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Justice, équité et égalité entre philosophie utilitariste et Science économique: Bentham, Mill, et Rawls

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par Didier HAGBE
Université Lyon II - Master 2 Histoire des théories économiques et managériales 2005
  

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Chapitre II Discussion et commentaire sur la théorie de Rawls et ses critiques à l'utilitarisme 

Les différents principes établis par Rawls ont suscité plusieurs débats, nous n'examinerons pas toutes les discussion autour de la théorie de Rawls, mais quelques unes qui ont incité à une reformulation des principes et qui ont conduit naturellement Rawls à préciser sa position entre autre à l'égard de la philosophie morale de Kant.

Section I.- Otfried Höffe : «Dans quelle mesure la théorie de John Rawls est-elle kantienne ?

Fort du principe benthamien du « plus grand bonheur pour le plus grand nombre », l'utilitarisme ne considère pourtant pas la justice comme un concept fondamental normatif, mais comme une fonction du bien-être collectif ; il n' y a pas de place dans l'utilitarisme pour une fonction originaire, mais seulement pour une fonction subsidiaire de la justice. Rawls se retourne de manière directe contre l'utilitarisme, donc contre la position éthique prédominante dans le monde anglo-américain. Mais en soumettant - d'accord en cela avec l'utilitarisme - les situations juridiques et politiques à une critique normative générale, il rejette aussi - certes, d'une manière indirecte - un positivisme radical en matière de droit et d'Etat. Sans rien enlever à l'originalité de la critique rawlsienne de l'utilitarisme, il faut rappeler que, malgré la prépondérance de l'utilitarisme, l'effacement de toute perspective de justice n'a pas laissé le monde anglo-saxon indifférent. Parmi les représentants classiques de cette réaction, on citera Henry Sidgwick, qui non seulement a donné de l'utilitarisme la présentation la plus différenciée137(*), mais reconnaît dans la justice un principe correctif de l'utilitarisme138(*).

A Theory of Justice de John Rawls a la signification d'un changement de paradigme, qui chez Rawls se place sous le signe de Kant.

Déjà, Sidgwick avait reconnu l'importance de l'éthique kantienne139(*). Il estimait cependant la position kantienne conciliable avec l'utilitarisme. Cette thèse de la compatibilité est toutefois en opposition avec celle de Rawls.

Selon l'utilitarisme, la justice n'est exigée que pour autant qu'elle maximise le bien-être de tous ceux qu'elle concerne. Ici, la justice devient fonction du bien-être collectif et, par conséquent, le niveau de la satisfaction collective a priorité absolue sur la liberté individuelle. Un Etat policier ou militaire serait alors non seulement permis mais moralement prescrit, car, si son excellente organisation porte peut-être atteinte à la liberté individuelle et implique des inégalités criantes, elle garantit cependant un plus grand avantage collectif. Par contre, Rawls est convaincu que l'idée de justice exige pour chaque individu des droits inaliénables, que nous appelons les droits de l'homme, et qui ne sauraient être supplantés même par le bien-être de la société dans son ensemble. En effet on retrouve chez Kant au moins deux passages qui parlent indéniablement en faveur des droits de l'homme inaliénables. Dans les fondements de la métaphysique des moeurs, Kant écrit : « l'homme, et en général tout être raisonnable, existe comme fin en soi, et non pas simplement comme moyen dont telle et telle volonté puisse user à son gré. » et dans sa doctrine du droit, Kant affirme un droit inaliénable et inviolable.

Malgré leur accord fondamental sur les droits de l'homme, il y a une série de points sur lesquels Kant et Rawls s'opposent. Ainsi Kant, par exemple, refuse un droit de résistance, alors que Rawls considère - sous certaines conditions, certes - une désobéissance civile comme légitime. En outre, Kant a contesté aux apprentis, aux domestiques et à toute la gent féminine la citoyenneté active, ce qui s'oppose peut -être déjà au premier principe de justice de Rawls - la liberté égale la plus étendue - et qui, en tout cas est, totalement incompatible avec le deuxième principe de justice, qui préconise l'accessibilité à tous des charges et des positions sociales. De plus, selon Kant, l'Etat social (c'est-à-dire l'Etat - providence) n'a pas rang de justice politique, il n'a aucune signification originaire. Par contre, la théorie de Rawls présente un attrait politique considérable car, en accord avec nos constitutions, elle reconnaît une signification de justice originaire non seulement à l'Etat de droit, mais également à l'Etat social.

Une théorie de la justice peut être appelée « kantienne » au moins en trois sens. Elle est kantienne en un sens faible si elle reprend le programme du philosophe Königsberg, et en un sens plus fort si elle reconnaît les éléments centraux de la réalisation de ce programme, c'est-à-dire les éléments fondamentaux de la réponse kantienne ; elle est kantienne en un sens fort si, de plus, elle veut coïncider avec Kant sur de nombreux points de détail. On peut donc en conclure que Rawls n'est pas kantien au sens le plus fort. Par ailleurs, Rawls ne fait pas que reprendre la problématique kantienne. Il se base également sur le concept kantien de l'autonomie140(*), considère les principes de justice comme des impératifs catégoriques au sens kantien141(*) et la position originelle comme une interprétation opératoire des concepts kantiens d'autonomie et d'impératif catégorique142(*). Et finalement, Rawls reprend l'idée d'un contrat social qui n'est pas au centre de la philosophie du droit de Kant, tout en y étant présente. Rawls choisit donc un kantisme « moyen » en présentant une théorie de la justice qui est kantienne dans le fond mais pas dans le détail. Cependant, dans la Doctrine du Droit, Kant cherche un concept moral et un critère du droit, et cette recherche correspond exactement au programme de Rawls, qui voit dans la justice la «première vertu des institutions sociales143(*)».

D'après Otfried Höffe, « Comme « vertu » non pas relative mais absolument première la justice est un concept moral, valable sans restriction ; ses exigences ne souffrent pas les moindres compromis avec d'autres buts et, dans cette mesure, ce sont des impératifs au sens de Kant. D'autre part, les principes de justice ne s'adressent pas en premier lieu à la disposition fondamentale d'une personne, mais à l'ordre fondamental d'une société, en particulier à un ordre juridique. C'est pourquoi ce ne sont pas des impératifs catégoriques quelconques, mais des impératifs catégoriques de droit 144(*)». C'est par un tel impératif catégorique qu'est définie la tâche essentielle d'une interprétation kantienne.

Comme le suggère Höffe, « selon Kant, à la différence de la vertu, trois éléments sont caractéristiques du droit. Materialiter, il y va des conditions de possibilité de faire coexister des êtres doués de liberté : liberté d'action ou de libre arbitre. Formaliter, les principes de coexistence doivent certes satisfaire au critère moral de la stricte universalisation, mais il n'est pas exigé que les personnes coexistantes soient elles-mêmes morales. Alors que pour la vertu, cela dépend de la moralité, la légalité suffit au droit. Troisièmement et découlant de ce qui précède : comme il s'agit des conditions de possibilité d'une existence d'être doués de liberté, et comme la légalité, suffit, les impératifs catégoriques de vertu, inséparablement liès à la faculté de contraindre.145(*)»

Si l'on considère maintenant la théorie de la justice de Rawls à partir de la définition kantienne du droit, on retrouve dans le premier principe de justice le premier élément de définition du droit de Kant : la coexistence de liberté. Dans le deuxième principe de justice apparaissent cependant d'autres éléments, notamment le bien-être des personnes les plus défavorisées, que Kant considère comme étrangères au droit. De son côté, Rawls parle sans distinction d'une « théorie morale » et d'une « personne morale », et ne tient donc pas compte de la différence entre droit et vertu, c'est-à-dire entre légalité et moralité. Finalement, Rawls ne fait jouer pour ainsi dire aucun rôle à la faculté de contraindre du droit146(*). Dans la théorie de Rawls, la faculté de contraindre du droit, n'a pas de signification primaire, ni même secondaire, tout au plus de troisième rang147(*).

La question de savoir si la théorie de la justice est une théorie morale ou catégorique, au sens kantien, se pose du fait que Rawls recourt au cadre conceptuel des théories de la décision. Selon ces théories, un choix est rationnel lorsque, au moyen d'un processus de calcul et d'information exempt de passion, on tente de maximiser l'avantage personnel. Dans toutes leurs variantes, les décisions rationnelles sont des calculs déterminés par l'intérêt propres des individus concernés. Selon Kant, des décisions qui découlent de l'intérêt personnel sont valables de manière (pragmatique) hypothétique, mais non pas catégorique. Bien que le choix rationnel des principes de justice apparaisse comme le résultat précis d'un choix prudentiel, et que Rawls tienne beaucoup à ce point, il serait précipité de refuser aux principes de justice une signification morale et catégorique. Car Rawls laisse se dérouler le choix des principes de justice comme nous l'avons vu, dans une situation initiale sous un voile d'ignorance. En raison de ce voile d'ignorance, il est impossible à celui qui choisit de faire dépendre sa décision de propres circonstances : les particularités individuelles, sociales ou culturelles ne jouent plus aucun rôle. La situation initiale est donc celle d'un rapport symétrique de tous les décideurs. On pourrait également parler d'une situation de choix idéale, au sens strict, libre de toute domination ; dans celle-ci, toutes les personnes vivant au présent, dans le passé ou à l'avenir sont reconnues comme strictement égales. Rawls a placé comme sujet du choix rationnel un sujet universel.

Dans la situation initiale, les décideurs rationnels ne peuvent pas maximiser leur propre avantage, et cela parce qu'ils ne sont pas des sujets portés par un avantage propre, soit individuel, soit spécifique au groupe auquel ils appartiennent. Le porteur du choix de la justice est, au sens strict, un sujet universel, indifférent à toutes les déterminations individuelles et particulières, que Kant désignerait comme être de raison pure. Comme le suggère Höffe, « En ce sens, on pourrait se demander si Rawls n'a pas malgré tout réhabilité le sujet nouménal de Kant. Cependant, il ne l'a pas réhabilité dans le contexte théorique, mais dans le contexte pratique ; autrement dit, le sujet ne peut se décider que de manière impartiale, c'est-à-dire raisonnablement et moralement.148(*).Ainsi se confirme le premier élément de l'interprétation kantienne. Les principes de justice choisis sous le voile d'ignorance ont la signification d'impératifs catégoriques. Par conséquence la théorie de la justice de Rawls est définitivement Kantienne »

En introduisant la justice comme un concept moral et catégorique, et le voile d'ignorance comme une interprétation opératoire de l'exigence catégorique, Rawls ne peut défendre des principes de justice valables pour une culture et une époque spécifiques. En outre, si Rawls fait disparaître toutes les différences sociales et culturelles sous le voile d'ignorance, il les déclare sans importance quant à la justification et à l'étendue de la justification. Ici il adopte effectivement un point de vue strictement kantien ; et celui-ci ne s'accorde pas avec la relativisation de la justice selon le degré de développement socioculturel.

* 137 Voir Methods, livre IV

* 138 Methods, livre III, chap. V, et Livre IV, chap. III

* 139 Cf. Methods, préface 6e édition

* 140 Voir Rawls, Théorie de la justice, p. 251 : p. 288

* 141 TJ, p.253 :289

* 142 TJ, p. 256 : p. 293

* 143 TJ, p.3 :p.29

* 144 cf. Höffe, 1987 : Dans sa philosophie pratique, Kant n'utilise pas l'expression « impératif catégorique de droit », mais il développe l'idée. Dans le paragraphe C de l'introduction à la Doctrine du droit , Kant formule une loi universelle de droit qui, conformément à la perspective morale de la doctrine du droit, représente la loi morale du droit, et qui de ce fait, face aux rapports juridiques effectifs, a la signification d'un impératif catégorique de droit.

* 145 Cf. Höffe, 1987.

* 146 Voir TJ, p.241 :277 ; p.314 : P. 352 ; p. 575 : p. 616.

* 147 TJ, p.241 : p.277 ; p.314 :p.352 ; p.575 :p.616.

* 148 cf. Höffe 1987

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci