WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La gouvernance, Etat des lieux et controverses conceptuelles

( Télécharger le fichier original )
par Cheikh NDIAYE
Université du Littoral - Doctorat 2008
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

3.3. La Bonne Gouvernance

Les «prêcheurs» de la gouvernance sont principalement des experts de la Banque Mondiale et du FMI dont William J-C. Rejetant l'économisme qui les caractérisait auparavant et nouvellement conscients du poids du politique sur l'économique, le social et le développement des pays notamment des pays en voie de développement, ces experts trouvèrent dans «la gouvernance» une expression commode de parler «politique» alors qu'ils n'ont pas mandat explicite de le faire. La gouvernance est donc d'abord une manière de parler du politique sans le nommer en suggérant «...l'effort pour dégager un consensus ou obtenir le consentement nécessaire à l'exécution d'un programme dans une enceinte ou de nombreux intérêts divergents entrent en jeu» (de Alcantara C-H, 1998). En effet, dès 1989, la gouvernance retrouve des applications normatives spécifiques : la bonne gouvernance, devient l'étendard institutionnel de la Banque mondiale. Elle s'approprie certains éléments des approches que nous développerons plus loin, dont notamment ceux de la gouvernance corporative, qu'elle adapte aux nouvelles stratégies néolibérales de développement, en droite ligne des consignes dudit «Consensus de Washington».

Ces stratégies ont été proposées ou imposées aux pays africains, suite à une série de séminaires de réflexion sur la situation du continent14. La Banque mondiale a ainsi fait sa propre lecture des faits, constatant qu'aucun projet économique ne pouvait aboutir si les conditions minimales de «légitimité politique, d'ordre social et d'efficacité institutionnelle» n'étaient pas respectées. De son point de vue, les échecs des plans d'ajustement structurel (PAS) seraient liés à une mauvaise gouvernance régnant dans les pays pauvres, dont les administrations devraient se réformer pour mieux répondre aux exigences du nouveau «paradigme» rendu possible par les PAS. Ses principales dimensions sont la réduction des dépenses étatiques, la responsabilité du secteur public (accountability, essentiellement composée de la lutte contre la corruption) et la transparence fiscale et de l'information. Ses conditions les plus importantes sont la privatisation des services publics et des droits de propriété, et la bancability15.

Une abondante littérature a déjà été consacrée à cette approche du développement limitée à la gestion du secteur public ; mais retenons en rapport avec notre sujet trois caractéristiques:

- la bonne gouvernance se focalise sur les conditions favorisant la croissance économique, en vertu de cela, elle présuppose une orientation résolument néolibérale;

- issue d'un débat interne - à certaines organisations internationales - entre ceux qui revendiquent une intervention sur le politique et ceux qui s'y opposent, elle est un terme à haut potentiel de mystification, car il «parle du politique sans le dire»;

- elle est cantonnée à une rationalité technocratique des procédures.

Malgré l'aspect un peu «light» de ces caractéristiques, elles sont loin d'être imprécises dans la pensée de ses initiateurs. Il s'agit principalement de mesures politiques et administratives visant à accompagner les politiques d'ajustement structurel et les réductions drastiques des dépenses des Etats notamment sur le plan social. La bonne gouvernance vise également à créer un environnement favorable au développement du secteur privé. Telle est la dimension prescriptive de la gouvernance. Elle a également une dimension normative et analytique ;

14 Définition de la gouvernance selon la Banque mondiale: «The manner in which power is exercised in the management of a country 's economic and social resources for development. » World Bank, From Crisis to Sustainable Growth. Sub-Saharan Africa: A Long-term Perspective Study, 1989. Le célèbre rapport a été publié également en français (Banque mondiale 1989).

15 «Eligible aux règles de crédit».

c'est d'ailleurs cette pluridimensionnalité qui la rend ambiguë et complexe. Les deux premières sont les plus visibles. Elles indiquent ce qui est «bien» ou «mieux» à faire et comment il «faut le faire». C'est ce qu'on appelle la «bonne gouvernance». La troisième dimension est analytique, car elle constitue une nouvelle manière d'aborder le politique éloignée des perceptions classiques fortement centrées sur l'Etat et sur une vision «mythique» ou idéologique de cet Etat. Quoi qu'il en soit, la bonne gouvernance a été largement reprise par la coopération multilatérale et bilatérale, avec quelques variations. Elle n'est pas seulement devenue un modèle à usage des pays du Sud, mais est aussi appliquée dans certains pays de l'Union Européenne, notamment l'Angleterre. Dans ces cas, la gouvernance met en exergue le phénomène du transfert de compétences de la sphère de la gestion publique à celle de la science, entre leurs différents champs de production de connaissances et d'application de procédures. Dans ce sens, l'essor du terme est une autre manifestation des interdépendances croissantes entre décideurs politiques, bailleurs de fonds de la coopération internationale (y compris des ONG) et une recherche appliquée (publique et privée) menée sous les velléités de la commande. Outre le grand intérêt que représentent ces nouvelles passerelles entre « le savant et le politique », les risques d'instrumentalisation et de sollicitations des sciences sociales pour la légitimation de certaines politiques sont élevés, au détriment du renforcement critique et épistémologique nécessaire comme nous le verrons plus loin.

De plus, l'un des aspects de l'application de la «troisième voie « proposée par Giddens et mise en oeuvre par le gouvernement britannique à la fin des années 1990 est l'apparition de programmes de recherche, suscités par le gouvernement, sur le thème de la gouvernance, cela notamment à travers l 'Economic and Social Research Council et la London School of Economics. Dans cette lignée, l'application de la bonne gouvernance à partir de 1996 s'accompagne d'une sorte de «mission pédagogique» et de diffusion d'une référence partagée des connaissances parmi une partie de la communauté scientifique préoccupée par l'ingénierie socio-économique. Ainsi la BM met en oeuvre cette stratégie à travers le World Bank Institute et ses publications (Development Studies). Des banques régionales du système partagent cette démarche, ainsi que d'autres organisations comme l'OCDE, l'OMC, la CNUCED ou l'UNCHS. En tant que bailleurs de fonds pour la réalisation de recherches, d'études et d'actions de développement, ces institutions, avec des gouvernements et des fondations privées, déclarent prioritaire la mise en place d'une bonne gouvernance et déclenchent une mouvance suivie aussi par des ONG internationales et des grandes organisations humanitaires, voire des écoles nationales d'administration publique et des universités. De son côté, la méthode de la gouvernance locale ou urbaine est renforcée par des programmes internationaux sur le city management. Certains centres universitaires prennent le relais, comme le Canadian Urban Institute ou le Centre for Urban and Community Sudies de Toronto.

Quant à l'Union européenne, elle a publié en 2001 le «livre blanc sur la gouvernance européenne», qui revoit l'ensemble des règles, des procédures et des pratiques qui affectent la façon dont les pouvoirs sont exercés à l'échelle européenne (Commission des Communautés européennes 2001). Par ailleurs, en 2002 a été lancé le 6e Programme pluriannuel de recherche-développement (PCRD) dont l'un des thèmes prioritaires est bien la gouvernance. L'UE semble invoquer la gouvernance pour deux raisons: le besoin de comprendre sa propre structure institutionnelle, s'agissant d'une organisation sui generis, concentrant à la fois des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires, et le besoin de travailler dans les processus de régulation publique au niveau régional, originalité des approches classiques, basées sur le local et sur le global.

Ainsi donc, la bonne gouvernance intègre dans la perception des institutions internationales (B.M., PNUD...) et même pour les agences de coopération, des dimensions et des exigences particulières : démocratie locale, participation populaire à travers les associations et les ONG, transparence dans la gestion des budgets publics et lutte contre la corruption. A titre d'exemple, le traité de l'union Européenne lie étroitement la politique de coopération au « développement et à la consolidation de la démocratie et de l'Etat de droit ainsi qu'au respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales » (Article 130). En définitive le concept de gouvernance renvoie selon ses promoteurs à trois systèmes16

- Le système politico - administratif.

- Le système économique.

- La société civile.

Donc le développement économique et social ne peut se réaliser que grâce aux transformations de ces trois systèmes en vue d'une plus grande cohérence et d'une synergie dans le fonctionnement du système global. Les fondements conceptuels et opérationnels du « modèle de bonne gouvernance » se résumeraient finalement dans17 :

- La transparence dans la gestion des affaires publiques.

- La démocratisation et la participation de la société civile.

- La recherche systématique de l'amélioration de l'efficacité et l'efficience organisationnelle.

Cette approche de la gouvernance est largement inspirée, en fait, par les apports théoriques récents réalisés par le prix Nobel d'économie 1998 Amartya Sen pour lequel le progrès social et la démocratie sont des processus qui se renforcent mutuellement. Ce sont ces fondements théoriques mais aussi les réalités empiriques des expériences de développement qui ont fait incontestablement évoluer l'attitude des organisations financières internationales sur le rôle de l'Etat dans le développement économique. En pratique, la Banque mondiale définit assez étroitement la gouvernance comme le pouvoir au service du développement, « étant entendu ici comme le pouvoir politique de diriger les affaires d'une nation «. Pour les responsables de la Banque mondiale, «le comportement des élites politiques africaines, avides de s'enrichir, encouragées dans cette voie par le flux de l'aide étrangère, a miné l'efficacité de l'Etat «. L'analyse qu'ils proposent, souligne Lancaster, « reconnaît la nécessité de la suprématie du droit, de la liberté de la presse, du respect des droits de la personne et de l'action des citoyens au sein des associations qui agissent comme médiateurs entre l'Etat et la société. Mais les gouvernements membres de cette organisation internationale entravent les efforts des institutions financières et répugnent à souscrire à des projets qui visent explicitement le domaine politique. C'est pourquoi la Banque mondiale a préféré adopter une approche technocratique, qui oriente les réformes de gouvernance vers les encouragements à la croissance économique plutôt qu'à une politique favorable à la démocratie. A ce jour, son programme de gouvernance, encore peu étoffé, vise plutôt à réduire les dimensions de l'Etat, à privatiser les organisations paraétatiques et à améliorer l'administration des fonds d'aide» (Lancaster, 1990, p. 39).

Il s'agit en fait d'instaurer le modèle libéral de l'« Etat de droit» avec la primauté de la loi. Un des principaux piliers de la bonne gouvernance est, en effet, la réhabilitation et le rehaussement de ce qu'on appelle la société civile. L'Etat n'est plus considéré comme le seul acteur du développement ou même comme l'acteur principal. A ses côtés se trouvent le

16 B. JESSOL : « L'essor de la gouvernance et ses risques d'échec : le cas du développement économique » RISS, Mars 1998

17 HEWITT DE ALCANTARA:« Du bon usage du concept de gouvernance » RISS, Mars 1998

secteur privé et ce que les Anglo-saxons dénomment le tiers secteur correspondant en France au secteur à but non-lucratif (qui, lui, serait à cheval entre le «public» et le «privé»). Il s'agit des ONG, des associations sans but lucratif, des coopératives, des mutuelles, des syndicats et des organismes à base communautaire, des fondations, des clubs, etc. Ces derniers sont invités à prendre place dans l'oeuvre politique du développement au même titre que les pouvoirs publics et le monde des entreprises privées et des affaires. La gouvernance renvoie donc à l'ensemble de ces réformes qui visent principalement une nouvelle articulation entre l'Etat, la société et le marché. Celle-ci ne constitue pas un but en soi. Elle permet ou doit permettre le développement économique et social des sociétés sous l'égide de rapports partenariaux entre les pouvoirs publics, le monde des entreprises privées et le secteur sans but lucratif.

La recomposition du politique prônée par les tenants de la bonne gouvernance et qui concerne aussi bien les pays du Sud que les pays du Nord, est légitimée par un certain nombre de facteurs liés au phénomène de la mondialisation. Les transformations économiques et financières liées à un tel phénomène ont des répercussions politiques. En rendant obsolète la notion de marché intérieur captif et en mettant à l'épreuve le statut des monnaies nationales, elles ont des répercussions sur la marge de manoeuvre des Etats, sur la notion de solidarité nationale et enfin, et surtout, «ébranlent» le modèle politique de l'Etat-Nation, ses prérogatives classiques sur son territoire et plus généralement la souveraineté des Etats. Pour les concepteurs de la «bonne gouvernance» ces transformations loin d'être forcément négatives, pourraient permettre une communion de tous dans les mêmes valeurs autour des effets régulateurs du marché, de la démocratie et du peu d'Etat».

Telle que présentement formulées, la notion de «gouvernance» offre une image «lisse» qui ne peut que susciter l'adhésion de tous. Pour autant, il n'est pas possible de se suffire de cette première lecture ; il importe de résumer les principales critiques qui leur ont été portées, notamment en ce qui concerne les PVD. Très succinctement, ces critiques ont porté essentiellement18 :

- sur l'ethnocentrisme de cette notion et la faiblesse des catégories publiques qu'elle mobilise, parce qu'elle émane d'un contexte autrement plus différent que celui dont on voudrait la voir appliquée.

- sur les relations entre la gouvernance, la mondialisation, la démocratie et le développement. On considère dans cette optique que le phénomène de mondialisation accroît les dépendances des PVD et dissout les souverainetés économiques autant que politiques. Par ailleurs on estime que les capacités régulatrices et gestionnaires des ONG, sont très limitées...

Il est tout à fait remarquable de noter l'absence d'une ligne de force ou d'un consensus affirmé, pour un concept devenu pourtant stratégique dans les rapports Nord-Sud, et plus spécifiquement dans les relations entre les principales institutions financières internationales, les pays membres de l'OCDE d'une part, les pays en développement d'autre part. Les définitions varient d'une institution à une autre. Il est encore plus facile de relever que si le concept de gouvernance reste à spécifier, il en va de même de la notion de bonne gouvernance, dont les contours changent également d'une institution à l'autre. Mais il y a également lieu de relever l'absence d'instruments d'évaluation et de quantification de la gouvernance. On est donc placé ici dans une situation bien particulière, où la communauté internationale d'une seule voix use d'un concept, en fait un slogan, qu'elle transforme en conditionnalité d'aide au développement, sans avoir réglé les questions préalables et préjudicielles :

18 S.BEN NEFISSA : « ONG, gouvernance et développement dans le monde arabe» document de discussion n°46 MOST

- d'un consensus sur le contenu du concept ;

- d'une démarche scientifique d'évaluation et de quantification des dimensions du concept, toutes choses au demeurant si nécessaires à une démarche rationnelle, objective et équitable, surtout lorsqu'elles constituent une condition du soutien au développement humain et engagent par conséquent la vie et la survie de millions d'humains de notre planète.

C'est qu'en vérité, un tel «flou conceptuel» se révèle bien commode pour les institutions financières, car, en l'absence de standards, chacune fixera elle-même, au nom de la bonne gouvernance, ses exigences et ses conditions, appréciera les évolutions, pour décider sans rendre compte à quiconque des politiques et programmes, des réformes de structures et d'institutions que les pays en développement devront mettre en oeuvre. Ainsi, si la BM s'intéresse depuis les années 1980 à la gouvernance, comme nous l'avions déjà souligné, si le groupe de la Banque africaine de développement a fait de la bonne gouvernance le thème de son rapport annuel 2001, si le PNUD a consacré son rapport annuel 2002 à la gouvernance, si la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique a engagé un vaste programme d'évaluation de la gouvernance en Afrique depuis l'année 2001, l'absence de synergie intellectuelle, de réflexion commune et de débats interinstitutionnels et universitaires est à déplorer et conforte cette dispersion des tentatives théoriques de définition et surtout d'évaluation. Quelque soit la discipline investie par la gouvernance, elle découle principalement de deux approches théoriques celle dite anglo-saxonne et la source européenne.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand