Postface
Maintenant que nous avons réuni un exposé
détaillé du système leibnizien et de la
problématique quantique, ainsi qu'une confrontation construite des deux,
nous estimons avoir confirmer l'utilité de notre étude. Nous
avons déjà affirmé l'intérêt que nous portons
pour l'oeuvre de Leibniz dés le début et son étude
approfondie comme le succès de sa mise à l'épreuve nous
conforte grandement dans cette idée. Bien compris, le système
leibnizien est d'une exceptionnelle intemporalité, il offre une
description métaphysique du monde qui, pour peu que l'on dépasse
son langage comme les contraintes du logos humain en général,
reste difficilement réfutable. Il n'est pas non plus question de le
prouver car, comme toute connaissance métaphysique rigoureuse, elle est
fondée sur la seule expérience de notre âme et celle-ci ne
peut faire l'objet que d'une vérification empirique personnelle. La
seule réserve que nous ne pouvons nous empêcher de faire,
puisqu'elle s'applique à toute entreprise systémique sans
exception, c'est que toute la métaphysique leibnizienne se fonde sur une
foi évidente dans l'efficacité de la méthode logique et
sur la certitude rationnelle qu'elle permet. Comme seule celle-ci permet
d'apporter la preuve de quoique ce soit, il est hors de question de prouver que
les principes logiques de Leibniz, ou n'importe quels autres, s'applique
effectivement à la réalité fondamentale. Sur ce point, il
nous est juste donné de constater la remarquable efficacité dont
fait preuve cette rationalité pour expliquer les
phénomènes, et encore plus pour les prévoir.
A la lumière de ce que nous avons apporté, il
est très intéressant de voir comment s'articule le système
de Leibniz par rapport à certaines antinomies classiques en philosophie
et en science. La métaphysique leibnizienne n'admet que des âmes
comme constituantes fondamentales de la réalité et, à ce
titre, on peut considérer le système leibnizien comme un
idéalisme assez proche de celui de Berkeley. Mais la dualité
entre choses en soi et phénomènes est non seulement
présente chez Leibniz mais elle y est essentielle. Seule cette antinomie
permet d'expliquer l'hétérogénéité qui
sépare les conclusions métaphysiques de Leibniz au sujet des
substances simples de notre expérience coutumière des
composés. Le système leibnizien présente donc certaines
caractéristiques de l'idéalisme, mais aussi des traits typiques
du réalisme ; et cela correspond bien à l'habitude
leibnizienne de systématiquement synthétiser toute opposition.
Cela est rendu possible par le fait que Leibniz fait de la spiritualité
une chose en soi et même la seule chose en soi, les corps
matériels comme toute chose physique étant alors à ranger
dans les phénomènes. A ce propos on peut donc légitiment
penser que Kant doit beaucoup à Leibniz lorsqu'il place la
considération de la chose en soi dans celle du sujet moral.
Il est possible de remarquer que certaines parties du
système de Leibniz, bien que traitées dans son exposé,
n'auront guère étés utilisés dans le reste de notre
étude. On est alors en droit de se demander si leur maintient
était bien nécessaire. A ce sujet, rappelons
l'interdépendance dont font preuves les différentes parties de
l'oeuvre de Leibniz et le fait que l'omission de l'une d'elle pourrait nuire
à la cohérence de tout le système. D'un autre
côté nous n'avons utilisé, pour notre mise à
l'épreuve finale, que les éléments du système qui
s'y prêtés, c'est-à-dire ceux dont l'objet est assez proche
de celui de la physique quantique pour qu'une comparaison soit possible. De
plus, maintenir les éléments du système leibnizien qui
n'ont pas servi dans sa confrontation avec la physique moderne permet au
lecteur le plus exigent de vérifier que nous n'avons omis aucune des
parties qui s'y prêtaient dans cette mis à l'épreuve.
L'autre thème de notre étude, la physique
quantique, peut également tirer de grands bénéfices de
l'analyse que nous en avons fournie car nous espérons avoir mis en
évidence ce que d'Espagnat affirme, à savoir que toute entreprise
rationnelle de compréhension du réel ne peut rigoureusement pas
ignorer les apports de la théorie quantique sur ce sujet. Puisque, dans
une optique leibnizienne, nous cherchons plus a dégager ce qui est vrai
dans toute théorie que ce qui est faux, nous ne nous sommes pas attarder
sur les théories philosophiques qui sont mises grandement en
difficulté par la physique quantique. Il est pourtant assez
évident, si l'on prend en compte les limitations au sujet des
propriétés des deux types de réalité que l'on peut
considérées comme résultant de la théorie
quantique, que nombre de systèmes métaphysiques moins prudent que
celui de Leibniz doivent être mis en échec par la mécanique
quantique. Nous n'avons fait que l'évoquer, mais cela est très
significatif pour ce qui est de la substantialité de l'espace ou au
sujet des théories les plus matérialistes. Il a été
retenu ici un système métaphysique dont nous nous doutions a
priori qu'il puisse survivre efficacement à une confrontation avec
la théorie quantique, ce choix étant motivé par l'objectif
de fournir une conclusion un maximum positive et affirmative. Réfuter
toute théorie métaphysique erronée est une entreprise qui
ne peut que rester inachevée alors que montrer l'échec de
certaines n'est de toute façon pas très constructif.
Nous devons avouer, et un lecteur attentif l'aura
sûrement déjà remarqué, en lame de fond de la
présente étude, c'est la sauvegarde et la
légitimité du discours métaphysique en
général qui nous préoccupe tout particulièrement. A
cet égard le système leibnizien constitue un exemple d'une
construction métaphysique qui garde sa pertinence et montre son
utilité même face à des découvertes scientifiques
très originales et qui lui sont postérieures de plusieurs
siècles. Un telle légitimation a été, selon nous,
rendue nécessaire par les bouleversements philosophiques qu'a connues la
pensée rationnelle occidentale et qui ont eu tendance à
discréditer toute entreprise à visée métaphysique.
On peut estimer que cet objectif a été atteint dans une certaine
mesure grâce aux points essentiels sur lesquels le système
leibnizien rejoint la théorie quantique. Nous avons en effet pu
constater que plusieurs conclusions de la physique quantique peuvent être
vues comme de bons indices de ce que Leibniz avait pu déduire
métaphysiquement à propos de la réalité
indépendante.
Le système leibnizien ne portant pas exclusivement sur
les existences fondamentales, mais aussi sur les composés, nous ne
pouvons considérer la présente conciliation de ce système
avec la physique quantique comme lui attribuant une totale validité.
Pour être exhaustif sur cette question il faudrait entreprendre d'autres
mises à l'épreuve fondées sur d'autres domaines
scientifiques dont les conclusions présentent quelques analogies avec le
système leibnizien. Bien que nous laissions cela à des
études ultérieures, nous pouvons d'ores et déjà
évoquer la biologie, et notamment le caractère très
informationnel de la génétique, et l'informatique, qui peut nous
donner une définition de l'intelligence assez proche de celle de
Leibniz.
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