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L'estime de soi dans la philosophie de Kant

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par Thomas Giraud
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Master 2 Recherche 2010
  

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2.2.2. Estime de soi et crainte

Nous avons vu que l'estime de soi était un aspect du sentiment moral, c'est-à-dire du sentiment qui fournit le mobile de la moralité. Mais il reste à expliquer en quoi l'estime de soi peut effectivement servir de mobile : en quoi possède-t-elle un caractère motivant ? En d'autres termes, pourquoi serions-nous motivés à agir par et conformément à la représentation de la dignité de l'humanité dans notre personne ?

Mais, tout d'abord, quels sont les différents types de mobiles que nous

propose la théorie kantienne de la motivation ? Dans les Fondements de la métaphysique des moeurs, Kant établit une distinction entre deux espèces de mobiles, qui repose sur l'opposition familière entre le pratique et le pathologique (voir notre section 2.1.2). D'une part, il y a le sentiment pratique, unique en son genre, à savoir le respect : « quoique le respect soit un sentiment, ce n'est point

cependant un sentiment reçu par influence ; c'est, au contraire, un sentiment
spontanément produit par un concept de la raison »126. Et, d'autre part, il y a les

sentiments pathologiques, qui reposent sur l'affection du sentiment de plaisir et de peine comme faculté et qui constituent les fondements de nos inclinations et de nos craintes (une crainte étant ici définie comme le contraire d'une inclination, c'est-à-dire comme une aversion) : en effet, le respect est « spécifiquement distinct

de tous les sentiments du premier genre [le genre pathologique], qui se rapportent
à l'inclination, ou à la crainte »127. On peut donc distinguer trois espèces de

mobiles : 1/ l'espèce dont le respect est l'unique représentant, 2/ les sentiments qui se rapportent à une inclination pour tel ou tel objet et, enfin, 3/ ceux qui se rapportent à une crainte pour tel ou tel objet. On remarquera que, de manière particulière, les sentiments qui impliquent un sentiment de crainte constituent des mobiles.

Kant range bien sûr le respect sous l'espèce du mobile pratique, celle dont il est l'unique membre. Mais cette classification rend problématique le caractère motivant du sentiment moral : on ne comprend pas comment ce sentiment peut être un mobile s'il échappe à la règle qui rapporte tous les mobiles à une inclination ou une crainte, à l'exception d'un seul mobile, le sentiment moral.

L'idée d'un sentiment sui generis, qui fait du respect un mobile distinct de tous

les autres, peut paraître avoir été forgée plus pour permettre à Kant de ne pas faire du respect un sentiment pathologique que pour réunir le divers donné sous un concept, puisque en l'occurrence le donné n'est pas divers mais unique. Mais elle lui fait problème lorsqu'il veut montrer que le sentiment moral a une force d'impulsion. Il semble donc que, si on veut rendre compte de cette force du sentiment moral, il faille plutôt le rapporter à l'inclination ou à la crainte. C'est ce que nous allons essayer de faire brièvement. Ce faisant, nous continuerons à adopter une perspective kantienne puisque, comme nous le verrons, Kant tend à avoir recours à la notion de crainte lorsqu'il présente le respect ou l'estime de soi comme motivants, même s'il rechigne à en utiliser le nom pour ne pas en faire un sentiment pathologique.

Pour commencer, analysons avec Kant la notion de respect, dont l'estime de soi constitue une forme particulière. Nous disions en introduction que le respect était le sentiment d'une valeur. Mais c'est toujours la valeur d'une

personne qui est reconnue dans le respect : « Le respect ne s'adresse jamais qu'à
des personnes »128. En effet, le respect n'a jamais pour objet une chose inanimée

ou même un animal, pour lequel nous ne pouvons avoir que de l'indifférence ou,
au mieux, une inclination ou une aversion non respectueuse : « Les choses
peuvent exciter en nous de l'inclination, et même de l'amour, quand ce sont des

animaux (par exemple des chevaux, des chiens, etc.), ou encore de la crainte,
comme la mer, un volcan, une bête féroce, mais jamais de respect »129. On dira

peut-être que, dans le respect pour la loi morale, ce qui est respecté n'est pas une
personne. En fait, ce qui est respecté dans le respect pour la loi morale, c'est un

idéal, c'est-à-dire une intuition particulière que l'imagination produit

conformément à une Idée rationnelle : « Idée signifie proprement un concept de la

raison, et idéal la représentation de quelque chose de particulier, considéré comme
adéquat à une idée »130. En l'occurrence, il s'agit d'un idéal de perfection morale

produit en adéquation avec l'Idée de la loi morale : c'est l'intuition représentant l'homme dont l'intention est parfaitement conforme à la loi. A travers la loi, ce qui est respecté, c'est la figure de Dieu, comme personne dont la volonté est parfaite. De même, dans le respect de la dignité de l'humanité dans sa personne, ce qui est respecté, c'est la valeur d'une personne humaine idéale qui possède la vertu.

Mais, dans le respect, ce n'est pas simplement la valeur de telle personne que je reconnais. C'est aussi sa valeur supérieure. Souvenons-nous de ce que nous disions au sujet de l'humilité comme ingrédient nécessaire du respect (voir notre section 2.1.1). L'humilité entre dans la composition du respect précisément parce que ce dernier est le sentiment de quelque chose qui est supérieur à nous-mêmes et qui en tant que tel nous rend humbles. C'est pourquoi, devant la supériorité d'un tel « en qui je vois la droiture de caractère portée à un degré que je ne trouve pas en moi-même, mon esprit s'incline », de la même manière qu'un roturier s'incline devant un noble pour lui faire remarquer la supériorité de son rang. Dans le respect, mon esprit reconnaît la supériorité en valeur de la personne que je respecte par rapport à moi-même.

On voit dès lors que, de manière générale, il y a « au moins » de « l'appréhension » dans toute forme de respect : ainsi le respect pour la loi kantien, en particulier, n'échappe pas à cette condition, puisque Kant le désigne dans la Critique de la raison pratique comme « ce respect pour la loi qui est lié à

la crainte ou au moins à l'appréhension de la transgresser »131. Dans le cas du respect de la loi, nous redoutons de ne pas nous hisser à la hauteur de l'idéal inaccessible de perfection morale que nous présente notre imagination. D'autres exemples de respect révèlent le même élément d' « appréhension ». Ainsi, dans la reconnaissance de la valeur supérieure de telle personne, nous redoutons de ne pas parvenir à hisser par nos actions notre valeur à la hauteur de celle de la personne respectée. Dans le cas du respect pour telle personne dont la valeur morale nous est supérieure, nous craignons de ne pas réussir à imiter ce modèle parce que nous sommes conscients de notre liberté et donc de notre capacité à ne pas nous conformer à la norme que suppose cette valeur : « dans les choses que nous estimons hautement, mais que pourtant nous redoutons (à cause de la conscience de notre faiblesse), la facilité plus grande que nous acquérons change la crainte respectueuse en inclination et le respect en amour »132. Remarquons le groupe nominal « crainte respectueuse » qui rapproche au sein d'une même entité grammaticale les deux notions dont nous essayons de montrer que l'une implique l'autre. Dans le cas de l'estime de soi, comme sentiment de notre dignité d'homme, nous redoutons de ne pas nous élever à la hauteur de cette dignité en agissant non pas conformément à elle, mais contre elle. Certes, notre dignité est la valeur de quelque chose que nous possédons et, de ce fait, elle pourrait ne pas paraître supérieure à la valeur morale de notre personne. Mais la dignité de l'humanité est celle que lui confère la simple capacité à la moralité, et non une pleine moralité de l'humanité, qui constitue un idéal plus qu'un donné. L'estime de soi, comme forme de respect (le respect de soi), doit donc bien comprendre une appréhension.

Si l'estime de soi implique un sentiment de crainte, on comprend alors

pourquoi l'estime de soi peut jouer un rôle de mobile dans la vie morale. Un

mobile est précisément un sentiment qui fonde une inclination ou une crainte :
« toute inclination repose sur des sentiments »133 et, pourrait-on ajouter, sur des

sentiments qui sont des mobiles. D'ailleurs, dans les exemples de conduites morales où Kant nous fait voir l'agent comme animé par une estime de soi, il rapporte ce mobile à une crainte : « L'honnête homme frappé par un grand malheur qu'il aurait pu éviter s'il n'avait pas manquer à son devoir » n'est bien sûr pas motivé par l'amour de soi (la recherche du bonheur personnel), mais est consolé par une certaine estime de soi : « n'est-il pas soutenu par la conscience d'avoir maintenu et honoré en sa personne la dignité propre à l'humanité, de

n'avoir point à rougir de lui-même et de ne pas redouter le regard interne de
l'examen de conscience ? »134. Ici, le mobile de la moralité est bien l'estime de soi

comme sentiment de la dignité de l'humanité dans sa personne. Et ce sentiment nous fait explicitement craindre de ne pas honorer cette dignité comme elle l'exige.

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