6.4 Intérêt et conviction des enseignants
pour l'éducation bilingue
6.4.1 Intérêt scolaire et socioculturel de
l'éducation bilingue
Parmi les thèses qui ont présidé
à la mise en place de l'éducation bilingue au Burkina Faso figure
l'assertion selon laquelle l'éducation bilingue favoriserait les
enseignements et les apprentissages et contribuerait à la sauvegarde des
valeurs culturelles. Le tableau ci-dessous présente les
appréciations que les enseignants font de l'éducation bilingue
sur la base de cinq
80
énoncés ; au regard des résultats, on
s'aperçoit que les enseignants de notre échantillon ne se
distancient pas de cette thèse initiale.
Tableau n°12 : Récapitulatif de la
position des enseignants par rapport aux opinions relatives aux avantages et
aux inconvénients de l'éducation bilingue en %.
Enoncés
|
Pas du tout
|
Un peu
|
Moye nment
|
Tout à fait
|
nr
|
Total
|
Elle améliore la compréhension des enseignements
et facilite les apprentissages
|
2
|
18
|
8
|
70
|
|
100%
(131)
|
Elle aide l'élève à mieux connaître
son milieu culturel
|
1
|
15
|
3
|
77
|
4
|
100%
(131)
|
Elle crée un complexe d'infériorité chez
les élèves
|
62
|
18
|
10
|
5
|
5
|
100%
(131)
|
Elle est un handicap dans l'apprentissage du Français
|
39
|
30
|
13
|
15
|
3
|
100%
(131)
|
Elle réduit les chances de réussite future des
élèves
|
67
|
15
|
5
|
9
|
4
|
100%
(130)
|
|
En effet, si 70% des enseignants partagent tout à fait
l'opinion qui soutient que l'éducation bilingue «
améliore la compréhension des enseignements et facilite les
apprentissages », ils sont encore plus nombreux, 77% de
l'échantillon à reconnaître qu'« elle aide
l'élève à mieux connaître son milieu ». A
l'opposé, il nous est donné de constater que les
énoncés qui tendent à remettre en cause la qualité
de l'éducation bilingue recueillent des opinions plutôt
défavorables : c'est ainsi qu'ils sont respectivement 39%, 62% et 67% de
l'échantillon à ne pas être du tout d'accord avec les avis
qui laissent entendre que l'éducation bilingue « constitue un
handicap dans l'apprentissage du Français », «
crée un complexe d'infériorité chez les
élèves », ou « réduit les chances de
réussite future des élèves ».
Dans la plupart des énoncés, on remarque que la
proportion des enseignants bilingues qui se disent « tout à
fait d'accord » ou à l'inverse « pas du tout d'accord
» est plus élevée que celle des enseignants du
classique à l'exception du quatrième énoncé, celui
stipulant que l'éducation bilingue constitue un handicap à
l'apprentissage du Français ; sur cette opinion précise et
contrairement à ce qu'on aurait pensé, ce sont les enseignants
des écoles classiques

81
qui sont proportionnellement les plus nombreux à
n'être pas d'accord, soit 45% contre 37% pour les enseignants bilingues
comme nous l'indique le graphique ci-dessous représenté.
Graphique n° 7 : Position des enseignants par
rapport à l'énoncé : « l'utilisation des langues
nationales comme médium et matière d'enseignement est un handicap
pour l'apprentissage du Français »
Ce regard positif que portent les enseignants sur
l'intérêt scolaire et socio-culturel de l'éducation
bilingue se trouve par ailleurs confirmé par les avis qu'ils
émettent sur les chances de réussite des élèves des
écoles bilingues. A la question de savoir quelles étaient pour
eux les chances de réussite des élèves des écoles
bilingues par rapport à ceux du classique, les résultats issus
des réponses nous permettent de constater que seulement une infime
minorité, soit 13% des enseignants constituant notre échantillon
déclarent qu'ils ont moins de chances de réussite que ceux du
classique. Tous les autres enseignants estiment qu'ils ont, soit les
mêmes chances, à raison 47% de l'échantillon, ou plus de
chances de réussite, soit 40%. Ces résultats se situent, par
ailleurs, à des proportions plus ou moins égales chez les
enseignants bilingues que chez leurs collègues du classique.
Tableau n°13 : Opinions des enseignants par
rapport aux chances de réussite des élèves des
écoles bilingues en comparaison avec ceux des écoles classiques
en %.
Type d'école
|
mê ch q EC
|
- ch q EC
|
+ ch q EC
|
Total en %
|
EB
|
46
|
11
|
43
|
100% (98)
|
EC
|
48
|
18
|
33
|
100% (33)
|
Total
|
47
|
13
|
40
|
100% (131)
|
|
82
Les raisons évoquées par les enseignants pour
justifier leurs opinions sont multiples :
- Ceux qui soutiennent que les élèves des EB
ont moins de chances de réussite avancent comme argument la
délicatesse de l'année de transfert ; c'est l'avis de
Jean-Noël : « l'évaluation à l'école
primaire est à 100% française. Si l'année de transfert
échappe à l'enfant, il aura un sérieux problème
après ». D'autres évoquent les difficultés
qu'ils éprouvent dans la maîtrise de l'expression
française, comme Lassina, enseignant bilingue mooré :
« les élèves du bilingue ont des difficultés en
Français et même la compréhension des mots » ;
d'autres enfin estiment que les langues nationales ne répondent pas aux
exigences de la mondialisation ; c'est le constat fait par Aline, enseignante
classique : « le monde évolue et les choses changent.
Même ceux qui parlent Français ne s'en sortent presque plus, donc
pourquoi parler la langue nationale qui ne nous amène nulle part ?
»
- A l'opposé, les enseignants qui défendent
l'idée selon laquelle les élèves des écoles
bilingues auraient plus de chances de réussite développent trois
principaux arguments : d'abord, il y a ceux qui se réfèrent aux
statistiques, comme Daniel : « dans ma circonscription
d'éducation de base, nos résultats au CEP sont meilleurs à
ceux du classique si on fait la moyenne » ; ensuite, il y a ceux qui
évoquent la facilitation de la compréhension et des
apprentissages induite par l'utilisation de la langue maternelle de l'enfant ;
c'est l'avis de Mouboué, enseignant bilingue lyèlé
: « l'utilisation de la langue de l'enfant pour la transmission
des connaissances facilite l'acquisition de celles-ci » mais aussi de
Wéléme, enseignant bilingue kassena « l'utilisation de
la langue vise la compréhension alors que connaître c'est
comprendre ». Le troisième argument mis en avant par les
enseignants pour justifier l'avantage dont bénéficient les
élèves des écoles bilingues sur leurs camarades du
classique, sur le plan de la réussite scolaire, a trait au
caractère multidimensionnel et pratique des connaissances
enseignées ainsi qu'à leur enracinement socioculturel, comme nous
l'explique Céline, enseignante bilingue kassena :
« En plus des connaissances bilingues que les
enfants apprennent, les élèves du bilingue reçoivent
d'autres connaissances que les enfants du classique n'ont pas : par exemple
l'introduction des valeurs culturelles positives de l'Afrique, des contes et
des proverbes, des chants et danses du milieu ainsi que les activités de
production permettent aux enfants de se préparer à devenir plus
tard des acteurs conscients et motivés pour le développement
local, régional et national ».
83
- Enfin, ceux qui estiment que les élèves des
écoles bilingues ont les mêmes chances de réussites que
ceux des écoles classiques avancent comme argument le fait qu'ils
suivent les mêmes programmes à partir de la quatrième
année : « ils ont les mêmes chances parce qu' à
partir du CE, c'est à peu près le même programme
» (Lucie, enseignante bilingue mooré), qu'ils passent
le même examen en fin de cycle primaire et sont capables de
réussir au même titre que leurs camarades du classique :
« ils prennent part au même CEPE ; donc, s'ils
réussissent à passer, ces élèves sont à
égalité » (Kadidiatou, enseignante bilingue
mooré) .
|