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L'estime de soi dans la philosophie de Kant

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par Thomas Giraud
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Master 2 Recherche 2010
  

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1.1. L'estime de soi esthétique n'est pas un devoir

Kant intitule le paragraphe XII évoqué ci-dessus de la manière suivante : « Prénotions esthétiques qualifiant la réceptivité de l'esprit aux concepts du devoir en général ». Il y aurait ainsi des « prédispositions d'esprit esthétiques et préalables, mais naturelles (praedispositio) à être affecté par les concepts du

devoir »13. Kant énumère ainsi la liste de ces dispositions d'esprit : « Ce sont le sentiment moral, la conscience, l'amour du prochain et le respect de soi-même (estime de soi) ». Il y a donc bien une forme esthétique de l'estime de soi. Mais comment la caractériser ?

Le terme esthétique est employé par Kant dans un sens proche de l'origine grecque du terme. L'étymologie nous apprend en effet que « esthétique » vient du grec aisthèsis, qui désigne la notion de sensation. Or, chez Kant, est esthétique ce qui relève ou dépend de la sensibilité. On pourrait donc dire de l'estime de soi (au sens esthétique) la même chose que ce que dit Kant, dans ce paragraphe XII, au sujet de « l'amour des hommes » : l'estime de soi « est une affaire de sensation »14. Plus précisément, il s'agit d'un certain sentiment (Gefühl), puisque c'est le terme qu'emploie Kant pour désigner « ce sentiment » du « respect pour son propre être »15. Insistons avec Kant sur le fait que, comme sentiment, l'estime de soi se caractérise par un aspect « purement subjectif »16, puisque tout sentiment est une (re)présentation qui se contente d'exprimer un état du sujet, par opposition à une représentation objective, qui se rapporte à un objet.

C'est justement en tant qu'elle est quelque chose de purement subjectif que l'estime de soi n'est pas un devoir. En effet, argumente Kant, il convient de ne pas confondre, d'une part, les « conditions subjectives » de la moralité, c'est-àdire les dispositions d'esprit esthétiques qui rendent possible la réceptivité aux concepts du devoir (dispositions dont fait partie l'estime de soi, donc) et, d'autre part, les conditions objectives de la moralité : « en tant que conditions subjectives de la réceptivité au concept du devoir », celles-là « ne se trouvent pas au

13 DV, p. 681

14 DV, p. 684

15 DV, p. 686

16 DV, p. 685

fondement de la moralité »17, tandis que les conditions objectives de la moralité sont précisément les conditions qui fondent la moralité. Commander à l'homme d'avoir tel sentiment et d'agir sous l'influence de ce sentiment, ce serait introduire dans la détermination morale de la volonté quelque chose qui ne peut s'y trouver, à savoir un élément subjectif et extérieur à la loi morale (comme principe pratique objectif). Ce serait rendre toute moralité impossible puisque, pour que l'action morale ait une valeur morale, il faut que la loi morale à elle seule détermine la volonté : « Ce qui est essentiel dans la valeur morale des actions, c'est que la loi morale détermine immédiatement la volonté »18. Dans cette immédiateté de la détermination de la volonté par la loi, rien ne peut apporter son concours et participer à l'influence exercée sur la volonté (si ce n'est peut-être un mobile qui résulte directement de la loi, si ce n'est la loi en tant qu'elle s'incarne dans un mobile sensible). Il n'y a donc « aucune obligation d'avoir ces qualités »19 comme conditions seulement subjectives de la moralité. On peut signaler ici une conséquence importante des principes qui permettent à Kant de poser que l'estime de soi comme sentiment ne constitue pas un devoir : la morale ne commande que des actes, jamais des sentiments. Elle s'adresse à la volonté (comme faculté de l'action), non à l'âme ou au coeur.

Par ailleurs, l'estime de soi apparaît dans ce paragraphe comme unie avec le respect pour la loi morale (voir notre section 2.2.1) : après avoir parlé des conditions subjectives de la moralité en général, Kant parle de l'estime de soi en particulier dans un sous-paragraphe intitulé « Du respect », et non « De l'estime de soi » ou « Du respect de soi ». Et, si l'estime de soi est bien impliquée ou identique avec le respect pour la loi morale, il faut considérer comme valant pour

17 DV, p. 681

18 CrPr, p. 695

19 DV, p. 681

l'estime de soi ce qui est dit ici du respect. Or, ce sous-paragraphe affirme que nous ne pouvons avoir un devoir envers le respect. En effet, pour pouvoir produire le respect en nous-mêmes par devoir, i.e. par respect pour un devoir d'estime de soi (au sens esthétique, toujours), il faudrait d'abord se représenter la loi du devoir qui nous obligerait à produire ce sentiment. Or, l'homme doit éprouver en luimême un respect pour la loi du devoir qui s'applique dans telle situation particulière, pour pouvoir seulement se représenter un devoir (voir notre section 2.3.2). Affirmer que nous avons un devoir envers le respect, cela reviendrait donc à faire de la représentation du devoir un devoir : « Avoir un devoir envers le respect reviendrait donc à faire du devoir même un devoir »20. Kant semble réfuter ici le devoir de respect par l'idée d'une antériorité du respect par rapport au devoir : le respect étant la condition (de la considération) du devoir, il doit précéder le devoir et non être produit par lui, comme ce serait le cas dans un devoir de produire le respect en nous-mêmes.

Kant avance un dernier argument pour montrer que l'estime de soi n'est pas un devoir. Le paragraphe XII de l'introduction de la Doctrine de la vertu souligne que l'estime de soi, en tant que « respect » que l'homme a « pour son propre être », n'est pas quelque chose qui soit exigible d'une liberté, parce que nous ne sommes jamais libres de respecter ou non, au sens du respect comme sentiment. Ce qui est respectable « arrache inévitablement » à l'homme un sentiment de respect. C'est ce qu'exprime la langue française courante par l'expression « forcer le respect ». C'est aussi ce qu'exprimait déjà B. Pascal, dans le second des Trois discours sur la condition des Grands, au sujet du respect pour autrui : « si, étant duc et pair, vous ne vous contentez pas que je me tienne découvert devant vous, et que vous voulussiez encore que je vous estimasse, (...)

assurément vous n'y réussiriez pas, fussiez-vous le plus grand prince du
monde »21. Il ne peut être commandé de respecter autrui, fût-il le plus grand prince

du monde, parce que le respect ressenti se produit en vertu d'une nécessité autre que celle du devoir. Il ne peut pas plus être commandé de se respecter, pour les mêmes raisons.

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