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Justice, équité et égalité entre philosophie utilitariste et Science économique: Bentham, Mill, et Rawls

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par Didier HAGBE
Université Lyon II - Master 2 Histoire des théories économiques et managériales 2005
  

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Chapitre III Discussion et commentaire autour du principe d'utilité

Section I.- L'approche de Kymlicka et celle de Nozick en ce qui concerne le principe d'utilité de Bentham

La première position, qui est peut-être la plus influente dans la tradition utilitariste, consiste à dire que c'est l'expérience ou la sensation du plaisir qui constitue le bien-être suprême de l'humanité. C'est le seul bien suprême qui soit une fin en soi et pour lequel tous les autres biens sont des moyens. Kymlicka suggère qu' « on peut nourrir de sérieux doutes sur l'explication de notre préférence en faveur de certaines activités plutôt que d'autres. Bien qu'il s'agisse d'un cliché, il est probablement vrai que les poètes trouvent souvent l'expérience de l'écriture pénible et frustrante, tout en l'appréciant au plus haut point. C'est tout aussi vrai de la lecture de la poésie, qui nous apparaît souvent plus perturbante qu'agréable. Bentham pourrait répondre que le bonheur de l'écrivain, comme celui du masochiste, repose précisément sur ces sensations apparemment désagréables. Peut-être le poète éprouve-t-il vraiment de plaisir dans ces tourments et cette frustration160(*) ». Il en résulte de la part de Kymlicka un fort doute161(*).

Robert Nozick a élaboré un argument de la version hédoniste du bien être. Il nous demande d'imaginer que des neuropsychologues nous harnachent à une machine qui nous injecte des drogues. Ces drogues produisent les états de conscience les plus agréables que nous puissions imaginer. Si le plaisir était notre bien suprême, nous serions tous volontaires pour être ainsi prisonniers à la vie de la machine, dans un état d'intoxication perpétuelle, ne ressentant rien d'autre que du bonheur. Mais il est en fait probable qu'on ne trouverait guère de volontaires. Loin d'être la meilleure vie que nous puissions imaginer, on pourrait à peine appeler cela une vie digne de ce nom, et la plupart des gens y verraient une existence vaine et dénuée de toute valeur. Certaines personnes préféreraient même sans doute être mortes que mener une pareille existence. Il est clair que mieux vaut ne pas être prisonniers de la machine de plaisir et mener à bien les activités que nous jugeons propres à une existence digne d'être vécue. Même si nous devons nous contenter de l'espoir que ces activités nous procureront du bonheur, nous ne saurions les échanger contre la garantie absolue de ce bonheur.162(*).

La théorie de l'utilité fait l'hypothèse que l'humanité est rationnelle, c'est-à-dire que les individus maximisent leur utilité. On peut donc envisager l'utilité comme satisfaction des préférences.

En examinant l'utilité comme satisfaction des préférences, Kymlicka déclare que le bien-être d'un humain ne se réduit donc pas à une séquence appropriée d'états mentaux. Reste donc une autre option, l'interprétation de l'utilité comme «satisfaction des préférences».163(*)

Maximiser l'utilité des individus signifie de ce point de vue satisfaire leurs préférences quelles qu'elles soient. On peut souhaiter éprouver l'expérience de la création poétique, et la machine de Nozick suffit à cet usage, mais on peut également souhaiter écrire de la poésie et se passer de la machine. Les utilitaristes favorables à cette interprétation nous demandent de satisfaire au même titre toutes les préférences, car le bien-être se résume selon eux à la satisfaction des préférences. Mais si les deux premières interprétations excluent trop de choses de leur vision du bien-être, cette dernière est trop généreuse dans ce qu'elle inclut. Pour Kymlicka, la satisfaction de nos préférences ne contribue pas toujours à notre bien-être. Imaginons que nous commandions un repas et que certains d'entre nous veuillent de la pizza tandis que les autres désirent un plat chinois. Si la meilleure façon de satisfaire la majorité des préférences est de commander de la pizza, ce type d'utilitarisme nous adjoint à le faire. Mais que se passe - t- il si, à notre insu, la pizza est empoisonnée, ou tout simplement périmée ? Le fait de la commander irait à l'encontre de notre bien-être.

Ce qui est bon pour nous, peut être différent des préférences que nous exprimons à un moment donné. C'est un aspect qui est particulièrement souligné par les marxistes dans leur théorie de la fausse conscience : les travailleurs sont socialisés de telle manière qu'ils ne peuvent percevoir leur véritable intérêt, à savoir le socialisme. Mais le même type de problème se pose souvent de façon moins dramatique ou controversée. Il se peut très bien que l'information adéquate nous fasse simplement défaut, comme dans l'exemple de la pizza, ou que nous ayons commis des erreurs au moment de calculer les coûts et les bénéfices de telle ou telle action. On ne peut donc pas soutenir que les préférences définissent notre bien. Il est plus correct de dire qu'elles constituent une prédiction concernant notre bien. Nous souhaitons posséder les biens qui méritent d'être possédés, et nos préférences du moment reflètent nos croyances sur ce qui mérite d'être possédé. Mais il n'est pas toujours facile de savoir quels sont ces biens, et nos croyances pourraient parfaitement être erronées.

L'utilitarisme de la satisfaction des préférences affirme qu'une chose a de la valeur si un grand nombre d'individus la désirent. Mais ce qui n'est pas tout à fait vrai, c'est le fait qu'un bien ait de la valeur qui nous donne une bonne raison de le préférer. Et si un bien est dénué de valeur, la satisfaction de ma préférence erronée à son égard ne contribuera en rien à mon bien-être. Par conséquent, mon utilité ne sera pas maximisée par la satisfaction de n'importe laquelle de mes préférences, mais par la satisfaction de celles qui ne sont pas fondées sur des croyances erronées.

Dans son ouvrage Les théories de la justice, une introduction, Kymlicka164(*) examine les deux principaux arguments en faveur de la maximisation de l'utilité conçue en tant que critère de la validité morale, avec pour chacun d'entre eux, une interprétation différente de ce qu'est l'utilitarisme.

La première interprétation que nous allons appeler l'égale considération de tous les intérêts165(*), considère l'utilitarisme comme un principe d'agrégation des intérêts et des désirs. Les individus ont des préférences distinctes et potentiellement conflictuelles, et nous avons besoin d'un critère qui permette de savoir quels compromis entre ces préférences sont moralement acceptables, et lesquels sont les plus équitables à l'égard des personnes dont le bien-être est en jeu. Une des réponses les plus fréquentes est qu'il convient d'accorder la même considération aux intérêts de chaque individu. Du point de vue moral, l'existence de chaque être humain pèse du même poids, et tous les intérêts individuels devraient se voir accorder la même considération.

Comme l'explique Bentham, chacun compte pour un (une unité), et personne pour plus qu'un (une unité)-« everybody to count for one, nobody for more than one ».

Dans cette version de l'utilitarisme, par conséquent, notre raison d'accorder un même poids aux préférences de chacun, c'est que cela revient à traiter chacun sur un pied d'égalité, avec le même respect et la même considération. Si nous faisons notre ce critère de validité morale, nous serons amenés à admettre que les actions moralement bonnes sont celles qui maximisent l'utilité. Mais il est important d'observer que, dans ce cas, la maximisation n'est pas l'objectif direct de notre critère. La maximisation apparaît comme un effet annexe d'un critère destiné à permettre une agrégation équitable des préférences des individus. L'exigence de maximiser l'utilité découle entièrement de l'exigence préalable de traiter tous les individus avec une égale considération.

Le premier argument en faveur de l'utilitarisme se présente donc comme suit :

les individus comptent, et ils comptent tous à égalité ; par conséquent,

on doit accorder le même poids aux intérêts de chaque individu ; par conséquent,

les actions moralement bonnes maximiseront l'utilité.

Cet argument en termes d'égalité de traitement est implicite dans la thèse de Mill selon laquelle : dans la règle d'or de Jésus de Nazareth, nous pouvons déchiffrer intégralement l'esprit de l'éthique utilitariste. Faire ce que tu voudrais qu'on te fasse, et aimer ton prochain comme toi-même, tel est l'idéale perfection de la moralité utilitariste.

Il existe toutefois une autre interprétation de l'utilitarisme, il s'agit de l'utilitarisme téléologique, dans cette seconde version, la maximisation du bien est première et non plus dérivée, et si nous traitons chaque individu à égalité, c'est uniquement parce que c'est la seule façon de maximiser la valeur. Notre devoir prioritaire n'est point de traiter les individus comme des égaux, mais de produire des états de fait désirables. Dans cette perspective, l'utilitarisme s'intéresse avant tout non pas aux individus, mais aux états de faits. D'après Rawls, il s'agit là d'une théorie « téléologique », au sens où l'action moralement bonne est définie en terme de maximisation du bien, plutôt qu'en terme d'égale considération des individus.166(*) Il s'agit là d'une forme distincte de l'utilitarisme. Cette version fonctionne totalement à l'inverse de la première.

La première définit comme nous l'avons vu, la moralité en terme d'égalité de traitement, principe duquel découle le critère d'agrégation utilitariste, dont il apparaît qu'il maximise le bien. La seconde définit la moralité en terme de maximisation du bien, principe duquel découle le critère d'agrégation utilitariste, dont il se révèle par ailleurs qu'il traite à égalité les intérêts des différents individus.

Cette inversion a des conséquences majeures sur les plans théorique et pratique. Nous sommes face à deux méthodes indépendantes, permettant de justifier la maximisation de l'utilité. Rawls soutient que l'utilitarisme est fondamentalement une théorie du second type, qui définit la moralité en terme de maximisation du bien.167(*). Il y a toutefois quelque chose d'étrange dans l'interprétation que nous avons appelé l'utilitarisme téléologique. En effet, il n'apparaît pas du tout clairement pourquoi la maximisation de l'utilité, en tant qu'elle est notre objectif direct, devrait être considérée comme une obligation morale. Une obligation pour qui ? La moralité, telle que nous la percevons dans notre vie de tous les jours, repose sur des obligations interpersonnelles - les obligations qui nous lient les uns aux autres. Mais à qui nous lie l'obligation de maximiser l'utilité ? Cela ne peut pas être une obligation envers un état de fait en soi maximalement désirable, car les états de fait n'ont pas de droits moraux. Peut-être sommes-nous obligés envers les individus qui bénéficieraient de la maximisation de l'utilité ? Mais si cette obligation est en fait de traiter tous les individus avec une égale considération, ce qui paraît le plus plausible, cela nous ramène à la première version de l'utilitarisme, celle qui est fondée sur l'égalité de traitement. Si nous continuons néanmoins à estimer que la maximisation de l'utilité est notre principal objectif, alors mieux vaut la concevoir comme un idéal non moral, comme une valeur de type esthétique, par exemple. Dans la seconde interprétation, les individus sont perçus comme des producteurs ou des consommateurs potentiels du bien à maximiser, et notre obligation morale concerne ce bien, et non pas les individus.

D'après Kymlicka, « Si l'utilitarisme doit être interprété comme une doctrine égalitariste, alors le principe de maximisation du bien-être n' y joue aucun rôle autonome. Les utilitaristes doivent admettre que nous ne pouvons avoir recours au critère de maximisation que s'il s'agit là de la meilleure façon de traiter les individus sur un pied d'égalité ». 168(*)

Cependant on ne peut pas affirmer à la fois que la moralité est fondamentalement un problème de maximisation du bien et qu'elle repose fondamentalement sur le respect du droit des individus à une égale considération. Si l'utilitarisme devait se contenter d'un seul de ses critères, il perdrait nombre de ses attraits. Si on l'interprète comme une théorie téléologique de la maximisation, il cesse de satisfaire nos intuitions fondamentales sur le sens de la moralité ; si on le conçoit comme une doctrine égalitariste, il engendre un certain nombre de résultats qui vont à l'encontre de notre perception de l'égalité de traitement.

* 160 Kymlicka, les théories de la justice, p.21, 2003

* 161 Kymlicka, Les théories de la justice, p.21, 2003

* 162 Nozick, 1974, pp. 42-45

* 163 Kymlicka, les théories de la justice, une introduction, éd. 2003 p. 23

* 164 Will Kymlicka, Les théories de la justice, pp. 41-59

* 165 Voir Will Kymlicka, Les théories de la justice, p. 42-43

* 166 Rawls, 1971, p.24.

* 167 Rawls, 1971, p. 27.

* 168 Kymlicka, Les théories de la justice, p. 46.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo