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L'estime de soi dans la philosophie de Kant

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par Thomas Giraud
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Master 2 Recherche 2010
  

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Conclusion

Au terme de ce parcours, quel est donc le rôle de l'estime de soi dans la vie morale selon la doctrine kantienne ? Nous distinguions dans notre introduction un concept objectif et un concept subjectif de l'estime de soi. Cette distinction est bien à l'oeuvre dans la philosophie morale de Kant puisque ce dernier distingue une estime de soi pratique, qui consiste à traiter l'humanité dans sa personne comme une fin en soi, et une estime de soi esthétique, qui consiste dans un certain sentiment de sa propre valeur. L'estime de soi objective joue le rôle d'une condition objective de la moralité puisqu'il s'agit d'un devoir. Et ce devoir n'est pas n'importe quel devoir, mais il occupe un rang prééminent parmi tous les autres. En effet, d'une part, il fournit la condition de l'observation des devoirs envers autrui. D'autre part, il est le fondement des devoirs envers soi-même. Du point de vue des devoirs envers soi-même, l`estime de soi objective est la moralité sous son aspect réflexif, puisque les devoirs envers soi-même ne sont que des cas particuliers du devoir général envers soi-même, à savoir le « devoir relatif à la dignité de l'humanité en nous » ou devoir d'estime de soi. Enfin, Kant appelle « justum sui aestimium » (juste estime de soi) la vertu (comme force morale) qui permet d'accomplir les devoirs envers soi-même de l'homme en tant seulement qu'être moral.

De la même manière, l'estime de soi subjective joue le rôle de condition subjective de la moralité. Nous ne voulons pas tant parler ici de l'estime de soi pathologique, que la moralité exclut, mais de l'estime de soi morale, celle qui résulte de l'action de la loi morale sur notre volonté. L'estime de soi morale joue un rôle essentiel dans la détermination de la volonté par la loi morale. Dans la Critique de la raison pratique, elle est le « respect » que les hommes éprouvent

« pour la sublimité de notre nature (considérée dans sa destination) »235 et, comme telle, elle constitue un aspect du sentiment moral comme mobile unique de la moralité. De ce point de vue, elle est la moralité elle-même sous la forme subjective de celle-ci. Dans la Critique de la faculté de juger, elle semble être à nouveau « la part subjective en nous » de la moralité puisqu'elle se confond avec le sentiment du sublime et que la moralité subjective y apparaît comme une affaire de goût. Dans les derniers écrits moraux, enfin, l'estime de soi se présente tantôt comme un aspect du mobile moral unique, tantôt comme un sentiment parmi d'autres participant à la détermination de la bonne volonté : à nouveau, l'estime de soi apparaît comme une condition subjective de la moralité.

Comme condition subjective et objective de la moralité, l'estime de soi est une conditio sine qua non de l'action morale : sans elle, il nous serait impossible d'accomplir nos devoirs. Mais il s'agit aussi d'une conditio per quo de la moralité puisqu'elle peut fournir le moyen de disposer autrui ou soi-même à la moralité dans le cadre d'une éducation morale. C'est même le meilleur outil d'une pédagogie morale : le « respect pour nous-mêmes », écrit Kant, une fois établi dans l'âme qu'on prétend éduquer et converti en disposition stable, est « le seul gardien qui puisse préserver l'esprit de l'invasion d'impulsions vulgaires et pernicieuses »236.

Enfin, comme contentement de soi, comme sentiment de sa propre vertu, l'estime de soi est inaccessible pour l'individu. Mais elle peut et doit jouer un rôle d'idéal de l'imagination et de fin ultime de notre vie morale. C'est la « riche compensation » qui accompagne la possession de la vertu et, comme telle, elle fait partie de la perfection morale qui constitue la destination du genre humain.

Qu'est-ce que ces résultats nous apprennent sur la doctrine kantienne ? Nous voudrions tirer ici deux grandes leçons. D'une part, nous voudrions reprendre à notre compte la formule de J. Rawls, selon laquelle la morale kantienne apparaît comme une « ethic of mutual respect and self-esteem »237, une morale du respect mutuel et de l'estime de soi. L'estime de soi occupe en effet une place essentielle dans cette philosophie, tant par le nombre des fonctions que Kant lui attribue dans la vie morale que par la nature de ces fonctions. C'est que l'estime de soi, à la fois objectivement et subjectivement, est un aspect constitutif de la moralité, du moins du point de vue du devoir envers soi-même, de la même manière que le respect de la dignité d'autrui est la moralité du point de vue du devoir envers autrui. Nous avons même vu que Kant avait tendance à en faire le tout de la moralité subjective lorsqu'il en fait le mobile de la moralité.

D'autre part, l'estime de soi nous a conduit à déceler une tension dans la conception kantienne de la moralité, entre une position objectiviste et une position psychologiste. La moralité est d'un côté présentée comme la détermination de la volonté par la seule représentation rationnelle de la loi morale, à l'exclusion de toute influence du sentiment. Mais, d'un autre côté, la moralité est présentée comme ne se réduisant pas à la détermination du libre arbitre par la pure loi morale ou par son expression sensible, le respect pour la loi, mais comme la synthèse du motif moral (la loi) et de sentiments pleinement sensibles, irréductibles à la représentation de la loi. L'estime de soi révèle cette tension puisque tantôt elle est le produit et l'incarnation de la loi morale comme sentiment pratique, tantôt elle s'apparente à un sentiment pathologique, responsable d'une certaine crainte (l' « appréhension » de se rendre méprisable à ses propres yeux) et d'un certain amour (l' « amour de l'honneur (...)

237 Rawls (2000), p. 256

lequel consiste pour l'homme à s'estimer lui-même »238). Tantôt elle se confond avec le sentiment moral ou n'en est qu'un aspect, selon un souci kantien de réduire le principe déterminant de la bonne volonté à la seule loi morale et donc à un mobile unique. Tantôt elle est une condition subjective de la moralité parmi une multiplicité de sentiments : par exemple, l'amour du prochain. Nous avons esquissé une explication de cette tension dans la doctrine kantienne par l'idée hégélienne d'une tension dans la moralité elle-même. Selon cette idée, la moralité serait l' « opposition consciente » entre deux contraires : elle serait une médiation entre l'insensibilité et la sensualité, la détermination de la volonté par la pure raison et la détermination de la volonté par les seules passions.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein