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Théorie de la Reconstruction Rationnelle. Programmes de Recherche et Continuité en sciences

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par Julien NTENDO BIASALAMBELE SJ
Faculté de Philosophie St Pierre Canisius, KInshasa - Licence en philosophie 2007
  

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II.2.2.3. Bachelard : l'expérience comme réalisation du mathématique

Illuminé par la relativité einsteinienne, Bachelard démontre la complexité du réel contre la simplicité des lois où l'enferme Newton, mais il insiste aussi sur le fait que la pratique scientifique s'est métamorphosée : elle recourt de plus en plus aux mathématiques pour décrire le réel physique. Seules les mathématiques peuvent aider à rendre compte de sa complexité.

Bien que différente de la logique de la découverte scientifique défendue par Popper et soutenue par Lakatos, la psychologie de l'esprit scientifique de Gaston Bachelard présente des points de similitude. D'après Bachelard, le monde de la science ne connaît ni un rationalisme, ni un réalisme purs. Mais que l'ambiguïté de la science réside dans le fait qu'elle s'interprète à la fois dans ces deux langages, réaliste et rationaliste136(*). Là résiderait le dualisme de toute l'activité scientifique qui vacille constamment entre le rationnel et le réel, entre le théorique et l'expérimental.

Dès lors, cette base de la science suppose un mixage du rationnel et de l'expérimental dans la mesure où l'expérience nécessite le raisonnement, et vice-versa. La science devient alors une explication et opère une synthèse du rationalisme et du réalisme. Ainsi, précise Bachelard :

« le sens du vecteur épistémologique nous paraît bien plus net. Il va sûrement du rationnel au réel et non point, à l'inverse de la réalité au général comme le professaient tous les philosophes depuis Aristote jusqu'à Bacon. Autrement dit, l'application de la pensée scientifique nous paraît essentiellement réalisante. Nous essaierons donc de montrer ce que nous appellerons la réalisation du rationnel ou plus généralement la réalisation du mathématique »137(*).

Avant de prolonger notre réflexion, il convient de s'interroger sur ce qui fait la spécificité des mathématiques. Nous ne voulons pas ressusciter la querelle sur "l'exactitude" qui fonde le dogmatisme mathématique. Nous savons déjà avec Imre Lakatos que la méthode heuristique est la mieux indiquée pour rendre compte de la logique de la découverte mathématique. Elle nous permet de comprendre le schéma mathématique sous la formule poppérienne de conjectures et réfutation. La richesse d'une telle méthode réside d'abord dans le fait qu'elle ramène les axiomes dans l'histoire de leur adoption, une histoire teinte de querelles, de contradictions, de contre-exemples, ou monstres, jusqu'à leur l'adoption provisoire. Les axiomes sont adoptés provisoirement parce qu'ils ne sont pas de vérités révélées. A un moment de l'histoire, la communauté peut toujours éveiller les monstres cachés et remettre en cause la vérité d'un axiome déjà admis. Cette entreprise a ensuite le mérite de traiter des mathématiques comme toute autre activité humaine et, comme le dit Lakatos, les descendre du sanctuaire où les hissent les dogmatiques d'inspiration euclidienne et platonicienne138(*).

Bachelard situe la spécificité des mathématiques dans leur caractère formel139(*) : elles sont une organisation formelle de schèmes favorisant l'abstraction ; et aussi dans le fait que « toute idée pure est doublée d'une application psychologique, d'un exemple qui fait office de réalité »140(*) . Bachelard insiste que le travail du mathématicien provient de l'extension d'une connaissance prise sur le réel et que, dans les mathématiques même, la réalité se manifeste dans sa fonction essentielle, celle de faire penser141(*).

Dès lors, l'avènement du mathématique dans les sciences expérimentales fait de l'activité scientifique une réalisation du rationnel, c'est-à-dire du mathématique dans l'expérience physique. Cette réalisation correspond à un réalisme technique que Bachelard définit en ces termes :

« il s'agit d'un réalisme de seconde position, d'un réalisme en réaction contre la réalité usuelle, en polémique contre l'immédiat, d'un réalisme fait de raison réalisée, de raison expérimentée. Le réel qui lui correspond n'est pas rejeté dans le domaine de la chose en soi inconnaissable. Il a une tout autre richesse nouménale. Alors que la chose en soi est un noumène par exclusion des valeurs phénoménales, il nous semble bien que le réel scientifique est fait d'une contexture nouménale propre à indiquer les axes de l'expérimentation. L'expérience scientifique est ainsi une raison confirmée » 142(*).

 

A notre avis, Lakatos ne contredirait pas le point de vue de Bachelard qui, en définissant l'expérimentation comme une confirmation de la raison, affirme que, par l'entremise des mathématiques, s'opère une entrée du nouménal dans le phénomène ; c'est-à-dire du normatif dans l'expérience, du mathématique dans l'empirie. Car en réalité, la nécessité de l'expérience est déjà saisie dans la théorie avant d'être découverte dans l'expérience. Lakatos renchérirait ce point de vue en ajoutant qu'au niveau même de la théorie, l'heuristique positive prévoit ce qu'il y aura comme anomalie et la manière de prédire les inédits devant corroborer les hypothèses. Ainsi, le chercheur s'investit de la mission d'épurer le phénomène afin de dégager le noumène organique143(*).

  Hormis sa mission de construction de modèles orientant la recherche, l'heuristique positive d'un programme de recherche peut également recevoir la forme d'un principe métaphysique144(*). Dans le système newtonien, "Les planètes sont pour l'essentiel des toupies de forme grossièrement sphérique soumises à la gravitation". C'est un principe heuristique de type métaphysique. Ce principe, rapporte notre auteur, n'a jamais été soutenu de manière rigoureuse car les planètes sont à la fois soumises à la gravitation et comportent des propriétés électromagnétiques capables d'influencer leurs mouvements145(*).

L'heuristique positive est alors plus souple que l'heuristique négative. Lorsqu'un programme est en phase de dégénérescence, l'heuristique positive permet d'apporter le déplacement progressif créateur au moyen d'une petite révolution de modèles mis en jeu. Quel rapport l'heuristique positive entretient-il avec les réfutations ou les vérifications?

* 136 BACHELARD, G., Le nouvel esprit scientifique, p. 7.

* 137 Idem, p. 8.

* 138 C'est là toute la problématique de Preuve et Réfutations d'Imre Lakatos. Celui-ci y distingue deux méthodologies propres aux mathématiques : la méthode déductive qui consiste à poser au fondement des maths des systèmes indiscutables, posés comme vrais et nécessaire pour l'établissement des preuves ou des démonstrations. Il ajoute que le dogmatisme mathématique qui identifie le concept de mathématique à ceux de vérité, d'exactitude et de pureté s'est fortement nourri de la méthode déductive. L'autre est la méthode heuristique du développement et de l'enseignement des mathématiques. Ce modèle situe les mathématiques dans le contexte culturel de leur développement et dégage l'histoire vraie du cheminement des théorèmes mathématiques avant leur adoption provisoire. Une telle manière de voir la logique de la découverte mathématique essaie de comprendre cette discipline comme une suite de constructions humaines dans lesquelles l'erreur, la contradiction, les déséquilibres sont des facteurs non négligeables de la croissance de la connaissance. (Cfr. LAKATOS, I., Preuves et réfutations. Essai sur la logique de la découverte mathématique, p. xvii). Plus précisément, Lakatos montre l'avantage à introduire des éléments heuristiques, méthodologiques dans le style mathématique. L'approche déductiviste se concentre sur le théorème qui n'est qu'un résultat final, il cache le contre-exemple global qui favorise la découverte du théorème dans sa version quasi-achevée et arrache la définition-éprouvette à sa preuve-mère pour la faire tomber du ciel de façon artificielle et autoritaire. Le modèle heuristique, lui, remet en valeur ces aspects. Il met en valeur ce que Lakatos appelle la situation-problème, c'est-à-dire la logique, l'histoire des contradictions qui ont conduit à la définition d'un concept. (Cfr. LAKATOS, I., op. cit., pp. 185-186).

* 139 Lakatos reproche à Popper et à Bachelard d'avoir renforcé le dogmatisme mathématique. L'histoire des mathématiques, rapporte Bachelard, est une merveille de régularité. Elle connaît des périodes d'arrêts. Elle ne connaît pas des périodes d'erreurs. Aucune des thèses défendues dans La formation de l'esprit scientifique ne vise donc la connaissance mathématique. Elles ne traitent que de la connaissance du monde scientifique. (BACHELARD, G., La formation de l'esprit scientifique, Paris, Vrin, 1977, p. 22, Voir aussi LAKATOS, I, Preuves et réfutations. Essai sur la Logique de la découverte mathématique, p. xiii.) Et notre auteur poursuit que Popper aussi situe les mathématiques hors de la portée de la critique du fait qu'elles sont infalsifiables. C'est ce que Popper affirme lorsqu'il écrit : "le problème de Fermat, comme les rapports sur les monstres de Lochness, est un exemple d'"assertion qui ne peut être soumise à des tests en raison de sa forme logique" (POPPER, K. R., Logique de la découverte scientifique, Paris, Payot, p. 99, in LAKATOS, I., Op. cit., p. xiii.) Il appert ainsi clairement que nos deux auteurs sont défenseurs du dogmatisme mathématique.

* 140 Idem, p. 8.

* 141 Idem, pp. 8-9.

* 142 Idem, p. 9.

* 143 Cfr. Idem, pp. 9-10.

* 144 Cfr. Lakatos, Histoire et méthodologie des sciences. Programmes de recherches et reconstruction rationnelle, p. 68.

* 145 Idem, pp. 68-69.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery