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Leibniz et la physique quantique

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par Mathieu Néhémie
Université de Clermont-Ferrand - Master 1 de Philosophie 2006
  

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3.4.3. Le passage au macroscopique

Le monde quantique comme intermédiaire

Les substances composées tirant leur réalité de celui qui les observe, il peut être admis qu'une telle substance soit définie comme un corps à une échelle, composée d'agrégats non corpusculaires à une autre et en dernière analyse être constituée d'une infinité de substances simples. A ce titre il est envisageable de considérer la physique quantique comme portant, non pas sur le monde des corps ni sur celui des âmes, mais sur un niveau intermédiaire de réalité. La réalité indépendante correspond au niveau de réalité des substances simples ; et les objets du monde quantique, parce qu'ils sont malgré tout des agrégats, appartiennent à la réalité empirique au même titre que les corps macroscopiques. On peut cependant considérer que la réalité empirique à l'échelle quantique nous donne davantage d'indices structurels concernant la réalité fondamentale que le monde des corps macroscopiques.

Parmi ces indices on trouve l'abandon du concept de corps matériel. Si celui-ci peut encore être utilisé pour le monde quantique avec un très lourd coût épistémologique, il ne revêt plus la même évidence qu'en ce qui concerne l'expérience quotidienne à l'échelle humaine. Introduire des entités plus fondamentales est une concession inévitable que doit faire toute reformulation de la théorie quantique maintenant des particules matérielles bien constituées. Quelque soit la manière dont on puisse tourner le formalisme quantique, il semble que celui-ci suggère inévitablement qu'à une éventuelle échelle inférieure le concept de corps matériel devrait être rendu complètement caduque. Il s'agit alors d'une conséquence qui rejoint bien ce qu'une théorie de la substance comme celle de Leibniz peut établir concernant la réalité indépendante, à savoir l'absence de données corpusculaires et matérielles en ce qui la concerne.

L'espace tridimensionnel classique du monde des corps doit également être abandonné pour le monde quantique, au profit d'un espace abstrait multidimensionnel. Cela peut être vu comme un indice de l'abandon radical du paradigme spatial que l'on peut envisager pour la réalité indépendante. Nous avons vu que d'Espagnat tient cela pour une conclusion, certes spéculative mais fort convaincante, que l'on peut directement tirer du formalisme quantique. C'est également, comme nous avons tenté de le dégager, une conséquence logique de la théorie leibnizienne de la substance. Même un espace multidimensionnel ne peut être admis concernant la réalité indépendante car l'espace de Hilbert, qui sert de cadre à la description d'un système microscopique, possède un nombre de dimensions égal à celui des observables que l'on choisit de considérer. Ainsi l'espace de Hilbert ne peut satisfaire à une objectivité forte.

Parce que les particules de la physique quantique ne peuvent être considérées comme fondamentales et que ce sont certaines d'entres elles qui correspondent aux phénomènes électromagnétiques, la physique quantique semble également nous indiquer l'abandon d'un paradigme énergétique pour la réalité indépendante. De même le mouvement ne semble porter que sur la réalité empirique car, en ce qui concerne le monde quantique, il est en général impossible de trouver une véritable trajectoire pour une particule. Aussi, l'abandon de l'espace signifie inévitablement celui du mouvement, et cela peut être vu comme un bon indice de l'échec total de tout modèle mécaniste en ce qui concerne les substances simples.

En constituant une perception plus distincte et donc plus parfaite, la théorie quantique peut être considérée comme plus proche du réel que la physique classique ou le sens commun. En toute rigueur elle ne nous fournit pourtant pas de connaissances sur la réalité indépendante, et cela rejoint la vision que d'Espagnat a du formalisme quantique comme une description appropriée de la réalité empirique. De même, certains des principes de la physique quantique, comme le maintien de certaines notions corpusculaires, d'une conception encore trop mécaniste de l'action et d'un paradigme géométrique, restent inappropriés pour décrire les substances simples et relèvent donc d'une certaine confusion et imperfection. D'une manière analogue à la hiérarchie des êtres de Leibniz, on peut échelonner les différentes perceptions dont est capable une monade selon leurs degrés de distinction. Une perception infiniment distincte correspond à une connaissance parfaite des substances individuelles et de leur contenu, et elle est uniquement accessible à un être infiniment parfait. Le niveau de distinction apporté par la physique quantique est alors situé entre cette perception infiniment parfaite et le niveau usuel de confusion qui est celui de l'existence humaine en général et de sa conception physicaliste classique. Il demeure que la perfection dont est susceptible le point de vu de la physique quantique reste infiniment éloigné de la perception la plus distincte qui soit. A partir de cette échelonnement, nous pouvons donc imaginer une infinité de points de vu intermédiaires plus distincts que la théorie quantique. On peut supposer autant d'hétérogénéité entre ces points de vu, que nous en avons constater entre la microphysique et le sens commun. Autrement dit il est tout a fait envisageable que la science, en explorant plus profondément encore les détails de la réalité, construise des théories très différentes de la physique quantique, encore plus éloignées de notre expérience du macroscopique et fournissant davantage d'indices

sur la réalité indépendante.

Physique et métaphysique

Traiter ainsi la physique quantique comme portant sur un niveau de réalité intermédiaire entre le monde des corps et celui des âmes nous amène à poser la question des rapports de la métaphysique et de la physique. Leibniz attribue leurs rôles de manière assez simple et schématique, la considération des simples revient à la métaphysique tandis que celle des composés est laissée à une physique pure. Cependant, dans l'échelonnement des perceptions que nous venons de proposer, une connaissance de la réalité indépendante, et donc des substances simples qui la peuplent, a été considérée comme accessible uniquement à un esprit infiniment parfait. Se pose alors la question du statut de la théorie de la substance de Leibniz comme celui de la théorie de l'information que nous avons proposée. La différence qui sépare la connaissance métaphysique que Leibniz nous juge accessible et une perception infiniment distincte de la réalité indépendante est celle qui existe entre une théorie qui définie les propriétés générales des monades et de leur interaction et une parfaite connaissance du contenu de toutes ces monades. On retrouve donc ici la distinction qui sépare les vérités nécessaires des vérités de fait. Et cette différence est véritablement qualitative car les premières se fondent expressément sur le principe de contradiction tandis que les secondes demande le principe de raison suffisante. Les connaissances qui correspondent à une théorie de la substance sont du type de celles accessibles en logique et en mathématiques ; elles sont dérivées, non pas des perceptions irrémédiablement confuses que nous avons des autres substances, mais de la connaissance de nous même, en cela que nous sommes une âme et qu'il est par conséquent possible de dériver les propriétés de la monade de cette connaissance. Au contraire, pour atteindre une parfaite connaissance de fait de toutes les substances, il faudrait être un sujet qui n'est que des perceptions distinctes de toute chose, ce que nous ne sommes pas.

En d'autres termes, la théorie de la substance n'est pas à une position précise de cette échelle des perceptions, comme toutes les vérités logiques et mathématiques, les propriétés de l'âme sont dérivées de la structure nos perceptions, aussi confuses soient-elles. Bien que Leibniz ne juge les vérités nécessaires accessibles qu'aux seules monades ayant le niveau de distinction humain, comme nous le montre les Méditations métaphysiques de Descartes, même d'une perception complètement illusoire et erronée de la réalité, je peux déduire la vérité éternelle qu'est l'unité de mon âme. Et Leibniz estime toutes les propriétés de l'âme déductibles de cette manière. Une théorie de la substance mérite alors bien le terme de métaphysique car, excepté la mienne, ce n'est pas sur les existences qu'elle porte mais, comme toutes les vérités nécessaires, sur les possibles. Au contraire les sciences physiques, à l'instar de la physique quantique, recherchent des vérités de fait et portent donc sur les existences. A ce compte la physique doit composer avec les perceptions, empruntes inévitablement d'un certain degré de confusion, que nous pouvons avoir des autres substances. C'est sur ce point que peut s'observer une progression, suscitée par l'appétition dont fait preuve toute monade, vers une perception plus distincte, suivant la hiérarchie précédemment définie. La physique quantique constitue alors une connaissance de fait qui possède un certain degré de distinction à une certaine échelle, mais, en dernière instance, porte de manière infiniment confuse sur les substances simples.

Accessoirement cela nous amène à nuancer une antinomie classique et particulièrement répandue parmi les scientifiques, celle de l'empirique et du métaphysique. Elle semble pourtant justifiée par le fait que la métaphysique, dans le système de Leibniz, en étudiant la structure du possible, s'oppose à une méthode empirique consistant à ne prendre en considération que les seules existences. Cependant un tel raisonnement fait abstraction de l'existence que prend en considération le métaphysicien, à savoir sa propre conscience réflexive. L'expérience psychique personnelle, parce que siège de la subjectivité, est éjectée de la plupart des discours scientifiques ; même une théorie à objectivité faible se doit d'éviter un tel particularisme et rechercher ce qui est commun à toute subjectivité. Mais il s'agit tout de même d'une expérience réelle et, comme Descartes l'a montré, il s'agit de la plus irréfutable de toute. Notre propos n'est pas de rendre accessible aux assertions métaphysiques le type de preuves empiriques dont est capable la physique ; parce que ne portant pas sur des existences extérieures, cette possibilité leur est fermée. De plus, la physique ne pourra jamais atteindre empiriquement l'objet du métaphysicien, à savoir la substance simple. Il s'agit plutôt de montrer que la métaphysique ne porte pas sur de la pure virtualité et qu'elle ne doit pas être éjectée a priori de toute entreprise de compréhension rationnelle du monde. Seule notre expérience psychique personnelle peut nous faire connaître la perception et l'appétition, qui sont des notions essentielles pour le système de Leibniz mais également pour de nombreuses sciences empiriques comme la biologie ou la psychologie.

Finalement, bien qu'employant des modes différents et que l'imperfection intrinsèque de toute créature le masque souvent, c'est bien toujours la même réalité qui est étudiée. Comme la métaphysique traite de ce que pense Dieu, c'est-à-dire les possibles, et la physique de son choix, autrement dit les existences, si chacun se borne à la place qui est la sienne, une fructueuse complémentarité peut être envisagée. La physique ne pouvant pas atteindre le degré de distinction nécessaire pour se prononcer sur les existences fondamentales, c'est à la métaphysique de définir ce qu'il est possible à leur propos. Aussi, puisque statuant sur les seuls possibles, la métaphysique n'est pas en mesure de déterminer lesquels existent parmi ceux-là (excepté bien ma propre existence que je peux affirmer avec certitude), cela incombe à la physique, quoiqu'elle ne puisse déterminer les existences que dans le strict cadre de la réalité empirique. Une fois les rôles attribués, la physique est alors en mesure de suppléer à la métaphysique en lui fournissant d'éventuels contre-exemples, tandis que cette dernière est susceptible de fixer un cadre axiomatique à la physique comme le font en général la logique et les mathématiques.

A partir de là nous pouvons constater que la physique quantique, pas plus que la physique classique, ne fournit de données qui entrent en contradiction avec le système leibnizien. Pourtant, certains systèmes concurrents, comme les plus matérialistes ou ceux qui substantifient l'espace, peuvent voir comme un contre-exemple la théorie quantique. D'un autre côté on peut remarquer que c'est lorsque ses partis pris ontologiques ne dépassent pas ce que fixe un système métaphysique comme celui de Leibniz, que la physique quantique se montre la plus efficace. A ce sujet on peut prendre pour exemples les modèles à variables supplémentaires, qui peinent à décrire le monde quantique en maintenant des notions déjà expulsées par la théorie de la substance.

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