3.5. Conclusion
Au terme de la présente mise à l'épreuve,
le système leibnizien a su montrer son adaptabilité. En effet, de
tous les éléments de la problématique quantique, nous n'en
avons pas trouvé qui mette réellement la métaphysique de
Leibniz en difficulté. De nombreuses précisions ont cependant
été nécessaires et nous espérons avoir
été assez clair sur ces points. Les apports de la physique
quantique n'auront pourtant pas été exempts d'enseignement car
ils nous ont obligés à analyser avec une rigueur
renouvelée la théorie leibnizienne de la substance. Des
thèmes, peu présents dans le système leibnizien pour des
raisons contingentes, comme la réalité de l'espace-temps ou la
possibilité d'agrégats non-corpusculaires, auront pu être
traités plus à fond grâce aux questionnements
suscités par les particularités de la théorie quantique. A
cette occasion, pour satisfaire aux exigences d'une communauté
scientifique très différente de celle des savants du
dix-septième siècle, nous avons pu modifier la théorie de
la substance en une théorie de l'information qui ne présente pas
plus de caractéristiques assimilées à la mécanique
et qui se dispense un maximum des axiomes théologiques de Leibniz.
Au cours de notre étude nous avons pu tracer une
démarcation encore plus précise entre le monde des corps et celui
des âmes. Et c'est cette délimitation, parce qu'elle rejoint celle
séparant la métaphysique de la physique, qui sauvegarde les
conclusions ontologiques de Leibniz de n'importe quelle découverte
empirique. En limitant la métaphysique aux stricts possibles et en
construisant sa théorie de la substance sur une méthode
métaphysique et logique rigoureuse, Leibniz s'assure qu'il ne
déborde pas sur la considération des existences et donc sur le
champ d'étude de la physique. Si son système contient une
dynamique qui est une description du monde des corps et des règles qui
le régissent, excepté quelques considérations
structurelles définissant un cadre de possibles, cette dynamique n'est
pas déduite de la métaphysique mais d'observations empiriques.
Leibniz attribue à deux voies et à deux méthodes
distinctes l'observable et l'inobservable. Sont seulement observables les
entités physiques et strictement inobservables les âmes, et il n'y
a pas de risque que les corps virent dans l'inobservables, puisqu'ils sont
exclusivement phénoménaux, ou que les âmes deviennent
directement des objets sensibles.
La physique, si elle prend soin de respecter elle aussi un tel
cloisonnement, peut s'assurer une efficacité exceptionnelle et
éviter des paradoxes et des difficultés comme celles que l'on
peut attribuer à la mécanique quantique. En effet, comme toute
les sciences naturelles, la physique quantique ne présente presque plus
d'aspects problématiques lorsqu'elle se borne à une optique
positiviste où on ne se soucie que de prévisions
expérimentales. Toutes les questions soulevées par la
révolution quantique peuvent alors être attribuées à
l'idée de la science, d'inspiration réaliste, qui pouvait
imprégner le monde scientifique à ce moment là. Seule la
croyance dans le grand livre de l'univers que la science pourrait
décoder a été remise en question par la physique
quantique, pas l'efficacité scientifique en générale. Ce
qui s'est réellement retrouvé en échec dans l'histoire de
la physique moderne, et nous nous approchons significativement des conclusions
de Bitbol à ce sujet là, c'est le type de
généralisations ontologiques que s'était autorisée
avant cela la physique à partir de la nature de ses objets
épistémiques. C'est bien parce que Leibniz avait
déjà remis ces généralisations en cause que son
système ne souffre guère des découvertes sur ce point
là que l'on peut attribuer à la physique quantique. Pour peu que
l'on n'admette qu'un système métaphysique comme celui de Leibniz
pour parler rigoureusement de la réalité indépendante,
l'abandon d'un paradigme corpusculaire, mécaniste et spatiotemporel ne
pose pas le moindre problème puisqu'il ne concernait que la
réalité empirique. Mais cela ne dénigre pourtant pas la
nouveauté de la théorie quantique car même Leibniz ne
pouvait soupçonner que, par des voies empiriques, la science pourrait en
venir à abandonner un tel paradigme même au sujet de la
réalité empirique.
Nous pouvions nous en douter avant, et c'est ce qui a
d'ailleurs motivé notre entreprise, la confrontation entre le
système de Leibniz et la physique quantique n'a pas abouti à
l'abandon de l'un pour l'autre. Au contraire les deux en ressortent grandis, et
nous avons donc pu à cette occasion affiner notre compréhension
du réel. Nous pouvons en effet nous estimer mieux armés pour
analyser le contenu de la physique quantique concernant la
réalité empirique, ainsi que celui d'autres domaines
scientifiques. De même, le cadre de la connaissance structurelle et
métaphysique, qui nous est accessible concernant la
réalité indépendante et que fixe déjà le
système leibnizien, a pu être davantage perfectionnée.
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