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Les figures de Joseph Rey (1779-1855): conspirateur libéral, "philosophe" et socialiste "utopique"

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par Nicolas Boisson
Université de Grenoble 2 - IEP 2001
  

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II-2.3 Les conspirateurs et leurs motivations

Le caractère fondamentale de cette conspiration est sa forte prédominance de l'élément militaire. Rey nomme en effet, dans son récit du complot du 19 août, pas moins de soixante-treize conjurés ! Prés des trois quarts sont des militaires souvent des sous-officiers en « demi-solde » et dont cinquante-deux, encore en activité. On répertorie ainsi douze lieutenants, neuf sous-lieutenants, neuf capitaines, sept adjudants, un général de division, un lieutenant colonel, un sergent... La première question pouvant se poser est alors celle des raisons de leur soutien à une entreprise qui se voulait « libérale ». Rey donne quelques explications. Selon Rey, qui côtoya longuement ces militaires au sein du Bazar français, arrière boutique parisienne dans laquelle se rencontrait nombre d'ennemis du régime, ces derniers s'engagèrent dans le complot plus par mécontentement vis à vis des restrictions du régime que par un réel engagement républicain. Ceci nous amène à présenter les différents conjurés que nous n'avons pas encore évoqués. Commençons par les éléments militaires.

Nombre des conjurés de l'armée se recrutèrent par l'intermédiaire du Bazar français. Rey note à son sujet qu'il s'agissait : « du rendez-vous le plus ordinaire des conjurés, ce qui fit croire au Ministère public, lors de la poursuite de la conspiration, que ce n'était point une entreprise commerciale sérieuse, et qu'elle n'avait été faite que pour masquer les trames des conspirateurs »342(*) . Son fondateur et son gestionnaire était entre autre le colonel Sauzet. Il s'agissait d'une bonne « planque » pour les conspirateurs : « dés la formation positive du complot, ses auteurs sentirent qu'en effet leurs rencontres auraient là plus de sécurité qu'ailleurs, en raison de l'affluence naturelle du public »343(*) . Les leaders dauphinois de la conspiration y trouvèrent donc le nécessaire appui militaire, par l'intermédiaire de Mallent : « un autre motif, également naturel de ces rencontres fréquentes fut la part que Nantil et Dumoulin firent de leurs projets au nommé Mallent, l'un de nos compatriotes dauphinois qui était l'administrateur gérant du Bazar, ainsi qu'à Combes-Syes, l'un des bailleurs de fonds »344(*). Des rencontres fréquentes se firent donc au Bazar entre Dumoulin, Nantil, Sauzet, Mallent et d'autres principaux officiers-conspirateurs comme le lieutenant colonel Maziau et le commandant Bérard. Il faut ici souligner à nouveau le rôle de Dumoulin qui y recruta notamment M. de Seran, ancien préfet d'empire ainsi que Poubelle, ancien clerc-notaire.

Parmi ces officiers et sous officiers déçus du régime et donc engagés dans la conspiration du 19 août, notons le cas significatif que rapporte Rey de Lavarderie. Lavarderie, lieutenant du second régiment de la Garde royale, complotait selon Rey parce que son père avait été destitué d'une place au sein de l'administration des Postes, sous la première Restauration. Le mécontentement suite au « nettoyage » de l'administration impériale par Louis XVIII à ses retours était ainsi souvent le facteur principal de l'engagement de ces militaires dans des « voies conspiratrices ». Le fameux Paul Didier de la conspiration avortée de 1816, qui souleva avec lui nombre de mécontents, anciens militaires, fonctionnaires de l'empire, paysans... n'était pas lui aussi, tout comme Rey d'ailleurs, un ancien magistrat destitué ? C'est donc bien dans le terreau militaire de la France post-napoléonienne, que les conjurés libéraux trouvèrent les forces vives de leur complot. Ainsi, Rey rapporte de même le cas de Lavocat, ancien sous-lieutenant de la garde impériale, « ulcéré contre la famille royale »345(*) qui n'avait en effet, en raison de son passé militaire bonapartiste, pas pu intégré la garde royale... De même, le capitaine Trogot, ancien militaire d'empire complotait alors qu'il venait d'obtenir de l'avancement...Enfin, Nantil et Bachelu, général de division qui leva la garnison de Brest, étaient d'anciens militaires de l'Empire et complotaient alors qu'ils avaient été maintenus dans leur rang par Louis XVIII346(*)... Nantil qui devait être l'un des principaux tenants du projet était fils « d'un père partisan sincère et éclairé de la Révolution de 1789 »347(*). Bref, tout ces militaires destitués ou encore « d'active » étaient caractérisés par la même frustration face au régime des Bourbons. Encore empreint du souvenir des glorieuses heures des campagnes napoléoniennes et de leur ivresse, ils évoluaient à présent dans une France vaincue, humiliée dont le nouveau régime les sanctionnait à présent. Il faut là rappeler la précarité qui touchait alors certains militaires, les « demi-soldes » tels qu'on les appelait à l'époque... L'ennui et la frustration constituaient donc le moteur de ces mécontents. Une figure, note Rey, symbolisait complètement l'état d'esprit de ces militaires mécontents : Jean-Baptiste Dumoulin, que nous avons déjà présenté. Ce fougueux bonapartiste qui « offrit son bras et sa fortune à Napoléon »348(*) avait proclamé publiquement sa haine des Bourbons et opérait ainsi la jonction entre les cercles libéraux et les cercles militaires . Comme le note Rey : « A cette époque, beaucoup d'officiers supérieurs de l'ancienne armée, mécontents à divers titres, et n'ayant pour nourrir leur imagination que les regrets de posséder les rêves de l'avenir, saisissaient toutes les occasions de se voir, pour faire échange de leurs sentiments. »349(*). Rey évoque ici l'infiltration de Dumoulin au sein du Bazar. Dumoulin y recrutera encore en juin 1820, les généraux en retraite : Pajol et Merlin...mais aussi le lieutenant colonel Caron. Bref , retenons au sujet de l'élément militaire, le rôle moteur de l'ennui et du désoeuvrement dans leur décision de s'engager dans les voies du complot350(*).

Abordons la formation de l'élément civil du complot. L'énorme majorité des conjurés étaient formée d'intellectuels, souvent de notables ennemis du régime royale. On comptait ainsi : - deux députés du parti libéral : Lafayette et Voyer d'Argenson

- onze avocats : Barthe, M. Beaufort d'Angoulème, M. de Corcelles, Gros de Lyon, Dupin le Jeune, Mérilhou, Pinet, De la Plesse, de Schonen, Poubelle, Duplan et Rey.

- un professeur d'université : Victor Cousin

- Trois étudiants de Cousin : Cariol, Sautelet, et Lamy. De même que le jeune duc de Montebello dont Cousin était le précepteur...

Ainsi, ces éléments civils devaient, une fois le coup d'Etat réussi..., prendre la tête d'un gouvernement provisoire. Rey qui devait prendre la charge de « reconstruction sociale » du pays participa à l'élaboration de la liste des membres de ce gouvernement de l'ombre :

- Président : Lafayette

- Ministère de l'Intérieur : Voyer d'Argenson

- Ministère des Finances : Laffitte

- Ministère de la Justice : Dupont de l'Eure

- Ministère de la guerre : le général Taraire

...

Le ministère du Culte serait supprimé et celui de la Police intégré à celui de l'Intérieur. Notons au passage que Rey ne devait prendre de poste si ce n'est celui d'un ministère de l'Education publique dont il comptait proposer l'idée aux conjurés après la prise du pouvoir351(*). Rey refusa ainsi le poste de la Justice qu'on lui proposa en premier lieu. Il note à ce sujet : «  Je crus devoir refuser ce poste et ce ne fut point par modestie comme l'affirme Dumoulin...en réalité, je n'étais point une notabilité assez considérable pour inspirer un confiance générale... »352(*) . Retenons plutôt que Rey était déjà à cette époque plus attaché aux questions sociales : « Ensuite, déjà à cette époque, je m'étais beaucoup occupé d'études par l'éducation (Jacotot, Owen) et, c'était à mes yeux la tâche la plus belle et la plus urgente pour tout homme qui ne voudrait pas seulement une révolution d'intérêts matériels, mais qui aurait surtout en vue la régénération morale de ses semblables !...(...) Une telle destination ne pouvant donc alors m'être dévolue, mon plus cher désir, dans le cas de succès, était de faire parti d'une commission qu'on aurait chargé de faire un plan d'éducation vraiment nationale. »353(*). Dés lors, Rey songeait à six mesures de « reconstruction sociale »354(*) :

- « convoquer de suite une assemblée nationale sur les bases les plus libérales pour parer à toutes les éventualités extraordinaires de la crise, et en même temps pour reconstituer le gouvernement définitif. »

- « Organiser de suite la garde nationale et un système d'instruction militaire, avec instructeurs les officiers et sous-officiers de l'ancienne armée »

- « Refondre les grades d'officiers supérieurs et d'officiers généraux, autant pour les arracher des hommes qui ne le méritent pas, que pour attacher les officiers inférieurs et les sous officiers au nouvel ordre des choses, en faisant parmi de nombreuses promotions », on devine au passage comment les conjurés ont pu ainsi d'avantage séduire l'élément militaire...

- « Abolir les contributions indirectes en donnant la demi-solde à tous les employés de cette administration, jusqu'à ce qu'ils puissent être pourvus d'autres emplois ...et replacer le produit de cet impôt, soit par des économies, notamment par une forte réduction sur la liste civile, et par la suppression de la maison militaire royale ; soit par une augmentation de l'impôt foncier mais sur les grands propriétaires seulement, de cette sorte que les propriétaires moyens ne subissent aucune augmentation et que les petits propriétaires éprouvassent même une diminution »

- « Etablir un système d'impôt sur le revenu, comme cela a lieu dans quelques parties de la Suisse. »

- « Enfin, s'occuper sans délai d'une série d'institutions tendant à l'amélioration physique et morale du sort des classes souffrantes »

Nombre des points de réforme proposés par Rey semblent laisser présager à l'instauration de la République, et même assez « sociale », dans le cas d'une réussite du complot. Cependant, Rey insiste bien dans ses mémoires que l'idée même de République ne traversait pas à l'époque l'esprit des conjurés... Ceci nous amène à illustrer brièvement par les propos de Rey le flou total concernant les buts des conjurés, et surtout le cadre de reconstruction du nouveau gouvernement en cas de succès.

Rey insiste grandement sur le fait que la finalité du complot n'était pas la République : « A aucune autre époque de notre histoire depuis cinquante ans, on ne pensa moins qu'alors à la République. Ce mot lui-même était presque inconnu aux quatre-vingt-dix-neuf centièmes de la jeune armée »355(*) . En effet, les formes du gouvernement définitif devait être entendues que lorsque le coup d'Etat eut été réalisé. Le seul moteur idéologique des conjurés ; au sein desquels se côtoyaient autant de bonapartistes, libéraux de toutes tendances, voire sûrement des orléanistes, demeurait donc leur opposition commune au régime restrictif de Louis XVIII. Rey nous rapporte : « Dans le principe, tous ceux qui cherchèrent à se réunir contre le gouvernement parurent d'accord sur le point qu'il ne s'agissait que de le forcer à rentrer dans la Charte...Je suis persuadé cependant que ceux qui avaient pour point de départ dans l'opinion bonapartiste eurent toujours la pensée d'un mouvement pour Napoléon... »356(*) . Et en effet, comme nous l'avons déjà évoqué, c'était bien au nom des idées pour l'Empire que les conjurés libéraux avaient monté l'esprit des officiers mécontents et de toute la masse des sous-officiers... Ainsi se posait la question d'un compromis à trouver entre les différentes tendances des conjurés. Celui- ci devait s'appuyer sur les valeurs, sommes toutes républicaines de la « liberté », l'« égalité », la « nation ». Rey nous le livre : « Nous avions lieu d'espérer d'ailleurs qu'avec une révolution faite au nom de l'égalité et des sentiments nationaux, la liberté pourrait aussi trouver sa place ; quelle que fut la bannière spéciale qui serait déployée comme moyen, nous restâmes toutefois d'accord jusqu'au bout que le mouvement ne serait dirigé qu `aux cris de Vive la France ! et A bas les privilèges ! »357(*) . Rey précise alors, comme nous l'avons déjà entrevue et qui apparaît comme un référent commun à sa personnalité, le rôle de conciliateur et médiateur qu'il tenta de tenir au milieu des passions des conjurés : « Je contribuais beaucoup à ce résultat, en représentant que notre mission devait se borner à renverser l'obstacle qui s'opposait à tout bon gouvernement, mais que la nation seule avait le droit de décider ensuite elle désirerait constituer l'autorité publique...(...) et c'est moi qui fut spécialement chargé par nos hommes d'action de pourvoir aux nécessités de la reconstruction sociale, dés que le mouvement destructeur aurait été accompli... »358(*). Rey devait donc pacifier le mouvement, une fois la victoire acquise. Il s'était d'ailleurs engagé auprès de Lafayette à ce qu'aucune violence ne soit faite à l'encontre de la famille royale... Il n'y avait pas même lieu de s'en inquiéter tant le déroulement du complot tourna très vite au fiasco.

* 342 Rey, T.3938, p.75. Le Bazar français était bien un magasin ou s'exposaient des objets d'arts et de commerce, situé au n°11 de la rue Cadet, à Paris.

* 343 Rey, T.3938, p.76

* 344 Rey, T.3938, p.76

* 345 Cf, Rey, T.3938, p.82

* 346 Cf, Rey, T.3938, p.82

* 347 Cf, Rey, T.3938, p.64

* 348 Cf, Rey, T.3938, p.6

* 349 Rey, T.3938, p.9

* 350 « C'était surtout au nom des idées de l'Empire qu'on avait monté l'esprit des officiers mécontents, et de toute la masse des sous-officiers, qui constituent, lorsqu'ils sont d'accords, une si grande force dans les régiments. », Rey, T.3938, p.49

* 351 Cf, Rey, T.3938, p.126

* 352 Rey, T.3938, p.123

* 353 Rey, T.3938, p.123

* 354 Ses six mesures sont situées sur des pages 124 à 129, Rey, T.3938.

* 355 Rey, T.3938, p.52

* 356 Rey, T.3938, p.48

* 357 Rey, T.3938, p.48

* 358 Rey, T.3938, p.49

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