le citoyen en vue de recueillir de meilleures informations sur les besoins de la population et d'autres théories de choix politiques qui concernent l'accès de la population à des services de meilleure qualité avec des institutions de contrôle spéfiquement établies.

L'approche normative s'opère ainsi par de nombreuses dispositions légales contraignantes ; en second lieu, les théories analytiques dites descriptives qui, reconnaissant les caractéristiques de la bonne gouvernance et la gestion de l'efficacité, se distinguent par l'idée que l'État est un instrument au service des classes dominantes qui se rattachent elles-mêmes aux superstructures de la communauté internationale. C'est ainsi qu'elles considèrent l'importance de la prise en compte du contexte dans lequel s'appliquera la décentralisation qui établit toujours une confrontation des intérêts divergents entre des acteurs différents. Cette étude dégage ses affinités pour l'approche normative. Mais, il est important d'interroger à quel degré ses multiples dispositions légales ont-elles contribué à changer les comportements et modifier les mentalités ? La question de mentalité se révèle donc un paramètre crucial qui doit conduire à la concrétisation des mécanismes de la décentralisation. À propos, l'enjeu de la décentralisation enjoint des préoccupations sur la mise en

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place d'un espace de concertation d'où surgissent l'alliance, l'articulation entre les opérations, entre les acteurs socio-économiques (Mengin, 1989, p. 22). Mais comment arriver à mettre ensemble des groupes aussi hétérogènes des composantes sociales haïtiennes ?

4.1.3.-Théorie juridique de la décentralisation

La décentralisation, étant donné la multitude d'instances autonomes de décisions, interpelle les organes locaux106 de maitriser juridiquement leurs actions et de prendre en toute liberté dans l'unique respect des lois et règlements, la décision qu'ils veulent. En ce sens, Aron (1965) précise que la caractéristique fondamentale des collectivités territoriales est l'organisation des pouvoirs (p. 37).

Nombre d'écrivains produisent des réflexions sur la thématique de la décentralisation. Nous passons à pieds joints sur une revue de littérature du concept en commençant par Baguenard (1980/2006, p. 9) qui conçoit que la décentralisation renvoie à l'idée de gouvernement local. Elle met l'accent sur l'auto-administration des collectivités territoriales. Elle s'inscrit dans une logique de démocratie locale107. Pour sa part, Léger (2000, p. 87) estime que la décentralisation est un projet de société visant à impliquer les instances locales dans la gestion publique par un partage plus équilibré des responsabilités dans des domaines importants du développement.

La décentralisation conduit à la bonne gouvernance par trois moyens : premièrement, en améliorant l'efficacité de l'allocation de ressources ; deuxièmement, en promouvant la transparence qui réduit les possibilités pour la corruption ; et enfin, en améliorant le recouvrement de coûts. Les gouvernements locaux, étant plus proche aux citoyens, se retrouvent en mesure de répondre à leurs besoins. Mais des conditions préalables s'imposent pour pouvoir influencer la performance des autorités publiques locales : la définition claire des responsabilités de tous les niveaux de l'État pour éviter tout quelconque chevauchement en matière de pouvoir et juridiction. Il faut instituer une loi décrivant en détail les structures et statuts des institutions publiques, surtout au niveau local (Thélusme, 2017). Car, les dispositions du code rural ne sont pas suffisantes. Le contrôle est le point crucial qui garantit la bonne utilisation des deniers de l'État. Pour cela, il est

106 Pour pouvoir mieux s'organiser dans la défense de leurs intérêts, les organes locaux se regroupent en Haïti. Les maires font partie de la Fédération Nationale des Maires d'Haïti(FENAMH), créée en 1995. Les CASEC rejoignent l'Association des CASEC d'Haïti qui est créée en 2005 et les ASEC intègrent la Fédération Nationale des Asec d'Haïti. Cf [ www.fenamh.org.ht].

107 Ce concept de démocratie locale est compris dans un sens de foyer naturel de la démocratie et de la participation citoyenne qui tend à la valorisation contemporaine de la proximité des citoyens de la concentration et la personnalisation des pouvoirs en vue de porter un regard actif sur les pouvoirs exécutifs et délibératifs. CF [Lefebvre, Rémi, « Démocratie locale» in Dictionnaire des politiques territoriales |En ligne publication 2020 |http :www.cairn.info, page consultée le 16/03/2023].

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nécessaire d'instituer une loi sur les mécanismes de contrôle et de suivi. En support des lois organiques, il faut un cadre réglementaire, les pratiques de l'institution détaillées. Finalement, les élections locales devraient se tenir régulièrement à un moment différent de celles étant nationales.

4.2.-Responsabilité des ordonnateurs dans la gestion de la finance dans le cadre de la décentralisation

La gestion des comptables de deniers publics tient à l'efficacité et leur responsabilité en tant qu'ordonnateurs et liquidateurs des dépenses publiques. Ils encourent une responsabilité qui peut être disciplinaire, pénale et civile sans préjudice des sanctions qui peuvent leur être infligées par le Juge des Comptes à raison de leurs fautes de gestion108.

4.2.1.-Prégnance de la corruption : l'érection des institutions efficaces de contrôle

La gestion financière est un domaine très important pour caractériser les activités financières qui concourent à réaliser les objectifs des politiques publiques pour le développement des communautés. Mais comme le souligne Gousse (2012), « l'organisation et la gestion des administrations publiques dans les pays en développement souffrent souvent de lourdeurs et de dysfonctionnements qui vont les rendre particulièrement vulnérables à la corruption. L'inflation des réglementations contraignantes et complexes et la faiblesse des contrôles y sont des caractéristiques fréquentes. » (p. 55). Pour Haïti, le procès du fonctionnement de l'administration publique est accablant dans son verdict. La corruption est un fait socio-historique qui accable toutes les structures sociales. Des efforts doivent être engagés pour en sortir à travers des dispositifs fonctionnels du renforcement et de consolidation des institutions efficaces dans le contrôle et la répression des actes corruptibles.

Dans sa thèse intitulée : vers une refondation du droit des finances publiques locales en Haïti, Valmera(2021) a repris l'idée de Julien Mérion qui a dit que la réforme constitutionnelle de 1987 vise à parachever la construction de l'État enlisée dans les méandres du néo-patrimonialisme et à moderniser des structures étatiques en appuyant sur la démocratie et la décentralisation. Dans la même ligne, Charles L. Cadet (cité dans Valmera, 2021) a écrit que : « la période qui s'ouvre avec la loi constitutionnelle de 1987 constitue théoriquement une rupture dans l'évolution

108 Ces informations sont fournies dans le décret du décret du 16 Février 2005 faisant office de loi organique sur la préparation et l'exécution des lois de finances suivant ses articles 79, 80 et 82. Même si le texte ne renferme pas des précisions sur le concept de faute de gestion.

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institutionnelle et politique du pays en tant qu'elle inaugure des types de démarche pouvant rapprocher l'État le plus que possible d'un idéal de modernité ». Et dans ses propos, Doré (2002) considère que cette loi mère met fin au corporatisme d'État (p. 108).

L'institution internationale de dénonciation de la corruption TI (2002) précise que « c'est tout un système de contre-pouvoirs et de garde-fous qu'il s'agit de mettre en place pour s'assurer que les organismes et les institutions publiques rendront comptes et garantir le respect des principes fondamentaux contenus dans la loi et dans la Constitution. » (p. 65).

Le résultat d'une bonne gestion financière dépend des institutions de contrôle. Le contrôle permet de mesurer l'efficacité d'une institution. À cet égard, Haïti accuse toutes ses faiblesses. Les différentes institutions telles que : CSCCA, ULCC, UCREF, IGF, etc. ont montré des manquements évidents dans le contrôle des deniers de l'État. La justice, dans son appareillage n'a pas su non plus manifester ses capacités pour réprimer systématiquement les actes de corruption. D'où s'ensuit un cycle infernal d'impunité qui s'érige en système en Haïti.

4.3.-Organisation de l'administration centrale de l'État

Les articles 234 et 234 al.1 de la Constitution de 1987 définissent l'administration publique comme l'instrument par lequel l'État concrétise ses missions et objectifs. Elle est constituée de l'administration d'État et de l'administration des collectivités territoriales. Pour garantir sa rentabilité, elle doit être gérée avec honnêteté et efficacité. Ce qui rejoint un point fort de l'approche normative de la décentralisation.

La loi constitutionnelle a consacré la question de la décentralisation comme une stratégie de développement économique collaboratif avec les différentes entités régionales et locales qui s'alignent dans les efforts à divers niveaux sous l'auspice du pouvoir central. La décentralisation apparait à la fois comme une technique et un enjeu sociétal. Cette Constitution contraint aussi à la marche de pair la déconcentration administrative et la décentralisation. Ainsi, les articles 85 et 86 de la section E se réfèrent à la délégation au niveau départemental et aux vices délégations dans les Arrondissements comme représentants de l'administration centrale ; 61 à 87 définissent des collectivités territoriales, de leurs représentants, de la décentralisation et l'article 217 des finances locales.

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4.3.1.-Finance dans le processus de la décentralisation

La Constitution de 1987 stipule que les collectivités territoriales jouissent de l'autonomie, administrative et financière (art. 66). L'État fournit un cadre structurel de formation sociale, économique, civique et culturelle dans les Sections communales (art. 64). Dans les rapports entre l'État central et les collectivités territoriales, le principal se matérialise par la question d'intérêt général signifiant la gestion des ressources au niveau administratif et politique (art. 74, 81, 87.2 et 87.4). En cela, Mordacq (2011) soutient que la finance publique est une question centrale dans le pilotage des politiques publiques quant à la soutenabilité des modes appropriés de la bonne gouvernance (p. 41).

En appréciation du partage, du transfert, de l'octroi de pouvoir ou compétence que confère l'État central via la décentralisation aux collectivités territoriales, le principe de subsidiarité109 trouve un canal privilégié pour la consécration de la gestion de proximité en toute connaissance de cause des subtilités culturelles des affaires d'intérêt local dans le souci du bien de la collectivité. Mais la question de fonds fiduciaire demeure un défi à l'effet de la décentralisation. Car, l'administration publique et celle des collectivités territoriales ne suscitent pas de confiance dans la gestion de fonds. Elles ont du mal à émettre des obligations qui les permettront d'attirer des investisseurs. Ainsi, Philippes Bezes et Michel Bouvier (cités dans Valmera, 2021), ont beau essayer de démontrer combien la consolidation financière est importante. Sans elle, l'État (dans le cadre des États unitaires et décentralisés) et les collectivités locales sont en fait des acteurs inactifs du développement. Cette conception trouve une large adhésion. À propos, Alexandre Desrameaux (cité dans Valmera, 2021), accentue son analyse sur les finances publiques qui occupent une place de plus en plus conséquente dans les débats publics. Il avance que sans moyens financiers « appliquer et faire respecter les décisions publiques demeure voeux pieux ». Aussi,

109 Le principe de subsidiarité se précise en importance capitale comme technique de transfert de compétences aux collectivités territoriales à côté des principes de dévolution et de progressivité. Elle constitue essentiellement une technique de répartition temporelle par la division de tâches étatiques attestant l'inefficience dûe à la lourdeur de l'appareil politico-administratif de l'Etat unitaire centralisé, intervient l'action des entités locales disposant d'un délai au cours duquel celles-ci ont été autonomes dans la gestion des attributions de leurs compétences. En effet, la subsidiarité impose une condition à l'attribution de la compétence en assurant la transition entre deux compétences, dans le sens de continuité de service public. Elle se manifeste, en général, lorsqu'un composant n'est pas en mesure de remplir sa mission, un autre palliera son absence ou son échec. L'efficience est une des causes qui peut, en effet, provoquer l'actualisation de la compétence subsidiaire. « Ainsi dans le cas qui concerne essentiellement Haïti, la décentralisation par le principe de subsidiarité répond à un besoin de régionaliser [Privert, Jocelerme. (2006), Décentralisation et collectivités territoriales. Contraintes, enjeux et défis. Editions le béréen, Québec] la gouvernance qui découle par le transfert de compétences aux collectivités territoriales dont leurs capacités sont évaluées par l'Etat central afin de leur permettre d'exercer des attributions que leurs capacités se révèlent suffisantes à remplir. »

111

indique-t-il dans la même veine que « les décisions financières et budgétaires doivent être prises en tenant compte de données politiques, économiques et sociales, nationales et internationales, qu'elles contribuent en même temps à faire évoluer » (p. 38). Les recettes fiscales et les autres ressources propres constituent une part de ressources déterminantes pour les collectivités territoriales.

Enfin, en Haïti, face à la lourdeur administrative qui bloque toute avenue économique de l'État unitaire centralisé, la décentralisation devient un impératif qui pourra - avec les effets probants du principe de subsidiarité - permettre aux collectivités territoriales d'exploiter leurs ressources potentielles et spécifiques pour leur développement. Aussi, s'agit-il d'envisager la décentralisation dans ses dimensions : politique (transfert de fonctions dévolutives à des collectivités), administratives (fourniture de services publics de biens) et fiscales (génération de revenus). En matière de décentralisation, le principe de subsidiarité conduit l'État à déléguer certains de ses pouvoirs aux collectivités territoriales lorsqu'il considère qu'elles sont mieux à même de les assumer, compte tenu de leur proximité aux citoyens. À l'inverse, certaines missions remontent ou restent naturellement au niveau de l'État : diplomatie, défense, police, justice, recherche fondamentale, infrastructures de base, solidarité et cohésion nationale110...

En allant sucer la roue de ces idées, nous pouvons remarquer que la répartition des compétences n'est pas la condition suffisante pour prétendre que l'agent de la collectivité territoriale est le seul responsable du développement de son espace territorial. Donc, l'aide du pouvoir central demeure un outil très utile pour soutenir les efforts des agents locaux (Baguenard, 1980/2006, p. 41).

TABLEAU 2 : TYPOLOGIE DE DÉCENTRALISATION

ILLUSTRATION DES DIFFÉRENTES TYPOLOGIES QUI CARACTÉRISENT LA

DÉCENTRALISATION

Types

Responsables politiques

Responsables de

l'exécution

Provenance du

financement

Déconcentration (Ce

n'est pas la
décentralisation)

Élus nationaux

Agents du

gouvernement central

Budget national

Délégation (Subsidiarité)

Élus nationaux et élus locaux

Agents locaux sont

supervisés par des

Budget local avec ou sans paiements contractuels de

 

110Ces informations ont été fournies sur le site de https://www.toupie.org/Dictionnaire/Subsidiarite.htm,.

112

 

employés du

gouvernement central

l'État, venant du budget national ou local

Dévolution (la

forme la plus

avancée dans le

processus de la

décentralisation)

Élus locaux

Agents locaux de la collectivité territoriale

(incluant des corps
d'employés nationaux)

Budget local : impôt et transfert de l'État central venant du budget national en appui aux collectivités

Source : Ce tableau est complété suivant le modèle tiré du texte de mémoire de Fils-Aimé (« s.d. »)

 

La complexité de l'adoption du modèle de gestion décentralisée implique différents acteurs. Il s'agit de mettre en évidence l'importance des efforts de prélèvement de ressources fiscales. Des actions qui doivent être engagées par l'initiative des agents locaux. Cette attitude est déterminante dans la responsabilité des dirigeants nationaux ou locaux. Ils ont des tâches à remplir qui dépendent d'une bonne gestion des deniers de l'État. À rendre possible la lutte contre la corruption, l'État crée des institutions de prévention et de répression de telles infractions.

4.4.- Rôle de l'État dans la mise en place de la décentralisation : dotation des collectivités territoriales des moyens de concevoir de véritables politiques publiques

Le rôle fondamental de l'État dans la construction sociale peut s'établir dans la décentralisation. Cette oeuvre traduit l'appui nécessaire aux collectivités territoriales dans la capacité de développer des politiques publiques de développement local. Elle s'accentue aussi sur le rôle structurant de l'État dans le processus de la décentralisation. Dans une démarche concrète de décentralisation nous pouvons entreprendre les chantiers d'implémentation du principe de subsidiarité (légitimant les transferts de compétences) puis arriver à la dévolution. Les collectivités territoriales auront connu des étapes qui partent du droit à l'expérimentation111, la péréquation112 pour aboutir à l'autonomie financière, etc. C'est ainsi que le processus de décentralisation doit pouvoir tenir compte de : la spécificité des localités, la diversité dans l'apport des valeurs anthropologiques des groupes sociaux et la rationalisation dans les décisions à adopter.

111 L'expérimentation est un dispositif créé en France consistant à autoriser une loi à une collectivité territoriale d'adapter une politique publique qui ne ressort pas de ses attributions légales pour une période donnée. Cf [ www.vie-publique.fr, « En quoi consiste l'expérimentation législative locale ? » |En ligne en date du 22/02/2021, page consultée 07/03/2023]

112 La péréquation tend à trouver l'égalité dans les ressources des collectivités. Du sens horizontal, elle permet de partager les ressources des collectivités territoriales les plus riches aux plus démunies. Dans le sens vertical, il s'agit à l'État de donner aux collectivités territoriales. Cf [ www.vie-publique.fr, « En quoi consiste l'expérimentation législative locale ? », en ligne le 9/01/2023].

113

Dans cette même veine, Baguenard (1980/2006, p. 23) estime que la décentralisation se mesure à la marge de manoeuvre dont dispose les collectivités territoriales dans l'État unitaire. Elle caractérise une balance sensible qui résulte d'un compromis dynamique entre, d'un côté, des forces centripètes tendant au renforcement de l'unité nationale, et, de l'autre, des forces centrifuges incitant à l'épanouissement de la diversité locale. Sa survie dépend de la vigueur des collectivités territoriales et de la contribution du pouvoir central. Sinon, la décentralisation reste un voeu pieu. La fusion des actions de l'État et des agents de la collectivité territoriale a particulièrement motivé ce travail de recherche dans la mesure où des questions du questionnaire d'entretiens revenaient à détecter l'intervention de l'administration de l'État par le traitement accordé à la 2e Section Lociane dans les différents services publics fournis aux membres de cette population.

4.4.1.-Définition du concept de la collectivité territoriale

Il reste cependant très rare de trouver une définition bien précise du concept de collectivité territoriale. Une tournée est faite vers le professeur Prophète (cité dans Dorisca, 2010, p. 86) décrivant trois conceptions différentes qui ressortent de l'approche de collectivités territoriales :

? Avec la conférence de Rio au Brésil en 1992, elles s'entendent une unité de gestion qui s'imbrique dans des activités économiques, sociales et écologiques.

? Un point de vue sociogéographique s'en dégage avec une société de personnes rassemblées par des filiations sociologiques dans l'occupation d'un espace territorial physique déterminé dont les limites relèvent d'un ordre juridique.

? L'aspect purement juridique démontre la collectivité territoriale comme une entité publique distincte de l'État et dotée de la personnalité morale disposant un territoire. En principe, l'État détient exclusivement de la personnalité morale à travers son espace propre.

Issus de suffrage direct des collectivités territoriales, les membres des collectivités territoriales subjuguent la gestion des collectivités territoriales avec le conseil municipal qui se charge principalement du développement socio-économique de la Commune113. Les administrateurs locaux assurent la garantie de la personnalité morale dans l'autonomie administrative avec la disposition d'un personnel propre et d'un budget propre de la collectivité territoriale. D'où s'ajoutent, selon Boeuf et Magnan (2006, p.7), des compétences propres et l'exercice de pouvoir

113 Le conseil municipal se charge des missions qui se rapportent :1) urbanisme et aménagement du territoire et les services des travaux publics (construction de marchés publics, édifices municipaux, les services d'incendie et de police) ;2) aménagement urbain qui consacre l'embellissement des espaces publics, infrastructure routière, eau potable, politique d'hygiène.

114

de décision délibérative. Ces tâches fondamentales rendent les administrateurs locaux responsables par devant leur électorat de leur gestion locale (Dumornay, 1995, p. 6). Force de l'abstraction faite de la décentralisation territoriale qui s'applique aux collectivités territoriales. La décentralisation s'applique sur l'espace territorial, comme nous l'avons déjà précisé, de la République d'Haïti, instituée à travers la mise en place de trois niveaux de collectivités territoriales y compris leurs nombres (10 Départements, 146 Communes, 571 Sections communales) sur l'étendue géographique de 27,750 km2. Ledit espace géographique est territoire114.

Mais, comme but visé à l'objectif du projet d'étude, l'horizon général de la limite frontalière du territoire de l'État est d'abord considéré. Et puis, toute l'attention est fixée sur la spécificité de la zone frontalière de la 2e Section communale de Lociane, dans ses dimensions socio-économiques et la gestion territoriale. Selon Mathelier et al. (2004) précisant que le territoire, espace sur lequel s'exerce une autorité - celle de l'État - et dont les limites sont fixées par les frontières, est à la fois support et levier du développement. Ce qui conduit à des modes particuliers d'appropriation et de gestion. La composante du territoire se réfère alors à une dimension de limites fixées par les frontières d'un autre État qui se définit avec Max Weber (cité dans Etienne, 2007) :

« [...] il faut concevoir l'État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé- la notion de territoire étant une de ses caractéristiques-, revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime. Ce qui est en effet le propre de notre époque, c'est qu'elle n'accorde à tous les autres groupements, ou aux individus, le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l'État le tolère : celui-ci passe donc pour l'unique source du «droit» à la violence. » D'où résulte l'importance de la compréhension de l'État dans sa définition et sa conception.

4.4.2.-Définition fondamentale dans la conception de l'État

Diverses définitions essayent de saisir le concept de l'État. Ce travail se réfère à l'Encyclopaedia Universalis(1989) pour utiliser certaines d'entre elles : « selon Hans Kelsen, l'État est comme un système de normes. Pour Friedrich Hegel, l'État est la substance consciente d'elle-même. C. Frédéric Bastiat, économiste, conçoit l'État comme une grande fiction à travers laquelle tout le monde s'évertue à vivre aux dépens de tout le monde. Raymond Carré de Malberg, dans`Contribution à la théorie générale de l'État' en 1921, pense que l'État est une communauté d'hommes, fixée sur un territoire propre et

114 Dans ses cours en DSD, le professeur Jean Maxius Bernard enseigne que c'est le modèle de subdivision de territoire de l'Italie qui a prédominé dans le monde occidental. En effet, en 1790, les pouvoirs publics français ont imité les circonscriptions ecclésiastiques, établies depuis le IVe siècle à Rome, pour adopter la commune et le département.

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possédant une organisation d'où résulte pour le groupe envisagé dans des rapports avec ses membres une puissance suprême d'action, de commandement et de coercition.» Cp. 844).

Dans sa réalité conceptuelle, l'État est une idée. C'est qu'il est pensé. D'où résulte son essence. Encore dans l'Encyclopaedia Universalis, est-il précisé que « L'homme a inventé l'État pour ne pas obéir à l'homme. L'État n'est pas un phénomène naturel, comme le clan, la tribu ou la nation. Il est construit par l'intelligence humaine à titre d'explication et de justification du fait social qu'est le pouvoir politique ». Ce pouvoir politique est la consécration d'une mission exercée sur le corps social. L'État est l'une des institutions qui assure l'ordre dans la société. Il se retrouve dans la superstructure politique et juridique (Louis, 2019).

Selon Braud (2004, p. 7) l'État désigne d'une part, une société politiquement organisée, et d'autre part, un pouvoir qui s'exerce en son sein à partir d'un noyau. Encore Hegel voyait-il dans l'État, le triomphe progressif de la Raison dans l'Histoire. Il faisait référence certainement à l'histoire des origines115 de l'État qui remontent aux bouleversements des sociétés occidentales au cours du XVIe siècle.

L'État s'inscrit dans l'ordre des réalités sensibles quoique disparates lorsqu'il s'exerce dans la substance officielle, la sécurité nationale ou l'injonction fiscale. En substance territoriale, il s'incline dans le fait de spatialité agissant par des symboles aux frontières. Des acteurs politiques dirigent l'État. Il est visible à travers des domaines tels que l'éducation, l'infrastructure, la sécurité, la santé, etc. Mais le symbolisme de l'État est plus fort dans les représentations mentales. L'État s'établit dans un ordre constant d'indépendance par rapport à des puissances extérieures. Il s'agit donc de la souveraineté qui s'exerce dans les limites d'un territoire. Selon Foucault (2004, p. 13), la sécurité s'exerce sur l'ensemble d'une population qui a institué un État. L'important est tout aussi le branchement de l'efficacité politique de la souveraineté sur une distribution spatiale.

115 L'histoire des origines de l'Etat est l'objet de bien de controverses. Pour l'essentiel, trois étapes ont été produites à l'engendrement de la forme d'organisation des sociétés humaines : première étape, les groupements des premiers humains caractérisent un besoin de sécurité contre les autres clans ou autres groupes. Par l'ensemble, les décisions sont prises pour organiser la vie de leur groupement ; deuxième étape, quand les membres du groupement deviennent trop nombreux, les liens familiaux se dissolvent ou se disloquent au fur et à mesure que les individus se séparent. L'ensemble pose un nouveau problème dans la prise de décision. Il s'avère donc nécessaire de déléguer un individu ou un petit groupe pour décider pour l'ensemble. C'est la délégation de pouvoir. Mais les règles d'attributions du pouvoir ne sont pas définies. Ce qui occasionne une situation d'instabilité ; troisième étape, à la recherche d'une base stable, permanente et abstraite, l'institutionnalisation du pouvoir s'impose. D'où le dicton : `le roi est mort vive le roi '. La continuité du pouvoir s'organise dans l'Etat. Mais les règles d'attributions du pouvoir posent encore des problèmes.

En marge des connaissances anthropologiques et historiques, les philosophes du XVIIe siècle interrogèrent sur les raisons qui ont poussé à la création de l'Etat. La volonté divine est la réponse facile qui demeurait pendant longtemps. Mais en se distanciant de la métaphysique, cette croyance ne tenait plus avec le temps. Trois théories vont concourir à clarifier l'interrogation : 1) les théories du contrat, 2) les théories du conflit, 3) les théories de la fondation-adhésion.

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Mais selon l'approche marxiste, L'État sert de support à l'infrastructure économique caractérisant la base de l'activité humaine au profit de groupes détenteurs des moyens de production. Ces derniers dominent l'appareil de l'État au détriment des classes non possédantes par l'exploitation. Revenons-nous en au monopole de souveraineté de l'État qu'il détient et remplit exclusivement dans les attributions souveraines de la contrainte légitime, de la fiscalité et du crédit. Car la souveraineté est un attribut d'État. L'État en Haïti [dit unitaire se définit comme la structure comportant un État sur un territoire à organisation juridique, politique et économique lui conférant l'ensemble des attributions de la souveraineté nationale dans un gouvernement116 (trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire)].

Par gouvernement, selon Boyard (2010, p. 31), nous entendons une administration politique qui bénéficie de la puissance publique et de la capacité de commander et de se faire obéir. Et la population est représentée par l'ensemble des nationaux de l'État, c'est-à-dire, par tous les individus jouissant de la nationalité de l'État.

C'est en vertu de telles substantivités que nous pouvons signifier ainsi l'État : diplomatie, défense, police, justice, recherche fondamentale, solidarité, infrastructures de base et cohésion nationale117. Ce sont des champs où interviennent ses actions monopolistiques. Entre autre monopole de l'État, s'inscrivent la dynamique et la complexité des transformations sociales et politiques ainsi que l'articulation du politique et du social, du global et du local dans une perspective de gestion de la sécurité nationale qui connait plusieurs théories notamment celle qui est classique, s'étendant de l'extérieur vers l'intérieur à partir des services diplomatiques externes et des systèmes traditionnels de protection des espaces frontaliers avec des services douaniers et ceux des aéroports et des côtes maritimes.

Entre-temps, des conceptions modernes se développent en la matière avec des mécanismes économiques y compris des outils de technologies de l'information et de la communication. Par l'approche de la sécurité nationale, Joseph (2005) explique que la notion évolue avec le temps pour sortir du clivage classique des notions d'équilibre inter-étatique de rapports de force, de souveraineté et de respect des frontières étatiques. Le paradigme économique a surgit depuis peu. Mais le tiers-monde fait exception aux théories nouvelles de la sécurité nationale. En ce sens, le danger y est de plus de l'intérieur qu'à l'extérieur à cause de l'instabilité politique qui y règne.

116 Voir les articles 59 et 59.1 de la Constitution d'Haïti de 1987.

117 Ces informations ont été fournies sur le site de https://www.toupie.org/Dictionnaire/Subsidiarite.htm,.

117

Ainsi, le clivage classique inter-étatique y subsiste-t-il. En ce qui concerne la frontière dont fait l'objet cette étude, elle se définit, selon Acloque (2022), dans un sens restreint, comme une limite fixée par traité entre deux États. En substance, elle a caractérisé l'apparition des États modernes qu'Etienne(2007) suppose « une rationalisation de domination politique, grâce à l'institutionnalisation de la participation des citoyens à la gestion de la chose publique. »(p.30). Charles Tilly (cité dans Bonazzi, 2009) pense que l'État moderne représente un processus historique de formation d'un noyau autonome. La société féodale s'embourbait dans une crise de structure sociale qui favorisa l'émergence de l'État.

À la fin du moyen âge, l'Europe a connu des transformations socio-économiques qui ont largement contribué à l'apparition de l'État. C'est ainsi qu'il s'opère une mise en relation entre la construction de l'État et la modification de la structure sociale. Il résulte bien une désintégration de la société traditionnelle qui assume beaucoup de résistance d'ailleurs. Un nouveau modèle d'échange s'entend avec l'État qui s'impose avec la division du travail social engendré par le développement économique. Très tôt déjà, l'État se confronte à la limite de la frontière qui détermine la discontinuité entre deux foyers différents d'appropriation territoriale. Alors, la limologie ou science des frontières est, à cet égard, d'un appui très précieux pour la géographie politique. Elle touche au droit, à l'histoire, à la science politique. Mais la frontière, renvoie à une réalité concrète qui en fait un cas intéressant à la géographie qui en étudie donc les conséquences du phénomène `frontière' (Sanguin, 1974).

4.4.3.-Définition des choix stratégiques de développement économique en matière de politiques publiques

L'État se doit de prioriser la définition des instruments qui encouragent des investissements dans des domaines qui relèvent de trois ordres : premier ordre, des investissements sont réservés essentiellement à l'intervention des entreprises privées ; deuxième ordre, ceux qui reçoivent l'intervention des entreprises privées sous la supervision des structures étatiques ; et troisième ordre, ceux qui se réservent dans l'espace de souveraineté nationale. En tout cas, le mécanisme de définition des instruments nécessaires au développement socio-économique et politique ne doit pas échapper à la compétence de l'État.

Ensemble, l'État et le secteur privé doivent s'incliner devant les prérogatives de l'État de droit régissant des rapports de progression dans l'orientation de développement. Cela traduit un

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processus qui tient ses lignes directives dans la concertation des forces antagoniques interagissant dans la défense de l'intérêt collectif, dans une logique continue de dialogue, de concertation et de consensus. À l'effet d'un tel modus operandi, nous attendons que l'État dégage assez de ressources de toutes sortes qui lui permettront de contribuer à réorganiser la dynamique des structures socio-économiques et politiques au niveau interne. Et, à l'évidence d'implémentation de nouvelles orientations socio-économiques. Haïti tendra ainsi à insuffler une autre dynamique dans ses relations avec les autres pays, en particulier la République Dominicaine. Ces considérations lient intimement la dynamique interne dans les relations avec l'extérieur. Celle-ci se manifeste véritablement par le besoin d'adopter de nouveau paradigme dans la définition de lignes directrices et de priorités comme vecteur de développement.

4.4.4.-Politique publique : de la naissance à l'acception moderne

À l'origine, les politiques publiques ressortent du renforcement des pouvoirs du roi avec la monopolisation sur la fiscalité, la monnaie, la police ou la guerre. Ces fonctions régaliennes vont constituer le socle inébranlable de l'État moderne. Michel Foucault développe la conception de savoirs de gouvernement pour montrer l'ensemble des technologies qui permettent à l'État de gouverner les territoires et les populations. À travers cette gouvernementalisation118, l'État impose sa légitimité par la capacité de faire régner l'ordre, de maitriser les connaissances nécessaires au contrôle de l'espace territorial et d'apporter des services de base indispensables à la population. Le développement fulgurant connu aux États-Unis au cours des années 1950 a essentiellement marqué l'origine de la notion de politique publique. Elle a eu son acception moderne par l'utilisation du mot Gouvernment pour désigner les actions publiques du gouvernement américain.

En Europe, les penseurs tels que Hegel, Marx et Weber ont pourtant bien longtemps mis en exergue le concept de l'État comme institution qui domine la société, la façonne et la transcende. Mais, particulièrement en France et en Angleterre, c'est au cours du XIXe siècle que l'État a commencé à se pencher sur les activités qui entrent dans le cadre de politiques publiques. Les interventions de l'État qui caractérisaient des politiques publiques étaient marquées surtout par la lutte contre les effets du marché capitaliste. Ainsi, Karl Polanyi (cité dans Muller, 2009, pp. 6-8) souligne-t-il

118 Gouvernementalisation est une notion utilisée par Michel Foucault pour désigner la superstructure équipée de l'État qui, dès XVIIIe siècle, se charge de résoudre tous les défis auxquels la population fait face tout en assurant le contrôle sécuritaire sur celle-ci.

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que les effets de dislocation que l'extension du marché et l'industrialisation entrainent sur la société ont permis à ce que les premières politiques publiques visaient essentiellement le secteur social. Aussi la société de salariat créée par le capitalisme a-t-elle occasionné les interventions de l'État dans le secteur de l'assistance sociale avec l'État Providence.

4.4.4.1.-Caractéristique de politiques publiques

Les politiques publiques ont un caractère sectoriel. Chaque politique publique intervient dans un secteur découpé de manière spécifique de la société pour constituer un objet d'action publique. Deux situations engendrent l'action de politique publique. Dans un cas, le secteur préexiste à la politique. Il s'agit d'une fonction de structuration verticale des rôles sociaux par la définition des règles de fonctionnement, de sélection, d'élaboration des normes et des valeurs spécifiques, de fixation de champ. Dans un autre, la politique provoque un problème dans un secteur d'intervention, il renvoie à ce qui s'est produit avec les politiques sociales.

De toute façon, les politiques publiques ont pour objectif de gérer les déséquilibres provenant de la sectorisation et dans la complexification des sociétés modernes. De même, un secteur peut produire ses propres objectifs de politiques publiques. En ce qui a trait au processus de décentralisation, il participe largement dans la mise en oeuvre de projet de société. Cela implique une administration de l'État définissant les règles et les règlements. Et les acteurs des collectivités territoriales gèrent les objectifs visés par l'implémentation de politiques publiques pour les différents secteurs à divers niveaux.

4.5.-Condition nécessaire à l'implémentation de la décentralisation

La décentralisation prônée dans l'État moderne est considérée par l'assimilation de la logique de Aron (1965, p. 66) à une organisation administrative. C'est d'abord avec des dispositions légales qu'il convient d'envisager sa réalisation. Néanmoins, l'arsenal juridique haïtien en contient un grand nombre de textes. Il faut avoir des cadres théoriques pour orienter le processus de décentralisation. C'est ce dont le travail retient, selon l'auteur, pour réaliser la décentralisation :

? la détermination d'une sphère de compétences spécifiques au profit des collectivités

territoriales ;

? l'autonomie d'action des autorités locales par rapport au pouvoir central, tant pour leur nomination que pour leur révocation ;

·

120

l'autonomie de gestion des affaires119 locales par les collectivités territoriales (Baguenard, 1980/2006, p. 24).

Dans l'interprétation de la Constitution de 1987, Léger(2000) se réfère aux enjeux globaux du processus de la décentralisation sur le plan : administratif, juridique et institutionnel. Il s'agit d'entreprendre un cadre de transfert de compétences du pouvoir central vers des collectivités territoriales et établir un canal de participation de la société civile. À cet égard, des lois et règlements doivent, souligne-t-il, compléter la prescription constitutionnelle pour fixer la répartition des acteurs et leurs attributions. Il est entendu que la participation de la société civile constitue un aspect crucial dans la définition des enjeux et l'édification de la réglementation qui doit désigner entre autres :

· Les compétences administratives de chaque acteur qui distingue l'intérêt général étant du ressort de l'État central et les affaires locales relevant des collectivités territoriales ;

· Le degré d'autonomie à accorder à chaque niveau de collectivité ainsi que les ressources correspondantes à transférer : humaines, financières et matérielles ;

· Le type de contrôle à exercer par l'administration centrale suivant qu'il s'agit de déconcentration, de délégation ou de dévolution ;

· La tutelle est exercée par le pouvoir central, étant donné l'inexistence de hiérarchie entre les collectivités territoriales ;

· Les relations entre les autorités locales élues et la délégation ;

· Les modes de résolution des conflits entre différents paliers de gouvernement local ;

· Les modalités d'implication de la population et de la société civile (p. 95).

Mais ce qui caractérise une partie de la faiblesse de ces théories dans le contexte de la 2e Section Lociane, c'est qu'elles ne tiennent pas en compte des conditions socio-économiques précaires qui ne puissent permettre de disposer des ressources humaines efficaces à même de représenter dignement des collectivités territoriales. Alors, il revient à l'État via le ministère de tutelle à savoir le MICT de se charger de la formation des agents locaux à côté des différentes associations où ils s'affilièrent. Toute la littérature sur cette matière porte à convaincre de l'importance de la compétence et la disposition des ressources humaines dans la défense des intérêts de la collectivité territoriale. Car il est impérieux que les agents locaux soient bien imbus de l'objet sur lequel ils

119 Les affaires locales c'est une notion qui, reposant sur des choix politiques, se révèle tout à fait subjective et complexe à maitriser.

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doivent se baser pour diriger leur communauté. Ce qui conduira à pouvoir identifier les affaires locales et les distinguer des intérêts généraux.

4.5.1.-Distinction entre intérêt général et affaires locales

L'intérêt général que nous évoquons ci-dessus s'appréhende comme critère transversal et finalisé, déterminé à un but précis. Le corps social, constitué en groupement d'individus, déléguant la souveraineté au gouvernement qui doit assurer l'ordre social et politique. Le but implique à satisfaire les préoccupations des citoyens. Mais entre l'intérêt public qui ressort des compétences de l'État et les affaires locales qu'il délègue aux collectivités territoriales dans des choix politiques, il y a une distinction. La notion des affaires locales est subjective et complexe. Assimilée à une tranche localisée de l'intérêt général. « Les affaires locales n'ont traditionnellement pas d'existence juridique objective. Le critère territorial n'étant d'aucun secours, dès lors qu'il permet seulement de déterminer la sphère géographique d'intervention des autorités administratives.» (Baguenard, 1980/2006, p. 26). La distinction surgit avec l'intervention de l'État qui se fait uniquement dans l'intérêt général.

4.5.2.-Question de l'autonomie de gestion des collectivités territoriales

Sur le plan de leur existence, les organes de pouvoir local s'exercent de manière indépendante du pouvoir central dans une société à organisation politique décentralisée. L'approche de l'autonomie de gestion est donc fonctionnelle. Les organes locaux jouissent d'une indépendance fonctionnelle leur permettant une libre gouvernance (administration) des affaires locales.

Alors la question de la garantie juridique cristallise la reconnaissance de la qualité des collectivités territoriales. Comme personnes morales, les collectivités territoriales représentent un acte de vie juridique. Elles ont des droits et obligations qui leur permettent d'agir en leur qualité d'entité proprement autonome. Qu'il s'agisse de patrimoine et d'engager leur responsabilité. Elles peuvent user des prérogatives de puissance publique. Mais cependant, cette qualité juridique ne garantit pas totalement une réelle autonomie de gestion des collectivités territoriales qui ont obligation de se soumettre aux injonctions des intérêts généraux dans leur ensemble de décisions. Et ces intérêts généraux sont définis par l'État. Néanmoins, les acteurs locaux ont une responsabilité qui les habilite à investir la gestion des collectivités territoriales. Ce qui caractérise encore une plus grande importance dans l'objectif d'une démonstration magistrale de leur utilité dans la dynamique des rapports dans la frontière entre Haïti et la République Dominicaine

122

4.5.3.- Organisation de la Section communale Lociane sur le plan politique

La Section communale est organisée par la loi. Elle est administrée par un organe exécutif : le CASEC assisté d'un organe délibératif : l'ASEC. Ces organes sont élus pour quatre ans avec pour attributions entre autres sanctionner et ratifier la politique de développement de la Section communale préparée et présentée par le CASEC120.

D'après l'article 66 al. 2 du décret électoral 2015. Pour les Sections communales ayant moins de 10,000 électeurs, 5 représentants sont élus. C'est le cas pour la première Section de Matelgate. Pour les Sections de plus de 20,000 électeurs, 9 représentants sont élus. C'est le cas pour la 2e Section Lociane qui avait autant d'élus membres ASEC aux dernières élections sous l'égide dudit décret. À signaler que ses premiers élus CASEC et ASEC ressortirent des élections de 1990.

Par ailleurs, les CT souffrent du manque de dispositions légales qui établissent des appuis formels aux actions des décideurs étatiques dans les milieux ruraux dans le cadre du développement local. Sur ce, nous concluons ce chapitre qui a permis d'élucider les différentes conceptions de l'État. D'où relèvent ses responsabilités de rechercher l'efficacité de son fonctionnement administratif dans le choix de la décentralisation. Cette dernière est assimilée à une côte de la colonne vertébrale de l'étude. Elle implante sa fonction en agrémentant les fondements légaux du processus. Elle agite le rôle prépondérant de l'État qui tient son fondement dans la raison des Hommes, selon Hegel. La décentralisation implique l'orientation dans une nouvelle gestion des espaces territoriaux avec l'accentuation des responsabilités des agents locaux dans l'implémentation de politiques publiques. La capacité dont les autorités locales font montre pour concevoir des politiques publiques de développement local et plus particulièrement pour le développement de la zone frontalière de la 2e Section Lociane signifie une avancée dans notre problématique. L'enchevêtrement des forces agissant sur le terrain de la recherche enjoint le choix théorique de notre approche globale d'analyse. Ainsi, est-ce en fonction du prisme analytique structuro-fonctionnaliste que nous évaluons les résultats de terrains. Pour le prochain chapitre, cette phase traduit les résultats analysés des entretiens semi-dirigés réalisés dans l'étude. Ce qui caractérise également l'étape représentant la structure empirique de l'opération de la recherche.

120 La loi du 4 avril 1996 sur l'organisation de la collectivité territoriale de Section communale fixe à 3 membres de Casec. Et les ASEC dépendent de l'importance démographique soit 7 représentants élus pour un nombre inférieur ou égal à 5000 habitants, 9 pour 5001 à 14999 habitants et 11 représentants élus pour les Sections communales ayant 15000 habitants et plus.

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