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La politique chinoise de l'administration Bush après la répression place Tiananmen : l'interdépendance peut-elle apaiser les tensions politiques ? 1989-1993

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par Nicolas Le Guillou
Université Jean Moulin Lyon 3 - Master 1 Science Politique - Relations Internationales spécialité Sécurité & Défense 2014
  

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UNIVERSITE JEAN MOULIN LYON III

MASTER 1 Mention Science Politique - Relations Internationales spécialité Sécurité et Défense, nicolas.le-guillou@univ-lyon3.fr, 9147230

La politique chinoise de l'administration Bush après la répression place
Tiananmen : l'interdépendance peut-elle apaiser les tensions politiques ? 1989-

1993

Mémoire de recherche en Science Politique présenté par Nicolas Le Guillou

Sous la direction de Monsieur François David, Maître de conférences à Lyon III

2014-2015

UNIVERSITE JEAN MOULIN LYON III

MASTER 1 Mention Science Politique - Relations Internationales spécialité Sécurité et Défense, nicolas.le-guillou@univ-lyon3.fr, 9147230

La politique chinoise de l'administration Bush après la répression place
Tiananmen : l'interdépendance peut-elle apaiser les tensions politiques ? 1989-

1993

Mémoire de recherche en Science Politique présenté par Nicolas Le Guillou

Sous la direction de Monsieur François David, Maître de conférences à Lyon III

2014-2015

Remerciements

Je tiens tout d'abord à adresser mes remerciements les plus chaleureux à Monsieur François David qui m'a permis de bénéficier de son encadrement. Les conseils, la patience et la liberté de confiance qu'il m'a témoignés ont été un facteur d'encouragement permanent tout au long de la réalisation de ce travail de recherche.

Je souhaite aussi étendre mes remerciements aux enseignants que j'ai côtoyés durant mon cycle universitaire. Plus particulièrement les professeurs d'histoire des relations internationales contemporaines qui m'ont transmis les connaissances et le goût pour l'étude des politiques étrangères américaine et chinoise.

Enfin, je remercie ma mère qui a contribué à la clarification de ce mémoire par ses corrections et ses relectures.

Liste des sigles et des acronymes

AIEA : Agence Internationale de l'Energie Atomique

APEC : Association de coopération économique de l'Asie-Pacifique

CSNU: Conseil de Sécurité de l'ONU

GATT: General Agreements on Tariffs and Trade

MFN : Most Favoured Nation, Clause de la Nation la plus favorisée

ONU : Organisation des Nations Unies

RPC : République Populaire de Chine

RTCM : Régime de Contrôle des Technologies de Missiles

TNP : Traité de Non-Prolifération

URSS : Union des Républiques Socialistes Soviétiques

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INTRODUCTION

« Même des années plus tard, f...] Tiananmen demeure pour les Etats-Unis dans leur relation bilatérale avec la Chine, un objet de litige sanctionné de mesures économiques, de critiques sur le non-respect des droits de l'Homme et de commémorations régulières. Une analyse de l'impact de Tiananmen sur la politique chinoise américaine nécessite donc une étude sur plusieurs niveaux de prise de décision politique. »1

Alors que les relations sino-américaines avaient atteint un degré de stabilité inespéré depuis des décennies, les massacres du 4 Juin 1989 place Tiananmen firent basculer les rapports dans un climat de tension et de rupture inédit depuis le 1er Octobre 1949. La situation d'apaisement prometteur qui avait été gagnée au prix d'un travail diplomatique acharné commencé en 1972, et à laquelle ont succédé quinze ans d'échanges économiques2, furent balayés en seulement quelques semaines. Un nouveau cycle s'enclencha dans l'histoire sino-américaine : celui d'une lente et laborieuse guérison3. Et pour cause, Tiananmen a directement affecté la formulation de la politique chinoise américaine en la forçant brutalement à s'adapter et à développer sur un temps très court, une nouvelle ligne de conduite cohérente. Par conséquent, la difficulté fut double pour l'administration Bush encore fraîchement au pouvoir en Juin 1989 : répondre par des décisions viables et avec un temps de réaction alerte à une crise sino-américaine sans précédent.

C'est précisément cet intervalle de temps succinct, coïncidant avec le mandat de George Bush père (Janvier 1989 - Janvier 1993) dans lequel chaque prise de position impacta directement l'avenir des relations sino-américaines, qui intéressera notre recherche. Cet espace temporel constituera le support de nos interrogations auxquelles nous tenterons de répondre tout au long de notre analyse. Comment les décisions post-Tiananmen ont-elles été prises ? Quels domaines de la relation sino-américaine ont été privilégiés pour apaiser les tensions politiques? Comment ces décisions ont-elles déterminé les paramètres de la relation sino-américaine pour les premières décennies du XXIème siècle4 ?

Si la période post-Tiananmen soulève autant d'interrogations, (bien que l'histoire sino-américaine ait fait l'objet d'intenses études), c'est justement parce que la politique chinoise

1 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen : The Politics of US-China relations 1989-2000, Washington D.C., Brookings Institution Press, 2003, p. 85: « Even years later f...] the United States maintains Tiananmen as an ongoing issue in the bilateral relationship through economic sanctions, frequent criticism of human rights abuses that trace to 1989, and regular commemoration of the event. An evaluation of Tiananmen on American policy toward China needs to look at several different levels of political decision-making. »

2 PERRY Susan, La politique chinoise des Etats-Unis 1989-1997, Thèse de doctorat en Etudes chinoises, Paris : Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, soutenue en 1998, p. 3.

3 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit., p. 88: « Chapter four: The Slow Road to Recovery 1989-92 ».

4 PERRY Susan, La politique chinoise des Etats-Unis 1989-1997, op.cit., p. 1.

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américaine, au lendemain de ces événements, reste hélas trop souvent effleurée. A juste titre, il existe quelques ouvrages de référence dans la production scientifique anglo-saxonne, mais la documentation française demeure quant à elle partielle et relativement pauvre sur le sujet. Certaines thèses, articles traitent bien des relations sino-américaines dans les années 1990 mais se servent du mandat de G. Bush comme d'une introduction ou d'une étude préalable pour aborder plus en détail la politique chinoise des mandats de Bill Clinton. Ces recherches présentent l'avantage d'être plus riches sur le plan factuel (strictement sino-américain) et centrées sur des problématiques géostratégiques ou géopolitiques plus avenantes pour le lecteur : troisième crise du détroit de Taïwan (1995-1996)5, bombardement de l'ambassade chinoise à Belgrade le 30 Juin 19996. Une autre raison plus évidente est que la présidence de Georges H. Bush souffre d'une abondance d'événements internationaux tous plus déterminants les uns que les autres pour l'équilibre mondial, reléguant de ce fait Tiananmen à un fait secondaire. Son mandat concorde effectivement avec la fin de la Guerre froide, l'effondrement du mur de Berlin, la fin des démocraties populaires d'Europe de l'Est, la dissolution de l'URSS, la réunification de l'Allemagne mais aussi la première guerre du Golfe ou la première crise en Yougoslavie. Tiananmen finit donc par s'effacer derrière cette toile de fond pleine de bouleversements et se résume alors à un « printemps » vite essoufflé et sans suite. S'en tenir à se vague a priori serait toutefois éminemment réducteur surtout à l'heure où les analyses sur le « pivot » américain dans le Pacifique prolifèrent, et où de plus en plus d'observateurs tentent d'analyser les relations sino-américaines comme l'un des défis majeurs du XXIème siècle7. Notre recherche sur la politique chinoise américaine post-Tiananmen ambitionne justement de proposer une grille de lecture historique et théorique sur ce qui constitue à notre sens, un des fondements de la relation sino-américaine actuelle.

Dans cette perspective, à titre introductif et très brièvement, nous nous proposons de mettre en lumière l'histoire sino-américaine pour comprendre les forces qui animent ces liens séculaires et dégager les tendances lourdes de cette histoire commune. Cette étude préalable permettra d'aborder notre analyse dans les meilleures conditions puisque comme le remarque Juliette Bourdin dans la première partie de sa thèse : « la nature des premiers contacts sino-américains f...] ouvre des pistes de réflexion sur la politique chinoise de Washington au XXème siècle »8.

Ainsi, depuis le XIXème siècle, l'histoire américano-chinoise montre une alternance de cycles où se mêlent méfiance, pragmatisme, visions positives ou négatives de l'autre. Les contacts entre

5 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit., p. 200.

6 Ibid., p. 369. Evénement dont la relation sino-américaine aurait le plus souffert depuis Tiananmen selon le jugement avisé de Robert Suettinger.

7 BOURDIN Juliette, Les relations sino-américaines de Tiananmen à la présidence de George W. Bush (1989-2006) : une analyse des enjeux économiques et stratégiques à la lumière de l'Histoire, Thèse de doctorat en civilisation américaine, Paris : université Sorbonne-nouvelle, soutenue en 2007, p. 15.

8 Ibid., p. 36.

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les deux pays ont donc longtemps été tributaires de ces oscillations ce qui explique en grande partie les phases d'ouverture et de fermeture qui ont structuré chacune des deux politiques étrangères. Le XIXème siècle est ainsi parcouru de contradictions et d'ambivalence entre les deux diplomaties si bien que c'est l'incompréhension du côté américain et le sentiment de trahison du côté chinois qui ont caractérisé les relations de ces deux pays tout au long du siècle9.

Au XXème siècle, plusieurs événements vont installer la relation sino-américaine dans un climat de méfiance et de distance. D'abord, la Première Guerre mondiale, particulièrement marquante pour les Chinois parce que la protection des Américains se révéla inconsistante concernant les 21 demandes présentées par le Japon en 191510. Le traité de Versailles acheva ainsi de développer le nationalisme chinois, alimenté par la déception et la désillusion. De nouveau, au début de la guerre sino-japonaise en 1937, les Américains restèrent impassibles. Il fallut attendre l'année 1938 pour que l'administration américaine participât plus activement à la défense de la Chine contre son voisin japonais. Quant à la guerre civile chinoise entre les nationalistes de Chiang Kai-Shek et les communistes de Mao Zedong, là encore les Américains s'efforcèrent d'afficher une fausse neutralité car leurs intentions se portèrent davantage vers le généralissime plutôt que vers le leader communiste11.

L'après guerre fut compliqué pour la Chine et les Américains s'en rendirent assez rapidement compte. Washington décida de continuer à ne soutenir que Chiang Kai-shek, le Guomindang étant reconnu par la communauté internationale12. Malheureusement pour les Américains, la proclamation de la République Populaire de Chine par Mao le 1er Octobre 1949 amorça une longue et chaotique période de rupture diplomatique. Dans la foulée, la guerre de Corée éclata dès 1950. Sans que la RPC ne déclare officiellement son entrée dans le conflit, celle-ci, avec ses 800 000 volontaires, prouva au monde entier que même en temps de faiblesse, elle était capable de défendre ses intérêts face à la superpuissance nucléaire américaine. Une leçon pour les deux diplomaties qui éviteront par la suite, le choc frontal. Pour autant, l'hostilité demeura entre les deux pays, exemple pris des deux crises de Taïwan (1954 et 1958). Les années 1960, sans apaiser les

9 Ibid., p. 36. Les Américains, prétextant une attitude paternaliste et protectrice à l'égard de l'Empire du milieu ont finalement fait jouer leurs intérêts au détriment de ceux des Chinois qui parlent d'une période d'humiliation. C'est la politique de la « Porte ouverte » entreprise par les Américains à la fin du 19ème siècle qui a longtemps entretenu le mythe selon lequel les Américains se seraient érigés en protecteurs de la Chine.

10 MURACCIOLE J.-F, Cours magistral «Les relations internationales de la Première à la Seconde guerre mondiale», Université Paul-Valéry Montpellier III, Semestre 5, 2013. Revirement du Président Woodrow Wilson concernant les 21 demandes économiques du Japon à la Chine présentées dès le printemps 1915. Le Japon obtient ainsi les îles allemandes du Pacifique. Les Chinois quittent la conférence et ne signent pas le traité. Cette période est donc vécue par les Chinois comme une trahison des Américains qu'ils accusent d'avoir vendu leur pays au Japon.

11 En effet, le nationaliste chinois bénéfice d'un allié de choix en la personne d'Henry Luce, l'influent éditeur du Time, Life et Fortune qui contribue à faire passer Chiang comme l'homme fort, le seul capable de relever la Chine.

12 Pourtant, pendant la guerre, un certain nombre d'experts dépêchés en Chine pour étudier la situation avaient conclu que les communistes gagneraient la guerre civile. L'attitude américaine est donc jugée hasardeuse et dangereuse par certains diplomates qui désapprouvent le fait de ne soutenir qu'un seul camp en sachant que l'issue du conflit n'est pas jouée.

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relations sino-américaines, stoppèrent au moins la dynamique de conflit qui les avait animées jusque-là : l'Europe redevint le théâtre d'affrontement privilégié de la Guerre Froide, le schisme sino-soviétique s'accentua profondément, les Américains s'enfoncèrent dans le bourbier vietnamien et la RPC s'enferma dans la révolution culturelle rompant pratiquement tous liens diplomatiques avec le reste du monde. Mais alors que les relations sino-américaines semblaient loin d'être prioritaires pour les deux politiques étrangères encore antagonistes, un changement majeur se profila pourtant. Le 21 Février 1972, après les voyages diplomatiques secrets de Kissinger, Nixon se rendit officiellement en Chine, à Pékin, plaçant ainsi les rapports sino-américains sur la voie de la normalisation. Ici se dégage d'ailleurs une autre caractéristique majeure de la relation héritée du XXème siècle : la présence d'un tiers menaçant pour la Chine mène à un rapprochement entre les deux pays. Ce fut le Japon jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, puis l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques jusqu'à sa dissolution. En 1974 des bureaux de liaison ouvrirent à Pékin et à Washington. Le futur Président américain George Herbert Bush devint chef du bureau des représentations en Chine, d'Octobre 1974 à Août 1975. Au cours de ces mois passés à Pékin comme ambassadeur officieux, il développa des contacts étroits avec quelques dirigeants chinois.

Avec la fin des années 1970, les relations s'intensifièrent. Deng Xiaoping accéda au pouvoir en 1977 et procéda à l'ouverture forcée de l'économie chinoise vers une économie mixte qualifiée d'« économie de marché socialiste ». La normalisation des rapports sino-américains fut effective le 1er Janvier 197913. Dès lors, une timide interdépendance économique naquit à la faveur de la décision de l'administration Carter de céder le statut « Most-Favoured-Nation »14 (MFN) aux Chinois. Rapidement, les échanges économiques et commerciaux commencèrent à se développer. Adoptant une politique de « porte ouverte »15 dès 1978, Pékin bénéficia d'une quantité importante d'investissements directs de l'étranger dont les Américains prirent une part importante16. Simultanément, les liens culturels, scientifiques, académiques progressèrent. Ce mouvement en apparence mal engagé au moment de l'investiture de R. Reagan, aboutit finalement à l'accélération du processus de normalisation. Un communiqué commun fut signé le 17 Août 1982 dans lequel la Chine et les Etats-Unis réaffirmèrent les principes fondamentaux qui guidaient leurs relations. Signe que la confiance mutuelle prospérait, en 1983 l'administration Reagan prit l'initiative d'ouvrir la

13 Au moment de l'établissement des relations, Pékin et Washington signèrent un accord commercial garantissant au partenaire des tarifs commerciaux préférentiels : GUO Baogang, GUO Sujian, Thirty years of China-U.S. relations: analytical approaches and contemporary issues, Lanham, Lexington Books, 2010, p.102.

14 Statut de la Nation la plus favorisée. Sans ce statut, les exportations chinoises étaient soumises à d'importants tarifs douaniers conformément au Smoot-Hawley Act de 1930. Voir: HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, Washington, D.C., The Brookings Institution, 1992, p. 95.

15 « Open Door Policy », GUO Baogang, GUO Sujian, Thirty years of China-U.S. relations: analytical approaches and contemporary issues, op. cit. p. 103.

16 De 1979 à 2008 les Etats-Unis ont été les premiers investisseurs en Chine.

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Chine aux ventes d'armes et de technologies américaines17. Dans le prolongement, le deuxième mandat de R. Reagan inaugura « l'ère des bons sentiments » qui caractérisa les liens américano-chinois tout au long de la décennie 1980. Néanmoins, malgré cette apparente euphorie, des éléments de désaccord et de méfiance subsistaient. Il fallut ainsi quelques années à R. Reagan pour limiter son soutien à Taïwan18, et les modèles politiques sino-américains demeuraient profondément antagonistes. Le commerce bilatéral évoluait certes largement mais sur une souche instable. Quoiqu'il en soit, quand George Bush fut investi de la présidence des Etats-Unis, les échanges entre les deux pays avaient été amplement bénéfiques19. Ces années en or, qualifiées ainsi par James Mann,20 caractérisèrent donc les liens américano-chinois jusqu'à la répression brutale menée place Tiananmen le 4 Juin 1989.

Cet épisode central dans l'histoire sino-américaine constitua le point de rupture inattendu d'une crise profonde de la relation bilatérale, devenu fondateur pour la politique chinoise des Etats-Unis. Tiananmen a en effet cristallisé les antagonismes et dissout les affinités au point de ne laisser comme seul dénominateur commun, qu'un commerce sino-américain fébrile de son immaturité. C'est en cela que réside d'ailleurs toute l'importance de la politique américaine chinoise post-Tiananmen : il a fallu préserver cet ultime facteur de rapprochement tout en donnant de nouveaux fondements stratégiques à la relation, le tout, dans un contexte international bouleversé.

Ce mémoire a donc pour objet l'étude de la relation sino-américaine post-Tiananmen, sous l'angle de la politique étrangère américaine, et propose d'analyser les ressorts de cette politique à la lumière de la théorie de l'interdépendance complexe ; laquelle nous permettra d'identifier les paramètres nouveaux de cette relation. Nous ferons coïncider précisément notre analyse sur la période du mandat de George Bush père s'étalant de Janvier 1989 à Janvier 1993.

Compte tenu du choix de notre lentille conceptuelle21 nous nous appuierons donc prioritairement sur l'ouvrage de R. Keohane et J. Nye, Power and Interdependence : World Politics in Transition paru en 1977. Ces spécialistes des relations internationales sont connus pour avoir

17 MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, New York, Vintage Books, 2000, p. 139.

18 Ibid., pp. 144-145.

19 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Market Access in China - May 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 3p. Une autre note dresse ainsi le bilan de la décennie 1980 : en mai 1989 les Etats-Unis étaient le troisième partenaire commercial de la RPC, réciproquement, Pékin était passé de la 15ème place en 1981 à la 12ème soit 2% du commerce global américain. Les tendances à cette période étaient en hausse : en 1988 les exportations américaines en direction de Chine avaient augmenté de près de 45% (soit 5 milliards de dollar), contre 30% d'augmentation pour les exportations chinoises : U.S. DEPARTMENT OF STATE, « US China Trade Trends - 10th of May 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p. Voir Annexe 3 : Etat du commerce sino-américain peu de temps après l'arrivée au pouvoir de G. H. Bush (Mai 1989), p. 96.

20 Chapitre 7: « Reagan and the Golden Years », MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. pp. 134-154.

21 Pour emprunter les termes anglais « conceptual lens » de Graham Allison et de Philipp Zelikow dans leur ouvrage « Essence of decision : explaining the cuban missile crisis », New York, Longman, 1999, 416 p.

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développé dans les années 197022 le courant théorique néolibéral qui se caractérise par une critique du stato-centrisme des relations internationales et une focale sur le phénomène d'interdépendance. Selon eux, la vue classique de la politique internationale a laissé la recherche en relations internationales insuffisamment attentive aux phénomènes transnationaux grandissants depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Proposant une alternative théorique à l'approche réaliste ou néoréaliste dominante, R. Keohane et J. Nye questionnent ainsi la compréhension classique des acteurs non-étatiques, le rôle des techniques étatiques non militaires, et celui des variables économiques au sein du système international23. L'interdépendance complexe qu'ils définissent comme un système dans lequel tout acteur est sensible et vulnérable aux comportements des autres acteurs, est ainsi la première théorie à postuler que les Etats ne sont pas seulement dépendants au niveau diplomatique ou stratégique, mais aussi dans les domaines relevant du commerce, des droits de l'homme, des questions sanitaires, environnementales24 etc.

Toutefois, avançons d'emblée quelques précisions. D'une part, si l'interdépendance et les conflits sont étroitement liés, et que les études prouvent qu'il y a effectivement moins de tensions lorsque le commerce grandit, des analyses poussées rappellent que ces considérations valent pour les conflits militaires et non politiques25. Tiananmen est justement une crise de politique étrangère26, elle n'est donc pas prise en compte dans ce type d'études statistiques. De plus, si l'effet pacificateur de l'interdépendance économique a été démenti par la Première Guerre mondiale, l'étude de son influence en période post-crise demeure non-évaluée. Cette absence nous laisse légitimement le champ libre pour étudier l'impact de l'interdépendance sur les tensions politiques sino-américaines post-Tiananmen. D'autre part, les théories de l'interdépendance ne se présentent pas comme une contestation radicale du réalisme. Au contraire, leur objet vise à adapter la doctrine réaliste à un mode plus complexe27. Le cadre d'analyse de R. Keohane et J. Nye nous ramène obligatoirement à l'Etat, c'est pourquoi dans notre étude nous nous plaçons à l'échelle de la politique étrangère américaine : les Etats demeurent donc les principaux acteurs de la vie internationale. L'angle théorique de l'interdépendance complexe viendra souligner simplement que leur pouvoir de

22 Robert Keohane et Joseph ont également publié le célèbre « Transnational Relations and World Politics » en 1972.

23 BALDWIN David A., « Review: «Power and Interdependence: World Politics in Transition» by Robert O. Keohane and Joseph S. Nye », The American Political Science Review, Vol. 72, No. 3 (Sep., 1978), p. 1165. URL: http://www.jstor.org/stable/1955253, consulté le 26/02/2015

24 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and Interdependence, Harvard University, Second Edition, Harper Collins Publishers, 1989, pp. 248-249.

25 ONEAL R. John, RUSSET Bruce, BERBAUM L. Michael, « Causes of Peace: Democracy, Interdependence, and International Organizations, 1885-1992 », International Studies Quarterly, Vol. 47, No. 3 (Sep., 2003), p. 375. URL: http://www.jstor.org/stable/3693591, consulté le 26/02/2015.

26 « A foreign policy crisis » selon les propos de Brecher et Wilkenfeld dans « A study of crises », Ann Arbor, University of Michigan Press, 2000, p. 11.

27 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and Interdependence, op. cit., p. 248: «but it was only in Power and Interdependence that we explicitly addressed the conditions under which the assumptions of realism were sufficient or needed to be supplemented by a more complex model of change.»

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contrainte est moindre ou s'exprime différemment que par le passé, que la menace d'un recours à la force n'occupe pas une place aussi centrale que chez les réalistes et qu'il faut prendre en considération d'autres acteurs. Cependant, la théorie demeure une vue de l'esprit et ne fait que rattacher des conséquences à des principes. Comme toute théorie digne de ce nom, elle doit donc être soumise à la fois au contrôle du raisonnement et de la critique expérimentale (l'aller-retour entre les idées et les faits)28. Nous évaluerons donc la valeur explicative de la théorie de l'interdépendance complexe appliquée à l'évolution de la relation sino-américaine post-Tiananmen, évolution observée sous le prisme de la prise de décision américaine. Notre étude soutiendra que la politique américaine chinoise post-Tiananmen s'est affairée à développer une relation d'interdépendance (qui avait timidement émergé entre 1979 et 1989), afin d'apaiser les tensions politiques générées par Tiananmen.

Muni de cet outil théorique, nous tenterons finalement de répondre à la question centrale qui guidera notre recherche: la politique chinoise de l'administration Bush, dont l'élaboration a été profondément affectée par la crise politique de Tiananmen, est-elle parvenue à développer une relation d'interdépendance étroite avec la Chine au point d'apaiser les tensions politiques ?

Ceci nous amènera à définir plus précisément notre grille de lecture théorique et le néolibéralisme de manière générale. Ce passage apparaît indispensable si l'on veut identifier et comprendre empiriquement les effets politiques (notamment) de l'interdépendance dans les rapports sino-américains post-Tiananmen. Ce cadre conceptuel directeur devrait nous aider à répondre à plusieurs questions subsidiaires qui participeront du cheminement de notre réponse à la problématique. Comment la nation américaine, qui a elle-même condamné les massacres de Tiananmen, est-elle parvenue à développer des liens très forts, de toutes natures avec une puissance émergente qui cherche pourtant à briser son leadership ? Le commerce a-t-il une réelle vertu pacificatrice en situation de désescalade (post-crise) ? Ces interrogations secondaires guideront par conséquent notre recherche et nous mèneront à circonscrire de la manière la plus exacte et précise possible, notre réponse à la problématique posée.

Quant à notre matériau de recherche, celui-ci sera composé de documents officiels, d'archives historiques déclassifiées sur la politique étrangère et militaire américaine provenant du site de la Digital National Security Archive (plus spécifiquement du dossier China and the US) et des sites de premières mains tels que celui du bureau du recensement des Etats-Unis (United States Census Bureau dépendant du département du Commerce) ou du National Security Strategy Archive. Parmi les sources secondaires, citons un certain nombre d'articles scientifiques provenant du site

28 DE MONTBRIAL Thierry, « Réflexions sur la théorie des relations internationales », Politique Etrangère, n°3, 1999, pp. 467-490. URL : /web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342x_1999_num_64_3_4876, consulté le 11 mars 2015.

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Jstor ainsi que plusieurs ouvrages de références, pour la plupart américains et écrits par des groupes de pensée (« think tank ») et des spécialistes des affaires asiatiques ou d'anciens acteurs de la politique américaine chinoise : Michel Oksenberg, Harry Harding, Robert Suettinger, David Lampton, James Mann entre autres.

Ainsi, dans un premier développement nous procéderons à une véritable dissection de notre support théorique, Power and Interdependence de R. Keohane et J. Nye. Cette opération sera l'occasion de revenir aux fondements du libéralisme afin de replacer la théorie choisie dans la discipline des relations internationales. Après ce détour conceptuel, nous tenterons de définir aussi précisément que possible l'interdépendance complexe dans le but d'en identifier les caractéristiques principales et d'en dégager les outils théoriques les plus pertinents. Le tout devra mettre en lumière les concepts clés qui la structurent, essentiels à la lecture des rapports étatiques internationaux.

A cette première partie largement théorique succédera un développement nettement plus factuel, qui traitera des implications stratégiques immédiates de Tiananmen sur la relation sino-américaine. Il s'agira dans un premier temps de faire une analyse historique de la crise de Tiananmen : ses origines, son déroulement, son dénouement. Dans cette lecture à la lumière de l'histoire nous examinerons ensuite les premières prises de décision de l'administration Bush. Ceci nous permettra d'introduire quelques mots sur l'appareil décisionnel américain en exercice à cette époque, d'évaluer la réaction américaine ainsi que la position du Président. Ensuite, nous traiterons de l'après-Tiananmen et de la difficulté pour la relation sino-américaine de trouver un nouveau cadre stratégique. Nous évoquerons alors le challenge de la « renormalisation » des rapports et l'influence du contexte international afin de dégager les paramètres nouveaux de la relation sino-américaine.

Enfin, et selon la logique de notre raisonnement qui consiste à rapprocher les faits de la théorie, nous procéderons à une critique expérimentale de l'analyse de la relation sino-américaine post-Tiananmen à l'aune de l'interdépendance complexe. Dans cette ultime partie il s'agira d'appliquer les concepts clés, précédemment retenus, aux rapports interdépendants sino-américains. Par cette méthode nous apprécierons successivement les débuts discrets de l'interdépendance complexe sino-américaine puis les rapports de puissance qui s'y développent. A cette occasion nous analyserons la structure du commerce entre Washington et Pékin, les échanges secondaires qui en découlent et la manipulation politique dont ceux-ci peuvent faire l'objet. Alors, nous pourrons juger du degré d'asymétrie qui caractérise la relation sino-américaine et de la rivalité qui en résulte. L'ensemble facilitera l'élaboration de notre conclusion partielle dans un dernier chapitre.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld