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Justice, équité et égalité entre philosophie utilitariste et Science économique: Bentham, Mill, et Rawls

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par Didier HAGBE
Université Lyon II - Master 2 Histoire des théories économiques et managériales 2005
  

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Section II.- Catherine Audard, question de méthode : «Le libéralisme et la question de la fin dominante149(*).»

Pour bien comprendre les critiques de Rawls, il faut se rappeler que l'utilitarisme a été conçu, dès ses débuts chez Hume, comme une machine de guerre contre le platonisme moral. Dans celui-ci, qui affirme un ordre moral indépendant et antérieur au sujet moral, les concepts moraux comme ceux du juste et du bien, de la valeur morale, ne peuvent être dérivés de concepts non moraux.

Au contraire, l'utilitarisme part de l'individu et de sa subjectivité vécue, pourrait-on dire, en considérant que les seuls faits moraux fondamentaux sont ceux qui concernent le bien-être de l'individu. Pour Rawls, «le principe d'utilité définit le bien par la satisfaction du désir, ou mieux, peut-être, par la satisfaction d'un désir rationnel. 150(*)» Les utilitaristes préciseraient toutefois que ce ne sont pas les désirs, mais les systèmes de désirs et de préférences qui peuvent être rationnels, puisque c'est par eux qu'est atteinte la maximisation du bien-être. Selon Rawls, le comportement de l'agent moral cherchant à maximiser sa satisfaction est rationnel d'après l'utilitarisme au sens où le sont « un entrepreneur décidant comment maximiser son profit en produisant telle ou telle marchandise, ou un consommateur décidant comment maximiser sa satisfaction par l'achat de telle série de biens »151(*). Pour Rawls, le concept de rationalité doit être interprété au sens étroit, courant dans la théorie économique, comme la capacité d'employer les moyens les plus efficaces pour atteindre des fins données.

Ces données morales subjectives constituent alors le seul point de vue pertinent pour évaluer ce qui est juste et ce qui ne l'est pas. Le bien est défini indépendamment du juste et, ensuite, le juste est défini comme ce qui maximise le bien. Plus précisément sont justes les institutions et les actes qui produisent le plus grand bien possible. Il est naturel de définir la rationalité par la maximisation de quelque chose, et, en morale, par la maximisation du bien.152(*). D'où le qualificatif de «téléologique» que Rawls applique à l'utilitarisme. Dans cette justification du principe d'utilité n'entre en ligne de compte aucun fait, aucun critère extérieur aux désirs et aux préférences des individus.

Au nom de la liberté individuelle, ici entendue comme pure liberté de choix, comme « liberté négative », le contenu particulier et contingent de ces préférences, quelles qu'elles soient, doit être respecté. Il s'agit d'un droit fondamental, essentiel dans une société libérale et pluraliste, héritière des guerres de religion et de la réforme, « caractérisée par le principe de la tolérance et la croissance du gouvernement constitutionnel et des institutions de vastes économies de marché industrielles »153(*). En ce sens donc, l'utilitarisme semble se conformer aux exigences profondes du libéralisme; mais il n'en est rien. «Nous pouvons comprendre la nature subjective de la conception utilitariste du bien comme étant une manière d'adapter la notion de bien rationnel unique [du platonisme] aux exigences institutionnelles de la société démocratique moderne, donc, le bien doit être conçu comme subjectif, comme la satisfaction des désirs et des préférences »154(*).

On voit alors clairement le sens de la critique de Rawls : le platonisme moral que l'on voulait éviter réapparaît, sous une forme « démocratisée » certes, mais bien réel tout de même. L'utilitarisme serait donc en fait incompatible avec le libéralisme puisqu'il fait du bien-être une fin dominante de la pratique humaine, alors qu'il existe d'autres conceptions du bien également compatibles avec la raison humaine. L'utilitarisme réintroduit donc les controverses métaphysiques et religieuses dont le libéralisme155(*) cherche à se débarrasser par le principe de tolérance.

Catherine Audard prend, pour illustrer cette critique, un exemple qui revient sans cesse dans Théorie de la justice. Supposons, par exemple, que la majorité de la société haïsse certaines pratiques religieuses ou sexuelles et les considère comme une abomination. L'idée seule qu'elles puissent exister suffit à susciter chez la majorité colère et haine. Même si ces émotions sont inacceptables du point de vue moral, il ne semble pas exister de moyen efficace de les exclure comme étant irrationnelles. La recherche de la plus grande satisfaction possible des désirs peut donc justifier des mesures extrêmement répressives à l'encontre d'actions qui ne  nuisent pourtant pas à la société ».156(*)

Si pour éviter ce sectarisme de l'opinion populaire, on se replie sur une autre interprétation du bien-être subjectif, sera-t-on plus satisfait ? L'hédonisme, de ce point de vue, paraît plus convaincant. En effet, en posant que le plaisir est la fin dominante d'un agent rationnel, on ne pose pas une fin unique, mais plutôt une qualité commune à plusieurs fins, ce qui devrait permettre une plus grande tolérance. «Ainsi, on pourrait dire que le plaisir est le trait commun à l'expérience de respirer des roses, de manger du chocolat, à l'affection réciproque etc. Chercher à maximiser les sensations agréables semble éviter les manifestations de fanatisme et d'inhumanité tout en définissant une méthode rationnelle de choix purement personnel »157(*). C'est en raison de ce caractère plus tolérant que l'utilitarisme et, avec lui, les doctrines téléologiques ont été amenées à adopter une forme d'hédonisme. Mais, dès que l'on veut préciser ce qu'est le plaisir, comparer les divers plaisirs individuels pour maximiser le bien-être total, on ne peut le faire sans se servir d'un critère autre que le plaisir ou bien sans tomber dans l'arbitraire des goûts et des préférences : « le problèmes de la pluralité des fins renaît tout entier à l'intérieur de la classe des sentiments subjectifs »158(*).

On n'a le choix, selon Rawls, qu'entre une interprétation totalitaire, d'une part, qui prétend à l'objectivité, mais s'oppose à la liberté de choix de l'individu et à la pluralité des conceptions acceptables du bien, et une interprétation subjectiviste du bien être comme plaisir, d'autre part, mais qui ne fournit aucun critère pour faire des comparaisons interpersonnelles et maximiser le solde net de satisfaction.

Pour Catherine Audard, les principes du libéralisme ne sont compatibles avec une théorie de la justice que si celle-ci correspond au souci que des êtres rationnels ont de la satisfaction de leurs intérêts sans leur imposer de vision du monde, de conception d'un bien extérieur indépendant. Ces principes excluent la dimension coercitive de la morale et, a fortiori, des principes de justice qui doivent nécessairement imposer des limites à la poursuite du bonheur par chacun.

La théorie de la justice doit donc comporter une certaine « neutralité » morale pour ne choquer aucune conscience, aucune vision du monde individuelle et, pourtant, doit recueillir l'adhésion de tous, doit faire partie du bien de chacun, sinon elle n'aurait aucune application effective.

« Il faut trouver une théorie de la justice qui recueille l'adhésion unanime des agents rationnels comme le ferait une théorie téléologique, mais sans coercition, sans contredire le postulat du libéralisme »159(*).

Nous allons maintenant dans un troisième chapitre, aborder une discussion et commentaire autour du principe d'utilité.

* 149 Voir Individu et justice sociale autour de John Rawls, Catherine Audard, questions de méthode : « le libéralisme et la question de la fin dominante, pp.163-189

* 150 Rawls 1971 : 51

* 151 Rawls 1971 : 53

* 152 Rawls 1971 :50

* 153 Rawls 1971 : 281

* 154 Rawls 1982 : 182

* 155 Catherine Audard : Le « libéralisme » est un terme qui, en France, a deux sens dont l'unité et la cohérence font problème. Il y a, tout d'abord, ce qu'on appelle le libéralisme politique, courant appelé « libertarien » par les Anglo-saxons pour ne pas l'assimiler au libéralisme. Il y a ensuite le libéralisme économique ou néo-libéralisme.

* 156 Rawls 1971 : 490

* 157 Rawls 1971 : 597-598

* 158 Rawls 1971 : 599

* 159 Individu et justice sociale autour de John Rawls. Catherine Audard : « le libéralisme et la question de la fin dominante » p.167

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