V. Discussion
5.1 Les objectifs de la recherche
Cette étude a pour objectif de voir si la
personnalité borderline était symptomatique d'un système
sociétal individualiste par le biais d'un système de valeurs.
L'étude a permis d'élaborer un modèle de médiation
permettant une meilleure compréhension de la relation entre le
système de valeurs, le modèle alternatif des troubles de la
personnalité et du trouble borderline.
5.2 Discussions des résultats
Dans un premier temps, nos résultats de cette recherche
montrent qu'il existe bien un lien significatif entre la personnalité
borderline, le modèle alternatif de la personnalité, ainsi que le
système de valeurs.
En reprenant nos hypothèses, nous constatons que seule
la valeur pouvoir est significative avec notre
échantillon de sujet borderline. Ce qui valide partiellement nos
hypothèses. Néanmoins, la valeur pouvoir se situe dans les
valeurs dîtes à intérêt individuel. (Bilsky &
Schwartz, 1994) Etant associé positivement, nos résultats
montrent donc une intériorisation d'une valeur dite individualiste chez
nos sujets borderline.
Nous pouvons aussi confirmer le lien significatif entre le
modèle de la personnalité et la personnalité borderline.
De plus, les résultats ont révélé les facteurs les
plus déterminant qui influencent le niveau de gravité du trouble
de la personnalité borderline. Ce sont les facteurs Identité,
Intimité et Psychoticisme.
· Il n'y a pas de lien direct entre le modèle
alternatif de la personnalité et le système de valeurs. Or, il
existe un lien indirect, par le biais de la personnalité borderline.
Ce qui nous a amené à modéliser nos
résultats, avec un modèle à médiation. Le trouble
de la personnalité borderline en tant que médiation, entre le
modèle alternatif de la personnalité avec trois facteurs :
Identité, intimité et psychoticisme et, la valeur pouvoir. Ce qui
confirme notre dernière hypothèse.
52
5.2.1 Analyse de notre modèle

La présence significative d'une médiation
indirecte impliquant la personnalité borderline suggère que cette
pathologie joue un rôle crucial dans le lien entre les traits de
personnalité intimité, identité, psychoticisme et la
valeur pouvoir. Elle explique l'effet de ces traits sur la valeur pouvoir.
· En d'autres termes, les résultats de notre
recherche révèlent que le trouble de la personnalité
borderline modifie, influence la perception de la valeur pouvoir, en augmentant
son intériorisation dû à d'importantes
problématiques identitaires, relationnelles et de perception du
réel.
L'apparition du trait psychoticisme est intéressante
dans ce modèle. D'après le DSM-V, il n'est pas un critère
diagnostic fondamentale pour ce trouble de la personnalité. En revanche
nous pouvons l'interpréter ainsi : le psychoticisme se manifeste par des
croyances ou des pensées atypiques, ainsi que des difficultés
à percevoir la réalité de manière stable. En
reprenant les autres critères de notre modèle et les termes du
DSM-V, ce qui influe sur la gravité de ce trouble c'est une faible
estime de soi, peu développée ou instable, des sentiments
chroniques de vide, des relations proches intenses, instables et
conflictuelles, des besoins affectifs excessifs et préoccupations
anxieuses concernant un abandon réel ou imaginé et des relations
proches souvent extrêmes, soit idéalisées, soit
dévalorisées, alternant entre implication excessive et retrait.
(American Psychiatric Association et American Psychiatric Association,
éditeurs. Diagnostic and statistical manual of mental disorders:
DSM-5. 5th
53
ed, American Psychiatric Association, 2013.)
Nous pouvons dire que le trait psychoticisme ici
représente simplement les croyances ou les pensées traumatiques
affective extrême de nos sujets impactant/altérant sa perception
de la réalité. En effet selon Kernberg, les individus qui
présentent ce type de structure percevraient adéquatement la
réalité
et préserveraient une pensée logique et
cohérente. Cependant, ils pourraient présenter des distorsions
dans la perception de soi et des autres lorsqu'ils sont
confrontés à des facteurs de stress qui
submergent leurs capacités adaptatives et ainsi avoir le
sentiment que leur rapport à la réalité est
variable (O. Kernberg, 2004).
5.3 Borderline et la valeur « Pouvoir »
Afin de comprendre le lien entre le trouble de la
personnalité borderline et la valeur pouvoir, nous vous proposons un
argumentaire clinique, psychanalytique et social sur la base des apports de
notre revue de littérature ainsi que de cet article de psychologie
sociale : Guinote, A. (2017). How power affects people : Activating, wanting,
and goal seeking. Annual Review of Psychology, 68(1),
353-381.
En psychologie, la recherche sur le pouvoir social s'est
considérablement développée depuis l'étude de
Keltner et al. (2003), selon laquelle le pouvoir active le système
d'approche comportementale (BAS ; voir Gray 1990, Gray & McNaughton 2000).
Cette activation peut entraîner de nombreuses répercussions sur
les pensées, les émotions et les comportements des individus
ayant du pouvoir, ce qui confère à cette théorie un fort
pouvoir explicatif. Cet article examine les études publiées
depuis Keltner et al. (2003) qui explorent l'impact du pouvoir sur les
individus. (Guinote, 2017)
5.3.1 Pouvoir et Identité
D'après Guinote le pouvoir affecte la façon
dont les individus perçoivent leurs attributs, la façon dont ils
s'évaluent eux-mêmes et la façon dont ils se
perçoivent indépendamment des autres. Ces effets du pouvoir sur
le soi facilitent la prise de décision rapide et l'action, permettant
aux individus de réagir de manière autonome. Le pouvoir augmente
également l'estime de soi (Fast et al. 2009, Hofstede et al. 2002,
Wojciszke & Struzynska-Kujalowicz 2007). Dans cet article, l'auteur
énonce l'exemple d'une étude portant sur 1 814 participants
occupant des postes d'encadrement dans 15 pays a révélé
que les cadres s'évaluaient mieux en termes de caractéristiques
managériales positives que la moyenne des cadres de leur pays (Hofstede
et al. 2002). (Guinote, A, 2017, How power affects people: Activating, wanting,
and goal seeking).
·
54
Comme vu dans la littérature, le trouble de la
personnalité borderline est caractérisé par une estime de
soi faible et instable, l'adhésion à la valeur du pouvoir peut
donc servir de mécanisme compensatoire. En s'identifiant à des
attributs associés au pouvoir, les individus borderline peuvent
renforcer leur image de soi et leur sentiment de compétence. Par
conséquent, cette adhésion à la valeur du pouvoir peut
être perçue comme une tentative de renforcement de soi, visant
à consolider un moi actif et positif face aux défis de la vie
quotidienne.
5.3.2 Pouvoir et Intimité
Le pouvoir amène des relations de coopérations
afin d'arriver à des fins individuelles. (Bilsky & Schwartz, 1993).
Les individus borderline sont prédominés par des angoisses
relationnelles, caractérisé par des préoccupations
anxieuses concernant un abandon réel ou imaginé ainsi que des
relations proches souvent extrêmes, soit idéalisées, soit
dévalorisées, alternant entre implication excessive et retrait.
(Estellon, 2017) Intérioriser cette valeur, permettrait une mise
à distance suffisante de l'autre, en le contrôlant afin de pouvoir
combler ses manques affectifs. En effet d'après Guinote, les
détenteurs de pouvoir ont un sentiment de contrôle
élevé, même dans des domaines qui ne sont pas liés
à leur rôle (Scholl & Sassenberg 2014). Van Dijke & Poppe
(2006) et Lammers et al. (2016) ont constaté que les gens recherchent le
pouvoir principalement pour accroître le contrôle qu'ils exercent
sur leur propre vie. (Guinote, A, 2017, How power affects people: Activating,
wanting, and goal seeking).) Ce qui nous renvoie au mécanisme de
défense principale des pathologies limites dans sa relation à
l'autre : l'identification projective. En effet, nous
rappelons que cette défense est très utilisée par
les pathologies limites, et qu'elle s'exprime par des fantasmes
inconscients permettant au sujet d'in-
troduire des parties de sa propre personne dans l'autre dans le
but de le contrôler, le posséder ou le
détruire. (Estellon, V. (2011). Les mécanismes
de défense)
· Ici, le pouvoir renvoie un reflet miroir de ce
mécanisme défensif.
5.3.3 Pouvoir et psychoticisme
D'après l'auteur, le pouvoir affecte également
les croyances que les gens ont d'eux-mêmes. Il renforce la confiance ou
la conviction dans leurs capacités et leurs opinions, ainsi que d'autres
croyances valorisantes, qui sont des mécanismes de niveau
intermédiaire facilitant la prise de décision rapide et
l'exercice de l'influence. Des études sur le terrain et des
études expérimentales ont révélé une
55
augmentation de la confiance chez les personnes puissantes
(Brinol et al. 2007, Fast et al. 2012, Scholl & Sassenberg 2014). (Guinote,
A, 2017, How power affects people: Activating, wanting, and goal seeking).
·
Dans le modèle alternatif des troubles de la
personnalité du DSM-V, il est décrit que le psy-choticisme
regroupe une large gamme de cognitions et de comportements culturellement
excentriques ou inhabituels à la fois en ce qui concerne les croyances,
le mécanisme de perception du réel et la dissociation. Nous avons
exploré que les individus présentant un trouble de la
personnalité borderline ont des mécanismes défensifs
provoquant une altération de la perception du réel, notamment en
la déniant. Le sujet, en s'identifiant aux parties de l'objet contenant
ses propres parties clivées/projetées, se perd dans une
perception confuse où l'autre c'est lui. Intérioriser la valeur
pouvoir, conforterait ces personnalités dans leur croyance leur
apportant une valorisation de leurs comportements et pouvant garder l'autre
comme étant un objet partiel. (Estellon, V. (2011). Les
mécanismes de défense)
· Cela nous renvoie au modèle d'Otto Kernberg
(1989) vu précédemment notre revue. Ces résultats montrent
une concordance avec les trois critères fondamentaux de ce
modèle, soit le degré d'intégration de l'identité,
les mécanismes de défense prédominants et la
capacité de l'individu à maintenir la fonction d'épreuve
de la réalité. (Kernberg, O. F. (1989). Les
Troubles limites de la personnaliteì.)
5.3.4 Le pouvoir : la quête idéalisée
des borderlines ?
? Idéal du Moi, Soi grandiose : quête
d'autosuffisance et d'autonomie
Nous allons nous pencher sur le conflit dominant de cette
structure psychique où prédomine l'idéal du Moi en conflit
avec le Moi.
Pour rappel dans notre revue de la littérature, nous
avons vu avec l'auteur Jean Bergeret que l'Idéal du Moi chez les
personnalités limites exerce ses pressions par des promesses d'un avenir
meilleur. Cet idéal peut être perçu comme une croyance
selon laquelle une personne doit être parfaite et ne peut pas se
permettre d'échouer entraînant une anxiété et une
insécurité extrême, car la personne se sent incapable de
satisfaire ses propres attentes. Le désir est continuellement
stimulé mais l'accès au plaisir est interdit. Il agit pour se
sentir aimé, sa plus grande terreur étant de ne plus être
aimé. (Zucker, D. (2012). Faux self, borderline, personnalité
narcissique, personnalité schizoïde)
Ainsi, le pouvoir apportera aux personnalités
borderline la clarté de l'objectif et l'ardeur du désir, ainsi
que la volonté de travailler à la réalisation des
désirs et des objectifs (chercher à atteindre un but). (Guinote,
2017)
56
En effet, dans notre article sur la question du pouvoir, les
auteurs Van Dijke & Poppe (2006) et Lammers et al. (2016) ont
constaté que les gens recherchent le pouvoir principalement pour
accroître le contrôle qu'ils exercent sur leur propre vie. Ce
sentiment de contrôle accru joue un rôle causal dans l'optimisme et
l'orientation vers l'action des détenteurs de pouvoir (Fast et al.
2009). En outre, avec une perception accrue du contrôle, les personnes
puissantes se perçoivent comme une entité
indépendante et autosuffisante (concept de soi
indépendant). (Guinote, 2017)
· L'Idéal du Moi règne par son
insatiabilité, la valeur pouvoir pourrait alors nourrir
perpétuellement ce pôle dominant chez cette structure.
En reprenant notre théorisation lors de notre revue, la
valeur pouvoir renvoie à l'intériorisation des normes
sociétales et surtout, il est la principale dynamique de
l'individualisme (concept de soi indépendant, d'après Guinote,
2017). Nous disions précédemment que si cet idéal
d'indépendance et d'autosuffisance est la norme sociale, alors il entre
en conflit avec les difficultés rencontrés par les personnes
souffrant de trouble de la personnalité borderline. Leur
fonctionnement étant centré sur un Idéal
du moi fort ces sujets ont tendance à fortement
intériorisé cette norme et donc sont en quête
d'indépendance et d'autosuffisance. Cependant, leurs
instabilités émotionnelles, relationnelles et
identitaires, ainsi que leur peur de l'abandon, rendent cet objectif difficile
à atteindre. La tension entre le désir d'indépendance et
la dépendance émotionnelle et psychique, caractéristique
des personnes borderline, est perceptible en raison du besoin de combler tous
ces manquements.
Or grâce à cette recherche nous voyons que
l'intériorisation de la valeur Pouvoir pourrait être
le compromis de ces individus pour avoir le contrôle sur
leurs symptômes. Avoir le pouvoir serait un moyen défensif de
maintenir leur système, à la limite.
·
·
Finalement, nous voyons avec cette lecture psychanalytique, que
l'adhésion à la valeur pouvoir chez
les personnalités borderline permet un contrôle de
ses angoisses relationnelles et identitaires et ainsi
que le maintien d'une certaine stabilité psychique.
Adhérer à la valeur Pouvoir, est une tentative de
maîtrise de leurs symptômes.
· La valeur pouvoir résonne avec la quête
idéale : l'omnipotence sans failles, un contrôle absolu sur ses
émotions, avec un garanti de réussite et
d'épanouissement.
57
5.3.5 Borderline et Individualisme
« Si le pouvoir facilite l'affirmation sociale et la
recherche de priorités, il le fait souvent au risque de négliger
des objectifs secondaires, en particulier les besoins et les perspectives
d'autres personnes. » (Fiske & Berdahl 2007, Galinsky et al. 2006).
En conclusion de cette analyse des résultats, nous
pouvons dire qu'en partie, l'individualisme a un impact sur ce trouble de la
personnalité. En effet, il semble que le trouble de la
personnalité borderline est le reflet d'une dissonance entre
émancipation individuel et dépendance à l'autre. Avec
notre recherche, nous voyons que des individus ayant un seuil de souffrance
élevé vers cette personnalité, intériorisaient de
manière positive l'une des valeurs principales de ce système.
Néanmoins, bien que nous ayons identifié des
associations entre l'individualisme et la personnalité borderline, nous
ne pouvons pas conclure que l'un cause directement l'autre. Les relations
observées peuvent être influencées par d'autres variables
non mesurées ou par des facteurs externes. Par conséquent, il est
important de rester prudent dans l'interprétation des résultats
et de reconnaître que nos analyses fournissent des indications sur les
relations entre les variables, mais ne permettent pas d'établir des
conclusions définitives sur les causes sous-jacentes de ces
relations.
58
5.4 Principales limites
· Notre recherche questionne autour de l'individualisme qui
est un paradigme très large et plutôt flou, dans la mesure
où il n'existe pas d'échelle spécifique permettant
d'évaluer directement l'individualisme ou un système de valeurs
individualiste. Nous avons dû nous appuyer sur la littérature
existante pour tirer des conclusions hypothétiques sur la relation entre
l'individualisme et la personnalité borderline. Cette approche indirecte
peut présenter des limites en termes de précision et de
validité des résultats.
· De plus, notre échantillon d'individus
présentant des scores significatifs au BSL (Borderline Symptom List)
pourrait être considéré comme relativement restreint (21).
Cette taille d'échantillon réduite peut limiter la
généralisabilité de nos résultats et la robustesse
de nos conclusions. Une étude avec un échantillon plus vaste
pourrait permettre de mieux saisir la nature et l'ampleur des relations entre
les variables étudiées.
· Un autre point à considérer est que les
sujets évalués au BSL présentent des
caractéristiques qui suggèrent une souffrance et des traits
associés à la pathologie borderline, mais ils ne
bénéficient pas nécessairement d'un diagnostic formel de
trouble de la personnalité borderline. Cette distinction pourrait avoir
des implications importantes pour la validité externe de notre
étude et pour la généralisation de nos résultats
à une population présentant un diagnostic clinique
confirmé.
· En outre, malgré nos efforts pour prendre en
compte différentes dimensions de la personnalité borderline et de
l'individualisme, d'autres variables potentiellement pertinentes pourraient ne
pas avoir été prises en compte dans notre étude. Par
exemple, des facteurs environnementaux, sociaux ou culturels pourraient jouer
un rôle dans la relation entre ces deux variables et mériteraient
d'être explorés dans des recherches futures.
· Enfin, nos conclusions sont basées sur des
analyses statistiques qui ne permettent pas d'établir des relations
causales entre les variables étudiées. Des études
longitudinales ou expérimentales pourraient être
nécessaires pour mieux comprendre la nature et la direction des liens
entre l'individualisme et la personnalité borderline.
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