1.2. Les règles du journalisme proactif
1.2.1. Traitement médiatique
En temps de guerre ou de paix, les journalistes sont les
premiers à propager les informations. Or, les médias, mêmes
publics, répondent tous à un besoin économique qui les
pousse parfois à brûler les étapes. La collecte, le
traitement et la diffusion de l'information doivent être rapides pour que
le média reste compétitif. Ce qui engendre parfois des
manquements : l'information n'est pas toujours recoupée,
vérifiée, le discours officiel est trop souvent repris tel quel
dans les colonnes des journaux et les conflits sont présentés de
manière simplifiés par manque de connaissance de leurs causes
profondes.
Robert Karl Manoff, directeur du Center for
War, Peace, and News Media à l'Université de New York,
énonce une série de rôles que peuvent jouer les
journalistes dans la résolution et la prévention des conflits.
Parfois ils remplissent ces fonctions dans le cadre de leurs devoirs
journalistiques, pour des raisons purement professionnelles et devraient
dès lors prendre conscience de l'impact de leur travail dans la
prévention de conflits meurtriers et l'orienter sciemment dans ce but.
Parmi ces rôles traditionnels, Manoff cite l'éducation ou la mise
en contact et en confiance des différents protagonistes du conflit. Ces
rôles dérivent en réalité d'une seule attitude :
l'analyse en profondeur du conflit, en expliquant les
intérêts sous-jacents de chaque acteur du conflit, l'historique
(éventuellement en remontant à des dizaines de
générations en arrière), une explication des moeurs et
traditions de chaque partie en cause, permettant dès lors d'humaniser
les ennemis et de permettre une compréhension plus grande des
motivations des
protagonistes1. Afin d'y arriver, Lynch
et Mc Goldrick ont élaboré une liste
des << choses à ne pas faire >>, destinée
à tout journaliste adepte du << proactivisme >>2
:
· Eviter de réduire le conflit à deux
côtés qui s'opposent, avec comme conclusion logique, un futur
gagnant et futur perdant. Alternative : éclater les deux
acteurs en leurs différentes composantes, en expliquant leurs
revendications, leurs nécessités, ce qui permettra de
créer une plus grande dynamique dans la recherche de solutions.
· Eviter de réduire le conflit à
l'espace-temps des violences. Ne pas confondre conflit et violences.
Alternative : mettre en évidence les liens et
conséquences avec d'autres personnes dans d'autres endroits ainsi que
les répercussions dans le futur (quelles conclusions vont tirer les
récepteurs de médias ? Ces conclusions vont-elles influencer les
attitudes des protagonistes, en cas de conflit futur ?)
· Eviter d'évaluer les mérites d'une
action/politique de violence uniquement par rapports à ses effets
visibles. Alternative : montrer la face invisible de cette violence :
les risques, à long terme, de dommages psychologiques ;
éventuellement la possibilité accrue de voir les victimes
d'aujourd'hui reproduire demain des actes violents.
· Eviter de laisser les protagonistes se définir
par les déclarations de leurs chefs quant à leurs demandes, leurs
réclamations. Alternative : faire une enquête plus
profonde sur la manière dont les personnes de terrain sont
affectées dans leur vie quotidienne. Que veulent-ils voir changer ? La
position clamée par leur leader est-elle l'unique manière
d'accomplir cet objectif ?
· Eviter de mettre en évidence continuellement ce
qui divise les parties, les différences entre ce qu'elles
déclarent vouloir. Alternative : poser les questions
susceptibles de dévoiler des zones communes entre les parties, faire
ressortir les réponses suggérant que certains objectifs sont
compatibles, voire partagés.
· Eviter de couvrir uniquement les actes de violence,
décrivant dès lors l' << horreur >>. Si l'on exclu
tout le reste, on suggère que l'unique explication de la violence
réside dans des violences antérieures (revanche) ; et le seul
remède semble être plus de violence (punition). Alternative
: expliquer cette violence en montrant combien les protagonistes ont
été bloqués/frustrés/privés dans leur vie de
tous les jours.
· Eviter de blâmer quelqu'un d'<< avoir
commencé >>. Alternative : essayer de discerner de quelle
manière les problèmes partagés conduisent à des
conséquences qu'aucune des parties n'avait désirées.
1 MANOFF R. K., Potential Media Roles in the prevention and
management of conflict, 2000, disponible sur
http://www.cyc-net.org/today2000/today001127.html
2 Cette liste est tirée des << 17 conseils pour
réaliser un journalisme de paix >> de LYNCH et Mc GOLDRICK, loc.
cit. Remarque : les propos ont été traduits de l'anglais par
l'auteur.
· Eviter de saluer la signature d'accords par des
dirigeants, qui semblent montrer la victoire militaire ou le cessez-le-feu,
comme seule solution vers la paix. Alternative : continuer à
parler des autres obstacles à la sortie de crise, susceptibles de
conduire à de nouvelles violences dans le futur. Se poser la question de
savoir ce qui est fait sur le terrain pour renforcer les moyens de
résoudre le conflit de manière pacifique, de répondre aux
besoins structurels de la société et de créer une culture
de paix.
· Eviter de toujours se concentrer sur les souffrances et
les peurs du même côté. Alternative
: considérer comme digne d'intérêt les peurs et les
souffrances de tous les protagonistes.
· Eviter de présenter des opinions comme s'il
s'agissait de faits (ex : Eurico Guterres, tenu responsable d'un massacre au
Timor Oriental...). Si quelqu'un fait une déclaration, préciser
son nom, de sorte que ces propos soient perçus comme un avis externe et
non comme le fait du journaliste (Eurico Guterres, accusé par un
officiel de l'ONU d'avoir ordonné un massacre au Timor Oriental...).
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