WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La gouvernance, Etat des lieux et controverses conceptuelles

( Télécharger le fichier original )
par Cheikh NDIAYE
Université du Littoral - Doctorat 2008
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

UNIVERSITÉ DU LITTORAL CÔTE D'OPALE

Lab.RII Laboratoire de Recherche sur l'Industrie et l'Innovation

CAHIERS DU LAB.RII

- DOCUMENTS DE TRAVAIL -
N°174 Février 2008

LA GOUVERNANCE

ETAT DES LIEUX ET
CONTROVERSES
CONCEPTUELLES

Cheikh NDIAYE

LA GOUVERNANCE
ETAT DES LIEUX ET CONTROVERSES CONCEPTUELLES

GOVERNANCE
STATE OF THE ART AND CONCEPTUAL CONTREVERSES

Cheikh NDIAYE

Résumé

- La diversité des connotations attachées à la notion (ou aux notions) de gouvernance ne pouvait manquer de susciter l'appétit des chercheurs désireux de renouveler leurs outils d'analyse face à un monde en mutation accélérée (mondialisation, déréglementation, rapports entre puissances, décentralisation, ...). La gouvernance est une notion qui a pris en deux décennies une importance considérable et fait florès dans les discours politiques et scientifiques. Ce document fait l'état des lieux sur les différentes approches et théories faites de ce concept, sous ses multiples domaines et disciplines d'application et depuis divers lieux. Si la notion de gouvernance prouve d'indéniables qualités stratégiques et politiques, son usage sans précaution dans l'analyse scientifique peut se révéler périlleux.

Mots-clés : Gouvernance, Pays en voie de développement, Société civile, Démocratie

Abstract

- For several years, Governance has become a concept arousing the interest of economists and of the political community. Since twenty years, it has taken a major importance and it is at the center of political and scientific speeches. In a changing world, researchers have to renew their analysis tools on this topic (globalization, deregulation, decentralization, etc). This document focuses on the approaches and theories of governence. The concept of governance presents strategic and political qualities, but its use without precaution in the scientific analysis may be perilous.

Keywords: Governance, developing countries, civil society, democracy

(c) Laboratoire de Recherche sur l'Industrie et l'Innovation
Université du Littoral Côte d'Opale, février 2008

LA GOUVERNANCE
ETAT DES LIEUX ET CONTROVERSES CONCEPTUELLES

GOVERNANCE
STATE OF THE ART AND CONCEPTUAL CONTREVERSES

Cheikh NDIAYE
TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION 4

1. ORIGINES ET ETYMOLOGIE DE LA GOUVERNANCE 6

1.1. Etymologie évolution du terme 6

1.2. La gouvernance actuelle 7

2. LA GOUVERNANCE, DES GENESES CONCEPTUELLES MULTIPLES 9

2.1. La gouvernance en économie et en géographie 9

2. 2. La gouvernance en sciences politiques 10

3. LA GOUVERNANCE REVISITEE PAR LES DISCIPLINES 11

3.1. Gouvernance appliquée à l'Environnement 11

3.1.1. La gouvernance démocratique pour faire face aux enjeux de l'environnement 12

3.1.2. Une gouvernance à quatre dimensions 12

3.2. La Gouvernance Urbaine 14

3.3. La Bonne Gouvernance 17

4. LES APPROCHES THEORIQUES DE LA GOUVERNANCE 21

5. QUELQUES CRITIQUES DE LA GOUVERNANCE 24

5.1. Imperfections de la dimension normative et prescriptive de la gouvernance 25

5.2. La gouvernance entre innovations et inadaptations 32

CONCLUSION 36

BIBLIOGRAPHIE 38

INTRODUCTION

Face à l'évolution et la transformation des rapports sociaux de production, la lutte des classes, l'avènement de la démocratie et de la République, les rapports entre gouvernants et gouvernés, ont largement évolué consacrant aujourd'hui, non pas seulement la légitimité des gouvernants, mais également la montée en puissance d'une société civile jouant de plus en plus le rôle de contre-pouvoir, d'un secteur privé toujours plus dynamique et puissant dans le jeu des rapports économiques, politiques et sociaux. De ce fait, le terme de gouvernance s'est imposé en quelques décennies aux sphères de nos sociétés actuelles que se soient celles du Nord ou du Sud. Dès lors, la diversité des connotations attachées à la notion (ou aux notions) de gouvernance ne pouvait manquer de susciter l'appétit des chercheurs en sciences humaines et sociales désireux de renouveler leurs outils d'analyse face à une réalité socioéconomique en mutation accélérée (décentralisation, mondialisation, délocalisation...) en faisant florès dans les discours politiques et scientifiques.

Conçue comme un mode de gestion du pouvoir, elle renvoie, ainsi qu'il apparaît, à une acception spécifique des relations entre gouvernants et gouvernés ; donc à l'organisation de l'Etat, de la société et de l'économie. Cependant, la problématique de la gouvernance ainsi que son évaluation pose en tout premier lieu l'exigence d'une définition heuristique du concept lui-même. Il convient à cet effet de relever que le terme gouvernance est relativement récent, même si la réalité qu'il désigne est aussi ancienne que les modes d'organisation et de gestion du pouvoir et des sociétés humaines.

Le présent document essaie de faire une présentation sommaire de l'état de la réflexion sur le concept de la gouvernance. Il s'agit donc pour nous, d'un exposé non «de» la gouvernance mais «sur» la gouvernance, en partant d'une esquisse des lieux les plus communs autour de cette notion. Cinq caractéristiques nous permettent de faire un bref état des lieux de la question et constitueront le fil conducteur de notre argumentation. Signalons tout de suite que plusieurs termes prêtent à confusion et tendent à se confondre: gouvernement, gouvernance, gouvernabilité, voire, la gouvernementalité de Michel Foucault.

Comme première caractéristique, nous avons donc une tendance à assimiler la gouvernementalité ou capacité de gouverner, le mode particulier d'exercer le gouvernement, la gouvernance, et l'ensemble du pouvoir exécutif ou gouvernement, qui ne donne que des indications partielles sur la manière dont la sphère politique est régulée. Nous y reviendrons plus en détails dans les paragraphes suivants. Deuxième trait, la gouvernance est aujourd'hui souvent présentée comme une gestion apolitique de la chose publique, une privatisation de la politique, dans laquelle les citoyens sont remplacés par des acteurs économiques, de la société civile, et, en définitive, comme une alternative à la démocratie représentative, s'inspirant de la logique du marché. Or, en même temps, le terme s'est révélé attrayant parce qu'il ouvre la possibilité aux mouvements sociaux et aux autres acteurs de la société civile de participer à des processus de prises de décision, aux côtés de l'Etat, des élus et des autres acteurs économiques.

En troisième lieu, deux dimensions difficilement joignables ont en général traversé les analyses sur la gouvernance, qu'elles soient de caractère académique ou officiel: l'analytique et la normative. Ainsi, elles tentent de répondre simultanément à des questionnements divers: Comment réguler le pouvoir à la fois aux niveaux local et transnational? Comment se présente le système mondial? Et, enfin : Comment sa nouvelle structure devrait-elle se mettre en place? Mais nous n'aborderons pas tous ces points dans ce document.

Quatrièmement, la notion peut répondre, par son potentiel multidimensionnel, aux exigences de plusieurs champs de l'application et de la connaissance:

- Politique ; c'est le champ d'appartenance essentiel de la gouvernance, comprenant en même temps les relations de pouvoir et les procédures gouvernementales.

- Scientifique (particulièrement des sciences sociales et politiques), face au besoin d'analyse des nouveaux phénomènes, dont la mondialisation et la globalisation.

- Économique ; d'une part, l'influence des pouvoirs privés et la globalisation financière appellent une autre orientation et d'autres méthodes de coopération, d'où les versants fonctionnalistes de la notion. D'autre part, le libéralisme économique s'est doté de principes politiques au début des années 1990 qui ont été exprimés dans ledit «Consensus de Washington» et qui, comme on le verra, donneront lieu à l'une des formulations devenues les plus célèbres de notre thème : celle de la bonne gouvernance.

- Coopération pour le développement ; sous le vocable gouvernance, certaines organisations internationales tentent de résoudre la crise de légitimité qu'elles traversent, tout en essayant d'accompagner, par un « mode raisonné» disent-elles, les applications des plans d'ajustement structurel (PAS) dans les pays pauvres.

- Social ; en réponse à la crise de la démocratie représentative et face à la capacité des acteurs à intervenir dans les prises de décision1.

Cinquième caractéristique: la gouvernance a une origine bien localisée dans les sociétés occidentales des pays riches. Elle se situe d'abord dans le «Nord studieux», où les universitaires américains et anglo-saxons ont le plus réfléchi à la question. La gouvernance a démarré en effet, dans les pays industrialisés où le mode de gouvernement traditionnel connaît des problèmes de gouvernabilité, nécessitant des procédures de négociations et de décisions participatives et contractuelles2 ; et que l'Etat solide souvent providence, ne suffit plus ou en est pleine transformation face aux défis actuels3. Enfin, et compte tenu de ces traits, le terme paraît obéir à une réelle nécessité, car il peut remplir des espaces vides relevant des cinq dimensions citées plus haut. Finalement, devant la caducité du système de coopération internationale instauré à Bretton Woods (qui peut être vécu tantôt comme un échec, tantôt comme un réajustement nécessaire, selon les points de vue), la gouvernance pourrait aider à reformuler le multilatéralisme.

La question qui demeure est de savoir si la théorie de la gouvernance (TG) pourra donner satisfaction à ces questionnements appartenant à diverses instances de l'action et de la conception (les dimensions stratégique et scientifique de la gouvernance). Les diverses dimensions du terme lui fournissent un flou commode du point de vue analytique. En général, on observe un développement de la TG qui penche vers l'obéissance à une approche fonctionnelle, mettant l'accent décidément sur les défis pratiques de l'action publique et formulant la réponse du pragmatisme gestionnaire aux inquiétudes fondamentales de l'espace public. On peut d'ores et déjà noter quelques caractéristiques générales constituantes pour une définition de la gouvernance. Il s'agit d'un terme souple, dynamique et interdisciplinaire4. Il est plus large que celui de gouvernement, qu'il ne remplace pas, mais complète.

1 Cette dimension a gagné de l'importance depuis la montée en puissance du mouvement mondial de contestation, à partir de deux dates symboliques: la victoire des ONG internationales face aux laboratoires pharmaceutiques en République d'Afrique du Sud en 1997, et la Conférence de l'OMC à Seattle en décembre 1999.

2 Où des acteurs économiques et sociaux jouent un rôle plus important que dans d'autres pays, aux côtés des acteurs politiques et administratifs.

3 La théorie de la gouvernance vise à prendre en compte la multiplicité des centres de pouvoir dans les Etats modernes, sous les effets notamment des décentralisations.

Contrairement au second, qui suppose l'unité du centre de pouvoir, le premier n'a pas affaire avec les structures spécifiques ou avec une «institutionnalité », mais avec une série de processus, procédures et pratiques liés à la distribution du pouvoir entre de multiples acteurs et organismes qui doivent décider en commun, comme le fonctionnement d'une entreprise, le processus de décision d'une municipalité (gouvernance urbaine ou locale) ou d'un Etat, le fonctionnement du système international (gouvernance transnationale ou globale) ou encore les relations entre acteurs d'un même niveau et de niveaux différents. Passons donc en revue les principales origines et conditions d'émergence de la gouvernance, sa plasticité au sein des disciplines avant d'insister sur ses velléités et innovations.

1. ORIGINES ET ETYMOLOGIE DE LA GOUVERNANCE

1.1. Etymologie évolution du terme

Tout d'abord, ce mot n'est pas nouveau, le Robert indique qu'il s'agissait anciennement des bailliages de l'Artois et de la Flandre et que, dans son acceptation moderne, la gouvernance désigne, au Sénégal, l'ensemble des services administratifs d'une Région et l'édifice où ils se trouvent. Pour le Webster's New Universal Dictionnary, il s'agit à la fois de «la forme du régime politique»; «du processus par lequel l'autorité est exercée dans la gestion des ressources économiques ou sociales »; ou « de la capacité des gouvernements à concevoir, formuler et mettre en oeuvre des politiques et, en général à assumer leurs fonctions gouvernementales4 ».

Historiquement, la gouvernance est un mot français. C'est un terme médiéval, dont la première occurrence semble remonter au XIIe siècle avec un sens technique : la gouvernance désignait la direction des bailliages. A partir du XIIIe siècle, le sens retenu est plus large, et renvoie au fait de gouverner. La métaphore qui sous-tend les termes de gouvernance comme de gouvernement est celle du gouvernail d'un navire ; ils réfèrent tous deux à « l'action de piloter quelque chose ». Au Moyen-Age, les frontières linguistiques de l'Europe étaient poreuses : l'Angleterre adapte alors le terme français à l'anglais, et governance est ainsi utilisé outre Manche pour caractériser le mode d'organisation du pouvoir féodal. On retrouvait alors ce terme sous la plume de John Fortescue un légiste anglais qui publia en 1471 «The Governance of England» (Marcou et al., 1997).

La réflexion conceptuelle sur le pouvoir, entamée avec l'émergence de l'Etat moderne à partir du XVIe siècle, distingue de plus en plus les notions de gouvernance et gouvernement. La gouvernance est reléguée au second plan, tandis que s'élabore, notamment chez Machiavel et chez Jean Bodin, la conception d'un Etat monopolisant l'intégralité d'un pouvoir exercé sur une population circonscrite à un territoire donné. Progressivement, la notion de gouvernement décrit ce pouvoir stato-national et hiérarchisé, cet Etat qui se pense et se veut comme une totalité. La gouvernance est marginalisée, et le terme n'est plus guère employé que pour décrire la science du gouvernement - c'est-à-dire la façon de prendre en charge adéquatement la chose publique «indépendamment » de la question du pouvoir. Deux paradigmes fondamentaux du débat contemporain de la gouvernance se posent alors avec cette distinction entre pouvoir, politique, et modes d'organisation sociale. Celui de la fin de l'Histoire qui, de Hegel à Fukuyama, rêve d'une humanité sortie de ses conflits et qui, apaisée, développerait un autre mode d'organisation et d'administration des sociétés humaines. Et celui du « bon gouvernement », qui plonge ses racines dans la grande rupture de la modernité à la fin du

4 Webster's New Dictionnary; London, Dorset and Barber, 1979.

Moyen-Age. Libéré de l'emprise du sacré (de l'église), le pouvoir a désormais comme objectif l'amélioration de la condition humaine. Dès lors, quel est le meilleur pouvoir possible ? Deux ordres de réponses ont été apportés à cette question : une réponse démocratique qui, de Hobbes à Rousseau, fonde le pouvoir sur un contrat social librement consenti par les peuples et une réponse technocratique, particulièrement illustrée par le SaintSimonisme, selon laquelle le bon gouvernement est exercé par ceux qui en ont la connaissance.

1.2. La gouvernance actuelle

La réfection des rapports entre les différents acteurs s'est imposée au sein de l'Etat ou des entreprises suite aux crises de l'Etat moderne et à la fin de la bipolarisation du monde symbolisé par la chute du mur de Berlin. Sans qu'elle soit l'oeuvre d'un tel théoricien ou d'une telle école particulière, la notion de gouvernance réapparaît à l'intérieur d'un courant de pensée hétéroclite au début des années 1990. Elle entend redéfinir les processus classiques de prise de décision en tenant compte de la multipolarité naissante au sein d'un monde en pleine transformation. Cette nouvelle approche qui se fonde sur le partenariat, la pluralité d'acteurs et de pouvoirs multi centrés, rejette l'analyse classique des rapports de pouvoirs conçus sur le mode de la verticalité entre des autorités ordonnancées de manière hiérarchique et les autres acteurs de la vie en société. Elle met en avant plutôt l'analyse en réseaux, au sein desquels une pluralité d'acteurs échangent et interagissent sur le mode de coopération ou de la concurrence. Ainsi, une nouvelle forme procédurale s'impose aux prises de décision mais aussi à l'action publique. Il devenait donc nécessaire de repenser la manière de gouverner et le rapport entre l'Etat et la société5.

La résurgence du concept de gouvernance sur la scène internationale sera le fait de la Banque Mondiale (BM) au tournant des années 1990. Pour la BM, dont la stratégie des années 1980 de libéralisation des pays placés sous ajustements structurels ne procurait que des résultats très mitigés sur le plan économique, mais, par contre, commençait à susciter de plus en plus de critiques de la part des populations et des organisations non gouvernementales (ONG), la notion de gouvernance est apparue comme le moyen de redonner de la légitimité à ses interventions6. La Banque Mondiale parle ainsi, dès 1989, de ?Good governance?. Quand on utilise le mot ?gouvernance?, on ne se réfère donc certainement pas aux définitions très larges données par le Webster's Dictionnary mais plus probablement à cette définition beaucoup plus explicite, malgré les apparences, donnée par la Commission BRANDT sur la «Gouvernance globale», et reprise, ensuite, par Eric BAIL au nom de la Commission Européenne : «La somme des voies et moyens à travers lesquels les individus et les institutions, publiques ou privées, gèrent leurs affaires communes. Il s'agit d'un processus continu grâce auquel les divers intérêts en conflit peuvent être arbitrés et une action coopérative menée à bien. Ceci inclut les institutions formelles et les régimes chargés de

5 La gouvernance favorise ainsi les interactions Etat- société, en offrant un mode de coordination horizontal entre partenaires intéressés par l'enjeu- autorité publique, entreprises, groupes de pressions, experts, mouvements de citoyens, associations de consommateurs- pour rendre l'action publique plus efficace. Elle privilégie l'élaboration non hiérarchisées des politiques publiques, par rapport à la prise de décision verticale, imposée par le haut, propre au gouvernement traditionnel.

6 Bonnie CAMPBELL Gouvernance : un concept apolitique ? Conférence prononcée lors du séminaire d'été du Haut Conseil de la Coopération Internationale, Dourdan le 29 août 2000. Le rapport complet est disponible sur le site du Centre des Etudes Internationales et Mondialisation, de l'Université du Québec à Montréal, http://www.ceim.uqam.ca/textes/gouvernancehcci.htm

mettre en application les décisions, ainsi que les arrangements que les gens ou les institutions ont acceptés ou perçoivent comme étant dans leur intérêt 7 ».

Ce qui est intéressant dans cette définition c'est l'idée de processus interactif : une succession d'étapes à travers lesquelles des acteurs nombreux n'ayant pas les mêmes intérêts et agissant à différentes échelles, mais faisant face à un même problème, vont progressivement construire une représentation commune de cette réalité. Ils vont lui donner un sens, se fixer des objectifs, adopter des solutions puis les mettre en oeuvre collectivement sans que rien - ni cette représentation, ni ces objectifs, ni ce sens, ni cette interaction- ne soit déterminé à l'avance8. La BM, en axant sa propre conception de la gouvernance, ou de la bonne gouvernance, sur l'efficacité, la responsabilisation, la participation et la transparence, cultive ce que Bonnie Campbell appelle « un managérialisme populiste » qui s'articule autour d'une approche technique de la chose publique, et une réduction de l'Etat à la seule fonction de garant d'un régime de droits permettent le plein épanouissement du marché et le respect de la propriété privée.

À partir de 1995, d'autres agences internationales et onusiennes (CNUCED, UNESCO, OCDE, OMC, FMI etc.) vont progressivement recourir elles aussi à ce concept de gouvernance. Pour ces organisations internationales qui souffrent de déficit démocratique, souvent taxées de technocratiques, la gouvernance apparaît comme une source nouvelle de légitimité. Essentiellement pragmatique, le concept de gouvernance renvoie ainsi finalement à une boite à outils? une liste impressionnante et extensible de recettes managériales ou d'instruments supposés apporter des réponses appropriées à la crise des politiques démocratiques traditionnelles, centrées sur l'autorité de l'Etat (tableau 1 page 13). C'est en cela que la théorie des sites symboliques peut apporter d'une rationalité de la gouvernance pragmatique avec la boîte noire qui constituerait le système de gouvernance, la boîte conceptuelle le modèle et la boîte à outils les moyens et instruments9.

L'histoire à succès de ce mot - qui comme on l'a dit ne peut se comprendre qu'en référence au contexte actuel - s'explique sans doute ainsi par le sentiment - on pourrait presque parler de croyance mythique - que nous avons maintenant à notre disposition «une boite de pandore politique», comprenant toutes les formules nécessaires et suffisantes pour permettre de surmonter les contradictions de l'action collective. Un catalogue d'outils «universels» capables de répondre à toutes les situations, même les plus complexes, sans aucune vision idéologique du «bon gouvernement», si ce n'est une vision plutôt abstraite de la démocratie, conçue comme une interaction ouverte et pluraliste entre acteurs. Cependant, c'est cette vision neutre, optimiste, managériale de l'action collective qui est selon Theys, mise fortement en doute par les deux autres termes de «gouvernabilité» et de «gouvernementalité». Cette controverse sur la neutralité sera développée dans les développements suivants.

7 Christophe BAIL, "Environmental Governance: Reducing risks in democratic societies". Introduction paper, EEC, Future Studies Unit, 1996.

8 Pierre CALAME, «Des procédures de gouvernement au processus de gouvernance». Séminaire d'ODENSE, 11 octobre 1996, Commission Economique européenne.

9 Voir l'introduction à la théorie des sites symboliques in Critique de la raison économique de Serge Latouche, Fouad Nohra et Hassan Zaoual, coll. L'Harmattan 1999. Nous allons également nous appuyer sur les paradigmes de la sitologie pour faire un essai de conceptualisation de la « gouvernance située».

2. LA GOUVERNANCE, DES GENESES CONCEPTUELLES MULTIPLES

L'économie et la gestion, la géographie, la science politique et la sociologie représentent les principales matrices disciplinaires de la notion de la gouvernance. La rigueur des définitions initiales n'a néanmoins pas résisté à l'hybridation.

2.1. La gouvernance en économie et en géographie

La gouvernance, comme gestion des transactions d'entreprises : telle est la vision de la nouvelle économie institutionnelle. Deux économistes américains, Coase, prix Nobel en 1991, et Williamson, ont mis en évidence ce que l'on appelle les coûts de transaction. Nous appuyons notre argumentation sur la lignée de pensée de ces deux auteurs. En réalité, l'entreprise est quelque chose d'aberrant par rapport à la vision de l'économie néo-classique où le marché règne en maître. L'entreprise est une boîte noire : comme il n'y a pas, en son sein, de transactions marchandes, l'économie ne sait rien en dire. Pourtant les acteurs économiques, salariés, chefs d'entreprises, s'y échangent des compétences, de l'argent... : ils « rentrent en transaction ». Ces transactions ont évidemment un coût, comme les coûts de transport, les coûts d'information : demander des devis, passer un contrat..., toutes ces démarches demandent du temps et de l'argent. Toute une série de transactions sont ainsi nécessaires au fonctionnement de l'économie. Elles peuvent s'effectuer de différentes manières, « du marché à la hiérarchie », pour reprendre les termes du titre d'un ouvrage de Williamson.

-La transaction par le marché, c'est la place du marché où tout se négocie à tout moment.

-La hiérarchie, c'est le chef qui donne des ordres à ses subordonnés. C'est une transaction, qui a un coût, parce qu'il a fallu embaucher, élaborer un contrat, des règlements, un travail de coordination.

Entre ces modèles extrêmes, qui n'existent pas sous une forme pure et parfaite, il y a toute une série de modalités intermédiaires de coordination que l'on appelle modalités de coordination en réseau, qui comprennent un peu de marché, un peu de contrat, un peu de hiérarchie, mais aussi de l'informel. Ce sont ces modalités intermédiaires de coordination, que nos auteurs appellent « dispositifs de gouvernance », donc des dispositifs de coordination qui vont au-delà des pures relations marchandes ou hiérarchiques.

Selon le paradigme de «Coase-Williamson-Scott», les firmes arbitrent entre les coûts d'organisation et les coûts de transaction entre entreprises, car contrairement au postulat des économistes néoclassiques, les coûts de transactions (rechercher de l'information, donner un ordre, passer une commande, rédiger un contrat..) ne sont pas nuls. Dès lors, dans son acceptation large, la gouvernance fait référence aux diverses institutions (structures et procédures) susceptibles de prendre en charge ces transactions. Dans un sens plus restrictif, la gouvernance se rapporte aux seules transactions de l'entreprise et désigne des relations de pouvoir et de coordination plutôt non marchandes, formes hybrides empruntant au rapport hiérarchique comme à la relation partenariale. A ce niveau, nous pouvons reprendre l'exemple du quartier de Sentier à Paris qui est souvent cité par les spécialistes du développement local, où une multitude de petites entreprises travaillent dans la confection. Selon les années, l'une ou l'autre devient leader et sous-traite une partie de sa production aux autres. Ce fonctionnement fait jouer le marché, bien sûr, et un peu la hiérarchie, mais il faut surtout jouer la connivence, la stratégie10...

10 Voir à ce sujet les travaux du laboratoire RII ULCO sur « le milieu innovant » notamment sur la proximité organisationnelle (Uzunidis D.).

Par ailleurs, la notion de gouvernance a suscité l'intérêt de la géographie économique, en particulier des spécialistes des districts industriels et autres systèmes de productions localisés. En référence aux problématiques de développement local, la gouvernance désigne alors les modes de régulation de la sphère économique mettant en jeu la spatialité des dispositifs organisationnels, les proximités entre les acteurs et, partant, les institutions et procédures locales. Cependant, face aux défis du développement territorial, de nombreuses recherches ont démontré le caractère désuet et inadapté des options de régulations cloisonnées. C'est dans cette perspective que s'inscrivent certains travaux du laboratoire RII pour appréhender la gouvernance territoriale comme étant l'alchimie à trouver ou du moins à comprendre pour la conduite des organisations et systèmes de plus en plus complexifiés vers un ou des objectifs bien identifiés11.

2. 2. La gouvernance en sciences politiques

Chez les politologues ou politistes, le mot gouvernance est d'origine anglaise. L'Angleterre était la patrie du gouvernement local, avec des institutions locales fortes, disposant d'un véritable pouvoir de régulation et d'orientation de l'action publique. L'ère thatchérienne a modifié la donne de façon paradoxale : l'Etat a cherché d'un côté à introduire plus fortement les mécanismes du marché, et d'un autre côté à centraliser et récupérer une bonne partie des prérogatives des institutions locales. Les politistes ont alors commencé à parler de gouvernance, car le pouvoir local ne se résumait plus aux institutions locales. La notion de gouvernance rend compte de ces mutations dans l'exercice du gouvernement local ; le pouvoir local se fragmente et se dilue au sein d'agences de régulation, d'organismes privés.

C'est dès les années 60 que les tenants américains du «Public Choice» introduisent la gouvernance dans les débats sur les réformes institutionnelles des métropoles. Il y est déjà question de pouvoir polycentrique, de fragmentation politico-administrative, de coopération entre acteurs privés et publics. Plus tard, d'autres auteurs mettront l'accent sur certains aspects spécifiques de l'action publique locale, se servant de la gouvernance pour les formaliser : partenariats et coalitions entre acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux, participation des citoyens, etc. Par ailleurs, le glissement de l'économique vers le politique a été également opéré par la Banque Mondiale, pour qui la gouvernance est « la manière dont le pouvoir est exercé dans la gestion des ressources économiques et sociales dans un pays en voie de développement » (Osmont, 1998). La bonne gouvernance constituant pour les experts de la Banque Mondiale le cadre politico-institutionnel adéquat aux politiques d'ajustement structurel qui ont marqué les pays africains notamment le Sénégal dans les années 70-80.

Michael Bratton et Donald Rothchild nous rappellent l'historique du concept en Afrique. Le concept de gouvernance s'est récemment frayé un chemin dans le lexique de la politique comparée en empruntant un itinéraire inattendu. Pour eux « ce sont les praticiens des organisations de développement international qui l'ont adopté les premiers ; ils lui donnaient au début le sens limité de fonctionnement efficace d'un gouvernement. Après l'indépendance politique, les dirigeants africains se sont tournés vers les organisations d'aide et de prêt, afin d'obtenir quelque assistance pour la création d'organismes de gouvernement et pour la formation de fonctionnaires habilités à faire appliquer les décisions politiques. A l'époque, dans les années 1960, ce mode d'activité d'aide portait de préférence le nom de création des institutions - on ne parlait pas encore de gouvernance -, nom qui finit par disparaître du vocabulaire de l'aide, à mesure que les pays récipiendaires commençaient à se suffire à eux- mêmes et que leur personnel qualifié devenait opérationnel. Dans les années 1980,

11 Voir également le document de travail n° 144 du Lab.RII

cependant, en particulier par rapport à l'Afrique, governance connut un regain de faveur sous l'autorité morale de la Banque mondiale, en tant qu'initiative de «développement» institutionnel «des capacités», sous le nom de governance for development » (1989, p 60). Il ne sera donc sans surprise que la notion de gouvernance soit accaparée par certaines disciplines où les outils et les processus de l'action collective ne sont plus efficaces face au contexte actuel de déréglementation.

3. LA GOUVERNANCE REVISITEE PAR LES DISCIPLINES

3.1. Gouvernance appliquée à l'Environnement

L'environnement a, depuis plusieurs décennies et aujourd'hui encore, servi de «laboratoire» où s'inventent de nouvelles formes de gouvernance: procédures démocratiques de consultation, formes flexibles de coordination, modes de gestion décentralisés, utilisation du contrat, de la médiation ou des incitations économiques, gouvernement par l'information et les principes, etc. Ceci témoigné par les efforts de modernisation de l'action publique: Agendas 21, études d'impact, accords volontaires, marchés de droits à polluer, conférences de consensus, principe de précaution, normes ou conventions négociées, etc. C'est en fait dans les années 90 qu'on note un tournant important de cette mouvance dans un contexte marqué par la globalisation, l'émergence des grandes régions économiques comme l'Europe, et l'influence croissante des idées libérales dans la conception et la mise en oeuvre des politiques de l'environnement. Au moins trois raisons convergentes expliquent cet essor tout particulier des nouvelles formes de gouvernance dans le champ de l'environnement :

- d'abord par la nature même des problèmes concernés: problèmes d'externalité, de gestion de risques ou d'utilisation des ressources communes, allant du niveau local au niveau planétaire. Par définition, ces problèmes sont complexes, conflictuels, controversés, et leur solution passe par la mobilisation d'acteurs nombreux, interagissant à de multiples échelles; des acteurs dont les territoires ne correspondent généralement pas aux territoires institutionnels classiques, et qu'il faut convaincre;

- par ailleurs l'environnement est lui-même porteur de valeurs favorables à la démocratie, à la décentralisation, à la transparence et donc à des formes d'action publique qui accordent une large place à la société civile;

- il est clair, enfin, que les nouvelles formes de gouvernance ont aussi été pour les politiques de l'environnement, un moyen de surmonter leurs faiblesses ou leur déficit de légitimité, et en particulier de réagir aux critiques d'inefficacité ou d'autoritarisme auxquelles elles ont été confrontées dès l'origine (Theys 2002).

Cependant, il ne faut pas perdre de vue que cette volonté d'innovation coexiste avec le souci quasi obsessionnel de renforcer les modes d'intervention traditionnels de l'Etat - de type «command and control»- pour reprendre les propos de Theys ; s'il faut accorder à l'environnement un rôle «d'avant garde» dans la modernisation des formes de gouvernance. On est encore en effet dans une phase où il s'agit prioritairement pour les responsables de l'environnement, de fonder et construire une politique sectorielle bien identifiée, avec des moyens d'autorité classique (réglementation, dispositifs de contrôle, ressources budgétaires), et des instruments de coercition suffisants pour obtenir des résultats tangibles à courte échéance. Autrement dit, la nécessité d'innover coexiste avec la volonté de trouver une place légitime parmi les politiques traditionnelles de l'Etat et donc, de se couler dans le «moule» des politiques classiques d'interventions, de réglementation et de sanction.

De ce fait, cette coexistence historique entre deux priorités différentes, entre deux stratégies d'action publique, alimente naturellement beaucoup de controverses. D'un côté, on accuse les politiques réglementaires traditionnelles d'être archaïques, inefficaces, inapplicables. De l'autre, on considère que les nouvelles formes de gouvernance ne sont qu'une façon naïve d'évacuer la réalité des conflits et des jeux de puissance, et que sous couvert d'ouverture démocratique elles ne font que renforcer les intérêts dominants et institutionnaliser les corporatismes. Au-delà, ce sont deux conceptions de la démocratie qui s'affrontent avec un défi commun: comment organiser la confrontation des opinions et des intérêts sur des questions essentiellement médiatisées par la science, qui transcendent les frontières institutionnelles, et concernent des générations ou des éléments de la nature qui n'ont pas accès au vote? (ibid 2005)

3.1.1. La gouvernance démocratique pour faire face aux enjeux de l'environnement

Toutes les réticences que l'on peut raisonnablement avoir vis à vis d'un discours beaucoup trop «irénique» sur la gouvernance n'enlèvent rien à la réalité du constat qui introduisait ce paragraphe: les politiques de l'environnement ont été, surtout à partir des années 90, un remarquable laboratoire pour des formes nouvelles de gouvernance. Et celles-ci ont incontestablement constitué des avancées significatives dans le fonctionnement démocratique partout où elles ont été développées ; en ouvrant à un nombre croissant d'acteurs l'opportunité d'intervenir dans la conception et la mise en oeuvre de solutions collectives à des problèmes de mieux en mieux perçus comme communs.

Les années 90 marquent une étape décisive dans la gouvernance environnementale. En effet, il devînt évident que tout progrès supplémentaire dans la politique de l'environnement dépendait désormais de la capacité à mobiliser la société toute entière - en commençant par les entreprises, les consommateurs et les habitants. «L'intégration», «l'internalisation», «la responsabilisation», «la participation» devinrent de nouveaux slogans largement répandus. Parallèlement aussi, le processus conjoint de globalisation, de décentralisation et de constitution de grandes «régions économiques» (CEE, ALENA...) conduisit progressivement à un encadrement sensible des Etats-Nations, désormais contraints de négocier ou de s'ajuster avec une pluralité diffuse d'acteurs influents intervenant à toutes les échelles, du global au local. Dès lors, un consensus très large se forma sur la nécessité de faire évoluer la politiques de l'environnement du curatif au préventif (puis à la précaution); de l'injonction à la participation; de la centralisation à la décentralisation; de l'orientation par l'Etat à une orientation par le marché; de l'excès de réglementation à une action essentiellement incitative, créant les conditions favorables à un changement dans les comportements des producteurs ou des consommateurs... et ceci, dans un contexte d'incertitude scientifique et de complexité croissante

3.1.2. Une gouvernance à quatre dimensions

Abordées dans leurs généralités, toutes ces transformations de l'action publique façonnent aujourd'hui un «paysage» apparemment très sophistiqué de la «bonne gouvernance»; un enchevêtrement très complexe de principes, d'instruments, d'institutions et de procédures dont on discerne mal, au premier abord, la cohérence. En réalité, au-delà de cette apparente confusion, on constate que ce concept commun de «gouvernance environnementale» recouvre quatre approches ou quatre réalités assez différentes que Jacques Theys illustre très bien (Tableau 1) :

- une volonté de relégitimation et de modernisation de l'action publique qui passe d'abord par plus de transparence;

- des formes originales et multiples de coordination non hiérarchiques (et de tranversalisation) des actions collectives;

- une transition vers des formes plus ouvertes de rationalité (réflexive, procédurale...);

- et enfin, un certain transfert de pouvoirs vers la société civile, les collectivités décentralisées ou des institutions autonomes (nationales ou internationales).

1. La première approche est très classique, met en avant la rationalisation, crédibilisation, et modernisation de l'action publique: c'est rendre les administrations «comptables» de leur action («accountability»), donner plus d'indépendance à l'expertise (création d'autorités indépendantes...), réduire la bureaucratie, développer la transparence et l'accès à l'information, favoriser la participation aux décisions... L'objectif qui est de reconstruire une certaine confiance envers les institutions, n'est naturellement pas spécifique à l'environnement: mais c'est, à l'évidence un domaine où les problèmes de crédibilité, de transparence et de légitimité se posent avec une acuité particulière, compte tenu de l'importance des conflits et des incertitudes qui s'y manifestent.

2. Dans une seconde approche de la «bonne gouvernance», c'est plus fondamentalement le principe même de mandat d'autorité ou d'autorité hiérarchique qui est remis en cause ; à la fois pour des raisons d'efficacité mais aussi du rôle de fait joué par une multiplicité d'institutions ou d'acteurs à toutes les échelles. L'éclatement des enjeux et des pouvoirs impliqués dans les problématiques écologiques impose des mécanismes de coordination non hiérarchiques de plus en plus raffinés : procédures de négociation, système de partenariat et de contrats, conventions internationales, instruments de médiation, mécanismes de marché (marché de droit à polluer...), accords de subsidiarité... qui sont pour beaucoup de praticiens, au centre de la notion de gouvernance.

3. C'est sans doute dans une troisième approche qu'il faut chercher ce qui fait véritablement l'originalité de la gouvernance environnementale. De manière plus ambitieuse que la précédente cette troisième approche vise, finalement, à élargir les représentations traditionnelles de la rationalité; à dépasser les cadres trop étroits de la rationalité instrumentale à court terme. Concrètement cela s'est traduit, en particulier dans la période récente, par une capacité à «inventer» puis à diffuser de nouveaux principes d'action: principe pollueur payeur, principe de précaution, développement durable ... . Mais aussi par une extension considérable du champ de la réflexivité dans la prise de décision (études d'impact, calcul économique, outils de «reporting», évaluation des risques, etc.). L'intérêt de ces principes est naturellement qu'ils peuvent s'accommoder de formes très souples de relations entre acteurs, ou même d'absence de relations.

4. Ce serait pourtant manquer l'essentiel que de réduire la «bonne gouvernance» à cet effort ambitieux pour fonder sur des bases rationnelles plus larges, une nouvelle action collective. L'essentiel en effet, dans la «bonne gouvernance», c'est une redistribution des pouvoirs et des rôles entre l'Etat, les autres institutions locales ou internationales, le marché et la société civile. D'un mode de gouvernement où l'Etat, centralisant les responsabilités, déterminait seul l'action des autres acteurs, on passe à un mode de gouvernement où tous les acteurs concernés exercent collectivement cette responsabilité.

Tableau 1: Les quatre dimensions de la gouvernance environnementale

I) MODERNISER L'ACTION

II) DEVELOPPER DES MECANISMES

PUBLIQUE, EN ACCROITRE LA

NON AUTORITAIRES DE

LEGITIMITE ET LA CREDIBILITE

COORDINATION ET DE REGULATION

 

DE L'ACTION COLLECTIVE

(Gérer la confiance et l'acceptabilité)

(Gérer la pluralité et la mobilisation)

· Réforme du secteur public

· Extension du contrat

· Transparence

· Partenariat public-privé

· Evaluation, contrôle, «accountability»

· Incitations économiques (permis négociables,

· Autorités indépendantes

taxes) - compensations

· Séparation régulateur / opérateur

· Accords volontaires

· Consultations et débats publics -

· Conventions et protocoles flexibles («accords

démocratisations des procédures

cadres»)

· Mise en oeuvre plus efficace

· Politiques constitutives

(«enforcement»)

· Autorités régulatrices

 

· Mécanismes de médiation

 

· Intégration et transversalisation

 

· Mise en oeuvre négociée

 

· Réseaux informels

III) ETENDRE LA RATIONALITE

IV) CHANGER DE POUVOIR

REFLEXIVE OU PROCEDURALE

 

(Gérer l'incertitude et la complexité)

(Gérer les rapports de force)

· Principe de précaution

· Transferts de souveraineté (aux institutions

· Développement durable

supranationales)

· Evaluation des risques, études d'impact, réflexivité

· Décentralisation

· Subsidiarité active

· Calcul économique et réformes

· Droits de propriété

comptables

· Normalisation volontaire (exigences

· Accès à l'information, transparence, traçabilité, indicateurs, audits...

essentielles, autocertifiction)

· Délégation au secteur privé ou aux O.N.G

· Conférences de consensus

· «Autogestion» des biens publics par des

· Pluralité de l'expertise, autorités

communautés d'usagers

indépendantes

· Institutions de mutualisation (agences de l'eau)

· Science «post normale»

 

· Déontologie et comités d'éthique

 
 

Jacques Theys 2002

3.2. La Gouvernance Urbaine

En matière urbaine, beaucoup de chemins ont été parcourus depuis le « bon gouvernement des
villes » tel qu'il pouvait exister au Moyen Age en Europe12. Aujourd'hui, trois facteurs

12 Comme vous pouvez le constater, j'ai délibérément occulté de mes diagnostics, le gouvernement des villes en Afrique subsaharienne, qui ne répond pas aux mêmes règles de gouvernance de celles des pays du Nord. La réalité des villes africaines est tellement composite qu'elle échappe aux indicateurs standards d'analyse.

essentiels sont à considérer avec attention : l'assise territoriale du pouvoir local, sa forme institutionnelle et les mécanismes mêmes du gouvernement des villes. L'extension progressive des agglomérations conduit nécessairement à la coexistence au sein de chacune d'elle d'un nombre élevé de pouvoirs locaux juxtaposés. Détenant une compétence générale mais limitée à une portion du territoire urbain, ces collectivités locales sont incapables d'avoir une vue d'ensemble des différentes problématiques auxquelles elles sont confrontées, et leur pouvoir s'en trouve considérablement amoindri. Deuxièmement, du fait de la sédimentation des différentes strates de la puissance publique, plusieurs pouvoirs publics superposés interviennent, plus ou moins directement, sur les villes au côté des collectivités locales. Ces autorités supra-locales développent des approches verticales, des programmes sectoriels, etc. Par conséquent, à l'émiettement géographique des pouvoirs locaux s'ajoute la parcellisation fonctionnelle des pouvoirs supra-locaux. Enfin, et c'est le troisième point, nous assistons dans le domaine des politiques urbaines à l'émergence d'une pluralité d'acteurs socioéconomiques, dont les territoires d'intervention ne coïncident pas forcément avec l'espace du pouvoir local. Les hommes et les organismes implantés dans une agglomération donnée sont de plus en plus souvent connectés à de multiples réseaux (matériels ou non), qui font que ces acteurs sont parfois plus proches d'autres acteurs situés dans des territoires très éloignés que de leur environnement immédiat. Ainsi, sauf à faire l'autruche, force est de constater que les évolutions urbaines sont aujourd'hui le fruit des interactions, d'une pluralité d'acteurs qui ne sont pas tous publics, et que les périmètres à considérer sont variables et dépendent de la nature des problèmes à traiter. Il n'y a pas d'échelle territoriale optimale en soi, c'est la fin du mythe du territoire pertinent.

Passer de l'action publique classique (combinant la légitimité démocratique et l'efficacité managériale) à la gouvernance urbaine proprement dite, cela consiste donc à adopter des modalités d'action et de prise de décision plus partenariales, plus interactives et plus flexibles. Cela consiste à privilégier la logique de l'innovation sur celle de la rationalisation, en cherchant à promouvoir des processus d'action qui sont avant tout des processus d'interpellation réciproque des différents acteurs locaux. La gouvernance urbaine n'est pas autre chose à mes yeux que la capacité à mettre en oeuvre des partenariats efficaces entre les différents acteurs, c'est-à-dire la capacité à relier les principaux acteurs autour du niveau de décision politique, en définissant un cadre qui donne du sens à l'action urbaine (Ndiaye C 2005, p 29). Il faut que cette action soit suffisamment mobilisatrice pour entraîner les parties concernées, et suffisamment lisible pour être comprise par tous les citadins et produire de ce fait du lien social. C'est d'ailleurs bien le rôle des pouvoirs publics de donner du sens à une action quelle qu'elle soit, dans les deux acceptions du mot sens : une direction et une signification. Tout cela est certes plus facile à dire qu'à faire. Mais il existe des voies et des moyens pour y parvenir. Nous signalerons simplement les démarches contractuelles, qui se prêtent parfaitement bien à cette mise en musique de la gouvernance urbaine.

J.M Offner nous rapporte l'introduction de P. Duran dans un numéro de Politique et Management Public consacré à la gouvernance : « marquée par les développements récents de l'analyse des politiques publiques et la théorie des organisations , et en rupture avec une approche classiquement institutionnelle de la politique, la gouvernance vise à rappeler dans un premier temps que l'action publique ne se réduit plus à l'action des seuls «gouvernements» dont l'étude ne peut plus désormais rendre compte de la complexité d'une activité qui transcende les barrières du privé et du public, traverse les nomenclatures politicoadministratives et mêle les différents niveaux d'interventions tant infra- que supranationaux. »13

13 Offner JM., «gouvernance, mode d'Emploi», pouvoirs locaux, n°42 III, 1999.

Autrement dit, l'expansion de fait du système politique à l'activité d'une multiplicité d'acteurs de statuts différents interdit de faire des institutions publiques de gouvernement les seuls dépositaires de l'action publique. Ainsi l'expression la plus communément utilisée de gouvernance urbaine vise à rendre compte d'un monde où la gestion publique ne s'arrête pas à l'action des seules autorités locales pour embrasser en fait l'action conjuguée d'acteurs tels qu'agences d'urbanisme, sociétés d'économie mixte, associations, chambres consulaires et d'autres acteurs publics ou privés se situant des niveaux nationaux ou supranationaux.

La gouvernance traduit aussi la réalité d'une action publique de plus en plus étroitement dépendante de la mobilisation d'acteurs privés comme du consentement des usagers, voire des citoyens. De même, l'évocation de la «gouvernance territoriale» a pour but de souligner la diversité, et l'hétérogénéité des territoires de l'action publique en l'absence de recouvrement des territoires institutionnels et des territoires de gestion. (Ndiaye C op cit p 30). En effet, la transformation des territoires marque des régularités où l'on retrouve des processus d'élaboration de la commande publique innovants, des mobilisations puissantes d'acteurs politiques, privés et publics, de techniciens, ainsi qu'un perfectionnement des systèmes de production.

Par ailleurs, Offner propose une définition plus détaillée du concept de gouvernance. Pour lui : « La gouvernance est la capacité à produire des décisions cohérentes, à développer des politiques effectives par la coordination entre acteurs publics et non gouvernementaux, dans un univers fragmenté ». En effet, la gouvernance est nécessairement « une capacité », c'est à dire une compétence que l'on essaie d'acquérir :

« une capacité à produire », il ne s'agit pas seulement de contrôler, de réglementer...

« ... à produire des décisions » : c'est à dire rompre avec l'ordre établi. Il s'agit d'aller à l'encontre des routines, et non pas de gérer le quotidien.

« ... des décisions cohérentes » : le mot cohérent est sans doute le plus employé dans le domaine du développement local, évidemment parce que c'est plutôt l'incohérence qui règne. Mais ce mot peut avoir des visées concurrentielles : par exemple, ceux qui s'occupent de la politique de la ville vont réclamer une cohérence par rapport au social, ceux de l'énergie vont s'attacher à la cohérence entre l'énergie et l'environnement, etc.

« ... capacité à développer des politiques effectives ». » Une politique » c'est justement quelque chose de cohérent. C'est un programme d'actions qui convergent vers un même objectif. On est en droit de se poser la question «est ce vraiment une politique de...» ?

« ...des politiques effectives » ce mot a l'intérêt de diviser en deux la notion d'efficacité entre la notion d'efficience (qui a à avoir avec la productivité), et celle d'effectivité (la réussite des mesures mises en place).

« ...par la coordination » : un mot qui peut recouvrir bien des choses ! L'un des principaux objectifs des sciences sociales est justement de comprendre les mécanismes de coordination. « ...entre acteurs publics et non gouvernementaux ». on parle de coordination intergouvernementale pour désigner des relations entre niveaux territoriaux différents, et de coordination entre acteurs publics et acteurs non gouvernementaux pour désigner ce que l'on met sous le terme générique de «PPP» ( Partenariat Public - Privé).

Ainsi, c'est dans cet univers multi-acteurs et multi-échelles, que coordination, co-production (les PPP), coalitions et contrats sont censés permettre une capacité d'action collective. De ce fait, efficacité, équité, durabilité du développement et citoyenneté se retrouvent au coeur des réflexions sur la recherche urbaine.

3.3. La Bonne Gouvernance

Les «prêcheurs» de la gouvernance sont principalement des experts de la Banque Mondiale et du FMI dont William J-C. Rejetant l'économisme qui les caractérisait auparavant et nouvellement conscients du poids du politique sur l'économique, le social et le développement des pays notamment des pays en voie de développement, ces experts trouvèrent dans «la gouvernance» une expression commode de parler «politique» alors qu'ils n'ont pas mandat explicite de le faire. La gouvernance est donc d'abord une manière de parler du politique sans le nommer en suggérant «...l'effort pour dégager un consensus ou obtenir le consentement nécessaire à l'exécution d'un programme dans une enceinte ou de nombreux intérêts divergents entrent en jeu» (de Alcantara C-H, 1998). En effet, dès 1989, la gouvernance retrouve des applications normatives spécifiques : la bonne gouvernance, devient l'étendard institutionnel de la Banque mondiale. Elle s'approprie certains éléments des approches que nous développerons plus loin, dont notamment ceux de la gouvernance corporative, qu'elle adapte aux nouvelles stratégies néolibérales de développement, en droite ligne des consignes dudit «Consensus de Washington».

Ces stratégies ont été proposées ou imposées aux pays africains, suite à une série de séminaires de réflexion sur la situation du continent14. La Banque mondiale a ainsi fait sa propre lecture des faits, constatant qu'aucun projet économique ne pouvait aboutir si les conditions minimales de «légitimité politique, d'ordre social et d'efficacité institutionnelle» n'étaient pas respectées. De son point de vue, les échecs des plans d'ajustement structurel (PAS) seraient liés à une mauvaise gouvernance régnant dans les pays pauvres, dont les administrations devraient se réformer pour mieux répondre aux exigences du nouveau «paradigme» rendu possible par les PAS. Ses principales dimensions sont la réduction des dépenses étatiques, la responsabilité du secteur public (accountability, essentiellement composée de la lutte contre la corruption) et la transparence fiscale et de l'information. Ses conditions les plus importantes sont la privatisation des services publics et des droits de propriété, et la bancability15.

Une abondante littérature a déjà été consacrée à cette approche du développement limitée à la gestion du secteur public ; mais retenons en rapport avec notre sujet trois caractéristiques:

- la bonne gouvernance se focalise sur les conditions favorisant la croissance économique, en vertu de cela, elle présuppose une orientation résolument néolibérale;

- issue d'un débat interne - à certaines organisations internationales - entre ceux qui revendiquent une intervention sur le politique et ceux qui s'y opposent, elle est un terme à haut potentiel de mystification, car il «parle du politique sans le dire»;

- elle est cantonnée à une rationalité technocratique des procédures.

Malgré l'aspect un peu «light» de ces caractéristiques, elles sont loin d'être imprécises dans la pensée de ses initiateurs. Il s'agit principalement de mesures politiques et administratives visant à accompagner les politiques d'ajustement structurel et les réductions drastiques des dépenses des Etats notamment sur le plan social. La bonne gouvernance vise également à créer un environnement favorable au développement du secteur privé. Telle est la dimension prescriptive de la gouvernance. Elle a également une dimension normative et analytique ;

14 Définition de la gouvernance selon la Banque mondiale: «The manner in which power is exercised in the management of a country 's economic and social resources for development. » World Bank, From Crisis to Sustainable Growth. Sub-Saharan Africa: A Long-term Perspective Study, 1989. Le célèbre rapport a été publié également en français (Banque mondiale 1989).

15 «Eligible aux règles de crédit».

c'est d'ailleurs cette pluridimensionnalité qui la rend ambiguë et complexe. Les deux premières sont les plus visibles. Elles indiquent ce qui est «bien» ou «mieux» à faire et comment il «faut le faire». C'est ce qu'on appelle la «bonne gouvernance». La troisième dimension est analytique, car elle constitue une nouvelle manière d'aborder le politique éloignée des perceptions classiques fortement centrées sur l'Etat et sur une vision «mythique» ou idéologique de cet Etat. Quoi qu'il en soit, la bonne gouvernance a été largement reprise par la coopération multilatérale et bilatérale, avec quelques variations. Elle n'est pas seulement devenue un modèle à usage des pays du Sud, mais est aussi appliquée dans certains pays de l'Union Européenne, notamment l'Angleterre. Dans ces cas, la gouvernance met en exergue le phénomène du transfert de compétences de la sphère de la gestion publique à celle de la science, entre leurs différents champs de production de connaissances et d'application de procédures. Dans ce sens, l'essor du terme est une autre manifestation des interdépendances croissantes entre décideurs politiques, bailleurs de fonds de la coopération internationale (y compris des ONG) et une recherche appliquée (publique et privée) menée sous les velléités de la commande. Outre le grand intérêt que représentent ces nouvelles passerelles entre « le savant et le politique », les risques d'instrumentalisation et de sollicitations des sciences sociales pour la légitimation de certaines politiques sont élevés, au détriment du renforcement critique et épistémologique nécessaire comme nous le verrons plus loin.

De plus, l'un des aspects de l'application de la «troisième voie « proposée par Giddens et mise en oeuvre par le gouvernement britannique à la fin des années 1990 est l'apparition de programmes de recherche, suscités par le gouvernement, sur le thème de la gouvernance, cela notamment à travers l 'Economic and Social Research Council et la London School of Economics. Dans cette lignée, l'application de la bonne gouvernance à partir de 1996 s'accompagne d'une sorte de «mission pédagogique» et de diffusion d'une référence partagée des connaissances parmi une partie de la communauté scientifique préoccupée par l'ingénierie socio-économique. Ainsi la BM met en oeuvre cette stratégie à travers le World Bank Institute et ses publications (Development Studies). Des banques régionales du système partagent cette démarche, ainsi que d'autres organisations comme l'OCDE, l'OMC, la CNUCED ou l'UNCHS. En tant que bailleurs de fonds pour la réalisation de recherches, d'études et d'actions de développement, ces institutions, avec des gouvernements et des fondations privées, déclarent prioritaire la mise en place d'une bonne gouvernance et déclenchent une mouvance suivie aussi par des ONG internationales et des grandes organisations humanitaires, voire des écoles nationales d'administration publique et des universités. De son côté, la méthode de la gouvernance locale ou urbaine est renforcée par des programmes internationaux sur le city management. Certains centres universitaires prennent le relais, comme le Canadian Urban Institute ou le Centre for Urban and Community Sudies de Toronto.

Quant à l'Union européenne, elle a publié en 2001 le «livre blanc sur la gouvernance européenne», qui revoit l'ensemble des règles, des procédures et des pratiques qui affectent la façon dont les pouvoirs sont exercés à l'échelle européenne (Commission des Communautés européennes 2001). Par ailleurs, en 2002 a été lancé le 6e Programme pluriannuel de recherche-développement (PCRD) dont l'un des thèmes prioritaires est bien la gouvernance. L'UE semble invoquer la gouvernance pour deux raisons: le besoin de comprendre sa propre structure institutionnelle, s'agissant d'une organisation sui generis, concentrant à la fois des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires, et le besoin de travailler dans les processus de régulation publique au niveau régional, originalité des approches classiques, basées sur le local et sur le global.

Ainsi donc, la bonne gouvernance intègre dans la perception des institutions internationales (B.M., PNUD...) et même pour les agences de coopération, des dimensions et des exigences particulières : démocratie locale, participation populaire à travers les associations et les ONG, transparence dans la gestion des budgets publics et lutte contre la corruption. A titre d'exemple, le traité de l'union Européenne lie étroitement la politique de coopération au « développement et à la consolidation de la démocratie et de l'Etat de droit ainsi qu'au respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales » (Article 130). En définitive le concept de gouvernance renvoie selon ses promoteurs à trois systèmes16

- Le système politico - administratif.

- Le système économique.

- La société civile.

Donc le développement économique et social ne peut se réaliser que grâce aux transformations de ces trois systèmes en vue d'une plus grande cohérence et d'une synergie dans le fonctionnement du système global. Les fondements conceptuels et opérationnels du « modèle de bonne gouvernance » se résumeraient finalement dans17 :

- La transparence dans la gestion des affaires publiques.

- La démocratisation et la participation de la société civile.

- La recherche systématique de l'amélioration de l'efficacité et l'efficience organisationnelle.

Cette approche de la gouvernance est largement inspirée, en fait, par les apports théoriques récents réalisés par le prix Nobel d'économie 1998 Amartya Sen pour lequel le progrès social et la démocratie sont des processus qui se renforcent mutuellement. Ce sont ces fondements théoriques mais aussi les réalités empiriques des expériences de développement qui ont fait incontestablement évoluer l'attitude des organisations financières internationales sur le rôle de l'Etat dans le développement économique. En pratique, la Banque mondiale définit assez étroitement la gouvernance comme le pouvoir au service du développement, « étant entendu ici comme le pouvoir politique de diriger les affaires d'une nation «. Pour les responsables de la Banque mondiale, «le comportement des élites politiques africaines, avides de s'enrichir, encouragées dans cette voie par le flux de l'aide étrangère, a miné l'efficacité de l'Etat «. L'analyse qu'ils proposent, souligne Lancaster, « reconnaît la nécessité de la suprématie du droit, de la liberté de la presse, du respect des droits de la personne et de l'action des citoyens au sein des associations qui agissent comme médiateurs entre l'Etat et la société. Mais les gouvernements membres de cette organisation internationale entravent les efforts des institutions financières et répugnent à souscrire à des projets qui visent explicitement le domaine politique. C'est pourquoi la Banque mondiale a préféré adopter une approche technocratique, qui oriente les réformes de gouvernance vers les encouragements à la croissance économique plutôt qu'à une politique favorable à la démocratie. A ce jour, son programme de gouvernance, encore peu étoffé, vise plutôt à réduire les dimensions de l'Etat, à privatiser les organisations paraétatiques et à améliorer l'administration des fonds d'aide» (Lancaster, 1990, p. 39).

Il s'agit en fait d'instaurer le modèle libéral de l'« Etat de droit» avec la primauté de la loi. Un des principaux piliers de la bonne gouvernance est, en effet, la réhabilitation et le rehaussement de ce qu'on appelle la société civile. L'Etat n'est plus considéré comme le seul acteur du développement ou même comme l'acteur principal. A ses côtés se trouvent le

16 B. JESSOL : « L'essor de la gouvernance et ses risques d'échec : le cas du développement économique » RISS, Mars 1998

17 HEWITT DE ALCANTARA:« Du bon usage du concept de gouvernance » RISS, Mars 1998

secteur privé et ce que les Anglo-saxons dénomment le tiers secteur correspondant en France au secteur à but non-lucratif (qui, lui, serait à cheval entre le «public» et le «privé»). Il s'agit des ONG, des associations sans but lucratif, des coopératives, des mutuelles, des syndicats et des organismes à base communautaire, des fondations, des clubs, etc. Ces derniers sont invités à prendre place dans l'oeuvre politique du développement au même titre que les pouvoirs publics et le monde des entreprises privées et des affaires. La gouvernance renvoie donc à l'ensemble de ces réformes qui visent principalement une nouvelle articulation entre l'Etat, la société et le marché. Celle-ci ne constitue pas un but en soi. Elle permet ou doit permettre le développement économique et social des sociétés sous l'égide de rapports partenariaux entre les pouvoirs publics, le monde des entreprises privées et le secteur sans but lucratif.

La recomposition du politique prônée par les tenants de la bonne gouvernance et qui concerne aussi bien les pays du Sud que les pays du Nord, est légitimée par un certain nombre de facteurs liés au phénomène de la mondialisation. Les transformations économiques et financières liées à un tel phénomène ont des répercussions politiques. En rendant obsolète la notion de marché intérieur captif et en mettant à l'épreuve le statut des monnaies nationales, elles ont des répercussions sur la marge de manoeuvre des Etats, sur la notion de solidarité nationale et enfin, et surtout, «ébranlent» le modèle politique de l'Etat-Nation, ses prérogatives classiques sur son territoire et plus généralement la souveraineté des Etats. Pour les concepteurs de la «bonne gouvernance» ces transformations loin d'être forcément négatives, pourraient permettre une communion de tous dans les mêmes valeurs autour des effets régulateurs du marché, de la démocratie et du peu d'Etat».

Telle que présentement formulées, la notion de «gouvernance» offre une image «lisse» qui ne peut que susciter l'adhésion de tous. Pour autant, il n'est pas possible de se suffire de cette première lecture ; il importe de résumer les principales critiques qui leur ont été portées, notamment en ce qui concerne les PVD. Très succinctement, ces critiques ont porté essentiellement18 :

- sur l'ethnocentrisme de cette notion et la faiblesse des catégories publiques qu'elle mobilise, parce qu'elle émane d'un contexte autrement plus différent que celui dont on voudrait la voir appliquée.

- sur les relations entre la gouvernance, la mondialisation, la démocratie et le développement. On considère dans cette optique que le phénomène de mondialisation accroît les dépendances des PVD et dissout les souverainetés économiques autant que politiques. Par ailleurs on estime que les capacités régulatrices et gestionnaires des ONG, sont très limitées...

Il est tout à fait remarquable de noter l'absence d'une ligne de force ou d'un consensus affirmé, pour un concept devenu pourtant stratégique dans les rapports Nord-Sud, et plus spécifiquement dans les relations entre les principales institutions financières internationales, les pays membres de l'OCDE d'une part, les pays en développement d'autre part. Les définitions varient d'une institution à une autre. Il est encore plus facile de relever que si le concept de gouvernance reste à spécifier, il en va de même de la notion de bonne gouvernance, dont les contours changent également d'une institution à l'autre. Mais il y a également lieu de relever l'absence d'instruments d'évaluation et de quantification de la gouvernance. On est donc placé ici dans une situation bien particulière, où la communauté internationale d'une seule voix use d'un concept, en fait un slogan, qu'elle transforme en conditionnalité d'aide au développement, sans avoir réglé les questions préalables et préjudicielles :

18 S.BEN NEFISSA : « ONG, gouvernance et développement dans le monde arabe» document de discussion n°46 MOST

- d'un consensus sur le contenu du concept ;

- d'une démarche scientifique d'évaluation et de quantification des dimensions du concept, toutes choses au demeurant si nécessaires à une démarche rationnelle, objective et équitable, surtout lorsqu'elles constituent une condition du soutien au développement humain et engagent par conséquent la vie et la survie de millions d'humains de notre planète.

C'est qu'en vérité, un tel «flou conceptuel» se révèle bien commode pour les institutions financières, car, en l'absence de standards, chacune fixera elle-même, au nom de la bonne gouvernance, ses exigences et ses conditions, appréciera les évolutions, pour décider sans rendre compte à quiconque des politiques et programmes, des réformes de structures et d'institutions que les pays en développement devront mettre en oeuvre. Ainsi, si la BM s'intéresse depuis les années 1980 à la gouvernance, comme nous l'avions déjà souligné, si le groupe de la Banque africaine de développement a fait de la bonne gouvernance le thème de son rapport annuel 2001, si le PNUD a consacré son rapport annuel 2002 à la gouvernance, si la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique a engagé un vaste programme d'évaluation de la gouvernance en Afrique depuis l'année 2001, l'absence de synergie intellectuelle, de réflexion commune et de débats interinstitutionnels et universitaires est à déplorer et conforte cette dispersion des tentatives théoriques de définition et surtout d'évaluation. Quelque soit la discipline investie par la gouvernance, elle découle principalement de deux approches théoriques celle dite anglo-saxonne et la source européenne.

4. LES APPROCHES THEORIQUES DE LA GOUVERNANCE

Principalement, les apports conceptuels et théoriques de la gouvernance moderne, découlent de deux sources : la gouvernance des institutions politiques complexes caractérisées par une multiplicité de paliers de gouvernement et de lieux de pouvoirs (Etats fédéraux décentralisés, l'Union Européenne...), et la gouvernance d'entreprise d'inspiration américaine. D'obédience européenne, la première source, permet de considérer les rapports entre divers partenaires publics et privés, évoluant à des échelles de pouvoirs différents, voire enchevêtrées. Il s'agit donc de prendre des décisions concernant des actions publiques qui soient efficaces compte tenu de cette complexité institutionnelle. La gouvernance de ces institutions politiques complexes favorise une coordination empirique entre les multiples acteurs présents ainsi que l'élaboration pragmatique et négociée des normes et des instruments de régulation.

Développée principalement dans le contexte américain, la seconde source se situe dans le prolongement des modifications structurelles de l'économie qui ont «systématique de la sous- traitance, l'autonomisation des centres de responsabilité. Le nouveau mode de gestion de la « corporate governance» explore ainsi la voie d'un fonctionnement moins hiérarchique de l'entreprise, en se fondant sur le postulat du choix rationnel dans un contexte de libre circulation de l'information et de collaboration. Très schématiquement, trois courants se dessinent dans les approches et usages de la gouvernance. Le premier, développé principalement depuis les années 1970, est constitué par les analyses scientifiques de la Théorie de la Gouvernance (TG) à proprement parler. À partir de ce tronc commun, deux courants presque simultanés dégagent les deux applications les plus importantes du terme : celui de la gouvernance corporative dans les années 1990 et celui de la bonne gouvernance à partir de 1989 avec la Banque Mondiale, qui sera repris par la plupart des organisations de coopération et d'aide au développement.

Les usages contemporains de la gouvernance dans le cadre des études, recherches et analyses académiques prennent le sens de «pilotage pragmatique des pouvoirs ». Les premiers travaux en date sont ceux de Berle et Means en 193219 et de Coase dès 1937.20 L'analyse théorique du phénomène de gouvernance s'orientait plus vers le monde des entreprises où elle se conçoit comme un mode de gestion qui marque la séparation bien nette entre le patrimoine et la gestion à travers la substitution de la responsabilité à la rente de pouvoir, ou, en d'autres termes, un mode qui remet en cause la gestion patrimoniale des fonctions. La gouvernance est alors à la fois un état d'esprit et des méthodes de travail.

Mais on peut situer le démarrage de la théorisation de la gouvernance dans les années 1970, avec deux repères : le texte d'Olivier Williamson (1970) et le rapport The Crisis of Democracy: Report on the Governability of Democracies to the Trilateral Commission (Huntington, Crozier et Watanuki 1975). Ce dernier développe le principe selon lequel dans les pays d'Europe occidentale, au Japon et aux Etats-Unis, la fracture entre l'augmentation des demandes sociales et le manque de ressources de l'Etat génère des problèmes de gouvernabilité ; il s'agit donc du début de la crise de l'Etat-providence, qui ouvre la voie au thème des réformes structurelles des relations entre l'Etat et le citoyen, thème centré sur le retrait économique de l'Etat. La gouvernabilité est ici la première utilisation de la version instrumentale ou pragmatique de la question de la gouvernance, entendue alors comme capacité à trouver les conditions pratiques au guidage de l'action publique.

L'analyse institutionnelle appliquée en dehors de la sphère publique est une partie essentielle de la TG. En 1976, James March et Johan Olsen parlaient de University Governance, faisant référence aux problèmes de gestion et d'administration du pouvoir et de l'économie des responsabilités dans une structure organisationnelle. Dans la même lignée, la gouvernance corporative, consacrée au cours des années 1990, est à proprement parler la première conception de la gouvernance dans son sens moderne21. Elle s'intéresse à la structure de l'entreprise, à son organisation interne, à la division du travail entre les unités de production, à ses relations avec d'autres entreprises et à la régulation du jeu entre les actionnaires et les dirigeants. Selon cette conception, le meilleur système de gouvernance est celui qui permet de minimiser les pertes de valeur en tenant compte des coûts qu'il induit, sachant que les différents mécanismes sont imbriqués et que l'élimination totale des pertes de valeur est impossible. Son application dans la gestion des biens publics parie sur l'établissement de partenariats entre les entreprises, veillant à davantage d'efficacité, avec la responsabilité ou accountability22 comme pierre angulaire. Son présupposé part du fait que les entreprises transnationales sont plus puissantes que beaucoup d'Etats dans le monde23 et qu'elles pourront garantir la gestion des biens publics avec le double résultat de l'accroissement de l'efficacité et du profit.

19 Berle et Means, The Modern Corporation and Private Property (Transaction Publishers, New Brunswick, NJ, 1991).

20 In: Coase, Ronald H., «The Nature of the Firm», Economica, vol. 4 (13-16), November 1937, pp. 386-405.

21 On en attribue cependant l'origine à la thèse de Berle et Means en 1932 et aux travaux de March et Olsen (1995).

22 L'accountability est la définition claire de qui est responsable de quoi, et a pour but principal de s'opposer aux «dimensions arbitraires» de la gestion. De son côté, la corporate social responsibility est un nouveau terme du monde des affaires et comporte trois éléments: prospérité économique, souci de l'environnement et équité sociale.

23 Selon G. Solinis, 500 de ces entreprises contrôlent un tiers du PNB mondial et trois quarts du commerce international. « Mondialisation, pouvoirs et rapports de genre ».

Pour revenir à l'action publique, le débat en sciences politiques autour de l'Etat s'est développé dans les années 1980 et 1990, à partir du constat de ses défaillances face à ses fonctions régaliennes, associées à la régulation, au bien-être et au développement social. Avec ce constat, les acteurs non étatiques se forgent de plus en plus une légitimité pour défendre et promouvoir le bien public. L'Etat ne détient donc plus de façon exclusive le monopole de la promotion de ce bien, ni celui de sa définition. Dans ce cadre, il s'agit aussi de définir l'espace public dans lequel se joue la démocratie actuellement, cet espace étant constitué d'un réseau complexe d'intérêts, d'interactions entre acteurs et d'échelons d'intervention politiques. Certains auteurs comme Kooiman et Jessop parlent d'une «école européenne» de la TG, relativement différente du «courant américain» et fortement orientée par une sociologie davantage fonctionnaliste que critique des systèmes politiques. Selon cette approche «européenne», la gouvernance est un processus complexe de prise de décision qui devance et dépasse le gouvernement, ayant pour principaux aspects la légitimité de l'espace public en constitution, la répartition du pouvoir entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés, les processus de négociation entre les acteurs sociaux, la décentralisation de l'autorité et des fonctions liées à l'acte de gouverner.

Notons enfin que la TG est concernée, pour différentes raisons et de diverses manières, par les deux champs extrêmes de la sphère publique : le local et le transnational. Pour ce qui est du premier, l'approche instrumentale de la gouvernance, dans son acception importée du monde de l'entreprise pour décrire des protocoles de coordination différents des marchés, a eu comme premier laboratoire le pouvoir local et la gestion urbaine. La gestion de l'aménagement des villes en France au XXe siècle à travers les plans d'urbanisme apparaît comme une pratique de fait de la gouvernance locale «avant la lettre» : après l'acte classique de gouvernement de la commande du plan se développe la pratique de gouvernance dans les mécanismes de négociations informelles et de coopération entre acteurs publics et privés. En outre, il est aujourd'hui convenu d'accepter que les politiques urbaines24 des années 1980 et 1990 ont fait en général l'objet d'une influence accrue de la terminologie néolibérale et des méthodes de gestion consacrant les principes de transparence, d'efficacité et d'obtention de résultats précis (il est rarement établi qui définit les résultats à atteindre, dans quel objectif et surtout au moyen de quel processus - démocratique, participatif, technocratique... ).

Le niveau transnational pourvoit l'une des plus intéressantes applications de la TG. En 1995, la Commission mondiale sur la gouvernance globale a défini la gouvernance comme un « processus continu à travers lequel les intérêts conflictuels peuvent être conciliés par des actions de coopération ». Le processus comprend la constitution d'institutions formelles et de régimes capables de renforcer des allégeances - des accords informels que les peuples et les institutions font ou envisagent de faire dans la protection de leurs intérêts. Dans cette approche, il n'y a pas plus un seul modèle de gouvernance qu'une seule structure. Dans son élaboration la plus achevée et en liaison avec l'approche de la gouvernance globale ou transnationale, la TG participe à l'étude de réseaux organisés (policy networks) où l'Etat est un acteur parmi tant d'autres. Les notions d'ouvertures, de dynamique et de complexité sont des approches nécessaires à la prise de décision interactive qui évolue pour répondre à des circonstances changeantes. Le concept clé de cette analyse est la régulation, issue de la théorie des systèmes et désignant un ensemble de règles explicites et implicites qui guident le comportement des acteurs en présence sur la scène politique et qui maintiennent un minimum d'ordre et d'intégration par des processus grâce auxquels un système politique serait capable de résoudre des tensions sociales et de réduire les effets déstabilisateurs.

24 Sur l'application de la gouvernance au niveau local, voir le numéro spécial que la revue Annales de la recherche urbaine a consacré à ce thème (n° 80/81, décembre 1998).

Les bases théoriques de cette approche25 sont ancrées dans la gestion de systèmes sociaux complexes, appliquant à la science politique des notions systémiques empruntées aux sciences dures. Malgré la nature diverse des courants sur la TG, on peut les regrouper en cinq traits :

- l'efficacité dans la gestion des biens publics;

- le transfert de pouvoir du secteur public au secteur privé et de l'Etat à la société civile;

- Le rôle des acteurs non étatiques dans les mécanismes de régulation politique, de gestion et de participation;

- l'analyse des organisations les mieux adaptées aux évolutions du monde contemporain; - et enfin, les transferts des usages sociaux de la science.

Cependant, ce grand engouement à la notion et aux usages de la gouvernance, ne saurait l'épargner des critiques qui s'évaluent à la mesure de son succès.

5. QUELQUES CRITIQUES DE LA GOUVERNANCE

Les critiques les plus répandues sont d'ordre méthodologique. Dans ses définitions englobantes, la gouvernance se préoccupe d'à peu près tous les enjeux de la vie politique, perdant ainsi sa portée heuristique. En revanche, lorsque la rigueur sémantique est au rendez- vous, la multiplicité des acceptations apparaît rédhibitoire, sauf à préciser contextes et références. La critique se fait aussi idéologique. Soit que l'on accuse la gouvernance de servir de masque aux doctrines libérales, ce qui s'avère souvent vrai ; soit que l'on comprenne l'instance sur les techniques de management comme une façon de ne pas parler de pouvoir. Mais les charges les plus intéressantes sont d'ordre scientifique, parce qu'elles aident à poser de bonnes questions. Pourtant un diagnostic de la complexification de l'action publique (de plus en plus d'acteurs liés par de plus en plus d'interactions) et formalisant un mode opératoire de «policy network», la gouvernance fait du réseau à la fois un problème et une solution. Au constat d'une fragmentation mettant à mal la conduite des politiques publiques répond l'atout d'une «mise en réseau» des acteurs. La tautologie n'en reste pas moins stimulante, provoquant l'interrogation : qu'est-ce qui motive les spécialistes du réseau qui construisent l'action collective par ses interactions renouvelées ?

A qui tout cela profite-t-il ? Fameuse question qu'on retrouve dans la sociologie urbaine marxiste des années 60-70. Patrick Le Galès ne disait pas autre chose, en évoquant dans son article séminal de 1995 la nécessité de « mettre l'accent sur les régulations sociales et politiques locales ». La gouvernance, dernier avatar technocratique en date. Tel est le deuxième type de critique souvent développé. Faisant de l'efficacité l'ambition ultime de l'action publique, la gouvernance à l'évidence confond les genres. Quid du politique, s'il s'approprie les normes de fonctionnement du monde technico-administratif ? A quelle aune mesurer la productivité décisionnelle ? L'efficacité fait-elle désormais office de légitimité ?

En conséquence, les controverses sur la gouvernance sont généralement enfermées dans deux discours contradictoires. Pour certains auteurs il faut la bonne gouvernance pour faire face aux problèmes actuels socioéconomiques et écologiques, et qui aura donc comme vocation à se substituer aux politiques publiques traditionnelles considérées comme dépassées. Pour d'autres, au contraire, la gouvernance est le problème - et non la solution - car elle ne fait que renforcer l'impuissance collective face à des défis de plus en plus ingouvernables. Dès 1995, au balbutiement de la gouvernance, William D. Sunderlin, dans un article portant sur le

25 Dont notamment David Easton, Analyse du système politique, A. Colin, Paris, 1974, et Richard Rose et Guy Peters, Can Government Go Bankrupt?, Basic Books, New York, 1978.

changement global26, mettait en évidence l'éclatement des réflexions des chercheurs autour des trois catégories «paradigmatiques»: d'un coté, ceux qui ont une vision essentiellement managériale de la «gouvernance»; de l'autre, ceux qui insistent sur les évolutions ou les différenciations culturelles; et enfin, ceux qui ont une vision «agonistique», en terme de «rapports de force», du problème, et considèrent que les solutions passent nécessairement par des changements structurels improbables (gouvernement mondial, leadership européen...).

5.1. Imperfections de la dimension normative et prescriptive de la gouvernance

Les premières critiques sur la dimension normative de la gouvernance ont porté sur l'ethnocentrisme de ce terme et sur la faiblesse des catégories politiques qu'il mobilise. La gouvernance est d'abord ancrée dans une idée spécifiquement européenne du bien politique (Pagden A 1998). C'est le modèle politique libéral tel qu'expérimenté par les pays occidentaux qui en est le fondement principal. La construction historique de ce dernier est aujourd'hui l'objet de relectures multiples par certains chercheurs qui sont intrigués par les contradictions existantes entre, d'une part, le discours libéral du «peu d'Etat» et, d'autre part, les pratiques politiques dites libérales qui ont montré la croissance exponentielle des pouvoirs de l'administration et de l'Etat sur les individus, la société et l'économie (Gauchet M. 1980). De même, il convient de s'interroger sur les traditions politiques et étatiques propres aux PVD (Badie B. 1998), Le Roy E 1983). Pour De Senarclens P, la gouvernance occulte les conflits d'intérêts, les contradictions et l'hégémonie ; elle occulte, de plus, le fait que le politique soit d'abord une culture et une histoire. Elle met l'accent sur le consensus et elle ne constitue pas une réflexion sur le pouvoir mais sur les modes les plus efficients de «gestion» de la société.

La deuxième série de critiques a porté sur les relations entre la gouvernance, la mondialisation, la démocratie et le développement. Pour plusieurs auteurs, cet avènement d'un temps mondial marqué par la fin du totalitarisme et l'avènement de la démocratie est loin d'être évident. Pour eux, la mondialisation signifie plutôt une société capitaliste sans bornes ni frontières et il n'est pas étonnant que la manifestation de ce «temps mondial» se soit accompagnée d'une remontée de «temps locaux» qui le contredisent. Ce «localisme» lié à de nouvelles revendications identitaires, religieuses ou «ethniques» et à l'apparition de nouvelles solidarités se substituant aux solidarités nationales (Latouche S, 2004. Williams J-C, 1998 ; Badie B 1998 ; Zaoual H 1999)

De même, la concentration des grandes décisions économiques aux mains de certaines institutions financières et capitales occidentales ne fait qu'accroître la dépendance des pays du Sud. Il est faux de croire que les politiques d'ajustement structurel qui conduisent à l'affaiblissement de la légitimité des Etats Nationaux, conduisent à une dissolution des prérogatives politiques. Celles-ci sont en fait transférées à des experts à qui on reconnaît compétence et indépendance face aux pressions et pouvoirs locaux (de Alcantara C.H, 1998). Enfin, la liaison entre démocratie et développement sous jacente à la «bonne gouvernance» n'est pas prouvée. Certains pays sont arrivés à se développer malgré l'autoritarisme de leur système politique et inversement la démocratie libérale dans le monde occidental a montré qu'elle était accompagnée de phénomène d'exclusion (William J-C 1998).

Il en est de même pour les postulats sur lesquels se base la gouvernance. Est-il vrai qu'il
existe une crise de la gouvernabilité et que l'Etat n'a plus que l'apparence du pouvoir, les
marchés internationaux étant les véritables arbitres ? La globalisation impose-t-elle vraiment

26 W. D. Sunderlin, « Global environmental change, sociology and paradigm isolation». Global environmental change, Vol. 5, Number 3, June 1995.

une pression telle sur les Etats-providence que ceux-ci sont dans l'obligation de s'adapter ou de périr? Ces propos rejoignent les réflexions de Bertand Badie qui montre que, face à sa remise en cause, l'Etat se défend et reconstruit sa domination sur de nouvelles bases. La crise de la territorialité atteint les Etats mais ne les abolit pas. Les Etats savent capter la déterritorialisation pour se créer de nouveaux avantages. (William J-C, 1998 Merrien F-X, 1998 Badie B.1998). Enfin, est-il vrai qu'il y a une crise de légitimité de l'Etat-providence et peut-on dire que les mesures de bonne gouvernance sont plus adaptées au contexte ?

Les théories économiques du développement ont fréquemment échoué à prendre en compte le «facteur étatique» dans toute sa complexité et la théorie de la gouvernance n'échappe pas à ce constat. Elle repose, elle-aussi, sur une figure mythique de l'Etat à l'instar de la figure de «l'Etat développeur», acteur unique du décollage économique des années 1950 et à l'instar du mythe de «l'Etat fantoche» des années 1960-70, du fait de sa dépendance par rapport aux pays occidentaux. Le mythe propre à la gouvernance repose sur celui de «l'Etat modeste libéral». (Ben Nefissa, 2000) Cette théorie n'est-elle pas remise en cause par le fait que certains pays nouvellement industrialisés comme les dragons (Corée du Sud, Taiwan, etc.) ont disposé d'Etats qui avaient beaucoup de pouvoirs. Cette offensive antiétatique ne peut-elle pas produire dans certains PVD son contraire par l'érosion des ressources fiscales de l'Etat qui pourrait affaiblir le secteur privé en supprimant un certain nombre de ses ressources publiques (Petiteville F 1998) ?

Enfin, l'apologie du néolibéralisme et des vertus du marché sous-jacente à la notion de gouvernance valorise de manière naïve les autres acteurs en dehors de l'Etat et les vertus du secteur privé. Ce dernier vise principalement le profit et peut parfaitement s'accommoder d'un Etat hégémonique. Quant aux capacités régulatrices et gestionnaires des ONG, elles ont plusieurs limites. Les ONG n'ont en fait que des visions sectorielles, elles sont parfois très liées aux Etats et elles-mêmes sont traversées par les phénomènes de pouvoir et d'inégalité sans oublier que leurs activités sont généralement «palliatives». La fragilisation des Etats dont est porteuse la notion de gouvernance peut conduire à de très graves problèmes sociaux, notamment pour les PVD. L'irruption des ONG, experts, bureaucrates transnationaux, réseaux locaux et régionaux est loin de résoudre la question de la participation politique et du contrôle des instances de pouvoir. De toutes les manières, les Etats sont toujours présents et les conflits inhérents à l'essence du politique n'ont aucune chance de se dissoudre durablement dans une gouvernance technocratique et administrative (de Senarclens P op cit, Leca J op cit).

Au regard de cette évolution, Il n'est donc pas étonnant de constater que le concept de gouvernance est au centre de la réflexion théorique, sur les plans politique et économique des pays de l'OCDE, de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international ou du groupe de la Banque africaine de développement. Il est encore moins étonnant de relever que le contenu théorique qu'elles déclinent à la gouvernance, traduit une vision du monde, leur vision du monde, c'est-à-dire une conception philosophique, politique et économique de l'Etat lui- même. Ceci conduit Marie Smouts à souligner : « Quoi qu'il en soit, pour les spécialistes d'économie politique internationale, le concept de gouvernance est lié à ce que les grands organismes de financement en ont fait : un outil idéologique au service de l'Etat minimum» (Marie Smouts 1998). Dans cette même lignée de pensée, Cynthia Hewitt de Alcantara considère que « le concept de gouvernance est venu à point nommé en ce qu'il a permis aux institutions financières internationales d'abandonner l'économisme et de revenir aux questions sociales et politiques essentielles que posait le calendrier des restructurations économiques. Il permettait de surcroît de ne pas s'opposer trop ouvertement à des gouvernements qui, en général, n'aimaient guère que des prêteurs leur donnent des leçons sur

des points sensibles de politique intérieure et d'administration. En parlant de «gouvernance» plutôt que de «réforme de l'état» ou de changement politique ou social, les banques multilatérales et organismes de développement, ont pu aborder des questions délicates susceptibles d'être ainsi amalgamées sous une rubrique relativement inoffensive, et d'être libellées en termes techniques, évitant de la sorte à ces organismes d'être soupçonnés d'outrepasser leurs compétences statutaires en intervenant dans les affaires politiques d 'Etats souverains » (1998, p. 3).

Ainsi, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), considère la gouvernance comme étant l'exercice de l'autorité économique, politique et administrative en vue de gérer les affaires d'un pays. Elle englobe les mécanismes, les processus et les institutions par le biais desquels les citoyens et les divers groupes expriment leurs intérêts, exercent leurs droits juridiques, assument leurs obligations. Dans cette acception, la société civile et le secteur public deviennent des institutions de gouvernance au même titre que l'Etat lui-même. Cette définition traduit une vision du monde où l'Etat devient moins régalien, où la société civile prend une part active dans l'élaboration, l'exécution, le suivi et le contrôle des politiques et programmes de développement, où l'organisation économique est d'essence libérale. Lorsqu'on examine le rôle de chacune de ces institutions dans une perspective historique et dynamique, on constate que dans la majeure partie des sociétés en développement il n'existe encore ni de société civile forte, indépendante, représentative et constitutive de véritable contre pouvoir, apte à susciter, voire à imposer aux dirigeants des politiques faites de transparence, de responsabilité et d'imputabilité, ni de réel secteur privé productif, promouvant la croissance économique et le développement humain durable.

Comment donc les pays en développement pourront-ils réaliser la bonne gouvernance dans les termes fixés par les institutions financières, au stade actuel du développement des forces productives et des rapports actuels socio-économiques de production de ces pays ? En faisant de la bonne gouvernance, aux conditions édictées par ces institutions financières, une condition du soutien financier, ne risque-t-on pas de condamner à la misère des millions d'humains de notre planète ? Dans les pays industrialisés où ces processus ont été générés par l'histoire, on ne peut négliger la part prépondérante prise par l'Etat occidental lui-même dans le développement, l'organisation et l'expansion des enseignements primaire, secondaire, supérieur, de la recherche, de la formation, autant d'éléments, combinés avec le combat pour le respect des libertés fondamentales qui ont généré, entretenu et soutenu le développement d'opinions nationales et donc de sociétés civiles organisées et conscientes, jouant le rôle de contre pouvoir. C'est également l'Etat dans les pays industrialisés qui a organisé, soutenu, impulsé, le secteur public certes, mais aussi le secteur privé, par l'encouragement des initiatives privées, la définition des cadres juridiques, institutionnels et fiscaux incitatifs, le soutien financier à l'investissement, l'incitation à la création des industries et des emplois, la protection de la production nationale, la recherche de marchés extérieurs (combien de chefs d'entreprises des pays membres de l'OCDE accompagnent leurs chefs d'Etats dans les visites de travail à l'extérieur, à la recherche de marchés ?), la création d'emplois, ou la mise en oeuvre de politiques de sécurité sociale. C'est encore l'Etat qui a soutenu et encadré les politiques en matière agricole et de sécurité alimentaire, en matière de santé, ou de stratégie énergétique. Combien d'Etats occidentaux accordent des subventions au domaine de l'agriculture, de l'élevage, aux petites et moyennes entreprises, etc. ? Or, voici que, pour de nombreux pays en développement, on voudrait éloigner l'Etat de la gestion et du soutien à des secteurs stratégiques, à l'image d'une cellule qui perd ainsi son noyau central.

Voici que l'on définit la bonne gouvernance comme résultant de l'interaction de trois
institutions distinctes qui dans bien des cas demeurent inefficientes, structurellement et

fonctionnellement inaccomplies dans les pays en développement caractérisés en particulier par :

· des Etats aux prérogatives et compétences amoindries ;

· des sociétés civiles en balbutiement et dans beaucoup de cas inféodées aux pouvoirs en place ou aux partis politiques d'opposition ;

· des secteurs privés dont la production est dans de nombreux pays insignifiante, car structures largement informelles, qui contribuent de manière insuffisante à la croissance, à la création d'emplois et à la fiscalité. Le tissu industriel existant, de part son caractère excentré alimente davantage l'économie externe que la croissance interne.

Par ailleurs, on oublie surtout, que la démocratie est d'abord démocratisation, et donc processus qui s'inscrit dans l'histoire et la durée. En imposant aujourd'hui à l'Afrique de réaliser ici et maintenant la bonne gouvernance pour accéder aux ressources financières nécessaires à promouvoir son développement, et ce en l'absence même des institutions et conditions historiques nécessaires à celle ci, ne condamne-t-on pas l'Afrique et les pays en développement en général à végéter dans la misère et le sous-développement ? En vérité, comme nous l'avons évoqué, si la construction de l'Etat, ainsi que des nations dans les pays industrialisés d'Occident, constitue une résultante d'un processus historique endogène, il en est tout autrement dans la majeure partie des états africains où les processus obéissent, par le fait de la domination, à des impulsions exogènes, pour prendre la forme de greffons ou de transplants dont les processus de gestation, de maturation et d'évolution sont plus souvent a- historiques qu'inscrits dans la genèse naturelle et évolutive de ces sociétés elles-mêmes.

Il s'ensuit que, si l'Etat colonial ou néocolonial africain était déjà de structure et de fonction exogène, la conception et la définition de la gouvernance rendue à l'examen de la réalité africaine d'aujourd'hui par les institutions financières internationales répondent d'avantage à des préoccupations et des intérêts externes qu'à des évolutions générées par les processus internes, fruits d'une évolution historique propre au continent. (Yenikoye 2002). Ainsi que le relèvent M. Bratton et D. Rothchild, « cette abdication partielle de la souveraineté en Afrique quant aux décisions politiques entre les mains de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international a plutôt miné la légitimité politique des élites de l 'Etat en exercice qu'elle ne l'a favorisée ». (1993, p. 377) Lofchie pour sa part, renchérit sur le même ton en soulignant que « dans les pays africains, le pouvoir de décider de la distribution des ressources repose en réalité entre les mains des grandes institutions de prêt internationales qui peuvent dicter à leur gré les termes des diverses politiques d'ajustement économique «. (1989, p. 20).

Peut-on donc raisonnablement, dans le contexte de la mondialisation, de la constitution de vastes ensembles régionaux interdépendants, mais plus encore des relations entre les pays en développement (pour l'usage desquels le concept de bonne gouvernance semble s'adresser en priorité) et les puissances économiques et financières occidentales, définir la bonne gouvernance dans ses seuls effets internes, et occulter les influences externes souvent déterminantes sur les actions internes de gouvernance elles-mêmes ? Or, les approches faites ici et là du concept, et principalement par les institutions financières internationales qui se sont appropriées le terme, oublient opportunément de relever une telle dimension qui mettrait vite en cause la réalité de leur pouvoir de décision et de contrôle en matière de politique, programme et plans d'action des pays en développement.

Plus qu'un alibi, le concept de «gouvernance» constitue aujourd'hui, par la mise en avant du
qualificatif «bonne gouvernance», élevé au rang de conditionnalité économique, financière et
politique, le moyen le plus sûr d'interférer dans la marche de l'histoire des pays en

développement pour en déterminer la destinée et imposer une conception de l'Etat, une forme d'organisation politique, économique et sociale tournée davantage vers la satisfaction des intérêts du capital international. En effet, en éclatant l'Etat en trois institutions distinctes dont la réalité et l'effectivité historiques paraissent bien inaccomplies à ce jour dans les pays en développement, en préconisant l'Etat minimum, en conditionnant toute forme de soutien à l'adhésion et la mise en oeuvre de politiques d'ajustement structurel où le social est bien souvent mis au ban de l'analyse et de l'action, en imposant un ultralibéralisme dont les effets et contre-effets sont sans commune mesure avec les capacités d'action et de réaction de sociétés civiles en balbutiement, en imposant une philosophie de la libre concurrence dans un environnement économique où prévaut en réalité la loi du monopole, en déstructurant le secteur des entreprises publiques stratégiques par une privatisation sauvage dont la conséquence résulte dans leur reprise en main par les multinationales et les capitaux extérieurs, et tout ceci a contrario de toutes les conditions historiques ayant secrété, généré et entretenu le développement économique et social de l'Occident, les institutions financières internationales finissent, à terme, par se substituer aux Etats des pays en développement eux- mêmes, pour décider et agir à leur place, au bénéfice des intérêts bien compris du capital international. Il doit appartenir donc, aux pays en développement et aux citoyens de ces Etats d'en avoir conscience, non pas pour rejeter le concept de gouvernance lui-même, qui constitue aujourd'hui un fait établi, mais pour concevoir les instruments par lesquels la réflexion, l'analyse et l'action sur la gouvernance se révéleront porteuses d'un Développement humain durable au profit des populations déshéritées d'une humanité soumise au principe de rotation et d'évolution à deux vitesses.

Pour revenir sur les controverses globales de la gouvernance, nous pouvons dire en résumé, que les critiques se structurent autour d'une double opposition: pour certains auteurs, ce sont les conditions de mise en oeuvre qui sont critiquables; pour d'autres ce sont, au contraire, les objectifs eux-mêmes. Ce qui est pour les uns une question de transition, est vu par les autres comme une inadaptation structurelle. Ce qui signifie que pour le premier groupe, largement majoritaire, ce sont essentiellement les conditions dans lesquelles les politiques délibératives sont mises en oeuvre qui incitent au pessimisme : un accès au débat encore trop inégal, le pluralisme non respecté, une autonomie réduite des acteurs consultés, l'équivalence des intérêts mal garantie, une interaction entre parties prenantes beaucoup trop faible, des procédures marginalisées, des conclusions non publiées ou sans suite opératoire. Mais jusque là on reste un scepticisme modéré car on est dans le registre des dysfonctionnements pour lesquels il existe, en principe, des solutions managériales27.

Dans un second registre beaucoup plus pessimiste, ce ne sont pas les procédures qui sont mises en cause, mais plutôt l'existence des conditions culturelles nécessaires pour les faire fonctionner. L'hypothèse d'un activisme de la société civile, d'une mobilisation spontanée des acteurs est fortement questionnée. On lui oppose le constat d'une très large indifférence démocratique comme tout ce qui relève des problèmes globaux. Le point faible de tous les espoirs placés dans la gouvernance, comme le souligne Theys est en effet que ceux-ci reposent sur le présupposé de transformations culturelles importantes : l'existence d'acteurs intéressés à s'engager dans l'action collective, une sensibilité suffisante au problème posé, un minimum de connaissance et de confiance réciproque. Or l'expérience historique a clairement montré, qu'en dehors des problèmes locaux, cette transposition vers «l'autorégulation»

27 Tout un ensemble de travaux s'attache en effet à définir les "règles du jeu" d'une participation efficace. Voir par exemple Patrice DURAN, (opus cité), mais également Pierre LAS COUMES: «Information, consultation expérimentation; les activités et les formes d'organisation au sein des forums hybrides», CNRS, 1997, programmes " Risques collectifs et situations de crise", Paris.

réussie pouvait prendre souvent un temps très long. Si la circulation de l'information est aujourd'hui d'une accessibilité presque immédiate, il n'en demeure pas moins de se rendre compte des difficultés de passage entre l'opinion publique et la connaissance scientifique; et l'importance décisive du «knowledge gap», considéré par Robert DAHL comme le principal obstacle à la démocratie. Il y a donc clairement un risque que la participation arrive toujours avec un «train de retard» - ce qui rejoint le problème de l'inanité.

Dans une troisième perspective critique, les échecs de la gouvernance s'expliquent par l'inadéquation de ses objectifs. Ce qui est mis en cause ici, c'est une certaine dérive libérale et néo-corporative de la gouvernance qui tend à en faire un substitut des formes classiques d'action publique; l'illusion d'une «pilotless policy» - dont parlait Norton LONG en 1958-, sans mandat d'autorité, sans hiérarchisation des intérêts, sans institutions de contrôle. L'idée, aussi, que la participation - dans un contexte de crise - pourrait efficacement remplacer les formes électives de la démocratie. Dans cette troisième perspective, qui donne la priorité aux structures de gouvernabilité, le risque majeur par exemple en matière d'environnement apparaît en effet moins celui d'un manque de légitimité des décisions publiques que celui d'un affaiblissement des institutions - en particulier aux niveaux international et local; d'une absence de leadership face à des rapports de force défavorables; d'une dilution des responsabilités liée, par exemple, à la multiplication des partenariats ou à une décentralisation mal maîtrisée; et finalement d'une impuissance de la démocratie représentative face à un double phénomène de polarisation, autour des relations producteurs - consommateurs, et autour des phénomènes de «glocalisation» (convergence des réseaux locaux et supranationaux d'action publique)28. Ce n'est donc pas l'ambition d'une plus grande ouverture démocratique qui est critiquée, mais plutôt la tentation de faire de la gouvernance un nouveau mythe politique se substituant aux autres.

A cela s'oppose une quatrième et dernière position, encore plus radicalement pessimiste, qui met, elle, directement en doute à travers la notion de gouvernance la capacité même des démocraties à prendre en compte leurs responsabilités à long terme - en particulier dans le domaine de l'environnement. S'appuyant sur Hans Jonas et son «Principe responsabilité», certains mouvements écologistes opposent en effet à «l'indifférence démocratique» la nécessité d'une prise en charge par une élite éclairée de l'avenir à long terme de la planète. Exprimé de cette manière, l'argument est difficilement acceptable. Mais dans un registre plus modéré, certains experts, comme Giandomenico Majone, plaident pour le développement d'institutions non majoritaires29 ou d'autorités indépendantes, capables de garantir le respect d'objectif à long terme en s'affranchissant des incertitudes de la démocratie élective. C'est dans cette même lignée que s'inscrivent Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe en contestant dans leur ouvrage30, le monopole des scientifiques dans la marche de nos sociétés surtout dans un contexte où les problématiques de la participation des citoyens ou encore de la gouvernance occupent de plus en plus les discours politiques. Ils tentent à travers la «démocratie dialogique» de donner un fondement et une légitimité théorique aux aspirations des citoyens à s'immiscer dans les processus de décision technique et scientifique ; tendance constatée par la multiplication de situations problématiques difficilement gouvernables ces dernières années (déchets nucléaires, gaz à effet de serres, OGM...). Pour eux ces situations ont pour point commun de combiner incertitude scientifique et stratégies

28 Source: Jan VAN TANTENHOVE: «Political modernization and environmental policy», in Jacques THEYS: L'environnement au XXI siècle, Editions GERMES, 1998.

29 Giandomenico MAJONE: " Temporal consistency and policy credibility: Why democracies need non
majoritarian institutions?"
, in Jacques THEYS (ed) The environment in the 21th century, GERMES, Paris, 1998.

30 « Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique », Le Seuil, Paris, 2001.

divergentes d'acteurs, de groupes concernés mobilisés, créant une situation de controverse, que les auteurs appellent «controverse sociotechnique» ; «Les controverses engendrées [...] vont bien au-delà des seules questions techniques. Un de leurs enjeux est [...] d'établir une frontière nette et largement acceptée entre ce qui est considéré comme indiscutablement technique et ce qui est reconnu comme indiscutablement social. [...] Reconnaître sa dimension sociale, c'est redonner une chance [à un dossier] d'être discuté dans des arènes politiques.» (p. 45, 2001).

En effet, les controverses socio-techniques, se multiplient sur fond d'incertitudes, et mettent à mal le monopole des scientifiques sur les questions de choix techniques. Ce monopole à dire la vérité des choses, des lois de la nature, et la séparation classique science (faits) / politique (valeurs), est fondé sur ce que Bruno Latour appelle une «Constitution», modèle métaphysique séparant la nature transcendante et la société31. Les scientifiques acquièrent ainsi un pouvoir politique gigantesque (Latour parle de «la plus fabuleuse capacité politique jamais inventée [...] faire parler le monde muet, dire le vrai sans être discuté», op. cit., 1999,

p. 28) sous couvert de la « neutralité de la science « puisqu'ils ont le pouvoir d'imposer de nouveaux objets dans la société et de faire taire les oppositions des autres acteurs sociaux, des « profanes « ; en effet, toutes les décisions techniques prises par le politique s'appuyant sur la légitimité du savoir scientifique, celles-ci échappent au débat démocratique bien qu'elles engagent notre mode de vivre ensemble. La sociologie des sciences a pourtant bien établi que la production de connaissances n'est pas aussi désintéressée, pure de tout enjeu de pouvoir et de société, que les représentations classiques de la science (la recherche de la vérité...) le prétendent. Ce modèle métaphysique apparaît alors illégitime d'un point de vue épistémologique et démocratique.

Ces premiers apports théoriques de «délégitimation» du monopole des scientifiques et experts dans l'orientation des choix techniques du politique effectué par Latour, semblent soutenir les essais de Callon, Lascoumes et Barthe de «légitimation» de la possibilité pour les «profanes» (il peut s'agir de riverains, d'élus, d'acteurs associatifs, comme de scientifiques issus de disciplines non prises en compte dans un projet technique...) de participer aux débats et aux prises de décision sociotechniques aux côtés des scientifiques et des experts. Cette réflexion s'inscrit dans une perspective sociologique constructiviste et se fonde sur l'étude de différents exemples de controverses sociotechniques récentes. Ces controverses issues de la mobilisation des acteurs autour d'incertitudes pour faire entendre leur point de vue, en se constituant en groupes concernés, aptes à débattre des mesures à prendre dans ces situations avec les décideurs politiques et les scientifiques. Si la question reste technique, elle est confisquée par les scientifiques et les experts. Or, observent les trois auteurs, ces controverses se multiplient dans des espaces qu'ils appellent des «forums hybrides» ; des espaces « ouverts où des groupes peuvent se mobiliser pour débattre des choix techniques qui engagent le collectif» ; des forums «hybrides» car ces groupes engagés et leurs porte-parole sont hétérogènes (experts, profanes, hommes politiques...), ainsi que les questions et les problèmes soulevés, qui vont des domaines purement scientifiques et techniques aux questions économiques, éthiques (pp. 35-36). Un modèle de «démocratie dialogique» serait ainsi en construction dans les pratiques32.

31 Bruno Latour, 1999, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris, La Découverte.

32 Cette idée de "démocratie dialogique" s'inscrit dans le cadre plus général de réflexion sur les formes de la démocratie, de la délibération et de la participation. Voir par exemple le n°57 (vol.15, juin 2002) de la revue Politix, "Démocratie et délibération"; ainsi que : C.R.A.P.S./C.U.R.A.P.P., 1999, La démocratie locale. Représentation, participation et espace public, Paris, PUF.

Les trois auteurs mettent ainsi en évidence différentes situations de controverse sociotechnique posant un problème de gouvernabilité, en exposent et analysent dans chaque cas le processus d'émergence, de constitution de forums hybrides et de coopérations entre experts et groupes concernés «profanes». Les controverses sociotechniques entraînent ainsi une «prolifération du social», c'est-à-dire une multiplication des groupes concernés par différentes questions ou décisions techniques auxquelles ils tentent de participer pour y défendre leurs intérêts. Au cours de l'échange réciproque, de l'apprentissage commun produit pendant la controverse, ces groupes concernés participent à «l'élaboration du monde commun», qu'il soit micro-local ou plus vaste. Cette prolifération du social pose la question de la représentation des minorités dans ces controverses sociotechniques qui constituent des activités pleinement politiques. Le modèle dialogique tel qu'il s'expérimente ainsi au sein de différentes procédures depuis une trentaine d'années constitue selon les auteurs une alternative qui pourrait faire l'objet d'une transposition vers des questions politiques qui ne sont pas de l'ordre de la démocratie technique, pour repenser la question de la représentation des minorités. C'est en effet dans le sens où la démocratie dialogique refuse toute forme de majorité pour au contraire favoriser l'échange, l'apprentissage réciproque et l'empathie des acteurs, dans une dynamique progressive, qu'elle apparaît complémentaire de la démocratie représentative (ou «délégative»). Il ne s'agit pas de remettre en cause les procédures de représentation par le vote, mais d'atténuer la «tyrannie de la majorité», en enrichissant la logique délégative par les apports de la démocratie dialogique, telle qu'elle apparaît à l'oeuvre, émergente, dans les forums hybrides. Il ne s'agit pas de supprimer la démocratie délégative mais de la compléter par des procédures participatives particularisantes permettant une action mesurée à la place de décisions unilatérales s'imposant de manière hétéronome, comme il ne s'agissait pas de nier la science et son difficile accès, mais de lui refuser le monopole du savoir. La représentation des minorités constitue selon les auteurs une des innovations procédurales des forums hybrides et de la démocratie technique, la plus à même d'enrichir la démocratie délégative, de réduire les logiques majoritaires abstraites au profit de la prise en compte de l'existence des groupes concrets.

Comme nous le constatons à la diversité des propos précédents, les perspectives ouvertes par la gouvernance suscitent donc beaucoup de controverses et pas mal d'interrogations. Cette perplexité traduit sans doute la difficulté d'articuler démocratie et complexité, démocratie et expertise. Mais elle témoigne aussi de la vivacité du débat qui, autour du thème de la gouvernance, oppose différentes conceptions alternatives de la démocratie. Ainsi, du point de vue pragmatique, au lieu d'opposer une conception idyllique de la bonne gouvernance à un pessimisme sans borne, il est urgent de construire des passerelles entre ces différentes positions; et de se placer non pas dans une logique de substitution des formes démocratiques de gouvernance aux modes classiques d'action publiques - mais plutôt dans une perspective de complémentarité et de nouvelle «distribution des tâches» entre l'Etat et la société civile, entre la démocratie représentative et la démocratie délibérative, et même démocratie dialogique ; entre l'innovation managériale et la crédibilité institutionnelle. Cela revient à mettre la gouvernance à l'épreuve des réalités, ou à l'épreuve de la gouvernabilité (et de ses contradictions).

5.2. La gouvernance entre innovations et inadaptations

En admettant que la notion de gouvernance concerne plutôt les outils et les processus de l'action collective, celle de gouvernabilité quant à elle, met l'accent sur la spécificité des situations, et sur la probabilité, face à ces situations spécifiques, plus ou moins complexes, de trouver des solutions à la fois efficaces et acceptables. Si certaines situations sont

intrinsèquement ou politiquement gérables; d'autres ne le sont pas - ou ne peuvent l'être qu'au prix d'énormes sacrifices. Ce qui signifie que les solutions vont fortement dépendre de la nature des problèmes ou de la structure des relations existantes entre les différents acteurs. De ce fait, le caractère plus ou moins structuré ou controversé des questions mises en jeu, l'existence ou pas de solutions praticables, le nombre des acteurs impliqués dans cette solution et leur capacité à se coordonner, l'accord ou pas sur les objectifs et les moyens d'action, la capacité à gouverner du ou des principales instances de coordination ou des acteurs majeurs (ressources, savoir faire, légitimité, organisation), et enfin la volonté ou l'habileté de ces acteurs majeurs à élaborer un projet de gouvernement crédible et susceptible de générer des alliances stables et suffisamment puissantes, vont fortement influer.

Concrètement la notion de gouvernabilité traduit les typologies de situations plus ou moins «gouvernables» et à toute une série de distinctions entre, par exemple, « problèmes bien structurés et mal structurés; modes de gouvernement en univers stabilisé ou en univers controverse~33; gouvernabilité forte, moyenne ou faible »34. Ainsi, la notion de gouvernabilité remet finalement en cause l'idée même «d'instruments universels», de boîte à outils appropriée à toutes les situations. Dans certains cas de «basse gouvernabilité» (problèmes non structurés ou sans solution praticable, pluralité anarchique d'acteurs opposés, capacité de blocage d'un acteur majeur, faiblesse structurelle des institutions, absence de projet mobilisateur...) les gains à attendre de procédures plus ouvertes de «gouvernance» seront mineurs. Et puis surtout les «styles de gouvernement», et donc les processus à mettre en place, seront très différents selon la nature des problèmes en jeu et les contextes institutionnels. C'est ce qu'Olivier GODARD a formalisé dans le domaine de l'environnement en opposant de manière radicale la prise de décision en «univers stabilisé» et en «univers controversé» et que nous avons représenté sur le tableau suivant.

Tableau II : Modes de gouvernement dans deux univers de décision différents, stabilisé et controversé

La prise de décision en univers stabilisé

La prise de décision en univers controversé

Les agents ont une perception directe des effets externes ou

Prédominance de la construction scientifique et sociale des

des biens collectifs

problèmes sur la perception directe par les agents

Leurs préférences sont bien informées

La représentation séparée des intérêts de tiers absents est en

Seuls les intérêts ou préférences des agents présents sont directement pertinents

cause: générations futures, autres pays, espèces naturelles, biosphère

Ces agents disposent de procédures sociales adéquates pour exprimer leurs préférences:

Ils sont des porte-parole contradictoires

marché, votes, manifestations et protestations, conflits

 

La connaissance scientifique s'est stabilisée sur les aspects

La connaissance scientifique est encore controversée sur des

des problèmes pertinents pour l'action:

aspects essentiels du problème pertinents pour l'action

- chaînes causales élucidées

 

- dommages bien constituées

 

- imputation des responsabilités dénuées d'ambiguïté

 

Les phénomènes en cause sont réversibles:

Du fait de l'irréversibilité potentielle, et du caractère majeur

on peut attendre un développement suffisant des

des enjeux, certains acteurs estiment qu'il faut agir

connaissances pour pouvoir prendre des décisions

immédiatement, sans attendre la stabilisation des

conforme aux exigences du modèle de la rationalité substantielle (analyses coûts - avantages)

connaissances

33 Olivier GODARD, «Stratégies industrielles et convention d'environnement. De l'univers stabilisé aux univers controversés», INSEE méthode 1993, Paris.

34G. VAN VLIET et Carlos MATUS, «Planification en sistemas de baja governabilidad», IDRI, Bogota, 1982.

Les connaissances scientifiques stabilisées constituent un monde commun pour tous les acteurs, de façon préalable à l'action

Les théories scientifiques, les «visions du monde et du futur» deviennent des variables stratégiques donnant naissance à de nouvelles formes de compétition

L'enjeu de la situation: l'efficacité économique et l'équité, sur la base d'intérêts bien constitués

L'enjeu de cette compétition: la formation de communautés
épistémiques et la fixation de conventions d'environnement

Source : Olivier Godard, 1993

C'est également dans cette perspective que Yves Mény et Jean-Claude Thoenig35 différencient fortement plusieurs types possibles de processus ou styles de gouvernement plus ou moins efficaces - en fonction du degré d'accord ou de désaccord entre acteurs sur les objectifs et les valeurs (première dimension), et du degré de certitude ou d'incertitude existant sur le fait et les moyens à mettre en oeuvre (seconde dimension). Dans certaines situations les contradictions pourront être gérées par la négociation ou le pragmatisme; dans d'autres cas on n'évitera pas un processus chaotique essentiellement régulé par les crises (tableau 3).

Tableau III : Nature des problèmes et processus ou styles de gouvernement

Degré d'accord sur les objectifs et les valeurs

ELEVE FAIBLE

Processus programmé

Routines, automaticité, non-évènement. Technicisation, bureaucratisation, planification.

Processus négocié

Débats idéologiques ; recours à l'expérience et à la tradition. Controverses officielles

et compromis informels.

Processus pragmatique

Recours aux experts, empirisme

(le mieux qu'on peut) recherche de variantes stratégiques

Processus chaotique

Evitement, décentralisation, recours à l'autorité ou à l'homme providence ; gestion des crises.

 

ELEVE

Degré de certitude sur les moyens, les faits, la connaissance

 

FAIBLE

Source: Y. Mény et J. - C. Thoenig 1989

Ainsi donc, le concept de gouvernabilité rappelle l'indissociabilité entre les processus de gouvernements et les contextes structurels dans lesquels ils se déroulent.

Ceci étant, les concepts de gouvernance et de gouvernabilité, malgré leurs différences ont néanmoins en commun, d'être très fortement liés à l'analyse de système. Ils s'inspirent clairement d'une conception managériale des systèmes politiques pour laquelle il s'agit essentiellement de trouver des solutions pragmatiques à des défaillances de marché ou à des défaillances d'intervention publique. Maintenant, la question qui se pose naturellement est de

35 Yves MENY et Jean-Claude THOENIG ; Politiques Publiques, PUF, Paris, 1989

savoir si on peut parler de «bonne gouvernance» - ou de «gouvernabilité forte ou faible» - sans vision normative du bon gouvernement? Evidement, des controverses ne sauraient manquer à cette question.

La Gouvernementalité du philosophe Michel Foucault (auquel on doit cette notion), remet en cause la neutralité idéologique du «bon gouvernement» dont certains auteurs américains comme Karl Deutsch ou David Easton tentent de défendre sous une perspective fonctionnaliste, «cybernétique»36, et apolitique. Pour Deutsch, qui a joué un rôle majeur dans la filiation entre cybernétique et gouvernance, celle-ci s'apparente en effet essentiellement à un ensemble fonctionnel d'instruments de contrôle et de guidage. Un ensemble de régulations qui permettent au système politique de s'adapter à son environnement, et font intervenir de manière centrale la capacité à diffuser, échanger, recevoir de l'information. Comme l'indique le titre même d'un de ses livres majeurs: The Nerves of Government37, ce qui compte dans le système politique, ce ne sont pas «les muscles ou les os» (c'est à dire les «rapports de force») mais «les nerfs» : «il est donc plus profitable - écrit dès 1963 K. Deutsch- d'étudier le gouvernement non pas comme un phénomène illustrant la présence du pouvoir, mais comme un instrument de guidage, le guidage étant avant tout une question de communication. S'il y a dysfonctionnement du système politique, c'est parce qu'il n'est plus capable de déchiffrer ou capter les informations essentielles, ou parce qu'il y a un écart croissant entre l'interdépendance des acteurs et l'échange d'information».

Conçue ainsi comme un ensemble de mécanismes autorégulateurs, d'incitations et de signaux, la gouvernance ne suppose, dans cette perspective, aucune vision politique ou éthique du bon gouvernement, aucune conception du monde ou «méta-rationnalité», si ce n'est un vague assentiment sur des règles purement procédurales et cognitives de transparence, de réflexivité et d'accès à l'information. Elle n'intègre pas non plus la dimension du temps et de l'irréversibilité, qui est pourtant, comme on le sait, essentielle pour déterminer l'efficacité des mécanismes «d'autorégulation» mis en jeu par la communication. La position de Michel Foucault est, dans une large mesure, symétrique à celle de Karl Deutsch: là où ce dernier privilégie l'autorégulation sans rupture, la neutralité du fonctionnalisme, et les vertus de la rationalité communicatrice, il réintroduit la discontinuité historique, la spécificité du pouvoir, et l'importance des visées politiques. Pour lui, nous ne pouvons comprendre les pratiques pragmatiques, les arrangements collectifs, le fonctionnement des outils ou des procédures en les isolant des objectifs et valeurs assignées à l'action publique; mais surtout en oubliant les formes de rationalité, ce qu'il appelle lui- même «les régimes de vérité» qui structurent en profondeur ces pratiques ou ces arrangements. C'est cette combinaison des outils, des objectifs et des systèmes de rationalité qui définit la «Gouvernementalite~»38 un art de gouverner dont les formes changeantes sont indissociablement liées à l'histoire: de même que Machiavel introduit une rupture radicale par rapport au modèle politique de la Renaissance; de même ne peut-on assimiler l'art de gouverner orienté par la Raison d'Etat à celui qui se construit à partir du 1 8ème siècle, autour de la conception libérale de la politique puis du biopouvoir.

36 La «cybernétique» signifie au sens propre "l'action de manoeuvrer un vaisseau" ou "l'action de diriger, de gouverner" au sens figuré.

37 Karl Deutsch, The Nerves of Government, New York, Free Press, 1963

38 Michel Foucault, De la Gouvernementalité; Edition du Seuil 1989, Paris.

CONCLUSION

De la gouvernance politique à la gouvernance mondiale, en passant par la gouvernance d'entreprise, nous avons vu que le politique est dilué au sein de cette mouvance globalisante. Mettant de côté les dérives d'instrumentalisation que l'usage du terme peut développer dans ses champs d'application, récapitulons plutôt les aspects épistémologiques du terme. En une phrase, la gouvernance renvoie à un pouvoir distribué. À un noyau de pouvoir unique et concentré se substituent des instances multiples impliquées dans l'action publique. Dans le dispositif complexe de la polyarchie, tous détiennent une partie de pouvoir, d'où une opacité des mécanismes de décision et un brouillage des frontières et des responsabilités. Si nous admettons que la distribution du pouvoir fait partie de l'objet d'étude de la gouvernance, on pourra dire que la théorie de la gouvernance offre une portée critique, utile à l'examen ultérieur de propositions. Il est clair que le succès du terme gouvernance et du champ qu'il englobe dépasse les effets de mode ou de rattrapage de quelques organisations pour le développement. Si la gouvernance a pu servir à ces raisons, elle tient aussi, et c'est le plus important, à une tentative de réponse aux nouvelles conditions historiques de l'action publique mais surtout des nouvelles formes de participation dans un contexte de globalisation.

En définitive, nous retenons que les différentes approches, orientations et applications de la gouvernance appartiennent principalement à trois champs d'utilisation de cette notion :

1. La gouvernance contractuelle du partenariat entre le secteur public, le secteur privé et les organisations de la société civile, prenant en considération les modes de régulation, les niveaux et les instances de décision, et récusant toute organisation ou tout contrôle centralisés. Cependant, l'indétermination du concept, hybride et ouvert, doit être considérée comme une occasion de dépasser le manichéisme réduisant l'économique au marchand et le politique au gouvernement ou à l'Etat, sans considérer la pluralité dans les modes de participation à la vie politique et économique.

2. La gouvernance du développement, promue essentiellement par les institutions de Bretton Woods (BM et FMI) comme une nouvelle forme d'intervention dans la sphère publique afin de réduire les déficits de l'Etat et comme un outil idéologique au service des politiques de privatisation. Mais en faisant le discrédit des régimes démocratiques, non rodés par l'usage, dont les Etats du Sud viennent de se doter ou qu'ils viennent de restaurer et en décrétant également l'action de ces Etats inefficace sinon corrompue, incohérente et contre-productive, les financeurs de l'aide au développement (par ailleurs aujourd'hui en échec) ne peuvent en aucun cas espérer un développement harmonieux et durable de ces pays. Il faut que les promoteurs de la bonne gouvernance tiennent compte des processus historiques de démocratisation propres à chaque Etat, d'autant plus que les imperfections et manque de performance de ces Etats restent discutables. En plus, le recours aux ONG et aux entreprises ne doit pas se faire à la place de l'Etat, mais avec l'Etat.

3. La gouvernance transnationale, aux niveaux régional (Union Européenne) et mondial, se référant à un nouvel ordre mondial. Dans cet ordre, la décision centralisée de l'Etat fait place à la subsidiarité, le partenariat ou la régulation.

Cependant, il est regrettable de constater la faiblesse des études critiques sur la gouvernance menées jusqu'ici. De par leurs orientations souvent instrumentalistes et financières, les usages de la notion ont une forte tendance à privilégier l'approche mécanique et normative, devenant le résultat automatique d'une série de procédures, au détriment du développement de la potentialité critico-analytique du terme. Les tentatives d'innovation de ce concept pourront pallier les imperfections liées à son appropriation surtout dans les pays du Sud ; mais aussi

une réelle compréhension de qui pourra être immédiatement mise au service de la démocratie et de la reformulation des politiques (démocratie cognitive, démocratie dialogique, prise en compte de la gouvernementalité, etc.). Le développement de cette approche gagnerait en effet à s'élargir dans un cadre comparatif plus international. Il y aurait grand intérêt à compléter la construction d'une nouvelle matrice théorique avec des apports qui peuvent consolider sa pertinence. Nous pensons à la ?gouvernométrie? de Aboubacar Yenikoye Ismaël et de la ?gouvernance située? l'un de nos chantiers de recherche avec Hassan Zaoual. Néanmoins, la théorie de la gouvernance aura jusqu'ici provoqué un débat sur l'espace public, les rapports de coopération, l'intérêt général, la place de l'Etat, du secteur privé et des organisations de la société civile dans le développement des alternatives de régulation vis-à-vis de l'hégémonie néolibérale.

Comme on le constate finalement à travers toutes ces préconisations, la gouvernance suppose donc des changements structurels et un ensemble d'innovations qui vont manifestement très au-delà du bricolage pragmatique et des arrangements de terrain dans lesquels on la cantonne généralement. Même si notre parcours sur la notion de gouvernance reste sommaire, il a essayé de montrer pourquoi la gouvernance est pour le moment un concept pas tout à fait établi, capable d'avoir un statut scientifique à part entière à certaines conditions qui se réfèrent essentiellement à son développement substantiel et à celui d'une véritable théorie critique, s'imprégnant d'historicité, se référant à des contextes sociaux et culturels particuliers et sachant déterminer précisément l'objet d'étude. Son autonomie par rapport à des discours normatifs, mécaniques ou issus d'une nature d'application technique est une autre exigence qui reste à valider.

L'enjeu de la gouvernance doit être de faire émerger des valeurs communes qui puissent présider aux conflits d'identité. L'émergence d'une «communauté» partielle et évolutive, portée par une idée du bien commun et concrétisée par une action collective à l'égard de biens publics globaux identifiés ensemble, est le moyen de redonner du pouvoir et du sens à la démocratie. En un mot, il s'agit de faciliter la collaboration entre l'État et la société civile dans le but non seulement de rendre plus souple cette dynamique mais aussi afin d'améliorer la régulation sociale. D'autre part, il faut aussi assouplir les structures étatiques, réduire les hiérarchies pour accroître l'autonomie et les responsabilités aux structures locales afin de rendre de meilleurs services aux citoyens. Enfin, il s'agit, dans le cas de la gouvernance mondiale, de réduire les barrières économiques et politiques entre les États dans le but d'augmenter les échanges commerciaux plus équitables entre les pays et favoriser une économie sociale et solidaire.

Ainsi, la théorie de l'empowerment39, étudiant socialement les capacités de devenir acteur de sa propre histoire, et celle des sites symboliques pour la prise en compte des conditions mésologiques et anthropologiques de chaque système dans le processus de développement, sont fortement liées à la participation et représente de ce fait une perspective adaptée aux nouvelles conditions de la gouvernance démocratique globale face aux défis actuels.

Dans ce cadre, l'économie solidaire participe-t-elle dans ses relations avec les différents échelons de pouvoirs publics, au développement de nouvelles relations partenariales et plus globalement à l'émergence de nouveaux principes de gouvernance, notamment dans le cadre de projets de développement local et initiatives d'économie populaires en Afrique subsaharienne? Quelles modes d'expression de l'intérêt général, faudra-t-il envisager, à travers notamment la participation de nouveaux acteurs locaux pouvant compléter les actions

39 « L'empowerment est un mot américain qui signifie investir les gens de pouvoirs qu'ils puissent s'épanouir et donner le meilleur d'eux-mêmes » (Scott et Jaffe, 1992, p.3).

traditionnellement dévolues aux pouvoirs publics nationaux ? Comment dès lors qualifier les nouvelles formes de pilotage au niveau local et quelle place attribuer aux acteurs de l'économie sociale et solidaire ? Sont entre autres les questionnements qui guideront notre démarche dans nos prochains documents.

BIBLIOGRAPHIE

ABOUBACAR YENIKOYE Ismaël Bonne gouvernance : un défi majeur pour l'humanité. C.E.R.C.A.P., 2002

BADIE B., La fin des territoires, Paris, Fayard 1995

BAIL Christophe Environmental Governance: Reducing risks in democratic societies. Introduction paper, EEC, Future Studies Unit, 1996

BERLE et MEANS, The Modern Corporation and Private Property Transaction Publishers, New Brunswick, NJ, 1991

BRATTON, M. et ROTHCHILD, D. Bases institutionnelles de la gouvernance en Afrique, in GORAN, Hyden et Bratton, Michael, Gouverner l'Afrique, Nouveaux Horizons, 1992. CALLON, M. et al., Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, (collection «La couleur des idées») Paris, Le Seuil, 2001.

Campbell Bonnie, Un partenariat avec l'Afrique: pour faire quoi et pour le développement de qui? in Revue Relations, Société, Politique, Religion, Montréal, no. 676, mai 2002

COASE, Ronald H., The Nature of the Firm, Economica, vol. 4, November 1937 COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES, Gouvernance européenne. Livre Blanc, COM 428, Bruxelles, 2001.

COMMISSION ON GLOBAL GOVERNANCE, 1995, Our Global Neighbourhood, Oxford University Press, Oxford

COMMISSION ON GLOBAL GOVERNANCE, Our Global Neighbourhood, Oxford University Press, Oxford 1995.

DEUTSCH Karl, The Nerves of Government, New York, Free Press, 1963

EDEM, Kodjo, L'Occident du déclin au défi, Stock, 1988.

FOUCAULT Michel, De la Gouvernementalité; Edition du Seuil 1989, Paris.

GAUCHET M, préface au texte de Benjamin Constant De la liberté chez les Modernes, Paris, L.G.F. 1980

GAUDIN Jean-Pierre, Pourquoi la gouvernance ? Presses de Sciences Po, Paris 2002 GORAN, Hyden et BRATTON, Michael, Gouverner l'Afrique, Nouveaux Horizons, 1992. HAURIOU, A. et al, Droit constitutionnel et Institutions politiques, Ed. Montchrestien, 1975. HEWITT DE ALCANTARA Cynthia, Du bon usage du concept de gouvernance, Revue Internationale des Sciences Sociales, 1988.

JESSOL B. L'essor de la gouvernance et ses risques d'échec : le cas du développement économique, RISS, Mars 1998.

KOOIMAN Jan, Modern Governance, Sage, London. 1993

LANCASTER, Carol, Governance in Africa, Atlanta, Carter Center, 1990.

LATOUCHE S et al ; Critique de la raison économique. Introduction à la théorie des sites symboliques, l'Harmattan, Paris 1999

LATOUCHE Serge Survivre au développement, Eds Mille et une Nuits, Paris 2004

LE GALES P., Du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine, Revue française de science politique, vol. 45, n° 1. 1995

LE ROY E, L'introduction du modèle européen de l 'Etat en Afrique Noire. Logique et mythologiques du discours juridique, Bulletin de liaison de l'équipe de recherche en anthropologie juridique 1983

LECA Jean, Préface in Le gouvernement des Villes. Paris, Descartes & Cie. 1997 LOFCHIE, Michael, Beyond Autocracy in Africa, Atlanta, Carter Center, 1989.

MARCH James, OLSEN Johan, Markets and Hierarchies: Analysis and Antitrust Implications, The Free Press, New York, 1975

MARCOU G. et al., Les gouvernements des villes et les relations contractuelles entre collectivités publique, in Godard F, le Gouvernement des villes territoires et pouvoirs Descartes &Cie, 1997

MARIE A, l'Afrique des individus. Paris, Khartala, 1997

MERRIEN F-X, De la gouvernance et des Etats providence contemporains, Revue Internationale des Sciences Sociales, Paris : 155, UNESCO/érès. 1998

NDIAYE Cheikh Une approche territorialisée du développement urbain durable : le cas de la Communauté Urbaine de Dunkerque, Mémoire de master recherche Acteurs et Territoires, ULCO, 2005.

OSMONT Annik, La ?governance ?. Concept mou, politique ferme, Annales de la recherche urbaine. Gouvernances, n° 80/81, décembre 1998

OSMONT, Annik, La Banque mondiale et les villes du développement à l'ajustement, Karthala, Paris. 1993

PAGDEN A La genèse de la gouvernance et l'ordre mondial «cosmopolite selon les Lumières, Revue Internationale des Sciences Sociales, Paris,: 155, UNESCO/érès. 1998 PETITEVILLE F, Trois figures mythiques de l 'Etat dans la théorie du développement, Revue Internationale des Sciences Sociales : 155, UNESCO/érès. Paris, 1998

SEN Amartya. Un nouveau modèle économique : Développement, Justice, Liberté Odile Jacob, 2000

SEN, A. Development as Freedom, Alfred A. Knopf, New York 2001

SEN, A. L'économie est une science morale, La Découverte - 1999

SENARCLENS P, Gouvernance et crise des mécanismes de régulation internationale, Revue Internationale des Sciences Sociales : 155, UNESCO/érès. Paris1 998

SMOUTS, Marie-Claude Du bon usage de la gouvernance en relations internationales, Revue Internationale des Sciences Sociales RISS, 1988.

STOKER G, Cinq propositions pour une théorie de la gouvernance Revue Internationale des Sciences Sociales : 155, UNESCO/érès. Paris. 1998

THEYS Jacques, La gouvernance, entre innovation et impuissance: le cas de l'environnement, (pp.125 - 167) in Serge WACHTER, L'aménagement durable. Défis et politiques, Paris, éditions de l'Aube 2002

UZUNIDIS D., Innovation and proximity. Enterprises, entrepreneurs and innovative milieu, Cahier du Lab.RII, n°144, février 2007 http://riien.univ-littoral.fr/wpcontent/uploads/2007/02/doc 1 44.pdf

WILLIAM JC, L'exportation de la démocratie : enjeux et illusions in Démocratie et Développement Karthala. Paris. 1998

WILLIAMSON Olivier, Markets and Hierarchies: Analysis and Antitrust Implications, The Free Press, New York. 1975

WILLIAMSON Olivier, Corporate Control and Business Behavior: An Inquiry into the Effects of Organisation Form on Enterprise Behavior, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, N.J. 1970

WORLD BANK, Reforming Public Institutions and Strengthening Governance: A WorldBank Strategy, 2002.

WORLD BANK, Governance and Development, Washington DC, November 1994.






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci