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Justice, équité et égalité entre philosophie utilitariste et Science économique: Bentham, Mill, et Rawls

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par Didier HAGBE
Université Lyon II - Master 2 Histoire des théories économiques et managériales 2005
  

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Section II: Rawls et sa critique de l'utilitarisme

Soulignons tout d'abord que même si Rawls décrit l'utilitarisme il est conscient de la multitude de formes que revêt l'utilitarisme, et avoue lui-même que la forme d'utilitarisme qu'il décrit dans sa Théorie de la justice est la stricte doctrine classique qui reçoit sa formulation la plus claire et la plus accessible chez Bentham et chez Sidgwick,130(*).

En réaction à l'utilitarisme, Rawls se place dans la lignée des théories du contrat social (Rousseau, Locke, Kant). Sa démarche est à la fois libérale et égalitaire. Il s'agit de concilier la liberté individuelle de concevoir sa vie et l'égalité d'accès aux moyens de mener sa vie selon ses vues. La théorie de Rawls peut être perçue comme un libéralisme égalitaire. L'oeuvre de Rawls s'axera sur les principes d'éthique, de justice et de libéralisme.

Si nous partons du principe que toutes les personnes sont estimées avoir droit à l'égalité de traitement, à moins que quelque intérêt social reconnu n'exige le contraire, la justice n'a sa place que pour autant qu'elle ne contredit pas la recherche du bonheur maximum des individus. Cette subordination de la justice au bien - et même plus exactement au bonheur - trouve son expression concentrée dans la formulation qu'en donne Sidgwick et qui constitue le point de départ de la critique de Rawls : L'idée principale en est qu'une société est bien ordonnée, et par là même juste, quand ses institutions majeures sont organisées de manière à réaliser la plus grande somme totale de satisfaction pour l'ensemble des individus qui en font partie.

Premièrement, John Rawls reproche aux utilitaristes de proposer une conception impropre de la justice et s'attelle à renouer les liens que l'utilitarisme avait alors défaits entre justice commutative et justice distributive. S'opposant aux utilitaristes, Rawls pose que « chaque membre de la société possède une inviolabilité fondée sur la justice ou comme le disent certains, sur le droit naturel, qui a priorité sur tout, même sur le bien être de tous les autres. La justice nie que la perte de la liberté de certains puisse être justifiée par un plus grand bien que les autres se partageraient »131(*).

Rawls fait d'abord remarquer que l'utilitarisme appliqué à la justice repose sur l'idée qu'il y a un passage naturel entre ce qui est bon pour l'individu à ce qui est bon pour le groupe, autrement dit : la justice sociale est l'application du principe de prudence rationnelle à une conception du bien-être du groupe considéré comme un agrégat. Dans la conception utilitariste, le juste est conçu comme ce qui maximise le bien. Une fois les principes utilitaristes clairement identifiés, Rawls les remet en cause radicalement, car ils s'opposent au principe d'égalité sur lequel repose la théorie du contrat social.

Puisque chacun désire protéger ses intérêts, sa capacité à favoriser sa conception du bien, personne n'a de raison de consentir à une perte durable de satisfaction pour lui-même afin d'augmenter la somme totale. En l'absence d'instincts altruistes, solides et durables, un être rationnel ne saurait accepter une structure de base simplement parce qu'elle maximise la somme algébrique des avantages , sans tenir compte des effets permanents qu'elle peut avoir sur ses propres droits, ses propres intérêts de base. C'est pourquoi pour Rawls, semble-t-il, le principe d'utilité est incompatible avec une conception de la coopération sociale entre personnes égales en vue de leur avantage mutuel. Ce principe est en contradiction avec l'idée de réciprocité implicite dans le concept d'une société bien ordonnée. Or une société est bien ordonnée lorsqu'elle n'est pas seulement conçue pour favoriser le bien de ses membres, mais lorsqu'elle est aussi déterminée par une conception publique de la justice. C'est-à-dire qu'il s'agit d'une société où, premièrement, chacun accepte et sait que les autres acceptent les mêmes principes de la justice et où, deuxièmement, les institutions de base de la société satisfont, en général, et sont reconnues comme satisfaisant ces principes.

Rawls doute visiblement que les hommes soient une espèce dotée naturellement d'un altruisme solide et durable. En effet, Il pense qu'il est tout à fait improbable que des personnes se considérant elles-mêmes comme égales, ayant le droit d'exprimer leurs revendications les unes vis-à-vis de autres, consentent à un principe qui puisse exiger une diminution des perspectives de vie de certains, simplement au nom de la plus grande quantité d'avantages dont jouiraient les autres.

Par conséquent, il est certainement raisonnable de considérer que les individus, en fait, calculent prudemment ce qui sera le plus favorable pour eux et pour leur propre conception du bien. Ce que conteste Rawls, ce n'est pas cela. C'est qu'on puisse étendre cette conception des comportements humains aux principes sur lesquels devrait être construite une société bien ordonnée. Le passage du bien individuel au bien collectif constitue la clé des conceptions morales des utilitaristes, car l'utilitarisme ne peut être une conception morale que si le bien individuel et le bien collectif peuvent être identifiés. Les deux concepts principaux de l'éthique sont ceux du juste et du bien ; Rawls pense que « le concept de personne moralement valable en est dérivé. La structure d'une théorie éthique est donc largement déterminée par la manière dont elle définit et relie entre elles ces deux notions de base. Or pour Rawls, la façon la plus simple de les relier est celle qu'adoptent les théories téléologiques : le bien est défini indépendamment du juste et, ensuite, le juste est défini comme ce qui maximise le bien »132(*).

Si nous continuons néanmoins à estimer que la maximisation de l'utilité est notre principal objectif, alors mieux vaut la concevoir comme un idéal non moral, comme une valeur de type esthétique, par exemple133(*). Si le bien est défini par le plaisir, nous avons l'hédonisme, s'il est défini par le bonheur, c'est l'eudémonisme. Rawls avance un autre exemple134(*) de conception téléologique, à savoir celui de Nietzsche. Le bien que la théorie de Nietzsche entend maximiser (la créativité) n'est accessible qu'à quelques heureux élus. Les autres individus ne sont utiles que dans la mesure où ils promeuvent le bien de ces élus. Dans l'utilitarisme, la valeur à promouvoir est plus simple, tout un chacun est capable de participer ou de contribuer à sa maximisation (même si cette maximisation peut entraîner le sacrifice de beaucoup de gens). Cela signifie que dans la téléologie utilitariste, contrairement à celle de Nietzsche, les préférences de chaque individu comptent. Mais dans aucune des deux ne prévaut le principe d'égalité de traitement.

Deuxièmement, tandis que la doctrine du contrat accepte comme fondées, dans l'ensemble, nos convictions en faveur de la priorité de la justice, l'utilitarisme au contraire, cherche à en rendre compte comme si elles étaient une illusion socialement utile.

Troisièmement, tandis que l'utilitarisme étend à la société le principe de choix valable pour un individu, la théorie de la justice comme équité, étant une doctrine du contrat, pose que les principes du choix social et, partant, les principes de la justice sont eux-mêmes l'objet d'un accord originel.

Quatrièmement, Rawls mentionne que l'utilitarisme est une théorie téléologique, ce qui n'est pas le cas pour la théorie de la justice comme équité. Par définition, cette dernière est une théorie déontologique, c'est-à-dire une théorie qui soit ne définit pas le bien indépendamment du juste, soit n'interprète pas le juste comme une maximisation du bien.

Cinquièmement, Rawls note que dans l'utilitarisme, si des hommes prennent un certain plaisir à établir des discriminations entre eux, à imposer aux autres une diminution de liberté afin d'accroître le sentiment de leur propre valeur, il faut alors, dans nos réflexions, accorder à la satisfaction de ces désirs un poids qui soit en rapport avec leur intensité, ou selon d'autres critères, et faire de même pour les autres désirs exprimés. Si la société décide de refuser de les satisfaire ou de les réprimer, c'est parce qu'ils tendent à être socialement destructeurs et qu'un plus grand bien-être peut être obtenu par d'autres moyens. Au contraire dans la théorie de la justice comme équité, les personnes acceptent par avance un principe de liberté égale pour tous et elles le font dans l'ignorance de leurs fins plus particulières.135(*)

Enfin, La philosophie morale de Kant, dans sa forme originelle, pose des questions redoutables. En particulier, elle conduit à accepter un ensemble de postulats nécessaires pour la raison pratique, comme l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme et l'existence d'un souverain bien qui réconcilierait l'obéissance au devoir et la recherche du bonheur. Suivre la morale de Kant ne serait donc possible que si on est un bon protestant piétiste.

Pour Kant et les Kantiens, c'est dans l'idée du devoir que se trouve le principe suprême de la moralité. Certes, Kant commence ses fondements de la métaphysique des Moeurs en affirmant qu'il n'y a rien qui pourrait être « sans restriction tenu bon à l'exception d'une volonté bonne »136(*), ce qui pourrait laisser penser qu'il n'accorde pas de suprématie à l'idée de devoir : elle serait subordonnée, en réalité, à celle de volonté bonne. Mais pour Kant, en réalité, dire de quelqu'un qu'il a une « volonté bonne » revient en fait à affirmer qu'il agit « par respect du devoir » purement et simplement et non pas « conformément au devoir ».

Il reste que Kant pose une question bien embarrassante : comment l'homme pourrait-il être conduit à admettre les lourds sacrifices qu'impose le respect de la loi morale s'il est privé de cette référence à une transcendance divine.

Des individus placés dans des conditions initiales adéquates et ne raisonnant que d'un point de vue utilitariste adopteraient les principes de justice non utilitaristes. En tant qu'individu ayant besoin de coopérer avec les autres individus tout en ayant des intérêts propres, éventuellement conflictuels avec ceux des autres individus, je souhaite raisonnablement que la société que je forme avec les autres soit un système de coopération équitable.

Or le principe de maximisation du bien général peut entrer et entre nécessairement en conflit avec les principes d'une coopération équitable. En particulier, la maximisation du bien général peut fort bien conduire au sacrifice de la position que certains membres de la communauté occupent. Les Grecs anciens ne concevaient pas que le bien le plus grand puisse être atteint sans l'institution de l'esclavage ; c'est même un des arguments fondamentaux d'Aristote en faveur de l'esclavage : s'il n'y a plus d'esclaves, tous devront travailler, se préoccuper de la reproduction des conditions de la vie et il n'y aura plus d'hommes libres, c'est-à-dire d'hommes qui puissent se livrer aux activités les plus élevées et les plus dignes de l'essence humaine.

Mais personne ne pourrait choisir une situation où il risque d'être esclave à moins d'être fou, disait déjà Rousseau et, par conséquent, une société fondée sur l'esclavage, même si elle maximise le bien général, ne serait pas une société bien ordonnée.

On peut certes imaginer qu'il y a des frontières déterminées au delà desquelles le principe d'utilité doit céder le pas aux droits naturels de la personne qui interdirait par exemple l'esclavagisme, mais en ce cas l'utilitarisme ne peut plus prétendre fournir le critère permettant de définir les comportements humains auxquels doit s'attacher la qualification de " bon ": un comportement est bon non pas s'il est utile, mais s'il respecte la personne.

Et on retombe alors dans une morale déontologique de type kantien, ce à quoi pourtant l'utilitarisme nous promettait d'échapper. Si on essaie de justifier le respect de la personne d'un point de vue utilitariste, les choses sont encore plus compliquées. C'est pourquoi traditionnellement les utilitaristes reprennent toujours plus ou moins des doctrines du bonheur collectif comme justification ultime. À la doctrine utilitariste qui suppose la détermination des comportements individuels par ce qu'on croit être le bien commun, Rawls oppose le principe de respect, le caractère inviolable des droits de la personne et le principe d'égale liberté.

* 130 Rawls, Théorie de la justice p.49

* 131 Voir Rawls, op.cit. [1971], trad. Catherine AUDARD, 1997, p.53.

* 132 Rawls, Théorie de la justice, éd. 1997, p.50

* 133 Voir Kymlicka, Les théories de la justice, une introduction, P. 45.

* 134 Voir Rawls, 1971, p.25

* 135 Voir Rawls, Théorie de la justice, 1971, p.56.

* 136 Kant: Fondements de la métaphysique des moeurs, trad. Victor Delbos, DELAGRAVE 1976, p 87.

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