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Justice, équité et égalité entre philosophie utilitariste et Science économique: Bentham, Mill, et Rawls

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par Didier HAGBE
Université Lyon II - Master 2 Histoire des théories économiques et managériales 2005
  

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PARTIE II LA PHILOSOPHIE MORALE : MORALE, ÉTHIQUE ET JUSTICE

Introduction

Dès sa constitution au cours du 19ème siècle, l'économie normative a constamment eu pour assise philosophique l'utilitarisme avec notamment Mill et Bentham, or d'autres auteurs tel que Rawls ont apporté un renouveau ou une différence du point de vue de la philosophie politique. Malgré les évolutions, l'orthodoxie économique continue de penser en terme d'individualisme utilitariste étroit, pour lequel les interactions entre les hommes ou entre les hommes et l'environnement sont souvent négligées. Or ces interactions constituent l'objet de la morale ou de l'éthique. Ce qui n'est pas le cas dans la pensée utilitariste de Mill comme nous pouvons l'apercevoir dans sa définition de la morale utilitariste :

« La morale peut être définie comme l'ensemble des règles et des préceptes qui s'appliquent à la conduite humaine et par l'observation desquels une existence pourrait être assurée, dans la plus large mesure possible, à tous les hommes ; et point seulement à eux, mais, autant que la nature des choses le comporte, à tous les êtres sentants de la création. »115(*).

La morale est constituée, pour l'essentiel, de principes ou de normes relatives au bien et au mal, qui permettent de qualifier et de juger les actions humaines. Ces normes peuvent être des lois universelles qui s'appliquent à tous les êtres humains et contraignent leur comportement. Il s'agit, par exemple, du respect dû à l'être humain en tant qu'homme, de l'obligation de traiter les individus de manière égale, du refus absolu de la souffrance infligée sans raison. De telles normes constituent le socle commun des cultures démocratiques libérales. Certaines d'entre elles ont été codifiées dans des systèmes juridiques, elles ont été traduites dans des lois ou principes juridiques dont la base est clairement morale. D'autres ont gardé leur nature propre de règles morales. Ce qui distingue ces dernières des lois juridiques proprement dites est le fait qu'elles sont non pas tant publiques et consignées dans des codes que connues de tous et intériorisées. La contrainte qu'exerce la morale se traduit par le fait que la violation de ses règles suscite le trouble de la conscience, la désapprobation ou le jugement moral négatif, plutôt que des sanctions publiques administrées par des corps organisés.116(*). Les morales utilitaristes ont ainsi contribué à former en nous une exigence d'attention aux conséquences, qui est au coeur des éthiques modernes de la responsabilité. Sur le plan moral, l'utilitarisme est une philosophie morale qui entretient des rapports complexes de cousinage avec l'économie. Bentham pose que les hommes sont des êtres qui recherchent le plaisir et que la promotion du plus grand bonheur devrait être le critère moral du bien. Mill de son côté insiste sur le fait que l'utilitarisme est un hédonisme éthique en ce sens qu'une action individuelle est morale si elle prend comme critère le plus grand nombre et non l'intérêt individuel.

En effet pour Bentham, le plaisir est un « plaisir quelconque ». Il est, en un certain sens à préciser, indépendant de ce qui le cause (la lecture de la poésie, une bonne partie de cartes, un verre de bière, etc.) et de celui qui l'éprouve : mon plaisir ne compte pas plus que le vôtre et ce qui importe finalement c'est la quantité totale de plaisir ou, plus exactement, l'excédent total de plaisir sur la douleur. C'est bien pourquoi le critère ultime d'évaluation des actions et des institutions proposé par Bentham, c'est celui du plus grand bonheur du plus grand nombre, « bonheur » étant compris dans un sens affectif : état de plaisir ou d'absence de peine. Mais alors, le plaisir individuel n'est plus la valeur suprême : c'est le plaisir de tous qui le devient. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous ne sommes pas tout à fait convaincu que l'utilitarisme117(*) de Bentham, soit un utilitarisme égoïste.

Le passage du point de vue égoïste de l'hédonisme individuel au point de vue altruiste de l'hédonisme universel peut être apprécié moralement. Toutefois il est difficile d'expliquer pourquoi l'être humain chercherait à augmenter le plaisir de tous, même au détriment de son plaisir individuel. Henry Sidgwick voyait dans cette tension entre l'hédonisme individuel et l'hédonisme universel la difficulté principale de la morale utilitariste. L'économie politique a associé dés l'origine le libéralisme à l'individualisme118(*), l'utilitarisme à l'hédonisme119(*). Il en résulte une théorie économique largement centrée sur le rapport de l'individu face à ses biens. L'individualisme méthodologique n'est pas synonyme d'égoïsme. C'est une explication des phénomènes sociaux à partir des seuls comportements individuels. L'individualisme méthodologique s'oppose au holisme120(*). Ainsi, Emile Durkheim distingue deux formes d'individualisme : l'individualisme utilitariste et l'individualisme associé à la philosophie morale de Kant ou à la doctrine politique de Rousseau. Ce dernier concept qui a abouti à la Déclaration universelle des droits de l'homme, ne repose pas sur l'égoïsme mais sur le respect de l'humain. Il contribue à l'individualisation, et à l'accroissement des libertés de chacun, par l'affaiblissement de l'appartenance à une entité collective.

Certains auteurs ont quelquefois différencié l'individualisme utilitariste de Bentham, à celui de Mill, en qualifiant celui de Bentham comme étant égoïste et celui de Mill comme étant altruiste. Nous ne sommes pas tout à fait convaincus de cette distinction ; l'individualisme utilitariste de Bentham connaît toutefois une certaine évolution et une certaine socialisation en fonction des époques et des auteurs. Le terme utilitarisme désigne une idéologie mêlée de psychologie sensualiste121(*), d'hédonisme122(*) éthique, et de démocratie123(*). La démocratie s'exprime dans la volonté du bonheur pour le plus grand nombre et dans l'égalité en théorie des individus lors de l'agrégation des niveaux d'utilité pour le calcul du bien-être global.

La morale ou l'éthique réapparaît avec Mill, pour qui l'homme est d'abord un être social. Tout homme considère comme naturel « la mise en harmonie de ses sentiments et de ses buts avec ceux de ses semblables »124(*). Dans l'utilitarisme altruiste de Mill, tant qu'un écart existe entre le bonheur individuel et le bonheur public, le bien d'autrui doit l'emporter sur le bonheur personnel.

« L'une des objections importantes à la version hédoniste de l'éthique utilitariste, c'est l'argument de l'impersonnalité. L'utilitarisme laisse supposer que les plaisirs et les peines pourraient être conçus indépendamment des individus qui les éprouvent ou les possèdent, et être agglomérés : d'où l'idée qu'un calcul des plaisirs et des peines n'est pas complètement absurde en principe, même s'il pose toutes sortes de problèmes techniques. En réalité, tout ce que dit l'utilitarisme, c'est que le calcul qui sert à déterminer le bonheur du plus grand nombre admet la possibilité de compensations interindividuelles. Ce que l'un ressent ou ne ressent pas peut être compensé par ce que l'autre ressent ou ne ressent pas ; de la même façon disons qu'un individu peut compenser une perte de salaire par un gain au loto. »125(*).

John Rawls, cherche à construire une théorie politique, cette théorie politique est appuyée sur une conception de la morale dont l'inspiration kantienne est explicite. La troisième partie de la Théorie de la justice est, d'ailleurs, consacrée aux fins et vise bien à réinsérer la théorie politique dans une philosophie morale.

Définie par les célèbres deux principes (qui sont en fait trois), une telle société est d'abord une société dont les membres jouissent pleinement et également des "droits de l'homme", plus précisément d'un ensemble dûment spécifié de libertés fondamentales. Elle est ensuite une société d'où est bannie toute forme de discrimination : dans les limites imposées par les libertés fondamentales - qui empêchent notamment d'abolir la famille -, tout doit être fait pour que seuls les talents innés puissent légitimement affecter les possibilités d'accès aux diverses positions sociales. Enfin, si dans une société juste il peut y avoir des inégalités socio-économiques, c'est seulement à la condition qu'elles permettent à ceux qui occupent les positions sociales les moins avantagées d'accéder durablement à des avantages socio-économiques plus importants que sous tout arrangement plus égalitaire. La justice, en d'autres termes, ne consiste ni à gonfler autant que possible la somme des avantages socio-économiques ni à en égaliser autant que possible la répartition, mais à rendre aussi grande que -durablement - possible la part la plus petite.

Cette conception de la justice n'implique pas de rejet a priori du marché. Elle est par ailleurs très loin d'entériner un capitalisme dérégulé. Elle ne justifie pas non plus un capitalisme flanqué d'un Etat-providence recueillant les nombreux exclus du marché. En revanche, rien en elle n'exclut en principe un "socialisme libéral" combinant la propriété publique des moyens de production et une pleine liberté de choix occupationnel qu'un marché du travail performant rendrait compatible avec une allocation efficace des ressources. Et rien n'exclut non plus une "démocratie des propriétaires" combinant la propriété privée des moyens de production avec une diffusion si large du capital et des qualifications que les interventions ciblées et stigmatisantes de l'Etat-providence en deviendraient sans objet.

La conception de la justice sociale ainsi grossièrement esquissée s'adosse à l'imposante tradition "contractualiste" issue de Kant, que Rawls a renouvelée en avançant la célèbre notion de "position originelle", une situation fictive caractérisée par la poursuite de l'intérêt personnel derrière un voile d'ignorance qui contraint à l'impartialité.

Echappant rapidement au cercle des seuls philosophes, la conception rawlsienne de la justice distributive n'a pas tardé à s'infiltrer chez les économistes. Ceux-ci ont certes souvent commencé par croire que Rawls proposait simplement de substituer à la maximisation du bien-être moyen, figure centrale de la vulgate utilitariste dont ils étaient imprégnés, la maximisation du bien-être minimal. Mais ils ont peu à peu perçu qu'il offrait une alternative bien plus radicale à l'utilitarisme, faisant comme lui place à des considérations d'efficacité économique, mais solidement encastrées dans un cadre éthique autrement plausible, de par la place qui y est faite aux libertés fondamentales et au souci prioritaire des moins favorisés.

Dans cette deuxième partie nous aborderons dans un premier chapitre, la présentation de la théorie de Rawls, dans un second chapitre nous étudierons Rawls et la critique de l'utilitarisme, puis dans un troisième chapitre notre travail portera sur la discussion et les commentaires sur la théorie de Rawls et ses critiques de l'utilitarisme, et enfin dans un dernier chapitre, nous observerons l'influence de Rawls sur la théorie économique contemporaine et révision par celle-ci de ses prémisses utilitaristes.

Chapitre I : Présentation ordonnée de La théorie de Rawls et sa critique de l'utilitarisme

Section I : « La théorie de la justice comme équité : une théorie politique et non pas métaphysique ». Ou comment Rawls conçoit sa théorie.

John Rawls ne conçoit pas sa théorie de la justice comme étant une conception dépendant des prétentions philosophiques, ni la prétention à une vérité universelle ou celles concernant la nature essentielle et l'identité de la personne. Pour Rawls, dans une démocratie constitutionnelle, la conception publique de la justice devrait être autant que possible, indépendante des doctrines religieuses et philosophiques sujettes à des controverses. La conception publique de la justice doit être politique et non pas métaphysique. Rawls a donc conçu sa théorie de la justice comme équité comme une conception politique de la justice, même si cette conception se veut morale, elle est faite pour s'appliquer à un certain type d'objet, à savoir les institutions économiques, sociales et politiques d'une démocratie constitutionnelle avec un seul système unifié de coopération sociale. John Rawls126(*), insiste sur le fait que la théorie de la justice comme équité ne représente pas l'application d'une conception morale générale à la structure de base de la société comme si cette structure était simplement un as parmi d'autres auxquels elle s'appliquerait. De ce point de vue Rawls pense que sa théorie est différente des doctrines morales traditionnelles, car celles-ci sont en général considérées comme des conceptions générales de ce type. Rawls pense que le point essentiel est qu'en matière de pratique politique, aucune conception morale générale ne peut fournir un fondement publiquement reconnu pour une conception de la justice, dans le cadre d'un Etat démocratique moderne.

Pour Rawls, la théorie de la justice comme équité doit en cela essayer de ne reposer que sur les idées intuitives qui sont à la base des institutions politiques d'un régime démocratique constitutionnel et sur les traditions publiques qui en commandent l'interprétation. L'objet de l'ouvre de Rawls était de proposer une théorie de la justice valable pour une démocratie qui soit à la fois assez systématique et raisonnable et qui offre une alternative à l'utilitarisme.

La théorie de la justice comme équité de Rawls essaie d'arbitrer entre ces traditions concurrentes, tout d'abord en proposant deux principes de justice pour servir de guide dans la réalisation par les institutions de base de valeurs de la liberté et de l'égalité, et ensuite en définissant un point de vue d'après lequel ces principes apparaissent plus appropriés que d'autres à la nature des citoyens d'une démocratie, si on les considère comme des personnes libres et égales, c'est-à-dire comme doués d'une personnalité morale qui leur permet de participer à une société envisagée comme un système de coopération équitable en vue de l'avantage mutuel.

I) La position originelle

Pour déterminer des principes de justice, dans la lignée des théories du contrat social, Rawls va construire ce qu'il appelle la position originelle, une situation hypothétique qui n'a rien à voir avec l'« état de nature ». Au fondement de sa construction, Rawls imagine une position originaire dans laquelle les individus prêts à discuter des principes de justice, appliqués dans la société où ils seront amenés à vivre ensemble, ignoreraient tout ce qui les différentiera concrètement. Ils sont placés « sous un voile d'ignorance » : c'est-à-dire une situation dans laquelle ils sont obligés de faire abstraction de leur position sociale réelle, de la qualité de leurs biens premiers naturels, ainsi que de leur conception particulière de la vie bonne, pour ne tenir compte que de leurs connaissances générales de la nature humaine et du fonctionnement des sociétés.

Dans ce cadre méthodologique, que Rawls appelle « procédural »127(*), Rawls conçoit la justice selon deux principes128(*).

Premier principe 

Chaque personne doit avoir un droit égal au système total le plus étendu de libertés de base égales pour tous, compatible avec un même système pour tous.

Second principe

Les inégalités économiques et sociales doivent être telles qu'elles soient :

au plus grand bénéfice des plus désavantagés, dans la limite d'un juste principe d'épargne, et

attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, conformément au principe de la juste [fair] égalité des chances.

De ces principes, Rawls va définir deux règles de priorité.

Première règle de priorité (priorité de la liberté) : les principes de la justice doivent être classés en ordre lexical, c'est pourquoi les libertés de base ne peuvent être limitées qu'au nom de la liberté. Il y a deux cas :

une réduction de la liberté doit renforcer le système total des libertés partagé par tous ;

une inégalité des libertés doit être acceptable pour ceux qui ont une liberté moindre.

Seconde règle de priorité (priorité de la justice sur l'efficacité et le bien-être) : le second principe de la justice est lexicalement antérieur au principe d'efficacité et à celui de la maximisation de la somme totale d'avantages ; et la juste (fair) égalité des chances est antérieure au principe de différence. Il y a deux cas :

une inégalité des chances doit améliorer les chances de ceux qui en ont le moins ;

un taux d'épargne particulièrement élevé doit, au total, alléger la charge de ceux qui ont à le supporter.

Selon Rawls, ces principes s'appliquent, en premier lieu, à la structure de base, ils commandent l'attribution des droits et des devoirs et déterminent la répartition des avantages économiques et sociaux. Leur formulation présuppose que, dans la perspective d'une théorie de la justice, on divise la structure sociale en deux parties plus ou moins distinctes, le premier principe s'appliquant à l'une, le second à l'autre.

Ainsi, nous distinguons entre les aspects du système social qui définissent et garantissent l'égalité des libertés de base pour chacun et les aspects qui spécifient et établissent des inégalités sociales et économiques.

II) Les biens premiers et les principes d'égale liberté et d'égalité équitable des chances.

Rawls a établi une liste des libertés de base les plus importantes129(*), et propose de formuler les exigences de la justice en termes de bien premiers, c'est-à-dire des moyens généraux requis pour forger une conception de la vie bonne et en poursuivre la réalisation, quel qu'en soit le contenu exact. Il distingue les biens premiers naturels, comme la santé et les talents, qui ne sont pas directement sous le contrôle des institutions sociales, des biens premiers sociaux, qu'il répartit en trois catégories :

les libertés fondamentales : les libertés politiques (droit de vote et d'éligibilité), la liberté d'expression et de réunion, la liberté de pensée et de conscience ; le droit de propriété personnelle, la protection à l'égard de l'arrestation et de l'emprisonnement arbitraires, tels qu'ils sont définis par le concept de l'Etat de droit, la liberté de la personne qui comporte la protection à l'égard de l'oppression psychologique et de l'agression physique (intégrité de la personne) ;

Chances d'accès aux positions sociales : c'est le principe d'égalité équitable des chances, il n'exige pas que l'on garantisse à toutes les catégories de citoyens la même probabilité d'accès aux diverses positions sociales ; il demande seulement que des personnes ayant les mêmes talents aient la même possibilité d'accès à ces positions.

Avantages socio-économiques liés à ces positions : le revenu et la richesse, les pouvoirs et les prérogatives, et « les bases sociales du respect de soi », les loisirs.

Ces libertés doivent être égales pour tous d'après le premier principe. Une société juste, conforme aux deux idéaux d'égal respect pour les conceptions de la vie bonne, d'une part, et d'égal souci de la possibilité pour chacun de les réaliser, d'autre part, est une société dont les institutions répartissent les biens premiers sociaux de manière équitable entre ses membres en tenant compte, notamment du fait que ceux-ci diffèrent les uns des autres en termes de biens premiers naturels.

Le second principe s'applique, dans la première approximation, à la répartition des revenus et de la richesse et aux grandes lignes des organisations qui utilisent des différences d'autorité et de responsabilité. Si la répartition de la richesse et des revenus n'a pas besoin d'être égale, elle doit être à l'avantage de chacun et, en même temps, les positions d'autorité et de responsabilité doivent être accessibles à tous. On applique le second principe en gardant les positions ouvertes, puis, tout en respectant cette contrainte, on organise les inégalités économiques et sociales de manière à ce que chacun en bénéfice.

III) Le principe de différence

Ce principe suppose que l'on définisse une position véritablement accessible à tous, parce qu'elle ne requiert aucun talent particulier, par exemple la position de travailleur non qualifié, et il exige que le niveau des espérances (en termes de revenu, de richesse, de pouvoir, etc.) associées à cette position sociale soit maximisé.

En second lieu, le principe de différence prend en compte la possibilité que les inégalités entre les niveaux des avantages économiques associés à différentes positions sociales aient un effet positif sur la somme des avantages à partager. Ainsi, des inégalités de revenu peuvent amener travailleurs et épargnants à travailler et à épargner davantage, et surtout d'une manière plus judicieuse d'un point de vue collectif. Des inégalités de richesse et de pouvoir peuvent permettre de localiser le pouvoir de décision économique chez ceux qui sont le mieux à même d'en faire bon usage. De ce fait, même les personnes les plus mal loties pourraient connaître, grâce à ces inégalités, un sort bien meilleur qu'en cas d'égalité stricte.

En résumé, en ce qui concerne les deux principes de Rawls, pris ensemble, le premier ayant priorité sur le second, les deux principes régissent les institutions de base qui réalisent ces valeurs. Si l'on revient à la procédure du voile d'ignorance, on comprend bien pourquoi on peut penser que l'intérêt rationnel des individus ne connaissant pas leur position dans la société (et pouvant donc faire partie des plus défavorisés) peut être de défendre en priorité la situation de ces plus défavorisés.

D'après les principes de Rawls, certains biens sociaux sont plus importants que d'autres et ne peuvent donc pas être sacrifiés au profit de ceux-ci. L'égale liberté est prioritaire par rapport à l'égalité des chances, qui elle-même est prioritaire par rapport à l'égalisation des ressources. Mais une inégalité n'est acceptable que si elle bénéficie aux plus défavorisés. Ces deux principes constituent la réponse de Rawls au problème de la justice.

D'un côté, Rawls grâce à son principe de différence, justifie l'existence d' « inégalités naturelles », et de l'autre, il donne un fondement conceptuel à l' « économie sociale de marché ». Raymond Boudon note d'ailleurs à ce sujet : « il consent à ce que cette élévation du plancher soit obtenue par une augmentation des inégalités. Peu lui importe que le riche devienne très riche si l'on peut démonter que cela permet au pauvre de devenir moins pauvre : tels est le message des courbes de différence rawlsiennes. Tel est le contenu du célèbre principe de différence : la différence entre le mieux et le plus mal loti doit se justifier par le fait qu'elle contribue à améliorer la condition du second. On voit ainsi glisser la démarche de la philosophie à la sociologie, de la sociologie à l'économie. »

* 115 Mill, L'Utilitarisme, Chap. II, p.58

* 116 Monique Canto- Sperber, Ruwen Ogien, La philosophie morale, 2ème 2d. 2006, pp. 5-6.

* 117 Henry SIDGWICK, The Methods of Ethics, 7ème ed., 1907; Indianapolis, Hackett publishing Company, 1981, Paris, PUF, 1994, pp 227-251.

* 118 L'individualisme : processus au cours duquel l'individu s'affranchit de plus en plus des règles et des valeurs issues de la conscience collective.

* 119 Hédonisme : c'est la tentation de rechercher par les sens corporels le plaisir, la satisfaction, le bonheur.

* 120 Holisme : Doctrine philosophique selon laquelle ce n'est jamais un énoncé scientifique isolé, mais le corps tout entier de la science qui affronte le verdict de l'expérience. Le holisme, issue d'Emile Durheim, consiste à expliquer des faits sociaux par d'autres faits sociaux. Pierre Duhem soutient qu'il n' y a aucune «expérience cruciale, contrairement à ce que disait Francis Bacon en science », le principe du holisme dit que l'on connaît un être quand on connaît l'ensemble, la totalité, du système dont il est une partie.

* 121 Doctrine selon laquelle les sensations sont les matériaux de base de toutes nos connaissances et de toutes nos idées.

* 122 Doctrine assimilant le Souverain Bien au plaisir. C'est, plus spécialement, l'attitude des Cyrénaïque- mais le prétendu hédonisme des épicuriens aboutit à l'ascétisme le plus strict.

* 123 Régime politique dans lequel la souveraineté est exercée par le peuple, c'est-à-dire par l'ensemble des citoyens, au moyen du suffrage universel. Selon Rousseau, la démocratie - qui réalise l'union de la morale et de la politique - est un état de droit exprimant la volonté générale des citoyens qui sont à la fois législateurs et sujets des lois.

* 124John Stuart MILL : L'Utilitarisme : Essai sur Bentham, Quadrige/ Presses Universitaires de France, 1998.

* 125 Monique Canto-Sperber, Ruwen Ogien, La philosophie morale, 2ème éd. 2006, pp.40-41

* 126Rawls, Individu et justice sociale autour de John Rawls, Dans son art. « La théorie de la justice comme équité : une théorie politique et non pas métaphysique. ». pp. 279-317

* 127 Procédural : il s'agit d'une procédure pour découvrir les meilleurs principes de justice, tenant compte de la diversité des valeurs propre aux sociétés occidentales dites démocratiques.

* 128 Nous les présentons exactement tel que Rawls les décrit dans sa version finale, en section 46, p.341 de sa Théorie de la justice éd.1997

* 129 Rawls, Théorie de la justice, p.92

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo