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Analyse pragmatique du témoignage des anciens malades alcooliques sur les forums Internet : Influence et représentations

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par Michel Naudet
Université Paris 8 - Maîtrise de psychologie clinique 2004
  

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Les témoignages : Pourquoi Internet

Il y a deux façons d'obtenir des témoignages : la première est de demander aux anciens alcooliques fréquentant le groupe de parole de raconter leur propre histoire, oralement ou par écrit ; la seconde est de recueillir ces témoignages dans les groupes de discussion qui se multiplient sur Internet depuis quelques années.

Après réflexion et étude comparative, il est apparu que les témoignages recueillis sur Internet étaient beaucoup plus spontanés, moins construits sur le plan référentiel et beaucoup plus riche sur le mode illocutoire et modal.

De nombreux écrits se sont intéressés aux particularités du discours alcoolique. Mais la plupart des études ont analysé des corpus produits dans un environnement où le sujet n'est plus lui-même, c'est-à-dire les cabinets médicaux ou les associations d'anciens buveurs, lieux où les différences interpersonnelles tendent à disparaître ou à s'atténuer sous l'influence des conventions, des biais de désirabilité et de conformité.

Les forums Internet sont par définition des lieux où les gens viennent spontanément, souvent par hasard au début. La fréquentation en est éphémère et très labile ; mais des liens se créent, parfois très forts. L'anonymat est une caractéristique essentielle de ces forums. Prendre un « pseudo » pour raconter son histoire revient un peu à parler de quelqu'un d'autre, on échappe au jugement direct des gens, on n'existe pas vraiment ; ce qui permet d'éviter la honte et d'atténuer l'autocensure. Celui qui écrit sur ces forums va souvent à l'essentiel et ne fait pas de littérature. Il expose des faits certes, mais modalise son discours de façon importante car il veut communiquer aux autres ce qu'il ressent, son angoisse, ses souffrances, ses attentes, ce dont il est conscient. Il espère en retour des réponses, être rassuré ou soutenu, ou s'entendre dire que son comportement n'est pas celui d'un coupable, qu'il est plus banal qu'il n'y paraît, que d'autres sont déjà passés par là et s'en sont sortis bien que dans une situation encore plus grave.

La communauté d'un forum Internet se forme donc spontanément, sans aucune règle sociale autre que de parler la même langue et de partager un centre d'intérêt, une souffrance ou une passion, ici l'alcoolisme.

Au cours du stage, j'ai demandé à plusieurs membres de chaque association d'anciens buveurs de rédiger un témoignage de quelques pages sur leur histoire. Trois ont accepté, mais la lecture en fut décevante. Ecrits de longue date, ces témoignages ne racontaient pas vraiment un parcours personnel, mais surtout un parcours réinterprété à la lumière des réunions de l'association.

Ces recherches préliminaires nous ont décidé à analyser en priorité les témoignages d'alcooliques déposés sur Internet.

Nous avons vu dans l'introduction que le témoignage était la forme privilégiée par les anciens alcoolodépendant pour « parler » de l'alcool.

En effet, j'ai pu observer dans le groupe de parole auquel j'ai participé pendant mon stage, réunissant entre autres des patients fraîchement sevrés et des anciens alcooliques abstinents de longue date, les questions directes sont plutôt rares. En général, les questions sont posées par le biais d'un « témoignage », c'est-à-dire un récit à la première personne décrivant une situation personnelle face à l'alcool (« Dimanche j'ai été manger chez mon beau-frère, il picole bien lui aussi, mais je ne me suis pas fait avoir, j'ai bu que de l'eau ; il a pas trop compris je crois il faisait un peu la gueule »).

D'eux-mêmes, les participants en déduisent la question posée par ce patient : Que doit-on dire aux gens étonnés par notre refus inhabituel de boissons alcoolisées ?

La réponse ne sera pas plus explicite que la question. En général, c'est un ancien alcoolique membre d'association qui intervient. Il ne va pas s'exprimer sur le mode procédural et donner une recette, mais à son tour évoquer un cas personnel : « moi au début je disais que je prenais des médicaments et qu'il fallait pas d'alcool avec, les gens ils te fichent la paix, ça ils comprennent ». Les participants d'accord avec cette stratégie vont s'exprimer sur le mode paraverbal ou non verbal, en acquiesçant d'un geste ou d'une mimique. Une autre personne va proposer une solution alternative, toujours sous la forme d'une expérience vécue : « moi je trouve qu'il faut pas avoir honte, je leur dis que j'étais alcoolique et que j'ai tout arrêté, ils trouvent ça courageux et ils n'insistent pas ».

C'est la différence fondamentale entre les participants « malades » et ceux qui n'ont pas de rapports pathologiques (proclamés) avec l'alcool (soignants de l'hôpital, animateurs de la réunion) : les « malades » ont presque exclusivement recours à des cas personnels (puisés dans leur propre expérience ou chez des proches) alors que les « non alcooliques » n'abordent jamais de sujets personnels. S'ils font allusion à une situation vécue qu'on pourrait éventuellement leur attribuer, ils se distancient aussitôt de leur propos en le modalisant : « Je suppose que lorsqu'on boit du vin tous les jours, il y a le réflexe de l'habitude qui s'installe et que boire de la limonade en mangeant du fromage ce n'est pas évident au début ».

Nous allons essayer de préciser un peu le concept de témoignage lorsqu'il s'applique à un texte écrit dans les forums Internet.

Qu'est-ce qu'un témoignage ?

Le témoignage est un récit de vie à la première personne qui relate des faits et pensées antérieurs à la rédaction.

Dans le cas des anciens alcooliques, ces faits et pensées se rapportent presque exclusivement à la relation qu'a entretenu l'auteur avec l'alcool.

Les témoignages laissés sur Internet se présentent sous forme de textes. Le style est en général proche du langage parlé, mais, contrairement à ce dernier, seul l'aspect verbal est restitué, à l'exclusion des mimiques, hésitations, intonations, gestes, postures, etc.

Tout texte est par nature informatif17(*). Il renseigne sur des faits, des personnes ou sur l'auteur lui-même. Le témoignage n'échappe pas à cette règle, mais il ne se limite pas à communiquer des informations.

L'auteur d'un témoignage en est aussi l'acteur principal. Il va exposer au lecteur une partie de sa vie, celle en relation avec son épisode de boisson. Comme nous l'avons déjà évoqué, il pourrait donner des indices pour permettre aux gens en difficulté avec l'alcool de reconnaître leur problème ainsi que des « recettes » pour arrêter de boire et pour maintenir une abstinence durable. Mais il ne le fait sans doute jamais car aucun texte explicatif de ce genre ne figure sur les forums de discussion Internet.

Le témoignage prend toujours la forme d'un récit narratif à la première personne.

A l'instar de tous les auteurs de récits, l'ancien alcoolique qui témoigne ne peut pas raconter l'ensemble de sa vie ni décrire exhaustivement les composantes de sa relation avec l'alcool. De plus, il n'y a pas que les choses dites qui sont importante, il y a aussi la façon de les dire. L'auteur va devoir faire un choix d'énoncés et aussi de mots. Et c'est ce choix qui va fournir au destinataire présumé ou à l'analyste des indices langagiers sur les intentions de l'auteur et sur son fonctionnement psychique.

Pour son auteur, le témoignage est un ensemble de propositions formant un tout. Quand le récit est terminé, l'auteur a l'impression d'avoir dit l'essentiel, d'avoir délivré un message traduisant son état d'esprit et constitutif de son expérience.

Il est donc logique de penser que le discours ainsi produit ne contient pas que des informations volontairement fournies par l'ancien alcoolique, mais également des informations dont l'auteur n'est pas conscient.

Dans un entretien clinique, le thérapeute a une interaction forte avec les dires du patient. Il reçoit les énoncés séquentiellement et peut intervenir après chacun d'eux pour obtenir des éclaircissements ou recentrer la thématique. Il peut également collecter de nombreux indices paraverbaux ou non verbaux témoignant du rapport que le locuteur entretient avec son discours,

Au contraire, dans un témoignage écrit, tout est dit, définitivement. Les indices éventuels sont déjà dans le récit.

L'expérience de l'ancien alcoolique est unique et faisant partie du passé. Elle ne dépend donc pas de la façon dont il va la raconter : seul devant son clavier d'ordinateur, le témoin aura les mêmes choses à dire que s'il se trouvait dans une réunion d'anciens alcooliques, un cabinet de thérapeute ou un groupe de parole.

Mais il existe des différences essentielles :

- L'anonymat de l'auteur

- La non présence physique des destinataires

- L'absence d'interactions entre le lieu de témoignage et l'auteur

- L'auteur a le choix du moment où il témoigne.

Les trois premières caractéristiques doivent permettre à l'auteur de s'exprimer avec plus de spontanéité (mécanismes de défense moins affûtés), car il n'est pas influencé directement par les facteurs habituels d'influence sociale (notamment biais de désirabilité et de conformité).

La quatrième caractéristique, le fait de s'exprimer lorsqu'on le désire et non pas en un lieu et à un moment connu d'avance paraît essentiel pour l'inscription éventuelle d'indices langagiers dans le discours, car l'auteur est « en communion » avec ses propos, il a envie de les exprimer, il en a fait le choix. Peut-être qu'un témoignage effectué sur commande le lendemain devant un public ne porterait pas le même message.

* 17 J.F. Jeandillou, L'Analyse textuelle, p. 136, Armand Colin, Paris, 1997

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams