![]() |
Conditions socio-économiques des paysans de Lociane, une section de la commune de Thomassiquepar Frantz Isidor Faculté d'Ethnologie de l'Université d'État d'Haïti - Maîtrise en Sciences du Développement 2024 |
Chapitre V. Résultat de l'étudeLa présentation des résultats, à partir des données obtenues des séances d'observation et d'entretiens en situation dans la 2e Section Lociane, signifie une partie déterminante dans la présente recherche qui initie la situation particulièrement concrète de l'unité d'étude. Toute proportion considérée, il s'agit d'essayer de comprendre la situation globale des habitants vivant autour des 380 km qui constituent la ligne frontière entre Haïti et la République Dominicaine. À priori, l'analyse tend cependant à éviter de permettre de projeter une idée qui transcende le problème dans la recherche des liens de causalité en vue de soutirer des pistes de solution. D'où, par l'effet induit, le dynamisme transposera un phénomène de changement de vision sur le reste du territoire qui abrite la population entière. Sur ce point, il s'agit de rechercher la justification de la pertinence des instruments de mesure et validité de l'étude qui s'accentue dans la confrontation de données significatives qui ressortent de la collecte de données sur le terrain de la recherche. La démarche est orientée par la problématique de l'étude qui évoque les corrélations possibles entre des faits, des acteurs et les composantes des conditions socio-économiques des paysans de la 2e Section Lociane dans la dynamique de la décentralisation prônée par la Constitution de 1987. La recherche par méthodes mixtes à conception de systèmes embarqués121 permet de collecter et d'analyser des données qualitatives et quantitatives simultanément au sein de cette étude pour répondre à la question de recherche. Une grande préoccupation est donc portée sur la présentation de tableaux chiffrés qui serviront d'indicateurs quantitatifs d'une situation qui garde en considération, avant tout, ses aspects qualitatifs dans la représentation des conditions socio-économiques des paysans de la 2e Section Lociane. L'accent mis sur les données concrètes démontre un paramètre important des indices ou des tendances caractérisant le fondement de la recherche à la fois quantitative et qualitative à vocation objective. C'est ainsi que nous nous référons à des illustrations dans des tableaux à chiffres pour permettre une plus grande précision de rigueur dans l'énonciation des appréciations analytiques. Cependant, il faut signaler que les chiffres ne permettent pas de saisir toutes les réalités sensibles à la qualité de vie et du vécu des gens. 121 En vue d'acquérir une compréhension approfondie et étendue des conditions socio-économiques des paysans de Lociane, cette conception de recherche se révèle une option bien logique par rapport surtout à la problématique en question. www. voxco.com.Qu'est-ce-que la recherche par méthodes mixtes ? Site consulté en juin 2023. 124 Le tableau ci-dessous affiche la présentation de la répartition des cinquante-et-une (51) personnes qui ont répondu aux questions de nos entretiens. Chaque localité contient un nombre de répondants qui ont participé au travail de recherche. Cela constitue l'échantillon de la population de la recherche à partir des séances d'entretiens semi-dirigés conduits sur le terrain (constitué de sept localités) de cette recherche au cours de la semaine du 26 au 30 décembre 2022. TABLEAU 3 : PRÉSENTATION DE LA RÉPARTITION DES RÉPONDANTS AUX ENTRETIENS
5.1.-Rapport de proximité des autorités de la collectivité territoriale avec la population Les autorités locales contribuent fortement à la gestion de proximité qui s'établit dans la fourniture de services de base aux populations. Le rapport de proximité est une valeur indicatrice de la prise de connaissance des besoins en vue d'apporter des réponses nécessaires. Cela entraine la mise en application de la théorie des parties prenantes qui s'applique dans la vigueur des agents locaux et la volonté politique des gouvernants centraux. Le tableau ci-dessous (présenté à la page suivante) essaie de démontrer le sens de responsabilité que les autorités de la collectivité territoriale manifestent envers la population qui est leur mandant. L'enjeu est que par l'entremise des agents locaux, l'État accentue sa présence de proximité qui est à même de mieux permettre la satisfaction des besoins des couches de base. D'ailleurs, c'est un moyen privilégié de partager des informations. L'information un outil essentiel dans l'implémentation du processus de décentralisation. Elle doit être envisagée sous tous les angles : information technique, économique, politique, juridique, commerciale, fiscale. 125 C'est pour cela que Beaudoux(2000) estime que tous les moyens sont à mettre à disposition des paysans et des acteurs locaux pour établir des canaux de transmission d'information : radio, presse, technicien de contact, réunion d'information122, les NTIC et même des centres d'information (p. 31). Cette démarche renvoie à l'expression de la manifestation d'une volonté politique de l'inclusion des paysans. Mais, malgré l'absence à l'infini de volonté qui puisse exister, les contraintes des possibilités de l'économie discursive sont évidentes pour ce qui concerne les autorités locales de la 2e Section Lociane. Les instances locales ne montrent pas l'évidence de la capacité d'action dans la recherche de la complémentarité des forces actives pour établir des rapports directs de discussions sur les conditions socio-économiques des paysans. Les réactions révoltantes des paysans de Savane Mulâtre vis-à-vis des autorités locales démontrent clairement le bien-fondé de cette interprétation analytique. TABLEAU 4 : TENDANCE DE RAPPORT ENTRE LES PAYSANS ET LES AUTORITÉS DE LA COLLECTIVITÉ TERRITORIALE
122 La rencontre avec les mandants est une méthode que les élus doivent tenir compte suivant la logique de Beaudoux Etienne, dans son papier intitulé Accompagner les ruraux dans leurs projets. Éditions L'Hermattan, Paris, France, 2000. 126 Le tableau ci-dessus contient une double entrée qui comprend en horizontale les localités incluses dans le champ d'étude et en verticale, la tendance de rapport de proximité que les autorités locales développent avec la population. Cette présentation fait état de la relation que les autorités locales étant les maires, les membres de Casec et Asec développent avec leurs mandants. La logique active de l'empowerment qui embrasse toute la spécificité du développement local exige de l'inclusion des paysans. D'ailleurs, c'est en établissant des ponts de dialogue que le processus d'intégration se renforce. Suivant les données disposées au cours du travail, dans toutes les localités, une énorme déception de la population se dégage vis-à-vis des agents locaux qui ne manifestent pas grand intérêt à rester en contact avec la population. Le rapport de ces données interprétées confirme les propos des paysans qui ont dit que les agents locaux ne se soucient pas d'eux. La totalité des répondants à Savane Mulâtre avouent que les autorités locales ne sont pas disponibles pour eux. À Don Diègue 2, la déception par l'absence des agents locaux est à 60% des répondants, et les 40% ont fait état de la présence des employés du service de capture d'animaux de la Mairie qui interviennent au cas échéant. Terre Blanche reste l'endroit où il y a moins de déception sur la présence des agents locaux avec 37.5%, suivi de Boc Banic qui est le lieu natif natal du dernier maire principal, devenu agent exécutif intérimaire depuis 2020. Les 40% des répondants de la population interrogée à Boc Banic ont pourtant avoué leur déception des rapports que les agents locaux ont développés avec la population après leurs élections. Les 42.8% des répondants dans la localité de Malary ont aussi évoqué le sentiment de déception. À Carrefour Suzely et à Nan Croix, les répondants, respectivement à 66.6% et 62.5% ont exprimé le niveau de déception qu'ils éprouvent à l'égard des autorités locales. Les 14.28% des répondants de Malary ont fait état de la présence des agents communaux de capture dans la localité. Et 42.8% des répondants de Malary admettent qu'ils ont parfois contact avec les autorités locales. Les 40% des répondants de Boc Banic ont admis le même jugement. À égalité parfaite de 25% des répondants, des localités de Terre Blanche et de Nan Croix ont manifesté leur indulgence envers des agents locaux qui sont parfois disponibles pour eux. À Carrefour Suzely, 22.22% des répondants éprouvent un bon sentiment pour les élus locaux qui sont parfois disponibles pour eux. Dans la pleine satisfaction de contact avec les agents locaux, Terre Blanche détient 37.5% de répondants qui avouent garder de bon sentiment dans ce sens. Pour sa part, Boc Banic compte 20% 127 des répondants qui abondent dans le même courant de satisfaction. 12.5% de répondants de Nan Croix portent un élan élogieux des rapports développés avec les agents de la collectivité territoriale. Enfin, 11.11% des répondants de Carrefour Suzely partagent l'enthousiasme sur les bons rapports avec les agents locaux qui se montrent présents pour eux. Mais le nombre de répondants affichant leur insatisfaction est largement supérieur par rapport à cette portion de gens montrant une certaine satisfaction dans leur relation avec les élus locaux. Le constat des observations nous amène à questionner comment des paysans de la 2e Section Lociane peuvent-ils établir de bonnes relations avec leurs élus locaux ? Dans la foulée de ses mécontents de la gestion catastrophique des autorités locales, il y a une remise en question de la décentralisation dans cette Commune et ses Sections subséquentes. Est-ce que la décentralisation est-elle déjà en train d'être implémentée dans cette circonscription ? Autrement dit, est-ce que c'est la mauvaise gestion des dirigeants locaux qui caractérise une telle insouciance ? Lorsque les autorités des collectivités territoriales ne se sentent pas obligées de marquer une présence soutenue auprès de leurs mandants qui sont majoritairement des paysans comment arrivent-elles à planifier des projets de développements pour ces derniers ? Ces données évoquées ci-dessus démontrent toutes les difficultés de la possibilité d'accorder des acteurs locaux dans une dynamique de conjonction de la force indispensable au développement local. 5.2.-Certains aspects anthropologiques du politique L'analyse anthropologique du comportement du dirigeant politique présente toutes les difficultés qu'il y ait pour établir de bons rapports entre les gouvernants et les gouvernés en Haïti. Entre une foule de promesses farfelues des campagnes électorales et la gouvernance politique après les élections il y a un fossé abyssal. Le dirigeant politique haïtien n'a jamais manifesté une grande culture relationnelle et communicationnelle avec leurs mandants dans l'expression de la vérité. Le souci de dire la vérité est une manifestation de responsabilité. Il ne s'agit pas d'interdir de donner de l'espoir. Mais il est nécessaire de faire des promesses réalistes. En ce sens, Habermas(1988), pense qu'on peut vouloir penser une issue, mais on ne peut l'imaginer à n'importe quel prix.(p. ii). C'est pour cela qu'il est indispensable d'avoir une société civile qui s'engage dans les affaires publiques pour servir de contre-pouvoirs aux pouvoirs publics. Les paysans de la 2e Section Lociane expriment largement leur déception vis-à-vis des élus locaux. Elle dérive des diverses promesses non tenues, de l'abandon des localités. 128 Le devoir d'informer de tout ce qui se fait et d'enquérir des données sur les conditions de vie de la population est du ressort de la collectivité territoriale et d'autres instances concernées. Cette pratique permet de prendre des décisions qui répondent aux besoins réels de la population concernée. Dans la 2e Section Lociane, l'agent communal de capture d'animaux intervient pour sanctionner dans certains endroits comme à Don Diègue 2. C'est un rapport vertical qui exprime le sentiment de l'État de chef haïtien sans redevance envers la population. L'auteure Donner(1998) eut à dire que le « chef de section est l'image du souverain qui fait et défait de ses propres volontés. » Cette caricature semble être bien incarnée dans la psyché de l'agent communal et d'autant plus dans le milieu rural. Ces données analysées et interprétées ont démontré dans une logique quantifiée d'une vision du comportement de l'autorité en Haïti à l'aide de l'état des lieux dans la 2e Section Lociane dans la période donnée. C'est ainsi qu'il s'avère très important d'essayer de pénétrer le fonds de la manifestation de la responsabilité que le paysan s'attribue dans la démarche naturelle de la production de facteur de développement local. 5.3.- Responsabilité manifestée par le paysan dans la sphère du développement local Le développement, comme objectif et processus présente une forte incarnation de la vie sociale. Depuis l'adoption de la Constitution de 1987, les acteurs locaux s'entendent davantage à se réunir dans la défense d'un objectif précis pour leur communauté. Cette nouvelle approche est à même de créer le leadership nécessaire qui puisse conduire à faire émerger l'intérêt commun pour des activités de développement local. La transcendance de la conduite dans le sens de la responsabilité renforce les instruments de confiance. De là, ressort la vision stratégique qui dépend de l'autorité d'organisation. Les paysans de Lociane se proposent d'assumer leurs responsabilités dans leur devoir de citoyen pour vivre dans leurs localités. La plupart de ces localités évoluent en dehors des soucis des autorités de la collectivité territoriale. Les récits de certains leaders communautaires expriment fort éloquemment l'état mental du paysan. En appréciant les propos de Dérévil, 45 ans, natif natal de Savane Mulâtre, il convient de maitriser la psychologie sociale du paysan qui est déterminé à affronter son destin. Ce paysan s'entend de toutes ses forces pour dire « qu'il lui importait avant tout de s'organiser pour vivre dans sa localité ». C'est un symbolisme de conviction dans la combativité nécessaire à tout patriote. Peut-il s'agir d'un sentiment d'éveil et de vigilance ? Ces propos insinuent aussi combien les liens du terroir sont forts dans les 129 représentations mentales et sociales. C'est la démonstration des caractéristiques essentielles de la vie collective selon Aron(1965). Le paysan essaie à sa manière d'orienter les phénomènes politiques en attirant le regard des agents locaux sur les problèmes auxquels il est confronté. Par la même occasion, il espère soutirer un engagement de la part de l'État par l'effet d'un soin plus attentif sur la paysannerie. La vigilance du paysan est une preuve qui signifie que leur situation ne les affaiblit pas. Jean-François (2021, p.114) a repris la grille de lecture de Roger C. Mill à propos du leadership dans les communautés pauvres. Il s'agit d'un paradigme qui met en évidence des efforts cérébraux qui permettent de transformer en énergies positives toutes les mauvaises perceptions qui tendent à compliquer la réalité. Il importe de dominer les forces vibrantes qui cristallisent l'engagement des citoyens en interaction avec la communauté dans une induction de propagation de la confiance et de l'équité dans la revitalisation des stratégies de développement. Cette approche s'avère intéressante à prendre en compte dans le contexte de la 2e Section Lociane qui, plongée dans l'atmosphère de réflexion de développement local, a besoin d'activités économiques substantielles pour intégrer les masses paysannes dans l'implémentation des décisions qui les concernent à cet égard. Néanmoins, des encadreurs techniques qui maitrisent le monde rural seraient aptes à stimuler les leaders paysans dans un apport méthodique d'organisation communautaire participative. Bien évidemment, plusieurs résultats y seraient attendus. En effet, cela pourrait commencer par aider les producteurs agricoles à rééquilibrer les rapports d'échanges commerciaux sur la frontière. Dans ce registre, nous pouvons signaler que le fond du rapport commercial que les paysans de Lociane entretiennent avec les Dominicains est très désavantageux pour les producteurs agricoles haïtiens. D'où résulte toute l'importance du besoin de regrouper les forces dans des structures organisationnelles pour permettre de mieux défendre des intérêts communs. C'est ainsi que nous avons pensé à saisir la tendance à l'organisation sociale dans cette zone. L'organisation est cette forme de regroupement social d'individus qui sont en interaction. Un même but collectif y est fixé en dépit des divergences des individus sur des choix préférentiels, des informations, des intérêts et des connaissances dont ils peuvent disposer personnellement. 130 5.4.- Organisation sociale à Lociane L'organisation est une structure capitale dans la détermination des objectifs clairs et précis à atteindre ou à réaliser. La définition des règles impersonnelles valables pour tous est une force pour assurer la cohésion et la fonctionnalité d'une organisation. L'adhésion des participants à une organisation dépend largement des objectifs visés, des personnes porteuses de la parole dans la direction de l'organisation et le mode de fonctionnement qui trouvera un écho dans la population. Les propos tirés des entretiens avec les paysans de la 2e Section Lociane, nous enseigne aussi de l'importance de la capacité de la régénération en permanence d'une organisation. C'est ainsi que comprendre la participation de ces paysans dans des structures organisationnelles revient à considérer certains de ces facteurs intrinsèques de l'organisation en question elle-même. TABLEAU 5 : TENDANCE DE PARTICIPATION DES PAYSANS DANS LA VIE ORGANISATIONNELLE
131 Le tableau ci-dessus contient une double entrée qui comprend en horizontale les localités incluses dans le champ d'étude et en verticale, la tendance de participation à la vie des activités des organisations. Elles peuvent être de n'importe quelle nature : politique, sociale et communautaire. Ce tableau exprime en gros l'état de non adhésion de la totalité de la population de répondants de Don Diègue 2 à la vie d'organisation. Plusieurs raisons peuvent se prêter à des hypothèses pour comprendre le pourquoi de cette tendance allant dans la même direction pour toutes les autres localités, quoique dans des proportions moindres. 88.88 % des répondants de Terre Blanche, 85.71% à Malary, 80% de ceux de Boc Banic, 66.66% de Savane Mulâtre et 62.5% de ceux de Nan Croix expriment leur état de personnes n'ayant pas fait partie d'une structure organisationnelle. C'est une donnée assez évocatrice lorsque l'on sait ce que représente l'organisation dans la vie collective. Pour des répondants qui ont été membres d'une organisation, 22.22% en sortent de Savane Mulâtre. S'ensuivent Boc Banic avec 20%, et enfin, Carrefour Suzely comptant 12.5% des répondants qui ne manifestent plus d'intérêt pour faire partie des structures organisées. Du côté de la vie idéale de l'évolution organisée des membres de la communauté, Nan Croix compte 37.5% de paysans répondants qui ressentent plus d'importance à ce sujet. Dans cette catégorie, Malary compte 14.28% de répondants, et 12.5% pour Carrefour Suzely. À proportion relative, Terre Blanche et Savane Mulâtre affichent également 11.11% de répondants dans ce travail. Les répondants attestant qu'ils sont membres d'organisation partagent les deux structures organisationnelles qui sont parmi les plus influentes dans la zone, à savoir : MPP et OJUDT. Il faut remarquer que l'intégration des structures des organisations communautaires ne relève pas de la volonté du paysan en soi. C'est un travail qui concerne les leaders communautaires qui doivent sensibiliser les paysans sur cette nécessité. Et l'adhésion des paysans se fera en fonction de la confiance que lui inspire les objectifs de l'organisation et surtout les qualités du leader dans ses pratiques. C'est pour dire que le besoin, même s'il se fait sentir, il est difficile de demander au paysan de le combler. Toutefois, il ne faut pas écarter des possibilités d'expérimentation. Ainsi, avons-nous trouvé l'initiative de Pierre Onès, dans la localité de Nan Croix, avec une Organisation pour le Développement des Paysans de la 2e Section Lociane (ODPSL). L'esprit de regroupement est présent, mais que dire de la capacité de management. Pour ce qui concerne des organisations coopératives, nous n'avons pas relevé de cas de leur existence. Avec quelles compétences les leaders communautaires pourront-ils s'organiser pour forcer l'État et les agents locaux à assumer 132 leurs responsabilités vis-à-vis de leurs milieux ? À propos, Mengin(1989) souligne que les populations vivant dans les milieux marginalisés, comme acteurs, ont grand intérêt à saisir la dimension du processus de développement local en vue de prendre leur destin en mains (p. 24). Aussi en ajoute-t-elle, c'est un important outil politique en termes de moyen de mobilisation des ressources locales matérielles et humaines (p. 22). La plus forte proportion de répondants qui ne participe pas aux activités organisationnelles est une démonstration assez significative. Cela prouve qu'il y a une certaine difficulté pour compter sur la seule capacité des paysans de cette Section communale pour tout réaliser en matière d'organisation sociale. Or, le développement local compte beaucoup sur l'organisation sociale. Cette situation conforte une raison qui corrobore l'intérêt que nous avons démontré tantôt pour que des agents des le caractère difficile du contact entre le paysan et les institutions de développement. Néanmoins, le milieu d'intersection recoupe dans une stratégie participationniste123 qui dépend de l'objectif poursuivi dans la relation acceptant l'apport réflexif du paysan dans l'instance décisionnelle. Par ailleurs, l'une des meilleures façons permettant de manifester la force dans les affaires publiques d'une communauté est la teneur du niveau d'organisation sociale. C'est pour cela que collectivités territoriales, aidés des spécialistes de développement, puissent se mettre en portefaix du poids de la cause du développement des localités qui se trouvent dans cet état. Cependant, Olivier de Sardan (1995, p. 165) tente de démontrer que les structures organisationnelles constituent des outils importants pour la mise en place ou le montage des pièces essentielles du fonctionnement de la vie collective. Le rapport de dépendance existant entre vie collective et structures organisationnelles est la base sur laquelle puisse être construit l'édifice de la force des acteurs paysans pour déterminer leur capacité de participation. Mais le paysan de la 2e Section Lociane est livré à lui-même. Cette situation ne fructifie pas le temps qu'il consacre dans son projet de vie. Une collaboration s'avère nécessaire. Subissant unilatéralement le poids de l'infrastructure économique prédatrice, le paysan admet que l'heure d'un dialogue s'impose pour une conjonction d'intérêt. Le besoin d'organisation de la force paysanne est pressant. Il est tant espéré que des coopérations puissent s'établir avec des organes extérieurs pour implémenter des projets de développement local en appui à des filières agricoles 123 C'est une expression utilisée par Sardan pour signifier l'intégration du paysan dans le noyau décisionnel. 133 et même en appui à des organisations rurales autonomes. Notre propos tient fortement à Engels (1998, p. 50) évaluant que la force de production dont dispose l'humanité est immense. Cette considération optimise la possibilité d'accroître indéfiniment le rendement du sol en y combinant l'apport du capital, du travail et de la science. Cette approche a trouvé une relance systématique dans la théorie de développement économique de Robert Solow démontrant que les facteurs : capital (investissement), le travail (main-d'oeuvre, population) et le progrès technologique permettent aux pays de croître à un taux élevé à long terme. Ainsi, c'est l'oeuvre de la force conjuguée qui doit s'appliquer pour changer la dynamique dans les termes d'échanges dans la zone de frontière de la 2e Section de Lociane. 5.5.-Représentation du commerce des produits agricoles dans la frontière de la 2e Section Lociane par rapport à la dynamique interne La frontière est considérée par la majorité des paysans de cette Section communale comme une opportunité majeure de développer des affaires commerciales. Elle caractérise, en un sens, un territoire entrepreneur pris dans le contexte de la 2e Section Lociane, étant organisé et exploité uniquement pour ses ressources où les seules potentialités économiques y sont prises en charge, selon l'avis de Dorvilier (2011, p. 33). Pour les paysans de la 2e Section Lociane, la frontière est une notion que l'on désigne de `nan fwontyè ' ou ` fwontyè a '. La frontière est atteinte par plusieurs passes. Les débouchés commerciaux représentent une grande opportunité et intéressent beaucoup les Haïtiens de cette zone. La frontière, selon les réflexions de Sodner Pierre, 42 ans, paysan de Nan Croix, est un espace d'opportunités pour développer les activités commerciales ». L'activité commerciale relève d'échange de produits. Dans ce cas-là, nous avons vu que le paysan de la 2e Section de Lociane ne produit pas beaucoup pour échanger. Et d'autant plus que ses moyens de négociation dans les termes d'échanges commerciaux sont très limités. Les principaux produits agricoles qu'il vend aux Dominicains sont le pois congo, la pistache et le maïs. L'activité commerciale relève d'échange de produits. Ces derniers doivent être engendrés dans les conditions favorables à un rendement maximum par le rapport de production et les ressources engagées. Même pour considérer le secteur agricole qui concerne la 2e Section Lociane. Mais la production agricole de cette zone dépend des aléas de la pluviosité annuelle. Donc, elle accuse une grande fébrilité qui engendre sa diminution constante au fur et à mesure que les 134 problèmes environnementaux exposent un régime climatique qui allonge la saison de sécheresse. D'ailleurs, la 2e Section Lociane est l'objet de la pratique d'abattage systématique des arbres pour le commerce de charbon. Sans aucune intervention de l'État en matière de reboisement ou de protection de l'environnement, la frontière reste la seule solution de survie pour la majorité des paysans. Raymond, 54 ans, paysans de Boc Banic, « regrette que les paysans haïtiens ne disposent pas d'accompagnement nécessaire dans le crédit agricole pour pouvoir financer l'achat de matériels agricoles plus ou moins modernes tels que pompe d'irrigation, tracteur agricole, etc. Ce qui leur permettrait d'intensifier la production agricole. Cela permettrait également la rentabilité économique dans la vente aux Dominicains et au marché intérieur ». Mais pour le moment, ajoute-t-il, nous faisons le jeu des Dominicains qui contrôlent presque tout, le prix d'achat et le prix de vente de tous les produits qui viennent dans le marché124 binational. Il en rajoute pour dire « Nous les Haïtiens qui venons vendre sur le marché binational, nous avons parcouru un long chemin difficile à mototaxi ou à dos d'âne. Il n'y a pas moyen de conserver nos produits périssables. Il n'y a pas d'autres moyens que de vendre si nous ne voulons pas tout perdre. » Cependant, une chose attire notre attention dans les propos de Raymond. Ce n'est pas tant l'aspect de rentabilité qui le pousse dans la relation commerciale avec les Dominicains, c'est en réalité une obligation. Il n'y a pas d'autres alternatives. Il y a aussi une impuissance face à une situation qu'il ne contrôle pas. Une rage intérieure le ravage dans le fait qu'il doit vendre ses produits aux prix imposés par les Dominicains sur les marchés de la frontière. Par contre, les Dominicains vendent généralement les leurs aux prix qu'ils veulent eux-mêmes. Les conditions en place ne permettent pas aux Haïtiens de pouvoir trop jouer sur la loi de l'offre et de la demande. Les Dominicains savent bien que les Haïtiens sont dans des conditions précaires. Raymond insinue que « c'est l'augmentation de sa production qui peut lui permettre de vendre plus pour pouvoir entrer beaucoup plus d'argents qui permettront de subvenir à ses besoins familiaux ». Mais ce n'est pas sa condition de vente qui va être améliorée pour autant. Au prix de 650 à 700 pesos le quintal du pois congo, il n'y a pas un bénéfice tiré par rapport au travail consenti dans les champs d'exploitation agricole. 124 Le marché facilite la commercialisation des denrées agricoles et les produits manufacturés. Il constitue un ordre organisationnel plus ou moins rigoureux. Les évantaires et les tonnelles se rangent par niveau de spécialisation. Ainsi nous avons des jours de marché dans la 2e section de Lociane et dans la zone frontalière : Jeudi, Hato Viejo ; Mercredi, Boc Banic ; Dimanche, Banica. 135 Le paysan va vendre personnellement ses produits agricoles sur le marché frontalier. Il n'y a pas une instance intermédiaire qui pourrait permettre de tenir le cours du marché. Si une organisation de type de coopérative est disponible à pouvoir intervenir dans le marché intermédiaire dans l'objectif de procéder à l'achat des produits des paysans et qu'elle allait en revendre aux Dominicains, peut-être arriverait-elle à jouer sur l'offre et la demande, parce qu'elle serait en situation de monopole. Nous savons bien la force de l'organisation dans le marché économique. Mais lorsque plusieurs petits paysans vont peser à la vente125, il n'y a pas une force réelle pour tenir le cours du prix des produits. La division fait l'affaire des Dominicains. Le faible niveau d'organisation des paysans dans ce milieu démontre toutes les difficultés qu'ils éprouvent pour contrebalancer l'influence des Dominicains dans les échanges commerciaux. Bien entendu, ce n'est pas le principal facteur explicatif de cette problématique, mais il va de soi que l'organisation joue un grand rôle de nos jours dans le marché de l'offre et de la demande. 5.6.-Impact de l'importation des produits agricoles sur la production du paysan haïtien La paysannerie recoupe de facteurs économiques systémiques à une typologie d'organisation sociale. L'espace qu'occupe le paysan est façonné par son rapport avec ses obligations envers ses membres de famille et les détenteurs des pouvoirs qui l'entourent. Le paysan haïtien est livré à lui-même depuis l'indépendance. Bastien (ibid.) souligne qu'il n'attend rien de l'État. Il est un auto-employeur qui dirige ses affaires agricoles et y réalise les travaux avec ses proches. Il est aussi institué la pratique du coumbite126 qui facilite le partage de la force de travail. À partir de ses expériences, il développe un savoir-faire, des moeurs et coutumes qui intègrent son propre être dans son naturel état. Cet être travailleur, économe et sobre dont la diminution de la rentabilité de sa production agricole entraine de plus en plus sa dépendance vis-à-vis de l'étranger. La production diminuant accentue l'importation qu'entraine l'inflation accusant la régression de la qualité de vie des paysans. À ce propos, nous relevons, selon Paul (2016, p.13), l'accentuation de l'inflation qui s'accroit avec l'importation des biens et services résultant de l'adoption du 125 Il y a un autre problème d'ailleurs relatif au statut du paysan qui n'est commerçant. En aucun cas, il ne saurait être capable de participer à un appel d'offre de l'État. En fait, c'est une autre paire de manche que cette étude ne traite pas. 126 Rémy Bastien désigne en l'expression coumbite ou combite, la forme d'entraide communautaire de travail sans rémunération qui implique des voisins non apparentés. Mais André-Marcel d'Ans considère que de nos jours, le paysan assimile le combite comme un ensemble de manouvriers de statut socio-économique inférieur qu'on rassemble à l'influence plus ou moins de force pour aller travailler gratis, simplement en échange de sa nourriture. 136 système de change flexible127 en Haïti au cours des années 1990. En ce sens, O. Deshommes (2014, p.18), souligne que les paysans sont submergés par l'invasion des produits importés des pays qui pratiquent souvent une politique de dumping commercial. Ils meurent tranquillement et constatent avec impuissance l'anéantissement de leurs facteurs de production locale. Aucune politique publique en vue d'augmenter la production du pays n'a été conduite pour juguler le phénomène de cherté de la vie qui affecte considérablement la population et particulièrement les paysans des zones reculés. La dépréciation de la monnaie nationale est aussi caractérisée face au peso dominicain qui s'applique dans les échanges sur les marchés des zones frontalières. Selon l'analyse de Paul (2016, p. 13), les facteurs contributifs à une telle situation résident surtout dans : le déséquilibre de la balance des paiements, le financement du déficit budgétaire, etc. À cet égard, nous avons tantôt souligné la pertinence de la nécessité de définir des priorités en disposant des allocations budgétaires en vue d'exécuter des politiques publiques productives de développement. Mais en réalité, Haïti se confronte à de graves difficultés à la consolidation budgétaire. Cela signifie qu'elle n'arrive pas à réduire son déficit budgétaire. Un véritable gâchis réside dans la dépense publique, la collecte des recettes et la valorisation des ressources publiques. En nous référant aux raisonnements de Laleau (2020, p. 85), nous nous accordons sur le fait qu'Haïti s'attache prioritairement à financer les importations au lieu de disposer ses ressources à la propulsion de l'investissement privé où la création d'emploi et de richesse dans les secteurs productifs jouent le rôle prépondérant à travers les petites et moyennes entreprises dans les milieux ruraux. Ces préoccupations correspondent bien à la théorie de la dépendance dans les stratégies de développement qui fixe un rôle prépondérant de l'État dans la production de facteurs de fourniture des biens et services afin de réduire la dépendance sur les marchés extérieurs. Concernant la 2e Section Lociane, les paysans possèdent des stratégies économiques qui s'établissent sur la petite production marchande128 et les mécanismes sociaux répondant aux mutations sociales et économiques. Mais cependant, l'espace vide dans lequel ils évoluent exige 127 Paul, J E., La décote de la gourde face au dollar. Quelques pistes pour sortir du marasme économique actuel. Editions C3, Delmas, Port-au-Prince, Haïti, 2016. 128 Le concept de petite production marchande est l'émanation de Marx qui décrivait la condition des paysans français après la révolution de 1789. Karl Marx considérait les petits lots privés que les paysans exploitent en fonction de leurs moyens de production. Cf [Gabriel Gbénou, Le revenu paysan.Entre la logique sociale et la raison utilitaire, Editions Presses de l'Université Laval, Québec, Canada, 2010, op. cit., 138]. 137 bien des services qu'ils ne peuvent pas se procurer dans les meilleures conditions sans l'intervention de l'État. 5.7.-Accès aux services vitaux 5.7.1.-Eau L'accès à l'eau potable est le problème majeur auquel est confrontée presque toute la population qui vit dans la 2e Section Lociane. Les propos de la majorité des personnes avec qui nous avons eu des entretiens dans la quasi-totalité des localités abondent dans le même sens que Solage, habitante de Don Diègue 2 relatant que « la ravine de Don Diègue où la population savait aller puiser de l'eau dans les trous de sable est pratiquement tarie ». Elle poursuit en ce sens que « c'est à une heure et demie de marche que nous allons en chercher à Lociane ». Toutes les autres localités souffrent énormément des difficultés de l'accès à l'eau potable dans une proportion exagérée qui caractérise une violation flagrante des droits de l'homme. Le cas de Savane Mulâtre est évocateur. Diéné Hyacinthe, âgé de 35, natif natal du lieu, eut à nous dire en ces termes : « se men'm kote ak bèt nap pran dlo pou nou bwè nan twou sab nan rivyè Lociane nan ». Il en rajoutait : « se depi'm piti map tande paran m yo ap reve yon jou pou nou ka bwè dlo tiyo nan Savann milat tankou tout moun nan lot kote yo. Helas ! Nap mouri nou pap janmè jwen n yon bagay konsa isit la». Depuis 2017, l'ONG chrétienne GVCM a construit le seul puits artésien que dispose Malary. Losqu'il est tombé en panne, c'est à plus de 5 à 7 km que des habitants de cette localité doivent se rendre pour chercher de l'eau. Bien entendu, s'ils ne veulent pas en puiser à la source de terre dans le lagon. Pour se rendre à Garde Salnave ou à Savane Plate, on doit payer une course de moto-taxi jusqu'à cinq cents gourdes pour vous conduire à remplir 5 ou 6 récipients. Ils sont généralement de gros gallon de couleur jaune équivalent de 5 petits gallons de 4.5 litres par unité de gallon. Il est fort à parier que la population ne peut pas tenir un tel coût de revient de 83 gourdes pour un gros gallon d'eau. À défaut de disposition de moyens pour pouvoir consentir de tel sacrifice pécuniaire, les habitants utilisent l'eau de la rivière Loratoun, Don Diègue ou la Lociane pour la boisson, la cuisine et tout. Seule la localité de Boc Banic accuse d'une disponibilité minimale d'eau potable. Les paysans de Terre Blanche ne disposent de l'eau sur place, ils doivent se rendre soit à Garde Salnave pour plus près ou soit à Savane Plate un petit peu plus loin. Ces endroits sont situés sur la route nationale qui revient de Los Posos129 où est placé depuis 1978 un système d'adduction 129 Los Posos est une localité qui se trouve dans la section Acajou-Brûlé 1 de la Commune de Cerca-la-Source. 138 d'eau potable pour alimenter le milieu urbain de Thomassique. La plupart des localités ont été créées après cette date. Elles n'ont pas encore fait l'objet de projet d'adduction d'eau potable. Cependant, il est essentiel de rappeler que l'approvisionnement en eau potable est étroitement lié aux droits à la vie, à la nourriture et à la santé (Levin, 2009, p. 9). 5.7.2.-Soin de santé La santé est l'état complet de bien-être physique, psychique et mental. C'est un droit garanti par l'article 25 al. 1 de la déclaration universelle des droits de l'homme. Comme droit, l'engagement est nécessaire pour permettre d'atteindre cet état de bien-être. Selon Amartya Sen (cité dans Mathon, 2012), le développement et la formation du capital humain sont fortement imprégnés dans la distribution des services de santé (p.16). Cette affirmation insinue la préoccupation majeure qui devrait engager les autorités dirigeantes d'un pays pour caractériser des mesures qui puissent fixer des capacités en vue d'atteindre des objectifs dans la fourniture équitable de la santé à la population. Mais, il est un fait que ces préoccupations restent encore un défi pour Haïti. Dans le cas particulier de la 2e Section Lociane, toutes les localités souffrent énormément de la difficulté d'accéder aux soins de santé. La distance à parcourir à bord d'une motocyclette ou à dos d'âne pour une personne malade de trouver un centre de santé à près de 15 kilomètres au moins demeure une réalité démontrant tous les retards qui restent encore à combler pour respecter l'engagement pris dans l'application des mesures en faveur des ODD formulés en 2015. Cependant, la marche à pied reste le moyen généralement utilisé par la majorité des paysans. La dame Solage, de Don Diègue 2 eut à se plaindre pour les problèmes de santé. Très inquiète, elle s'indigne en disant « qu'il vaut mieux de ne pas y penser parce que le centre médical de Boc Banic ne fournit que certains soins primaires. Pour toute autre complication la mort est presque assurée pour la personne qui est malade. » Dérivil de Savane Mulâte, ajoute en ce sens : « se bondye kap gade moun isit pou yo pa malad grav. Depi ka a yon moun grav nan tan pou nou rive ak li nan lopital ki Boc Banic ou Thomassique ou Cerca-la-Source ou Banica, gen anpil fwa nou pèdi moun nan ». Cette situation explique que la distance est trop longue en plus de la mauvaise qualité de la route. Par ailleurs, la saison pluvieuse caractérise la forte crue de la rivière Lociane qui rend quasi impossible tout déplacement. À un certain niveau, seule la localité de Boc Banic dispose du minimum de service de santé. Il n'est pas évident d'en rechercher la qualité. Il est facile de comprendre que les conditions de pauvreté dans lesquelles évoluent ces paysans peuvent 139 occasionner beaucoup de maladies. Les risques de maladies représentent une menace pour la santé publique. Il est fort à parier sur la frontière pour pallier au grand manque de service santé qui caractérise la 2e Section de Lociane. Mais les difficultés viennent de la volonté des Dominicains de bloquer la frontière assez souvent pour d'autres cas en dehors de l'aspect commercial, c'est-à-dire il est plus facile qu'ils vous laissent entrer dans les jours de marché que d'autres jours. M. John Hodgson et Joseph R. Oppong (cités dans Mathon, 2012) soulignent des modalités de mesure sur les effets des frontières sur l'accès aux soins de santé. Une frontière ouverte offre plus d'opportunité pour bénéficier des services de base que le pays voisin dispose. 5.7.3.-Éducation Ne disposant pas assez de moyens pour se payer une course de 400 gourdes aller-retour de mototaxi, un effort de près de deux heures de marche est consenti par les enfants de Malary qui doivent se rendre à l'école à Thomassique. Trois structures scolaires, à savoir : une école nationale, une école de la mission d'église conservatrice et une école communautaire accueillent les élèves de niveau primaire de la localité de Nan Croix. L'école nationale n'a pas son local proprement disponible, c'est dans l'après-midi qu'elle fonctionne à l'abri de l'église conservatrice. Les écoles de Nan Croix accueillent des élèves d'autres localités proches telles que Matelag, Fon Davi et Monbin Trou qui n'ont pas assez de structures scolaires capables d'accueillir tous leurs postulants. Cette situation explique combien l'éducation occupe une place prépondérante pour les parents des localités évoquées dans la recherche. Malgré le fait que certains parents de Don Diègue 2 se plaignent de l'augmentation d'un millier de gourdes du frais scolaire qui devient au montant annuel de trois mille gourdes. La proximité des structures scolaires peut favoriser une plus grande possibilité de fréquentation. C'est la logique qui est démontrée dans la plaidoirie de Michelle Blanchard, fille de 20 ans de Terre Blanche qui « estime que la distance de plus de 4 kilomètres à parcourir est une des causes principales de la non scolarité de nombreux enfants dans sa localité ». Parce que c'est à dos d'âne ou à pied que des petits enfants ont l'habitude de se rendre à l'école. Les élèves de Terre Blanche ont la possibilité de se rendre à l'École Nationale de Hatonuevo ou à l'École Nationale Saint-Jean de Savane Plate dans une distance d'à peu près 5 km. À Boc Banic, le niveau scolaire atteint la 9e A.F. Les résultats officiels de la 9e pour l'exercice 2021-2022 ont enregistré la réussite de trois élèves de l'école nationale de 3e cycle de Boc Banic sur onze y ayant participé. Cette donnée signifie la faiblesse de la qualité d'enseignement dispensé dans cette zone. 140 C'est au MENFP que revient l'attribution de la gestion de la formation. Il dispose de la latitude de former un modèle de citoyen à travers le contenu de la formation qu'il lui enseigne. Parce que l'éducation engendre des bénéfices économiques individuels et sociaux. C'est à ce niveau que nous rejoignons la mission transcendantale de l'État dans le sens prôné par Hegel, Weber et Marx. 5.7.4.-Encadrement agricole Les moyens de relever les données sur la dynamique agraire de la zone justifient les questions sur l'encadrement technique au niveau agricole dont dispose le paysan. Cette démarche vise à relever la vision politique qui constitue la base tangible pour augmenter les connaissances scientifiques des paysans. Il est admis normal de penser à professionnaliser l'agriculture pour permettre à ce que le paysan haïtien devienne un exploitant agricole. En ce qui concerne le paysan de la 2e Section Lociane, ces considérations vont lui permettre de tirer avantage dans les rapports des échanges commerciaux de produits agricoles avec les Dominicains. Une partie importante du problème des paysans de cette zone réside dans la non-prise en compte de la question de la dynamique agraire par des autorités avec les paysans. Il s'agit d'un constat de l'absence de politiques publiques visant à définir une dynamique agraire. Cette notion concerne les modes d'exploitation, la politique agricole, les systèmes agraires et l'ouverture des marchés. Mais en fait, la problématique persiste dans le fait que la plupart des paysans de cette zone ne dispose pas d'encadrement agricole. Les paysans de la 2e Section Lociane s'en plaignent beaucoup. Pour la majorité d'entre eux, le fait d'aller travailler en République Dominicaine pendant une partie de l'année répond aux contraintes de la dépendance de la pluie dans l'agriculture dans cette zone. En effet, il y a une nécessité pour établir la cohérence dans l'accès à la terre et l'exploitation de la terre. Cela traduit intrinsèquement à un mode de gestion des intrants nécessaires à la dynamique agraire dans le cadre de la production agricole. Il s'ensuit aussi un besoin d'implanter des moyens de développement d'une agriculture intensive où se pratique la jachère ou l'utilisation d'engrais. Cela nécessite au préalable de la disponibilité d'un système d'irrigation en vue de permettre de réaliser le rendement maximum dans la production agricole. La pertinence du produit intérieur par tête dans cette Section communale de 37,467 habitants est un indicateur du niveau de développement économique qui peut nous permettre de saisir 141 approximativement le phénomène. Parce qu'en fait, il reste difficile de vivre sans revenu130. Le paysan de la 2e Section Lociane en est bien conscient de tout cela comme l'ensemble de la paysannerie haïtienne. Par ailleurs, c'est pour cette raison que le paysan développe une approche socio-psychologique tendant à se mettre au travail pour être responsable de soi-même. Cette approche a toujours prédominé en dépit de toute circonstance. Par exemple, la garde d'un cabri exige d'aller l'amarrer, le faire nourrir, le changer de place, le surveiller, etc. Le travail dans le champ agricole est comme une obligation naturelle à laquelle tout le monde y participe. Cette situation présente toutes les difficultés de considérer le chômage dans son sens étymologique par rapport à ce milieu rural. La plupart des activités évolue dans un cadre purement informel. L'économie informelle est souvent mal organisée et, par conséquent, l'anarchie qui y règne la rend non rentable à tout le monde. Ce qui prouve encore toute la difficulté de mesurer le revenu personnel de chacun. Puisque la tendance à l'entraide reste fortement enracinée dans les mentalités. Mais en fait, à la lumière des raisonnements de Mengin(1989), nous pouvons considérer que les paysans sont liés à la création ou recréation des activités économiques (p. 26). Même si le taux de chômage peut-être considéré très faible, mais, rien ne prouve pour autant que le travail des paysans rapporte beaucoup en termes de revenus résultés du rendement et de la productivité du travail. L'esprit débrouillardiste est bien présent chez ses paysans. D'après Pierre-Charles (1967/1993), il y a donc une nécessité urgente d'intervention sur l'implémentation de politiques publiques et de réalisation des projets d'accompagnement pour maximaliser les rendements de l'économie populaire qui peut être véritablement vitale et dynamique dans l'emploi, dans la production de biens et services, dans l'agriculture et l'artisanat (p. 16). Mais une constante revient sans cesse dans toutes les expressions des personnes interrogées, c'est que les conditions de vies sont devenues très difficiles dans l'exploitation agricole des petites propriétés. Leurs superficies tendent d'ailleurs à diminuer au fil du temps c'est-à-dire de génération en génération avec le morcellement en héritage. 130 Le revenu est un terme qui renvoie implicitement à la provenance des revenus. Dans le cas de la 2e Section Lociane, les revenus des paysans proviennent de différentes sources qui vont de la vente des produits agricoles et des transferts des proches évoluant généralement en République Dominicaine. Avec la vague de la migration haïtienne dans de nombreuses contrées sud-américaines ces derniers temps, il n'est pas de doute qu'il y ait d'autres sources des transferts. Pour les transferts en provenance de la République Dominicaine, il y a l'aspect de commission donnée à une personne en voyage qui va livrer à la personne destinataire. Cette réalité traduit un mode de fonctionnement traditionnel qui tend à disparaitre avec les services des maisons de transfert qui commencent à s'implanter un peu partout dans le pays de nos jours. 142 Le cycle infernal de pauvreté absolue des paysans est aussi constaté par Via Campesina(2002). Ses propos indiquent que l'exploitation agricole strictement manuelle non chimisée pratiquée sur des superficies réduites de l'ordre d'un hectare131 (ha) fournit des rendements en équivalent-grain à peu près de 10 quintaux (qx). Ce qui produit un rapport de productivité du travail du paysan d'une valeur de 10 qx par actif. Dans le contexte de la 2e Section Lociane, cette modélisation permet d'apprécier la mesure d'exploitation agricole généralement inférieure à 1 ha n'atteignant pas 10 qx en termes de productivité du travail. Ce qui équivaut à 1000 kg de grain. De nos jours, la forte baisse du prix du grain fait évaluer à moins de 10 dollars pour 100 kg de grain. C'est dans cette même logique que Raymond nous a renseigné que le quintal du pois congo se vend au prix maximum de 700 pesos. Le mode de production agricole donne un seuil de productivité ne dépassant pas 1000 kg de grain net. Dans cette optique, l'IHSI132 fournit le PIB réel en 2021 à 614.3 milliards de gourdes soit l'équivalent de 8,190,666,666.67 dollars au taux de change de 75 gourdes pour un dollar. Avec une population de 11,905,892 habitants, la déduction pour le nombre de 37,467 habitants de la 2e Section Lociane donne une valeur du PIB réel de 25, 775,448.66 dollars. En substance, le PIB réel par tête d'habitant de la 2e Section Lociane atteint la valeur de 687.95 dollars pour l'année 2021. Cette valeur équivaut à 1.88 $ us par jour. Ainsi, dans le classement défini par Jeffrey D. Sachs (cité dans Jean-François, 2021, p. 36), un revenu de moins $3 par jour caractérise la pauvreté endémique. Ce qui prouve bien la corrélation qui existe entre certains indicateurs économiques et l'état des conditions socio-économiques des habitants de cette zone rurale allant dans une baisse continue du PIB par tête d'habitant. D'où résulte le faible pouvoir d'achat qui se justifie automatiquement avec une telle faiblesse au niveau du PIB. Comme nous l'avons dit tantôt, le milieu rural subit un fort taux d'inflation démontrant toutes les difficultés des moyens de communication qui font en partie augmenter les coûts des produits industriels dont les paysans ne peuvent pas s'en passer. 5.8.-Perception de l'État haïtien dans son abandon du monde paysan dans l'opinion des paysans. La dégradation drastique de la vie paysanne est une conséquence directe de la politique gouvernementale et de son incapacité à établir un contrat socio-économique et politique qui offre 131 Un hectare est l'unité de mesure agraire équivalant à 100 ares. Cela constitue une superficie de 100m*100m, soit 10,000 mètres carrés. 132 Rapport/IHSI: l'économie haïtienne en chute libre, des économistes haïtiens restent « pessimistes » pour 2022 | Gazette Haiti.[En ligne] http :www.gazettehaiti.com, consultation de juillet 2023. 143 des garanties viables dans la justice sociale comme base d'une nation. C'est sur cette finalité que les masses, devenues conscientes de la réalité sociale, s'attèlent à identifier et analyser, selon Jean-François (2021), les causes de leur situation et comprendre leur condition de vie de manière non fataliste. Certainement, Bastien (1951/1985) lui aussi, bien avant, a compris qu'une évolution s'est produite dans la mentalité des paysans. Ils deviennent donc moins fatalistes dans l'appréciation des difficultés auxquelles ils sont confrontés. L'organisation sociale est mise en cause. C'est le processus qui a conduit à ce que la plus grande partie des richesses créées par les paysans est accaparée par une minorité urbaine (F. Deshommes, 2006, p. 222). La bourgeoisie embryonnaire, prédatrice dans la logique de Joachim (1979/2014, p. 206), s'est confondue dans l'État tout en accaparant des domaines publics pour exploiter les paysans. Les dirigeants de l'État qui, dans la crise aiguë des années 1980, encore sous les recommandations de l'USAID, selon Gilles (2008), se sont engagés dans la production de produits agricoles destinés à l'exportation en vue de générer des devises étrangères qui, en complément de la part de l'industrie d'assemblage, serviront à financer l'importation des biens alimentaires. C'est à cet état des choses que la masse paysanne attribue les causes de la détérioration de ses conditions socio-économiques. C'est aussi bien entendu le système néocolonial implanté par l'occupation américaine avec des institutions qui, selon Pierre-Charles (2013, p. 99), défendent exclusivement les intérêts des puissants secteurs des classes dirigeantes et des classes moyennes des villes. Donc, ce système agit au détriment des masses paysannes. Aussi, Alexis (1955), dans son roman Compère Général Soleil, souligne-t-il que : « l'État haïtien n'est pas l'État du peuple.» (p. 157). L'expression des ressentiments des paysans de la 2e Section Lociane ne saurait être plus illustrative quand nous entendons le jeune Pierre, 30 ans, vivant à Savane Mulâtre en ces mots : « Leta pa itil nou anyen isit la, nou livre ak nou men'm epi nan men bondye ». De poursuivre Tote Mati, 42 ans, paysan de Malary nous a déclaré que : « l'État n'existe pas pour les pauvres. De pauvres habitants que nous sommes dans cette région ne bénéficient d'aucuns services publics qui puissent soulager nos souffrances. Tout ce dont nous avons besoin, en termes d'éducation, de santé et d'eau potable nous devons parcourir plus de deux heures de marche à pied pour l'obtenir aux frais exorbitants que nos faibles ressources ne permettent pas d'assumer. Au fait, il y a environ trois mois, des voleurs venaient bien armés nous dépouiller de nos animaux en plein jour. Malgré les appels de secours adressés aux forces de l'ordre étant à Thomassique, elles n'intervenaient jamais. » Aussi 144 en a-t-il renchéri en ces propos : « si leta egziste pou moun lot kote mwen pa konnen, men pou nou men'm bò isit la nou poko jan m santi egzistans leta sa a ». À Nan Croix, les remarques gardant les mêmes plaintes de l'abandon de l'État font l'avis de nombreux paysans qui s'indignent du cercle vicieux de la pauvreté les liant dans le sens qu'ils ne trouvent pas de supports pour augmenter la production agricole. Il y a un besoin d'irrigation. Les animaux sont très exposés à des maladies qui les tuent. Les écoles que la communauté dispose n'atteignent que le niveau de la 6e année fondamentale. Pour permettre à ses enfants d'avancer à l'école, il faut avoir beaucoup de moyens financiers. Ce dont ils ne disposent pas avec la dégradation de leurs moyens de production agricole comme principale activité économique. Pierre Onès, un professeur d'école primaire, avance que « les enfants de la communauté continueront toujours à se rendre en République Dominicaine ou ailleurs tout étant faiblement instruits et dépourvus de connaissances professionnelles. Et dans ces conditions-là, Nan Croix n'aura pas la chance d'avoir des fils et filles qui puissent atteindre les milieux sociaux élevés, c'est-à-dire ils ne connaitront jamais de la mobilité sociale ». C'est le même raisonnement qui a aussi traversé le jeune Alpha Pierre, 30 ans, de Savane Mulâtre qui eut à dire que : « nou pap janm ka rive gen anpil konesans pou nou ka defan n interè kominote nou an. Paske pa gen posibilite pou pitit soyet rive lwen lekol. Lakoz nou pa gen lajan pou nou pemèt pitit nou ale lekol tomasik ou lot kote yo, se konsa se sèl moun lot kote kap toujou nan pozisyon pou yo dirije nou. » La gravité de la détérioration des conditions socio-économiques des paysans résulte de plusieurs facteurs, notamment de l'anéantissement de la production agricole, de l'insuffisance d'initiatives dans l'industrie embryonnaire133, l'inconsistance dans l'application de directives intelligentes. En fait, ces choix stratégiques permettraient d'exploiter les potentialités de développement des secteurs de l'industrie touristique134 (Rouzier, 2015). Mais pratiquement, nous nous perdons dans l'incohérence des politiques publiques qui n'arrivent pas à définir les priorités des politiques sectorielles de développement. L'auteur F. Deshommes (2006) a démontré les conséquences 133 L'industrie en Haïti reste au stade embryonnaire. Ce n'est pas le problème fondamental. Il reste un fait que l'Haïtien n'a pas suffisamment développé la culture de prise du risque pour investir dans l'innovation. Or le risque participe dans la dynamique du capitalisme qui exige de l'innovation selon Joseph Alois Shumpeter (1939). 134 Haïti a un potentiel touristique énorme qui résulte des particularités uniques et exceptionnelles pouvant être à la base des avantages concurrentiels inégalables dans la région'.Cf [Rouzier, Daniel-Gérard, Praxis, propositions de gouvernance pour une autre Haïti, Editions Kiskeya publishing co, Port-au-Prince, Haïti, 2015, op.cit., p75]. Mais sur ce propos, il est intéressant de cogiter sur le tourisme de mémoire qui est une forme de connexion historique qui pourrait nous rapprocher des Africains. Il s'agit de les inciter à renouer les liens ancestraux avec Haïti par le souvenir de la traite négrière. 145 interminables du déclin de la production agricole sur des plans qui rejoignent à : l'autosuffisance et la sécurité alimentaire, la balance commerciale agricole, l'emploi agricole, la déforestation, la migration et la pauvreté générale (p.155). Franck Laraque (cité dans Dorisca, 2010, p.110), eut à préciser dans sa thèse sur le défi à la pauvreté que parmi les paysans qui ont été chassés des plaines et des collines beaucoup d'entre eux se sont rabattus sur les terres dans les mornes. Loin des infrastructures socio-économiques de l'État qui comprennent : école, hôpital, encadrement technique, crédit agricole, irrigation, etc. Dans la privation totale de tous ses moyens, ils ont inventé des moyens parallèles de subsistance par des pratiques rudimentaires. À l'insuffisance de rendement agricole, ils coupent des bois pour faire du charbon en vue de commercialiser. La démonstration du modèle particulier de l'état de subsistance caractérisant le monde rural est incriminée au faible investissement humain consacré dans la paysannerie. Avec quelles ressources humaines le monde rural arrivera-t-il à mobiliser un discours pour renverser les mentalités en vue d'en finir avec la destruction de l'environnement ? Des questionnements insinuant et assimilant le rôle des ressources humaines dans la défense des intérêts locaux en vue de contribuer au développement. Dans le cas de la 2e Section Lociane, comment la gestion des ressources humaines est-elle caractérisée ? 5.8.1.-Ressources humaines En fait, les localités n'arrivent toujours pas à retenir les jeunes qui ont réussi à décrocher leurs certificats de fin d'études classiques. Aussi faible que soit la quantité de ceux-là qui y parviennent c'est à Savane Mulâtre que nous trouvons beaucoup plus de gens diplômés au baccalauréat qui essayaient d'y construire une vie avant de tirer l'éponge. Boc Banic demeure la localité qui attire plus de diplômés. D'autres localités comme Terre Blanche et Carrefour Suzely connaissent de très faible part de jeunes qui y accèdent voire qu'ils y resteraient. Les ressources humaines éduquées sont extrêmement difficiles à être retenues par ces milieux ruraux. Ceux-ci caractérisent tout de même, selon Dorvilier (2012), des sociétés à passion égalitaire qui ne confèrent pas à l'individu toute la latitude d'affirmation personnelle comme signe intrinsèque lié à la modernité (p. 33). Pour cause de précarité des conditions de travail, les champs agricoles n'attirent pas forcément des jeunes un peu cultivés. Ils entreprennent d'autres types d'activités parallèlement à cette agriculture de subsistance. Par exemple, ils se lancent dans la conduite de mototaxi, l'enseignement, le petit 146 commerce, la vente de borlette135, etc. Mais, pour la plupart d'entre eux, l'option de la migration est la plus facile à prendre. En général, ils traversent la frontière avant d'envisager d'autres cieux plus cléments. C'est que la condition de production n'engage pas l'intérêt de l'État dans la création d'emploi. Tandis que les besoins de l'État sont toujours un facteur incitatif à la production. La comptabilité publique haïtienne accuse des comptes qui démontrent que l'État jusqu'en 2019, selon Laleau (2020), consentait des dépenses annuelles pour l'acquisition de biens et services s'élevant à près de soixante-dix milliards de gourdes. Cette importante demande en biens est une opportunité d'incitation à la production locale pour offrir à l'utilisation de la main-d'oeuvre locale le travail nécessaire à l'amélioration des conditions de vie (pp. 85, 86). Cette idée s'apparente bien à la logique keynésienne qui concevait le rôle majeur de l'État dans la relance économique à court terme. Le temps imparti dans un programme est important dans la projection économique. Il faut donc réaliser l'urgence dans l'élaboration des mécanismes de financement du développement local. C'est par l'utilisation de la main-d'oeuvre généralement marginalisée136 de la paysannerie que ressort une possibilité d'accroître la production de biens industriels pouvant entrainer significativement des retombées positives par l'augmentation de revenus. D'où résultera l'épargne nécessaire qui servira à investir dans la logique des étapes de la croissance linéaire de Walt W. Rostow. Mais, nous n'allons pas gober toute la pensée de cet économiste américain parce que le développement ne saurait suivre une droite linéaire. D'autant que les pays industrialisés dits développés n'ont jamais eu à suivre des étapes prônées par Rostow. Notre démarche part de la conception de Barbara Ingham (cité dans Jean-François, 2021, p. 16) concevant que le développement est à la fois un objectif et un processus dans une caractéristique spécifique à chaque pays : au niveau national, régional ou local. À propos, cela implique une projection faite par des acteurs sociaux qui s'activent dans des discussions constructives en vue de trouver des ressources suffisantes et nécessaires sur les plans financiers et humains. Ces ressources permettront d'envisager une solution de développement de la capacité de production agricole et d'introduction d'un foyer industriel de transformation agricole pour la substitution à l'importation 135En Haïti, la loterie est une institution privée appelée couramment borlette. Mais l'Etat essaie encore de réguler le secteur des jeux de hasard et d'argent à travers une institution dénommée la Loterie de l'État Haïtien(LEH), malgré sa création depuis 1927 et sa reconnaissance officielle en septembre 1958. Voir le site www. Communication.gouv.ht. 136 Il est admis que l'agriculture de subsistance en Haïti retient un excédent de main-d'oeuvre marginalement non-productif qui peut être converti dans le secteur industriel pour répondre à la théorie de changement structurel dans les stratégies de développement. L'industrie constitue donc une étape importante du développement. 147 face au problème donné dans la détérioration des conditions socio-économiques des paysans de la 2e Section Lociane. Dans un second scénario, nous pouvons essayer la solution de l'approche de changement structurel qui déterminera les moyens nécessaires d'une passation de la masse de main-d'oeuvre du secteur agricole vers l'industrie. Tout ce dont de véritable politique publique pourrait en tenir compte dans une construction décentralisée de la gouvernance. Une véritable implémentation de la décentralisation pourrait conduire à promouvoir l'investissement productif dans les différentes régions du pays. Le motif premier de la décentralisation est l'économique. Il est donc de tout avantage que cette motivation anime les décisions politiques pour pouvoir concrétiser les mécanismes d'implémentation de la décentralisation. Alors, il est admis que le principe d'autonomie reste théorique. L'enjeu se situe dans la manière dont le contexte de la 2e Section Lociane peut favoriser un cas pratique de l'application des règles fondamentales de la gestion axée sur la décentralisation par les agents locaux. Il s'agit pour les différents acteurs de se verser dans la créativité dans leurs initiatives locales (Moise, 2013, p. 369). Mais bien entendu, il leur faut une aptitude à l'innovation comme preuve de capacité politique. 148 |
|