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L'estime de soi dans la philosophie de Kant

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par Thomas Giraud
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Master 2 Recherche 2010
  

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2.1.3. Estime de soi et amour de soi

L'estime de soi pratique peut-elle se définir comme l'amour de soi ? Les deux expressions se présentent assurément comme des synonymes. Dans la Critique de la raison pratique, Kant définit ainsi « l'amour de soi » ou « l'amour-

propre » : « l'amour de soi (...) consiste dans une bienveillance envers soi-même
par-dessus toutes choses (philautia) »94. Et les Leçons d'éthique en proposant une

définition similaire, font du respect de soi une forme de l'amour de soi :

« L'estime de soi peut provenir de l'amour de soi ; elle est alors une forme de
faveur et de partialité envers soi-même »95. Les Leçons d'éthique, de même que la

Critique de la raison pratique (voir citation infra), distinguent même une forme

« raisonnable » de l'amour-propre, celle dans laquelle il s'accorde avec les « règles de la prudence »96 dans le premier ouvrage, celle dans laquelle il est limité par « la condition de son accord avec cette loi »97 dans le second ouvrage.

Mais, comme sentiment, cet amour de soi ne semble pas pouvoir prétendre échapper à la qualification de pathologique, car il semble bien ne pas dépendre de la détermination de la volonté par la loi morale. Nous avons vu que la Critique de la raison pratique définissait l'amour de soi comme une bienveillance envers soi-

même. Les Leçons d'éthique le décrivent similairement comme « faveur et
partialité envers soi-même »98 Mais de quoi s'agit-il avec ce sentiment qui pousse

94 CrPr, p. 697

95 Leçons, p. 240

96 Leçons, p. 240

97 CrPr, p. 697

98 Leçons, p. 240

chacun à s'aimer plus que tout autre ? « Cette tendance à se faire soi-même, d'après les principes déterminants subjectifs de son arbitre, principe déterminant objectif de la volonté en général, on peut l'appeler l'amour de soi »99. C'est la tendance à tirer la règle (hypothétique) de son action de ses inclinations, voire à ériger une telle règle en principe inconditionnel (comme dans la présomption). Sans doute l'amour de soi peut être raisonnable, puisqu'il peut nous pousser à déterminer notre volonté d'après une règle qui soit en accord avec la loi morale. Si je fais l'aumône au mendiant parce que j'ai l'inclination d'aider mon prochain, la règle de mon action dépend bien de l'objet d'un de mes désirs. Mais le sentiment qui me pousse à dériver cette règle de cet objet ne dépend pas d'une détermination de la volonté par la loi morale. Il s'agit plutôt d'un sentiment naturel : la Religion dans les limites de la simple raison parle à son sujet

d' « amour de soi physique »100. L'amour de soi comme sentiment ne découle pas de la loi morale, il la précède. Il ne participe donc pas à la détermination de la volonté par le principe moral comme le ferait un mobile moral produit par la loi. Il ne peut jouer le rôle de mobile dans la vie morale.

Non seulement, comme sentiment, l'amour de soi apparaît comme antérieur à la loi, mais, comme tendance, il apparaît comme pouvant être contraire à la loi. Il peut en effet nous disposer à prendre pour règle de notre action un principe objectif contraire à la loi morale, s'il dérive d'une inclination qui elle aussi lui est contraire. Il peut même nous disposer à enlever toute influence à la loi morale s'il devient présomption, s'il érige tel principe hypothétique dérivé de nos inclinations en loi inconditionnée, puisqu'il tend alors à « en faire la condition pratique suprême »101 en lieu et place de la loi morale. De manière générale,

99 CrPr, p. 697-698

100 Religion, p. 38

101 CrPr, p. 699

l'amour de soi comme tendance est ce à quoi la loi morale porte préjudice, et non ce qui participe à la production de la moralité. On pourrait en effet le définir comme l'inclination des inclinations : Kant le désigne d'ailleurs comme tel lorsqu'il en fait l'ensemble de « toutes les inclinations réunies dans l'amour de soi »102. C'est l'inclination de dériver de nos inclinations la règle de nos actions. De sorte que, tantôt la loi morale limite l'amour de soi, tantôt elle le « terrasse entièrement ». Comme nous l'avons vu au sujet de la présomption, elle le terrasse quand il prétend ériger tel principe tiré de telle inclination en guide absolu de nos actions. Et elle limite son influence à la condition d'un accord de la règle pratique concernée avec la loi morale quand l'inclination en question peut ne pas être contraire à la loi. Il y a plus. Lorsque c'est la loi qui nous fait agir, lorsque l'action est morale, les inclinations n'ont aucune influence sur notre volonté. L'amour de soi n'a alors lui-même aucune influence : dans la détermination morale, la loi morale « exclut absolument l'influence de l'amour de soi sur le principe pratique suprême »103. L'amour de soi ne joue donc aucun rôle dans la vie morale. Il est plutôt ce contre quoi la moralité doit lutter pour exister.

Ainsi, aucune des formes pathologiques de l'estime de soi, ni la présomption, ni l'amour de soi, ne peut prétendre servir à la moralité de quelque manière que ce soit. Au contraire, la moralité exclut toute influence de la présomption et de l'amour de soi sur la volonté. Il nous faut donc chercher ailleurs la forme pratique du respect pour nous-mêmes qui serait susceptible de mériter le nom de morale. Ce que nous avons dit dans cette section sur les rapports d'une forme pratique de l'humilité avec une estime de soi modérée par cette humilité ainsi qu'avec le respect pour la loi morale nous laisse à penser que c'est dans la

direction du respect qu'il faut orienter nos recherches. C'est ce que nous allons

faire dans la section 2.2.1.

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